Discours 2005-2013 1021

AUX ENSEIGNANTS ET AUX ÉTUDIANTS DES UNIVERSITÉS CATHOLIQUES ROMAINES


Salle Paul VI Jeudi 19 novembre 2009



Messieurs les cardinaux,
1022 Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Illustres recteurs, autorité académiques et professeurs,
chers étudiants, frères et soeurs!

C'est avec joie que je vous accueille et que je vous remercie d'être venus ad Petri Sedem, pour être confirmés dans votre importante et exigeante tâche d'enseignement, d'étude et de recherche au service de l'Eglise et de la société tout entière. Je remercie cordialement le cardinal Zenon Grocholewski des paroles qu'il m'a adressées en ouvrant cette rencontre, au cours de laquelle nous rappelons deux anniversaires particuliers: le 30 anniversaire de la Constitution apostolique Sapientia christiana, promulguée le 15 avril 1979 par le serviteur de Dieu Jean-Paul II et le 60 anniversaire de la reconnaissance de la part du Saint-Siège du Statut de la Fédération internationale des universités catholiques (fiuc).

Je suis heureux de rappeler avec vous ces anniversaires significatifs, qui m'offrent l'occasion de souligner encore une fois le rôle irremplaçable des facultés ecclésiastiques et des universités catholiques dans l'Eglise et dans la société. Le Concile Vatican II l'avait déjà bien souligné dans la Déclaration Gravissimum educationis, lorsqu'il exhortait les facultés ecclésiastiques à approfondir les divers secteurs des sciences sacrées, pour avoir une connaissance toujours plus approfondie de la Révélation, pour explorer le trésor de la sagesse chrétienne, favoriser le dialogue oecuménique et interreligieux, et pour répondre aux problèmes naissants dans le domaine culturel (cf. n. 11). Ce même document conciliaire recommandait de promouvoir les universités catholiques, en les répartissant dans les différentes régions du monde et, surtout, en soignant leur niveau qualitatif pour former des personnes qui se passionnent pour la connaissance, prêtes à témoigner de leur foi dans le monde et à exercer des rôles de responsabilité dans la société (cf. n. 10). L'invitation du Concile a trouvé un vaste écho dans l'Eglise. En effet, aujourd'hui, il y a plus de 1300 universités catholiques et environ 400 facultés ecclésiastiques, présentes sur tous les continents, un grand nombre d'entre elles étant nées au cours des dernières décennies, témoignant d'une attention croissante des Eglises particulières pour la formation des ecclésiastiques et des laïcs à la culture et à la recherche.

La Constitution apostolique Sapientia christiana, dès ses premières lignes, relève l'urgence, encore actuelle, de surmonter le fossé existant entre foi et culture, en invitant à un plus grand engagement d'évangélisation, dans la ferme conviction que la Révélation chrétienne est une force transformatrice, destinée à imprégner les modes de penser, les critères de jugement, les règles d'action. Celle-ci est en mesure d'illuminer, de purifier et de renouveler les coutumes des hommes et leurs cultures (f. Préambule, 1) et elle doit constituer le point central de l'enseignement et de la recherche, ainsi que l'horizon qui illumine la nature et la finalité de chaque faculté ecclésiastique. Dans cette perspective, alors qu'est souligné le devoir des chercheurs des disciplines sacrées de rejoindre, avec la recherche théologique, une connaissance plus profonde de la vérité révélée, sont encouragés, dans le même temps, les contacts dans les autres domaines du savoir, pour un dialogue fructueux, en particulier dans le but d'offrir une précieuse contribution à la mission que l'Eglise est appelée à exercer dans le monde. Après trente ans, les lignes de fond de la Constitution apostolique Sapientia christiana conservent encore toute leur actualité. Dans la société actuelle, où la connaissance devient toujours plus spécialisée et sectorielle, mais est profondément marquée par le relativisme, il apparaît même encore davantage nécessaire de s'ouvrir à la "sagesse" qui vient de l'Evangile. En effet, l'homme est incapable de se comprendre pleinement lui-même et de comprendre le monde sans Jésus Christ: Lui seul illumine sa véritable dignité, sa vocation, son destin ultime et ouvre le coeur à une espérance solide et durable.

Chers amis, votre engagement de servir la vérité que Dieu nous a révélée participe de la mission évangélisatrice que le Christ a confiée à l'Eglise: c'est donc un service ecclésial. Sapientia christiana cite, à cet égard, la conclusion de l'Evangile selon Matthieu: "Allez donc! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père et du Fils, et du Saint Esprit; et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés" (
Mt 28,19-20). Il est important pour tous, professeurs et étudiants, de ne jamais perdre de vue l'objectif à poursuivre, c'est-à-dire celui d'être un instrument de l'annonce évangélique. Les années des études ecclésiastiques supérieures peuvent être comparées à l'expérience que les Apôtres ont vécue avec Jésus: en étant avec Lui, ils ont appris la vérité, pour ensuite en devenir partout les annonciateurs. Dans le même temps, il est important de rappeler que l'étude des sciences sacrées ne doit jamais être séparée de la prière, de l'union avec Dieu, de la contemplation - comme je l'ai rappelé dans les récentes catéchèses sur la théologie monastique médiévale -, autrement les réflexions sur les mystères divins risquent de devenir un vain exercice intellectuel. Chaque science sacrée, à la fin, renvoie à la "science des saints", à leur intuition des mystères du Dieu vivant, à la sagesse, qui est un don de l'Esprit Saint, et qui est l'âme de la "fides quaerens intellectum" (cf. Audience générale, 21 octobre 2009).

La Fédération internationale des universités catholiques (fiuc) est née en 1924 à l'initiative de plusieurs recteurs et elle fut reconnue 25 ans plus tard par le Saint-Siège. Chers recteurs des universités catholiques, le 60 anniversaire de l'érection canonique de votre Fédération est une occasion plus que jamais propice pour dresser un bilan de l'activité accomplie et pour tracer les lignes des engagements futurs.

Célébrer un anniversaire signifie rendre grâce à Dieu qui a guidé nos pas, mais c'est également puiser à sa propre histoire un élan supplémentaire pour renouveler la volonté de servir l'Eglise. En ce sens, votre devise est un programme également pour l'avenir de la Fédération: "Sciat ut serviat", savoir pour servir. Dans une culture qui manifeste un "manque de sagesse, de réflexion, de pensée capable de réaliser une synthèse directrice" (Enc. Caritas in veritate ), les universités catholiques, fidèles à leur identité qui fait de l'inspiration chrétienne une qualité particulière, sont appelées à promouvoir une "nouvelle synthèse humaniste" (ibid., n. 21), un savoir qui soit "sagesse capable de guider l'homme à la lumière des principes premiers et de ses fins dernières" (ibid., n. 30), un savoir illuminé par la foi.

Chers amis, le service que vous accomplissez est précieux pour la mission de l'Eglise. Alors que je présente à tous des voeux sincères pour l'année académique qui vient de commencer et pour le plein succès du Congrès de la FIUC, je confie chacun de vous et les institutions que vous représentez à la protection maternelle de la Très Sainte Vierge, Siège de la Sagesse, et je donne avec plaisir à vous tous ma Bénédiction apostolique.



RENCONTRE AVEC LES ARTISTES Chapelle Sixtine Samedi 21 novembre 2009

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Messieurs les cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat
et dans le sacerdoce,
Mesdames et Messieurs!

C'est avec une grande joie que je vous accueille dans ce lieu solennel et riche d'art et de mémoire. J'adresse à tous et à chacun mon salut cordial et je vous remercie pour avoir accueilli mon invitation. Avec cette rencontre, je désire exprimer et renouveler l'amitié de l'Eglise avec le monde de l'art, une amitié consolidée dans le temps, car le christianisme, dès ses origines, a bien compris la valeur des arts et en a utilisé avec sagesse les langages multiformes pour communiquer son message immuable de salut. Cette amitié doit sans cesse être promue et soutenue, afin qu'elle soit authentique et féconde, adaptée aux temps et tienne compte des situations et des changements sociaux et culturels. Voilà le motif de notre rendez-vous. Je remercie de tout coeur Mgr Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical de la culture et de la Commission pontificale pour les biens culturels de l'Eglise, pour l'avoir promu et préparé, avec ses collaborateurs, ainsi que pour les paroles qu'il vient de m'adresser. Je salue les cardinaux, les évêques, les prêtres et les éminentes personnalités présentes. Je remercie également la Chapelle musicale pontificale sixtine qui accompagne ce moment significatif. C'est vous qui êtes les acteurs de cette rencontre, chers et illustres artistes, appartenant à des pays, des cultures et des religions différentes, peut-être même éloignés d'expériences religieuses, mais désireux de maintenir vivante une communication avec l'Eglise catholique et de ne pas restreindre les horizons de l'existence au pur aspect matériel, à une vision réductrice et banalisante. Vous représentez le monde varié des arts et, précisément pour cela, à travers vous je voudrais faire parvenir à tous les artistes mon invitation à l'amitié, au dialogue, à la collaboration.

Plusieurs circonstances significatives enrichissent ce moment. Rappelons le dixième anniversaire de la Lettre aux Artistes de mon vénéré prédécesseur, le serviteur de Dieu Jean-Paul II. Pour la première fois, à la veille du grand Jubilé de l'An 2000, ce Pape, lui aussi artiste, écrivit directement aux artistes avec la solennité d'un document pontifical et le ton amical d'une conversation entre "ceux qui - comme le dit l'adresse -, avec un dévouement passionné, cherchent de nouvelles "épiphanies" de la beauté". Ce même Pape, il y a vingt-cinq ans, avait proclamé Beato Angelico patron des artistes, indiquant en lui un modèle de parfaite harmonie entre foi et art. Ma pensée va ensuite au 7 mai 1964, il y a quarante-cinq ans, lorsque, en ce même lieu, se déroula un événement historique, fortement voulu par le Pape Paul VI pour réaffirmer l'amitié entre l'Eglise et les arts. Les paroles qu'il prononça en cette circonstance retentissent encore aujourd'hui sous la voûte de cette Chapelle sixtine, touchant le coeur et l'esprit. "Nous avons besoin de vous - dit-il -. Notre ministère a besoin de votre collaboration. Car, comme vous le savez, Notre ministère est celui de prêcher et de rendre accessible et compréhensible, et même émouvant, le monde de l'esprit, de l'invisible, de l'ineffable, de Dieu. Et dans cette opération... vous êtes des maîtres. C'est votre métier, votre mission; et votre art est celui de saisir du ciel de l'esprit ses trésors et de les revêtir de mots, de couleurs, de formes, d'accessibilité" (Insegnamenti II, [1964], 313). L'estime de Paul vi pour les artistes était si forte qu'elle le poussa à formuler des expressions vraiment hardies: "Et si votre aide Nous manquait - poursuivait-il -, le ministère deviendrait balbutiant et incertain et aurait besoin de faire un effort, dirions-nous, de devenir lui-même artistique, ou mieux de devenir prophétique. Pour s'élever à la force d'expression lyrique de la beauté intuitive, il aurait besoin de faire coïncider le sacerdoce avec l'art" (ibid., 314). En cette occasion, Paul vi prit l'engagement de "rétablir l'amitié entre l'Eglise et les artistes", et il leur demanda de faire leur et de partager cet engagement, en analysant avec sérieux et objectivité les motifs qui avaient troublé cette relation et en assumant chacun avec courage et passion la responsabilité d'un itinéraire renouvelé et approfondi de connaissance et de dialogue, en vue d'une authentique "renaissance" de l'art, dans le contexte d'un nouvel humanisme.

Cette rencontre historique, comme je le disais, eut lieu ici, dans ce sanctuaire de foi et de créativité humaine. Ce n'est donc pas un hasard si nous nous retrouvons précisément en ce lieu, précieux en raison de son architecture et de ses dimensions symboliques, mais encore davantage de ses fresques qui le rendent unique, à commencer par les chefs-d'oeuvre du Pérugin et de Botticelli, de Ghirlandaio et de Cosimo Rosselli, de Luca Signorelli et d'autres, pour arriver aux Histoires de la Genèse et au Jugement dernier, oeuvres éminentes de Michel-Ange Buonarrotti, qui a laissé ici l'une de ses créations les plus extraordinaires de toute l'histoire de l'art. Ici a également souvent retenti le langage universel de la musique, grâce au génie des grands musiciens, qui ont mis leur art au service de la liturgie, en aidant l'âme à s'élever vers Dieu. Dans le même temps, la Chapelle sixtine est un écrin particulier de souvenirs, car elle constitue le décor, solennel et austère, d'événements qui marquent l'histoire de l'Eglise et de l'humanité. Ici, comme vous le savez, le Collège des cardinaux élit le Pape; ici j'ai vécu moi aussi, avec impatience et une confiance absolue dans le Seigneur, le moment inoubliable de mon élection comme Successeur de l'apôtre Pierre.

Chers amis, laissons ces fresques nous parler aujourd'hui, en nous attirant vers le but ultime de l'histoire humaine. Le Jugement dernier, qui trône derrière moi, rappelle que l'histoire de l'humanité est mouvement et ascension, est une tension inépuisable vers la plénitude, vers le bonheur ultime, vers un horizon qui dépasse toujours le présent alors qu'il le traverse. Cependant, dans son caractère dramatique, cette fresque place également devant nos yeux le danger de la chute définitive de l'homme, une menace qui pèse sur l'humanité lorsqu'elle se laisse séduire par les forces du mal. La fresque lance cependant un cri prophétique puissant contre le mal; contre toute forme d'injustice. Mais pour les croyants le Christ ressuscité est le Chemin, la Vérité et la Vie. Pour celui qui le suit fidèlement, il est la Porte qui introduit à ce "face à face", à cette vision de Dieu dont naît sans aucune limite le bonheur plein et définitif. Michel-Ange offre ainsi à notre vision l'Alpha et l'Omega, le Principe et la Fin de l'histoire, et il nous invite à parcourir avec joie, courage et espérance l'itinéraire de la vie. La beauté dramatique de la peinture de Michel-Ange, avec ses couleurs et ses formes, se fait donc annonce d'espérance, invitation puissante à élever le regard vers l'horizon ultime. Le lien profond entre beauté et espérance constituait également le noyau essentiel du suggestif Message que Paul vi adressa aux artistes, lors de la clôture du Concile oecuménique Vatican ii, le 8 décembre 1965: "A vous tous, proclama-t-il solennellement - l'Eglise du Concile dit à travers Notre voix: si vous êtes les amis de l'art véritable, vous êtes Nos amis!" (Enchiridion Vaticanum
1P 305). Et il ajouta: "Ce monde dans lequel Nous vivons a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans le désespoir. La beauté, comme la vérité, est ce qui apporte la joie au coeur des hommes, elle est ce fruit précieux qui résiste à l'usure du temps, qui unit les générations et les fait communiquer dans l'admiration. Et cela grâce à vos mains... Rappelez-vous que vous êtes les gardiens de la beauté de notre monde" (ibid.).

Le moment actuel est malheureusement marqué, non seulement par des phénomènes négatifs au niveau social et économique, mais également par un affaiblissement de l'espérance, par un certain manque de confiance dans les relations humaines, c'est la raison pour laquelle augmentent les signes de résignation, d'agressivité, de désespoir. Ensuite, le monde dans lequel nous vivons risque de changer de visage à cause de l'oeuvre qui n'est pas toujours sage de l'homme qui, au lieu d'en cultiver la beauté, exploite sans conscience les ressources de la planète au bénéfice d'un petit nombre et qui souvent en défigure les merveilles naturelles. Qu'est-ce qui peut redonner l'enthousiasme et la confiance, qu'est-ce qui peut encourager l'âme humaine à retrouver le chemin, à lever le regard vers l'horizon, à rêver d'une vie digne de sa vocation sinon la beauté? Chers artistes, vous savez bien que l'expérience du beau, du beau authentique, pas éphémère ni superficiel, n'est pas quelque chose d'accessoire ou de secondaire dans la recherche du sens et du bonheur, car cette expérience n'éloigne pas de la réalité, mais, au contraire, elle mène à une confrontation étroite avec le vécu quotidien, pour le libérer de l'obscurité et le transfigurer, pour le rendre lumineux, beau.
Une fonction essentielle de la véritable beauté, en effet, déjà évidente chez Platon, consiste à donner à l'homme une "secousse" salutaire, qui le fait sortir de lui-même, l'arrache à la résignation, au compromis avec le quotidien, le fait souffrir aussi, comme un dard qui blesse, mais précisément ainsi le "réveille", en lui ouvrant à nouveau les yeux du coeur et de l'esprit, en lui mettant des ailes, en le poussant vers le haut. L'expression de Dostoïevski que je vais citer est sans aucun doute hardie et paradoxale, mais elle invite à réfléchir: "L'humanité peut vivre - dit-il - sans la science, elle peut vivre sans pain, mais il n'y a que sans la beauté qu'elle ne pourrait plus vivre, car il n'y aurait plus rien à faire au monde. Tout le secret est là, toute l'histoire est là". Le peintre Georges Braque lui fait écho: "L'art est fait pour troubler, alors que la science rassure". La beauté frappe, mais précisément ainsi elle rappelle l'homme à son destin ultime, elle le remet en marche, elle le remplit à nouveau d'espérance, elle lui donne le courage de vivre jusqu'au bout le don unique de l'existence. La recherche de la beauté dont je parle ne consiste bien évidemment en aucune fuite dans l'irrationnel ou dans le pur esthétisme.

1024 Mais trop souvent la beauté qui est publicisée est illusoire et mensongère, superficielle et éblouissante jusqu'à l'étourdissement et, au lieu de faire sortir les hommes d'eux-mêmes et de les ouvrir à des horizons de véritable liberté, en les attirant vers le haut, elle les emprisonne en eux-mêmes et les rend encore plus esclaves, privés d'espérance et de joie. Il s'agit d'une beauté séduisante mais hypocrite, qui réveille le désir, la volonté de pouvoir, de possession, de domination sur l'autre et qui se transforme, bien vite, en son contraire, assumant les visages de l'obscénité, de la transgression ou de la provocation pour elle-même. En revanche, la beauté authentique ouvre le coeur humain à la nostalgie, au désir profond de connaître, d'aimer, d'aller vers l'Autre, vers ce qui est Au-delà de soi. Si nous laissons la beauté nous toucher profondément, nous blesser, nous ouvrir les yeux, alors nous redécouvrons la joie de la vision, de la capacité de saisir le sens profond de notre existence, le Mystère dont nous faisons partie et auquel nous pouvons puiser la plénitude, le bonheur, la passion de l'engagement quotidien. Jean-Paul II, dans la Lettre aux Artistes, cite, à ce propos, ces vers d'un poète polonais, Cyprian Norwid: "La beauté est pour susciter l'enthousiasme dans le travail, / le travail est pour renaître" (n. 3). Et plus avant il ajoute: "Parce qu'il est recherche de la beauté, fruit d'une imagination qui va au-delà du quotidien, l'art est, par nature, une sorte d'appel au Mystère. Même lorsqu'il scrute les plus obscures profondeurs de l'âme ou les plus bouleversants aspects du mal, l'artiste se fait en quelque sorte la voix de l'attente universelle d'une rédemption" (n. 10). Et dans sa conclusion, il affirme: "La beauté est la clé du mystère et elle renvoie à la transcendance" (n. 16).

Ces dernières expressions nous poussent à accomplir un pas en avant dans notre réflexion. La beauté, de celle qui se manifeste dans l'univers et dans la nature à celle qui s'exprime à travers les créations artistiques, précisément en raison de sa capacité caractéristique d'ouvrir et d'élargir les horizons de la conscience humaine, de la renvoyer au-delà d'elle-même, de se pencher sur l'abîme de l'Infini, peut devenir une voie vers le Transcendant, vers le Mystère ultime, vers Dieu. L'art, dans toutes ses expressions, au moment où il se confronte avec les grandes interrogations de l'existence, peut assumer une valeur religieuse et se transformer en un parcours de profonde réflexion intérieure et de spiritualité. Cette affinité, cette harmonie entre parcours de foi et itinéraire artistique est attestée par un nombre incalculable d'oeuvres d'art qui mettent en scène les personnages, les histoires, les symboles de cet immense dépôt de "figures" - au sens large - qu'est la Bible, l'Ecriture Sainte. Les grands récits bibliques, les thèmes, les images, les paraboles ont inspiré d'innombrables chefs-d'oeuvre dans tous les domaines des arts, de même qu'ils ont parlé au coeur de chaque génération de croyants à travers les oeuvres de l'artisanat et de l'art local, tout aussi éloquentes et saisissantes.

On parle, à ce propos, d'une via pulchritudinis, une voie de la beauté qui constitue dans le même temps un parcours artistique, esthétique, et un itinéraire de foi, de recherche théologique. Le théologien Hans Urs von Balthasar ouvre sa grande oeuvre, intitulée Gloire. Une esthétique théologique, par ces lignes suggestives: "Notre parole initiale s'appelle beauté. La beauté est la dernière parole que l'intellect pensant peut oser prononcer, car celle-ci ne fait que couronner, comme une auréole de splendeur insaisissable, le double astre du vrai et du bien et leur relation indissoluble". Il observe ensuite: " Elle est la beauté désintéressée sans laquelle il était impossible de comprendre le vieux monde, mais qui a pris congé sur la pointe des pieds du monde moderne des intérêts, pour l'abandonner à sa cupidité et à sa tristesse. Elle est la beauté qui n'est plus aimée ni sauvegardée, pas même par la religion". Et il conclut: "De celui qui, à son nom, plisse ses lèvres dans un sourire, la jugeant comme le bibelot exotique d'un passé bourgeois, de celui-ci, on peut être sûr que - secrètement ou ouvertement - il n'est plus capable de prier et, bientôt, plus capable d'aimer". La voie de la beauté nous conduit donc à saisir le Tout dans le fragment, l'infini dans le fini, Dieu dans l'histoire de l'humanité. Simone Weil écrivait à ce propos: "Dans tout ce qui suscite en nous le sentiment pur et authentique de la beauté, il y a réellement la présence de Dieu. Il y a presque une incarnation de Dieu dans le monde, dont la beauté est le signe. La beauté est la preuve expérimentale que l'incarnation est possible. C'est pourquoi chaque art de premier ordre est, par essence, religieux". L'affirmation de Hermann Hesse est encore plus incisive: "L'art signifie: montrer Dieu en chaque chose". En faisant écho aux paroles du Pape Paul VI, le serviteur de Dieu Jean-Paul II a réaffirmé le désir de l'Eglise de renouveler le dialogue et la collaboration avec les artistes: "Pour transmettre le message qui lui a été confié par le Christ, l'Eglise a besoin de l'art" (Lettre aux Artistes, n. 12); mais il demandait immédiatement après: "L'art a-t-il besoin de l'Eglise?", invitant ainsi les artistes à retrouver dans l'expérience religieuse, dans la révélation chrétienne et dans le "grand codex" qu'est la Bible une source d'inspiration renouvelée et motivée.

Chers artistes, m'approchant de la conclusion, je voudrais adresser moi aussi, comme le fit déjà mon prédécesseur, un appel cordial, amical et passionné. Vous êtes les gardiens de la beauté; vous avez, grâce à votre talent, la possibilité de parler au coeur de l'humanité, de toucher la sensibilité individuelle et collective, de susciter des rêves et des espérances, d'élargir les horizons de la connaissance et de l'engagement humain. Soyez donc reconnaissants des dons reçus et pleinement conscients de la grande responsabilité de communiquer la beauté, de faire communiquer dans la beauté et à travers la beauté! Soyez vous aussi, à travers votre art, des annonciateurs et des témoins d'espérance pour l'humanité! Et n'ayez pas peur de vous confronter avec la source première et ultime de la beauté, de dialoguer avec les croyants, avec ceux qui, comme vous, se sentent en pèlerinage dans le monde et dans l'histoire, vers la Beauté infinie! La foi n'ôte rien à votre génie, à votre art, au contraire elle les exalte et les nourrit, elle les encourage à franchir le seuil et à contempler avec des yeux fascinés et émus le but ultime et définitif, le soleil sans crépuscule qui illumine et embellit le présent.

Saint Augustin, chantre amoureux de la beauté, en réfléchissant sur le destin ultime de l'homme et presque en commentant ante litteram la scène du Jugement que vous avez aujourd'hui devant les yeux, écrivait ainsi: "Nous jouirons donc d'une vision, ô frères, jamais contemplée par les yeux, jamais entendue par les oreilles, jamais imaginée par la fantaisie: une vision qui dépasse toutes les beautés terrestres, celle de l'or, de l'argent, des bois et des champs, de la mer et du ciel, du soleil et de la lune, des étoiles et des anges; la raison est la suivante: celle-ci est la source de toute autre beauté" (In Ep. Jo. Tr. 4,5: PL 35, 2008). Je souhaite à vous tous, chers artistes, d'emporter dans vos yeux, dans vos mains, dans votre coeur cette vision, pour qu'elle vous donne la joie et inspire toujours vos belles oeuvres. Alors que je vous bénis de tout coeur, je vous salue, comme le fit déjà Paul VI, avec un seul mot: au revoir!

Je suis heureux de saluer tous les artistes présents. Chers amis, je vous encourage à découvrir et à exprimer toujours mieux, à travers la beauté de vos oeuvres, le mystère de Dieu et le mystère de l'homme. Que Dieu vous bénisse!






AUX DÉLÉGATIONS D’ARGENTINE ET DU CHILI À L'OCCASION DU XXVe ANNIVERSAIRE DU TRAITÉ DE PAIX ET D'AMITIÉ ENTRE LES DEUX PAYS Salle Clémentine Samedi 28 novembre 2009

Mesdames les présidentes
d'Argentine et du Chili,
Messieurs les cardinaux,
1025 chers frères dans l'épiscopat,
Messieurs les ambassadeurs,
chers amis,

1. C'est avec un très grand plaisir que je vous reçois et que je vous souhaite la bienvenue en ce Siège de Pierre, à l'occasion de la célébration du 25e anniversaire du Traité de paix et d'amitié, qui a mis fin à la controverse territoriale que vos pays respectifs ont entretenue pendant longtemps dans la région australe. En effet, il s'agit d'une commémoration opportune et heureuse des négociations intenses qui, à travers la médiation pontificale, se sont conclues par une solution digne, raisonnable et équitable, évitant ainsi le conflit armé qui était sur le point d'opposer deux peuples frères.

2. Le Traité de paix et d'amitié, ainsi que la médiation qui le rendit possible, est lié de façon indissoluble à la bien-aimée figure du Pape Jean-Paul II qui, animé par des sentiments d'affection envers ces nations bien-aimées, et en harmonie avec son inlassable activité de messager et d'artisan de paix, n'hésita pas à accepter le devoir délicat et crucial d'être médiateur dans ce contentieux. Avec l'aide inestimable du cardinal Antonio Samoré, il suivit personnellement toutes les vicissitudes de ces deux négociations longues et complexes, jusqu'à ce que soit définie une proposition qui conduisit à la signature du Traité, en présence des délégations des deux pays, et du cardinal Agostino Casaroli, alors secrétaire d'Etat de Sa Sainteté et préfet du Conseil pour les affaires publiques de l'Eglise.

L'intervention pontificale fut également une réponse à une demande expresse des épiscopats du Chili et d'Argentine qui, en communion avec le Saint-Siège, offrirent leur collaboration décisive pour atteindre cet accord. Il faut en outre être reconnaissants aux efforts de toutes les personnes qui, dans les gouvernements et les délégations diplomatiques des deux pays, apportèrent une contribution positive pour poursuivre ce chemin de résolution pacifique, réalisant ainsi les profonds désirs de paix de la population chilienne et argentine.

3. Vingt-cinq ans plus tard, nous pouvons constater avec satisfaction que cet événement historique a contribué de façon bénéfique à renforcer dans les deux pays les sentiments de fraternité, ainsi qu'une coopération et une intégration plus décisives, qui se traduit de façon concrète dans de nombreux projets économiques, des échanges culturels et des oeuvres d'infrastructures importantes, surmontant de cette façon les préjugés, les doutes, et les réticences du passé. En réalité, le Chili et l'Argentine ne sont pas seulement deux nations voisines, mais bien plus: il s'agit de deux peuples frères, ayant une vocation commune de fraternité, de respect et d'amitié, qui est le fruit en grande partie de la tradition catholique qui est à la base de leur histoire et de leur riche patrimoine culturel et spirituel.

L'événement que nous commémorons aujourd'hui fait déjà partie de la grande histoire de deux nobles nations, mais également de toute l'Amérique latine. Le Traité de Paix et d'amitié est un exemple lumineux de la force de l'esprit humain et de la volonté de paix face à la barbarie et à l'absurdité de la violence et de la guerre comme moyen de résoudre les divergences. Une fois de plus, il faut se souvenir des paroles que mon prédécesseur, le Pape Pie XII, prononça à un moment particulièrement difficile de l'histoire: « Rien n'est perdu avec la paix. Tout peut l'être avec la guerre » (Radiomessage, 24 août 1939). Il est donc nécessaire de persévérer à tout moment, avec une volonté ferme et jusqu'aux conséquences extrêmes, pour tenter de résoudre les controverses avec une véritable volonté de dialogue et d'accord, à travers des négociations patientes et des engagements nécessaires, et en tenant toujours compte des exigences justes et des intérêts légitimes de chacun.

4. Afin que la cause de la paix trouve un chemin dans l'esprit et le coeur de tous les hommes et, de façon particulière chez ceux qui sont appelés à servir leurs concitoyens dans les plus hautes charges des nations, il est nécessaire qu'elle soit fondée sur de solides convictions morales, dans la sérénité des esprits, parfois tendus et trop concentrés, et dans la recherche constante du bien commun national, régional et mondial. En effet, la poursuite de la paix exige la promotion d'une culture authentique de la vie, qui respecte pleinement la dignité de l'être humain, unie à la consolidation de la famille comme cellule de base de la société. Elle exige également la lutte contre la pauvreté et la corruption, l'accès à une éducation de qualité pour tous, une croissance économique solidaire, la consolidation de la démocratie et le déracinement de la violence et de l'exploitation, en particulier des femmes et des enfants.

5. L'Eglise catholique, qui poursuit sur la terre la mission du Christ, qui à travers sa mort sur la croix, apporta la paix au monde (cf. Ep
Ep 2,14-17), ne cesse de proclamer à tous son message de salut et de réconciliation et, unissant ses efforts à ceux de tous les hommes de bonne volonté, elle se consacre avec zèle à réaliser les aspirations de paix et d'harmonie de toute l'humanité.

Mesdames les présidentes, chers amis, en vous remerciant à nouveau pour votre visite chargée de sens, je tourne mon regard vers le Christ des Andes, au sommet de la Cordillère, et je demande que, comme don constant de sa grâce, il scelle pour toujours la paix et l'amitié entre Argentins et Chiliens et dans le même temps, je vous donne en signe de mon affection, une Bénédiction apostolique particulière.





À SA BÉATITUDE ANASTAS, ARCHEVÊQUE DE TIRANA, DURRËS ET DE TOUTE L'ALBANIE Vendredi 4 décembre 2009

41209

Votre Béatitude,

« A vous grâce, miséricorde et paix de la part de Dieu le Père et du Christ Jésus notre Seigneur » (
2Th 1,2). Je suis heureux de souhaiter une bienvenue fraternelle à Votre Béatitude et aux autres éminents représentants de l'Eglise orthodoxe autocéphale d'Albanie, qui vous accompagnent aujourd'hui. Je me rappelle avec gratitude, malgré les tristes circonstances, de notre rencontre aux funérailles du Pape Jean-Paul II. Je me rappelle également, avec plaisir, que mon vénérable prédécesseur eut l'occasion de vous rencontrer à Tirana, au cours de sa visite apostolique en Albanie.

Comme on le sait, l'Illyrie accueillit l'Evangile dès les temps apostoliques (cf. Ac Ac 17,1 Rm 15,19). Depuis lors, le message salvifique du Christ a porté des fruits dans votre patrie jusqu'à aujourd'hui. Comme en témoignent les tout premiers écrits de votre culture, une antique formule baptismale latine et un hymne byzantin sur la résurrection du Seigneur parvenus jusqu'à nous, la foi de nos ancêtres chrétiens a laissé des traces splendides et indélébiles dès les premières lignes de l'histoire, de la littérature et des arts de votre peuple.

Toutefois, le témoignage le plus extraordinaire se trouve sûrement dans la vie elle-même. Au cours de la deuxième partie du siècle dernier, les chrétiens en Albanie, tant orthodoxes que catholiques, ont conservé la foi vivante, malgré un régime athée extrêmement répressif et hostile; et, comme on le sait bien, de nombreux chrétiens ont cruellement payé cette foi par leur propre vie. La chute de ce régime a heureusement laissé place à la reconstruction des communautés catholiques et orthodoxes en Albanie. L'activité missionnaire de Votre Béatitude est connue, en particulier dans la reconstruction des lieux de cultes, dans la formation du clergé et dans l'oeuvre de catéchèse qui sont à présent permises: un mouvement de renouveau que Votre Béatitude a décrit à juste titre comme Ngjallja (Résurrection).

Depuis qu'elle a obtenu la liberté, l'Eglise orthodoxe d'Albanie a été en mesure de participer de manière fructueuse au dialogue théologique international catholique-orthodoxe. Votre engagement à cet égard reflète avec bonheur les relations fraternelles entre catholiques et orthodoxes dans votre pays et offre l'inspiration au peuple albanais tout entier, en montrant comment il est possible pour les chrétiens de vivre en harmonie.

Sous cette lumière, nous devrions souligner les éléments de foi que nos Eglises partagent: la profession commune du crédo de Nicée-Constantinople; le baptême commun pour la rémission des péchés et pour nous incorporer dans le Christ et dans l'Eglise; l'héritage des premiers Conciles oecuméniques; la communion réelle, même si elle est imparfaite, que nous partageons déjà et le désir commun, ainsi que les efforts de collaboration, pour construire sur ce qui existe déjà. J'ai plaisir à rappeler à ce propos deux initiatives importantes en Albanie: la fondation de la Société biblique interconfessionnelle et la création du Comité pour les relations interconfessionnelles. Il s'agit d'efforts ponctuels pour promouvoir la compréhension réciproque et la coopération concrète, non seulement entre catholiques et orthodoxes, mais également entre chrétiens, musulmans et bektachi.

Je me réjouis avec Votre Béatitude et avec tous les Albanais pour ce renouveau spirituel. Dans le même temps, c'est avec gratitude au Dieu très haut que je pense à votre service à la nation et à votre contribution personnelle pour promouvoir des relations fraternelles avec l'Eglise catholique. Soyez certain que, quant à nous, nous accomplirons tout notre possible dans le but d'apporter un témoignage commun de fraternité et de paix, et de poursuivre avec vous un engagement renouvelé pour l'unité de nos Eglises, en obéissance au commandement nouveau du Seigneur.

C'est dans cet esprit de communion que j'ai la joie de souhaiter à Votre Béatitude la bienvenue dans la ville des Apôtres Pierre et Paul.





Discours 2005-2013 1021