Compendium Doctrine sociale 276

b) Les rapports entre travail et capital


276 Le travail, de par son caractère subjectif ou personnel, est supérieur à tout autre facteur de production: ce principe vaut, en particulier, par rapport au capital. Aujourd'hui, le terme « capital » a différentes acceptions: tantôt il indique les moyens matériels de production dans l'entreprise, tantôt les ressources financières engagées dans une initiative productive ou également dans des opérations sur les marchés boursiers. On parle aussi, de façon pas tout à fait appropriée, de « capital humain », pour désigner les ressources humaines, c'est-à-dire les hommes eux-mêmes, en tant que capables d'un effort de travail, de connaissance, de créativité, d'intuition des exigences de leurs semblables, d'entente réciproque comme membres d'une organisation. On se réfère au « capital social » quand on veut indiquer la capacité de collaboration d'une collectivité, fruit de l'investissement dans des liens réciproques de confiance. Cette multiplicité de sens offre d'ultérieures occasions de réflexion sur ce que peut signifier aujourd'hui le rapport entre travail et capital.


277 La doctrine sociale a affronté les rapports entre travail et capital, en mettant en évidence à la fois la priorité du premier sur le second et leur complémentarité.

Le travail a une priorité intrinsèque par rapport au capital: « Ce principe concerne directement le processus même de la production dont le travail est toujours une cause efficientepremière, tandis que le “capital”, comme ensemble des moyens de production, demeure seulement un instrument ou la cause instrumentale. Ce principe est une vérité évidente qui ressort de toute l'expérience historique de l'homme ».593 Il « appartient au patrimoine stable de la doctrine de l'Église ».594

Il doit y avoir une complémentarité entre le travail et le capital: c'est la logique intrinsèque même du processus de production qui démontre la nécessité de leur compénétration réciproque et l'urgence de donner vie à des systèmes économiques dans lesquels l'antinomie entre travail et capital soit dépassée.595 En des temps où, au sein d'un système économique moins complexe, le « capital » et le « travail salarié » désignaient avec une certaine précision non seulement deux facteurs de production, mais aussi et surtout deux classes sociales concrètes, l'Église affirmait que tous les deux sont en soi légitimes: 596 « Il ne peut y avoir de capital sans travail ni de travail sans capital ».597 Il s'agit d'une vérité qui vaut aussi pour le présent, car « il serait donc radicalement faux de voir soit dans le seul capital, soit dans le seul travail, la cause unique de tout ce que produit leur effort combiné; c'est bien injustement que l'une des parties, contestant à l'autre toute efficacité, en revendiquerait pour soi tout le fruit ».598


278 Dans la considération des rapports entre travail et capital, surtout face aux imposantes transformations de notre époque, il faut retenir que la « principale ressource » et le « facteur décisif » 599 aux mains de l'homme, c'est l'homme lui-même, et que « le développement intégral de la personne humaine dans le travail ne contredit pas, mais favorise plutôt, une meilleure productivité et une meilleure efficacité du travail lui-même ».600 Le monde du travail, en effet, est en train de découvrir toujours plus que la valeur du « capital humain » trouve une expression dans les connaissances des travailleurs, dans leur disponibilité à tisser des relations, dans leur créativité, dans leurs capacités d'entreprise, dans leur habilité à affronter consciemment la nouveauté, à travailler ensemble et à savoir poursuivre des objectifs communs. Il s'agit de qualités typiquement personnelles, qui appartiennent au sujet du travail plus qu'aux aspects objectifs, techniques, opérationnels du travail lui-même. Tout ceci comporte une perspective nouvelle dans les rapports entre travail et capital: on peut affirmer que, contrairement à ce qui se passait dans la vieille organisation du travail où le sujet finissait par être ramené au niveau de l'objet, de la machine, aujourd'hui la dimension subjective du travail tend à être plus décisive et plus importante que la dimension objective.


279 Le rapport entre travail et capital présente souvent les traits de la conflictualité, qui revêt des caractères nouveaux avec la mutation des contextes sociaux et économiques. Hier, le conflit entre capital et travail était engendré surtout par « le fait que les travailleurs mettaient leurs forces à la disposition du groupe des entrepreneurs, et que ce dernier, guidé par le principe du plus grand profit, cherchait à maintenir le salaire le plus bas possible pour le travail exécuté par les ouvriers ».601 Actuellement, ce conflit présente des aspects nouveaux et, peut-être, plus préoccupants: les progrès scientifiques et technologiques et la mondialisation des marchés, en soi source de développement et de progrès, exposent les travailleurs au risque d'être exploités par les engrenages de l'économie et de la recherche effrénée de la productivité.602


280 On ne doit pas faussement considérer que le processus permettant de surmonter la dépendance du travail par rapport à la matière soit capable en soi de dépasser l'aliénation sur le lieu du travail et celle du travail lui-même. On ne se réfère pas seulement aux nombreuses poches de non-travail, de travail au noir, de travail des enfants, de travail sous-payé, de travail exploité, qui persistent encore, mais aussi aux nouvelles formes, beaucoup plus subtiles, d'exploitation des nouveaux travaux, au super-travail, au travail-carrière qui parfois vole l'espace d'autres dimensions tout aussi humaines et nécessaires pour la personne, à la flexibilité excessive du travail qui rend précaire et parfois impossible la vie familiale, à la modularité du travail qui risque d'avoir de lourdes répercussions sur la perception unitaire de l'existence et sur la stabilité des relations familiales. Si l'homme est aliéné quand il inverse les moyens et les fins, dans le nouveau contexte du travail immatériel, léger, qualitatif plus que quantitatif, il peut aussi y avoir des éléments d'aliénation « selon qu'augmente l'intensité de sa participation [du travailleur] à une véritable communauté solidaire, ou bien que s'aggrave son isolement au sein d'un ensemble de relations caractérisé par une compétitivité exaspérée et des exclusions réciproques ».603

c) Le travail, titre de participation


281 Le rapport entre travail et capital trouve aussi une expression à travers la participation des travailleurs à la propriété, à sa gestion, à ses fruits. C'est une exigence trop souvent négligée, qu'il faut au contraire mieux mettre en valeur: « Chacun, du fait de son travail, a un titre plénier à se considérer en même temps comme co-propriétaire du grand chantier de travail dans lequel il s'engage avec tous. Une des voies pour parvenir à cet objectif pourrait être d'associer le travail, dans la mesure du possible, à la propriété du capital, et de donner vie à une série de corps intermédiaires à finalités économiques, sociales et culturelles: ces corps jouiraient d'une autonomie effective vis-à-vis des pouvoirs publics; ils poursuivraient leurs objectifs spécifiques en entretenant entre eux des rapports de loyale collaboration et en se soumettant aux exigences du bien commun, ils revêtiraient la forme et la substance d'une communauté vivante. Ainsi leurs membres respectifs seraient-ils considérés et traités comme des personnes et stimulés à prendre une part active à leur vie ».604 La nouvelle organisation du travail, où le savoir compte plus que la seule propriété des moyens de production, atteste de manière concrète que le travail, en raison de son caractère subjectif, est un titre de participation: il est indispensable d'en être profondément conscient pour évaluer la juste position du travail dans le processus de production et pour trouver des modalités de participation conformes à la subjectivité du travail dans les particularités des diverses situations concrètes.605

d) Rapport entre travail et propriété privée


282 Le Magistère social de l'Église situe le rapport entre travail et capital relativement aussi à l'institution de la propriété privée, au droit correspondant et à l'usage de celle-ci. Le droit à la propriété privée est subordonné au principe de la destination universelle des biens et ne doit pas constituer un motif pour empêcher le travail et le développement d'autrui. La propriété, qui s'acquiert avant tout grâce au travail, doit servir au travail. Ceci vaut particulièrement pour la possession des moyens de production; mais ce principe concerne aussi les biens propres au monde financier, technique, intellectuel et à la personne.

Les moyens de production « ne sauraient être possédés contre le travail, et ne peuvent être non plus possédés pour posséder ».606 Leur possession devient illégitime quand la propriété « n'est pas valorisée ou quand elle sert à empêcher le travail des autres pour obtenir un gain qui ne provient pas du développement d'ensemble du travail et de la richesse sociale, mais plutôt de leur limitation, de l'exploitation illicite, de la spéculation et de la rupture de la solidarité dans le monde du travail ».607


283 La propriété privée et publique, ainsi que les divers mécanismes du système économique, doivent être prédisposés en vue d'une économie au service de l'homme, de sorte qu'ils contribuent à mettre en oeuvre le principe de la destination universelle des biens. C'est dans cette perspective qu'apparaît l'importance de la question relative à la propriété et à l'usage des nouvelles technologies et connaissances, qui constituent, à notre époque, une autre forme particulière de propriété, d'importance non inférieure à celle de la terre et du capital.608 Ces ressources, comme tous les autres biens, ont une destination universelle; elles aussi doivent être insérées dans un contexte de normes juridiques et de règles sociales qui en garantissent un usage inspiré par des critères de justice, d'équité et de respect des droits de l'homme. Les nouveaux savoirs et les technologies, grâce à leurs énormes potentialités, peuvent fournir une contribution décisive à la promotion du progrès social, mais risquent de devenir source de chômage et d'accroître le fossé entre les zones développées et les zones de sous-développement, si elles demeurent concentrées dans les pays les plus riches ou entre les mains de groupes restreints de pouvoir.

e) Le repos des jours fériés


284 Le repos des jours fériés est un droit.609 « Au septième jour, Dieu chôma après tout l'ouvrage qu'il avait fait » (Gn 2,2): les hommes aussi, créés à son image, doivent jouir d'un repos et d'un temps libre suffisants qui leur permettent de s'occuper de leur vie familiale, culturelle, sociale et religieuse.610 C'est à cela que contribue l'institution du jour du Seigneur.611Le dimanche et les autres jours de fête de précepte, les croyants « s'abstiendront de se livrer à des travaux ou à des activités qui empêchent le culte dû à Dieu, la joie propre au Jour du Seigneur, la pratique des oeuvres de miséricorde et la détente convenable de l'esprit et du corps ».612 Des nécessités familiales ou des exigences d'utilité sociale peuvent légitimement exempter du repos dominical, mais elles ne doivent pas créer des habitudes dommageables à la religion, à la vie de famille et à la santé.


285 Le dimanche est un jour à sanctifier par une charité agissante, avec une attention particulière aux membres de la famille, ainsi qu'aux malades, aux infirmes et aux personnes âgées; il ne faut pas non plus oublier les « frères qui ont les mêmes besoins et les mêmes droits et ne peuvent se reposer à cause de la pauvreté et de la misère »; 613 en outre, c'est un temps propice à la réflexion, au silence et à l'étude, qui favorisent la croissance de la vie intérieure et chrétienne. Les croyants devront se distinguer, ce jour-là aussi, par leur modération, en évitant tous les excès et les violences qui caractérisent souvent les divertissements de masse.614Le jour du Seigneur doit toujours être vécu comme le jour de la libération, qui fait participer à la « réunion de fête » et à « l'assemblée des premiers-nés qui sont inscrits dans les cieux » (He 12,22-23) et anticipe la célébration de la Pâque définitive dans la gloire du ciel.615


286 Les autorités publiques ont le devoir de veiller à ce que les citoyens ne soient pas privés, pour des raisons de productivité économique, d'un temps destiné au repos et au culte divin.Les employeurs ont une obligation analogue vis-à-vis de leurs employés.616 Les chrétiens doivent, dans le respect de la liberté religieuse et du bien commun de tous, se prodiguer pour que les lois reconnaissent les dimanches et les autres solennités liturgiques comme des jours fériés: « Ils ont à donner à tous un exemple public de prière, de respect et de joie et à défendre leurs traditions comme une contribution précieuse à la vie spirituelle de la société humaine ».617Tout chrétien devra « éviter d'imposer sans nécessité à autrui ce qui l'empêcherait de garder le jour du Seigneur ».618

IV. LE DROIT AU TRAVAIL


a) Le travail est nécessaire


287 Le travail est un droit fondamental et c'est un bien pour l'homme: 619 un bien utile, digne de lui car apte précisément à exprimer et à accroître la dignité humaine. L'Église enseigne la valeur du travail non seulement parce qu'il est toujours personnel, mais aussi en raison de son caractère de nécessité.620 Le travail est nécessaire pour fonder et faire vivre une famille,621pour avoir droit à la propriété,622 pour contribuer au bien commun de la famille humaine.623 La considération des implications morales que comporte la question du travail dans la vie sociale conduit l'Église à qualifier le chômage de « véritable calamité sociale »,624 surtout pour les jeunes générations.


288 Le travail est un bien de tous, qui doit être disponible pour tous ceux qui en sont capables. Le « plein emploi » est donc un objectif nécessaire pour tout système économique tendant à la justice et au bien commun. Une société dans laquelle le droit au travail est déprécié ou systématiquement nié et où les mesures de politique économique ne permettent pas aux travailleurs d'atteindre des niveaux d'emploi satisfaisants, « ne peut ni obtenir sa légitimation éthique ni assurer la paix sociale ».625 Un rôle important et donc une responsabilité spécifique et grave incombent, dans ce domaine, à « l'employeur indirect »,626 à savoir aux sujets — personnes ou institutions de toutes sortes — qui sont en mesure d'orienter, au niveau national ou international, la politique du travail et de l'économie.


289 La capacité de programmation d'une société orientée vers le bien commun et projetée vers le futur se mesure aussi et surtout en fonction des perspectives de travail qu'elle peut offrir. Un taux élevé de chômage, la présence de systèmes d'instruction obsolètes et de difficultés persistantes dans l'accès à la formation et au marché du travail constituent, surtout pour beaucoup de jeunes, un fort obstacle sur la route de la réalisation humaine et professionnelle. Celui qui est sans emploi ou qui est sous- employé subit, de fait, les conséquences profondément négatives que cette condition entraîne sur sa personnalité et il risque d'être placé en marge de la société, de devenir une victime de l'exclusion sociale.627 C'est un drame qui frappe, en général, non seulement les jeunes, mais aussi les femmes, les travailleurs moins spécialisés, les handicapés, les immigrés, les anciens prisonniers, les analphabètes, tous les sujets qui rencontrent davantage de difficultés dans la recherche d'une place dans le monde du travail.


290 Le maintien d'un emploi dépend toujours plus des capacités professionnelles.628 Le système d'instruction et d'éducation ne doit pas négliger la formation humaine et technique, nécessaire pour remplir avec profit les fonctions requises. La nécessité toujours plus répandue de changer plusieurs fois d'emploi au cours de la vie impose au système éducatif de favoriser la disponibilité des personnes à une requalification et un perfectionnement permanents. Les jeunes doivent apprendre à agir de manière autonome, à devenir capables d'assumer de façon responsable le devoir d'affronter avec des compétences appropriées les risques liés à un contexte économique mobile et aux évolutions souvent imprévisibles.629 Il est tout aussi indispensable d'offrir aux adultes en quête de requalification et aux chômeurs des occasions de formation opportunes. Plus généralement, le parcours professionnel des personnes doit trouver de nouvelles formes concrètes de soutien, à commencer par le système de formation, de sorte qu'il soit moins difficile de traverser des phases de changement, d'incertitude et de précarité.

b) Le rôle de l'État et de la société civile dans la promotion du droit au travail


291 Les problèmes de l'emploi interpellent les responsabilités de l'État, auquel il revient de promouvoir des politiques actives de travail, aptes à favoriser la création d'opportunités de travail sur le territoire national, en stimulant à cette fin le monde productif. Le devoir de l'État ne consiste pas tant à assurer directement le droit au travail de tous les citoyens, en régentant toute la vie économique et en mortifiant la libre initiative des individus, que plutôt à « soutenir l'activité des entreprises en créant les conditions qui permettent d'offrir des emplois, en la stimulant dans les cas où elle reste insuffisante ou en la soutenant dans les périodes de crise ».630


292 Face aux dimensions planétaires qu'assument rapidement les relations économico-financières et le marché du travail, il faut encourager une efficace collaboration internationale entre les États, par le biais de traités, d'accords et de plans d'action communs qui sauvegardent le droit au travail, notamment dans les phases les plus critiques du cycle économique, au niveau national et international. Il faut avoir conscience du fait que le travail humain est un droit dont dépend directement la promotion de la justice sociale et de la paix civile. D'importantes tâches dans cette direction reviennent aux Organisations internationales et syndicales: en se reliant sous les formes les plus opportunes, elles doivent s'engager en premier lieu à tisser « une trame toujours plus serrée de dispositions juridiques qui protègent le travail des hommes, des femmes, des jeunes, et lui assurent une rétribution convenable ».631


293 Pour la promotion du droit au travail, il est important, de nos jours comme à l'époque de « Rerum novarum », qu'il y ait un « libre processus d'auto-organisation de la société ».632Nous pouvons trouver des témoignages significatifs et des exemples d'auto-organisation dans de nombreuses initiatives, au niveau d'entreprises et au niveau social, caractérisées par des formes de participation, de coopération et d'autogestion, qui révèlent la fusion d'énergies solidaires. Elles se présentent sur le marché comme un secteur diversifié de travaux qui se distinguent par une attention particulière à la composante relationnelle des biens produits et des services assurés dans de nombreux domaines: instruction, protection de la santé, services sociaux de base, culture. Les initiatives de ce qu'on appelle le « secteur tertiaire » constituent une occasion toujours plus importante de développement du travail et de l'économie.

c) La famille et le droit au travail


294 Le travail est « le fondement sur lequel s'édifie la vie familiale, qui est un droit naturel et une vocation pour l'homme »: 633 il assure les moyens de subsistance et garantit le processus éducatif des enfants.634 Famille et travail, si étroitement interdépendants dans l'expérience de la grande majorité des personnes, méritent finalement une considération plus adaptée à la réalité, une attention qui les comprenne ensemble, sans les limites d'une conception privatiste de la famille et économiste du travail. À cet égard, il est nécessaire que les entreprises, les organisations professionnelles, les syndicats et l'État encouragent des politiques du travail qui ne pénalisent pas mais favorisent la cellule familiale du point de vue de l'emploi. En effet, la vie de famille et le travail se conditionnent réciproquement de diverses façons. Les grandes distances à parcourir jusqu'au lieu de travail, le double emploi et la fatigue physique et psychologique réduisent le temps consacré à la vie familiale; 635 les situations de chômage ont des répercussions matérielles et spirituelles sur les familles, de même que les tensions et les crises familiales influent négativement sur les comportements et sur le rendement dans le domaine du travail.

d) Les femmes et le droit au travail


295 Le génie féminin est nécessaire dans toutes les expressions de la vie sociale; par conséquent, la présence des femmes dans le secteur du travail aussi doit être garantie. Le premier pas indispensable dans cette direction est la possibilité concrète d'accès à la formation professionnelle. La reconnaissance et la tutelle des droits des femmes dans le contexte du travail dépendent, en général, de l'organisation du travail, qui doit tenir compte de la dignité et de la vocation de la femme, dont « la vraie promotion (...) exige que le travail soit structuré de manière qu'elle ne soit pas obligée de payer sa promotion par l'abandon de sa propre spécificité et au détriment de sa famille dans laquelle elle a, en tant que mère, un rôle irremplaçable ».636 C'est une question à partir de laquelle se mesurent la qualité de la société et la tutelle effective du droit au travail des femmes.

La persistance de nombreuses formes de discrimination offensant la dignité et la vocation de la femme dans la sphère du travail est due à une longue série de conditionnements pénalisant la femme, qui, comme par le passé, continuent à « dénaturer ses prérogatives, l'ont souvent marginalisée et même réduite en esclavage ».637 Hélas, ces difficultés ne sont pas surmontées, comme le prouvent partout les diverses situations qui avilissent les femmes, les assujettissant aussi à des formes de véritable exploitation. L'urgence d'une reconnaissance effective des droits des femmes dans le cadre du travail se fait particulièrement sentir au niveau des rétributions, des assurances et de la prévoyance sociale.638

e) Travail des enfants


296 Le travail des enfants, sous ses formes intolérables, constitue un type de violence moins apparent que d'autres mais non moins terrible pour autant.639 Une violence qui, au-delà de toutes les implications politiques, économiques et juridiques, demeure essentiellement un problème moral. Léon XIII met en garde: « L'enfant en particulier — et ceci demande à être observé strictement — ne doit entrer à l'usine qu'après que l'âge aura suffisamment développé en lui les forces physiques, intellectuelles et morales. Sinon, comme une herbe encore tendre, il se verra flétri par un travail trop précoce et c'en sera fait de son éducation ».640 Cent ans plus tard, le fléau du travail des enfants n'a pas encore été enrayé.

Bien que consciente, du moins pour l'heure, que dans certains pays la contribution apportée par le travail des enfants au budget familial et aux économies nationales est incontournable, et que, de toute manière, certaines formes de travail, accomplies à temps partiel, peuvent être fructueuses pour les enfants eux-mêmes, la doctrine sociale dénonce l'augmentation de « l'exploitation du travail des enfants dans des conditions de véritable esclavage ».641 Cette exploitation constitue une grave violation de la dignité humaine dont chaque individu, « quelles que soient sa petitesse ou sa faible importance apparente d'un point de vue utilitaire »,642 est porteur.

f) Migrations et travail


297 L'immigration peut être une ressource, plutôt qu'un obstacle au développement. Dans le monde actuel où s'aggrave le déséquilibre entre pays riches et pays pauvres et où le développement des communications réduit rapidement les distances, les migrations de personnes en quête de meilleures conditions de vie augmentent. Ces personnes proviennent des régions les moins favorisées de la terre: leur arrivée dans les pays développés est souvent perçue comme une menace pour les niveaux élevés de bien- être atteints grâce à des décennies de croissance économique. Toutefois, les immigrés, dans la majorité des cas, répondent à une demande de travail qui, sans cela, resterait insatisfaite, dans des secteurs et des territoires où la main d'oeuvre locale est insuffisante ou n'est pas disposée à effectuer ce travail.


298 Les institutions des pays d'accueil doivent veiller soigneusement à ce que ne se répande pas la tentation d'exploiter la main d'oeuvre étrangère, en la privant des droits garantis aux travailleurs nationaux, qui doivent être assurés à tous sans discriminations. La réglementation des flux migratoires selon des critères d'équité et d'équilibre 643 est une des conditions indispensables pour obtenir que les insertions adviennent avec les garanties requises par la dignité de la personne humaine. Les immigrés doivent être accueillis en tant que personnes et aidés, avec leurs familles, à s'intégrer dans la vie sociale.644 Dans cette perspective, le droit au regroupement familial doit être respecté et favorisé.645 En même temps, autant que possible, toutes les conditions permettant des possibilités accrues de travail dans les zones d'origine doivent être encouragées.646

g) Le monde agricole et le droit au travail


299 Le travail agricole mérite une attention particulière en raison aussi bien du rôle social, culturel et économique qu'il continue de jouer dans les systèmes économiques de nombreux pays, que des nombreux problèmes qu'il doit affronter dans le contexte d'une économie toujours plus mondialisée et de son importance croissante pour la sauvegarde de l'environnement: « Des changements radicaux et urgents sont donc nécessaires pour redonner à l'agriculture — et aux cultivateurs — leur juste valeur comme base d'une saine économie, dans l'ensemble du développement de la communauté sociale ».647

Les mutations profondes et radicales en cours au niveau social et culturel, notamment dans l'agriculture et dans le vaste monde rural, requièrent avec urgence un approfondissement du sens du travail agricole dans ses multiples dimensions. Il s'agit d'un défi d'une grande importance, qui doit être affronté avec des politiques agricoles et environnementales capables de dépasser une certaine conception résiduelle axée sur l'assistance et d'élaborer de nouvelles perspectives en vue d'une agriculture moderne capable de remplir un rôle significatif dans la vie sociale et économique.


300 Dans certains pays, une redistribution de la terre est indispensable, dans le cadre de politiques efficaces de réforme agraire, afin de surmonter l'empêchement que de grandes propriétés improductives, condamnées par la doctrine sociale de l'Église,648 constituent pour un développement économique authentique: « Les pays en voie de développement peuvent enrayer efficacement le processus actuel de concentration de la propriété de la terre en affrontant certaines situations qui apparaissent comme de véritables problèmes structurels. Car on ne compte plus les carences et les retards au niveau législatif en matière de reconnaissance du titre de propriété de la terre et en lien avec le marché du crédit, le désintéressement envers la recherche et la formation agricoles, ainsi que les négligences à propos de services sociaux et d'infrastructures dans les zones rurales ».649 La réforme agraire devient ainsi non seulement une nécessité politique, mais une obligation morale car sa non-application dans ces pays entrave les effets bénéfiques dérivant de l'ouverture des marchés et, en général, des occasions profitables de croissance que la mondialisation actuelle peut offrir.650

V. LES DROITS DES TRAVAILLEURS


a) Dignité des travailleurs et respect de leurs droits


301 Les droits des travailleurs, comme tous les autres droits, se basent sur la nature de la personne humaine et sur sa dignité transcendante. Le Magistère social de l'Église a voulu en mentionner quelques-uns, en souhaitant leur reconnaissance dans les ordonnancements juridiques: le droit à une juste rémunération; 651 le droit au repos; 652 le droit « à des lieux et des méthodes de travail qui ne portent pas préjudice à la santé physique des travailleurs et qui ne blessent pas leur intégrité morale »; 653 le droit que soit sauvegardée sa personnalité sur le lieu de travail, « sans être violenté en aucune manière dans sa conscience ou dans sa dignité »; 654 le droit à des subventions convenables et indispensables pour la subsistance des travailleurs au chômage et de leurs familles; 655 le droit à la retraite ainsi qu'à l'assurance vieillesse, l'assurance maladie et l'assurance en cas d'accidents du travail; 656 le droit à des mesures sociales liées à la maternité 657 et le droit de se réunir et de s'associer.658 Ces droits sont souvent offensés, comme le confirment les tristes phénomènes du travail sous-payé, privé de protection ou non représenté de manière adéquate. Il arrive souvent que les conditions de travail des hommes, des femmes et des enfants, en particulier dans les pays en voie de développement, soient tellement inhumaines qu'elles offensent leur dignité et nuisent à leur santé.

b) Le droit à une juste rémunération et distribution du revenu


302 La rémunération est l'instrument le plus important pour réaliser la justice dans les rapports de travail.659 Le « juste salaire est le fruit légitime du travail »; 660 celui qui le refuse ou qui ne le donne pas en temps voulu et en une juste proportion par rapport au travail accompli commet une grave injustice (cf. Lv Lv 19,13 Dt Dt 24,14-15 Jc Jc 5,4). Le salaire est l'instrument qui permet au travailleur d'accéder aux biens de la terre: « Compte tenu des fonctions et de la productivité de chacun, de la situation de l'entreprise et du bien commun, la rémunération du travail doit assurer à l'homme des ressources qui lui permettent, à lui et à sa famille, une vie digne sur le plan matériel, social, culturel et spirituel ».661 Le simple accord entre travailleur et employeur sur le montant de la rémunération ne suffit pas à qualifier de « juste » le salaire concordé, car celui-ci « ne doit pas être insuffisant à faire subsister l'ouvrier »: 662 la justice naturelle est antérieure et supérieure à la liberté du contrat.


303 Le bien-être économique d'un pays ne se mesure pas exclusivement à la quantité de biens produits, mais aussi en tenant compte de la façon dont ils sont produits et du degré d'équité dans la distribution du revenu, qui devrait permettre à tous d'avoir à disposition ce qui sert au développement et au perfectionnement de la personne. Une répartition équitable du revenu doit être poursuivie sur la base de critères non seulement de justice commutative, mais aussi de justice sociale, c'est-à-dire en considérant, au-delà de la valeur objective des prestations de travail, la dignité humaine des sujets qui l'accomplissent. Un bien-être économique authentique se poursuit également à travers des politiques sociales de redistribution du revenu qui, tenant compte des conditions générales, considèrent opportunément les mérites et les besoins de chaque citoyen.


Compendium Doctrine sociale 276