Compendium Doctrine sociale 472

b) L'usage des biotechnologies


472 Ces dernières années s'est imposée avec force la question de l'utilisation des nouvelles biotechnologies pour des objectifs liés à l'agriculture, à la zootechnie, à la médecine et à la protection de l'environnement. Les nouvelles possibilités offertes par les techniques biologiques et biogénétiques actuelles suscitent, d'une part, espoirs et enthousiasmes, et, d'autre part, alarmes et hostilités. Les applications des biotechnologies, leur licéité du point de vue moral, leurs conséquences pour la santé de l'homme, leur impact sur l'environnement et sur l'économie, font l'objet d'études approfondies et d'un vif débat. Il s'agit de questions controversées qui impliquent les scientifiques et les chercheurs, les politiciens et les législateurs, les économistes et les environnementalistes, les producteurs et les consommateurs. Conscients de l'importance des valeurs qui sont en jeu, les chrétiens ne sont pas indifférents à ces problématiques.1001


473 La vision chrétienne de la création comporte un jugement positif sur la licéité des interventions de l'homme sur la nature, y compris aussi sur les autres êtres vivants, et, en même temps, un fort rappel au sens des responsabilités.1002 En effet, la nature n'est pas une réalité sacrée ou divine, soustraite à l'action humaine. Elle est plutôt un don offert par le Créateur à la communauté humaine, don confié à l'intelligence et à la responsabilité morale de l'homme. Voilà pourquoi il n'accomplit pas un acte illicite quand, respectant l'ordre, la beauté et l'utilité des différents êtres vivants et de leur fonction dans l'écosystème, il intervient en modifiant certaines de leurs caractéristiques et propriétés. Les interventions de l'homme sont blâmables quand elles nuisent aux êtres vivants ou au milieu naturel, alors qu'elles sont louables quand elles se traduisent par leur amélioration. La licéité de l'emploi des techniques biologiques et biogénétiques n'épuise pas toute la problématique éthique: comme pour tout comportement humain, il est nécessaire d'évaluer soigneusement leur réelle utilité ainsi que leurs conséquences possibles, en termes de risques également. Dans le cadre des interventions techniques et scientifiques, qui ont une forte et large incidence sur les organismes vivants, et considérant la possibilité de répercussions importantes à long terme, il n'est pas licite d'agir avec légèreté et de façon irresponsable.


474 Les biotechnologies modernes ont un fort impact social, économique et politique, au plan local, national et international. Elles doivent être évaluées selon les critères éthiques qui doivent toujours orienter les activités et les rapports humains dans le domaine socio-économique et politique.1003 Il faut avoir présent à l'esprit surtout les critères de justice et de solidarité, auxquels doivent s'en tenir avant tout les individus et les groupes qui travaillent à la recherche et à la commercialisation dans le domaine des biotechnologies. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas tomber dans l'erreur de croire que la seule diffusion des bienfaits liés aux nouvelles technologies puisse résoudre tous les problèmes urgents de pauvreté et de sous-développement qui accablent encore de nombreux pays de la planète.


475 Dans un esprit de solidarité internationale, différentes mesures peuvent être mises en oeuvre quant à l'usage des nouvelles biotechnologies. Il faut faciliter, en premier lieu, des échanges commerciaux équitables, libres de contraintes injustes. La promotion du développement des peuples les plus désavantagés ne sera toutefois ni authentique ni efficace si elle se réduit à un échange de produits. Il est indispensable de favoriser aussi la maturation d'une autonomie scientifique et technologique nécessaire de ces mêmes peuples, en encourageant les échanges de connaissances scientifiques et technologiques et le transfert de technologies vers les pays en voie de développement.


476 La solidarité comporte aussi un rappel à la responsabilité qu'ont les pays en voie de développement et, en particulier, leurs responsables politiques, de promouvoir une politique commerciale favorable à leurs peuples et les échanges de technologies capables d'améliorer leurs conditions alimentaires et sanitaires. Dans ces pays, l'investissement dans la recherche doit être accru, avec une attention spéciale aux caractéristiques et aux nécessités particulières de leur territoire et de leur population, surtout en tenant compte du fait que certaines recherches dans le domaine des biotechnologies, potentiellement bénéfiques, requièrent des investissements relativement modestes. À cette fin, la création d'Organismes nationaux destinés à la protection du bien commun à travers une gestion attentive des risques serait utile.


477 Les scientifiques et les techniciens engagés dans le secteur des biotechnologies sont appelés à travailler avec intelligence et persévérance dans la recherche des meilleures solutions à apporter aux problèmes graves et urgents de l'alimentation et de la santé. Ils ne doivent pas oublier que leurs activités concernent des matériaux, vivants et non vivants, appartenant à l'humanité comme patrimoine destiné aussi aux générations futures. Pour les croyants, il s'agit d'un don reçu du Créateur, confié à l'intelligence et à la liberté humaines, elles aussi don du Très-Haut. Il faut que les scientifiques sachent mettre leurs énergies et leurs capacités au service d'une recherche passionnée, guidée par une conscience limpide et honnête.1004


478 Les entrepreneurs et les responsables des organismes publics qui s'occupent de la recherche, de la production et du commerce des produits dérivés des nouvelles biotechnologies doivent tenir compte non seulement du profit légitime, mais aussi du bien commun. Ce principe, valable pour tout type d'activité économique, devient particulièrement important lorsqu'il s'agit d'activités qui ont à faire avec l'alimentation, la médecine, la protection de la santé et de l'environnement. Par leurs décisions, les entrepreneurs et les responsables des organismes publics intéressés peuvent orienter les développements dans le secteur des biotechnologies vers des objectifs très prometteurs en matière de lutte contre la faim, en particulier dans les pays les plus pauvres, de lutte contre les maladies et de lutte pour la sauvegarde de l'écosystème, patrimoine de tous.


479 Les politiciens, les législateurs et les administrateurs publics ont la responsabilité d'évaluer les potentialités, les avantages et les risques éventuels liés à l'utilisation des biotechnologies. Il n'est pas souhaitable que leurs décisions, au niveau national ou international, soient dictées par des pressions provenant d'intérêts partisans. Les autorités publiques doivent encourager aussi une information correcte de l'opinion publique et savoir prendre, dans tous les cas, les décisions les plus appropriées pour le bien commun.


480 Les responsables de l'information aussi ont une tâche importante, à accomplir avec prudence et objectivité. La société attend d'eux une information complète et objective, qui aide les citoyens à se former une opinion correcte sur les produits biotechnologiques, surtout parce qu'il s'agit de quelque chose qui les concerne personnellement en tant que consommateurs possibles. Par conséquent, il faut éviter de céder à la tentation d'une information superficielle, alimentée par des enthousiasmes faciles ou par des alarmismes injustifiés.

c) Environnement et partage des biens


481 Dans le domaine de l'écologie aussi, la doctrine sociale invite à tenir compte du fait que les biens de la terre ont été créés par Dieu pour être savamment utilisés par tous; ces biens doivent être équitablement partagés, selon la justice et la charité. Il s'agit essentiellement d'empêcher l'injustice d'un accaparement des ressources: l'avidité, aussi bien individuelle que collective, est contraire à l'ordre de la création.1005 Les problèmes écologiques actuels, à caractère planétaire, ne peuvent être affrontés efficacement que grâce à une coopération internationale capable de garantir une meilleure coordination quant à l'utilisation des ressources de la terre.


482 Le principe de la destination universelle des biens offre une orientation fondamentale, morale et culturelle, pour dénouer le noeud complexe et dramatique qui lie crise environnementale et pauvreté. La crise environnementale actuelle frappe particulièrement les plus pauvres, soit parce qu'ils vivent sur des terres qui sont sujettes à l'érosion et à la désertification, soit parce qu'ils sont impliqués dans des conflits armés ou contraints à des migrations forcées, ou encore parce qu'ils ne disposent pas des moyens économiques et technologiques pour se protéger des calamités.

Une multitude de ces pauvres habitent les banlieues polluées dans des logements de fortune ou des agglomérations de maisons délabrées et dangereuses (slums, bidonvilles, barrios, favelas). Si l'on doit procéder à leur déménagement et, pour ne pas ajouter la souffrance à la souffrance, il est nécessaire de fournir une information adéquate et préalable, d'offrir des alternatives de logements dignes et d'impliquer directement les intéressés.

Il faut en outre avoir présent à l'esprit la situation des pays pénalisés par les règles d'un commerce international non équitable, dans lesquels perdure une insuffisance de capitaux souvent aggravée par le poids de la dette extérieure: dans ces cas, la faim et la pauvreté rendent presque inévitable une exploitation intensive et excessive de l'environnement.


483 Le lien étroit qui existe entre le développement des pays les plus pauvres, les mutations démographiques et une utilisation durable de l'environnement, ne doit pas servir de prétexte à des choix politiques et économiques peu conformes à la dignité de la personne humaine. Au Nord de la planète, on assiste à une « chute du taux de natalité, avec comme répercussion le vieillissement de la population, devenue incapable même de se renouveler biologiquement »,1006tandis qu'au Sud la situation est différente. S'il est vrai que la répartition inégale de la population et des ressources disponibles crée des obstacles au développement et à l'utilisation durable de l'environnement, il faut reconnaître que la croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire: 1007 « Il existe un large consensus sur le fait qu'une politique sur la population n'est qu'une partie d'une stratégie de développement général. Ainsi, il est important que toute discussion sur les politiques sur la population tienne compte du développement actuel ainsi que de celui prévu pour les nations et pour les régions. Dans le même temps, il est impossible de laisser de côté la nature profonde de ce que l'on entend par le terme de “développement”. Tout développement digne de ce nom doit être intégral, c'est-à-dire qu'il doit viser au véritable bien de tout homme et de tout l'homme ».1008


484 Le principe de la destination universelle des biens s'applique naturellement aussi à l'eau, considérée dans les Saintes Écritures comme symbole de purification (cf. Ps Ps 51,4 Jn Jn 13,8) et de vie (cf. Jn Jn 3,5 Ga Ga 3,27): « En tant que don de Dieu, l'eau est un élément vital, indispensable à la survie et, donc, un droit pour tous ».1009 L'utilisation de l'eau et des services y afférents doit être orientée vers la satisfaction des besoins de tous et surtout des personnes qui vivent dans la pauvreté. Un accès limité à l'eau potable a une incidence sur le bien-être d'un très grand nombre de personnes et est souvent la cause de maladies, de souffrances, de conflits, de pauvreté et même de mort; pour être résolue de manière adéquate, cette question « doit être cernée de façon à établir des critères moraux fondés précisément sur la valeur de la vie et sur le respect des droits et de la dignité de tous les êtres humains ».1010


485 L'eau, de par sa nature même, ne peut pas être traitée comme une simple marchandise parmi tant d'autres et son usage doit être rationnel et solidaire. Sa distribution fait traditionnellement partie des responsabilités d'organismes publics car l'eau a toujours été considérée comme un bien public, caractéristique qui doit être conservée même si sa gestion est confiée au secteur privé. Le droit à l'eau,1011 comme tous les droits de l'homme, se base sur la dignité humaine et non pas sur des évaluations de type purement quantitatif, qui ne considèrent l'eau que comme un bien économique. Sans eau, la vie est menacée. Le droit à l'eau est donc un droit universel et inaliénable.

d) Nouveaux styles de vie


486 Les graves problèmes écologiques requièrent un changement effectif de mentalité qui induise à adopter un nouveau style de vie,1012 « dans lequel les éléments qui déterminent les choix de consommation, d'épargne et d'investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune ».1013 Ces styles de vie doivent s'inspirer de la sobriété, de la tempérance, de l'autodiscipline, sur le plan personnel et social. Il faut sortir de la logique de la simple consommation et encourager des formes de production agricole et industrielle qui respectent l'ordre de la création et satisfassent les besoins primordiaux de tous. Une telle attitude, favorisée par une conscience renouvelée de l'interdépendance qui lie entre eux tous les habitants de la terre, concourt à éliminer diverses causes de désastres écologiques et garantit une capacité rapide de réponse quand ces désastres frappent des peuples et des territoires.1014 La question écologique ne doit pas être affrontée seulement en raison des perspectives effrayantes que laisse entrevoir la dégradation environnementale; elle doit surtout constituer une forte motivation pour une solidarité authentique de dimension mondiale.


487 L'attitude qui doit caractériser l'homme face à la création est essentiellement celle de la gratitude et de la reconnaissance: le monde, en effet, renvoie au mystère de Dieu qui l'a créé et le soutient. Mettre entre parenthèses la relation avec Dieu équivaut à vider la nature de sa signification profonde, en l'appauvrissant. Si, au contraire, on arrive à redécouvrir la nature dans sa dimension de créature, on peut établir avec elle un rapport de communication, saisir son sens évocateur et symbolique, pénétrer ainsi l'horizon du mystère, qui ouvre à l'homme le passage vers Dieu, Créateur du ciel et de la terre. Le monde s'offre au regard de l'homme comme trace de Dieu, lieu où se révèle sa puissance créatrice, providentielle et rédemptrice.

ONZIÈME CHAPITRE


LA PROMOTION DE LA PAIX


I. ASPECTS BIBLIQUES



488 Avant même d'être un don de Dieu à l'homme et un projet humain conforme au dessein divin, la paix est avant tout un attribut essentiel de Dieu: « Yahvé-Paix » (Jg 6,24). La création, qui est un reflet de la gloire divine, aspire à la paix. Dieu crée chaque chose et toute la création forme un ensemble harmonieux, bon en toutes ses parties (cf. Gn Gn 1,4 Gn Gn 1,10 Gn Gn 1,12 Gn Gn 1,18 Gn Gn 1,21 Gn Gn 1,25 Gn Gn 1,31).

La paix se fonde sur la relation première entre chaque être humain et Dieu lui-même, une relation caractérisée par la droiture (cf. Gn Gn 17,1). À la suite de l'acte volontaire par lequel l'homme altère l'ordre divin, le monde connaît des épanchements de sang et la division: la violence se manifeste dans les rapports interpersonnels (cf. Gn Gn 4,1-16) et dans les rapports sociaux (cf. Gn Gn 11,1-9). La paix et la violence ne peuvent pas habiter dans la même demeure; Dieu ne peut résider là où se trouve la violence (cf. 1Ch 22,8-9).


489 Dans la révélation biblique, la paix est beaucoup plus que la simple absence de guerre: elle représente la plénitude de la vie (cf. Ml Ml 2,5); loin d'être une construction humaine, c'est un don suprême de Dieu offert à tous les hommes, qui comporte l'obéissance au plan de Dieu. La paix est l'effet de la bénédiction de Dieu sur son peuple: « Que le Seigneur te découvre sa face et t'apporte la paix » (Nb 6,26). Cette paix engendre fécondité (cf. Is Is 48,19), bien-être (cf. Is Is 48,18), prospérité (cf. Is Is 54,13), absence de peur (cf. Lv Lv 26,6) et joie profonde (cf. Pr Pr 12,20).


490 La paix est l'objectif de la coexistence sociale, comme cela apparaît de manière extraordinaire dans la vision messianique de la paix: quand tous les peuples se rendront dans la maison du Seigneur et qu'il leur indiquera ses voies, ils pourront marcher sur les sentiers de la paix (cf. Is Is 2,2-5). Un monde nouveau de paix, qui embrasse toute la nature, est promis pour l'ère messianique (cf. Is Is 11,6-9) et le Messie lui-même est qualifié de « Prince de la Paix » (Is 9,5). Là où règne sa paix, là où elle est même partiellement anticipée, personne ne pourra plus plonger le peuple de Dieu dans la peur (cf. So So 3,13). La paix sera alors durable, car lorsque le roi gouverne selon la justice de Dieu, la rectitude fleurit et la paix abonde « jusqu'à la fin des lunes » (Ps 72,7). Dieu aspire à donner la paix à son peuple: « Il annonce la paix pour ses peuples et ses amis, pourvu qu'ils reviennent à lui de tout leur coeur » (cf. Ps Ps 85,9). Le Psalmiste, écoutant ce que Dieu a à dire à son peuple sur la paix, entend ces paroles: « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s'embrassent » (Ps 85,11).


491 La promesse de paix, qui parcourt tout l'Ancien Testament, trouve son accomplissement dans la Personne de Jésus. En effet, la paix est le bien messianique par excellence, dans lequel sont compris tous les autres biens salvifiques. Le mot hébreu « shalom », au sens étymologique de « complétude », exprime le concept de « paix » dans la plénitude de sa signification (cf. Is Is 9, 5s; Mi Mi 5,1-4). Le règne du Messie est précisément le règne de la paix (cf. Jb Jb 25,2 Ps Ps 29,11 Ps 37,11 Ps 72,3 Ps 72,7 Ps 85,9 Ps 85,11 Ps 119,165 Ps 125,5 Ps 128,6 Ps 147,14 Ct Ct 8,10 Is Is 26,3 Is Is 26,12 Is 32, 17s; Is 52,7 Is 54,10 Is 57,19 Is 60,17 Is 66,12 Ag Ag 2,9 Za Za 9,10 et alibi ).Jésus « est notre paix » (Ep 2,14), lui qui a abattu le mur de l'inimitié entre les hommes, en les réconciliant avec Dieu (cf. Ep Ep 2,14-16). Ainsi saint Paul, avec une simplicité très efficace, indique la raison radicale qui pousse les chrétiens à une vie et à une mission de paix.

À la veille de sa mort, Jésus parle de sa relation d'amour avec le Père et de la force unificatrice que cet amour répand sur les disciples; c'est un discours d'adieu qui montre le sens profond de sa vie et qui peut être considéré comme une synthèse de tout son enseignement. Le don de la paix scelle son testament spirituel: « Je vous laisse la paix; c'est ma paix que je vous donne; je ne vous la donne pas comme le monde la donne » (Jn 14,27). Les paroles du Ressuscité ne résonneront pas autrement; chaque fois qu'il rencontrera les siens, ils recevront de lui le salut et le don de la paix: « Paix à vous! » (Lc 24,36 Jn Jn 20,19 Jn Jn 20,21 Jn Jn 20,26).


492 La paix du Christ est avant tout la réconciliation avec le Père, qui se réalise à travers la mission apostolique confiée par Jésus à ses disciples et qui commence par une annonce de paix: « En quelque maison que vous entriez, dites d'abord: “Paix à cette maison!” » (Lc 10,5 cf. Rm Rm 1,7). La paix est ensuite réconciliation avec les frères, car Jésus, dans la prière qu'il nous a enseignée, le « Notre Père », associe le pardon demandé à Dieu au pardon accordé à nos frères: « Pardonne-nous nos offenses, comme nous les pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » (Mt 6,12). Par cette double réconciliation, le chrétien peut devenir artisan de paix et avoir part ainsi au Royaume de Dieu, selon ce que proclame Jésus lui-même: « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9).


493 L'action pour la paix n'est jamais dissociée de l'annonce de l'Évangile, qui est précisément la « bonne nouvelle de la paix » (Ac 10,36 cf. Ep Ep 6,15), adressée à tous les hommes. Au centre de l'« évangile de la paix » (Ep 6,15) demeure le mystère de la Croix, car la paix est inhérente au sacrifice du Christ (cf. Is Is 53,5, « Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui, et dans ses blessures nous trouvons la guérison »). Jésus crucifié a anéanti la division, en instaurant la paix et la réconciliation précisément « par la Croix: en sa personne il a tué la Haine » (Ep 2,16), et en donnant aux hommes le salut de la Résurrection.

II. LA PAIX: FRUIT DE LA JUSTICE ET DE LA CHARITÉ



494 La paix est une valeur 1015 et un devoir universels; 1016 elle trouve son fondement dans l'ordre rationnel et moral de la société dont les racines sont en Dieu lui-même, « source première de l'être, vérité essentielle et bien suprême ».1017 La paix n'est pas simplement l'absence de guerre ni même un équilibre stable entre des forces adverses,1018 mais elle se fonde sur une conception correcte de la personne humaine 1019 et requiert l'édification d'un ordre selon la justice et la charité.

La paix est le fruit de la justice (cf. Is
Is 32,17),1020 comprise au sens large, comme le respect de l'équilibre de toutes les dimensions de la personne humaine. La paix est en danger quand l'homme se voit nier ce qui lui est dû en tant qu'homme, quand sa dignité n'est pas respectée et quand la coexistence n'est pas orientée vers le bien commun. Pour la construction d'une société pacifique et pour le développement intégral des individus, des peuples et des nations, la défense et la promotion des droits de l'homme sont essentielles.1021

La paix est aussi le fruit de l'amour: « La paix véritable et authentique est plus de l'ordre de la charité que de la justice, cette dernière ayant mission d'écarter les obstacles à la paix tels que les torts, les dommages, tandis que la paix est proprement et tout spécialement un acte de charité ».1022


495 La paix se construit jour après jour dans la recherche de l'ordre voulu par Dieu,1023 et elle ne peut fleurir que lorsque tous reconnaissent leurs responsabilités dans sa promotion.1024 Pour prévenir les conflits et les violences, il est absolument nécessaire que la paix commence par être vécue comme une valeur profonde dans l'intimité de toute personne; ainsi elle peut se répandre dans les familles et dans les diverses formes d'agrégation sociale, jusqu'à impliquer la communauté politique tout entière.1025 Dans un climat général de concorde et de respect de la justice, peut mûrir une authentique culture de paix,1026 capable de se répandre aussi dans la Communauté internationale. La paix est donc « fruit d'un ordre inscrit dans la société humaine par son divin fondateur, et qui doit être réalisé par des hommes qui ne cessent d'aspirer à une justice plus parfaite ».1027 Cet idéal de paix « ne peut s'obtenir sur terre sans la sauvegarde du bien des personnes, ni sans la libre et confiante communication entre les hommes des richesses de leur esprit et de leurs facultés créatrices ».1028


496 La violence ne constitue jamais une réponse juste. Convaincue de sa foi dans le Christ et consciente de sa mission, l'Église « proclame (...) que la violence est un mal, que la violence est inacceptable comme solution aux problèmes, que la violence n'est pas digne de l'homme. La violence est un mensonge, car elle va à l'encontre de la vérité de notre foi, de la vérité de notre humanité. La violence détruit ce qu'elle prétend défendre: la dignité, la vie, la liberté des êtres humains ».1029

Le monde actuel a lui aussi besoin du témoignage de prophètes non armés, hélas objet de railleries à toute époque: 1030 « Ceux qui renoncent à l'action violente et sanglante, et recourent pour la sauvegarde des droits de l'homme à des moyens de défense à la portée des plus faibles rendent témoignage à la charité évangélique, pourvu que cela se fasse sans nuire aux droits et obligations des autres hommes et des sociétés. Ils attestent légitimement la gravité des risques physiques et moraux du recours à la violence avec ses ruines et ses morts ».1031

III. L'ÉCHEC DE LA PAIX: LA GUERRE



497 Le Magistère condamne « la barbarie de la guerre » 1032 et demande qu'elle soit considérée avec une approche complètement nouvelle. 1033 De fait, « il devient humainement impossible de penser que la guerre soit, en notre ère atomique, le moyen adéquat pour obtenir justice ».1034 La guerre est un « fléau » 1035 et ne constitue jamais un moyen approprié pour résoudre les problèmes qui surgissent entre les nations: « Elle ne l'a jamais été et ne le sera jamais »,1036 car elle engendre des conflits nouveaux et plus complexes.1037 Quand elle éclate, la guerre devient un « massacre inutile »,1038 une « aventure sans retour »,1039 qui compromet le présent et met en danger l'avenir de l'humanité: « Avec la paix, rien n'est perdu; mais tout peut l'être par la guerre ».1040 Les dommages causés par un conflit armé ne sont pas seulement matériels, mais aussi moraux.1041 La guerre, en définitive, est « la faillite de tout humanisme authentique »,1042 « elle est toujours une défaite de l'humanité »: 1043 « Jamais plus les uns contre les autres, jamais, plus jamais! (...) jamais plus la guerre, jamais plus la guerre! ».1044


498 La recherche de solutions alternatives à la guerre pour résoudre les conflits internationaux a revêtu aujourd'hui un caractère d'une urgence dramatique, car « la puissance terrifiante des moyens de destruction, accessibles même aux petites et moyennes puissances, ainsi que les relations toujours plus étroites existant entre les peuples de toute la terre, rendent la limitation des conséquences d'un conflit très ardue ou pratiquement impossible ».1045 La recherche des causes à l'origine d'une guerre est donc essentielle, surtout celles liées à des situations structurelles d'injustice, de misère, d'exploitation, sur lesquelles il faut intervenir dans le but de les éliminer: « C'est pourquoi l'autre nom de la paix est le développement. Il y a une responsabilité collective pour éviter la guerre, il y a de même une responsabilité collective pour promouvoir le développement ».1046


499 Les États ne disposent pas toujours des instruments adéquats pour pourvoir efficacement à leur défense; d'où la nécessité et l'importance des Organisations internationales et régionales, qui doivent être en mesure de collaborer pour faire face aux conflits et favoriser la paix, en instaurant des relations de confiance réciproque capables de rendre impensable le recours à la guerre: 1047 « Il est permis d'espérer que les peuples, intensifiant entre eux les relations et les échanges, découvriront mieux les liens d'unité qui découlent de leur nature commune; ils comprendront plus parfaitement que l'un des devoirs primordiaux issus de leur communauté de nature, c'est de fonder les relations des hommes et des peuples sur l'amour et non sur la crainte. C'est en effet le propre de l'amour d'amener les hommes à une loyale collaboration, susceptible de formes multiples et porteuse d'innombrables bienfaits ».1048

a) La légitime défense


500 Une guerre d'agression est intrinsèquement immorale. Dans le cas tragique où elle éclate, les responsables d'un État agressé ont le droit et le devoir d'organiser leur défense en utilisant notamment la force des armes.1049 Pour être licite, l'usage de la force doit répondre à certaines conditions rigoureuses: « — que le dommage infligé par l'agresseur à la nation ou à la communauté des nations soit durable, grave et certain; — que tous les autres moyens d'y mettre fin se soient révélés impraticables ou inefficaces; — que soient réunies les conditions sérieuses de succès; — que l'emploi des armes n'entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer. La puissance des moyens modernes de destruction pèse très lourdement dans l'appréciation de cette condition. Ce sont les éléments traditionnels énumérés dans la doctrine dite de la “guerre juste”. L'appréciation de ces conditions de légitimité morale appartient au jugement prudentiel de ceux qui ont la charge du bien commun ».1050

Si cette responsabilité justifie la possession de moyens suffisants pour exercer le droit à la défense, il reste pour les États l'obligation de faire tout leur possible pour « garantir les conditions de la paix, non seulement sur [leur] propre territoire mais partout dans le monde ».1051 Il ne faut pas oublier que « faire la guerre pour la juste défense des peuples est une chose, vouloir imposer son empire à d'autres nations en est une autre. La puissance des armes ne légitime pas tout usage de cette force à des fins politiques ou militaires. Et ce n'est pas parce que la guerre est malheureusement engagée que tout devient, par le fait même, licite entre parties adverses ».1052


501 La Charte des Nations Unies, élaborée à la suite de la tragédie de la deuxième guerre mondiale dans le but de préserver les générations futures du fléau de la guerre, se base sur l'interdiction généralisée du recours à la force pour résoudre les différends entre les États, à l'exception de deux cas: la légitime défense et les mesures prises par le Conseil de Sécurité dans le cadre de ses responsabilités pour maintenir la paix. Quoi qu'il en soit, l'exercice du droit à se défendre doit respecter « les limites traditionnelles de la nécessité et de laproportionnalité ».1053

Pour ce qui est d'une guerre préventive, déclenchée sans preuves évidentes qu'une agression est sur le point d'être lancée, elle ne peut pas ne pas soulever de graves interrogations du point de vue moral et juridique. Par conséquent, seule une décision des organismes compétents, sur la base de vérifications rigoureuses et de motivations fondées, peut donner une légitimation internationale à l'usage de la force armée, en identifiant des situations déterminées comme une menace contre la paix et en autorisant une ingérence dans la sphère réservée d'un État.

b) Défendre la paix


502 Les exigences de la légitime défense justifient l'existence, dans les États, des forces armées dont l'action doit être placée au service de la paix: ceux qui président avec un tel esprit à la sécurité et à la liberté d'un pays apportent une authentique contribution à la paix.1054 Toute personne servant dans les forces armées est concrètement appelée à défendre le bien, la vérité et la justice dans le monde; nombreux sont ceux qui, dans ce contexte, ont sacrifié leur vie pour ces valeurs et pour défendre des vies innocentes. Le nombre croissant de militaires qui oeuvrent au sein des forces multinationales, dans le cadre des « missions humanitaires et de paix », promues par les Nations Unies, est un fait significatif.1055


503 Tout membre des forces armées est moralement obligé de s'opposer aux ordres qui incitent à commettre des crimes contre le droit des peuples et ses principes universels.1056 Les militaires demeurent pleinement responsables des actes qu'ils accomplissent en violation des droits des personnes et des peuples ou des normes du droit international humanitaire. Ces actes ne peuvent être justifiés sous prétexte d'obéissance à des ordres supérieurs.

Les objecteurs de conscience, qui refusent par principe d'effectuer le service militaire dans les cas où celui-ci est obligatoire, parce que leur conscience les pousse à rejeter tout usage de la force ou la participation à un conflit déterminé, doivent être prêts à accomplir d'autres types de service: « Il semble (...) équitable que les lois pourvoient avec humanité au cas de ceux qui, pour des motifs de conscience, refusent l'emploi des armes, pourvu qu'ils acceptent cependant de servir sous une autre forme la communauté humaine ».1057


Compendium Doctrine sociale 472