Chrysostome, Colossiens 500

HOMELIE V. LE MYSTÈRE QUI AVAIT ÉTÉ CACHÉ A TOUS LES SIÈCLES ET A TOUS LES AGES, A ÉTÉ DÉCOUVERT MAINTENANT A SES SAINTS.

— AUXQUELS DIEU A VOULU FAIRE CONNAITRE QUELLES SONT, DANS LES GENTILS, LES RICHESSES DE LA GLOIRE DE CE MYSTÈRE QUI N'EST AUTRE CHOSE QUE JÉSUS-CHRIST REÇU DE VOUS ET DEVENU L'ESPÉRANCE DE VOTRE GLOIRE. — C'EST LUI QUE NOUS ANNONÇONS, REPRENANT TOUT HOMME ET INSTRUISANT TOUT HOMME EN TOUTE SAGESSE, POUR RENDRE TOUT HOMME PARFAIT EN JÉSUS-CHRIST. (Col 1,26-2,6)

127 Analyse.

1. Degrés innombrables que les gentils ont du franchir pour arriver à la connaissance du Christ.
2. Trésors de la science du Christ; ce que saint Paul demande à ses auditeurs, c'est une foi pleine et entière jointe à l'intelligence et à la charité.
3. Quand il s'agit de croire aux mystères, la raison nous égare et la foi nous soutient.
4. Contre ceux qui ne croient pas à la résurrection. Les mystères de la nouvelle loi ont dans l'ancienne loi et dans la nature des précédents qui nous préparent à y croire.

501 1. Après avoir dit les bienfaits que nous avons obtenus, comme autant de preuves de la bonté et de la grandeur de Dieu, il entre dans un autre développement et s'applique à faire voir que personne, avant nous, n'a connu Dieu. C'est ce qu'il fait dans l'épître aux Ephésiens, lorsqu'il dit : Ni les anges, ni les principautés, ni aucune autre vertu créée ne l'a connu; il n'a été connu que du Fils de Dieu. (Ep 3,5) C'est pourquoi il ne dit pas: Mystère inconnu, mais : Mystère caché (Col 1,26). Quoiqu'il ait été découvert maintenant, ce mystère est ancien. Dieu voulait que les choses fussent ainsi dès le commencement; pourquoi cela? Saint Paul ne le dit pas encore. — « A tous les siècles », dit-il, « dès le commencement ». Et c'est avec raison qu'il donne le nom de mystère à ce que Dieu seul connaissait. Et ce mystère, où était-il caché? En Jésus-Christ; c'est ce que dit saint Paul dans son épître aux Ephésiens. (Ep 3,9) C'est ce que dit le Prophète : « Vous existez depuis le commencement des siècles jusqu'à la fin des siècles». (Ps 89,2) — « Ce mystère a été découvert maintenant à ses saints » (Col 1,26). Ce bienfait est donc tout entier une grâce de la Providence. «Il a été manifesté maintenant». Il ne dit pas: S'est opéré; mais: « A été manifesté à ses saints ». Il reste donc encore caché, puisqu'il n'a été découvert qu'à ses saints. Ne vous laissez donc pas tromper sur les motifs de Dieu qui sont inconnus. « Le mystère a été découvert à ceux à qui il a voulu le découvrir » (Col 1,26-27). Voyez comme il sait toujours mettre un frein à leur curiosité. « A ceux à qui Dieu a voulu faire connaître (Col 1,27), etc. » Dieu a eu ses raisons pour agir ainsi. Et, en parlant comme il parle, l'apôtre a voulu que les hommes reconnaissent l'empire de la grâce, au lieu de se glorifier de leurs vertus.

Que signifie cette expression: « Les richesses de la gloire de ce mystère chez les gentils? » (Col 1,27) C'est une expression pleine de beauté et d'énergie. C'est un sentiment sublime; ce sont de grandes images qui renchérissent les unes sur les autres. C'est employer, en effet, une grande image que de dire sans rien préciser : « Les richesses de la gloire de ce mystère chez les gentils ». Car c'est chez les gentils surtout qu'éclate la grandeur de ce mystère, et c'est ce que saint Paul dit ailleurs : « Quant aux gentils, ils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde ». (Rm 15,9) Oui, la gloire de ce mystère éclate chez les autres ; mais elle éclate surtout chez les gentils. Que des hommes, plus insensibles que des pierres, aient été tout à coup élevés au rang des anges par de simples paroles, par la seule opération de la foi, voilà où est la gloire, où est la splendeur du mystère ! C'est comme si, d'un chien famélique et galeux, hideux et difforme, gisant sur le sol sans pouvoir faire un seul mouvement, on faisait tout à coup un homme, pour faire asseoir cet homme sur un siège royal. Voyez, en effet : ils adoraient les pierres et la terre; ils ont appris que l'homme vaut mieux que le ciel et le soleil, et que le monde entier doit être son esclave. Ils étaient captifs, dans (128) les chaînes du démon; tout à coup ils lui ont mis le pied sur la tête, ils lui ont commandé et l'ont flagellé. Ces captifs, ces esclaves des démons, sont devenus des natures divines, des natures d'anges et d'archanges. Ces êtres, qui ne savaient même pas ce que c'est que Dieu, sont allés s'asseoir sur le trône de Dieu.

Voulez-vous voir quels degrés innombrables ils ont franchis ? Ils ont dû apprendre d'abord que les pierres ne sont pas des dieux ; que la pierre, loin d'être dieu, est même au-dessous de l'homme, qu'elle est même au-dessous de la brute, qu'elle est même inférieure à la plante; que c'était sur le dernier degré de l'échelle des êtres qu'ils avaient choisi leurs dieux; que non-seulement ni la pierre, ni la terre, ni l'animal, ni la plante, ni l'homme, ni le ciel, mais, pour monter plus haut, que ni la pierre, ni l'animal, ni la plante, ni les éléments, ni la matière qui est au-dessus de nous, ni celle qui est au dessous, ni l'homme, ni les démons, ni les anges, ni les archanges, ni aucune de ces puissances célestes ne doivent être pour le genre humain les objets d'un culte. Ils ont dû fouiller, pour ainsi dire, dans les abîmes de la science, pour apprendre que c'est le Maître de l'univers qui est Dieu, qu'il a seul droit à nos hommages, qu'il est beau de savoir bien régler sa vie, que la mort actuelle n'est pas la mort, que la vie d'ici-bas n'est pas la vie, que notre corps ressuscite, qu'il devient incorruptible, qu'il monte au ciel, qu'il parvient à l'immortalité, qu'il est à côté des anges auprès desquels il se trouve transporté. Cet être placé ici-bas, Dieu lui a fait monter et franchir tous les degrés pour le placer sur le trône : cet être qui était au-dessous de la pierre, Dieu l'a mis au-dessus des anges, des archanges, des trônes et des dominations. Oui, il a eu raison de dire : « Les richesses de la gloire de ce mystère » (Col 1,27).

En comparaison de cette science, la Science des anciens philosophes n'était que folie: tout ce que les philosophes pourraient dire ici serait inutile. Car le style de Paul a ici une grandeur infinie : « Quelles sont », dit-il, chez les gentils, « les richesses de la gloire de ce mystère », qui est le « Christ résidant en vous? » (Col 1,27) Les gentils devaient apprendre en outre que celui qui est au-dessus de tout, qui commande aux anges et qui étend son empire sur toutes les puissances, s'est abaissé jusqu'à devenir un homme, a enduré d'innombrables souffrances, est ressuscité et monté au ciel.

502 2. Voilà tout ce que renfermait ce mystère. Et, pour en faire l'éloge, il ajoute : « Qui est le Christ résidant en vous » (Col 1,27). Mais s'il est en vous, à quoi bon aller chercher les anges, pour vous l'enseigner ? « De ce mystère ». Il y a d'autres mystères encore. Mais ce mystère-là est bien le mystère inconnu, le mystère admirable qui surpasse toute attente, le mystère qui était caché au monde. « Qui est », dit-il, « le Christ résidant en vous, l'espérance de votre gloire », le Christ que nous vous annonçons, en faisant descendre sa doctrine du ciel : c'est nous qui vous l'annonçons; ce ne sont pas les anges. « C'est lui que nous prêchons, reprenant tous les hommes » (Col 1,28). Nous ne vous commandons rien ; nous ne vous imposons pas la religion du Christ; car c'est encore ici un effet de la bonté de Dieu, de ne pas tyranniser les âmes. Pour atténuer ce que ce mot « nous prêchons » peut avoir d'ambitieux, il ajoute : « Reprenant » tous les hommes. C'est la réprimande d'un père plutôt que celle d'un maître. « Que nous annonçons », dit-il, « reprenant tous les hommes et les instruisant dans toute la sagesse », ce qui veut dire, les instruisant dans toute espèce de sagesse ou leur parlant toujours avec sagesse. Il faut donc ici une sagesse accomplie; car il m'est pas donné à tout le monde d'apprendre de tels mystères. « Afin que nous rendions tout homme parfait en Jésus-Christ » (Col 1,27). Que dites-vous, Paul? vous voulez rendre tous les hommes parfaits? Oui, c'est là le désir le plus cher de l'apôtre. Quand même il ne réussirait pas, saint Paul veut guider tous les hommes vers la perfection. Oui, vers la perfection; mais l'oeuvre de Paul est encore imparfaite et elle le sera, tant que tous les hommes ne seront pas complètement sages. «Tout homme parfait en Jésus-Christ »; non dans la connaissance de la loi, non dans la connaissance des anges; car ce n'est pas là la perfection; mais « en Jésus-Christ », c'est-à-dire dans la connaissance du Christ. Bien connaître les actions du Christ, c'est être plus sage que les anges. « En Jésus-Christ ».

« C'est aussi la fin que je me propose dans mes travaux et dans mes luttes » (Col 1,29). Je ne poursuis pas mon oeuvre, dit-il, avec mollesse et tant bien que mal; je travaille, je lutte avec zèle, c'est-à-dire sans épargner mes veilles. (129) Si je veille tant à vos intérêts, vous devez à plus forte raison me seconder. Puis il montre que Dieu est pour beaucoup dans ces travaux. « Avec l'aide de sa vertu qui agit puissamment en moi » (Col 1,29. Il prouve que c'est là l'ouvrage de Dieu. S'il me rend fort et robuste pour accomplir cette oeuvre, c'est qu'il veut que je l'accomplisse. Et voilà pourquoi il dit au commencement de ce chapitre : « Paul, par la volonté de Dieu ». Ce n'est pas là seulement le langage de la modestie; c'est celui de la vérité. « Dans mes luttes », cela signifie qu'il a beaucoup d'adversaires.

Puis, du ton le plus bienveillant, il dit à ses auditeurs : « Je veux que vous sachiez quelle est ma sollicitude pour vous et pour ceux qui sont à Laodicée » (Col 2,1) Et, pour que cet intérêt ne ressemble point à un témoignage de leur faiblesse, il l'étend aussi à d'autres, sans les reprendre encore. « Et pour tous ceux qui ne me connaissent pas encore de vue ». Langage admirable dont le sens est qu'il les voit toujours en esprit ! Il leur témoigne beaucoup d'affection, et c'est pourquoi il ajoute: « Afin que leurs coeurs soient consolés, en se trouvant unis par la charité, et qu'ils soient remplis de toutes les richesses de l'intelligence, pour connaître le mystère de Dieu le Père, et de Jésus-Christ, en qui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés » (Col 2,2-3).

Il s'efforce ici d'aborder le dogme, sans les accuser, ni sans les disculper tout à fait. Je lutte, dit-il, et pourquoi? Pour qu'ils forment une masse bien compacte, c'est-à-dire pour qu'ils soient fermes et stables dans la foi. Mais il n'expose pas ainsi sa pensée; il retranche de son discours toute parole accusatrice. Il veut qu'ils soient unis par la charité et non par la nécessité, ni par la violence. Car, je le répète, c'est toujours sans aigreur qu'il les exhorte; et voilà pourquoi il dit : Je suis dans l'angoisse, parce que je voudrais les mener avec le lien de l'affection, sans les contraindre. Je ne veux pas qu'ils soient unis seulement de bouche, ni qu'ils s'unissent inconsidérément et sans réflexion ; je veux que leurs coeurs soient consolés, « étant unis par la charité, pour être remplis de toutes les richesses d'une parfaite intelligence » (Col 2,2), c'est-à-dire pour qu'ils ne soient plus en proie au doute, pour que leur foi soit pleine et entière. Car c'est de la plénitude de la foi qu'il s'agit ici. Le raisonnement peut bien produire aussi la conviction; mais cette foi-là n'a aucune valeur. Je sais que vous croyez; mais je veux que vous soyez pleinement convaincus, de manière à posséder non-seulement la richesse, mais « toutes les richesses », de manière à posséder la foi pleine et entière. Voyez l'habileté du saint apôtre. Il ne dit pas : Vous avez tort de ne pas avoir la foi, dans toute sa plénitude ; il ne les a pas accusés. Il dit : Vous ne savez pas comme je voudrais vous voir remplis d'une foi intelligente. Car, puisqu'il a parlé de la foi, n'allez pas croire, ajoute-t-il, que je parle d'une foi aveugle et inutile. La foi que je vous demande, c'est la foi jointe à l'intelligence et à la charité.

« Pour connaître le mystère de Dieu le Père et de Jésus-Christ». C'est le mystère de Dieu, d'y être amené par Jésus-Christ. « Et de Jésus-Christ, en qui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés » (Col 2,3). S'il renferme en lui seul tous ces trésors cachés, il est arrivé à point, en arrivant aujourd'hui sur la terre. Que signifient donc les reproches de quelques insensés? Voyez comme il parle à ces hommes simples : « En qui sont renfermés tous les trésors » : c'est-à-dire qui connaît tout. — « Cachés ». N'allez pas croire, en effet, que vous les possédez tous. Ce n'est point à vos yeux seulement, c'est encore aux yeux des anges qu'ils sont cachés. C'est donc au Christ qu'il faut tout demander; c'est lui qui donne la sagesse et la science. Par le mot, « les trésors de la science », il fait allusion à leur richesse; parle mot « tous », à l'omniscience du Christ; par le mot « cachés », à son privilège. « Or je dis ceci, afin que personne ne vous trompe par des paralogismes exposés d'une manière persuasive (Col 2,4) ».

503 3. Ce que je vous ai dit, poursuit-il, a pour but de vous empêcher d'interroger les hommes sur de pareils sujets. « Afin que personne ne vous trompe avec des paralogismes présentés d'une manière persuasive ». Quelle n'est pas, en effet, la puissance du sophiste, si sa parole est persuasive? « Car, si je suis absent de corps, je suis néanmoins avec vous en esprit (Col 2,5) ». La suite des idées amenait ces paroles : Si je suis absent de corps, je connais cependant ceux qui voudraient vous tromper. Le verset finit par un éloge. « Voyant avec joie l'ordre qui règne parmi vous et la solidité de votre foi en Jésus-Christ». L'ordre dont il parle, (130) est un ordre bien établi. « Et la solidité de votre foi en Jésus-Christ ». Ici l'éloge est encore plus flatteur. Il n'a pas dit, votre foi ; mais: « La solidité de votre foi », comme s'il parlait à des soldats bien alignés et fermes à leur poste. Ce qui est ferme et solide est à l'épreuve de la fraude et de la tentation. Nonseulement, dit-il,vous n'êtes pas tombés, mais nul ennemi n'a pu jeter le désordre dans vos rangs. Il s'offre à leurs regards, comme un chef présent parmi eux; c'est le moyen de faire respecter la discipline. C'est quand les soldats restent fermes à leur poste que les rangs restent bien serrés. Ce qui fait la solidité d'un tout, c'est le rapprochement et l'union intime de toutes les parties de ce tout, et c'est ce qui a lieu dans une bonne muraille. Voilà l'oeuvre de la charité. Les membres qu'elle unit étroitement forment un corps des plus solides. La foi produit le même effet, en ne permettant pas au sophisme de se glisser entre eux. Le sophisme est un élément de division et de ruine; là foi est un gage dé solidité et d'union. Puisque les bienfaits de Dieu dépassent la raison humaine, Dieu a fait sagement de nous donner la foi. Comment rester ferme, lorsqu'on demande des comptes à Dieu ?

Chez nous, ce sont les vérités les plus sublimes qui se passent du raisonnement et qui s'appuient sur la foi. Dieu est partout et nulle part. Quoi dé plus contraire à la raison? Chaque mot de cet axiome cache un écueil. L'espace, en effet, ne renferme pas Dieu; aucun lieu n'est capable de le contenir. Il est incréé, il ne s'est pas fait lui-même; il n'a pas eu de commencement. La raison acceptera-t-elle ces vérités, si la foi est absente ? Les propositions ne semblent-elles pas ridicules et plus insolubles que des énigmes? Il n'a pas eu de commencement, il est incréé, immense et infini, voilà ce qui nous jette dans le doute et la perplexité. Il est incorporel; c'est là que notre raison se perd. Dieu est incorporel : comment cela? voilà un mot vide, un mot que l'esprit ne peut concevoir et qui ne lui représente rien. Car s'il représentait quelque chose, il représenterait notre nature et ce qui constitue le corps. Un pareil mot, la bouche le prononce; mais l'esprit ne comprend pas ce que dit la bouche. Il ne sait qu'une chose, c'est que ce mot désigne un être qui n'a pas de corps. Mais pourquoi parler de Dieu ? Que signifie ce mot incorporel appliqué à l'âme qui est créée, renfermée dans notre corps et limitée ? Répondez; montrez-moi le sens de ce mot. Mais vous ne le pouvez pas. Est-ce de l'air, que cette âme ? Mais l'air est un corps, bien qu'il ne soit pas solide; et mille faits nous prouvent que c'est un corps élastique. Est-ce un feu ?mais le feu est un corps, et l'activité de l'âme est incorporelle. Pourquoi? c'est qu'elle pénètre partout. Donc si l'âme n'est pas un corps, quelque chose d'incorporel se trouve donc compris dans un lieu, et par conséquent est circonscrit; or, ce qui est circonscrit forme une figure, et lés figures sont tracées avec des lignes, et les lignes appartiennent à des corps. Mais ce qui n'offre pas de figure, comment peut-on le concevoir ? Il n'y a là ni figure, ni forme, ni lieu. Voyez-vous quelle obscurité?

Autres réflexions. Le grand Etre n'a pas la capacité du mal; mais il est «volontairement» bon ; donc il serait aussi capable du mal. Mais voilà ce qu'on ne peut dire, et loin de nous un pareil langage ! Est-ce volontairement ou malgré lui qu'il a été amené à posséder l'existence? Voilà encore une question qu'on ne doit pas faire. Autre problème. Renferme-t-il la terre dans sa circonscription, ou ne la renferme-t-il pas? S'il ne la renferme pas, c'est que c'est elle qui le renferme. S'il la renferme, c'est qu'il est infini dans sa nature. Et maintenant se borne-t-il lui-même? S'il. se borne lui-même, il n'est pas sans commencement par rapport à lui, bien qu'il le soit par rapport à nous; on ne peut donc pas dire que par sa nature même, il n'a pas de commencement.

Partout des contradictions qui prouvent que nous sommes environnés de ténèbres, et que nous avons toujours besoin de la foi. Mais abordons, s'il vous plaît, de moins hautes questions. Cet Etre suprême est capable d'action. Or cette action, quelle est-elle? Est-ce un mouvement quelconque? Il n'est donc pas immuable; car ce qui se meut n'est pas immuable, puisque l'immobilité se change en mouvement. Mais cette essence se meut et ne reste jamais en place. Quel est son mouvement, dites-moi? Chez nous il y a sept manières de se mouvoir; on peut se mouvoir de bas en haut, de haut en bas, de dehors en dedans, de dedans en dehors, à gauche, à droite, circulairement; sous un autre point de vue, il y a le mouvement qui augmente, celui qui diminue, celui qui commence, celui qui finit, celui (131) qui change. L'essence suprême ne se meut-elle d'aucune de ces manières et se meut-elle comme l'âme? Mais loin de nous cette pensée ! car l'âme se livre à une foule de mouvements déréglés.

Vouloir, est-ce agir? S'il en est ainsi, Dieu veut que tous les hommes soient bons et qu'ils soient sauvés. Comment donc cela n'a-t-il pas lieu? Vouloir, n'est-ce pas agir? Alors, pour agir, il ne suffit pas de vouloir. Et comment donc l'Ecriture dit-elle: « Tout ce qu'il a voulu, il l'a fait?» (Ps 112,11) Et pourquoi le lépreux dit-il au Christ : « Si vous voulez, vous pouvez me purifier? » (Mt 8,2 Mt 8,3) Voulez-vous que je passe à d'autres questions ? Comment le monde a-t-il été tiré du néant? Comment y retombe-t-il? Qu'y a-t-il au-dessus du ciel? et au-dessus de la région supérieure au ciel? et au-dessus de l'espace supérieur à cet autre espace, et ainsi de suite, jusqu'à l'infini? Qu'y a-t-il au-dessous de la terre ? la mer. Et au-dessous de la mer ? et toujours ainsi ... Mais à droite et à gauche, ne sommes-nous point assiégés par le doute ?

504 4. Mais les yeux n'ont rien à faire là. Voulez-vous descendre un peu et aborder des sujets qui sont du ressort de la vue et de l'histoire? Comment se fait-il, dites-moi, que Jonas ait vécu dans le ventre de la baleine ? La baleine n'est-elle pas un monstre privé de raison qui fait des bonds insensés? Comment donc a-t-elle épargné ce juste? Comment ce juste n'a-t-il pas étouffé, comment son corps ne s'est-il pas putréfié dans sa prison ? Si la mer est déjà dangereuse, ce séjour dans les entrailles d'un monstre, au milieu d'une atmosphère suffocante, était bien plus dangereux encore. Comment Jonas pouvait-il respirer? Comment y avait-il là assez d'air pour faire vivre deux créatures? Comment se fait-il qu'il soit sorti du ventre de la baleine, sain et sauf? Comment pouvait-il parler, conserver son sang-froid et prier? Tout cela n'est-il pas incroyable? C'est incroyable, si nous consultons la raison; c'est très-croyable, si nous consultons la foi. Mais voici quelque chose de plus fort. Le blé dans le sein de la terre se gâte et repousse. Il y a là deux phénomènes merveilleux qui se combattent et qui triomphent l'un de l'autre. Ce blé préservé de la putréfaction, merveille ! ce blé qui se pourrit et qui repousse, merveille encore !...

Où sont ces hommes qui ne croient pas à la résurrection et qui disent : Comment tous ces ossements peuvent - ils se réunir ? et qui tiennent d'autres discours semblables? Répondez : Comment se fait-il qu'Elie soit monté au ciel sur un char de feu? (
2R 2,11) Le feu brûle, mais ne sert pas de véhicule. Quel est le secret de sa longue existence? Dans quel lieu est-il ? Pourquoi ce miracle a-t-il eu lieu ?

Où Enoch a-t-il été transporté? Se nourrit-il des mêmes aliments que nous? Qui le retient loin de la terre? Pourquoi cette translation? Voyez là des leçons que Dieu nous donne l'une après l'autre. Il a ravi Enoch à la terre; ce n'est pas là un grand miracle, mais c'est une leçon qui nous prépare à voir Elie enlevé au ciel. Il a enfermé Noé dans l'arche; ce n'est pas non plus un bien grand miracle, mais c'est une leçon qui nous prépare à croire que Jonas a été enfermé dans le ventre d'une baleine. C'est ainsi que les faits de l'Ancien Testament ont eu besoin aussi de précédents et de symboles. Le premier degré d'une échelle conduit au second, et l'on ne peut arriver du premier au quatrième échelon sans mettre le pied sur les échelons intermédiaires. Il en est de même dans l'échelle des événements. Il y a des symboles qui annoncent d'autres symboles, témoin l'échelle vue par Jacob. Dieu se tenait sur le dernier échelon, et au-dessous de lui étaient les anges qui montaient ou descendaient.

On annonçait que le Père a un Fils : il fallait faire croire à cet article de notre foi. Où voulez-vous que j'en prenne les symboles? Faut-il, pour vous les faire voir, descendre ou monter l'échelle? Il fallait faire voir qu'il engendre sans diminution de sa substance : c'est pour cela que nous voyons tout d'abord un sein stérile qui porte des fruits. Mais remontons plus haut. Il fallait nous préparer à croire que Dieu engendra seul et de lui-même. A cet effet, nous voyons aussi paraître un symbole, obscur, il est vrai, comme l'ombre qui figure le corps; mais enfin le symbole apparaît et devient plus clair avec le temps. L'homme, sans coopération, sans rien perdre de son être, engendre la femme. Et le mystère de l'enfantement d'une Vierge ne réclamait-il point aussi quelque symbole précurseur? Eh bien ! avant que ce mystère ait lieu, nous voyons jusqu'à deux ou trois fois, nous voyons souvent un sein stérile porter des fruits. C'est là le type du mystère; c'est le symbole qui nous prépare à y croire. Car si (132) l'homme peut naître suivant un mode privilégié, à plus forte raison un être supérieur à l'homme. Il y a une autre génération qui sert aussi de type aux,vérités de la foi : c'est notre régénération dans le Saint-Esprit. Le type de cette génération est aussi la femme stérile, car l'oeuvre dont nous parlons n'est pas née du sang. Mais cette génération est à son tour le symbole de la génération céleste. De ces deux symboles, l'un montre que le Père engendre sans altération de sa substance, l'autre qu'il peut engendrer sans coopération.

Le Christ étend du haut des cieux sa domination sur toutes les créatures. Voilà encore un article de foi. Cette domination, l'homme l'exerce sur la terre. Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance » (Gn 1,26), pour qu'il commande à tous les animaux privés de raison : les leçons de Dieu ne sont pas seulement des mots, ce sont aussi des faits. La distinction que la nature a mise entre les créatures, est marquée dans le paradis terrestre, où l'on voit que l'homme est le meilleur et le plus noble de tous les êtres de la création. Le Christ devait ressusciter. Voyez combien de signes concourent à annoncer cette résurrection: c'est Enoch, c'est Elie, c'est Jonas, c'est le miracle de la fournaise, c'est le déluge de Noé, ce sont les semences, les plantes, c'est la reproduction de tous les êtres animés. Comme c'est là le pivot de notre foi, c'est celui de tous les articles de notre foi qui a pour lui le plus grand nombre de symboles.

Cette providence qui gouverne le monda se révèle aussi dans toutes les choses d'ici-bas. Partout veille un oeil prévoyant ; les troupeaux et toutes les choses d'ici-bas ont besoin d'un guide. Pour prouver que rien ne se fait au hasard, nous avons la géhenne, le déluge de Noé, le feu, l'exemple des Egyptiens engloutis dans les flots, ce qui s'est passé dans le désert. Le baptême aussi devait être annoncé par une foule de signes précurseurs : de là tous les miracles opérés au moyen de l'eau, les exemples innombrables de l'Ancien Testament, la piscine ; de là, et pour attester que tout ce qui n'est pas sain doit être purifié, le déluge lui-même et le baptême de saint Jean. Il fallait croire au sacrifice du Fils offert par Dieu le Père : eh bien ! c'est un homme qui le premier donne l'exemple d'un sacrifice pareil : cet homme est Abraham, le patriarche. Ainsi tous ces faits, il ne tient qu'à nous d'en trouver la représentation dans l'Ecriture. Mais sans nous fatiguer, arrêtons-nous aux résolutions suivantes : Soyons fermes et stables dans notre foi; montrons que notre plan de vie est bien réglé, afin que, rendant grâces à Dieu en toutes choses, nous soyons jugés dignes des biens promis à ceux qui l'aiment, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, aujourd'hui et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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HOMÉLIE VI. DONC, SUIVANT L'INSTRUCTION QUE VOUS EN AVEZ REÇUE, MARCHEZ DANS LA VOIE DU CHRIST ET VIVEZ EN LUI.

— ENRACINÉS A LUI, ÉDIFIÉS SUR LUI, APPUYÉS SUR LA FOI, COMME VOUS L'AVEZ APPRIS, CROISSANT DE PLUS EN PLUS DANS LA FOI, AU MILIEU DE CONTINUELLES ACTIONS DE GRACES. (Col 2,6-15)

Analyse.

1. Saint Paul attaque les pratiques superstitieuses des juifs et des gentils.
2. Explication des mots: La plénitude de la divinité habite en lui.
3. Dieu a déchiré l'acte de notre condamnation.
4. Régénération par le baptême. Comparaison de l'homme régénéré par le baptême avec l'athlète.


601 1. Il commence par les prendre à témoin, en leur disant : « Suivant l'instruction que vous avez reçue ». Nous ne changeons rien à nos préceptes, leur dit-il; ne changez donc rien à votre conduite. «Continuez à marcher dans sa voie, à vivre en lui » ; c'est lui en effet qui est la voie qui conduit à son Père, et non les anges; car cette voie ne conduit pas au même (133) but. « Enracinés», c'est-à-dire fixes et stables, ne flottant ni à droite, ni à gauche, mais « enracinés », parce que ce qui est enraciné, ce qui a pris racine ne peut être transposé. Voyez comme il emploie toujours le mot propre et comme toutes ses expressions sont bien appliquées ! « Et édifiés sur lui », dit-il, c'est-à-dire, fixant sur lui notre pensée, et « appuyés» sur lui, c'est-à-dire tenant à lui, comme l'édifice tient à sa base. Il montre que leur foi tombait en ruines. C'est ce que signifie le mot « édifiés». C'est que la foi est un édifice qui a besoin d'être bien assis sur des fondements fermes et stables. Si le terrain n'est pas sûr, l'édifice chancelle; si le terrain est sûr, mais si l'édifice n'est pas bien assis, il n'est pas plus solide. « Comme vous l'avez appris ». Autre preuve qu'il ne dit rien de nouveau : « Croissant de plus en plus en cette foi, au milieu de continuelles actions de grâces ». C'est le propre de la reconnaissance non-seulement de rendre grâces, mais de rendre grâces avec effusion, avec plus d'effusion qu'on n'a appris à le faire, s'il est possible, et de tout son tueur. «Prenez garde que quelqu'un ne vous surprenne », preuve qu'il y a par là un voleur, un intrus qui s'introduit en cachette. Et il a raison de parler de surprise. Il y a par là un de ces malfaiteurs qui creusent sous les murailles pour les faire tomber. C'est son intérêt de poursuivre son oeuvre de destruction, sans qu'on s'en aperçoive. «Par la philosophie». Mais, la philosophie étant respectable à ses yeux, il ajoute : « Et par des raisonnements vains et trompeurs ». Il y a des fraudes salutaires dont nous avons plusieurs exemples et qui ne méritent pas le nom de fraudes. C'est celle dont Jérémie est victime, lorsqu'il dit: «Vous m'avez trompé, Seigneur». (Jr 20,7) Ici il n'y a vraiment pas de quoi crier à la fraude. Et la fraude au moyen de laquelle Jacob a surpris son père n'était vraiment pas de la fraude, c'était une trame providentielle. « Par la philosophie», dit-il, et « par des raisonnements vains et trompeurs, selon une doctrine humaine, selon les éléments du monde, et non « selon Jésus-Christ ».

Il blâme ici l'attention superstitieuse dont certains jours étaient l'objet, en parlant des éléments du monde, c'est-à-dire du soleil et de la lune. C'est ainsi qu'il disait dans l'épître aux Galates : «Comment vous tournez-vous vers ces éléments du monde impuissants et défectueux?» (Ga 4,9) Il ne parle pas spécialement de l'observation des jours; il parle en général du monde, pour montrer combien ce monde et à plus forte raison ses éléments ont peu de valeur. C'est après avoir mis sous leurs yeux la multitude des bienfaits de Dieu, qu'il les accuse, pour donner plus de poids à l'accusation par le tableau des bienfaits, et pour convaincre ses auditeurs. C'est la méthode des prophètes; ils montrent les bienfaits de Dieu pour aggraver la faute des pécheurs. Isaïe s'écrie : «J'ai engendré, j'ai exalté des fils, et ils m'ont méprisé ». (Is 1-2) Et Michée : « O mon peuple, que t'ai-je fait, quelle douleur, quel chagrin t'ai-je causé?» (Mi 6,3) Et David : « Je t'ai exaucé dans une nuit d'orage ». (Ps 80,8) Et dans un autre endroit : « Ouvre la bouche, et je la « remplirai de mes dons». Partout, chez les prophètes, on trouvera cette méthode. Ainsi, quoi que pussent dire les imposteurs, il ne faudrait pas les écouter, et même, tout souvenir des bienfaits de Dieu mis à part, il faut fuir tous les piéges de ces raisonneurs. Lors même en effet que vous pourriez servir deux maîtres, il ne faut pas vous rendre esclaves de ces sophistes. Mais leurs raisonnements ne vous permettent pas de suivre le Christ et vous en détournent. Après avoir battu en brèche les observations superstitieuses des gentils, il attaque victorieusement la superstition des juifs. Car juifs et gentils se livraient à des observations superstitieuses ; seulement, la source de ces observations étaient la loi pour les juifs, la philosophie pour les gentils. Il commence par s'en prendre à ceux chez lesquels il y ale plus à blâmer. Que dit-il? Il parle de ces observations qui n'étaient pas «selon le Christ ». — « C'est en lui, en effet, que toute la plénitude de la divinité habite corporellement (Col 2,9). Et c'est en lui que vous en êtes remplis; lui qui est le chef de toute principauté et de toute puissance (Col 2,10) ».

602 2. « Parce que la plénitude de la divinité habite en lui », c'est-à-dire, parce que Dieu habite en lui. Mais n'allez pas croire que Dieu soit renfermé en lui, comme dans un corps. Il dit : « Toute la plénitude de la divinité corporellement. Et c'est en lui que vous en êtes remplis». Il y en a qui prétendent que c'est l'Eglise qui reçoit son accomplissement de la divinité de Jésus-Christ, selon ce que saint Paul dit ailleurs : « Qui accomplit tout en (134) toutes choses». (Ep 1,33) Le mot « corporellement » signifie que Jésus-Christ est à l'égard de l'Eglise ce que la tête est à l'égard du corps. Mais pourquoi n'a-t-il pas dit : La plénitude de la divinité qui est l'Eglise? Quelques-uns prétendent que ces mots: « La plénitude de la divinité», désignent le Père: mais c'est à tort, parce que le mot «habiter», ne peut s'appliquer à Dieu, et parce que la plénitude n'est pas ce qui contient, mais ce qui remplit. « La terre et tout ce qui remplit la terre appartient à Dieu», dit le Psalmiste (Ps 23,1) « Jusqu'à ce que tontes les nations qui remplissent la terre soient arrivées ». La réunion de toutes les parties, voilà la plénitude. Que veut dire « corporellement!» Comme dans une tête. Pourquoi donc ces mots qui suivent: « Et c'est en lui que vous en êtes remplis? » Que veulent dire ces mots? Que vous n'êtes pas moins bien partagés que lui. Ce qui est venu habiter en lui, est venu habiter en vous. Paul en effet cherche toujours à nous associer au Christ; c'est ce qu'il fait, quand il dit : « Il est ressuscité comme nous et nous a fait asseoir auprès de lui ». (Ep 2,6) « Si nous persévérons, nous régnerons avec lui». (2Tm 2,12) « Ne nous donnera-t-il pas aussi toutes choses avec lui ». (Rm 8,32) Il va jusqu'à nous donner le nom de cohéritiers du Christ. «Et il est le chef de toute principauté et de toute puissance». (Rm 17) Celui qui est supérieur à tous, celui qui est la source de toute puissance et de toute principauté,. ne nous est-il pas aussi consubstantiel?

Puis il parle des bienfaits du Christ en termes admirables, plus admirables même que dans l'épître aux Romains. Car dans l'épître aux Romains, il dit : « La circoncision est celle du coeur qui se fait par l'esprit et non selon la lettre». Ici la circoncision se fait «par le Christ ». — « C'est en lui que vous avez été circoncis d'une circoncision, qui n'est pas faite de main d'homme, mais qui consiste « dans le dépouillement du corps des péchés que produit la chair, et qui est la circoncision du Christ (Col 2,11) » — Voyez comme il serre toujours de près la vérité. Il dit: Le dépouillement « absolu », et non pas « le simple dépouillement». Ce terme «du corps des péchés» fait allusion à l'ancienne vie que menaient les fidèles avant leur conversion. Il tourne et retourne toujours et de mille manières les mêmes idées. C'est ainsi qu'il disait plus haut.

« Qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres et nous a réconciliés avec Dieu qui s'était détourné de nous, afin que nous fussions saints et sans péchés». (Col 1,13) Ce n'est plus par le glaive, dit-il, que se fait la circoncision; c'est par le Christ lui-même. Ce n'est pas, comme autrefois chez les Juifs, la main de l'homme, c'est l'esprit qui opère la circoncision; et elle s'opère non sur une partie de l'homme, mais sur l'homme tout entier. Cela est un corps et ceci en est un autre; mais pour le corps du vieil homme, il y a la circoncision charnelle; pour vous, il y a la circoncision spirituelle qui n'a pas lieu comme chez les Juifs; car ce n'est pas de votre chair que vous vous êtes dépouillés, c'est de vos péchés. Quand et comment? Par le baptême. Et ce qu'il appelle circoncision, il l'appelle aussi sépulcre. Voyez comme il justifie ce qu'il vient de dire. Les péchés de la chair, sont ceux dont leur chair s'est rendue coupable. Cette circoncision nouvelle dont il parle est plus qu'une circoncision. Il ne se sont pas bornés à retrancher et à rejeter loin d'eux leurs péchés, ils les ont détruits, ils les ont anéantis.

« Ayant été ensevelis avec vos péchés par le baptême, dans lequel vous avez été aussi ressuscités par la foi que vous avez eue en Dieu qui l'a ressuscité d'entre les morts (Col 2,12) ». Il n'y a pas là seulement un tombeau ; voyez ce qu'il dit : « Dans lequel vous avez été aussi ressuscités par la foi que vous avez eue en Dieu qui l'a ressuscité d'entre les morts ». Et cela est juste. C'est la foi qui a tout fait. Vous avez cru que Dieu pouvait vous ressusciter et vous êtes ressuscités. Pour prouver que vous aviez raison de croire, il dit : « Qui l'a ressuscité d'entre les morts» ; puis il montre la résurrection baptismale : « Et lorsque vous étiez dans la mort de vos péchés et dans l'incirconcision de votre chair, il vous a fait revivre avec lui ». Car vous étiez soumis à la mort. Et quand même vous seriez morts, votre mort n'eût pas été imméritée. Voyez maintenant ce qu'ajoute saint Paul, pour montrer à ses auditeurs les peines qu'ils avaient méritées.

« Nous pardonnant tous nos péchés, il a effacé la cédule qui s'élevait contre nous par ses décrets, et il l'a détruite en l'attachant à sa croix; et dépouillant les principautés et les puissances, il les a menés hautement en triomphe, à la face du monde (Col 2,13-15)». — «Nous (135) pardonnant », dit-il, « tous nos péchés ». Lesquels? Ceux qui causaient notre mort. Mais les a-t-il laissés subsister? Non, il les a anéantis. Il ne s'est pas borné à les effacer, il en a détruit jusqu'à la trace. « Par ses décrets ». Par quels décrets? Par la foi. Il suffit donc de croire. Il n'a pas mis les oeuvres à côté des oeuvres, mais la foi à côté des oeuvres. Après avoir parlé de la rémission, l'apôtre parle de l'abolition des péchés. « Et il a détruit la cédule », dit-il, il l'a déchirée violemment, « en l'attachant à sa croix ; dépouillant les « princes et les principautés, il les a menés hautement en triomphe, à la face du monde». Jamais l'apôtre ne s'est élevé à cette hauteur.

603 3. Vous voyez avec quel soin il a détruit cette cédule. Nous étions tous soumis au péché et au châtiment; il nous a délivrés de l'un et de l'autre, en se soumettant lui-même au supplice de la croix. C'est à cette croix qu'il a attaché la fatale cédule, et il a usé de son pouvoir pour la déchirer. Qu'est-ce que c'était que cette cédule ? Elle attestait peut-être ces promesses faites par les Juifs à Moïse : « Tout ce que Dieu a dit, nous le ferons et nous l'écouterons ». Peut-être témoignait-elle de l'obéissance que nous devons à Dieu. Peut-être encore était-ce un écrit qui se trouvait entre les mains du démon et qui conservait le souvenir de cette parole adressée par Dieu à Adam: « Le jour où tu mangeras du fruit de cet arbre, tu mourras ». (Gn 2,17) Cet écrit était donc au pouvoir du démon. Jésus-Christ ne s'est pas contenté de nous le rendre, il l'a déchiré lui-même, comme un créancier qui fait volontiers à son débiteur remise de sa dette. « Dépouillant les principautés et les puissances ». Les puissances de l'enfer, soit que la nature humaine se fût revêtue d'un pouvoir satanique, soit que le Christ trouvant les hommes toujours prêts à employer ces puissances, leur ait ôté l'occasion de s'en servir, en devenant homme. Tel est le sens de ces mots : « Il les a menés hautement en triomphe ». Et le mot est juste ; car jamais le démon ne fut aussi humilié. Il s'attendait à posséder le Christ, et il perdit son empire sur tous les esclaves qu'il possédait, et, par la grâce de ce corps attaché à une croix, les morts ressuscitaient. Ce fut alors que le démon fut blessé, et cette blessure mortelle c'était ce corps mort sur la croix qui la lui faisait. Le démon était l'athlète qui croit avoir frappé son adversaire et qui reçoit lui-même le coup mortel.

C'est encore là une preuve qu'une belle mort, une mort tranquille et courageuse est un moyen d'humilier et de couvrir d'opprobre le démon. Le démon aurait tout fait, s'il l'avait pu, pour persuader aux hommes que le Christ n'était pas mort. La résurrection de Jésus-Christ devait être assez démontrée par les temps à venir, mais sa mort n'eût pu être en aucune façon démontrée, si elle ne l'eût été à l'instant même où elle avait lieu ; voilà ce qui explique pourquoi il est mort sous les yeux de tous, tandis que la même publicité n'a pas entouré sa résurrection; le Christ savait que l'avenir devait en témoigner. Oui, c'est devant le monde entier que le serpenta été écrasé sur la croix, et voilà ce qu'il y a d'admirable. Que n'a pas fait le démon, en effet, pour que le Christ ne mourût pas? Ecoutez Pilate : « Prenez-le », dit-il, « et crucifiez-le vous-mêmes : car je trouve qu'il n'y a aucun motif pour le faire mourir». (Jn 19,6) Et les Juifs lui disaient : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix ». (Mt 27,40) Mais la blessure était mortelle; il ne descendit pas et il fut mis dans le tombeau. Il pouvait ressusciter aussitôt; mais il fallait que tout le monde crût à sa mort.

Dans une mort ordinaire on peut ne voir parfois qu'une défaillance. Mais il n'en est pas de même ici. Les soldats ne lui brisèrent pas les jambes, comme ils firent aux autres; il était donc manifeste pour eux qu'il était mort. Et ceux qui l'ensevelirent, firent aussi leur oeuvre, au vu et au su de tout le monde; voilà pourquoi les Juifs s'unissent aux soldats, pour sceller la pierre du sépulcre. Tout le monde travaillait à ce qu'il ne restât pas sur sa mort la moindre nuance de doute. Elle avait eu des témoins chez les ennemis du Christ, chez les Juifs. Entendez-les dire à Pilate : « Ce séducteur a dit qu'il ressusciterait dans trois jours; faites donc garder le sépulcre ». (Mt 27,63-64) Et c'est ce qu'ils firent. Entendez-les dire ensuite aux apôtres : « Vous voulez faire retomber sur nous le sang de cet homme ». (Ac 5,38) Il n'a pas permis que le supplice de la croix continuât à être un supplice humiliant. Comme les anges n'avaient pas souffert ce supplice, Jésus-Christ voulut faire voir que sa mort avait sauvé le monde, car sa mort fut un duel. La mort frappa le Christ; mais le (136) Christ frappé anéantit bientôt sa mort: le cadavre détruisit la mort qui semblait immortelle, et cela à la face de l'univers. Et ce qu'il y a d'admirable, c'est que Dieu ne confia cette mission à personne et qu'il l'accomplit lui-même. Un autre acte fut donc passé, qui ne ressemblait en rien au premier.

604 4. Prenez donc garde d'être convaincus par votre propre témoignage, puisque nous avons dit dans ce billet que nous renoncions à Satan et que nous nous attachions à Jésus-Christ. Mais que dis-je? Ce n'est pas là un billet; c'est plutôt un traité et un pacte. Car ce n'est pas là une convention qui contient une peine; il n'y est pas dit: Si telle chose arrive, si telle clause n'est pas remplie. Moïse a parlé comme le Christ en arrosant le peuple du sang sacré, et Dieu, dans cette circonstance aussi, promettait à son peuple la vie éternelle; aux deux époques il y a pacte. Sous l'ancienne loi, il y a pacte entre le serviteur et le maître; sous la nouvelle loi, il y a pacte entre deux amis. « Le jour où vous mangerez de ce fruit », dit Dieu à l'homme, « vous mourrez ». (Gn 2,17) Voilà la menace ! Mais aujourd'hui rien de tel. Là, comme ici, l'homme est nu; là, après le péché et à cause du péché; ici, pour être délivré du péché. L'homme des premiers jours est dépouillé de la gloire qu'il avait possédée; l'homme d'aujourd'hui dépouille le vieil homme, avant de s'élever au-dessus de l'humanité, et il dépouille le vieil homme comme on se dépouille d'un vêtement. Il est frotté comme l'athlète prêt à entrer dans la lice. Il reçoit cette onction dès qu'il est né, et non peu à peu, comme le vieil athlète; et non pas seulement sur la tête, comme les anciens pontifes. Autrefois, on vous frottait d'huile la tête, l'oreille droite et la main, pour vous exciter à bien écouter et à bien faire. Mais le nouvel athlète, on lui frotte toutes les parties du corps. Car il ne vient pas seulement s'instruire; il vient combattre et s'exercer à la lutte. Il devient un autre homme. Car en confessant la vie éternelle, il confesse sa métamorphose.

Dieu a pris autrefois un peu d'argile et il a fait l'homme. Aujourd'hui ce n'est plus avec l'argile, c'est avec l'Esprit-Saint que Dieu fait l'homme : oui, c'est l'Esprit-Saint qui crée et façonne l'homme, comme il à créé et façonné le Christ, dans le sein de la Vierge. Il n'est plus question. du paradis terrestre; il est question du ciel. Et, en effet, parce que vous foulez la terre, n'allez pas croire que vous apparteniez à la terre. Vous avez été transporté au ciel. C'est là, c'est au milieu des anges que s'accomplit le mystère. Dieu prend là-haut votre âme entre ses mains, c'est là-haut qu'il la pétrit et qu'il la façonne, et vous êtes là devant son trône royal. Cette âme façonnée et régénérée par l'eau, reçoit le souffle de Dieu qui est en harmonie avec elle. Le nouvel homme, une fois formé, n'est pas livré aux bêtes, mais il est mis en présence des démons et du prince des démons. Alors Dieu dit à l'homme: « Foulez aux pieds les serpents et les scorpions ». Il ne dit plus: «Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance ». (Gn 1,26) Mais que fait-il ? Il donne à l'homme la qualité d'enfant de Dieu, d'un de ces enfants qui ne sont pas nés du sang, mais de Dieu même. N'écoutez donc plus le serpent; car tout d'abord on vous apprend à dire : « Je renonce à toi », c'est-à-dire, quels que soient tes discours, je ne t'écouterai pas. Puis, de crainte qu'il n'emploie des instruments pour vous perdre, on ajoute : « Et à tes pompes, et à ton culte et à tes anges ». Dieu ne met plus l'homme au paradis terrestre, pour qu'il fasse du paradis terrestre sa demeure; il lui donne pour domicile le ciel. Car, dès que l'homme s'est élevé jusqu'à ce séjour, il dit aussitôt : « Notre Père, qui êtes aux cieux, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». (Mt 6,9-10)

L'enfant ne s'agenouille point pour être sacrifié; il n'y a là ni bûcher ni source. Mais c'est le Seigneur lui-même que vous possédez tout d'abord ; c'est à lui que vous vous unissez, à lui dont vous recevez le baptême, et le Seigneur est placé trop haut, pour que le démon puisse approcher de vous. Il n'y a pas là de femme que le démon puisse tromper, en profitant de sa faiblesse. « Il n'y a là », dit saint Paul, « ni homme ni femme». (Ga 3,28) Si vous ne vous abaissez pas à descendre jusqu'au démon, il ne pourra monter jusqu'à vous; car vous êtes au ciel, et le ciel n'est pas ouvert au démon. Il n'y a pas là d'arbre, dont le fruit ait la propriété de faire discerner le bien et le mal ; il n'y a que l'arbre de vie. La femme n'est plus tirée d'une côte de l'homme; nous sommes tous tirés de la côte du Christ. Les hommes qui se frottent avec le suc de certaines plantes n'ont rien à craindre des serpents, et vous non plus vous n'aurez rien à craindre, (137) quand vous aurez reçu cette onction sacrée ; vous pourrez saisir et étouffer le serpent, vous foulerez aux pieds les serpents et les scorpions. Mais à côté de ces dons précieux, il y a un châtiment sévère. Une fois qu'on est tombé du paradis, on ne peut rester en face du paradis, on ne peut retourner dans le séjour d'où l'on est tombé. Qu'a-t-on en perspective alors? la géhenne et un ver rongeur aux replis immenses. Mais à Dieu ne plaise que quelqu'un d'entre nous encoure un pareil supplice ! Menons une vie vertueuse, étudions-nous à faire ce qui est bien, ce qui est agréable aux yeux de Dieu. Oui, rendons-nous agréables à Dieu, pour être à l'abri du châtiment et pour jouir des biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.



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HOMÉLIE VII. QUE PERSONNE DONC NE VOUS CONDAMNE POUR LE MANGER ET POUR LE BOIRE,


Chrysostome, Colossiens 500