Catéchisme Eglise Cath. 1743

En bref

1743 " Dieu a laissé l’homme à son propre conseil " (Si 15,14) pour qu’il puisse librement adhérer à son Créateur et parvenir ainsi à la bienheureuse perfection (cf. GS 17, § 1).


1744 La liberté est le pouvoir d’agir ou de ne pas agir et de poser ainsi par soi-même des actions délibérées. Elle atteint la perfection de son acte quand elle est ordonnée à Dieu, le souverain Bien.


1745 La liberté caractérise les actes proprement humains. Elle rend l’être humain responsable des actes dont il est volontairement l’auteur. Son agir délibéré lui appartient en propre.


1746 L’imputabilité ou la responsabilité d’une action peut être diminuée ou supprimée par l’ignorance, la violence, la crainte et d’autres facteurs psychiques ou sociaux.


1747 Le droit à l’exercice de la liberté est une exigence inséparable de la dignité de l’homme, notamment en matière religieuse et morale. Mais l’exercice de la liberté n’implique pas le droit supposé de tout dire ni de tout faire.


1748 " C’est pour la liberté que le Christ nous a libérés " (Ga 5,1).

Article 4

La moralité des actes humains


1749 La liberté fait de l’homme un sujet moral. Quand il agit de manière délibérée, l’homme est, pour ainsi dire, le père de ses actes.Les actes humains, c’est-à-dire librement choisis par suite d’un jugement de conscience, sont moralement qualifiables. Ils sont bons ou mauvais.


I. Les sources de la moralité

1750 La moralité des actes humains dépend :

– de l’objet choisi ;

– de la fin visée ou l’intention ;

– des circonstances de l’action.

L’objet, l’intention et les circonstances forment les " sources ", ou éléments constitutifs, de la moralité des actes humains.


1751 L’objet choisi est un bien vers lequel se porte délibérément la volonté. Il est la matière d’un acte humain. L’objet choisi spécifie moralement l’acte du vouloir, selon que la raison le reconnaît et le juge conforme ou non au bien véritable. Les règles objectives de la moralité énoncent l’ordre rationnel du bien et du mal, attesté par la conscience.


1752 Face à l’objet, l’intention se place du côté du sujet agissant. Parce qu’elle se tient à la source volontaire de l’action et la détermine par la fin, l’intention est un élément essentiel dans la qualification morale de l’action. La fin est le terme premier de l’intention et désigne le but poursuivi dans l’action. L’intention est un mouvement de la volonté vers la fin ; elle regarde le terme de l’agir. Elle est la visée du bien attendu de l’action entreprise. Elle ne se limite pas à la direction de nos actions singulières, mais peut ordonner vers un même but des actions multiples ; elle peut orienter toute la vie vers la fin ultime. Par exemple, un service rendu a pour fin d’aider le prochain, mais peut être inspiré en même temps par l’amour de Dieu comme fin ultime de toutes nos actions. Une même action peut aussi être inspirée par plusieurs intentions, comme de rendre service pour obtenir une faveur ou pour en tirer vanité.


1753 Une intention bonne (par exemple : aider le prochain) ne rend ni bon ni juste un comportement en lui-même désordonné (comme le mensonge et la médisance). La fin ne justifie pas les moyens. Ainsi ne peut-on pas justifier la condamnation d’un innocent comme un moyen légitime de sauver le peuple. Par contre, une intention mauvaise surajoutée (ainsi la vaine gloire) rend mauvais un acte qui, de soi, peut être bon (comme l’aumône ; cf. Mt 6,2-4).


1754 Les circonstances, y compris les conséquences, sont les éléments secondaires d’un acte moral. Elles contribuent à aggraver ou à diminuer la bonté ou la malice morale des actes humains (par exemple le montant d’un vol). Elles peuvent aussi atténuer ou augmenter la responsabilité de l’agent (ainsi agir par crainte de la mort). Les circonstances ne peuvent de soi modifier la qualité morale des actes eux-mêmes ; elles ne peuvent rendre ni bonne, ni juste une action en elle-même mauvaise.


II. Les actes bons et les actes mauvais

1755 L’acte moralement bon suppose à la fois la bonté de l’objet, de la fin et des circonstances. Une fin mauvaise corrompt l’action, même si son objet est bon en soi (comme de prier et de jeûner " pour être vu des hommes ").

L’objet du choix peut à lui seul vicier l’ensemble d’un agir. Il y a des comportements concrets – comme la fornication – qu’il est toujours erroné de choisir, parce que leur choix comporte un désordre de la volonté, c’est-à-dire un mal moral.


1756 Il est donc erroné de juger de la moralité des actes humains en ne considérant que l’intention qui les inspire, ou les circonstances (milieu, pression sociale, contrainte ou nécessité d’agir, etc.) qui en sont le cadre. Il y a des actes qui par eux-mêmes et en eux-mêmes, indépendamment des circonstances et des intentions, sont toujours gravement illicites en raison de leur objet ; ainsi le blasphème et le parjure, l’homicide et l’adultère. Il n’est pas permis de faire le mal pour qu’il en résulte un bien.


En bref

1757 L’objet, l’intention et les circonstances constituent les trois " sources " de la moralité des actes humains.


1758 L’objet choisi spécifie moralement l’acte du vouloir selon que la raison le reconnaît et le juge bon ou mauvais.


1759 " On ne peut justifier une action mauvaise faite avec une bonne intention " (S. Thomas d’A., dec. praec. 6). La fin ne justifie pas les moyens.


1760 L’acte moralement bon suppose à la fois la bonté de l’objet, de la fin et des circonstances.


1761 Il y a des comportements concrets qu’il est toujours erroné de choisir parce que leur choix comporte un désordre de la volonté, c’est-à-dire un mal moral. Il n’est pas permis de faire le mal pour qu’il en résulte un bien.

Article 5

La moralité des passions


1762 La personne humaine s’ordonne à la béatitude par ses actes délibérés : les passions ou sentiments qu’elle éprouve peuvent l’y disposer et y contribuer.


I. Les Passions

1763 Le terme de " passions " appartient au patrimoine chrétien. Les sentiments ou passions désignent les émotions ou mouvements de la sensibilité, qui inclinent à agir ou à ne pas agir en vue de ce qui est ressenti ou imaginé comme bon ou comme mauvais.


1764 Les passions sont des composantes naturelles du psychisme humain, elles forment le lieu de passage et assurent le lien entre la vie sensible et la vie de l’esprit. Notre Seigneur désigne le coeur de l’homme comme la source d’où jaillit le mouvement des passions (cf. Mc 7,21).


1765 Les passions sont nombreuses. La passion la plus fondamentale est l’amour provoqué par l’attrait du bien. L’amour cause le désir du bien absent et l’espoir de l’obtenir. Ce mouvement s’achève dans le plaisir et la joie du bien possédé. L’appréhension du mal cause la haine, l’aversion et la crainte du mal à venir. Ce mouvement s’achève dans la tristesse du mal présent ou la colère qui s’y oppose.


1766 " Aimer, c’est vouloir du bien à quelqu’un " (S. Thomas d’A., s. th. II-II 26,4). Toutes les autres affections ont leur source dans ce mouvement originel du coeur de l’homme vers le bien. Il n’y a que le bien qui soit aimé (cf. S. Augustin, Trin. 8, 3, 4). " Les passions sont mauvaises si l’amour est mauvais, bonnes s’il est bon " (S. Augustin, CIV 14,7).


II. Passions et vie morale

1767 En elles-mêmes, les passions ne sont ni bonnes ni mauvaises. Elles ne reçoivent de qualification morale que dans la mesure où elles relèvent effectivement de la raison et de la volonté. Les passions sont dites volontaires, " ou bien parce qu’elles sont commandées par la volonté, ou bien parce que la volonté n’y fait pas obstacle " (S. Thomas d’A., s. th. II-II 24,1). Il appartient à la perfection du bien moral ou humain que les passions soient réglées par la raison (cf. s. th. II-II 24,3).


1768 Les grands sentiments ne décident ni de la moralité, ni de la sainteté des personnes ; ils sont le réservoir inépuisable des images et des affections où s’exprime la vie morale. Les passions sont moralement bonnes quand elles contribuent à une action bonne, et mauvaises dans le cas contraire. La volonté droite ordonne au bien et à la béatitude les mouvements sensibles qu’elle assume ; la volonté mauvaise succombe aux passions désordonnées et les exacerbe. Les émotions et sentiments peuvent être assumés dans les vertus, ou pervertis dans les vices.


1769 Dans la vie chrétienne, l’Esprit Saint lui-même accomplit son oeuvre en mobilisant l’être tout entier y compris ses douleurs, craintes et tristesses, comme il apparaît dans l’Agonie et la Passion du Seigneur. Dans le Christ, les sentiments humains peuvent recevoir leur consommation dans la charité et la béatitude divine.


1770 La perfection morale est que l’homme ne soit pas mû au bien par sa volonté seulement, mais aussi par son appétit sensible selon cette parole du Psaume : " Mon coeur et ma chair crient de joie vers le Dieu vivant " (Ps 84,3).


En bref

1771 Le terme " passions " désigne les affections ou les sentiments. A travers ses émotions, l’homme pressent le bien et soupçonne le mal.


1772 Les principales passions sont l’amour et la haine, le désir et la crainte, la joie, la tristesse et la colère.


1773 Dans les passions comme mouvements de la sensibilité, il n’y a ni bien ni mal moral. Mais selon qu’elles relèvent ou non de la raison et de la volonté, il y a en elles bien ou mal moral.


1774 Les émotions et les sentiments peuvent être assumés dans les vertus, ou pervertis dans les vices.


1775 La perfection du bien moral est que l’homme ne soit pas mû au bien par sa seule volonté mais aussi par son " coeur ".

Article 6

La conscience morale


1776 " Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir. Cette voix qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal, au moment opportun résonne dans l’intimité de son coeur ... C’est une loi inscrite par Dieu au coeur de l’homme. La conscience est le centre le plus intime et le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre " (GS 16).


I. Le jugement de conscience

1777 Présente au coeur de la personne, la conscience morale (cf. Rm 2,14-16), lui enjoint, au moment opportun, d’accomplir le bien et d’éviter le mal. Elle juge aussi les choix concrets, approuvant ceux qui sont bons, dénonçant ceux qui sont mauvais (cf. Rm 1,32). Elle atteste l’autorité de la vérité en référence au Bien suprême dont la personne humaine reçoit l’attirance et accueille les commandements. Quand il écoute la conscience morale, l’homme prudent peut entendre Dieu qui parle.


1778 La conscience morale est un jugement de la raison par lequel la personne humaine reconnaît la qualité morale d’un acte concret qu’elle va poser, est en train d’exécuter ou a accompli. En tout ce qu’il dit et fait, l’homme est tenu de suivre fidèlement ce qu’il sait être juste et droit. C’est par le jugement de sa conscience que l’homme perçoit et reconnaît les prescriptions de la loi divine :

La conscience est une loi de notre esprit, mais qui dépasse notre esprit, qui nous fait des injonctions, qui signifie responsabilité et devoir, crainte et espérance ... Elle est la messagère de Celui qui, dans le monde de la nature comme dans celui de la grâce, nous parle à travers le voile, nous instruit et nous gouverne. La conscience est le premier de tous les vicaires du Christ (Newman, lettre au Duc de Norfolk 5).


1779 Il importe à chacun d’être assez présent à lui-même pour entendre et suivre la voix de sa conscience. Cette requête d’intériorité est d’autant plus nécessaire que la vie nous expose souvent à nous soustraire à toute réflexion, examen ou retour sur soi :

Fais retour à ta conscience, interroge-la ... Retournez, frères, à l’intérieur et en tout ce que vous faites, regardez le Témoin, Dieu (S. Augustin, ep. Jo. 8, 9).


1780 La dignité de la personne humaine implique et exige la rectitude de la conscience morale. La conscience morale comprend la perception des principes de la moralité (" syndérèse "), leur application dans les circonstances données par un discernement pratique des raisons et des biens et, en conclusion, le jugement porté sur les actes concrets à poser ou déjà posés. La vérité sur le bien moral, déclarée dans la loi de la raison, est reconnue pratiquement et concrètement par le jugement prudent de la conscience. On appelle prudent l’homme qui choisit conformément à ce jugement.


1781 La conscience permet d’assumer la responsabilité des actes posés. Si l’homme commet le mal, le juste jugement de la conscience peut demeurer en lui le témoin de la vérité universelle du bien, en même temps que de la malice de son choix singulier. Le verdict du jugement de conscience demeure un gage d’espérance et de miséricorde. En attestant la faute commise, il rappelle le pardon à demander, le bien à pratiquer encore et la vertu à cultiver sans cesse avec la grâce de Dieu :

Devant Lui, nous apaisons notre coeur, parce que, si notre coeur nous condamne, Dieu est plus grand que notre coeur et il connaît tout (
1Jn 3,19-20).


1782 L’homme a le droit d’agir en conscience et en liberté afin de prendre personnellement les décisions morales. " L’homme ne doit pas être contraint d’agir contre sa conscience. Mais il ne doit pas être empêché non plus d’agir selon sa conscience, surtout en matière religieuse " (DH 3).


II. La formation de la conscience

1783 La conscience doit être informée et le jugement moral éclairé. Une conscience bien formée est droite et véridique. Elle formule ses jugements suivant la raison, conformément au bien véritable voulu par la sagesse du Créateur. L’éducation de la conscience est indispensable à des êtres humains soumis à des influences négatives et tentés par le péché de préférer leur jugement propre et de récuser les enseignements autorisés.


1784 L’éducation de la conscience est une tâche de toute la vie. Dès les premières années, elle éveille l’enfant à la connaissance et à la pratique de la loi intérieure reconnue par la conscience morale. Une éducation prudente enseigne la vertu ; elle préserve ou guérit de la peur, de l’égoïsme et de l’orgueil, des ressentiments de la culpabilité et des mouvements de complaisance, nés de la faiblesse et des fautes humaines. L’éducation de la conscience garantit la liberté et engendre la paix du coeur.


1785 Dans la formation de la conscience la Parole de Dieu est la lumière sur notre route ; il nous faut l’assimiler dans la foi et la prière, et la mettre en pratique. Il nous faut encore examiner notre conscience au regard de la Croix du Seigneur. Nous sommes assistés des dons de l’Esprit Saint, aidés par le témoignage ou les conseils d’autrui et guidés par l’enseignement autorisé de l’Église (cf. DH DH 14).


III. Les choix de la conscience

1786 Mise en présence d’un choix moral, la conscience peut porter soit un jugement droit en accord avec la raison et avec la loi divine, soit au contraire, un jugement erroné qui s’en éloigne.


1787 L’homme est quelquefois affronté à des situations qui rendent le jugement moral moins assuré et la décision difficile. Mais il doit toujours rechercher ce qui est juste et bon et discerner la volonté de Dieu exprimée dans la loi divine.


1788 A cet effet, l’homme s’efforce d’interpréter les données de l’expérience et les signes des temps grâce à la vertu de prudence, aux conseils des personnes avisées et à l’aide de l’Esprit Saint et de ses dons.


1789 Quelques règles s’appliquent dans tous les cas :

– Il n’est jamais permis de faire le mal pour qu’il en résulte un bien.

– La " règle d’or " : " Tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux " (
Mt 7,12 cf. Lc 6,31 Tb 4,15).

– La charité passe toujours par le respect du prochain et de sa conscience : " En parlant contre les frères et en blessant leur conscience ..., c’est contre le Christ que vous péchez " (1Co 8,12). " Ce qui est bien, c’est de s’abstenir... de tout ce qui fait buter ou tomber ou faiblir ton frère " (Rm 14,21).


IV. le jugement erroné

1790 L’être humain doit toujours obéir au jugement certain de sa conscience. S’il agissait délibérément contre ce dernier, il se condamnerait lui-même. Mais il arrive que la conscience morale soit dans l’ignorance et porte des jugements erronés sur des actes à poser ou déjà commis.


1791 Cette ignorance peut souvent être imputée à la responsabilité personnelle. Il en va ainsi, " lorsque l’homme se soucie peu de rechercher le vrai et le bien et lorsque l’habitude du péché rend peu à peu la conscience presque aveugle " (GS 16). En ces cas, la personne est coupable du mal qu’elle commet.


1792 L’ignorance du Christ et de son Évangile, les mauvais exemples donnés par autrui, la servitude des passions, la prétention à une autonomie mal entendue de la conscience, le refus de l’autorité de l’Église et de son enseignement, le manque de conversion et de charité peuvent être à l’origine des déviations du jugement dans la conduite morale.


1793 Si – au contraire – l’ignorance est invincible, ou le jugement erroné sans responsabilité du sujet moral, le mal commis par la personne ne peut lui être imputé. Il n’en demeure pas moins un mal, une privation, un désordre. Il faut donc travailler à corriger la conscience morale de ses erreurs.


1794 La conscience bonne et pure est éclairée par la foi véritable. Car la charité procède en même temps " d’un coeur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sans détours " (1Tm 1,5 cf. 1Tm 3,9 2Tm 1,3 1P 3,21 Ac 24,16) :

Plus la conscience droite l’emporte, plus les personnes et les groupes s’éloignent d’une décision aveugle et tendent à se conformer aux règles objectives de la moralité (GS 16).


En bref

1795 " La conscience est le centre le plus intime et le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est le seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre " (GS 16).


1796 La conscience morale est un jugement de la raison par lequel la personne humaine reconnaît la qualité morale d’un acte concret.


1797 Pour l’homme qui a commis le mal, le verdict de sa conscience demeure un gage de conversion et d’espérance.


1798 Une conscience bien formée est droite et véridique. Elle formule ses jugements suivant la raison, conformément au bien véritable voulu par la sagesse du Créateur. Chacun doit prendre les moyens de former sa conscience.


1799 Mise en présence d’un choix moral, la conscience peut porter soit un jugement droit en accord avec la raison et avec la loi divine, soit au contraire, un jugement erroné qui s’en éloigne.


1800 L’être humain doit toujours obéir au jugement certain de sa conscience.


1801 La conscience morale peut rester dans l’ignorance ou porter des jugements erronés. Ces ignorances et ces erreurs ne sont pas toujours exemptes de culpabilité.


1802 La Parole de Dieu est une lumière sur nos pas. Il nous faut l’assimiler dans la foi et dans la prière, et la mettre en pratique. Ainsi se forme la conscience morale.

Article 7

Les vertus


1803 " Tout ce qui est vrai, tout ce qui est digne, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, tout ce qui a bon renom, s’il est quelque vertu et s’il est quelque chose de louable, que ce soit pour vous ce qui compte " (Ph 4,8).

La vertu est une disposition habituelle et ferme à faire le bien. Elle permet à la personne, non seulement d’accomplir des actes bons, mais de donner le meilleur d’elle-même. De toutes ses forces sensibles et spirituelles, la personne vertueuse tend vers le bien ; elle le poursuit et le choisit en des actions concrètes.

Le but d’une vie vertueuse consiste à devenir semblable à Dieu (S. Grégoire de Nysse, beat. 1 : PG 44, 1200D).


I. Les vertus humaines

1804 Les vertus humaines sont des attitudes fermes, des dispositions stables, des perfections habituelles de l’intelligence et de la volonté qui règlent nos actes, ordonnent nos passions et guident notre conduite selon la raison et la foi. Elles procurent facilité, maîtrise et joie pour mener une vie moralement bonne. L’homme vertueux, c’est celui qui librement pratique le bien.

Les vertus morales sont humainement acquises. Elles sont les fruits et les germes des actes moralement bons ; elles disposent toutes les puissances de l’être humain à communier à l’amour divin.



Distinction des vertus cardinales

1805 Quatre vertus jouent un rôle charnière. Pour cette raison on les appelle " cardinales " ; toutes les autres se regroupent autour d’elles. Ce sont : la prudence, la justice, la force et la tempérance. " Aime-t-on la rectitude ? Les vertus sont les fruits de ses travaux, car elle enseigne tempérance et prudence, justice et courage " (Sg 8,7). Sous d’autres noms, ces vertus sont louées dans de nombreux passages de l’Écriture.


1806 La prudence est la vertu qui dispose la raison pratique à discerner en toute circonstance notre véritable bien et à choisir les justes moyens de l’accomplir. " L’homme avisé surveille ses pas " (Pr 14,15). " Soyez sages et sobres en vue de la prière " (1P 4,7). La prudence est la " droite règle de l’action ", écrit saint Thomas (s. th. II-II 47,2) après Aristote. Elle ne se confond ni avec la timidité ou la peur, ni avec la duplicité ou la dissimulation. Elle est dite auriga virtutum : elle conduit les autres vertus en leur indiquant règle et mesure. C’est la prudence qui guide immédiatement le jugement de conscience. L’homme prudent décide et ordonne sa conduite suivant ce jugement. Grâce à cette vertu, nous appliquons sans erreur les principes moraux aux cas particuliers et nous surmontons les doutes sur le bien à accomplir et le mal à éviter.


1807 La justice est la vertu morale qui consiste dans la constante et ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui leur est dû. La justice envers Dieu est appelée " vertu de religion ". Envers les hommes, elle dispose à respecter les droits de chacun et à établir dans les relations humaines l’harmonie qui promeut l’équité à l’égard des personnes et du bien commun. L’homme juste, souvent évoqué dans les Livres saints, se distingue par la droiture habituelle de ses pensées et la rectitude de sa conduite envers le prochain. " Tu n’auras ni faveur pour le petit, ni complaisance pour le grand ; c’est avec justice que tu jugeras ton prochain " (Lv 19,15). " Maîtres, accordez à vos esclaves le juste et l’équitable, sachant que, vous aussi, vous avez un Maître au ciel " (Col 4,1).


1808 La force est la vertu morale qui assure dans les difficultés la fermeté et la constance dans la poursuite du bien. Elle affermit la résolution de résister aux tentations et de surmonter les obstacles dans la vie morale. La vertu de force rend capable de vaincre la peur, même de la mort, d’affronter l’épreuve et les persécutions. Elle dispose à aller jusqu’au renoncement et au sacrifice de sa vie pour défendre une juste cause. " Ma force et mon chant, c’est le Seigneur " (Ps 118,14). " Dans le monde, vous aurez de l’affliction, mais courage, moi j’ai vaincu le monde " (Jn 16,33).


1809 La tempérance est la vertu morale qui modère l’attrait des plaisirs et procure l’équilibre dans l’usage des biens créés. Elle assure la maîtrise de la volonté sur les instincts et maintient les désirs dans les limites de l’honnêteté. La personne tempérante oriente vers le bien ses appétits sensibles, garde une saine discrétion et " ne se laisse pas entraîner pour suivre les passions de son coeur " (Si 5,2 cf. Si 37,27-31). La tempérance est souvent louée dans l’Ancien Testament : " Ne te laisse pas aller à tes convoitises, réprime tes appétits " (Si 18,30). Dans le Nouveau Testament, elle est appelée " modération " ou " sobriété ". Nous devons " vivre avec modération, justice et piété dans le monde présent " (Tt 2,12).

Bien vivre n’est autre chose qu’aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de tout son agir. On Lui conserve un amour entier (par la tempérance) que nul malheur ne peut ébranler (ce qui relève de la force), qui n’obéit qu’à Lui seul (et ceci est la justice), qui veille pour discerner toutes choses de peur de se laisser surprendre par la ruse et le mensonge (et ceci est la prudence) (S. Augustin, mor. eccl. Qo 1, 25, 46 : PL 32, 1330-1331).


Les vertus et la grâce

1810 Les vertus humaines acquises par l’éducation, par des actes délibérés et par une persévérance toujours reprise dans l’effort, sont purifiées et élevées par la grâce divine. Avec l’aide de Dieu, elles forgent le caractère et donnent aisance dans la pratique du bien. L’homme vertueux est heureux de les pratiquer.


1811 Il n’est pas facile pour l’homme blessé par le péché de garder l’équilibre moral. Le don du salut par le Christ nous accorde la grâce nécessaire pour persévérer dans la recherche des vertus. Chacun doit toujours demander cette grâce de lumière et de force, recourir aux sacrements, coopérer avec le Saint-Esprit, suivre ses appels à aimer le bien et à se garder du mal.


II. Les vertus théologales

1812 Les vertus humaines s’enracinent dans les vertus théologales qui adaptent les facultés de l’homme à la participation de la nature divine (cf. 2P 1,4). Car les vertus théologales se réfèrent directement à Dieu. Elles disposent les chrétiens à vivre en relation avec la Sainte Trinité. Elles ont Dieu Un et Trine pour origine, pour motif et pour objet.


1813 Les vertus théologales fondent, animent et caractérisent l’agir moral du chrétien. Elles informent et vivifient toutes les vertus morales. Elles sont infusées par Dieu dans l’âme des fidèles pour les rendre capables d’agir comme ses enfants et de mériter la vie éternelle. Elles sont le gage de la présence et de l’action du Saint Esprit dans les facultés de l’être humain. Il y a trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité (cf. 1Co 13,13).


La foi

1814 La foi est la vertu théologale par laquelle nous croyons en Dieu et à tout ce qu’Il nous a dit et révélé, et que la Sainte Église nous propose à croire, parce qu’Il est la vérité même. Par la foi " l’homme s’en remet tout entier librement à Dieu " (DV 5). C’est pourquoi le croyant cherche à connaître et à faire la volonté de Dieu. " Le juste vivra de la foi " (Rm 1,17). La foi vivante " agit par la charité " (Ga 5,6).


1815 Le don de la foi demeure en celui qui n’a pas péché contre elle (cf. Cc. Trente : DS 1545). Mais " sans les oeuvres, la foi est morte " (Jc 2,26) : privée de l’espérance et de l’amour, la foi n’unit pas pleinement le fidèle au Christ et n’en fait pas un membre vivant de son Corps.


1816 Le disciple du Christ ne doit pas seulement garder la foi et en vivre, mais encore la professer, en témoigner avec assurance et la répandre : " Tous doivent être prêts à confesser le Christ devant les hommes et à le suivre sur le chemin de la Croix, au milieu des persécutions qui ne manquent jamais à l’Église " (LG 42 cf. DH DH 14). Le service et le témoignage de la foi sont requis pour le Salut : " Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai, moi aussi, pour lui devant mon Père qui est aux cieux ; mais celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai, moi aussi, devant mon Père qui est aux cieux " (Mt 10,32-33).


L’espérance

1817 L’espérance est la vertu théologale par laquelle nous désirons comme notre bonheur le Royaume des cieux et la Vie éternelle, en mettant notre confiance dans les promesses du Christ et en prenant appui, non sur nos forces, mais sur le secours de la grâce du Saint-Esprit. " Gardons indéfectible la confession de l’espérance, car celui qui a promis est fidèle " (He 10,23). " Cet Esprit, il l’a répandu sur nous à profusion, par Jésus Christ notre Sauveur, afin que, justifiés par la grâce du Christ, nous obtenions en espérance l’héritage de la vie éternelle " (Tt 3,6-7).


1818 La vertu d’espérance répond à l’aspiration au bonheur placée par Dieu dans le coeur de tout homme ; elle assume les espoirs qui inspirent les activités des hommes ; elle les purifie pour les ordonner au Royaume des cieux ; elle protège du découragement ; elle soutient en tout délaissement ; elle dilate le coeur dans l’attente de la béatitude éternelle. L’élan de l’espérance préserve de l’égoïsme et conduit au bonheur de la charité.


1819 L’espérance chrétienne reprend et accomplit l’espérance du peuple élu qui trouve son origine et son modèle dans l’espérance d’Abraham comblé en Isaac des promesses de Dieu et purifié par l’épreuve du sacrifice (cf. Gn 17,4-8 Gn 22,1-18). " Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi père d’une multitude de peuples " (Rm 4,18).


1820 L’espérance chrétienne se déploie dès le début de la prédication de Jésus dans l’annonce des béatitudes. Les béatitudes élèvent notre espérance vers le Ciel comme vers la nouvelle Terre promise ; elles en tracent le chemin à travers les épreuves qui attendent les disciples de Jésus. Mais par les mérites de Jésus Christ et de sa passion, Dieu nous garde dans " l’espérance qui ne déçoit pas " (Rm 5,5). L’espérance est " l’ancre de l’âme ", sûre et ferme, " qui pénètre ... là où est entré pour nous, en précurseur, Jésus " (He 6,19-20). Elle est aussi une arme qui nous protège dans le combat du salut : " Revêtons la cuirasse de la foi et de la charité, avec le casque de l’espérance du salut " (1Th 5,8). Elle nous procure la joie dans l’épreuve même : " avec la joie de l’espérance, constants dans la tribulation " (Rm 12,12). Elle s’exprime et se nourrit dans la prière, tout particulièrement dans celle du Pater, résumé de tout ce que l’espérance nous fait désirer.


1821 Nous pouvons donc espérer la gloire du ciel promise par Dieu à ceux qui l’aiment (cf. Rm 8,28-30) et font sa volonté (cf. Mt 7,21). En toute circonstance, chacun doit espérer, avec la grâce de Dieu, " persévérer jusqu’à la fin " (cf. Mt 10,22 cf. Cc. Trente : DS 1541) et obtenir la joie du ciel, comme l’éternelle récompense de Dieu pour les bonnes oeuvres accomplies avec la grâce du Christ. Dans l’espérance l’Église prie que " tous les hommes soient sauvés " (1Tm 2,4). Elle aspire à être, dans la gloire du ciel, unie au Christ, son Epoux :

Espère, ô mon âme, espère. Tu ignores le jour et l’heure. Veille soigneusement, tout passe avec rapidité, quoique ton impatience rende douteux ce qui est certain, et long un temps bien court. Songe que plus tu combattras, plus tu prouveras l’amour que tu portes à ton Dieu, et plus tu te réjouiras un jour avec ton Bien-Aimé, dans un bonheur et un ravissement qui ne pourront jamais finir (Ste. Thérèse de Jésus, excl. 15, 3).


La charité

1822 La charité est la vertu théologale par laquelle nous aimons Dieu par-dessus toute chose pour Lui-même, et notre prochain comme nous-mêmes pour l’amour de Dieu.


1823 Jésus fait de la charité le commandement nouveau (cf. Jn 13,34). En aimant les siens " jusqu’à la fin " (Jn 13,1), il manifeste l’amour du Père qu’il reçoit. En s’aimant les uns les autres, les disciples imitent l’amour de Jésus qu’ils reçoivent aussi en eux. C’est pourquoi Jésus dit : " Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour " (Jn 15,9). Et encore : " Voici mon commandement : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés " (Jn 15,12).


1824 Fruit de l’Esprit et plénitude de la loi, la charité garde les commandements de Dieu et de son Christ : " Demeurez en mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour " (Jn 15,9-10 cf. Mt 22,40 Rm 13,8-10).


1825 Le Christ est mort par amour pour nous alors que nous étions encore " ennemis " (Rm 5,10). Le Seigneur nous demande d’aimer comme Lui jusqu’à nos ennemis(Mt 5,44), de nous faire le prochain du plus lointain (cf. Lc 10,27-37), d’aimer les enfants (cf. Mc 9,37) et les pauvres comme Lui-même (cf. Mt 25,40 Mt 25,45).

L’apôtre saint Paul a donné un incomparable tableau de la charité : " La charité prend patience, la charité rend service, elle ne jalouse pas, elle ne plastronne pas, elle ne s’enfle pas d’orgueil, elle ne fait rien de laid, elle ne cherche pas son intérêt, elle ne s’irrite pas, elle n’entretient pas de rancune, elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle trouve sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, elle croit tout, elle espère tout, elle endure tout " (1Co 13,4-7).


1826 " Sans la charité, dit encore l’Apôtre, je ne suis rien ... ". Et tout ce qui est privilège, service, vertu même ... " sans la charité, cela ne me sert de rien " (1Co 13,1-4). La charité est supérieure à toutes les vertus. Elle est la première des vertus théologales : " Les trois demeurent : la foi, l’espérance et la charité. Mais la charité est la plus grande " (1Co 13,13).


1827 L’exercice de toutes les vertus est animé et inspiré par la charité. Celle-ci est le " lien de la perfection " (Col 3,14) ; elle est la forme des vertus ; elle les articule et les ordonne entre elles ; elle est source et terme de leur pratique chrétienne. La charité assure et purifie notre puissance humaine d’aimer. Elle l’élève à la perfection surnaturelle de l’amour divin.


1828 La pratique de la vie morale animée par la charité donne au chrétien la liberté spirituelle des enfants de Dieu. Il ne se tient plus devant Dieu comme un esclave, dans la crainte servile, ni comme le mercenaire en quête de salaire, mais comme un fils qui répond à l’amour de " celui qui nous a aimés le premier " (1Jn 4,19) :

Ou bien nous nous détournons du mal par crainte du châtiment, et nous sommes dans la disposition de l’esclave. Ou bien nous poursuivons l’appât de la récompense et nous ressemblons aux mercenaires. Ou enfin c’est pour le bien lui-même et l’amour de celui qui commande que nous obéissons ... et nous sommes alors dans la disposition des enfants (S. Basile, reg. fus. prol. 3 : PG 31, 896B).


1829 La charité a pour fruits la joie, la paix et la miséricorde ; elle exige la bienfaisance et la correction fraternelle ; elle est bienveillance ; elle suscite la réciprocité, demeure désintéressée et libérale ; elle est amitié et communion :

L’achèvement de toutes nos oeuvres, c’est la dilection. Là est la fin ; c’est pour l’obtenir que nous courons, c’est vers elle que nous courons ; une fois arrivés, c’est en elle que nous nous reposerons (S. Augustin, ep. Jo. 10, 4).




Catéchisme Eglise Cath. 1743