Compendium Doctrine sociale 413

d) Instruments de participation politique


413 Les partis politiques ont le devoir de favoriser une large participation et l'accès de tous aux responsabilités publiques. Les partis sont appelés à interpréter les aspirations de la société civile en les orientant vers le bien commun 846 et en offrant aux citoyens la possibilité effective de concourir à la formation des choix politiques. Les partis doivent être démocratiques en leur sein, capables de synthèse politique et de programmation.

Un autre instrument de la participation politique est le referendum où se réalise une forme directe d'accès aux choix politiques. L'institution de la représentation n'exclut pas, en effet, que les citoyens puissent être directement interpellés sur les choix de grande importance pour la vie sociale.

e) Information et démocratie


414 L'information figure parmi les principaux instruments de participation démocratique.Aucune participation n'est pensable sans la connaissance des problèmes de la communauté politique, des données de fait et des diverses propositions de solution. Il faut assurer un pluralisme réel dans ce secteur délicat de la vie sociale, en garantissant une multiplicité de formes et d'instruments dans le domaine de l'information et de la communication et en facilitant les conditions d'égalité dans la possession et l'utilisation de ces instruments grâce à des lois appropriées. Parmi les obstacles qui entravent la pleine réalisation du droit à l'objectivité dans l'information,847 le phénomène des concentrations médiatiques dans les secteurs de la publication et de la télévision mérite une attention particulière. Ses effets s'avèrent dangereux pour l'ensemble du système démocratique quand ce phénomène s'accompagne de liens toujours plus étroits entre l'activité gouvernementale, les pouvoirs financiers et l'information.


415 Les moyens de communication sociale doivent être utilisés pour édifier et soutenir la communauté humaine dans les différents secteurs, économique, politique, culturel, éducatif, religieux: 848 « L'information médiatique est au service du bien commun. La société a droit à une information fondée sur la vérité, la liberté, la justice, et la solidarité ».849

La question essentielle à propos du système d'information actuel est de savoir s'il contribue à rendre la personne humaine vraiment meilleure, c'est-à-dire spirituellement plus mûre, plus consciente de la dignité de son humanité, plus responsable et plus ouverte aux autres, en particulier aux plus nécessiteux et aux plus faibles. Un autre aspect de grande importance est la nécessité pour les nouvelles technologies de respecter les différences culturelles légitimes.


416 Dans le monde des moyens de communication sociale, les difficultés intrinsèques de la communication sont souvent exagérées par l'idéologie, par le désir de profit et de contrôle politique, par des rivalités et des conflits entre groupes, et par d'autres maux sociaux. Les valeurs et les principes moraux valent aussi pour le secteur des communications sociales: « La dimension éthique ne se rapporte pas seulement au contenu de la communication (le message) et au processus de communication (la façon dont est faite la communication), mais également à des questions de structures et de systèmes fondamentaux, concernant souvent des questions importantes de politiques ayant une influence sur la distribution de technologies et de produits sophistiqués (qui détiendra un grand nombre d'information, et qui en aura peu?) ».850

Dans ces trois secteurs — du message, du processus et des questions structurelles — un principe moral fondamental est toujours valable: la personne et la communauté humaines sont la fin et la mesure de l'usage des moyens de communication sociale. Un second principe est complémentaire au premier: le bien des personnes ne peut pas se réaliser indépendamment du bien commun des communautés auxquelles appartiennent les personnes.851 Une participation au processus décisionnel concernant la politique des communications est nécessaire. Cette participation, sous forme publique, doit être véritablement représentative et ne doit pas tendre à favoriser des groupes particuliers, comme dans le cas où les moyens de communication sociale poursuivent des buts lucratifs.852

V. LA COMMUNAUTÉ POLITIQUE


AU SERVICE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE


a) La valeur de la société civile


417 La communauté politique est constituée pour être au service de la société civile, dont elle découle. L'Église a contribué à la distinction entre communauté politique et société civile, surtout avec sa vision de l'homme, conçu comme être autonome, relationnel, ouvert à la Transcendance, vision en opposition avec aussi bien les idéologies politiques de style individualiste qu'avec celles totalitaires tendant à absorber la société civile dans la sphère de l'État. L'engagement de l'Église en faveur du pluralisme social vise à poursuivre une réalisation plus adéquate du bien commun et de la démocratie, selon les principes de la solidarité, de la subsidiarité et de la justice.

La société civile est un ensemble de relations et de ressources, culturelles et associatives, relativement autonomes par rapport au milieu politique et au milieu économique: « La fin de la société civile embrasse universellement tous les citoyens. Elle réside dans le bien commun, c'est-à-dire dans un bien auquel tous et chacun ont le droit de participer dans une mesure proportionnelle ».853 Elle est caractérisée par une capacité de projet propre, qui tend à favoriser une vie sociale plus libre et plus juste, où différents groupes de citoyens s'associent, en se mobilisant pour élaborer et exprimer leurs orientations, pour faire face à leurs besoins fondamentaux et pour défendre des intérêts légitimes.

b) La primauté de la société civile


418 La communauté politique et la société civile, bien que réciproquement reliées et interdépendantes, ne sont pas égales dans la hiérarchie des fins. La communauté politique est essentiellement au service de la société civile et, en dernière analyse, des personnes et des groupes qui la composent.854 La société civile ne peut donc pas être considérée comme un appendice ou une variable de la communauté politique: au contraire, elle a la prééminence, car c'est dans la société civile même que l'existence de la communauté politique trouve sa justification.

L'État doit fournir un cadre juridique adapté au libre exercice des activités des sujets sociaux et être prêt à intervenir, lorsque c'est nécessaire et en respectant le principe de subsidiarité,pour orienter vers le bien commun la dialectique entre les libres associations actives dans la vie démocratique. La société civile est composite et fragmentée, non privée d'ambiguïtés et de contradictions: elle est aussi un lieu de conflit entre des intérêts divergents, avec le risque que le plus fort prévale sur le plus faible.

c) L'application du principe de subsidiarité


419 La communauté politique est tenue de régler ses rapports vis-à-vis de la société civile selon le principe de subsidiarité: 855 il est essentiel que la croissance de la vie démocratique prenne naissance dans le tissu social. Les activités de la société civile — surtout le volontariat etla coopération dans le domaine du privé-social, défini de façon synthétique comme « secteur tertiaire » pour le distinguer des domaines de l'État et du marché — constituent les modalités les plus adéquates pour développer la dimension sociale de la personne, qui peut trouver dans ces activités un espace pour s'exprimer de façon complète. L'expansion progressive des initiatives sociales en dehors de la sphère de l'État crée de nouveaux espaces pour la présence active et pour l'action directe des citoyens, en intégrant les fonctions exécutées par l'État. Cet important phénomène s'est souvent réalisé par des voies et avec des instruments largement informels, en donnant vie à des modalités nouvelles et positives d'exercice des droits de la personne, qui enrichissent qualitativement la vie démocratique.


420 La coopération, notamment sous ses formes les moins structurées, apparaît comme une des réponses les plus fortes à la logique du conflit et de la concurrence sans limites qui prévaut aujourd'hui. Les rapports qui s'instaurent dans un climat de coopération et de solidarité dépassent les divisions idéologiques, en incitant à la recherche de ce qui unit au-delà de ce qui divise.

De nombreuses expériences de volontariat constituent un autre exemple de grande valeur, qui incite à voir la société civile comme un lieu où la recomposition d'une éthique publique centrée sur la solidarité, sur la collaboration concrète et sur le dialogue fraternel est toujours possible. Tous sont appelés à considérer avec confiance les potentialités qui se manifestent ainsi et à oeuvrer personnellement pour le bien de la communauté en général et pour celui des plus faibles et des plus nécessiteux en particulier. C'est également ainsi que s'affirme le principe de « la “personnalité” de la société ».856

VI. L'ÉTAT ET LES COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES



A) LA LIBERTÉ RELIGIEUSE, UN DROIT HUMAIN FONDAMENTAL


421 Le Concile Vatican II a engagé l'Église catholique dans la promotion de la liberté religieuse. La Déclaration « Dignitatis humanae » précise, dans son sous-titre, qu'elle entend proclamer le « droit de la personne et des communautés à la liberté sociale et civile en matière religieuse ». Afin que cette liberté voulue par Dieu et inscrite dans la nature humaine puisse s'exercer, elle ne doit pas être entravée, étant donné que « la vérité ne s'impose que par la force de la vérité elle-même ».857 La dignité de la personne et la nature même de la recherche de Dieu exigent pour tous les hommes l'immunité de toute coercition dans le domaine religieux.858 La société et l'État ne doivent pas contraindre une personne à agir contre sa conscience, ni l'empêcher d'agir en conformité à celle-ci.859 La liberté religieuse n'est pas une licence morale d'adhérer à l'erreur, ni un droit implicite à l'erreur.860


422 La liberté de conscience et de religion « concerne l'homme individuellement et socialement ».861 Le droit à la liberté religieuse doit être reconnu dans l'ordre juridique et sanctionné comme droit civil,862 mais il n'est pas en soi un droit illimité. Les justes limites à l'exercice de la liberté religieuse doivent être déterminées pour chaque situation sociale avec la prudence politique, selon les exigences du bien commun, et ratifiées par l'autorité civile à travers des normes juridiques conformes à l'ordre moral objectif. Ces normes « sont requises par l'efficace sauvegarde des droits de tous les citoyens et l'harmonisation pacifique de ces droits, et par un souci adéquat de cette authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d'une vraie justice, ainsi que par la protection due à la moralité publique ».863


423 En raison de ses liens historiques et culturels avec une nation, une communauté religieuse peut recevoir une reconnaissance spéciale de la part de l'État: cette reconnaissance ne doit en aucune façon engendrer une discrimination d'ordre civil ou social pour d'autres groupes religieux.864 La vision des rapports entre les États et les organisations religieuses, développée par le Concile Vatican II, correspond aux exigences de l'État de droit et aux normes du droit international.865 L'Église est bien consciente que cette vision n'est pas partagée par tous: le droit à la liberté religieuse, hélas, « est violé par de nombreux États au point que donner, faire donner la catéchèse ou la recevoir devient un délit passible de sanction ».866


B) ÉGLISE CATHOLIQUE ET COMMUNAUTÉ POLITIQUE

a) Autonomie et indépendance


424 L'Église et la communauté politique, bien que s'exprimant toutes deux à travers des structures d'organisation visibles, sont de nature différente, tant par leur configuration que par les finalités qu'elles poursuivent. Le Concile Vatican II a solennellement réaffirmé: « Sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l'Église sont indépendantes l'une de l'autre et autonomes ».867 L'Église s'organise selon des formes aptes à satisfaire les exigences spirituelles de ses fidèles, tandis que les différentes communautés politiques engendrent des rapports et des institutions au service de tout ce qui concerne le bien commun temporel. L'autonomie et l'indépendance de ces deux entités apparaissent clairement, surtout dans l'ordre des fins.

Le devoir de respecter la liberté religieuse impose à la communauté politique de garantir à l'Église l'espace d'action nécessaire. Par ailleurs, l'Église n'a pas un domaine de compétence spécifique en ce qui concerne la structure de la communauté politique: « L'Église respecte l'autonomie légitime de l'ordre démocratique et elle n'a pas qualité pour exprimer une préférence de l'une ou l'autre solution institutionnelle ou constitutionnelle »; 868 elle n'a pas non plus la tâche de s'occuper des programmes politiques, sinon pour leurs implications religieuses et morales.

b) Collaboration


425 L'autonomie réciproque de l'Église et de la communauté politique ne comporte pas de séparation excluant leur collaboration: toutes deux, bien qu'à un titre divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. En effet, l'Église et la communauté politique s'expriment sous des formes d'organisation qui ne sont pas des fins en elles-mêmes, mais au service de l'homme, pour lui permettre d'exercer pleinement ses droits, inhérents à son identité de citoyen et de chrétien, et de remplir correctement les devoirs qui s'y rapportent. L'Église et la communauté politique « exerceront d'autant plus efficacement ce service pour le bien de tous qu'elles rechercheront davantage entre elles une saine coopération, en tenant également compte des circonstances de temps et de lieu ».869


426 L'Église a droit à la reconnaissance juridique de son identité. Précisément parce que sa mission embrasse toute la réalité humaine et qu'elle se reconnaît « réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire »,870 l'Église revendique la liberté d'exprimer son jugement moral sur cette réalité chaque fois que cela est requis par la défense des droits fondamentaux de la personne ou par le salut des âmes.871

L'Église demande donc: la liberté d'expression, d'enseignement, d'évangélisation; la liberté d'accomplir des actes de culte en public; la liberté de s'organiser et d'avoir ses propres règlements internes; la liberté de choix, d'éducation, de nomination et de transfert de ses ministres; la liberté de construire des édifices religieux; la liberté d'acquérir et de posséder des biens adaptés à son activité; la liberté d'association à des fins non seulement religieuses, mais aussi éducatives, culturelles, sanitaires et caritatives.872


427 Afin de prévenir ou d'apaiser d'éventuels conflits entre l'Église et la communauté politique, l'expérience juridique de l'Église et de l'État a diversement défini des formes stables de rapports et des instruments aptes à garantir des relations harmonieuses. Cette expérience est un point de référence essentiel pour tous les cas où l'État a la prétention d'envahir le champ d'action de l'Église, en entravant sa libre activité jusqu'à la persécuter ouvertement ou, vice-versa, dans les cas où des organisations ecclésiales n'agissent pas correctement vis-à-vis de l'État.

NEUVIÈME CHAPITRE


LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE


I. ASPECTS BIBLIQUES


a) L'unité de la famille humaine


428 Les récits bibliques sur les origines montrent l'unité du genre humain et enseignent que le Dieu d'Israël est le Seigneur de l'histoire et du cosmos: son action englobe le monde entier et toute la famille humaine, à laquelle est destinée l'oeuvre de la création. La décision de Dieu de faire l'homme à son image et à sa ressemblance (cf. Gn Gn 1,26-27) confère à la créature humaine une dignité unique, qui s'étend à toutes les générations (cf. Gn Gn 5) et sur toute la terre (cf. Gn Gn 10).Le Livre de la Genèse montre en outre que l'être humain n'a pas été créé isolé, mais dans un contexte dont font partie intégrante l'espace vital qui lui assure la liberté (le jardin), la disponibilité des aliments (les arbres du jardin), le travail (le commandement de cultiver) et surtout la communauté (le don de l'aide semblable à lui) (cf. Gn Gn 2,8-24). Dans tout l'Ancien Testament, les conditions qui assurent la plénitude à la vie humaine font l'objet de la bénédiction divine. Dieu veut garantir à l'homme les biens nécessaires à sa croissance, la possibilité de s'exprimer librement, le résultat positif du travail et la richesse de relations entre des êtres semblables.


429 L'alliance de Dieu avec Noé (cf. Gn Gn 9,1-17) et, à travers lui, avec toute l'humanité, après la destruction provoquée par le déluge, manifeste que Dieu confirme à la communauté humaine sa bénédiction féconde, la tâche de dominer la création, la dignité et l'intangibilité absolues de la vie humaine qui avaient caractérisé la première création, bien qu'en elle se fût introduite, avec le péché, la dégénération de la violence et de l'injustice, punie par le déluge. Le livre de la Genèse présente avec admiration la variété des peuples, oeuvre de l'action créatrice de Dieu (cf. Gn Gn 10,1-32) et, en même temps, stigmatise la non-acceptation par l'homme de sa condition de créature, avec l'épisode de la tour de Babel (cf. Gn Gn 11,1-9). Tous les peuples, dans le plan divin, avaient « une même langue et des mêmes mots » (Gn 11,1), mais les hommes sont divisés, tournant le dos au Créateur (cf. Gn Gn 11,4).


430 L'alliance établie par Dieu avec Abraham, élu « père d'une multitude de peuples » (Gn 17,4), ouvre la voie à la réunion de la famille humaine avec son Créateur. L'histoire salvifique conduit le peuple d'Israël à penser que l'action divine est restreinte à sa terre, mais la conviction se renforce peu à peu que Dieu oeuvre aussi parmi les autres nations (cf. Is Is 19,18-25). Les prophètes annonceront pour le temps eschatologique le pèlerinage des peuples au temple du Seigneur et une ère de paix entre les nations (cf. Is Is 2,2-5 Is 66,18-23). Israël, dispersé en exil, prendra définitivement conscience de son rôle de témoin du Dieu unique (cf. Is Is 44,6-8), Seigneur du monde et de l'histoire des peuples (cf. Is Is 44,24-28).

b) Jésus-Christ, prototype et fondement de la nouvelle humanité


431 Le Seigneur Jésus est le prototype et le fondement de la nouvelle humanité. En lui, véritable « image de Dieu » (2Co 4,4) l'homme créé par Dieu à son image trouve son achèvement. Dans le témoignage définitif d'amour que Dieu a manifesté dans la croix du Christ, toutes les barrières d'inimitié ont déjà été abattues (cf. Ep Ep 2,12-18) et pour ceux qui vivent la vie nouvelle dans le Christ les différences raciales et culturelles ne sont plus un motif de division (cf. Rm 10,12 Ga Ga 3,26-28 Col Col 3,11).

Grâce à l'Esprit, l'Église connaît le dessein divin qui embrasse le genre humain tout entier(cf. Ac Ac 17,26) et qui vise à réunir, dans le mystère d'un salut réalisé sous la seigneurie du Christ (cf. Ep Ep 1,8-10), toute la réalité de la création fragmentée et dispersée. Depuis le jour de la Pentecôte, quand la Résurrection est annoncée aux différents peuples et comprise par chacun dans sa langue (cf. Ac Ac 2,6), l'Église accomplit son devoir de restaurer et de témoigner l'unité perdue à Babel: grâce à ce ministère ecclésial, la famille humaine est appelée à redécouvrir son unité et à reconnaître la richesse de ses différences, pour parvenir à la « pleine unité dans le Christ ».873

c) La vocation universelle du christianisme


432 Le message chrétien offre une vision universelle de la vie des hommes et des peuples sur la terre,874 qui fait comprendre l'unité de la famille humaine.875 Cette unité ne doit pas être construite par la force des armes, de la terreur ou des abus de pouvoir, mais elle est plutôt le résultat de ce « modèle d'unité suprême, reflet de la vie intime de Dieu un en trois personnes, (...) que nous chrétiens désignons par le mot “communion” »,876 et une conquête de la force morale et culturelle de la liberté.877 Le message chrétien a été décisif pour faire comprendre à l'humanité que les peuples tendent à s'unir non seulement en raison de formes d'organisation, de conjonctures politiques, de projets économiques ou au nom d'un internationalisme abstrait et idéologique, mais parce qu'ils s'orientent librement vers la coopération, conscients d'être des « membres actifs de la famille humaine universelle ».878 La communauté mondiale doit se proposer toujours davantage et toujours mieux comme figure concrète de l'unité voulue par le Créateur: « L'unité de la famille humaine a existé en tout temps, puisqu'elle rassemble des êtres qui sont tous égaux en dignité naturelle. C'est donc une nécessité de nature qui exigera toujours qu'on travaille de façon suffisante au bien commun universel, celui qui intéresse l'ensemble de la famille humaine ».879

II. LES RÈGLES FONDAMENTALES


DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE


a) Communauté internationale et valeurs


433 Le caractère central de la personne humaine et la disposition naturelle des personnes et des peuples à nouer des relations entre eux sont les éléments fondamentaux pour construire une vraie Communauté internationale dont l'organisation doit tendre au véritable bien commun universel.880 Même si l'aspiration à une communauté internationale authentique est largement répandue, l'unité de la famille humaine n'est encore pas réalisée, car elle est entravée par des idéologies matérialistes et nationalistes qui nient les valeurs dont est porteuse la personne considérée intégralement, dans toutes ses dimensions: matérielle et spirituelle, individuelle et communautaire. En particulier, toute théorie ou comportement basé sur le racisme et la discrimination raciale est moralement inacceptable.881

La coexistence entre les nations est fondée sur les mêmes valeurs qui doivent orienter celle entre les êtres humains: la vérité, la justice, la solidarité et la liberté.882 Au plan des principes constitutifs de la Communauté internationale, l'enseignement de l'Église requiert que les relations entre les peuples et les communautés politiques trouvent leur juste régulation dans la raison, dans l'équité, dans le droit, dans la négociation, tandis qu'il exclut le recours à la violence et à la guerre, ainsi qu'à des formes de discrimination, d'intimidation et de tromperie.883


434 Le droit se présente comme un instrument de garantie de l'ordre international,884 c'est-à-dire de la coexistence entre communautés politiques qui, individuellement, poursuivent le bien commun de leurs citoyens et qui, collectivement, doivent tendre à celui de tous les peuples,885dans la conviction que le bien commun d'une nation est inséparable du bien de la famille humaine tout entière.886

La communauté internationale est une communauté juridique fondée sur la souveraineté de chaque État membre, sans liens de subordination qui nient ou limitent son indépendance.887Concevoir la communauté internationale de cette façon ne signifie en rien relativiser et rendre vaines les différentes caractéristiques spécifiques de chaque peuple, mais favoriser leurs expressions.888 La mise en valeur des différentes identités favorise le dépassement des diverses formes de division qui tendent à séparer les peuples et à les enfermer dans un égoïsme aux effets déstabilisants.


435 Le Magistère reconnaît l'importance de la souveraineté nationale, conçue avant tout comme expression de la liberté qui doit régler les rapports entre les États.889 La souveraineté représente la subjectivité 890 d'une nation sous l'angle politique, économique, social et aussi culturel. La dimension culturelle acquiert une consistance particulière en tant que force de résistance aux actes d'agression ou aux formes de domination qui conditionnent la liberté d'un pays: la culture constitue la garantie de conservation de l'identité d'un peuple; elle exprime et favorise sa souveraineté spirituelle.891

La souveraineté nationale n'est toutefois pas un absolu. Les nations peuvent renoncer librement à l'exercice de certains de leurs droits en vue d'un objectif commun, avec la conscience de former une « famille »,892 où doivent régner la confiance et le soutien réciproques, ainsi que le respect mutuel. Dans cette perspective, il convient de prendre attentivement en considération l'absence d'un accord international qui affronte de façon appropriée « les droits des nations »; 893 son élaboration pourrait opportunément examiner les questions relatives à la justice et à la liberté dans le monde contemporain.

b) Relations fondées sur l'harmonie entre ordre juridique et ordre moral


436 Pour réaliser et consolider un ordre international qui garantisse efficacement la coexistence pacifique entre les peuples, la même loi morale qui régit la vie des hommes doit également régler les rapports entre les États, « loi morale dont l'observance doit être inculquée et favorisée par l'opinion publique de toutes les nations et de tous les États, avec une telle unanimité de voix et de force que personne ne puisse oser la mettre en doute ou en atténuer l'obligation ».894 Il est nécessaire que la loi morale universelle, inscrite dans le coeur de l'homme, soit considérée comme effective et incontournable en tant qu'expression vive de la conscience commune de l'humanité, une « grammaire » 895 capable d'orienter le dialogue sur l'avenir du monde.


437 Le respect universel des principes qui inspirent un « ordre juridique en harmonie avec l'ordre moral » 896 est une condition nécessaire pour la stabilité de la vie internationale. La recherche d'une telle stabilité a favorisé l'élaboration progressive d'un droit des peuples 897(“jus gentium”), qui peut être considéré comme l' « ancêtre du droit international ».898 La réflexion juridique et théologique, ancrée dans le droit naturel, a formulé « des principes universels, qui sont antérieurs et supérieurs au droit interne des États »,899 comme l'unité du genre humain, l'égale dignité de chaque peuple, le refus de la guerre pour régler les différends, l'obligation de coopérer en vue du bien commun, l'exigence de respecter les engagements souscrits (“pacta sunt servanda”). Il faut particulièrement souligner ce dernier principe pour éviter « la tentation de recourir au droit de la force plutôt qu'à la force du droit ».900


438 Pour résoudre les conflits qui surgissent entre les diverses communautés politiques et qui compromettent la stabilité des nations et la sécurité internationale, il est indispensable de se référer à des règles communes issues de la négociation, en renonçant définitivement à l'idée de rechercher la justice par le recours à la guerre: 901 « La guerre peut se terminer sans vainqueurs ni vaincus dans un suicide de l'humanité, et alors il faut répudier la logique qui y conduit, c'est-à-dire l'idée que la lutte pour la destruction de l'adversaire, la contradiction et la guerre même sont des facteurs de progrès et de marche en avant de l'histoire ».902

La Charte des Nations Unies interdit non seulement le recours à la force, mais aussi la menace même de l'utiliser: 903 cette disposition est née de la tragique expérience de la deuxième guerre mondiale. Le Magistère n'avait pas manqué, durant ce conflit, d'identifier certains facteurs indispensables pour édifier un nouvel ordre international: la liberté et l'intégrité territoriale de chaque nation, la protection des droits des minorités, une juste répartition des ressources de la terre, le refus de la guerre et la mise en oeuvre du désarmement, le respect des pactes conclus et la cessation de la persécution religieuse.904


439 Pour consolider la primauté du droit, c'est le principe de la confiance réciproque qui vaut avant tout.905 Dans cette perspective, les instruments normatifs pour la solution pacifique des controverses doivent être repensés de façon à renforcer leur portée et leur caractère obligatoire. Les institutions de négociation, de médiation, de conciliation et d'arbitrage, qui sont l'expression de la légalité internationale, doivent être soutenues par la création d'une « autorité juridique absolument efficace dans un monde pacifique ».906 Des progrès en ce sens permettront à la Communauté internationale de se présenter, non plus comme un simple moment d'agrégation de la vie des États, mais comme une structure où les conflits peuvent être résolus de manière pacifique: « De même qu'à l'intérieur des États (...) le système de la vengeance privée et des représailles a été remplacé par l'autorité de la loi, de même il est maintenant urgent qu'un semblable progrès soit réalisé dans la communauté internationale ».907En définitive, le droit international « doit éviter que prévale la loi du plus fort ».908

III. L'ORGANISATION


DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE


a) La valeur des Organisations internationales


440 L'Église a accompagné le cheminement vers une « communauté » internationale authentique, qui a pris une direction précise avec l'institution, en 1945, de l'Organisation des Nations Unies, laquelle « a contribué notablement à promouvoir le respect de la dignité humaine, la liberté des peuples et l'exigence du développement, préparant ainsi le terrain culturel et institutionnel sur lequel peut être édifiée la paix ».909 La doctrine sociale, en général, considère positivement le rôle des Organisations inter- gouvernementales, en particulier de celles qui oeuvrent dans des secteurs spécifiques,910 tout en exprimant des réserves quand elles affrontent les problèmes de façon incorrecte.911 Le Magistère recommande que l'action des Organismes internationaux réponde aux nécessités humaines dans la vie sociale et dans les milieux importants pour la coexistence pacifique et ordonnée des nations et des peuples.912


441 La sollicitude pour une coexistence ordonnée et pacifique de la famille humaine pousse le Magistère à mettre en relief la nécessité d'instituer « une autorité publique universelle, reconnue par tous, qui jouisse d'une puissance efficace, susceptible d'assurer à tous la sécurité, le respect de la justice et la garantie des droits ».913 Au cours de l'histoire, malgré les changements de perspective des diverses époques, le besoin d'une telle autorité s'est toujours fait sentir pour répondre aux problèmes de dimension mondiale soulevés par la recherche du bien commun. Il est essentiel que cette autorité soit le fruit d'un accord et non d'une imposition, et qu'elle ne soit pas comprise comme « un super-État mondial ».914

Une autorité politique exercée dans le cadre de la Communauté internationale doit être réglementée par le droit, ordonnée au bien commun et respectueuse du principe de subsidiarité: « Il n'appartient pas à l'autorité de la communauté mondiale de limiter l'action que les États exercent dans leur sphère propre, ni de se substituer à eux. Elle doit au contraire tâcher de susciter dans tous les pays du monde des conditions qui facilitent non seulement aux gouvernements mais aussi aux individus et aux corps intermédiaires l'accomplissement de leurs fonctions, l'observation de leurs devoirs et l'usage de leurs droits dans des conditions de plus grande sécurité ».915


442 Une politique internationale tournée vers l'objectif de la paix et du développement grâce à l'adoption de mesures coordonnées 916 est rendue plus que jamais nécessaire par la mondialisation des problèmes. Le Magistère relève que l'interdépendance entre les hommes et entre les nations acquiert une dimension morale et qu'elle détermine les relations dans le monde actuel sous les aspects économique, culturel, politique et religieux. Dans ce contexte, une révision des Organisations internationales est souhaitée — processus qui « suppose que l'on dépasse les rivalités politiques et que l'on renonce à la volonté de se servir de ces Organisations à des fins particulières, alors qu'elles ont pour unique raison d'être le bien commun » 917 — dans le but de parvenir à « un degré supérieur d'organisation à l'échelle internationale ».918

En particulier, les structures inter-gouvernementales doivent exercer efficacement leurs fonctions de contrôle et de guide dans le domaine de l'économie, car la réalisation du bien commun devient un objectif désormais hors de portée des États considérés individuellement, même s'il s'agit d'États dominants en puissance, richesse et force politique.919 Les Organismes internationaux doivent en outre garantir l'égalité qui constitue le fondement du droit de tous à participer au processus de développement intégral, dans le respect des diversités légitimes.920


443 Le Magistère évalue de manière positive le rôle des regroupements qui se sont formés dans la société civile pour accomplir une importante fonction de sensibilisation de l'opinion publique aux différents aspects de la vie inter- nationale, avec une attention particulière au respect des droits de l'homme, comme le révèle « le nombre des associations privées instituées récemment, certaines ayant une dimension mondiale, et presque toutes ayant pour fin de suivre avec un grand soin et une louable objectivité les événements internationaux dans un domaine aussi délicat ».921

Les Gouvernements devraient se sentir encouragés par un tel engagement qui vise à traduire dans la pratique les idéaux qui inspirent la communauté internationale, « en particulier à travers les gestes concrets de solidarité et de paix, accomplis par tant de personnes qui oeuvrent au sein desOrganisations non gouvernementales et dans les Mouvements pour les droits de l'homme ».922


Compendium Doctrine sociale 413