Chrysostome sur 2Co 1000

HOMÉLIE X. NOUS SAVONS EN EFFET QUE, SI CETTE TENTE MATÉRIELLE OU NOUS DEMEURONS SE DISSOUT, DIEU NOUS RÉSERVE UNE DEMEURE

QUI N'A PAS ÉTÉ FAITE DE MAIN D'HOMME, MAIS QUI EST ÉTERNELLE ET DANS LES CIEUX. (2Co 5,1-10)

Analyse.

1 et 2. Saint Chrysostome développe les textes de l'apôtre qui se rapportent à la résurrection et au jugement dernier.
3 et 4. Il cherche par le tableau de ce jugement à inspirer à son auditoire une salutaire frayeur.

1001 1. L'apôtre ranime encore l'ardeur des Corinthiens et les soutient dans leurs nombreuses épreuves. Sans doute aussi son 'absence, avait diminué leur courage. Que leur dit-il donc? Ne soyez ni surpris ni troublés de tant d'afflictions. Elles nous valent de nombreux avantages. Il leur en a montré déjà plusieurs: Nous portons avec nous, leur a-t-il dit, la mortification de Jésus-Christ, et nous sommes partout la preuve vivante de sa puissance. « Afin que, dit-il, on reconnaisse l'étendue de la vertu de Dieu. » Nous servons encore de preuve à (66) sa résurrection; ce qu'il disait en ces termes: « Afin que la vie de Jésus soit manifestée dans notre chair mortelle ». Il dit ensuite que l'homme intérieur est perfectionné : « Si l'homme extérieur se corrompt, dit-il, l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour ». Voulant ensuite montrer l'avantage des souffrances et des persécutions, il ajoute qu'elles enfantent toutes sortes de biens pour ceux qui les endurent avec patience. Peut-être vous désoleriez-vous de voir l'homme extérieur se corrompre : or c'est précisément lorsque cette corruption se sera produite que vous éprouverez le plias de jouissances et que vous aurez le sort le plus heureux: Non-seulement donc il ne faut point s'affliger, si quelque partie du corps se dissout; mais au contraire il faut aspirer à une complète dissolution. Cette corruption de l'homme extérieur mène à l'immortalité: Et c'est pourquoi l'apôtre ajoute: « Nous savons en effet que si cette tente matérielle où nous habitons, se dissout, Dieu nous réserve une demeure qui n'a pas été faite de main d'homme, une demeure éternelle et qui est dans les cieux ». Le dogme qu'il leur coûtait le plus d'admettre, c'était le dogme de la résurrection. Il cherche à l'établir de plus en plus, il invoque les jugements mêmes de ses auditeurs, et voici comment il procède. Il trouve une autre occasion d'entrer en matière. Il les avait déjà tirés de leur erreur. Maintenant il dit : « Nous savons que si cette tente matérielle où nous habitons vient à se dissoudre, Dieu nous en réserve une autre qui n'a pas été faite de main d'homme, qui est éternelle et dans les cieux ».

Il en est qui par cette demeure terrestre entendent le monde où nous sommes : Je crois plutôt que l'apôtre fait allusion au corps. Voyez maintenant comment. par les noms eux-mêmes il montre la supériorité des biens à venir sur les présents. Au mot « terrestre » il oppose le mot « céleste » ; au mot « tente », qui peint la fragilité, le peu de durée des choses d'ici-bas, il oppose le mot « éternel.». C'est pourquoi Jésus-Christ dit : «Dans la maison de mon Père il y a plusieurs demeures ». (
Jn 14,2) S'il donnait le nom de tentes aux demeures des saints, il y ajouterait quelque autre expression. Ainsi le Sauveur ne dit pas : afin qu'ils vous reçoivent dans leurs tentes; mais : « Afin qu'ils vous reçoivent dans les tentes éternelles ». (Lc 16,9) En disant : « Une demeure qui n'est pas faite de main d'homme », il fait songer à celle qui est faite de main d'homme. — Quoi donc? Le corps est-il fait de main d'homme ? Non pas; mais par là il désigne ou bien les maisons construites par les hommes; ou bien c'est le corps lui-même qu'il appelle une maison que la main de l'homme n'a pas élevée. Alors ce ne serait plus le second terme d'une comparaison, mais simplement une louange et un éloge. — « Dans cette demeure périssable nous gémissons, et nous souhaitons de revêtir cette autre demeure qui est du ciel (2Co 5,2) ». Quelle est cette demeure? Un corps désormais incorruptible. Et pourquoi gémissons-nous maintenant ? — Parce que le corps dont plus tard nous serons revêtus est bien préférable à celui que nous avons aujourd'hui. Il dit qu'il est céleste, parce qu'il n’est plus sujet à se corrompre. Ce corps ne nous vient pas du ciel, sans doute, l'apôtre par cette, expression vent signifier la grâce qui vient du ciel. Bien loin de nous affliger de quelques épreuves, nous devons les rechercher toutes. C'est comme s'il disait : Vous vous plaignez des persécutions, vous gémissez de voir se corrompre l'homme extérieur? Gémissez plutôt de n'être point persécutés davantage encore, devoir l'homme extérieur se dissoudre si lentement. Voyez-vous comme il retourne la pensée ? Il faut s'affliger de ne pas vair s'accomplir entièrement la dissolution, au lieu de se plaindre de la voir commencer. C'est pourquoi il donne au corps non plus le nom de tente, mais celui d'habitation permanente. Et cela avec raison. Car une tente se dissout aisément, mais une habitation reste toujours.

« Si cependant nous sommes trouvés revêtus, et non pas nus (2Co 5,3) ». Tous ne peuvent attendre la résurrection avec confiance. Aussi l'apôtre ajoute-t-il : « Si cependant nous sommes revêtus », c'est-à-dire, si nous arrivons à l'incorruptibilité, si nous reprenons un corps qui ne. soit plus sujet aux souffrances. « Et si nous ne sommes point trouvés nus », c'est-à-dire privés de gloire et de sécurité. Il exprimait la même pensée dans sa première épître aux Corinthiens. « Tous nous ressusciterons », disait-il; « et chacun à notre rang»; et encore : « Il y a des corps célestes, et il y a des corps terrestres ». (1Co 15,23-40) (67) Tous ressusciteront, mais tous ne seront point glorifiés; les uns ressusciteront dans la gloire, les autres dans l'opprobre; les uns pour régner dans les cieux, les autres pour être tourmentés dans les enfers. C'est là ce que l'apôtre veut faire entendre par ces paroles : « Si nous sommes trouvés revêtus et non point nus. Car nous aussi qui sommes dans cette tente, nous gémissons, parce que nous ne voulons pas être dépouillés, mais couverts de nouveaux vêtements (2Co 5,4) ».

1002 2. Ne ferme-t-il pas aussi la bouche aux hérétiques; en leur montrant qu'il ne s'agit pas d'un corps ou d'un autre, mais de la corruption et de l'incorruptibilité? Ce qui cause nos gémissements, ce n'est pas le désir que nous avons d'être délivrés de notre corps (car nous ne voulons pas en être dépouillés) ; mais c'est le désir d'être délivrés de la corruption qu'il renferme. Aussi dit-il : Nous ne. voulons pas être dépouillés de notre corps, mais nous voulons le revêtir d'immortalité. Il s'explique ensuite : « Afin que ce qui est corruptible, soit absorbé par la vie ». Il semblait pénible à la plupart de quitter leur corps, et c'était combattre leurs sentiments que de dire : « Nous gémissons de ne pas vouloir en être délivrés ». Et en effet, si l'âme éprouve tant de peine à se séparer du corps, comment dites-vous donc que nous nous plaignons de n'en être point séparés? C'est cette objection qu'il veut prévenir : Je ne veux pas dire, reprend-il, que nous gémissons par suite du désir que nous avons de quitter nos corps. La. mort est une cause de tristesse pour tout le monde; et le Christ lui-même a dit de saint Pierre : « Ils te prendront et te mèneront où tu ne veux pas aller» (Jn 21,18); mais nous voulons revêtir notre corps d'une robe d'immortalité. Voilà ce qui nous afflige : ce n'est pas d'avoir un corps; mais d'avoir un corps mortel et sujet à-la souffrance. Telle est encore une fois la cause de notre, affliction. Mais la mort, vient détruire ce qu'il y a de corruptible en nous, elle ne détruit point le corps. — Et comment cela se fait-il, demandez-vous?Ne posez point cette question. C'est Dieu lui-même qui le fait. Pas de vaine curiosité.

C'est pourquoi l'apôtre ajoute : « Celui qui nous a créés pour cela même, c'est Dieu ». Il s'agit donc d'une disposition toute céleste et éternelle. Ce n'est pas aujourd'hui que Dieu l'a établie; il en a décidé ainsi quand dans l'origine il nous forma de terre, quand il créa le premier homme, Adam. Il ne l'a point créé pour mourir, mais pour le rendre immortel. Afin de confirmer ce qu'il vient de dire, l'apôtre ajoute : « Et il nous a donné le gage de l'Esprit-Saint ». C'est pour cette fin qu'il créa l'homme, c'est pour cette fin qu'il l'a renouvelé par le baptême. Le gage qu'il nous en donne, n'est certes point sans valeur : c'est l'Esprit-Saint lui-même. Souvent il parle de gage, soit pour montrer qu'il s'engage formellement, soit afin d'inspirer par ces paroles plus de confiance à des esprits encore grossiers. « Ayant donc toujours confiance et sachant ». Il parle de confiance à cause des persécutions, des embûches, des menaces de mort continuelles, comme s'il disait : « On vous menace, on vous persécute, on vous fait mourir? » Ne vous découragez point; tout cela se fait pour votre bien, ne tremblez point; mais au contraire ayez confiance. Ce qui vous fait gémir, ce qui vous cause de la douleur, cette corruption dont vous vous plaignez, c'est ce qui doit vous enlever de ce monde et vous arracher à la servitude. Voilà le sens de ces paroles : « Ayant donc toujours confiance », non-seulement quand vous vivez au sein du repos, mais encore quand vous êtes affligés. « Et sachant que tant que nous habitons ce corps, nous sommes loin du Seigneur. Car nous nous avançons au moyen de la foi, et non point en contemplant Dieu lui-même. Mais nous avons confiance et nous espérons sortir du corps et nous présenter devant le Seigneur (2Co 5,6-8) ». Il place en dernier lieu ce qui à le plus de grandeur. Revêtir l'immortalité; c'est moins que vivre avec le Christ. Et voici ce qu'il veut dire : L'ennemi qui nous donne la mort, n'éteint pas en nous la vie; ne craignez clone rien. Ayez confiance, au contraire, si l'on vous fait mourir. Car non-seulement on vous soustrait à la corruption, et on vous décharge d'un lourd fardeau, mais on vous fait passer de ce monde vers le Seigneur. C'est pourquoi l'apôtre ne se borne pas à dire tandis que nous sommes dans le corps; il s'exprime comme si nous étions en pays étranger : « Sachant donc que nous sommes pour ainsi dire exilés dans le corps; et loin du Seigneur; mais nous avons confiance, et nous espérons sortir du corps pour nous présenter devant le Seigneur ».

Voyez-vous comme il sait taire les noms de (68) mort et de trépas, et leur en substituer d'autres pleins de douceur et d'agrément. Il appelle la mort un voyage vers le Seigneur.. Ces noms, si doux en apparence, qui expriment la vie, il les remplace par des noms peu gracieux, et la vie n'est pour lui qu'un exil où nous sommes loin de Dieu. Il en use de la sorte afin qu'on ne s'attache point au présent, qu'on s'en afflige au contraire, que la vue de la mort réjouisse au lieu d'affliger, puisque la mort donne accès à de plus grands biens. — Mais on pourrait dire, après l'avoir entendu tenir ce langage: «Quoi donc? Parce que nous sommes sur la terre, nous vivons loin du Seigneur?» C'est pour. prévenir cette objection qu'il ajoute : « Car nous nous avançons, la lumière de la foi, et non en contemplant Dieu lui-même ». Nous le connaissons donc ici-bas, mais moins clairement que nous- ne le connaîtrons dans le ciel. Il le dit ailleurs encore : « Nous le voyons comme dans un miroir»; et « en énigme». (1Co 13,12) «Mais nous avons confiance et nous espérons », dit-il. Qu'espérons-nous donc,? « Nous espérons sortir du corps et nous présenter devant le Seigneur ». Quelle élévation dans ce langage ! C'est ainsi que toujours procède l'apôtre. Il s'empare des paroles de ses adversaires, et les tourne dans un sens tout opposé. C'est une remarque que j'ai déjà exprimée. « Ainsi donc nous nous efforçons de lui plaire, que nous soyons. près de lui, que nous soyons loin de lui». L'objet de nos efforts, dit-il, c'est de vivre selon sa volonté, que nous soyons au ciel, que nous soyons sur la terre. Nous n'avons rien plus à coeur qu'une telle conduite. Dès ici-bas vous jouissez déjà et avant toute épreuve, du royaume des cieux. Après avoir excité chez eux un bel désir, il ne veut pas qu'un délai trop prolongé les décourage, et c'est pourquoi il leur montre même ici-bas, comme l'abrégé, de tous les biens, qui consiste à plaire au Seigneur. Ce qu'il faut,désirer, ce n'est pas simplement de sortir de ce monde, mais d'en sortir après une vie sainte voilà ce qui rend la mort agréable; ce n'est pas la vie elle-même qui est à charge, mais la vie passée à offenser Dieu.

1003 3. Gardez-vous de croire qu'il suffise de sortir du corps : partout il est besoin de vertu. Quand l'apôtre parlait de la résurrection, il n'a pas voulu que ce mot nous inspirât trop de confiance, il disait: « Si cependant nous nous trouvons revêtus, et non pas nus ». De même quand il parle de la séparation de notre âme d'avec le corps, il ne veut pas que nous la regardions comme suffisante pour le salut, et il ajoute qu'il faut plaire à Dieu. Après les avoir ranimés par la vue de tarit d'objets magnifiques, il leur inspire de la crainte en leur mettant sous les, yeux des tableaux effrayants. Les avantages d'une vie vertueuse, c'est de mériter le bonheur et d'échapper aux. supplices, d'obtenir le royaume des cieux, et d'éviter les feux de l'enfer. Mais de ces deux avantages, le plus sensible, c'est d'échapper aux supplices. Quand toute la peine consiste dans une privation, la plupart s'y résignent volontiers; mais il en est autrement, quand il s'agit d'une souffrance positive; la privation elle-même devrait paraître insupportable; mais la faiblesse de notre nature, sa bassesse nous fait regarder les supplices comme bien plus1erribles. La vue des récompenses produisait moins d'effet sur le grand nombre que la menacé des supplices éternels: et c'est pourquoi l'apôtre conclut en disant : « Tous nous devons comparaître devant le tribunal du Christ ». Après avoir ainsi produit l'effroi dans les âmes, après les avoir ébranlées par la pensée de ce redoutable ; tribunal, il ne sépare point les menaces qui effraient des récompenses qui réjouissent, et il dit : «Afin que chacun rende compte de ses oeuvres bonnes ou mauvaises ». Il fait briller aux regards des justes et de ceux qui sont persécutés des récompenses bien capables de soutenir leur ardeur, et il fait retentir aux oreilles des pécheurs des menaces bien propres à les tirer de leur négligence, et enfin il donne une preuve de la résurrection des corps. Le corps, en effet, a prêté son ministère pour le bien et pour le mal, il doit donc partager le sort de l'âme : avec elle il doit être puni, avec elle il doit être couronné.

Certains hérétiques prétendent que nous ressusciterons avec un Corps différent de celui que nous avons eu sur la terre. — Pourquoi donc, je vous le demande? Notre corps a péché ; c'est un autre qui subira la peine ! Notre corps a fait le bien, c'est un autre qui recevra la couronne ! Qu'avez-vous à répliquer à ces mots de l'apôtre : « Nous ne voulons pas être dépouillés, mais recevoir un vêtement plus précieux? ». — Comment donc ce qui est corruptible peut-il être absorbé par la vie? Saint Paul n'a pas dit : « Afin que le corps mortel (69) ou corruptible soit absorbé par un corps incorruptible » ; mais afin que « la corruption soit absorbée par la vie ». C'est ce qui arrive, lorsque le même corps que nous avions reprend une vie nouvelle. Mais si nous ressuscitons avec un autre corps, ce n'est plus la corruption qui est absorbée; au contraire, elle demeure, elle triomphe. Or, ce n'est pas ce qui doit avoir lieu : il faut que ce qui est corruptible, c'est-à-dire le corps, revête l'immortalité. Le corps est au milieu: maintenant sujet à la corruption, plus tard il, doit ressusciter incorruptible. Il est d'abord corruptible : s'il était incorruptible, il ne pourrait être détruit : « La corruption », dit l'apôtre, « ne peut avoir en partage l'incorruptibilité » (
1Co 15,50). Comment en effet cela serait-il possible? Mais au contraire la corruption sera absorbée par la vie. La vie triomphe de la corruption, mais la corruption ne saurait triompher de la vie. De même que la cire fond devant le feu et non point le feu devant la cire; de même la corruption est consumée par l'immortalité et disparaît; mais elle ne saurait elle-même triompher de l'immortalité.

Prêtons donc l'oreille à la voix de l'apôtre qui nous dit : « Il nous faudra paraître devant le tribunal du Christ » ; représentons-nous ce tribunal, supposons qu'il est déjà dresse et qu'on nous demande compté de nos actions: Mais je veux moi-même entrer dans quelques détails. Saint Paul venait de parler de tribulations, et il ne voulait pas contrister encore les Corinthiens. C'est pourquoi il n'insiste pas sur le jugement dernier, et se contente de ces quelques mots : « Chacun rendra compte de ses actions ». Puis il passe à une autre pensée. Supposons donc que ce dernier jour est arrivé. Examinons notre conscience, songeons que nous sommés aux pieds de notre juge, que toutes nos actions sont dévoilées et produites au grand jour. Car non-seulement nous comparaîtrons, mais encore notre âme sera mise à découvert. Vous rougissez, vous êtes hors de vous-mêmes ! Cependant ce n'est là qu'une supposition, qu'une fiction de notre esprit; et la vue de notre conscience nous effraie. Que ferons-nous donc, quand ce jour arrivera, quand tout l'univers sera rassemblé, quand nous apercevrons les anges. et les archanges, quand nous serons témoins de cet immense concours, quand nous verrons les saints emportés sur les nuages, quand nous aurons devant nous cette multitude saisie de terreur, quand nous entendrons le son bruyant des trompettes, et ces cris sans cesse répétés? N'y eût-il point d'enfer, quel affreux supplice déjà quo de se voir repoussé avec tant d'éclat, et de se retirer couvert de confusion ! Quand l'empereur entre dans une ville, nous sentons même notre misère, et le spectacle que nous avons sous les yeux nous cause moins de joie que nous n'éprouvons de chagrin, de ne pas avoir part à tant de magnificence et de ne pas approcher du souverain. Que sera-ce donc au jour du jugement? Quel supplice de n'être pas admis dans le choeur des bienheureux, de ne point partager cette gloire ineffable, d'être repoussé bien loin de cette brillanté assemblée, de ces biens que nul langage ne saurait exprimer ! Mais songea ensuite à ces ténèbres, à ce grincement de dents, à ces chaînes indissolubles, à ce ver qui ne meurt point, à ce feu qui ne s’éteindra point; à ces horribles souffrances, à ces angoissés, à ce feu qui dévore la langue, comme il. dévorait celle du mauvais riche; à ces hurlements, que personne n'entend, à ces cris de désespoir, à ces rugissements, arrachés par la douleur, sans que personne y prenne garde, sans que personne ne vienne nous soulager que dire de pareilles tortures? Quoi de plus malheureux que les âmes des damnés? Y a-t-il spectacle plus lamentable?

1004 4. Si nous entrons dans une prison, la vue de ces prisonniers presque nus, chargés de chaînes, épuisés de faim, plongés dans de ténébreux cachots, nous trouble jusqu'au fond de l'âme et nous glace d'horreur: il n'est rien que nous n'endurions plutôt que de tomber dans ces affreuses demeures. Ah ! quand nous nous sentirons traînés vers ces supplices de l'enfer; quelle situation plus affreuse encore ! Là nous serons enchaînés non point avec des chaînes de fer; mais avec les chaînes d'un feu qui né s'éteindra jamais. Nous aurons pour bourreaux non point des hommes comme nous qui se laissent parfois apaiser, mais les anges, que nous n'oserons même regarder, tant ils sont irrités contre nous par nos fautes d'autrefois. Là, personne ne viendra, comme il se pratique ici-bas, nous apporter ou de l'argent, ou de la nourriture, ou des consolations. En enfer plus de pardon à espérer. Noé, Job, Daniel, verraient leurs proches plongés dans ces supplices, qu'ils n'oseraient leur porter secours. Cette pitié que donne la (70) nature, elle est éteinte après cette vie. Un père vertueux peut avoir un fils dans l'enfer, et réciproquement. Leur joie doit être sans aucun mélange de tristesse, et au sein du bonheur éternel, elle ne doit pas être troublée par un sentiment de pitié. C'est pourquoi j'affirme que cette pitié naturelle s'éteint en eux et qu'ils s'indignent avec le Seigneur contre leurs propres enfants. Ne voit-on pas les hommes renier. ceux de leurs fils qui se conduisent mal et les retrancher de leur famille? A plus forte raison les justes agiront-ils de la sorte. Ne vous promettez donc aucun bonheur, si vous n'avez fait le bien, eussiez-vous mille ancêtres au nombre des saints.. « Chacun recevra selon ses oeuvres personnelles, selon les actes de sa vie corporelle ». N'est-ce pas le fornicateur que l'apôtre a en vue, et qu'il veut effrayer par. les menaces des éternels supplices? ou plutôt n'a-t-il pas en vue tons les pécheurs quels qu'ils soient ?

Donc nous aussi prêtons l'oreille à ses paroles. Si le feu de la passion vous dévore, opposez-lui ces feux éternels; et, le feu de la passion finira par s'éteindre. Si vous songez à prononcer quelque parole inconvenante, songez au grincement de dents; et la crainte mettra un frein à votre bouche. Voulez-vous prendre le bien d'autrui, écoutez la terrible sentence du Juge suprême : « Liez-lui les mains et pieds, et jetez-le dans les ténèbres extérieures » ; et vous bannirez le désir des richesses. Vous vous enivrez, vous ne pouvez vaincre cet odieux penchant, écoutez le riche disant à Abraham : « Envoie Lazare, afin qu'avec l'extrémité de son doigt il rafraîchisse ma langue dévorée par l'ardeur des flammes », (
Mt 22,13), sans qu'il puisse rien obtenir; et votre penchant cédera. C'est l'amour du plaisir qui vous captive, songez aux souffrances, aux angoisses de l'enfer et vous ne songerez plus aux délices d'ici-bas. Si vous êtes implacable et cruel, rappelez-vous ces vierges folles, qui pour avoir laissé éteindre leurs lampes, furent privées de recevoir l'époux; et vous deviendrez bientôt miséricordieux-. Vous êtes paresseux et lâche ? Rappelez-vous cet homme qui cache son talent; et vous serez plus actif que le feu lui-même.

Mais c'est la soif du bien d'autrui qui vous dévore? Songez à ce ver qui ne meurt point; vous guérirez vite de cette maladie et vous accomplirez aisément toute la loi de Dieu. Car elle ne nous impose rien de pénible. ni d'insupportable. Comment se fait-il donc que les préceptes du Seigneur nous paraissent si lourds ? Notre indolence en est la cause. Ayons un peu d'ardeur, et, ils nous deviendront légers et faciles. Mais si nous sommes lâches, ces préceptes si légers nous paraîtront difficiles à accomplir.

Pleins de ces pensées, songeons non pas aux délices que l'on peut goûter ici-bas, mais à leurs affreuses conséquences. Dans ce monde tout est corruption, tout est charnel; après la mort ceux qui s'abandonnent au plaisir seront dévorés par le ver qui ne meurt point et par le feu qui ne s'éteint point; ne songeons pas aux richesses que procure le vol; songeons aux maux qu'elles engendrent ici-bas les craintes; et les angoisses dans l'enfer des chaînes indissolubles; ne songeons pas à la gloire; mais à ses suites funestes : ici-bas c'est l'esclavage; c'est la dissimulation; dans l'autre vie ce sont d'insupportables supplices, les tourments que cause une flamme dévorante. Répétons-nous sans cesse à nous-mêmes ces salutaires paroles, opposons-les à la voix de nos passions, nous apaiserons bien vite la soif des biens de ce monde, nous allumerons promptement dans nos coeurs l'amour des biens à venir. Ah ! cet amour, qu'il s'allume, qu'il s'enflamme ! La pensée toute seule de ce bonheur, si faible qu'elle soit, ne nous remplit-elle pas de joie ? Quel charme n'éprouverons-nous donc pas, lorsque nous le goûterons réellement? Heureux, mille fois heureux ceux qui, l'obtiendront ; malheureux. au contraire, mille fois malheureux, ceux qui endureront les tourments de, l'enfer. Soyons, du nombre des premiers, et non peint parmi les derniers, et pour cela pratiquons la vertu. C'est ainsi que nous parviendrons au bonheur éternel. Puissions-nous tous en jouir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui gloire, puissance, honneur, avec le Père et l'Esprit-Saint, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.





1100

HOMELIE XI. REMPLIS DE LA CRAINTE DU SEIGNEUR, NOUS CHERCHONS A PERSUADER LES HOMMES,

ET DIEU VOIT LE FOND DE N0TRE COEUR; J'ESPÈRE AUSSI QUE VOS CONSCIENCES ONT DE NOUS UNE CONNAISSANCE EXACTE. (2Co 5,11-21)

Analyse.

1-3. Je ne fais aucune attention à la condition terrestre de qui que ce soit; mais je n'ai égard qu'à la nouvelle créature formée de Dieu, qui, par la médiation de Jésus-Christ, a admis l'homme à se réconcilier avec lui, et qui m'a aussi confié le ministère de la réconciliation. — Ce ministère, je l’exerce à la place de Jésus-Christ, car c'est lui qui est l’unique médiateur, Dieu en ayant fait la victime pour le péché.
3 et 4. Que nous devons plus craindre le péché que la punition du péché.

1101 1. Tremblant nous-mêmes à la pensée de ce redoutable tribunal, nous nous efforçons de ne vous donner aucune prise contre nous, de ne vous causer aucun scandale, de ne faire naître en vos âmes aucun fâcheux soupçon. Voyez quelle perfection, quelle délicatesse de conscience! Il ne nous suffit point de ne pas faire le mal, pour être à l'abri des reproches; si l'on nous soupçonne, même sans fondement aucun, et que nous ne nous efforcions point d'écarter ces soupçons, nous méritons d'être punis. — « Nous ne nous recommandons point auprès de vous, nous vous donnons seulement occasion de vous glorifier à notre sujet» (2Co 5,12). Que de fois il se défend de faire son propre éloge ! Rien n'offense autant les auditeurs que d'entendre un homme, se décerner de pompeux éloges. Forcé de se donner à lui-même des louanges, il reprend aussitôt: C'est à cause de vous que je m'exprime de la sorte, et non pas à cause de moi, afin que vous ayez lieu de vous glorifier, et non pour nous arroger à nous-même quelque gloire. Il avait aussi en vue les faux apôtres. C'est pourquoi il ajoute : « Auprès de ceux qui se glorifient extérieurement, mais non dans le coeur (2Co 5,12) ». Voyez-vous comme il les détourne de ces hommes dangereux, pour se les attirer à lui-même, en montrant aux Corinthiens qu'eux aussi désirent trouver une occasion de le soutenir et de le défendre contre ses détracteurs? Si nous vous parlons de la sorte, dit-il, ce n'est point afin de nous glorifier nous-même, mais bien pour que vous puissiez parler vous-mêmes librement en notre faveur. C'est ainsi qu'il leur témoigne son amour. Non-seulement je me propose votre propre gloire, mais encore de vous prémunir contre leurs pièges. Il ne le leur dit pas en propres termes, mais c'est la pensée qu'il exprime dans un langage plein de modération et incapable de blesser personne. « Afin que vous puissiez vous glorifier en présence de ceux qui se glorifient eux-mêmes extérieurement» (2Co 5,12). Et encore leur recommande-t-il de ne point le faire sans motif, mais uniquement lorsque les faux apôtres feront paraître de l'orgueil. Partout il exige que l'on se guide sur les circonstances. Ce n'est donc point pour faire briller son mérite qu'il agit de la sorte, mais bien pour réprimer l'orgueil de ces hommes qui par leur jactance pouvaient nuire aux Corinthiens. Que signifient ces mots : « à l'extérieur? » C'est-à-dire, en ce qui frappe les yeux, en ce qui s'étale au grand jour. Ils n'agissaient qu'en vue de la gloire, ils étaient vides de bonnes intentions, prenaient le masque de la piété pour paraître dignes de respect, sans avoir au fond aucun mérite.

« Si nous semblons exagérer, c'est pour Dieu; si nous parlons un humble langage, c'est pour vous (2Co 5,13) ». Oui, dit-il, soit que (72) nous nous louions nous-mêmes (c'est ce qu'il appelle « exagérer », comme ailleurs il dit « être insensé »), nous le faisons à cause de Dieu; à la vue de notre bassesse, peut-être nous mépriseriez-vous, et ainsi vous courriez à votre perte. Si au contraire nous parlons un langage plein de modération et d'humilité, c'est pour vous apprendre à vous-mêmes à demeurer toujours humbles. On bien encore l'apôtre veut dire: Si l'on nous traite d'insensés, c'est de Dieu que nous attendons notre récompense, après avoir été l'objet d'un tel outrage; si au contraire on reconnaît notre sagesse, on en recueillera les précieux avantages. — Ou bien encore : On nous regarde comme un insensé; eh bien ! c'est à cause de Dieu que nous sommes insensé. Aussi ajoute-t-il : "la charité de Dieu nous presse, et nous pensons... ((2Co 5,14) ». Ce n'est pas seulement la crainte de l'enfer qui nous défend de nous engourdir dans un lâche sommeil, mais le souvenir du passé nous excite sans cesse à supporter pour vous de si grandes fatigues. Et quels sont donc ces événements passés ? « Si un seul est mort pour tous, donc tous sont morts » (2Co 5,14). L'apôtre s'exprime donc comme si tous étaient morts. Si tous, en effet, n'eussent été morts, le Christ ne serait point mort pour tous. Ici-bas le salut est possible ; mais après cette vie, il n'est plus possible de se sauver. C'est pourquoi l'apôtre dit : « La charité du Christ nous presse» (2Co 5,14) et ne nous laisse prendre aucun repos. Ne serait-ce point le pire des maux, un mal plus affreux que l'enfer lui-même que de trouver des hommes qui, après cet immense dévouement du Sauveur, ne retireraient aucun fruit de ses souffrances? Quel excès de charité de la part de Jésus-Christ que d'avoir souffert la mort pour sauver un monde si mal disposé à son égard !

« Afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux (2Co 5,15) ». Si donc nous ne devons point vivre pour nous-mêmes, ne vous troublez point, ne vous effrayez point à l'approche des dangers et de la mort. C'est un devoir pour nous, et la raison qu'il en donne est convaincante. Puisque c'est la mort de Jésus-Christ qui nous a donné la vie, ne devons-nous pas vivre pour celui à qui nous la devons? Saint Paul semble n'avoir exprimé qu'une seule pensée; mais, si nous y prenons garde, il y en a deux; la première, que nous vivons par Jésus-Christ; la seconde, qu'il est mort à cause de nous. L'une ou l'autre suffit pour nous mettre sous sa dépendance. Mais quand elles se réunissent toutes deux, jugez quelles sont nos obligations ! Ou plutôt il y a là trois choses. Car il est ressuscité d'entre les morts et a transporté l'homme dans les cieux. Voilà pourquoi saint Paul ajoute : « A celui qui est mort et qui est ressuscité pour nous ». — « C'est pourquoi depuis ce temps nous ne connaissons plus personne selon la chair parmi les fidèles » (2Co 5,16). Car si tous sont morts, victimes de la tyrannie du péché, si tous sont ressuscités par le baptême de la régénération, et le renouvellement opéré par l’Esprit-Saint, l'apôtre a raison de dire : « Nous ne connaissons plus personne d'entre les fidèles selon la chair ». Ils sont encore dans la chair, je le veux bien. Mais en eux il n'y a plus de vie charnelle ; et de plus nous avons été engendrés dans le Saint-Esprit, et maintenant nous ne connaissons plus d'autre conduite, d'autre vie que la vie du ciel. L'auteur de ce bienfait, c'est encore le Christ, ainsi que le dit l'apôtre : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de la sorte () ».

1102 2. Eh ! quoi, direz-vous? Jésus-Christ a-t-il déposé la chair, et n'a-t-il plus de corps ? Loin de nous cette pensée : maintenant encore il est revêtu de sa chair. « Ce Jésus qui a été élevé au ciel et dérobé à vos regards, viendra comme vous l'avez vu remonter ». (Ac 1,14) C'est-à-dire, dans la chair et avec son corps. Pourquoi donc l'apôtre dit- il : « Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair ; maintenant nous ne le connaissons plus de la sorte? » (2Co 5,16) Pour nous, « être dans la chair », c'est être dans le péché; et « n'être pas dans la chair », c'est n'être pas dans le péché. Quand il s'agit du Christ, cette expression «selon la chair » (2Co 5,16), signifie les affections naturelles, comme la faim, la soif, la fatigue, le sommeil. « Car il n'a point commis le péché, et la ruse ne s'est point trouvée sur ses lèvres ». (Is 53,9) Et c'est pourquoi le Sauveur disait : « Qui de vous me convaincra de péché? » Et encore : « Le prince de ce monde est venu, et il n'a rien en moi ». (Jn 8,46 Jn 14,30) Cette expression, « non selon la chair » (2Co 5,16), nous dit qu'il n'est plus sujet à ces sortes d'affections, mais non pas qu'il n'a point de corps. Car il doit venir un (73) jour revêtu de sa chair désormais impassible et immortelle pour juger l'univers. Alors aussi nos corps seront transformés comme le sien et resplendiront d'une gloire semblable.

« En sorte que s'il y a dans le Christ une nouvelle création... (2Co 5,17) ». C'est l'amour de Dieu qui doit d'abord nous exciter à la vertu ; mais ensuite l'apôtre nous y porte par les choses elles-mêmes. Et c'est pourquoi il ajoute : « S'il est dans le Christ une création nouvelle » (2Co 5,17). Celui qui embrasse la foi de l'Evangile, est pour ainsi dire créé une seconde fois : L'Esprit-Saint lui a donné une seconde fois la naissance. Nous devons donc vivre pour Jésus-Christ, non-seulement parce que nous ne nous appartenons pas à nous-mêmes ou parce qu'il est mort pour nous, ou parce qu'il a ressuscité les prémices du genre humain, mais aussi parce que nous sommes entrés dans une vie nouvelle. Voyez que de motifs pour nous exciter à tenir une conduite vertueuse. C'est pourquoi l'apôtre se sert d'une expression fort matérielle pour rendre cette transformation, afin que nous en sentions mieux l'importance. Il va plus loin, et nous montre en quoi consiste cette création nouvelle. — « Les choses anciennes ont passé, dit-il, voilà que tout a été renouvelé » (2Co 5,17). Quelles sont ces choses anciennes? Les péchés, les impiétés, ou bien les cérémonies judaïques, ou bien les deux ensemble. « Voilà que tout a été renouvelé. — Or tout vient de Dieu... (() ». Rien ne vient de nous-mêmes. Le pardon de nos fautes, notre adoption, notre glorification, nous tenons tout de sa munificence. A l'avenir l'apôtre joint le présent pour les exciter encore davantage. Voyez en effet : Il a dit que nous devons ressusciter, entrer dans une vie éternelle, régner éternellement avec Dieu; mais le présent aura plus d'influence que l'avenir sur ceux qui n'ont pas une foi bien ferme dans les biens futurs, et c'est pourquoi il leur rappelle les bienfaits qu'ils ont reçus et l'état où ils se trouvaient, quand Dieu les en a comblés. En quel état se trouvaient-ils donc ? Ils étaient tous morts. — « Tous sont morts, » dit-il, « et le Christ est mort pour tous », tant il les aimait tous. Tous étaient courbés sous la vétusté des vices.

Mais tout a été renouvelé, l'âme qui a été purifiée, le corps, la manière d'adorer Dieu, les promesses, le Testament, la table, les vêtements, tout en un mot. Au lieu de la Jérusalem d'ici-bas, nous avons reçu la Jérusalem céleste; au lieu d'un temple matériel, un temple spirituel; au lieu des tables de pierre, des tables de chair; au lieu de la circoncision, le baptême; au lieu de la manne, le corps du Seigneur; au lieu de l'eau du rocher, le sang qui coule du côté de Jésus;. nous avons reçu la croix au lieu de la verge de Moïse et d'Aaron, le royaume des cieux au lieu de la terre promise, un seul Pontife au lieu de ces milliers de prêtres, l'Agneau spirituel au lieu de cet agneau privé de raison. C'est tout plein de ces pensées que l'apôtre disait : « Tout a été renouvelé. Et tout nous vient de Dieu » par le Christ; c'est un présent de la divine munificence. Aussi ajoute-t-il : « Qui nous a réconciliés avec lui par Jésus-Christ et nous a donné le ministère de la réconciliation. » De là en effet nous viennent tous les biens. Celui qui nous a rendus les amis de Dieu, nous a valu tous les autres bienfaits que Dieu nous a prodigués. Il n'a point voulu que nous fussions encore ennemis de Dieu, au moment où il nous faisait ces largesses; il a commencé par nous rétablir dans son amitié. En disant que le Christ a été pour nous l',auteur de la réconciliation, je veux parler aussi du Père; et en disant que ces bienfaits nous viennent du Père, j'entends aussi parler du Fils. « Car c'est par lui que tout a été fait ». (Jn 1,13) D'où il suit qu'il est lui-même aussi l'auteur de ces bienfaits. Ce n'est pas nous qui sommes accourus vers lui ; c'est lui qui nous a appelés. Et comment nous a-t-il appelés? Par la mort du Christ : « Qui nous a donné un ministère de réconciliation ». Ici il montre encore la dignité des apôtres, la grandeur de leur mission, l'amour excessif de Dieu envers nous. Les hommes ne voulurent pas entendre la voix de l'ambassadeur céleste, et cependant Dieu ne s'irrita point, ne les abandonna point, il redoubla d'instance auprès d'eux et par lui-même et par ses envoyés. Comment avoir assez d'admiration pour une telle sollicitude? Le Fils de Dieu; venu sur la terre pour nous réconcilier avec son Père, le vrai Fils de Dieu, son Fils unique, est mis à mort, et cependant le Père ne se détourne point des criminels; il ne dit point : J'ai envoyé mon Fils en ambassade, non-seulement ils n'ont pas voulu l'entendre, mais ils l'ont fait mourir, ils l'ont crucifié; il est bien juste (74) que je les abandonne. Il agit tout autrement; et quand Jésus-Christ a quitté la terre, c'est à nous-même qu'il confie le ministère de la réconciliation. « Il nous a donné, » dit saint Paul, « le ministère de la réconciliation ».

« Car Dieu était dans le Christ réconciliant « le monde avec lui-même, ne leur imputant « point leurs péchés. (19) ». Quel amour ! Ne dépasse-t-il point tout ce qu'on pourrait dire, tout ce qu'on pourrait s'imaginer? Quel était l'offensé? Dieu lui-même. — Qui se présenta le premier pour opérer la réconciliation ? — Dieu encore. — Mais, dites-vous, il a envoyé son Fils, il n'est pas venu lui-même. — Il a envoyé son Fils, j'en conviens ; mais le Fils n'était point seul à- exhorter les hommes ; le Père les exhortait aussi avec lui et par lui. — « Dieu était dans le Christ réconciliant le « inonde avec lui ».'- « Dans- le Christ. », c'est-à-dire, « par le Christ ». L'apôtre avait dit : «Il nous a donné un ministère de ré« conciliation ». Il adoucit un peu sa pensée en disant : Ne croyez pas que nous soyons à nous seuls chargés clé, cette mission; nous ne sommes que des serviteurs. C'est Dieu qui a -fait tout cela; c'est lui qui a réconcilié le monde par son Fils unique. Et comment-? Ce qu'il y a d'admirable en effet, ce n'est pas seulement que le monde soit venu l'ami de Dieu, mais aussi la manière dont s'est opérée la réconciliation. Comment s'est-elle donc opérée? Dieu a pardonné les péchés des hommes. : l'amitié ne pouvait se contracter autrement. Aussi l'apôtre ajoute-t-il : « Sans tenir compte de leurs péchés ». Ah ! s'il eût voulu demander compte aux hommes de leurs fautes, nous étions tous perdus; car tous étaient morts. Mais ces fautes si nombreuses, il ne voulut pas en tirer vengeance, il nous rendit au contraire ses bonnes grâces; non-seulement il nous pardonna nos péchés, mais il ne nous les imputa pas même. C'est ainsi que nous aussi nous devons pardonner à nos ennemis, si nous voulons obtenir de Dieu notre pardon. « Et il a mis en nous la parole de la réconciliation ». Ce n'est point pour une mission pénible que nous sommes venus, mais pour vous rendre l'amitié de Dieu. Ils, n'ont pas voulu se rendre à mes paroles; vous, ne cessez de les exhorter, jusqu'à ce que vous les persuadiez. C’est pourquoi saint Paul ajoute : «Nous sommes les ambassadeurs du Christ; et c'est Dieu qui exhorte par notre bouche. Nous vous en conjurons au nom de Jésus-Christ: réconciliez-vous avec Dieu (20) ».

1103 3. A quelle hauteur il pode cette mission dont il est chargé ! C'est le Christ lui-même qui supplie dans l'apôtre. Et non-seulement Jésus-Christ, mais Dieu le Père. Car voici le sens de ces paroles : Le Père a envoyé son Fils pour, exhorter les hommes en son nom et pour remplir auprès d'eux les fonctions d'ambassadeur. Les hommes l'ont fait mourir; il a quitté ce monde, et nous lui avons succédé dans sa mission. C'est donc en son nom et en celui de son -Père que nous vous exhortons. Le père aime le genre humain à ce point qu'il a livré son propre Fils, sachant bien que les hommes le feraient mourir, et qu'il nous a faits ses apôtres à cause de vous. L'apôtre pouvait donc bien dire : « Tout est pour vous. Nous sommes les ambassadeurs du Christ ». Comme s'il disait : Nous tenons la place du Christ, nous lui avons succédé dans sa mission. Cela vous semble peut-être bien extraordinaire: Ecoutez ce qui suit, vous verrez que les apôtres tiennent la place non-seulement du Christ, mais aussi du Père. Saint Paul ajoute en effet : « C'est Dieu qui vous exhorte par notre bouche ». Ce n'est point seulement par son Fils que le Père vous exhorte, mais encore par nous qui avons pris la place de son Fils. Ne vous imaginez donc point que c'est nous qui vous prions. C'est le Christ lui-même, c'est son Père qui vous prie par notre bouche. Est-il rien de comparable à une pareille bonté? Ce Père dont on a payé les immenses bienfaits par tant d'outrages, non-seulement ne se venge point, mais il. donne son Fils pour nous réconcilier avec lui. Loin de vouloir se réconcilier, les hommes le font mourir. Il envoie d'autres ambassadeurs, et après les avoir envoyés,.il se fait lui-même suppliant en leurs personnes.. Et que demande-t- il? « Réconciliez-vous avec Dieu ». Il ne dit pas : Réconciliez Dieu. avec vous: Ce n'est pas lui qui nous hait, c'est vous qui voulez être ses ennemis. Dieu éprouve-t-il jamais un sentiment de haine? Et il discute la cause, comme ferait un ambassadeur.— « Celui qui m'a point connu le péché, il l'a fait péché à cause de nous ». Je ne rappelle point le passé, vos outrages envers moi, qui ne vous ai jamais tait de mal, mes bienfaits si nombreux ; je ne vous dirai point que je ne vous ai point punis, que bien (75) qu'outragé le premier, je suis cependant le premier à vous prier. Non, je ne veux rien rappeler de tout cela. Ne suffit-il pas du bienfait qu'il-vous accorde aujourd'hui pour vous décider à une réconciliation? Quel est-il donc, ce bienfait? «Celui qui n'a point connu le péché, pour vous il l'a fait péché... (21) ». Ne vous aurait-il jamais accordé d'autres faveurs, n'était-ce pas une faveur immense que de livrer son Fils pour ceux qui l'avaient outragé? Oui, il l'a donné, et ce n'est pas assez, il a permis que ce Fils, l'innocence même, fût accablé d'outrages pour ceux-mêmes qui les lui infligeaient. — Ce ne sont point les paroles de l'apôtre; elles sont encore plus expressives. « Celui », dit-il, « qui ne connaissait point le péché ; qui était la justice même, « il l'a fait péché », c'est-à-dire, il l'a laissé condamner comme un pécheur, mourir comme un homme chargé de malédictions : « Car maudit est celui qui est pendu au bois». (Dt 21,23) Une mort ordinaire n'était rien en comparaison de cette mort si atroce. Et c'est ce que saint Paul nous donne à entendre, quand il dit : « S'étant fait obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix ». (Ph 2,8) Il y avait là non-seulement le supplice, mais l'ignominie. Voyez donc que de bienfaits vous avez reçus ! C'est chose admirable qu'un pécheur consente à mourir pour un autre quel qu'il soit; mais quand c'est un juste qui meurt, et qui meurt pour des pécheurs, et qui meurt comme un maudit et pour nous mériter des faveurs auxquelles nous ne pouvions prétendre (afin que par lui nous devenions justes de la justice de Dieu), comment dire, comment peindre tant de générosité? Celui qui était juste, dit l'apôtre, il l'a fait pécheur, afin de justifier les pécheurs. Et ce n'est pas même ainsi qu'il parle; il tient un langage plus sublime encore; ce n'est point l'état qu'il exprime, mais la qualité elle-même. Il ne dit pas : il l'a fait pécheur, mais : « il l'a fait péché » ; il ne dit pas : celui qui n'a point péché, mais celui qui n'a point connu le péché; il ne dit pas : afin que nous devenions justes, mais afin que nous devenions à la justice », et même « la justice de Dieu ». C'est en effet la justice de Dieu, quand elle ne vient point des oeuvres, quand elle n'est ternie d'aucune tache, niais bien le fruit de la grâce qui fait disparaître toute imperfection. De telles expressions ne nous permettent point de nous enorgueillir : car c'est de Dieu que nous vient ce trésor, et nous apprenons ainsi à connaître la puissance de notre bienfaiteur. La loi et les oeuvres produisaient « simplement la justice»; celle dont parle l'apôtre est « la justice de Dieu». Pénétrons-nous bien de ces pensées, et qu'elles nous effraient plus que la vue même de l'enfer; admirons de tels objets plus que le royaume des cieux; et regardons comme une peine non d'être châtiés, mais de tomber dans le péché. Si Dieu ne nous châtiait pas lui-même, nous devrions nous imposer à nous-mêmes un châtiment, après nous être montrés ingrats envers un tel bienfaiteur. Que de fois un amant passionné ne s'est-il point donné la mort, parce qu'il n'a pu assouvir sa passion? et après l'avoir assouvie, que de fois ne s'est-il pas jugé indigne de vivre pour avoir outragé son amante? Et nous qui avons offensé un Dieu si bon, si miséricordieux, nous ne nous précipiterons pas dans le feu de l'enfer? Ce que je vais dire paraîtra singulier, étrange, incroyable à la plupart : Celui qui sera puni après avoir outragé un maître si plein de bonté, devra s'estimer plus heureux, s'il est raisonnable, et s'il aime Dieu, que celui qui n'aura pas été puni.

1104 4. N'en avons-nous point la preuve dans la vie commune? Si vous injuriez un de vos amis, vous n'avez de repos qu'après vous être punis vous-mêmes ou reçu quelque injure à votre tour. Ecoutez ce que disait David : « Moi qui suis le pasteur, j'ai péché; moi qui suis le pasteur, j'ai commis l'injustice : et ceux-ci, qui forment mon troupeau, quel mal ont-ils fait? Je vous en conjure, tournez votre main contre moi et contre la maison de mon père ». (2R 24,17) Après la mort d'Absalon, il s'infligea les plus rudes tourments; et cependant, bien loin d'être coupable, C'est lui qui avait reçu l'outrage. Mais l'amour qu'il portait à son fils, lui faisait rechercher ces douleurs où il trouvait quelque consolation. Nous aussi, quand nous péchons contre ce Dieu que nous ne devrions point offenser, empressons-nous de nous punir nous-mêmes. Ne voyez-vous point ceux qui ont perdu des enfants bien chers, se frapper la poitrine, s'arracher les cheveux? C'est une consolation pour eux de s'affliger pour ceux qu'ils aiment. Si donc, sans avoir fait aucun mal à nos amis, nous trouvons du soulagement à nous affliger de leurs propres douleurs, n'en trouverons-nous point à nous punir nous-mêmes, après (76) les avoir irrités et outragés? Qui pourrait en douter? Celui qui aime Jésus-Christ comme il convient, comprend ce que je dis; et quand même Dieu le laisserait en repos, lui, il ne supporterait point de n'être pas puni. Le plus grand supplice que vous puissiez endurer, c'est d'avoir irrité le Seigneur. Je sais bien que ce langage vous étonne; cependant je ne dis rien d'exagéré.

Si donc nous aimons vraiment Jésus-Christ, nous nous punirons nous-mêmes de nos fautes. Ce qu'il y a de pénible pour un homme, ce n'est point de souffrir après avoir offensé son ami, mais bien d'avoir irrité celui qu'il aimait. Et si cet ami ne se venge point de l'injure qu'il a reçue, le coupable n'en est que plus tourmenté; il n'éprouve du soulagement qu'après avoir été offensé à son tour. Ne craignons donc pas tant les feux de l'enfer; craignons plutôt d'offenser Dieu. Quoi de plus affreux pour nous que de voir le Seigneur détourner de nous son visage irrité? C'est assurément le plus terrible de tous les supplices. Un exemple vous fera mieux comprendre ma pensée. Un roi vit un criminel que l'on menait au supplice; il livra son propre fils pour être immolé à la place du coupable; non content d'envoyer son fils à la mort, il transporta sur cette victime innocente le crime lui-même, afin de sauver le coupable, de l'arracher à l'infamie; bien plus, il l'éleva à une haute dignité. Or, après avoir été sauvé, de la sorte, après s'être vu combler d'honneurs, le misérable outragea son bienfaiteur. Eh bien, je vous le demande, si cet homme a encore sa raison; n'aimera-t-il pas mieux mourir mille fois, plutôt que de rester sous le poids d'une pareille ingratitude? Telle est précisément la question pour nous-mêmes. Nous avons outragé notre bienfaiteur; poussons d'amers gémissements. Et sous prétexte qu'il se montre plein de patience; n'allons pas nous rassurer; au contraire, que cette patience accroisse notre douleur. Qu'on vous frappe sur la joue gauche, et qu'ensuite vous présentiez la droite, ne vous vengez-vous pas mieux de la sorte qu'en accablant votre ennemi? Quand on vous lance des paroles outrageantes, est-ce en rendant outrages pour outrages que vous blesserez le plus vivement votre ennemi? Non, mais bien en gardant le silence, ou en lui souhaitant toutes sortes de biens. Si donc la patience de ceux que nous outrageons nous couvre de confusion, combien n'est-elle pas plus à craindre la patience du Seigneur pour ceux qui ne cessent point de pécher et qui ne reçoivent aucun châtiment. Ah ! c'est sur leur tête que s'amoncellent d'incompréhensibles tourments. Songeons-y et ne craignons rien tant que le péché ; le péché c'est notre supplice, c'est l'enfer; c'est la réunion de toits les maux. Ne nous bornons pas à le craindre, mais encore fuyons-le et efforçons-nous de plaire au Seigneur : car c'est là notre royaume, c'est là notre vie, c'est la réunion de tous les biens. Ainsi dès ici-bas nous posséderons le royaume des cieux et les biens de la vie future. Puissions-nous tous y arriver par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soit au Père et au Saint-Esprit gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. — Ainsi soit-il.



1200

Chrysostome sur 2Co 1000