Chrysostome 2 Discours (t4) 106

106 6. A ceux qui ont l'esprit droit il suffit, même avant toute autre démonstration, de la seine parole de Dieu pour les tenir assurés non-seulement de sa providence, mais encore de l'amour extraordinaire qu'il nous porte. Car. il ne veille pas seulement sur nous : il nous aime, et nous aime d'un grand, d'un immense amour, d'un amour exempt, il est vrai, de passion; mais toutefois très-ardent, très-vif, .très-sincère, qui ne peut avoir de fin, que rien ne peut éteindre. Pour nous le faire comprendre, le livre saint, empruntant ses comparaisons à la vie humaine, nous offre un grand nombre d'exemples d'amour, de prévoyance et de sollicitude. Il ne veut pas que nous nous arrêtions seulement sur les exemples, mais que nous les dépassions par la pensée. Car, si l’Ecriture les offre à notre esprit, ce n'est pas qu'ils suffisent à rendre tout l'amour de Dieu, mais qu'étant connus de ceux à qui elle les adresse, ils sont par là plus propres que tout le reste à nous en donner une idée. En voici une preuve : Répondant à ceux qui se lamentaient, gémissaient et disaient : Le Seigneur m'a abandonné, le Dieu d'Israël m'a oublié, le Prophète leur avait aussitôt adressé ces paroles : Une femme peut-elle oublier son enfant et n'avoir pas compassion du fruit de ses (360) entrailles? (Is 49,14) C'est-à-dire : de même qu'une femme ne peut oublier ses enfants, ainsi Dieu ne peut oublier le genre. humain. Mais tu vas comprendre que le Prophète n'a pas voulu nous montrer, par cette comparaison, que telle est la mesure de l'amour d'une mère pour le fruit de ses entrailles, telle est la mesure de l'amour de Dieu pour. les hommes. S'il a choisi cet, exemple, c'est uniquement parce que l'amour maternel, bien que l'amour divin soit de beaucoup plus vif encore, est-ce que nous connaissons de plus grand dans les affections humaines. Aussi a-t-il ajouté Mais quand même la mère oublierait son enfant, moi pourtant je ne t'oublierai pas, dit le Seigneur. Ne vois-tu pas que son amour surpasse celui d'une mère? Pour te faire Noir que cet amour laisse bien loin derrière lui la tendresse maternelle et l'affection d'un père pour ses fils, le Prophète dit : De même qu'un père a une compassion pleine de tendresse pour ses enfants, ainsi le Seigneur est touché de compassion pour ceux qui le craignent. (Ps 102,13) Il reproduit encore une fois sa comparaison, car il sait qu'elle est plus frappante que toutes les autres.

Mais écoute le Maître de tous les prophètes et de tous les humains : voulant montrer que la sollicitude de Dieu pour nous dépasse de beaucoup celle d'un père, et qu’autant il y a de différence entre la lumière et les ténèbres; entre la bonté et là méchanceté, autant il y en a entre l'amour de ce Dieu provident et la tendresse paternelle, il dit : Quel est celui d'entre vous qui donnera une pierre à son fils, s'il lui demande du plein ? et s'il lui demande du poisson, lui donnera-t-il un serpent? Si donc vous, qui êtes mauvais, savez bien donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père, qui est dans les cieux, donnera-t-il des biens à ceux qui les lui demandent? (Mt 7,7) Il montre par là qu'autant il y a de différence entre la bonté et la méchanceté, autant il y en a entre l'amour de Dieu et l'affection d'un père. J'ai rapporté ces exemples, afin que, si par la suite je vous offre de nouvelles comparaisons, vous ne vous terriez pas renfermés dans les limites du sens exprimé par les prophètes, mais que, suivant mon précepte, vous. alliez outre par la pensée, et que vous vous fassiez une idée de la grandeur inexprimable d'un tel amour. Car il ne peut être contenu dans les limites d'aucune affection humaine : mais il dépasse, il laisse derrière soi les bornes de la matière, et nous propose encore, pour se faire comprendre de nous, de nouveaux exemples. Ainsi agit ed effet celui qui aime : il veut montrer, de mille manières, sa tendresse à l'objet qui l'inspire, C'est ce que Dieu fait ici, en faisant entrer dans ses comparaisons tous les exemples éclatants d'amour, non pas, je le répète, pour que tu puisses mesurer par là toute la grandeur de sa bonté, mais parce que les exemples dont il se sert sont les plus frappants entre tous ceux que connaissent ceux à qui il s'adresse. Il dit par la bouche de David : Autant que le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant a-t-il affermi la grandeur de sa miséricorde sur ceux qui ie craignent: et, autant que l'orient est éloigné du couchant, autant il a éloigné de nous nos iniquités. (Ps 102,11) Il dit par la bouche d'Isaïe : Mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes voies ne sont pas vos voies; mais, autant que les cieux sont élevés par-dessus la terre, autant mes voies sont élevées par-dessus vus voies, et mes pensées par dessus vos pensées. (Is 55,8-9) Il parle ainsi parce qu'auparavant il a dit, touchant la rémission des péchés : Je vous remettrai en abondance vos iniquités. (Is 7) C'est pour montrer tout le sens qu'il attachait à ce mot : abondamment, qu'il introduisait ensuite la comparaison que nous avons rapportée. Mais tout cela ne lui suffit pas, et voici qu'il se sert d'une image encore plus grossière : car il dit par le prophète Osée: Comment te traiterai-je, ô Ephraïm? comment te traiterai-je, ô Israël ? Vous abandonnerai-je comme Adama, et vous exterminerai-je comme Seboïm ? Mon coeur s'est retourné sur lui-même, il est agité de trouble et de repentir. (Os 11,8) C'est comme s'il disait : Je n'ai pas eu le courage de prononcer même une parole de menace ; non pour que tu te figures qu'il y a en lui quelque chose d'humain, loin de toi cette pensée, mais pour que tu apprennes, par cette comparaison grossière, que l'amour qu'il a pour nous est l'amour qui convient à Dieu, qu'il est sincère, qu'il ne peut avoir de fin. Car de même qu'un homme épris d'amour ne voudrait pas blesser, même en paroles, l’objet de sa tendresse, ainsi, Dieu lui-même nous dit : Par cela que je t'ai blessé en paroles, mon coeur s'est retourné sur lui-même. Ainsi il ne dédaigne, pas d'employer de grossières images pour montrer son amour, et cela (361) même est d'un amour extrême. Mais il ne s'arrête pas là, il va plus loin, et se servant d'une comparaison encore plus grossière, il dit : La joie que le jeune époux trouve en sa jeune épouse, le Seigneur (1) la trouvera en vous. (Is 62,5) Parce que c'est dans leurs commencements que les affections sont les plus vives, les plus ardentes, les plus enflammées. Il parle ainsi, non pas pour que tu t'imagines qu'il y a en lui rien d'humain (car je ne cesserai pas de te le répéter), mais pour que tu connaisses ainsi toute la chaleur, toute la sincérité, toute la vivacité, toute l'ardeur de son amour. Ensuite il ajoute qu'il aime comme un père et plus qu'un père, comme une mère et plus qu'une mère, comme un jeune époux et plus qu'un jeune époux, et qu'il surpasse la tendresse d'un. jeune époux d'autant que le ciel est élevé au-dessus de la terre, et plus que cela encore, d'autant que l'orient est éloigné de l'occident, et plus que cela encore. Il ne s'arrête pas même là dans ses comparaisons, il va plus loin et se sert d'un exemple plus grossier encore.

1 D'autres lisent le Christ.

Car, comme Jonas, après sa fuite et la réconciliation de Dieu avec les habitants de Ninive, voyait que ses menaces restaient sans effet, et que, sombre, inquiet, hors de lui, il cédait à l'infirmité de la nature humaine, le Seigneur ordonna au soleil de donner plus d'ardeur à la flamme de ses rayons, ensuite il commanda à la terre de produire sur l'heure une coloquinte gigantesque qui pût ombrager la tête du prophète ; par ce moyen il ranima ses membres et mit fin à ses maux, puis il l'affligea en faisant disparaître la plante qui le couvrait, et lorsqu'il l'eut vu ainsi raffermi et abattu tour à tour, écoutez ce qu'il lui dit: Tu voudrais qu'on eût épargné la coloquinte pour laquelle tu n'as pas travaillé et que tu n'as pas fait croître ; et moi je n'épargnerais pas Ninive, cette grande ville dans laquelle il y a plus de cent vingt mille créatures humaines, qui ne savent pas distinguer leur main droite de leur main gauche. (Jon 4,10-11) Dieu veut dire par là : L'ombre de la coloquinte ne t'a pas rendu autant de force que le salut des habitants de Ninive m'a donné de joie, et sa perte ne t'a pas tourmenté autant que leur perte m'eût affligé: ainsi,c'est malgré moi qu'ils auraient péri. Vois-tu comme ici encore, il va au delà de sa comparaison? En effet, il ne dit pas seulement : Tu voudrais qu'on eût épargné la coloquinte; il ne se tait pas après ces paroles, mais il ajoute : Pour laquelle tu n'as pas travaillé et que tu n'as pas fait croître. C'est que les laboureurs ont un très-grand amour pour les plantes qui leur ont coûté le plus de fatigue; et comme Dieu veut montrer qu'il a pour les hommes le même amour que le laboureur. pour ses plantes, il ajoute réellement aux paroles qu'il a exprimées, celles-ci qu'il sous-entend : Si tu défends ainsi un ouvrage qui est d'un autre que toi, combien plus ne défendrai-je pas mon propre ouvrage, l'ouvrage de mes mains? Ensuite il atténue la faute des habitants de Ninive et il dit qu'ils ne peuvent pas distinguer leur main droite de leur main gauche. Il déclare donc, qu'ils ont péché plutôt par simplicité que par malice, et c'est ce que prouva leur repentir.

Comme il en reprenait d'autres qui gémissaient, parce qu'ils se croyaient abandonnés, il s'exprima en ces termes : Interrogez-moi sur mes fils et marquez-moi ce que je dois faire de l'ouvrage de mes mains. (Is 45,1) C'est comme s'il leur avait dit : Engage-t-on, exhorte-t-on un père à prendre soin de son fils? ou un artisan, un ouvrier, à ne pas laisser périr son travail? Ainsi lorsqu'il s'agit des hommes, si vous connaissez leur nature ou leur art, c'est assez, vous êtes assurés de leur sollicitude: et moi, vous croyez que j'ai besoin d'exhortations pour défendre mes enfants et mes oeuvres ? S'il leur parle ainsi, ce n'est pas tant pour les empêcher de lui adresser leurs exhortations, que pour leur apprendre, que même avant toute exhortation, Dieu fait ce qu'il doit faire. Quant aux hommes, il veut qu'ils soient exhortés, car il sait que cela leur est-d'une grande utilité. Vois-tu comment, par ces comparaisons, la démonstration de son ineffable providence brille d'une lumière plus vive, plus éclatante que le soleil? Considère en effet; il a choisi pour exemples un père, une mère, un jeune époux, une jeune épouse, l'intervalle qu'il y a entre le ciel et la terre, la distance qui sépare l'orient de l'occident, le cultivateur qui se fatigue pour faire croître ses plantes, l'architecte qui voit d'avance la beauté de ses oeuvres, l'amant plein de ferveur qui se trouble s'il a offensé, même en paroles, l'objet de sa passion ; puis il a été montré que l'amour de Dieu surpasse autant toutes ces choses, que la bonté est au-dessus de la méchanceté.

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107 7. Cette première démonstration suffit, je le répète, à ceux qui ont l'esprit droit; mais, puisqu'il y a de ces hommes de boue qui résistent, qui ne se laissent pas persuader, qui n'écoutent que la chair, je vais, autant qu'il me sera possible de le faire, leur démontrer la divine Providence par le spectacle de la création. Il ne serait pas facile de leur faire voir toute la grandeur de cette providence, ni même de la leur expliquer entièrement sous le moindre de ses aspects, tant elle est infinie et ineffable, tant elle éclate dans les plus petites comme dans les plus grandes choses, soit visibles, soit invisibles! Ce n'est qu'à celtes qui sont visibles que nous emprunterons nos preuves. O homme, cet univers si admirable, si harmonieux, le Seigneur ne l'a fait pour aucun autre que pour toi ! ce monde si beau, si grand, si varié, si riche, si plein de ressources, ce monde, dont chaque partie a son utilité, soit pour nourrir et réparer le corps, soit pour instruire l'âme et la conduire à la connaissance de Dieu, c est pour toi qu'il l'a créé. Les anges n'en avaient pas besoin, car ils existaient avant qu'il fût sorti du néant: écoute en effet comment Dieu nous montre qu'ils ont reçu l'être longtemps avant la naissance du monde. Il dit à Job: Lorsque les étoiles furent créées, les anges m'exaltèrent et célébrèrent hautement mes louanges. (Jb 38,7) C'est-à-dire qu'ils furent étonnés de la grandeur de ces étoiles, de leur beauté, de leur position, de leur utilité, de leur variété, de leur éclat, de leur splendeur, de leur harmonie, et de tous leurs autres mérites qu'ils peuvent apprécier. beaucoup mieux que nous. Mais le Créateur n'a pas décoré le ciel d'étoiles seulement, il l'a encore orné du soleil et de la lune, pour nous charmer. et le jour et la nuit, et nous faire retirer de l'un et de (autre de ces astres d'immenses avantages.

Qu'y a-t-il de plus beau que le ciel qui tantôt brille de l'éclat du soleil ou de la lune, tantôt, comme s'il dardait sur nous ses yeux, éclaire la terre d'un nombre infini d'étoiles et fournit aux matelots et aux voyageurs des signes qui leur montrent leur chemin ? Voyez le pilote qui fend les mers, assis au gouvernail, pendant que les flots sont furieux, que les ondes déchaînées s'élancent sur son navire, que les vents soufflent avec violence et que la nuit ténébreuse est sans lune; il se confie au ciel qui le guide, et l'étoile, qui, perdue dans les hauteurs, est si éloignée de lui, le conduit avec autant de sûreté que si bile était près du vaisseau; elle le conduit au port 'sans parler; son seul aspect indique à fenil la voie qu'il faut suivre; c'est à elle que les navigateurs doivent de fendre les mers sans péril; car c'est elle qui leur indique les saisons, pour que tantôt ils retiennent le navire au port, que tantôt ils le lancent avec confiance au sein des flots, et que, par ignorance de l'avenir, ils n'aillent pas affronter imprudemment la tempête et le naufrage. Les étoiles ne nous indiquent pas seulement la mesure des années et l'indication des saisons, elles marquent aussi avec beaucoup d'exactitude l'heure et la marche de chaque nuit, elles font connaître si elle a dépassé, si elle n'a pas atteint la moitié de sa carrière, et réciproquement; et cela n'est pas utile aux seuls navigateurs, mais même aux voyageurs, pour qu'ils ne se mettent pas en chemin pendant la nuit en temps inopportun, ou qu'ils ne continuent pas à se reposer lorsqu'est arrivée l'heure de marcher. L'observation de la lune vient en aide à celle des étoiles pour nous renseigner exactement sur ces choses; car de même que le soleil règle les heures du jour, la lune règle celles de la nuit. Mais elle nous rend beaucoup d'autres services; elle donne à l'air une douce température, elle engendre la rosée qui fait germer les semences, et elle est d'un grand secours pour fortifier l'homme. Elle tient le milieu entre le choeur des étoiles et l'éclat du soleil, plus petite que celui-ci, plus bienfaisante et beaucoup plus grande que celles-là. Cette variété est tout à la fois pour nous un grand charme et un grand avantage; car quelle grande utilité rie retirons-nous pas des saisons et des heures, des dimensions des astres, de leur grandeur ou de leur petitesse, et de leur infinie variété. L'un est plus petit, l'autre plus grand et plus éclatant, et plusieurs brillent dans toutes les saisons. En effet, l'incomparable sagesse de Dieu montre partout dans ses couvres une variété étonnante, et en même temps qu'elle donne une preuve de sa miraculeuse puissance, elle veille à l'utilité de ce qu'elle. offre à nos yeux, nous fournit des ressources immenses, indicibles, et, avec tout cela, de grands agréments.

Y a-t-il rien de plus agréable que le ciel, qui, tantôt s'étend sur nos têtes comme un pavillon sans tache et resplendissant, tantôt ressemble à une prairie émaillée de fleurs, et (363) nous montre sa couronne, d'étoiles? Non, il n'est pas aussi doux. de voir un oasis dans le désert, qu'il n'est doux, qu'il n'est agréable de voir pendant la nuit le ciel partout couronné de mille étoiles comme de mille fleurs, et de fleurs qui ne se flétrissent jamais, de fleurs qui ont toujours toute leur beauté? Y a-t-il rien de plus agréable que ce même ciel, lorsque, la nuit étant déjà sur son déclin et le soleil ne se levant pas encore, il se couvre d'un voile de pourpre et rougit à l'approche de l'astre du jour? Y a-t-il un spectacle plus beau que celui que nous offre le soleil, lorsque, chassant l'aurore, en un instant il disperse au loin ses rayons et en éclaire toute la terre, toute la mer, toutes les montagnes, les vallons; les collines, et tout le ciel ; lorsqu'il dépouille tous les objets du voile dont les couvrait la nuit, et qu'il les montre nus à nos yeux? Comment pourrait-on,assez admirer sa révolution, la régularité de sa course, sa fidélité à nous servir qui a persisté inaltérable à travers tant de siècles, sa beauté éternellement florissante, sa splendeur, son pur éclat que le contact de tant de corps ne saurait jamais ternir? Ajouté à cela qu'il est utile au delà de toute expression aux semences, aux plantes, aux hommes, aux quadrupèdes, aux poissons, aux oiseaux, aux pierres, aux herbes, à la terre, à la mer, à l'air, en un mot à tout ce qui existe. Car tout a besoin; tout tire profit de son influence : tout ce qui la sent, s'améliore, non-seulement les animaux ou les plantes, mais les eaux, les marais, les sources, les fleuves et l'air lui-même, qu'elle rend plus léger, plus pur et plus clair. C'est pourquoi, voulant exprimer sa beauté, sort éternel éclat, sa splendeur inaltérable, sa magnificence, la perfection de sa forme, la continuité de ses services, le Psalmiste dit : Le Seigneur a posé dans le soleil son pavillon. (Ps 18,6) C'est-à-dire dans les cieux, car c'est là ce que le prophète entend par ces mots : Le pavillon du Seigneur. Et il est semblable à un époux qui sort de sa chambre nuptiale. Ensuite pour indiquer avec quelle facilité il accomplit s'a fonction: Il est plein d'ardeur, pour courir comme un géant dans sa carrière; pour enseigner qu'il suffit seul à toute la terre : Son départ est de l'une des extrémités du ciel, et il arrive à l'autre extrémité du ciel (Ps 18,6) pour montrer qu'il est utile et bienfaisant pour tous les hommes : Et il n'y a personne qui puisse se soustraire à sa chaleur.

Nous pourrions encore, si tu n'étais pas fatigué, examiner d'autres preuves de la Providence divine : elles nous seraient fournies par les nuages, par les saisons, par les solstices, par les vents, par la mer et -parles diverses espèces d'êtres qu'elle nourrit; par la terre, par ses quadrupèdes et par ses reptiles; par les oiseaux qui s'élèvent dans les airs, par ceux qui restent sur le sol; par les amphibies qui vivent dans les marais, dans les sources, dans les fleuves, par les contrées ou habitées ou inhabitées ; par les semences, par les arbres, par les herbes, par les plantes qui poussent soit dans les lieux sauvages, soit dans les terres cultivées, qui germent dans les plaines et dans les vallées, sur les montagnes et sur les collines, qui naissent. d'elles-mêmes ou qui ont besoin de soins et de culture; par les animaux apprivoisés ou farouches, sauvages ou dociles, petits ou grands; par les oiseaux, les quadrupèdes, les poissons, les plantes et les herbes qui paraissent en hiver, en été, en automne; par les phénomènes de la nuit ou du jour; par les pluies, par la durée de l'année, par la mort, par la vie, par les souffrances auxquelles nous sommes condamnés, par la tristesse, par la joie, par les aliments qui nous ont été accordés; par .les. métiers, par les lois; par les pierres, par les mines renfermées dans le sein des montagnes; par la mer, soit qu'elle se prête, soit qu’elle se refuse à la navigation; par. les îles, par les ports, par les rivages, par la surface des ondes, par la profondeur :des flots; par la nature des éléments dont, le monde est formé, par l'ordre des saisons, par la longueur inégale des jours et des nuits; par la maladie et la santé, par les membres du corps, par la constitution. de l'âme; par les arts et par la sagesse qu'ils révèlent dans le genre humain; par l'utilité dont nous sont les bêtes, les plantes et toutes les autres créatures qui nous servent en esclaves; enfin par les plus petits et les plus vils animaux. Y a-t-il, est effet, rien de plus petit et de plus informe qu'une abeille? rien de plus vit que les fourmis et les cigales? Et pourtant ces .animaux témoignent d'une voix éclatante en. faveur de la providence, de la puissance, de la sagesse de Dieu. C'est pourquoi le prophète David, qui mérita d'être si grandement inspiré de l'Esprit-Saint, comme il parcourait les oeuvres de la création et qu'il en avait nommé quelques-unes, fait retentir, frappé d'étonnement, (364) cette admirable parole : Que tes ouvrages sont pleins de magnificence, ô Seigneur! tu les as tous faits dans ta sagesse. (Ps 103,24) Et tout cela, ô homme, a été fait pour toi ! Pour toi ont été faits les vents eux-mêmes (car je me reporte au début de mon énumération) ; ils ont été faits pour souffler sur les corps fatigués, pour chasser la boue et la poussière, pour nous délivrer du malaise que nous causent la fumée, les fourneaux et toutes les exhalaisons malsaines, pour tempérer l'ardeur du soleil, pour rendre la chaleur plus supportable; pour nourrir les semences, pour faire croître les plantes, pour t'accompagner sur la mer, pour servir au travail des champs sur la terre ; car tandis que là ils poussent ton vaisseau avec plus de rapidité que la flèche,, et te donnent ainsi une traversée facile et favorable, ici ils l’aident à nettoyer l'aire, à séparer la paille du grain, et ils allègent tes pénibles labeurs. Ils sont faits pour te rendre l'air doux et léger, pour te charmer diversement, tantôt en produisant un faible et agréable murmure, tantôt en effleurant mollement les herbes, en agitant le feuillage des arbres; pour te procurer au printemps et en été un sommeil plus délicieux et plus doux que le miel; pour rider le dos de la mer et la surface des fleuves comme ils agitent le feuillage des arbres. Ils soulèvent les flots dans les airs, et te procurent ainsi tout à la fois un beau spectacle et un grand avantage. En effet, ils sont d'une grande utilité pour les eaux, en ne leur permettant pas de croupir toujours et par suite de se corrompre; en les agitant, en soufflant sans cesse sur elles, ils les renouvellent, les vivifient et les font plus propres à nourrir les poissons qui nagent dans leur sein.

Il n'y a pas jusqu'à la nuit, .qui, si tu veux l'observer, n'atteste la providence infinie de Dieu; car elle met fin aux fatigues du corps, elle relâche et détend les membres, qu’ont tenus en contention les travaux du jour; elle les ranime par son retour, et son repos leur rend une nouvelle vigueur. Mais ce n'est pas tout : elle allége le poids des chagrins du jour et nous délivre des soucis importuns; souvent même elle éteint la fièvre du malade, en lui amenant un sommeil qui le guérit, conduit à bon port l'art hésitant du médecin, et le décharge de beaucoup de soins. Telle est son utilité, telle est la grandeur de ses services, que souvent la journée elle-même est perdue pour ceux qui ont été privés de repos pendant que son voile couvrait le ciel. Supprimez par la pensée cette tranquillité, ce repos, ce délassement de la nuit, qui raniment tout, et l'âme fatiguée, et le corps épuisé, et qui nous permettent de reprendre les travaux du jour avec les meilleures dispositions, et vous verrez que dès lors nous ne pouvons plus rien. Que si la nuit, comme le jour, nous restons éveillés à travailler ou même à ne rien faire, et que nous continuions ainsi pendant quelque temps, nous mourrions bientôt; sinon, frappés d'une maladie de longue durée, nous ne retirerions aucun avantage des jours pour les travaux qui nous seraient utiles, tant nos forces seraient épuisées.

Si nous arrêtions notre discours sur le peuple innombrable des poissons qui vivent dans les étangs, dans les sources, dans les mers ou navigables ou innavigables, ou sur les races infinies d'oiseaux qui volent dans les airs, qui se tiennent. sur le sol, qui vivent également sur la terre et dans l'eau (car plusieurs d'entre eux ont cette double vie), qui sont doux ou farouches, qui, farouches de leur nature, se laissent ou ne se laissent pas apprivoiser, qui peuvent être mangés ou qui ne peuvent pas l'être; si nous examinions. la beauté, le plumage, la voix de chacun d'eux; si seulement nous recherchions quelles différences ils nous offrent pour le chant, pour la nourriture, pour le genre de vie, quelles sont leurs habitudes et leurs moeurs; si nous passions en revue tous les avantages que nous en retirons, tous les services qu'ils nous rendent; si nous parlions de leur grandeur et de leur petitesse, de leur naissance, de leur croissance, et de la grande, de l'immense variété qu'on trouve en eux; si nous entrions dans les mêmes détails sur les poissons; si, de là,, nous arrivions aux plantes qui poussent par toute la terre, et aux fruits que porte chacune d'elles; si nous examinions leurs usages, leurs parfums, leur position, leurs feuilles, leurs couleurs, leur forme, leur grandeur ou leur petitesse, leur utilité, la manière dont leurs vertus opèrent, la différence de leurs écorces, de leurs troncs, de leurs rameaux; si nous regardions les prairies et les jardins; si nous parlions ensuite des divers aromates, de tous les lieux qui les produisent, et de la façon dont .nous les avons trouvés, dont nous en prenons soin, dont nous nous en servons dans les maladies; si, après tout cela, nous (365) parcourions les montagnes, qui sont si nombreuses et si riches en métaux, et que nous portions notre investigation sur toutes les 'autres choses bien plus nombreuses encore qu'on voit dans la nature, quel discours serait le nôtre, quel espace de temps suffirait pour approfondir un si vaste sujet ! Et tout cela, ô homme l a été créé pour toi. Pour toi, ont été inventés les arts et les métiers; pour toi, ont été fondés les villes et les bourgs; pour toi, a été fait le sommeil; pour toi, la mort; pour toi, la vie et la croissance; pour toi, les oeuvres admirables de la nature; pour toi, le monde tel que tu le vois aujourd'hui,, pour toi encore, -le monde avec les nouvelles perfections qu'il recevra :car il recevra de nouvelles perfections, et cela, pour toi. C'est ce que t'apprend l'apôtre Paul; écoute-le : La créature sera délivrée elle-même de l'esclavage de la corruption (Rm 8,21), c'est-à-dire : elle ne sera plus assujettie à être corrompue. Et, comme il veut montrer que c'est pour toi qu'elle recevra une faveur si grande, il ajoute : Pour la glorieuse liberté des enfants de Dieu.

Si je ne craignais de rendre ce discours trop long et de dépasser toute mesure, j'aurais parlé longuement de la mort, et j'aurais montré qu'elle est une très-grande preuve de la sagesse et de la providence de Dieu; je me serais étendu . sur cette corruption, sur cette pourriture, sur ces vers, sur cette cendre du tombeau, qui arrachent le plus de plaintes et de gémissements à la plupart des hommes : car ils ne peuvent se résigner à la pensée que nos corps deviendront cendre et poussière et seront la pâture des vers. J'aurais tiré de là une démonstration de la providence et de la sagesse de Dieu. En effet, elle vient de la même providence, de la même bonté qui nous a tirés du néant lorsque nous n'étions pas encore, cette loi qui nous ordonne, de mourir et de quitter la terre. Bien que la vie et la mort diffèrent, elles sont pourtant toutes deux l'oeuvre de la même bonté ; car, pour celui qui quitte la vie, la mort n'est pas un mal, et pour celui qui vit encore, elle est un très-grand bien. Le vivant tire profit pour lui-même du cadavre des autres : lorsqu'il voit que celui qui, hier ou avant-hier, marchait à ses côtés, est devenu la proie des vers et se dissout en pourriture, en poussière et en cendre, quand même il aurait -l'orgueilleuse démence de Satan, il faut qu'il trembler, qu'il tressaille, qu'il se modère, qu'il apprenne à être sage, qu'il introduise dans son âme l’humilité, cette mère des vrais biens. Ainsi, celui qui quitte la vie n'est lésé en rien, car il doit recouvrer ce corps, mais incorruptible et immortel; et celui qui reste dans la carrière retire un très-grand avantage de ce qui n'est nullement un mal pour celui qu'il voit mourir. En effet, c'est. une éloquente maîtresse de sagesse que la mort, soit pour régler notre vie, soit pour réprimer les passions rte l'âme, pour apaiser leurs flots furieux et rendre le calme à celte mer agitée.

Puis donc que, par es preuves et par beaucoup d’autres plus nombreuses encore, la Providence divine brille plais éclatante que le soleil, ne donne pas carrière à une curiosité inutile, ne poursuis pas une vaine recherche, n'essaye pas de connaître la raison de toutes choses. Nous vivons, et cette vie dont nous jouissons est un effet de sa pure bonté, puisqu'il n'avait pas besoin de nos services. Il faut donc l'admirer et l'adorer, non-seulement parce qu'il nous a créés, parce qu'il nous a donné une âme immatérielle et raisonnable, parce qu'il nous a faits supérieurs à tous les animaux, qu'il nous a établis les rois de la création et qu'il l'a accordée tout entière à notre usage, mais aussi parce qu'il nous a créés n'ayant nul besoin de nous. Oui, sa bonté a cela d'admirable, que, n'ayant nul besoin de nos services, il nous a donné la vie; car, avant la naissance des hommes, des anges et des autres esprits célestes, il jouissait de toute sa gloire et de toute sa félicité, et c’est par pur amour qu'il nous a donné la vie, qu'il a fait pour nous toutes ces choses, et tant d'autres bien plus nombreuses encore !

108 8. C'est encore par un effet de cette bonté que Dieu nous a donné la loi écrite, qu'il nous a envoyé les prophètes, qu'il a fait ses miracles. Mais môme avant tout cela, dès qu'il eut créé l'homme il grava en lui la loi naturelle pour le diriger comme le pilote dirige le vaisseau, comme l'écuyer dirige le cheval. Ainsi Abel lui-même a connu,Dieu : cependant les lettres n'étaient pas encore inventées, les prophètes et les apôtres n'avaient point paru, aucune loi écrite n'était établie : mais il possédait la loi naturelle. Il en est de même pour Caïn; car lui aussi connut Dieu. Tous les deux savaient ses prescriptions, et reconnaissaient sa souveraineté, mais tous les deux ne suivirent pas la même voie: l'un prit celle du vice, (366) et l'autre celle de la vertu. Même alors cependant le Seigneur n'abandonna pas Caïn, il voulut le relever de la chute qui l'avait jeté à terre, et il lui donna encore ses soins; d'abord il emploie les conseils et les exhortations, ensuite c'est par la crainte et par la terreur qu'il l'avertit, qu'il l'enseigna, qu'il l'instruisit. Nombre d'hommes ont rejeté un si grand bienfait, je veux dire cette science naturelle qui nous est d'une si grande utilité : même alors il ne les a pas délaissés, ni ne les a livrés aussitôt à la perdition ; mais il a toujours continué de les avertir et de les exhorter par la voix des choses elles-mêmes, par des récompenses, par des châtiments, par le spectacle de la création qui chaque jour fait son couvre et remplit sa. tâche accoutumée, par les événements extraordinaires et imprévus, par les justes qui ont vécu depuis-la naissance du monde. Car il a conduit d'un pays dans un autre des hommes dignes de toute admiration et pleins de sagesse : il a envoyé Abraham d'abord en Judée, puis en Egypte, Jacob, en,Syrie, Moïse encore en Egypte; les trois enfants et Daniel et Ezéchiot en Babylonie, Jérémie, en Egypte. En,suite il a donné les fables de la loi, il a envoyé les prophètes; il a abattu, il a relevé son peuple; e l'a livré à la servitude, et il l'a délivré, et il n'a pas cessé depuis le commencement jusqu'à la fin de tout faire pour les hommes.

Il ne s'est pas contenté de nous instruire par la seule voix et la création, mais, comme beaucoup d'hommes, emportés par leur propre démence, n'en avaient retiré aucun fruit, il entra dans de nouvelles voies pour les convaincre, et enfin, pour mettre le comble à ses bienfaits, il leur envoya son Fils, son vrai Fils, son. Fils unique : ce fils qui était de la même vraie nature crue lui fut fait ce que je suis, il vécut sur la terre au milieu des hommes, et là il mangeait, il buvait, il parcourait la terre, enseignant, instruisant, exhortant, faisant des miracles, et; en même temps. Il prophétisait, donnait des conseils et des exhortations, souffrait, supportait les fatigues, nous faisait des promesses, nous comblait de ses dons. En effet, il a accordé une partie de ses bienfaits aux hommes de son temps, et il a promis l'autre aux générations futures : mais l'on peut compter sur ses promesses, elles sont confirmées et par les prodiges qu'il a opérés pendant qu'il était encore sur la terre et par l'accomplissement de toutes les prophéties qu'il a faites : Qui pourrait réciter les exploits de l'Eternel ?qui pourrait faire retentir toute sa louange? (
Ps 105,2) Qui ne serait en extase, qui ne serait frappé d'admiration devant cette immense sollicitude, en considérant comment, pour des esclaves ingrats, il a livré son Fils unique à la mort, et à une mort exécrable, ignominieuse, à la mort des plus grands criminels, à fa mort des coupables condamnés par les juges ! Car il a été attaché à une croix, il a été couvert de crachats, il a reçu des soufflets, il a été frappé à la joue, il a été bafoué. Pour tous les bienfaits qu'il avait accordés, on l'ensevelissait et on scellait son tombeau ! Et toutes les injures, il les a subies pour toi, pour l'amour qu'il te portait, afin de t'arracher à l'esclavage du péché, de renverser l'empire de satan, de couper les nerfs de la mort., de t'ouvrir les portes du. ciel, de te décharger de la malédiction qui pesait sur toi, d'effacer le jugement de ta première condamnation, de t'enseigner la patience et la force, et ainsi d'empêcher que rien ne te tourmente sur cette terre, ni la mort, ni les outrages, ni les injures, ni les ignominies, ni les verges, ni les piéges de tes ennemis, ni les offenses, ni les attaques, ni les calomnies, ni les soupçons injurieux, ni rien de semblable. Lui-même en . effet, il a passé par toutes ces épreuves, il les a toutes partagées avec toi, il a triomphé de toutes avec la plus grande gloire, pour t'enseigner et t'apprendre à ne redouter aucune d'elles. Mais tout cela ne lui suffit pas encore remonté au ciel, il nous accorde une grâce surprenante, il fait descendre pour nous le Saint-Esprit, et nous envoie les apôtres par le ministère desquels il nous transmet sa doctrine. Il voit ces hérauts du salut accablés de mille maux, frappés de verges, outragés, jetés à la mer, torturés par la faim et la soie, poursuivis chaque jour, chaque jour en péril de mort, et pour toi, par amour pour toi, il les laisse endurer toutes ces souffrances! C'est pour toi, ô homme, qu'il a préparé le royaume des cieux, c'est à toi qu'il a destiné ces biens ineffables, cet héritage céleste, ce séjour plein de vanité, cette béatitude qu'aucune parole ne peut exprimer. Lors donc que tu as tant de preuves de la Providence, celles de l'Ancien et celles du Nouveau Testament, celles de la vie présente et celles de la vie future, celles qui seront, celles qui ont. été, celles que, nous offre chacun des jours que nous vivons, celles (367) du commencement de la création, celles du milieu des temps, celles, de la tira des choses, celles qui subsistent éternellement, celles que fournit le corps, celles qui ont rapport à l'âme Lors, dis-je, que tu vois pleuvoir pour ainsi dire sur toi de tous côtés tant de preuves qui proclament la Providence, doutes-tu encore ? Mais non, tu ne doutes pas; tu crois â la providence, tu es convaincu de son existence. Arrête donc désormais ta vaine curiosité et sois sûr de cette vérité, que tu as un Dieu qui t'aime avec une tendresse . qui surpasse celle des pères, 'avec une sollicitude que n'égale pas telle des mères, avec une ardeur que n'atteint pas celle d'un jeune époux, celle; d'une jeune épouse; un Dieu qui fait sa ;joie de ton salut, et s'en réjouit encore plus que tu ne te réjouis toi-même de l'éloignement. du péril et de la mort : ce que j'ai montré par l'exemple de Jonas, un Dieu qui a peur toi toute l'affection que le père a pour ses enfants, la mère pour le fruit de ses entrailles, l'architecte pour son couvre, le jeune époux pour sa jeune épouse, l'adolescent pour la vierge; un Dieu qui veut éloigner de toi les maux, autant que l'Orient est éloigné de l'Occident, autant que le ciel est élevé au-dessus de la terre : car cela aussi je l'ai montré; un Dieu enfin dont la bonté ne répond mais seulement à ces comparaisons, mais se montre beaucoup plus grande encore, comme nous l'avons fait voir plus haut, en avertissant qu'il faut, non pas s'arrêter à ces exemples, mais aller plus loin par l'effort de la pensée. Car inexplicable est la providence de Dieu, incompréhensible sa sollicitude, inexprimable sa bonté, inimaginable son amour.

Maintenant donc que nous savons toutes ces choses, soit par les paroles de Dieu, soit par ses oeuvres, par celles qu'il a faites, comme par celles qu'il doit faire, ne t’abandonne pas à une vaine curiosité, ne t'enquiers pas de tout, et ne dis pas : pourquoi ceci? à quoi bon cela? Une telle conduite serait d'un insensé : elle témoignerait de la dernière, folie et du la plus grande démence. En effet le malade laisse le médecin lui couper les chairs, lui brûler les plaies, lui appliquer les remèdes les plus cuisants; il ne lui demande compte de rien, quand même il serait son esclave; mais, tout maître qu'il est, il supporte en silence toutes ses douleurs, il lui est même reconnaissant de cette brûlure, de cette amputation, de ces

remèdes, et pourtant il ne sait pas ce qui pourra arriver : car combien de médecins n'ont pas enlevé la vie à leurs malades par leurs opérations ! enfin il lui obéit en tout avec la plus grande soumission. Il en est de même à l'égard du pilote, de l'architecte, et de tous ceux qui exercent un art quelconque. Puisqu'il en est ainsi, je trouve ridicule, je le déclare, qu'un simple mortel, tout plein de son ignorance, demande au divin Artisan la raison de tout ce qu'il a fait, qu'il scrute cette Sagesse ineffable; indicible, inexprimable, incompréhensible, qu'il recherche le pourquoi de telle ou telle chose, et cela, lorsqu'il sait avec évidence que ce Dieu sage ne peut tomber dans l'erreur, que sa bonté est immense, que sa prévoyance est infinie, que tout ce qu'il fait pour nous arrive à bonne fin, pourvu que de notre côté nous aidions à la Providence, qu'enfin il ne veut la perte d'aucun de nous, mais le salut de tous. Ne serait-ce pas le suprême excès de la démence, que de soumettre à notre examen dès maintenant, dès ce jour, un Dieu qui veut, qui peut, nous sauver et de ne pas attendre la fin des choses.


Chrysostome 2 Discours (t4) 106