Chrysostome sur 1Tm 901

901 1. Le bienheureux Paul demande aux femmes une grande pudeur, une grande réserve, non-seulement dans la tenue et les vêtements, mais jusque dans la voix. Qu'une femme, dit-il, n'élève pas la voix dans l'église; ce qu'il exprime dans l'épître aux Corinthiens, quand il dit : « Il est honteux qu'une femme parle dans l'église » (1Co 14,35) ; et aussi : « La loi dit qu'elles doivent être soumises. Si elles veulent apprendre quelque chose, qu'elles interrogent leurs maris chez elles ». (1Co 35) Aujourd'hui au contraire, quel trouble, quelles clameurs, quelles conversations ! Nulle part on n'en entend de si bruyantes; on les voit causer comme elles ne le font pas sur une place publique, ni dans les bains; on dirait qu'elles viennent à l'église pour se récréer, tant elles s'y livrent toutes à des conversations inutiles. Aussi tout est-il bouleversé ; elles ne songent pas que, si elles ne gardent le silence, elles n'apprendront point ce qu'elles ont besoin de savoir. Si, en effet, le sermon vient au travers d'une conversation engagée et que personne n'écoute l'orateur, quel profit en peut-on tirer ? La femme doit si bien être silencieuse que, comme l'enseigne le texte, elle ne doit parler dans l'église ni des choses temporelles, ni même des choses spirituelles. Voilà sa gloire, voilà sa pudeur, voilà ce qui la parera mieux que ses vêtements; si elle se revêt de cette parure, elle pourra faire ses prières avec une parfaite décence. — « Je ne permets point à la femme d'enseigner », dit-il. Quelle conséquence a cette parole ? une grande assurément. L'apôtre parlait du silence, de la réserve, de la pudeur; il ne veut pas, dit-il, que les femmes bavardent; et, voulant leur enlever toute occasion de le faire, il leur défend d'enseigner, mais leur assigne le rôle de disciples; ainsi par leur silence elles témoigneront de leur soumission. Leur nature est parleuse ; il la réprime ainsi de toute façon.

« Adam », dit-il, « a été formé le premier, Eve ensuite ; et ce ne fut point Adam qui fut trompé ; c'est la femme qui fut trompée et prévariqua ». Mais cela concerne-t-il donc les femmes d'aujourd'hui? Oui, l'homme jouit d'un plus grand honneur; il a été formé le premier; et ailleurs l'apôtre a montré cette supériorité quand il a dit : « L'homme n'a point été formé pour la femme, mais la femme pour l'homme ». (1Co 11,9). Et pourquoi dit-il cela? c'est que l'homme doit tenir le premier rang, pour ce motif d'abord, puis à cause de ce qui s'est passé. La femme un jour enseigna l'homme, elle bouleversa tout et le rendit coupable de désobéissance, aussi Dieu l'a-t-il assujettie, parce qu'elle avait fait mauvais usage de son autorité ou plutôt de l'égalité des rangs. « Tu seras soumise à ton mari », dit l'Ecriture (Gn 3,16); parole qui n'avait point été dite avant le péché. Mais peut-on dire qu'Adam ne fut pas trompé? car autrement il n'eût pas désobéi. La femme dit : Le serpent m'a trompée (Gn 13); mais Adam ne dit pas: « La femme m'a trompé»; il dit : « Elle m'a donné de ce fruit et j'en ai mangé ».(Gn 12) Ce n'est point un crime semblable d'être séduit par un être de même nature et de même race, ou de l'être par un animal, un esclave, un être inférieur par sa nature ; c'est là être vraiment trompé. L'apôtre dit donc qu'Adam ne fut pas trompé, par comparaison avec la femme, parce qu'elle se laissa tromper par un esclave, un être d'une nature inférieure, et qu'il le fut par un être libre. Et ce n'est point d'Adam qu'il est écrit: « Elle considéra que ce fruit était bon à manger ; mais c'est la femme qui en mangea et en donna à son mari » (Gn 6); en sorte qu'il ne prévariqua point par mauvais désir, mais seulement par complaisance pour sa femme. La femme a enseigné une fois et a tout bouleversé; aussi l'apôtre dit-il « Qu'elle n'enseigne point ». Mais quelle conséquence tirer pour les autres femmes, s'il en fut ainsi d'Eve ? Une grande conséquence, (307) c'est que leur nature est faible et légère. Et ici il est question de leur nature, car le texte ne dit pas : Eve fut trompée, mais : « La femme », ce qui est une désignation générale. Quoi donc ! Toute nature féminine a-t-elle prévariqué par elle ? De même que l'apôtre a dit : « Dans la similitude du péché d'Adam, qui est le type de l'avenir » (Rm 5,14) ; de même ici il faut entendre que c'est la nature féminine qui a prévariqué.

Mais n'y a-t-il point de salut pour elle? Certes, il y en a. Et comment? Par sa postérité, car ce n'est pas d'Eve que le texte dit : « Si elles demeurent dans la foi, la charité et la sanctification, avec tempérance » (1Tm 2,15). Quelle foi? quelle charité? quelle sanctification ? C'est comme s'il eût dit : Ne soyez point abattues, ô femmes, si vous êtes ainsi blâmées; Dieu vous a donné une autre occasion de salut, l'éducation de vos enfants ; en sorte que les femmes peuvent obtenir le salut, non-seulement par elles, mais par autrui. Considérez quelles grandes questions sont ici soulevées. La femme trompée prévariqua. Quelle femme? Eve. Est-ce donc elle seule qui sera sauvée par la maternité ? Non, mais ce moyen de salut appartient à toutes. La femme a prévariqué; mais, si Eve pécha, tout son sexe sera sauvé par la maternité. Pourquoi, dira-t-on, n'est-ce pas par sa propre vertu ; car Eve n'a point fermé la voie aux autres femmes? Et qu'en sera-t-il des vierges ? qu'en sera-t-il des femmes stériles? qu'en sera-t-il des veuves qui ont perdu leurs maris avant d'être mères? sont-elles perdues ? n'ont-elles plus d'espérance? Et pourtant ce sont les vierges qui sont le plus en honneur. Que veut donc dire l'apôtre?

902 2. S'il a prescrit la soumission à tout le sexe féminin, par suite de son origine, à cause de l'histoire de la première femme, quand il dit qu'Eve a été formée la seconde et que désormais son sexe doit être soumis; est-ce par une raison toute semblable qu'il enseigne que parce qu'elle a prévariqué, tout son sexe est sous la prévarication? Cela n'est point admissible; car l'un de ces faits est simplement un don de Dieu, l'autre une faute de la femme. Mais il dit que tous sont morts à cause de la faute d'un seul, et qu'il en est de même pour la femme. Qu'elle ne se désole donc point, car Dieu lui a donné une grande consolation, celle de devenir mère. — Mais c'est un fait de l'ordre naturel. — L'autre aussi; mais ce n'est pas seulement l'enfantement naturel, c'est l'éducation de ses enfants qui lui est accordée. — « Si elles demeurent dans la foi, la charité et la sanctification, avec tempérance » (1Tm 2,15). C'est-à-dire que, si, après leur avoir donné la vie, la femme les forme à ces vertus, elle en recevra une large récompense, parce qu'elle aura formé des athlètes pour le Christ. « Si elles demeurent dans la foi et la charité». C'est la vie, telle qu'elle doit être; et il mentionne aussi la tempérance et la régularité. « Cette parole est fidèle ». (1Tm 3,1) C'est à cela que se rapportent ces mots, et non à ce qui suit : « Si quelqu'un désire l'épiscopat». On doutait de ce que l'apôtre vient de dire ; aussi ajoute-t-il : « Cette parole est fidèle » ; que les pères jouissent de la vertu des enfants, ainsi que les mères, quand ils les ont élevés comme ils le doivent. Mais qu'arrivera-t-il si la mère est perverse et pleine de vices? tirera-t-elle profit de l'éducation de ses enfants? N'est-il pas vraisemblable qu'elle les élèvera semblables à elle-même? L'apôtre parle ici de la femme vertueuse; et ce qu'il en dit, c'est qu'elle sera largement récompensée et rémunérée de ce qu'elle fait pour ses enfants.

Prêtez donc l'oreille, pères et mères; l'éducation de vos enfants ne sera point pour vous-mêmes une oeuvre stérile. L'apôtre dit plus loin : « Elle rend témoignage par ses bonnes oeuvres, si elle a élevé ses enfants » ; et il joint cette vertu aux autres. Car ce n'est pas une petite chose que de consacrer au service de Dieu les enfants que l'on a reçus de Dieu. Si les parents jettent une base et un fondement solide, ils recevront une grande récompense, parce qu'ils ne négligent point de corriger leurs enfants. Car Héli a péri à cause des siens, qu'il devait réprimander. Il le faisait, mais non comme il l'aurait dû; ne voulant point leur faire de peine, il les a perdus et lui avec eux. Pères, prêtez donc l'oreille, instruisez vos enfants dans la discipline et l'admonition du Seigneur, avec un soin sévère et vigilant. La jeunesse est difficile à dompter; elle a besoin de beaucoup de surveillants, de précepteurs, d'instituteurs, de gardiens, de gouverneurs; et, avec tout cela, on doit s'estimer heureux de pouvoir la contenir. Elle est semblable à un cheval indompté, à un animal sauvage. Si donc de bonne heure et dès le premier âge, nous lui avons donné de fortes (308) barrières, nous ne serons point pour cela exempts par la suite de nombreuses peines; mais l'habitude prise deviendra désormais une loi. Ne leur permettons donc point de rien faire de séduisant et de pernicieux; ne les flattons point comme des enfants; prenons soin surtout de les maintenir dans la tempérance, car c'est par le vice opposé que la plupart du temps la jeunesse se corrompt. Là nous avons beaucoup à lutter, beaucoup à veiller. Marions-les de bonne heure, en sorte que leurs épouses les reçoivent chastes et purs; ce seront là les amours les plus vives. Celui qui est plein de réserve avant le mariage le sera bien davantage après; et celui qui, avant le mariage, a fréquenté les courtisanes, en fera de même quand il sera marié: « A l'homme débauché tout aliment est bon ». (Si 23,24) Les mariés portent des couronnes, symboles de la victoire, pour signifier qu'ils s'approchent du lit nuptial sans avoir été vaincus, et n'ont point cédé à la volupté. Mais celui qui s'y est lâchement abandonné, pourquoi porte-t-il une couronne, quand il est vaincu ?

Que les enfants donc soient exhortés, réprimandés, effrayés, menacés; employons avec eux tantôt un procédé, tantôt un autre. Nous avons en eux un grand dépôt. Pensons donc à eux et faisons tout pour que le démon ne nous les ravisse pas. Aujourd'hui nous faisons tout le contraire. Nous n'épargnons rien pour embellir un domaine et pour le confier à un homme fidèle; nous cherchons l'ânier, le muletier, le gérant, l'intendant le plus dévoué; mais, ce qui pour nous est le plus précieux, confier notre fils à un homme qui saura garder ses moeurs, nous ne nous en inquiétons point; pourtant c'est là ce que nous avons de plus précieux; c'est pour cela que nous avons reçu tout le reste. Nous pensons aux biens à acquérir pour nos enfants, et nous ne songeons point à eux-mêmes : comprenez donc quelle déraison? Formez l'âme de votre enfant, et le reste vous sera donné par surcroît, tandis que, si son âme n'est pas vertueuse, vos richesses ne lui serviront de rien; si au contraire elle est ce qu'elle doit être, la pauvreté ne lui portera nul préjudice. Voulez-vous le laisser riche après vous? Apprenez-lui à être honnête; car c'est ainsi qu'il pourra faire sa fortune, et s'il ne s'enrichit pas, il n'aura rien à envier aux riches. Mais, s'il est vicieux, quand vous laisseriez des millions, vous ne laisserez point un homme capable d'en être dépositaire, mais il resterait au-dessous de ceux qui sont descendus au dernier degré de la misère: pour des enfants sans frein, mieux vaut pauvreté que richesse. La pauvreté défendrait leurs moeurs, même malgré eux; la richesse, le voulussent-ils, ne leur permet point d'être sages, mais les entraîne, les fait tomber, les précipite dans un abîme de maux.

Mères, dirigez avec grand soin vos filles, la garde vous en est facile; veillez à ce qu'elles restent chez elles; avant tout apprenez-leur à être prudentes, retenues, à mépriser les richesses, à ne point aimer la parure, et préparez-les ainsi au mariage. Vous serez ainsi non seulement leurs protectrices, mais celles des hommes qui doivent les épouser, et non seulement d'eux, mais de leurs enfants, et même de leurs descendants. Si la racine est saine, les rameaux se développeront comme ils le doivent, et de tout ce bien vous recevrez la récompense. Agissons donc ainsi toujours pour sauver non pas seulement une âme, mais plusieurs âmes par une seule. La jeune fille doit sortir de la maison paternelle pour se marier, comme un athlète sort de la palestre, formée et exercée; il faut que, par sa vertu, elle puisse transformer tout ce qui l'entoure, de même que le levain transforme toute la masse à laquelle on le mêle. Que ses enfants, encore une fois, méritent le respect par leur conduite régulière et sage, en sorte qu'ils soient loués de Dieu et des hommes. Qu'ils apprennent à dompter la gourmandise, à s'abstenir du luxe, à être économes et affectueux; qu'ils apprennent à obéir. C'est ainsi qu'ils pourront procurer une grande récompense à leurs parents; c'est ainsi que tout sera pour la gloire de Dieu et le salut de nos âmes, en Jésus-Christ Notre Seigneur, à qui gloire aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.


1000

HOMÉLIE X (3,1-9). SI QUELQU'UN SOUHAITE L'ÉPISCOPAT, IL SOUHAITE UNE OEUVRE BONNE.

IL FAUT DONC QUE L'ÉVÊQUE SOIT IRRÉPROCHABLE, MARI D'UNE SEULE FEMME; QU'IL SOIT SOBRE, PRUDENT, DE BONNES MOEURS, HOSPITALIER; QU'IL SACHE ENSEIGNER, NE SOIT PAS LIVRÉ AU VIN, NE FRAPPE PAS, MAIS SOIT MODÉRÉ, ENNEMI DES QUERELLES, DÉSINTÉRESSÉ, SACHANT BIEN GOUVERNER SA MAISON, ET QUE SES ENFANTS LUI SOIENT SOUMIS AVEC UNE ENTIÈRE RÉGULARITÉ DE MOEURS. (1Tm 3,1-9)

Analyse.

1. De l'épiscopat et des qualités indispensables à un évêque.
2. Le futur évêque ne doit pas être un néophyte, c'est-à-dire un nouveau converti; il faut aussi qu'il jouisse d'une bonne réputation, même parmi les païens.
3. Des bons exemples. — Pourquoi il y a si peu de gentils qui se convertissent.


1001 1. Avant de descendre au détail des devoirs de l'épiscopat, l'apôtre expose sommairement ce que doit être un évêque, non sous forme d'avertissements à Timothée, mais comme parlant à tous, et réglant la conduite de tous par ses instructions à un seul. Et que dit-il? «Si quelqu'un souhaite l'épiscopat», je ne lui en fais pas un crime, car c'est une autorité tutélaire; si donc quelqu'un a ce désir, non pas seulement parce que c'est un commandement et un pouvoir, mais parce que c'est une autorité tutélaire, je ne le lui reproche pas; « il désire une oeuvre bonne » (1Tm 3,1). Moïse, en effet, a souhaité la charge et non la puissance, et l'a souhaitée assez pour s'entendre dire: « Qui t'a constitué chef et juge au-dessus de nous?» (Ex 2,14) Celui qui désire l'épiscopat de cette manière peut le désirer, car l'épiscopat emprunte son nom à la surveillance sur tous. «Il faut », continue l'apôtre, « que l'évêque soit irréprochable, mari d'une seule femme » (1Tm 3,2). Il ne dit pas ceci pour imposer une loi, de telle sorte que le mariage fût nécessaire pour être évêque, mais pour réprimer un excès; attendu que, chez les Juifs, il était permis de contracter un second mariage et d'avoir deux femmes en même temps. Car, «le mariage est honorable». (He 13,4) Et quelques-uns affirment que par cette parole, l'apôtre exige que l'évêque n'ait jamais eu qu'une femme. — «Irréprochable» : en employant ce mot, il a compris toutes les vertus. En sorte que celui qui a conscience de quelques péchés, a tort de désirer l'épiscopat, dont il s'est lui-même exclu par ses oeuvres ; celui-là en effet doit être gouverné et non gouverner les autres. Celui qui gouverne doit être plus resplendissant qu'un flambeau et avoir une vie sans tache, en sorte que tous les regards se portent sur lui et sur sa vie. Et ce n'est pas sans dessein que l'apôtre écrit cet avis, mais parce que Timothée devait à son tour établir des évêques; ce sont les avis qu'il donnait à Tite, et c'est dans la prévision que beaucoup désireraient l'épiscopat qu'il énonce ces prescriptions.

« Sobre et vigilant» (1Tm 3,2), dit-il, et par là il entend plein de perspicacité, ayant l'oeil partout et le regard perçant. Car il est bien des causes qui obscurcissent l'oeil de l'intelligence; le défaut de zèle, les préoccupations, l'embarras des affaires, et tant d'objets qui surgissent de tous côtés. L'évêque doit donc être l'homme toujours sur ses gardes, l'homme qui ne s'inquiète pas seulement de ce qui le touche, mais de ce qui touche les autres. Il doit toujours veiller, avoir une âme ardente, respirant le feu, pour ainsi dire, ou plutôt celte d'un chef militaire, qui nuit et jour circule à travers son armée; il doit se fatiguer, être au service de tous et prendre soin et souci de tous. « Prudent, de bonnes moeurs, hospitalier» (1Tm 3,2). Ces qualités conviennent aussi aux simples fidèles, en cela ils doivent être les égaux des évêques; aussi pour marquer le propre de l'évêque, l'apôtre ajoute : «Qu'il sache enseigner» (1Tm 3,2). Cette qualité n'est plus exigée du simple fidèle, mais elle doit appartenir avant toutes les autres à celui qui a reçu le dépôt de l'épiscopat. « Qu'il ne soit pas livré au vin» (1Tm 3,3). L'apôtre ne veut pas dire ivrogne, mais brutal et arrogant. « Qu'il ne frappe pas». L'apôtre ne veut pas dire frapper avec les mains. Et que veut-il dire? c'est qu'il est des hommes qui heurtent sans raison la conscience de leurs frères, et c'est, je pense, (310) de ceux-là qu'il entend parler. — « Point sordide, mais modéré, ennemi des querelles, désintéressé, sachant bien gouverner sa maison, et que ses enfants lui soient soumis avec une entière régularité de moeurs». Or, si l'homme qui s'est marié se préoccupe des choses du monde, et si l'évêque ne doit pas s'en préoccuper, comment l'apôtre dit-il: « Mari d'une seule femme?» (1Tm 3,2)

Plusieurs affirment qu'il entendait: «N'ayant eu qu'une femme» ; mais quand il en serait autrement, on peut être marié, comme ne l'étant pas. L'apôtre a eu raison de faire cette concession à l'état de choses existant alors, et l'on pouvait avec la bonne volonté, en tirer un bon parti. En effet, de même que la richesse laisse difficilement entrée au royaume des cieux, et que bien des riches y sont entrés néanmoins, il en est de même du mariage. Que dites-vous, ô Paul? En parlant des devoirs de l'évêque, vous avez dit qu'il ne doit pas être livré au vin, mais hospitalier, quand vous aviez à faire entendre quelque chose de bien plus grand. Pourquoi n'avez-vous pas dit: L'évêque doit être un ange, et n'être sujet à aucune passion humaine? et ces grands enseignements du Christ que ceux qui sont en dignité doivent observer sans cesse: D'être crucifié, d'avoir toujours son âme entre ses mains? et cette parole du Christ : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis». (Jn 10,11) Et encore : « Celui qui ne prend pas sa croix pour me suivre, n'est pas digne de moi». (Mt 10,38) Paul a dit : Qu'il ne soit pas livré au vin (1Tm 3,3). Voilà de belles espérances, si ce sont là les avis qu'il faut adresser à un évêque ! Pourquoi ne dites-vous pas qu'il doit être déjà en dehors de la terre? pourquoi prescrivez-vous à un évêque ce que vous avez prescrit aux gens du monde? Que leur dit-il en effet? « Mortifiez vos membres terrestres». (Col 3,5) « Celui qui est mort est justifié du péché». (Rm 6,7) « Ceux qui appartiennent au Christ ont crucifié leur chair». (Ga 5,24). Et le Christ lui-même a dit : « Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède n'est pas digne de moi ». (Lc 14,33) Pourquoi donc l'apôtre n'a-t-il pas ici tenu ce langage? Parce qu'on ne pouvait trouver que peu d'hommes semblables à ce modèle, et qu'il fallait un grand nombre d'évêques, pour administrer les églises de chaque cité; car les églises allaient être exposées aux embûches. Aussi parle-t-il d'une vertu médiocre et non d'une vertu céleste et sublime : être sobre, prudent et de bonne moeurs est une vertu commune.

1002 2. « Que ses enfants lui soient soumis avec une entière régularité de moeurs » (1Tm 3,4). Car il faut que sa maison donne l'exemple. Qui pourra croire en effet qu'un évêque se fasse obéir d'un étranger, s'il ne s'est pas fait obéir de son fils? « Sachant bien gouverner sa maison ». Les païens eux-mêmes disent que, qui sait gouverner sa maison deviendra vite un bon administrateur. Il en est en effet d'une église comme de la moindre famille; et de même que, dans une maison, les enfants, la femme et le mari, au-dessus de tous, forment une hiérarchie d'autorité, de même, dans l'église, on retrouve partout des enfants, des femmes, des serviteurs. Si le chef d'une église a des associés à son pouvoir, le chef de famille a aussi sa femme. S'il lui faut pourvoir à la nourriture des veuves et des vierges, le chef de famille a ses esclaves, ses filles; seulement une maison est plus facile à gouverner. Celui donc qui ne l'a pas su faire, comment pourra-t-il administrer une église ? « Celui », dit l'apôtre, « qui ne sait pas diriger sa maison, comment prendra-t-il soin de l'Eglise de Dieu (1Tm 3,5) ? »


« Que ce ne soit pas un néophyte (1Tm 3,6) » ajoute-t-il; et par là il n'entend pas un homme jeune, mais nouveau dans la doctrine. « J'ai planté », dit-il ailleurs, « Apollon a arrosé; mais c'est Dieu qui a donné l'accroissement ». (1Co 3,6) C'est donc le nouveau converti qu'il a en vue ; autrement qu'est-ce qui l'empêchait de dire : Un jeune homme ? Pourquoi a-t-il fait évêque Timothée lui-même? Or, Timothée était jeune, puisque l'apôtre dit : «Que personne ne méprise votre jeunesse ». (1Tm 4,12) Parce qu'il le connaissait pour très vertueux et d'une conduite parfaite : ainsi il lui rend plusieurs excellents témoignages: « Vous avez appris les saintes lettres dès votre enfance»; et encore : « Usez d'un peu de vin, à cause de vos fréquentes indispositions »; ce qui prouve que Timothée jeûnait. Il est clair que ces témoignages et ces recommandations ne pouvaient s'adresser qu'à quelqu'un de très vertueux. C'est parce que beaucoup de gentils embrassaient la foi et se faisaient baptiser, que l'apôtre défend d'élever un néophyte, c'est-à-dire un homme nouveau dans la doctrine, au faîte de l'autorité. Car celui qui deviendrait maître (311) avant d'avoir été disciple se laisserait bientôt aller au vertige par l'enflure que fait éprouver le commandement quand on n'a point appris à obéir. C'est pour cela que Paul ajoute : « De peur que, gonflé d'orgueil, il ne tombe sous la condamnation du démon (1Tm 3,6) », c'est-à-dire sous la peine que celui-ci a encourue par son orgueil.

« Il faut que l'évêque ait aussi un bon témoignage de ceux du dehors, afin qu'il ne tombe pas dans l'opprobre et dans le piège du démon (1Tm 3,7) »; car autrement, il serait outragé par eux. C'est pour un motif semblable qu'il a dit encore: « Mari d'une seule femme», bien qu'il ait dit ailleurs : « Je voudrais que tous vécussent comme moi dans la continence ». (1Co 7,7) Mais, afin de ne pas resserrer trop la voie, s'il exigeait une vertu si rigoureuse, il ne demande qu'une vertu modérée. Il fallait en effet préposer un homme dans chaque cité; car écoutez ce qu'il écrit à Tite : « Afin que dans chaque cité vous établissiez des prêtres, comme je vous l'ai prescrit (Tt 1,5) ». Mais quoi? s'il a bon témoignage et flatteuse renommée, mais qu'il ne soit pas ce qu'on pense? C'est bien difficile, car ce n'est déjà pas sans peine que même avec une vie droite on acquiert une bonne réputation parmi des ennemis; mais l'apôtre ne s'en est pas tenu là, car il n'a pas dit : « Il faut qu'il ait un bon témoignage », mais : « Qu'il ait aussi un bon témoignage » ; comprenant cette condition parmi les autres, et ne l'isolant point. — Mais si l'on en parlait mal sans motif et par envie, d'autant plus qu'il s'agit des gentils? — Il n'en est point ainsi, mais ceux-là mêmes respectent une vie irréprochable. Comment cela? dira-t-on. Ecoutez cependant ce que dit l'apôtre de lui-même : « A travers la mauvaise et la bonne renommée». (1Co 6,8) — Ce n'était point sa vie que l'on attaquait, mais sa prédication ; c'est ce qu'il entend par ces mots : « A travers la mauvaise renommée». On accusait les apôtres d'être des séducteurs et des magiciens, à cause de leur enseignement, mais on n'attaquait pas leur vie. Pourquoi personne n'a-t-il dit que ce fussent des impudiques, des insolents, des hommes cupides, mais seulement des séducteurs, ce qui ne touchait qu'à leur prédication ? C'est que celui dont la vie brille par la vertu s'attire le respect des païens eux-mêmes, car la vérité impose silence même à nos ennemis.

Et comment tombe-t-il dans le piège? En tombant souvent dans les mêmes fautes qu'eux. Car, s'il est tel que nous le disons, le démon lui aura bientôt tendu un autre piège et bientôt aussi ils le condamneront. Mais, s'il doit avoir bon témoignage des ennemis, il doit bien plus encore l'avoir des amis. Comme preuve, en effet, qu'une vie irréprochable ne peut être flétrie, écoutez ce que dit le Christ : « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ». (Mt 5,16) Mais quoi, si un homme est poursuivi par la malveillance, si quelque circonstance lui vaut une calomnie ? Cela peut arriver, mais celui-là ne doit pas être élevé en dignité, car il y a beaucoup à craindre. Il faut donc, dit l'apôtre, que le futur évêque ait aussi une. bonne renommée même chez les païens, car vos oeuvres doivent briller. Et comme un aveugle même ne dirait pas que le soleil est ténébreux, car il aurait honte de combattre le sentiment universel, de même personne ne flétrira un homme parfaitement honnête; mais les païens pourront le calomnier souvent à cause de sa doctrine ; quant à une vie droite ils ne sauraient l'attaquer; avec tout le monde, ils en sont frappés et l'admirent.

1003 3. Vivons donc de telle sorte que le nom de Dieu ne soit pas blasphémé. Ne considérons point la gloire humaine et ne nous attirons point une mauvaise renommée, mais gardons une juste mesure. « Vous brillez comme des flambeaux dans le monde ». (Ph 2,15) Dieu nous a envoyés afin que nous soyons des flambeaux et que nous devenions comme un levain, afin que nous instruisions les autres et que nous vivions comme des anges au milieu des hommes, afin qu'étant semblables à des, hommes parmi de petits enfants, hommes spirituels parmi ceux de la vie présente, ceux-ci en tirent avantage, et que nous soyons la semence qui produit des fruits abondants. Il ne serait pas besoin de discours si notre vie brillait à ce point ; il ne serait pas besoin de docteurs si nous faisions voir nos oeuvres, il n'y aurait plus de païens si nous étions chrétiens comme nous devons l'être, si nous gardions l'enseignement du Christ, si, en butte à l'injustice et à la cupidité, nous bénissions dans les outrages, si nous rendions le bien pour le mal ; car il n'y a pas d'être si farouche (312) qui ne se ralliât à la piété, s'il en était ainsi chez tous.

Comprenez-le bien : Paul était seul quand il a converti un si grand nombre d'hommes; si nous lui ressemblions tous, combien de mondes n'aurions-nous pas pu convertir. Voici qu'aujourd'hui les chrétiens sont en plus grand nombre que les païens. Dans les autres arts, un seul maître peut former à la fois une centaine d'apprentis ; ici où nous sommes tant de maîtres et devrions former tant de disciples (1), personne ne se joint plus à nous. Car ceux que l'on veut instruire examinent la vertu de leurs maîtres, et, quand ils nous voient les mêmes désirs, la même ambition qu'à eux-mêmes, celle du pouvoir et de la considération, comment pourront-ils admirer le christianisme? Ils voient des vies dignes de reproches, des âmes terrestres; nous sommes comme eux et bien plus qu'eux fascinés par les richesses; nous tremblons comme eux à la pensée de la mort, nous craignons comme eux la pauvreté, nous nous irritons comme eux contre les maladies ; comme eux, nous aimons la gloire et la puissance, nous nous laissons aller au désespoir de l'avarice, nous courtisons les heureux du siècle (2). Comment peuvent-ils croire ? par les miracles ? mais nous n'en faisons pas; par des changements de vie ? mais il n'y en a plus ; par notre charité? mais on n'en voit nulle part nulle trace. Aussi rendrons-nous compte, non seulement de nos péchés, mais de la perte des autres.

1 Manuscrit du musée britannique de Moscou et de la Laurentienne.
2 Manuscrit de la Laurentienne.

Revenons de notre égarement, veillons, faisons voir sur la terre la cité céleste, disons que « notre conversation est dans le ciel », (Ph 3,20) Montrons-nous sur la terre comme des athlètes. Mais, dira-t-on, il y a eu parmi nous de grands hommes ? Comment le croirai-je, répondra le païen? Je ne vous vois point faire ce qu'ils ont fait. Et puisqu'il faut aborder ce terrain, nous aussi nous avons de grands philosophes dont la vie fut admirable. Mais montrez-moi un autre Paul et un autre Jean? Qui ne se rirait de ces raisonnements? Et qui ne continuera pas à demeurer dans l'ignorance en nous voyant philosophes, non en actions, mais en paroles? Maintenant chacun est prêt à se faire tuer ou à tuer pour une obole; pour un vase de terre, vous prononcez mille jugements; si vous perdez un enfant vous ne vous connaissez plus. Je ne parle pas de ces désordres lamentables, les auspices, les augures, les observations superstitieuses, les thèmes généthliaques, les amulettes, les divinations, les formules d'incantation, les sortilèges ; grands crimes et capables de provoquer la colère de Dieu, quand il nous voit coupables d'une telle audace, après qu'il nous a envoyé son Fils. Eh quoi ! ne faut-il que se lamenter quand à grand'peine une faible part des hommes arrive au salut éternel? Mais ceux qui se perdent l'entendent dire gaiement, parce qu'ils ne subissent pas seuls leur sort, mais se perdent avec un grand nombre. Quelle joie est donc celle-là? Ils en subiront le châtiment. Ne croyez pas en effet que, comme il arrive sur la terre, il y ait une consolation dans l'autre monde à trouver des compagnons de son malheur. Comment le prouveriez-vous? Je vais vous rendre la vérité manifeste.

Dites-moi, en effet, si un homme est con. damné au feu et qu'il voie son fils brûler avec lui, s'il voit la fumée s'élever de ses chairs, ne ressentira-t-il pas une douleur mortelle? Si ceux mêmes qui ne sont pas atteints par lé mal sont, à ce spectacle, saisis d'horreur et tombent en défaillance, combien plus ceux qui souffrent aussi. N'en soyez pas surpris, car écoutez la parole d'un sage : « Tu as été atteint comme nous, tu as été compté pour un d'entre nous ». (Is 14,10) Il y a de la sympathie entre les hommes, et nous sommes frappés par les maux d'autrui. Sera-ce donc une consolation ou un accroissement de souffrances qu'éprouvera un père en voyant son fils soumis a la même peine que lui? un mari en voyant sa femme? des hommes, un autre homme? Ne sommes-nous pas alors plus douloureusement atteints? — Mais les peines de l'autre vie ne ressemblent pas à celle-ci. — Non, elles sont bien différentes, car le pleur y sera inconsolable, et tous se verront entre eux, et souffriront ensemble. Dans une famine éprouve-t-on quelque soulagement de ses propres maux, parce qu'on les voit partagés par autrui ? Et que sera-ce, quand ce sont un fils, un père, une épouse, des petits-fils qui subissent la même peine que nous? Quand nous voyons souffrir nos amis, en éprouvons-nous de la consolation? Non, non; mais nos douleurs en deviennent plus intenses. Il y a (313) d'ailleurs des souffrances trop aiguës pour être soulagées par le partage. Ainsi, qu'un homme soit dans le feu et un autre encore, pourront-ils se consoler entre eux? Dites-moi, je vous prie, si nous sommes saisis d'une fièvre violente, toute consolation n'est-elle pas vaine pour nous? Oui, sans doute; car l'âme, lorsque le mal l'a surmontée, n'a plus le loisir de se prêter à des consolations. Voyez les femmes qui ont perdu leurs maris; combien ne peuvent-elles pas compter de veuves comme elles? Mais leur mal en devient-il moins grand? Ah ! ne nous entretenons point d'une telle espérance; trouvons la seule consolation véritable dans le regret de nos péchés et la fidélité à la bonne voie qui conduit au ciel, afin que nous obtenions le royaume des cieux par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient gloire et puissance aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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HOMÉLIE XI (3,8-9). DE MEME, QUE LES DIACRES SOIENT PUDIQUES, SINCÈRES,


Chrysostome sur 1Tm 901