Compendium Doctrine sociale 383

II. LE FONDEMENT


ET LA FIN DE LA COMMUNAUTÉ POLITIQUE


a) Communauté politique, personne humaine et peuple


384 La personne humaine est le fondement et la fin de la communauté politique.775 Dotée de rationalité, elle est responsable de ses choix et capable de poursuivre des projets qui donnent un sens à sa vie, au niveau individuel et social. L'ouverture à la Transcendance et aux autres est le trait qui la caractérise et la distingue: ce n'est qu'en rapport à la Transcendance et aux autres que la personne humaine atteint sa réalisation pleine et intégrale. Pour l'homme, créature naturellement sociale et politique, « la vie sociale n'est donc pas (...) quelque chose de surajouté »,776 mais plutôt une dimension essentielle qui ne peut être éliminée.

La communauté politique découle de la nature des personnes, dont la conscience « leur révèle et leur enjoint de respecter »777 l'ordre inscrit par Dieu dans toutes ses créatures, « un ordre moral et religieux qui, plus que toute valeur matérielle, influe sur les orientations et les solutions à donner aux problèmes de la vie individuelle et sociale, à l'intérieur des communautés nationales et dans leurs rapports mutuels ».778 Cet ordre doit être progressivement découvert et développé par l'humanité. La communauté politique, réalité connaturelle aux hommes, existe pour obtenir une fin impossible à atteindre autrement: la pleine croissance de chacun de ses membres, appelés à collaborer de façon stable pour réaliser le bien commun,779 poussés par leur tension naturelle vers le vrai et vers le bien.


385 La communauté politique trouve dans la référence au peuple sa dimension authentique: elle « est, et doit être en réalité, l'unité organique et organisatrice d'un vrai peuple ».780 Le peuple n'est pas une multitude amorphe, une masse inerte à manipuler et à exploiter, mais un ensemble de personnes dont chacune — « à la place et de la manière qui lui sont propres » 781 — a la possibilité de se former une opinion sur la chose publique et la liberté d'exprimer sa sensibilité politique et de la faire valoir en harmonie avec le bien commun: « Le peuple vit de la plénitude de la vie des hommes qui le composent, dont chacun (...) est une personne consciente de ses propres responsabilités et de ses propres convictions ».782 Les membres d'une communauté politique, bien qu'unis de façon organique entre eux comme peuple, conservent toutefois uneautonomie indéniable au niveau de leur existence personnelle et des fins à poursuivre.


386 Ce qui caractérise en premier lieu un peuple, c'est le partage de vie et de valeurs, qui est source de communion au niveau spirituel et moral: « La vie en société (...) doit être considérée avant tout comme une réalité d'ordre spirituel. Elle est, en effet, échange de connaissances dans la lumière de la vérité, exercice de droits et accomplissement de devoirs; émulation dans la recherche du bien moral; communion dans la noble jouissance du beau en toutes ses expressions légitimes; disposition permanente à communiquer à autrui le meilleur de soi-même et aspiration commune à un constant enrichissement spirituel. Telles sont les valeurs qui doivent animer et orienter toutes choses: activité culturelle, vie économique, organisation sociale, mouvements et régimes politiques, législation, et toute autre expression de la vie sociale dans sa continuelle évolution ».783


387 À chaque peuple correspond en général une nation mais, pour diverses raisons, les frontières nationales ne coïncident pas toujours avec les frontières ethniques.784 C'est ainsi que surgit la question des minorités qui, historiquement, a engendré de nombreux conflits. Le Magistère affirme que les minorités constituent des groupes jouissant de droits et devoirs spécifiques. En premier lieu, un groupe minoritaire a droit à sa propre existence: « Ce droit peut être méconnu de diverses manières, jusqu'aux cas extrêmes où des formes ouvertes ou indirectes de génocide le réduisent à néant ».785 En outre, les minorités ont le droit de conserver leur culture, y compris leur langue, ainsi que leurs convictions religieuses, y compris la célébration du culte. Dans la légitime revendication de leurs droits, les minorités peuvent être poussées à rechercher une plus grande autonomie ou même leur indépendance: dans ces circonstances délicates, le dialogue et la négociation sont le chemin pour parvenir à la paix. Dans tous les cas, le recours au terrorisme est injustifiable et nuirait à la cause que l'on veut défendre. Les minorités ont également des devoirs à remplir, dont en premier lieu la coopération au bien commun de l'État où elles sont insérées. En particulier, « un groupe minoritaire a le devoir de promouvoir la liberté et la dignité de chacun de ses membres et de respecter les choix de chaque individu, même si l'un d'entre eux décidait de passer à la culture majoritaire ».786

b) Protéger et promouvoir les droits de l'homme


388 Considérer la personne humaine comme le fondement et la fin de la communauté politique signifie se prodiguer avant tout pour la reconnaissance et le respect de sa dignité en protégeant et en promouvant les droits fondamentaux et inaliénables de l'homme: « Pour la pensée contemporaine, le bien commun réside surtout dans la sauvegarde des droits et des devoirs de la personne humaine ».787 Dans les droits de l'homme sont condensées les principales exigences morales et juridiques qui doivent présider à la construction de la communauté politique. Ils constituent une norme objective qui fonde le droit positif et qui ne peut être ignorée par la communauté politique, car la personne lui est antérieure sur le plan de l'être et des finalités: le droit positif doit garantir la satisfaction des exigences humaines fondamentales.


389 La communauté politique poursuit le bien commun en oeuvrant pour la création d'un environnement humain où est offerte aux citoyens la possibilité d'un exercice réel des droits de l'homme et d'un accomplissement plénier des devoirs qui y sont liés: « L'expérience nous montre que si l'autorité n'agit pas opportunément en matière économique, sociale ou culturelle, des inégalités s'accentuent entre les citoyens, surtout à notre époque, au point que les droits fondamentaux de la personne restent sans portée efficace et que l'accomplissement des devoirs correspondants en est compromis ».788

La pleine réalisation du bien commun exige que la communauté politique développe, dans le cadre des droits de l'homme, une double action complémentaire, de défense et de promotion: « On veillera à ce que la prédominance accordée à des individus ou à certains groupes n'installe dans la nation des situations privilégiées; par ailleurs, le souci de sauvegarder les droits de tous ne doit pas déterminer une politique qui, par une singulière contradiction, réduirait excessivement ou rendrait impossible le plein exercice de ces mêmes droits ».789

c) La vie en société basée sur l'amitié civile


390 La signification profonde de la communauté, civile et politique, ne ressort pas immédiatement de la liste des droits et des devoirs de la personne. Cette vie en société acquiert toute sa signification si elle est basée sur l'amitié civile et sur la fraternité.790 Le domaine du droit, en effet, est celui de l'intérêt à sauvegarder, du respect extérieur, de la protection des biens matériels et de leur répartition selon des règles établies; en revanche, le domaine de l'amitié est celui du désintéressement, du détachement des biens matériels, de leur don, de la disponibilité intérieure aux exigences de l'autre.791 Ainsi conçue, l'amitié civile 792 est la mise en oeuvre la plus authentique du principe de fraternité, qui est inséparable de celui de liberté et d'égalité.793 Il s'agit d'un principe demeuré en grande partie lettre morte dans les sociétés politiques modernes et contemporaines, surtout à cause de l'influence exercée par les idéologies individualistes et collectivistes.


391 Une communauté est solidement fondée lorsqu'elle tend à la promotion intégrale de la personne et du bien commun; dans ce cas, le droit est défini, respecté et vécu aussi selon les modalités de la solidarité et du dévouement au prochain. La justice exige que chacun puisse jouir de ses biens et de ses droits et elle peut être considérée comme la mesure minimum de l'amour.794 La vie en société devient d'autant plus humaine qu'elle est caractérisée par l'effort pour parvenir à une conscience plus mûre de l'idéal vers lequel elle doit tendre, qui est la « civilisation de l'amour ».795

L'homme est une personne, pas seulement un individu.796 Par le terme « personne » on désigne « une nature douée d'intelligence et de volonté libre »: 797 c'est donc une réalité bien supérieure à celle d'un sujet qui s'exprime à travers les besoins produits par la simple dimension matérielle. De fait, bien que participant activement à l'oeuvre tendant à satisfaire ses besoins au sein de la société familiale, civile et politique, la personne humaine ne trouve pas sa réalisation complète tant qu'elle ne dépasse pas la logique du besoin pour se projeter dans celle de la gratuité et du don, qui répond plus entièrement à son essence et à sa vocation communautaire.


392 Le précepte évangélique de la charité éclaire les chrétiens sur la signification la plus profonde de la communauté politique. Pour la rendre vraiment humaine, « rien n'est plus important que de développer le sens intérieur de la justice, de la bonté, le dévouement au bien commun, et de renforcer les convictions fondamentales sur la nature véritable de la communauté politique, comme sur la fin, le bon exercice et les limites de l'autorité publique ».798 L'objectif que les croyants doivent se fixer est l'instauration de rapports communautaires entre les personnes. La vision chrétienne de la société politique confère le plus grand relief à la valeur de la communauté, aussi bien comme modèle d'organisation de la vie en commun que comme style de vie quotidienne.

III. L'AUTORITÉ POLITIQUE


a) Le fondement de l'autorité politique


393 L'Église a été confrontée à diverses conceptions de l'autorité, en ayant toujours soin d'en défendre et d'en proposer un modèle fondé sur la nature sociale des personnes: « Puisque Dieu a doté de sociabilité la créature humaine, mais puisque “nulle société n'a de consistance sans un chef dont l'action efficace et unifiante mobilise tous les membres au service des buts communs, toute communauté humaine a besoin d'une autorité qui la régisse. Celle-ci, tout comme la société, a donc pour auteur la nature et du même coup Dieu Lui-même” ».799 L'autorité politique est par conséquent nécessaire 800 en raison des tâches qui lui sont attribuées et ce doit être un élément positif et irremplaçable de la communauté humaine.801


394 L'autorité politique doit garantir la vie ordonnée et droite de la communauté, sans se substituer à la libre activité des individus et des groupes, mais en la disciplinant et en l'orientant, dans le respect et la tutelle de l'indépendance des sujets individuels et sociaux, vers la réalisation du bien commun. L'autorité politique est l'instrument de coordination et de direction à travers lequel les individus et les corps intermédiaires doivent s'orienter vers un ordre dont les relations, les institutions et les procédures soient au service de la croissance humaine intégrale. L'exercice de l'autorité politique, en effet, « soit à l'intérieur de la communauté comme telle, soit dans les organismes qui représentent l'État, doit toujours se déployer dans les limites de l'ordre moral, en vue du bien commun (mais conçu d'une manière dynamique), conformément à un ordre juridique légitimement établi ou à établir. Alors les citoyens sont en conscience tenus à l'obéissance ».802


395 Le sujet de l'autorité politique est le peuple, considéré dans sa totalité comme détenteur de la souveraineté. Sous diverses formes, le peuple transfère l'exercice de sa souveraineté à ceux qu'il élit librement comme ses représentants, mais il conserve la faculté de la faire valoir en contrôlant l'action des gouvernants et en les remplaçant s'ils ne remplissent pas leurs fonctions de manière satisfaisante. Bien qu'il s'agisse d'un droit valide dans chaque État et dans n'importe quel régime politique, le système de la démocratie, grâce à ses procédures de contrôle, en permet et en garantit une meilleure pratique.803 Le consensus populaire à lui seul ne suffit cependant pas à faire considérer comme justes les modalités d'exercice de l'autorité politique.

b) L'autorité comme force morale


396 L'autorité doit se laisser guider par la loi morale: toute sa dignité dérive de son exercice dans le domaine de l'ordre moral,804 « lequel à son tour repose sur Dieu, son principe et sa fin ».805 En raison de la référence nécessaire à cet ordre, qui la précède et qui la fonde, de ses finalités et de ses destinataires, l'autorité ne peut être conçue comme une force déterminée par des critères à caractère purement sociologique et historique: « Malheureusement, certaines de ces conceptions ne reconnaissent pas l'existence d'un ordre moral, d'un ordre transcendant, universel, absolu, d'égale valeur pour tous. Il devient ainsi impossible de se rencontrer et de se mettre pleinement d'accord, avec sécurité, à la lumière d'une même loi de justice admise et suivie par tous ».806 Cet ordre « ne peut s'édifier que sur Dieu; séparé de Dieu il se désintègre ».807C'est précisément de cet ordre que l'autorité tire sa force impérative 808 et sa légitimité morale,809 non pas de l'arbitraire ou de la volonté de puissance,810 et elle est tenue de traduire cet ordre dans les actions concrètes pour la réalisation du bien commun.811


397 L'autorité doit reconnaître, respecter et promouvoir les valeurs humaines et morales essentielles. Elles sont innées, « découlent de la vérité même de l'être humain et (...) expriment et protègent la dignité de la personne: ce sont donc des valeurs qu'aucune personne, aucune majorité ni aucun État ne pourront jamais créer, modifier ou abolir ».812 Elles ne sont pas basées sur des « majorités » d'opinion provisoires ou changeantes, mais elles doivent être simplement reconnues, respectées et promues comme éléments d'une loi morale objective, loi naturelle inscrite dans le coeur de l'homme (cf. Rm Rm 2,15), et comme point de référence normatif de la loi civile elle-même.813 Si, à cause d'un obscurcissement tragique de la conscience collective, le scepticisme venait à mettre en doute jusqu'aux principes fondamentaux de la loi morale,814l'ordonnancement étatique lui- même serait bouleversé dans ses fondements, se réduisant à un pur mécanisme de régulation pragmatique d'intérêts différents et opposés.815


398 L'autorité doit promulguer des lois justes, c'est-à-dire conformes à la dignité de la personne humaine et aux impératifs de la raison droite: « La loi humaine est telle dans la mesure où elle est conforme à la raison droite et dérive donc de la loi éternelle. En revanche, quand une loi est en contraste avec la raison, on l'appelle loi inique; dans ce cas, toutefois, elle cesse d'être loi et devient plutôt un acte de violence ».816 L'autorité qui commande selon la raison place le citoyen en situation non pas tant d'assujettissement vis-à-vis d'un autre homme, que plutôt d'obéissance à l'ordre moral et donc à Dieu lui-même qui en est la source ultime.817Celui qui refuse d'obéir à l'autorité qui agit selon l'ordre moral « s'oppose à l'ordre établi par Dieu » (Rm 13,2).818 Pareillement, si l'autorité publique, qui a son fondement dans la nature humaine et qui appartient à l'ordre préétabli par Dieu,819 ne met pas tout en oeuvre pour la réalisation du bien commun, elle trahit sa fin spécifique et par conséquent se délégitime.

c) Le droit à l'objection de conscience


399 Le citoyen n'est pas obligé en conscience de suivre les prescriptions des autorités civiles si elles sont contraires aux exigences de l'ordre moral, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l'Évangile.820 Les lois injustes placent les hommes moralement droits face à de dramatiques problèmes de conscience: lorsqu'ils sont appelés à collaborer à des actions moralement mauvaises, ils ont l'obligation de s'y refuser.821 Ce refus constitue non seulement un devoir moral, mais c'est aussi un droit humain fondamental que, précisément en tant que tel, la loi civile doit reconnaître et protéger: « Ceux qui recourent à l'objection de conscience doivent être exempts non seulement de sanctions pénales, mais encore de quelque dommage que ce soit sur le plan légal, disciplinaire, économique ou professionnel ».822

C'est un grave devoir de conscience de ne pas collaborer, même formellement, à des pratiques qui, bien qu'admises par la législation civile, sont en contraste avec la Loi de Dieu. En effet, cette collaboration ne peut jamais être justifiée, ni en invoquant le respect de la liberté d'autrui, ni en prétextant que la loi civile la prévoit et la requiert. Personne ne peut jamais se soustraire à la responsabilité morale des actes accomplis et sur cette responsabilité chacun sera jugé par Dieu lui-même (cf. Rm
Rm 2,6 Rm 14,12).

d) Le droit de résister


400 Reconnaître que le droit naturel fonde et limite le droit positif signifie admettre qu'il est légitime de résister à l'autorité dans le cas où celle-ci viole gravement et de façon répétée les principes du droit naturel. Saint Thomas d'Aquin écrit qu' « on n'est tenu d'obéir... que dans la mesure requise par un ordre fondé en justice ».823 Le fondement du droit de résistance est donc le droit de nature.

Les manifestations concrètes que peut revêtir la réalisation de ce droit peuvent être diverses. Diverses peuvent être aussi les fins poursuivies. La résistance à l'autorité vise à réaffirmer la validité d'une vision différente des choses, aussi bien quand on cherche à obtenir un changement partiel, en modifiant par exemple certaines lois, que lorsqu'on se bat pour un changement radical de la situation.


401 La doctrine sociale indique les critères de l'exercice du droit de résistance: « La résistanceà l'oppression du pouvoir politique ne recourra pas légitimement aux armes, sauf si se trouvent réunies les conditions suivantes: 1 - en cas de violations certaines, graves et prolongées des droits fondamentaux; 2 - après avoir épuisé tous les autres recours; 3 - sans provoquer des désordres pires; 4 - qu'il y ait un espoir fondé de réussite; 5 - s'il est impossible de prévoir raisonnablement des solutions meilleures ».824 La lutte armée est considérée comme un remède extrême pour mettre fin à une « tyrannie évidente et prolongée qui porterait gravement atteinte aux droits fondamentaux de la personne et nuirait dangereusement au bien commun du pays ».825 La gravité des dangers que comporte aujourd'hui le recours à la violence conduit de toute façon à préférer la voie de la résistance passive, « plus conforme aux principes moraux et non moins prometteuse de succès ».826

e) Infliger les peines


402 Pour protéger le bien commun, l'autorité publique légitime a le droit et le devoir d'infliger des peines proportionnées à la gravité des délits.827 L'État a la double tâche deréprimer les comportements qui portent atteinte aux droits de l'homme et aux règles fondamentales d'une société civile, ainsi que de remédier, par le biais du système des peines, au désordre causé par l'action délictueuse. Dans l'État de droit, le pouvoir d'infliger les peines est, comme il se doit, confié à la Magistrature: « Les Constitutions des États modernes, en définissant les rapports qui doivent exister entre le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, garantissent à ce dernier l'indépendance nécessaire dans le cadre de la loi ».828


403 La peine ne sert pas uniquement à défendre l'ordre public et à garantir la sécurité des personnes: elle devient aussi un instrument pour la correction du coupable, une correction qui revêt aussi une valeur morale d'expiation quand le coupable accepte volontairement sa peine.829 L'objectif à poursuivre est double: d'un côté, favoriser la réinsertion des personnes condamnées; d'un autre côté, promouvoir une justice réconciliatrice, capable de restaurer les relations de coexistence harmonieuse brisées par l'acte criminel.

À cet égard, l'activité que les aumôniers de prison sont appelés à exercer est importante, non seulement sous le profil spécifiquement religieux, mais aussi pour défendre la dignité des personnes détenues. Hélas, les conditions dans lesquelles elles purgent leur peine ne favorisent pas toujours le respect de leur dignité; souvent les prisons deviennent même le théâtre de nouveaux crimes. Le milieu des instituts pénitenciers offre toutefois un terrain privilégié pour témoigner, une fois encore, de la sollicitude chrétienne dans le domaine social: « J'étais (...) prisonnier et vous êtes venus me voir » (
Mt 25,35-36).


404 L'activité des structures chargées d'établir la responsabilité pénale, qui est toujours à caractère personnel, doit tendre à la recherche rigoureuse de la vérité et doit être menée dans le plein respect de la dignité et des droits de la personne humaine: il s'agit de garantir les droits du coupable comme ceux de l'innocent. Il faut toujours avoir présent à l'esprit le principe juridique général selon lequel on ne peut pas infliger une peine avant d'avoir prouvé le délit.

Dans le déroulement des enquêtes, il faut scrupuleusement observer la règle qui interdit la pratique de la torture, même dans le cas des délits les plus graves: « Le disciple du Christ rejette tout recours à de tels moyens, que rien ne saurait justifier et où la dignité de l'homme est avilie chez celui qui est frappé comme d'ailleurs chez son bourreau ».830 Les instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l'homme indiquent à juste titre l'interdiction de la torture comme un principe auquel on ne peut déroger en aucune circonstance.

Il faut également exclure « le recours à une détention uniquement motivée par la tentative d'obtenir des informations significatives pour le procès ».831 En outre, il faut garantir « la rapidité des procès: leur longueur excessive devient intolérable pour les citoyens et finit par se traduire en une véritable injustice ».832

Les magistrats sont tenus à un devoir de réserve dans le déroulement de leurs enquêtes pour ne pas violer le droit des prévenus à la confidentialité et pour ne pas affaiblir le principe de la présomption d'innocence. Étant donné que même un juge peut se tromper, il est opportun que la législation établisse une indemnisation équitable pour les victimes d'une erreur judiciaire.


405 L'Église voit comme un signe d'espérance « l'aversion toujours plus répandue de l'opinion publique envers la peine de mort, même si on la considère seulement comme un moyen de “légitime défense” de la société, en raison des possibilités dont dispose une société moderne de réprimer efficacement le crime de sorte que, tout en rendant inoffensif celui qui l'a commis, on ne lui ôte pas définitivement la possibilité de se racheter ».833 Même si l'enseignement traditionnel de l'Église n'exclut pas — après qu'aient été pleinement certifiées l'identité et la responsabilité du coupable — le recours à la peine de mort, « si cette dernière s'avère être la seule voie praticable dans la défense efficace de la vie des êtres humains face à l'agresseur injuste »,834 les méthodes non sanglantes de répression et de punition sont préférables dans la mesure où elles « correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine ».835 Le nombre croissant de pays qui adoptent des mesures pour abolir la peine de mort ou pour suspendre son application est également une preuve que les cas où il est absolument nécessaire de supprimer le coupable « sont désormais assez rares, si non même pratiquement inexistants ».836 L'aversion croissante de l'opinion publique pour la peine de mort et les diverses mesures en vue de son abolition, ou de la suspension de son application, constituent des manifestations visibles d'une plus grande sensibilité morale.

IV. LE SYSTÈME DE LA DÉMOCRATIE



406 L'encyclique « Centesimus annus » renferme un jugement explicite et structuré sur la démocratie: « L'Église apprécie le système démocratique, comme système qui assure la participation des citoyens aux choix politiques et garantit aux gouvernés la possibilité de choisir et de contrôler leurs gouvernants, ou de les remplacer de manière pacifique lorsque cela s'avère opportun. Cependant, l'Église ne peut approuver la constitution de groupes dirigeants restreints qui usurpent le pouvoir de l'État au profit de leurs intérêts particuliers ou à des fins idéologiques. Une démocratie authentique n'est possible que dans un État de droit et sur la base d'une conception correcte de la personne humaine. Elle requiert la réalisation des conditions nécessaires pour la promotion des personnes, par l'éducation et la formation à un vrai idéal, et aussi l'épanouissement de la “personnalité” de la société, par la création de structures de participation et de coresponsabilité ».837

a) Les valeurs de la démocratie


407 Une démocratie authentique n'est pas seulement le résultat d'un respect formel de règles, mais le fruit de l'acceptation convaincue des valeurs qui inspirent les procédures démocratiques: la dignité de chaque personne humaine, le respect des droits de l'homme, le « bien commun » comme fin et critère de régulation de la vie politique. S'il n'existe pas de consensus général sur de telles valeurs, la signification de la démocratie se perd et sa stabilité est compromise.

La doctrine sociale identifie le relativisme éthique comme l'un des risques majeurs pour les démocraties actuelles, lequel induit à estimer qu'il n'existe pas de critère objectif et universel pour établir le fondement et la hiérarchie correcte des valeurs: « On tend à affirmer aujourd'hui que l'agnosticisme et le relativisme sceptique représentent la philosophie et l'attitude fondamentale accordées aux formes démocratiques de la vie politique, et que ceux qui sont convaincus de connaître la vérité et qui lui donnent une ferme adhésion ne sont pas dignes de confiance du point de vue démocratique, parce qu'ils n'acceptent pas que la vérité soit déterminée par la majorité, ou bien qu'elle diffère selon les divers équilibres politiques. À ce propos, il faut observer que, s'il n'existe aucune vérité dernière qui guide et oriente l'action politique, les idées et les convictions peuvent être facilement exploitées au profit du pouvoir. Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l'histoire ».838 Fondamentalement, la démocratie est « un “système” et, comme tel, un instrument et non pas une fin. Son caractère “moral” n'est pas automatique, mais dépend de la conformité à la loi morale, à laquelle la démocratie doit être soumise comme tout comportement humain: il dépend donc de la moralité des fins poursuivies et des moyens utilisés ».839

b) Institutions et démocratie


408 Le Magistère reconnaît la valeur du principe relatif à la division
des pouvoirs au sein d'un État: « Il est préférable que tout pouvoir soit équilibré par d'autres pouvoirs et par d'autres compétences qui le maintiennent dans de justes limites. C'est là le principe de l'“État de droit”, dans lequel la souveraineté appartient à la loi et non pas aux volontés arbitraires des hommes ».840

Dans le système démocratique, l'autorité politique est responsable face au peuple. Les organismes représentatifs doivent être soumis à un contrôle effectif par le corps social. Ce contrôle est possible avant tout grâce à des élections libres, qui permettent de choisir et de remplacer les représentants. L'obligation, pour les élus, de rendre compte de leur action, et qui est garantie par le respect des échéances électorales, est un élément constitutif de la représentation démocratique.


409 Dans leur domaine spécifique (élaboration des lois, activité gouvernementale et contrôle de celle-ci), les élus doivent s'engager à rechercher et à mettre en oeuvre ce qui peut contribuer à la bonne marche de la communauté humaine dans son ensemble.841 L'obligation qu'ont les gouvernants de répondre aux gouvernés n'implique absolument pas que les représentants soient de simples agents passifs des électeurs. Le contrôle exercé par les citoyens n'exclut pas, en effet, la liberté nécessaire dont les élus doivent jouir dans l'accomplissement de leur mandat en rapport avec les objectifs à poursuivre: ceux-ci ne dépendent pas exclusivement d'intérêts partisans, mais, dans une bien plus grande mesure, de la fonction de synthèse et de médiation en vue du bien commun, qui constitue une des finalités essentielles et incontournables de l'autorité politique.

c) Les éléments moraux de la représentation politique


410 Ceux qui exercent des responsabilités politiques ne doivent pas oublier ou sous-évaluer la dimension morale de la représentation, qui consiste dans l'engagement à partager le sort du peuple et à chercher la solution des problèmes sociaux. Dans cette perspective, autorité responsable signifie aussi autorité exercée en faisant appel aux vertus qui favorisent la pratique

du pouvoir dans un esprit de service 842 (patience, modestie, modération, charité, effort de partage); une autorité exercée par des personnes capables d'assumer de façon authentique le bien commun comme finalité de leurs propres actions, et non pas le prestige ou l'obtention d'avantages personnels.


411 Parmi les déformations du système démocratique, la corruption politique est une des plus graves,843 car elle trahit à la fois les principes de la morale et les normes de la justice sociale;elle compromet le fonctionnement correct de l'État, en influant négativement sur le rapport entre les gouvernants et les gouvernés; elle introduit une méfiance croissante à l'égard des institutions publiques en causant une désaffection progressive des citoyens vis-à-vis de la politique et de ses représentants, ce qui entraîne l'affaiblissement des institutions. La corruption déforme à la racine le rôle des institutions représentatives, car elle les utilise comme un terrain d'échange politique entre requêtes clientélistes et prestations des gouvernants. De la sorte, les choix politiques favorisent les objectifs restreints de ceux qui possèdent les moyens de les influencer et empêchent la réalisation du bien commun de tous les citoyens.


412 L'administration publique, à quelque niveau que ce soit — national, régional, communal —, comme instrument de l'État, a pour finalité de servir les citoyens: « Placé au service des citoyens, l'État est le gérant des biens du peuple, qu'il doit administrer en vue du bien commun ».844 Cette
perspective est contrastée par l'excès de bureaucratisation qui se vérifie lorsque « les institutions, qui deviennent compliquées dans leur organisation et prétendent gérer tout domaine disponible, finissent par être neutralisées par un fonctionnarisme impersonnel, une bureaucratie exagérée, des intérêts privés excessifs, un désintéressement facile et généralisé ».845 Le rôle de ceux qui travaillent dans l'administration publique ne doit pas être conçu comme quelque chose d'impersonnel et de bureaucratique, mais plutôt comme une aide prévenante pour les citoyens, exercée dans un esprit de service.


Compendium Doctrine sociale 383