Discours 2005-2013 20530

RENCONTRE AVEC LES MALADES Eglise de la Petite Maison de la Divine Providence-Cottolengo Dimanche 2 mai 2010

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Messieurs les cardinaux,
chers frères et soeurs!

Je désire exprimer à tous ma joie et ma reconnaissance au Seigneur qui m'a conduit jusqu'à vous, en ce lieu, où de tant de manières et selon un charisme particulier, se manifestent la charité et la Providence du Père céleste. Notre rencontre est une rencontre en harmonie avec mon pèlerinage auprès du Saint-Suaire, où nous pouvons lire tout le drame de la souffrance, mais également, à la lumière de la Résurrection du Christ, la pleine signification que celui-ci revêt pour la rédemption du monde. Je remercie Don Aldo Sarotto pour les paroles éloquentes qu'il m'a adressées: à travers lui, mes remerciements s'étendent à ceux qui oeuvrent en ce lieu, la Petite Maison de la Divine Providence, comme voulut l'appeler saint Joseph Benoît Cottolengo. Je salue avec reconnaissance les trois familles religieuses nées du coeur de saint Cottolengo et de l'« imagination » de l'Esprit Saint. Merci à vous tous, chers malades, qui êtes le trésor précieux de cette maison et de cette OEuvre.

Comme vous le savez peut-être, au cours de l'Audience générale de mercredi dernier, avec la figure de saint Léonard Murialdo, j'ai également présenté le charisme de votre fondateur. Oui, il a été un véritable champion de la charité, dont les initiatives, comme des arbres luxuriants, se trouvent devant nos yeux et sous le regard du monde. En relisant les témoignages de l'époque, nous voyons qu'il ne fut pas facile pour Joseph Benoît Cottolengo de commencer son entreprise. Les nombreuses activités d'assistance présentes sur le territoire en faveur des plus démunis n'étaient pas suffisantes pour guérir la plaie de la pauvreté, qui frappait la ville de Turin. Saint Cottolengo chercha à apporter une réponse à cette situation, en accueillant les personnes en difficulté et en privilégiant celles qui n'était pas reçues et soignées par d'autres. Le premier noyau de la Maison de la Divine Providence ne connut pas une vie facile et ne dura pas longtemps. En 1832, dans le quartier de Valdocco, une nouvelle structure vit le jour, aidée également par plusieurs familles religieuses.

Saint Cottolengo, bien que traversant dans sa vie des moments dramatiques, conserva toujours une confiance sereine face aux événements; attentif à saisir les signes de la paternité de Dieu, il reconnut, dans toutes les situations, sa présence et sa miséricorde et, chez les pauvres, l'image la plus aimable de sa grandeur. Une conviction profonde le guidait: « Les pauvres sont Jésus – disait-il – ils ne sont pas son image. Ils sont Jésus en personne et, comme tels, il faut les servir. Tous les pauvres sont nos maîtres, et ceux qui sont si rebutants à la vue sont encore davantage nos maîtres, ils sont nos véritables trésors. Si nous ne les traitons pas bien, ils nous chassent de la Petite Maison. Ils sont Jésus ». Saint Jospeh Benoît Cottolengo voulut s'engager pour Dieu et pour l'homme, animé au plus profond de son coeur par la parole de l'apôtre Paul: La charité du Christ nous pousse (cf.
2Co 5,14). Il voulut la traduire par un dévouement total au service des plus pauvres et des laissés-pour-compte. Le principe fondamental de son oeuvre fut, dès le début, l'exercice de la charité chrétienne envers tous, qui lui permettait de reconnaître en chaque homme, même s'il était en marge de la société, une grande dignité. Il avait compris que celui qui était frappé par la souffrance et par le rejet tend à se renfermer et à s'isoler et à manifester un manque de confiance envers la vie elle-même. C'est pourquoi, prendre sur soi tant de souffrances humaines signifiait, pour notre saint, créer des relations de proximité affective, familiale et spontanée, donnant vie à des structures qui puissent favoriser cette proximité, dans le style de cette famille qui se poursuit encore aujourd'hui.

Pour saint Joseph Benoît Cottolengo, retrouver la dignité personnelle signifiait rétablir et valoriser tout ce qui est humain: des besoins fondamentaux psycho-sociaux aux besoins moraux et spirituels, de la réhabilitation des fonctions physiques à la recherche d'un sens de la vie, en conduisant la personne à se sentir encore partie vivante de la communauté ecclésiale et du tissu social. Nous sommes reconnaissants à ce grand apôtre de la charité car, en visitant ces lieux, en rencontrant la souffrance quotidienne sur les visages et dans les membres de tant de nos frères et soeurs accueillis ici comme dans leur maison, nous faisons l'expérience de la valeur et de la signification la plus profonde de la souffrance et de la douleur.

Chers malades, vous accomplissez une oeuvre importante: en vivant vos souffrances en union avec le Christ crucifié et ressuscité, vous participez au mystère de sa souffrance pour le salut du monde. En offrant notre douleur à Dieu au moyen du Christ, nous pouvons collaborer à la victoire du bien sur le mal, car Dieu rend féconds notre offrande, notre acte d'amour. Chers frères et soeurs, vous tous qui êtes ici, chacun pour sa part: ne vous sentez pas étrangers au destin du monde, mais sentez-vous comme les tesselles précieuses d'une très belle mosaïque que Dieu, comme un grand artiste, compose jour après jour également grâce à votre contribution. Le Christ, qui est mort sur la Croix pour nous sauver, s'est laissé clouer afin que de ce bois, de ce signe de mort, puisse fleurir la vie dans toute sa splendeur. Cette maison est l'un des fruits mûrs nés de la Croix et de la résurrection du Christ, et elle manifeste que la souffrance, le mal, la mort n'ont pas le dernier mot, car la vie peut renaître de la mort et de la souffrance. C'est ce dont a témoigné de manière exemplaire l'un de vous, que je désire rappeler: le vénérable frère Luigi Bordino, merveilleuse figure de religieux infirmier.

En ce lieu, nous comprenons alors mieux que si la passion de l'homme a été assumée par le Christ dans sa Passion, rien ne sera perdu. On comprend ici de manière particulière le message de cette solennelle ostension du Saint-Suaire: « Passio ChristiPassio hominis ». Nous prions le Seigneur crucifié et ressuscité afin qu'il illumine notre pèlerinage quotidien par la lumière de son Visage; qu'il illumine notre vie, le présent et l'avenir, la douleur et la joie, les difficultés et les espérances de l'humanité tout entière. Chers frères et soeurs, en invoquant l'intercession de la Vierge Marie et de saint Joseph Benoît Cottolengo, je donne de tout coeur à tous ma Bénédiction: qu'elle vous réconforte et vous console dans les épreuves et obtienne pour vous chaque grâce qui vient de Dieu, auteur et dispensateur de chaque don parfait. Merci!




AUX NOUVELLES RECRUES DE LA GARDE SUISSE PONTIFICALE, AVEC LEURS PARENTS, À L'OCCASION DE LEUR ASSERMENTATION Salle Clémentine Vendredi 7 mai 2010

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Très cher Monsieur le commandant,
Mgr l'aumônier,
chers gardes,
chers membres des familles!

C'est avec joie que je vous souhaite à tous la bienvenue et que je salue en particulier les nouvelles recrues, réunies ici avec leurs parents et leurs amis.

Vous pouvez à juste titre être fiers d'être entrés, grâce au serment que vous avez prononcé, dans un corps de garde qui a une longue histoire. Vous venez de revêtir le célèbre uniforme, vous apparaissez à tous comme gardes suisses, les personnes vous reconnaissent et vous prêtent attention. A partir d'aujourd'hui vous bénéficierez de la compétence séculaire et de tous les instruments disponibles pour le déroulement de votre tâche. Ce qui vous est confié aujourd'hui fait de vous les gardiens d'une tradition et les porteurs d'une connaissance pratique. Il est de votre devoir de la poursuivre et de la mettre en valeur. C'est à cette aune que se mesurera votre responsabilité et c'est ce qui vous appelle à un extraordinaire don de vous-mêmes. Le Successeur de Pierre voit en vous un réel soutien et s'en remet à votre vigilance. Je souhaite sincèrement qu'à travers ce service de garde, vous portiez l'héritage reçu de vos prédécesseurs et que vous mûrissiez comme hommes et comme chrétiens.

En entrant dans la Garde suisse pontificale, vous êtes d'une façon indirecte mais réelle associés au service de Pierre dans l'Eglise. A partir d'aujourd'hui, dans votre méditation de la Parole de Dieu, je vous invite à prêter une grande attention à l'apôtre Pierre lorsque celui-ci, après la résurrection du Christ, s'attache à remplir la mission que le Seigneur lui a confiée. Ces passages de l'Ecriture éclaireront le sens de votre noble engagement, et cela d'une façon singulière aux heures possibles de lassitude ou de fatigue. Dans le livre des Actes des Apôtres, nous lisons que Pierre parcourait toute la Judée, pour visiter les fidèles (cf. Ac
Ac 9,32). Le premier des Apôtres manifeste de la sorte concrètement sa sollicitude pour tous. Le Pape veut avoir la même attention pour toutes les Eglises et pour chaque fidèle, ainsi que pour tout homme qui attend quelque chose de l'Eglise. Auprès du Successeur de Pierre, la charité qui anime votre âme est appelée à devenir universelle. Les dimensions de votre coeur sont appelées à s'élargir. Votre service vous poussera à découvrir dans le visage de chaque homme et de chaque femme, un pèlerin qui, sur sa route, attend de rencontrer un autre visage à travers lequel lui soit donné un signe vivant du Seigneur, Maître de toute vie et de toute grâce.

Nous savons que tout ce que nous faisons pour le Nom de Jésus, aussi humble cela soit-il, nous transforme et nous configure un peu plus à l'homme nouveau régénéré dans le Christ. Ainsi, votre service en faveur du ministère pétrinien vous donnera un sens plus vif de la catholicité, ainsi qu'une perception plus profonde de la dignité de l'homme qui passe près de vous et qui recherche au plus profond de lui-même le chemin de la vie éternelle. Vécu avec conscience professionnelle et avec le sens du surnaturel, votre tâche vous préparera aussi à vos futures responsabilités, personnelles et publiques, que vous prendrez lorsque vous quitterez le service, et vous permettra de les assumer en vrais disciples du Seigneur.

En invoquant l'intercession de la Bienheureuse Vierge Marie et de vos saint patrons Sébastien, Martin et Nicolas de Flüe, je vous donne de tout coeur une affectueuse Bénédiction apostolique, ainsi qu'à vos familles, vos amis et à toutes les personnes venues vous entourer au moment de votre assermentation.



AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE BELGIQUE EN VISITE « AD LIMINA APOSTOLORUM » Samedi 8 mai 2010

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Chers Frères dans l’Épiscopat,

Je suis heureux de vous souhaiter très cordialement la bienvenue à l’occasion de votre visite ad Limina Apostolorum qui vous conduit en pèlerinage sur la tombe des Apôtres Pierre et Paul. Cette visite est un signe de la communion ecclésiale qui unit la Communauté catholique de Belgique au Saint-Siège. Elle est aussi une occasion heureuse de renforcer cette communion dans l’écoute réciproque, dans la prière commune et dans la charité du Christ surtout en ces temps où votre Eglise elle-même a été éprouvée par le péché. Je remercie vivement Monseigneur André-Joseph Léonard des paroles qu’il m’a adressées en votre nom et au nom de vos communautés diocésaines. Il m’est agréable d’avoir une pensée particulière pour le Cardinal Godfried Danneels qui, pendant plus de trente ans, a conduit l’archidiocèse de Malines-Bruxelles et votre Conférence épiscopale.

À la lecture de vos rapports sur l’état de vos diocèses respectifs, j’ai pu mesurer les transformations qui se poursuivent dans la société belge. Il s’agit de tendances communes à beaucoup de pays européens mais qui ont, chez vous, des caractéristiques propres. Certaines d’entre elles, déjà relevées lors de la précédente visite ad Limina, se sont accentuées. Je me réfère à la diminution du nombre de baptisés qui témoignent ouvertement de leur foi et de leur appartenance à l’Église, à l’élévation progressive de la moyenne d’âge du clergé, des religieux et religieuses, à l’insuffisance des personnes ordonnées ou consacrées engagées dans la pastorale active ou dans les domaines éducatif et social, au nombre restreint de candidats au sacerdoce et à la vie consacrée. La formation chrétienne, surtout celle des jeunes générations, les questions relatives au respect de la vie et à l’institution du mariage et de la famille constituent d’autres points sensibles. On peut encore mentionner les situations complexes et souvent préoccupantes liées à la crise économique, au chômage, à l’intégration sociale des immigrés, à une coexistence apaisée des diverses communautés linguistiques et culturelles de la Nation.

J’ai pu relever combien vous êtes conscients de telles situations et de l’importance d’insister sur une formation religieuse plus solide et plus profonde. J’ai pris connaissance de votre Lettre pastorale, La belle profession de la foi, inscrite dans le cycle Grandir dans la foi.Par cette Lettre, vous avez voulu inciter l’ensemble des fidèles à redécouvrir la beauté de la foi chrétienne. Grâce à la prière et à la réflexion en commun autour des vérités révélées exprimées par le Credo, on redécouvre que la foi ne consiste pas uniquement à accepter un ensemble de vérités et de valeurs, mais d’abord à se confier à Quelqu’un, à Dieu, à L’écouter, à L’aimer, et à Lui parler, enfin à s’engager à son service (cf. p.5).

Un événement significatif, pour aujourd’hui et pour demain, a été la canonisation du P. Damien De Veuster. Ce nouveau saint parle à la conscience des Belges. N’a-t-il pas été désigné comme le fils de la nation le plus illustre de tous les temps ? Sa grandeur, vécue dans le don total de lui-même à ses frères lépreux, au point d’être contaminé et d’en mourir, réside dans sa richesse intérieure, dans sa prière constante, dans son union au Christ qu’il voyait présent dans ses frères et à qui, comme lui, il se donnait sans réserve. En cette Année sacerdotale, il est bon de proposer son exemple sacerdotal et missionnaire, particulièrement aux prêtres et aux religieux. La diminution du nombre de prêtres ne doit pas être perçue comme un processus inévitable. Le Concile Vatican II a affirmé avec force que l’Eglise ne peut se passer du ministère des prêtres. Il est donc nécessaire et urgent de lui donner sa juste place et d’en reconnaître le caractère sacramentel irremplaçable. Il en résulte par conséquent la nécessité d’une ample et sérieuse pastorale des vocations, fondée sur l’exemplarité de la sainteté des prêtres, sur l’attention aux germes de vocation présents chez beaucoup de jeunes et sur la prière assidue et confiante, selon la recommandation de Jésus (cf.
Mt 9,37).

J’adresse un salut cordial et reconnaissant à tous les prêtres et aux personnes consacrées, souvent surchargés de travail et désireux du soutien et de l’amitié de leur Évêque et de leurs confrères, sans oublier les prêtres plus avancés en âge qui ont consacré toute leur vie au service de Dieu et de leurs frères. Je n’oublie pas non plus l’ensemble des missionnaires. Que tous – prêtres, religieux, religieuses et laïcs de Belgique – reçoivent mes encouragements et l’expression de ma gratitude et qu’ils n’oublient pas que c’est le Christ seul qui apaise toute tempête (cf. Mt 8,25-26) et qui redonne force et courage (cf. Mt 11,28-30 et Mt 14,30-32) pour mener une vie sainte en pleine fidélité à leur ministère propre, à leur consécration à Dieu et au témoignage chrétien.

La Constitution Sacrosanctum concilium souligne que c’est dans la liturgie que se manifeste le mystère de l’Église, dans sa grandeur et sa simplicité (cf. n.2). Il est donc important que les prêtres prennent soin des célébrations liturgiques, en particulier de l’Eucharistie, pour qu’elles permettent une communion profonde avec le Dieu Vivant, Père, Fils et Saint-Esprit. Il est nécessaire que les célébrations se déroulent dans le respect de la tradition liturgique de l’Église, avec une participation active des fidèles, selon le rôle qui correspond à chacun d’eux, s’unissant au mystère pascal du Christ.

Dans vos rapports, vous vous montrez attentifs à la formation des laïcs, en vue d’une insertion toujours plus effective dans l’animation des réalités temporelles. C’est là un programme louable, qui naît de la vocation de tout baptisé configuré au Christ prêtre, prophète et roi. Il est bon de discerner toutes les possibilités qui émanent de la vocation commune des laïcs à la sainteté et à l’engagement apostolique, dans le respect de la distinction essentielle entre le sacerdoce ministériel et le sacerdoce commun des fidèles. Tous les membres de la Communauté catholique, mais d’une façon particulière les fidèles laïcs, sont appelés à témoigner ouvertement de leur foi et à être un ferment dans la société, en respectant une saine laïcité des institutions publiques et les autres confessions religieuses. Un tel témoignage ne peut être limité à la seule rencontre personnelle, mais doit aussi assumer les caractéristiques d’une proposition publique, respectueuse mais légitime, des valeurs inspirées par le message évangélique du Christ.

La brièveté de cette rencontre ne me permet pas de développer d’autres thèmes qui me sont chers et que vous avez aussi mentionnés dans vos rapports. Je terminerai donc en vous priant de bien vouloir transmettre à vos Communautés, aux prêtres, aux religieux, aux religieuses et à tous les catholiques de Belgique mes salutations affectueuses, les assurant de ma prière pour eux devant le Seigneur. Que la Vierge Marie, vénérée en de si nombreux sanctuaires de Belgique, vous assiste dans votre ministère et vous protège tous dans sa tendresse maternelle. À vous et à tous les catholiques du Royaume, j’accorde de grand coeur la Bénédiction apostolique.



VOYAGE APOSTOLIQUE AU PORTUGAL POUR LE Xe ANNIVERSAIRE DE LA BÉATIFICATION DE JACINTA ET FRANCISCO, PASTOUREAUX DE FÁTIMA (11-14 MAI 2010)


ENTRETIEN ACCORDÉ AUX JOURNALISTES AU COURS DU VOL VERS LE PORTUGAL Mardi 11 mai 2010

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Père Lombardi : Sainteté, quelles préoccupations et quels sentiments ressentez-vous à l’égard de la situation de l’Église au Portugal ? Que peut-on dire au Portugal, dans le passé profondément catholique et porteur de la foi dans le monde, mais aujourd’hui en voie de profonde sécularisation, aussi bien dans la vie quotidienne, qu’au niveau juridique et culturel ? Comment annoncer la foi dans un contexte indifférent et hostile à l’Église ?

Saint-Père : D’abord bonne journée à vous tous et nous nous souhaitons un bon voyage, malgré le fameux nuage sous lequel nous sommes. En ce qui concerne le Portugal, j’éprouve surtout des sentiments de joie, de gratitude pour tout ce qu’a fait et fait ce pays dans le monde et dans l’histoire et pour la profonde humanité de ce peuple, que j’ai pu expérimenter lors d’une visite et auprès de beaucoup d’amis portugais. Je dirais que c’est vrai, très vrai, que le Portugal a été une grande force de la foi catholique, il a porté cette foi dans toutes les parties du monde ; une foi courageuse, intelligente et créative ; il a su créer une grande culture, nous le voyons au Brésil, au Portugal même, mais aussi la présence de l’esprit portugais en Afrique, en Asie. D’autre part, la présence du sécularisme n’est pas une chose totalement nouvelle. La dialectique entre sécularisme et foi au Portugal a une longue histoire. Déjà au dix-huitième siècle il y a une forte présence des Lumières, il suffit de penser au nom de Pombal. Ainsi nous voyons qu’en ces siècles le Portugal a toujours vécu dans cette dialectique, qui naturellement aujourd’hui s’est radicalisée et se manifeste avec tous les signes de l’esprit européen d’aujourd’hui. Et cela me semble un défi et aussi une grande possibilité. En ces siècles de dialectique entre l’esprit des Lumières, le sécularisme et la foi, il n’a jamais manqué de personnes qui voulaient construire des ponts et créer un dialogue, mais malheureusement la tendance dominante fut celle de l’opposition et de l’exclusion réciproque. Aujourd’hui nous voyons justement que cette dialectique est une chance, que nous devons trouver la synthèse et un dialogue précurseur et profond. Dans la situation multiculturelle dans laquelle nous sommes tous, on voit qu’une culture européenne qui serait seulement rationaliste n’aurait pas la dimension religieuse transcendante, elle ne serait pas en mesure d’entrer en dialogue avec les grandes cultures de l’humanité, qui ont toutes cette dimension transcendante, qui est une dimension de l’être humain. Et donc penser qu’il y aurait une raison pure, anhistorique, existant seulement en elle-même et que ce serait cela « la » raison, est une erreur ; nous découvrons toujours plus qu’elle touche seulement une partie de l’homme, qu’elle exprime une certaine situation historique, qu’elle n’est pas la raison comme telle. La raison comme telle est ouverte à la transcendance et c’est seulement dans la rencontre entre la réalité transcendante, la foi et la raison que l’homme se trouve lui-même. Je pense donc que justement la tâche et la mission de l’Europe en cette situation est de trouver le chemin de ce dialogue, d’intégrer la foi et la rationalité moderne dans une vision anthropologique unifiée, qui rend compte complètement de l’être humain et ainsi rend également les cultures humaines communicantes. Par conséquent, je dirais que la présence du sécularisme est une chose normale, mais la séparation, l’opposition entre le sécularisme et la culture de la foi est anormale et doit être dépassée. Le grand défi de ce moment est que les deux se rencontrent, et trouvent ainsi leur véritable identité. Cela, comme je l’ai dit, est une mission de l’Europe et une nécessité humaine pour notre histoire.

Père Lombardi : Merci Sainteté ! Nous continuons alors sur le thème de l’Europe. La crise économique s’est récemment aggravée en Europe et elle implique aussi en particulier le Portugal. Certains leaders européens pensent que l’avenir de l’Union européenne est à risque. Quelles leçons tirer de cette crise, aussi sur le plan éthique et moral ? Quelles sont les clés pour consolider l’unité et la coopération des Pays européens à l’avenir ?

Saint-Père : Je dirais que justement cette crise économique, avec sa composante morale, que personne ne peut nier, est un cas d’application, de concrétisation de ce que je viens de dire, c'est-à-dire que deux courants culturels séparés doivent se rencontrer, autrement nous ne trouverons pas un chemin d’avenir. Ici aussi nous constatons un faux dualisme, c'est-à-dire un positivisme économique qui pense pouvoir se réaliser sans la composante éthique, un marché qui serait régulé seulement par lui-même, par les pures forces économiques, par la rationalité positiviste et pragmatique de l’économie – l’éthique serait quelque chose d’autre, étrangère à ceci. Dans les faits, nous voyons maintenant qu’un pur pragmatisme économique, qui fait abstraction de la réalité de l’homme – qui est un être éthique –, n’aboutit pas positivement, mais crée des problèmes insolubles. Par conséquent, c’est maintenant le moment de voir que l’éthique n’est pas une réalité extérieure, mais intérieure à la rationalité et au pragmatisme économique. D’autre part, nous devons aussi confesser que la foi catholique, chrétienne, était souvent trop individualiste, qu’elle abandonnait les choses concrètes, économiques, au monde et qu’elle pensait seulement au salut individuel, aux actes religieux, sans voir que ceux-ci impliquent une responsabilité globale, une responsabilité pour le monde. Donc, ici aussi nous devons entrer dans un dialogue concret. Dans mon encyclique « Caritas in veritate » – et toute la tradition de la Doctrine sociale de l’Église va dans ce sens – j’ai cherché à élargir l’aspect éthique et de la foi au dessus de l’individu, à la responsabilité envers le monde, à une rationalité « dimensionnée » par l’éthique. D’autre part, les derniers événements sur le marché, ces deux, trois dernières années, ont montré que la dimension éthique est intérieure et doit entrer à l’intérieur de l’agir économique, parce que l’homme est un et qu’il s’agit de l’homme, d’une saine anthropologie, qui englobe tout, et c’est seulement ainsi que le problème se résout, c’est seulement ainsi que l’Europe remplit et réalise sa mission.

Père Lombardi : Merci, et maintenant venons à Fatima, qui sera un peu le sommet spirituel de ce voyage ! Sainteté, quelle signification ont pour nous aujourd’hui les apparitions de Fatima ? Quand vous avez présenté le texte du troisième secret à la Salle de presse du Vatican, en juin 2000, certains d’entre nous et d’autres collègues d’alors y étaient, il vous fut demandé si le message pouvait aussi être étendu, au-delà de l’attentat contre Jean-Paul II, à d’autres souffrances des Papes. Est-il possible, selon vous, de situer aussi dans cette vision les souffrances de l’Église d’aujourd’hui, liées aux péchés des abus sexuels sur les mineurs ?

Saint-Père : Avant tout je voudrais exprimer ma joie d’aller à Fatima, de prier devant la Vierge de Fatima, qui est pour nous un signe de la présence de la foi, que c’est des petits proprement que nait une nouvelle force de la foi, qui ne se limite pas aux seuls petits, mais qui a un message pour tout le monde et rejoint le cours de l’histoire dans son présent et l’éclaire. En 2000, dans la présentation, j’avais dit qu’une apparition, c’est-à-dire un événement surnaturelle, qui ne vient pas seulement de l’imagination de la personne, mais en réalité de la Vierge Marie, du surnaturel, qu’un tel événement entre dans un sujet et s’exprime dans les possibilités du sujet. Le sujet est déterminé par ses conditions historiques, personnelles, de tempérament, et donc traduit ce grand événement surnaturel dans ses possibilités de voir, d’imaginer, d’exprimer, mais dans ses expressions, formées par le sujet, se cache un contenu qui va au-delà, plus profondément, et c’est seulement dans le cours de l’histoire que nous pouvons voir toute la profondeur, qui était – disons – « vêtue » dans cette vision possible aux personnes concrètes. Je dirais donc, ici aussi, au-delà de cette grande vision de la souffrance du Pape, que nous pouvons en premier lieu rapporter au Pape Jean-Paul II, sont indiquées des réalités de l’avenir de l’Église qui au fur et à mesure se développent et se manifestent. Par conséquent, il est vrai que au-delà du moment indiqué dans la vision, on parle, on voit la nécessité d’une passion de l’Église, qui naturellement se reflète dans la personne du Pape, mais le Pape est pour l’Église et donc ce sont des souffrances de l’Église qui sont annoncées. Le Seigneur nous a dit que l’Église aurai toujours souffert, de diverses façons, jusqu’à la fin du monde. L’important est que le message, la réponse de Fatima, ne réside pas substantiellement dans des dévotions particulières, mais dans la réponse de fond, c’est-à-dire la conversion permanente, la pénitence, la prière et les trois vertus théologales : foi, espérance et charité. Ainsi voyons-nous ici la réponse véritable et fondamentale que l’Église doit donner, que nous, chacun de nous, devons donner dans cette situation. Quant aux nouveautés que nous pouvons découvrir aujourd’hui dans ce message, il y a aussi le fait que les attaques contre le Pape et contre l’Église ne viennent pas seulement de l’extérieur, mais les souffrances de l’Église viennent proprement de l’intérieur de l’Église, du péché qui existe dans l’Église. Ceci s’est toujours su, mais aujourd’hui nous le voyons de façon réellement terrifiante : que la plus grande persécution de l’Église ne vient pas de ses ennemis extérieurs, mais naît du péché de l’Église et que donc l’Église a un besoin profond de ré-apprendre la pénitence, d’accepter la purification, d’apprendre d’une part le pardon, mais aussi la nécessité de la justice. Le pardon ne remplace pas la justice. En un mot, nous devons ré-apprendre cet essentiel : la conversion, la prière, la pénitence et les vertus théologales. Nous répondons ainsi, nous sommes réalistes en nous attendant que le mal attaque toujours, qu’il attaque de l’intérieur et de l’extérieur, mais aussi que les forces du bien sont toujours présentes et que, à la fin, le Seigneur est plus fort que le mal, et pour nous la Vierge est la garantie visible, maternelle, de la bonté de Dieu, qui est toujours la parole ultime dans l’histoire.

Père Lombardi : Merci, Sainteté, de la clarté, de la profondeur de vos réponses et de cette parole conclusive d’espérance que vous nous avez donnée. Nous vous souhaitons vraiment de pouvoir accomplir sereinement ce voyage si prenant et de pouvoir aussi le vivre avec toute la joie et la profondeur spirituelle que la rencontre avec le mystère de Fatima nous inspire. Bon voyage à vous, et nous chercherons à bien faire notre tâche et à relayer objectivement ce que vous ferez.



ACCUEIL OFFICIEL Aéroport international de Lisbonne Mardi 11 mai 2010

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Monsieur le Président de la République,
Illustres Autorités de la Nation,
Chers Frères dans l’Episcopat,
Mesdames, Messieurs,

C’est aujourd’hui seulement que je puis répondre aux aimables invitations de Monsieur le Président et de mes Frères Evêques, à visiter cette antique et bien-aimée Nation, qui célèbre cette année le premier centenaire de la proclamation de la République. En foulant son sol pour la première fois depuis que la Divine Providence m’a appelé sur le Siège de Pierre, je suis grandement honoré et reconnaissant pour votre présence à tous, respectueuse et accueillante. Je vous remercie, Monsieur le Président, de me recevoir avec tant de cordialité, en vous faisant l’interprète des sentiments et des espérances du peuple portugais. A tous, indépendamment de leur foi et de leur religion, j’adresse un salut amical, en particulier à ceux qui n’ont pas pu venir à ma rencontre. J’arrive en pèlerin de la Vierge de Fatima, chargé par le Très-Haut de conforter mes frères qui progressent dans leur pèlerinage vers le Ciel.

Dès l’aube de son histoire, le peuple portugais s’est tourné vers le Successeur de Pierre pour faire reconnaître son existence comme Nation ; ensuite, l’un de mes Prédécesseurs a honoré le Portugal, en conférant à son Roi le titre de très fidèle (cf. Pie II, Bulle Dum tuam, 25/I/1460), en raison de grands et durables services rendus à la cause de l’Evangile. Quant à l’événement qui s’est produit voici 93 ans, quand le Ciel s’est littéralement ouvert sur le Portugal – comme une fenêtre d’espérance ouverte par Dieu lorsque l’homme Lui ferme la porte – pour rétablir, au sein de la famille humaine, les liens de la solidarité fraternelle fondés sur la reconnaissance mutuelle du même et unique Père, il s’agit d’un dessein d’amour de Dieu ; il ne dépend ni du Pape, ni d’aucune autre autorité ecclésiastique : “Ce n’est pas l’Eglise qui a imposé Fatima – dira le Cardinal Manuel Cerejeira, de vénérée mémoire –, mais c’est Fatima qui s’est imposé à l’Eglise”.

La Vierge Marie est venue du Ciel pour nous rappeler les vérités de l’Evangile qui constituent, pour l’humanité privée d’amour et sans espérance du salut, une source d’espérance. Certes, cette espérance a comme dimension première et radicale, non pas une relation horizontale, mais une relation verticale et transcendante. La relation avec Dieu est constitutive de l’être humain : créé et ordonné à Dieu, celui-ci cherche la vérité par ses facultés cognitives, il tend vers le bien par sa volonté, et il est attiré vers la beauté par son sens esthétique. La conscience est chrétienne dans la mesure où elle s’ouvre à la plénitude de la vie et de la sagesse que nous avons en Jésus-Christ. La visite, que je commence maintenant sous le signe de l’espérance, entend être une proposition de sagesse et de mission.

Une vision sage de la vie et du monde engendre un juste ordonnancement de la société. Placée dans l’histoire, l’Eglise est disposée à collaborer avec celui qui ne marginalise pas ou ne réduit pas au domaine privé la considération essentielle du sens humain de la vie. Il ne s’agit pas d’une opposition éthique entre un système laïc et un système religieux, mais bien d’une question de sens auquel se confie la liberté de chacun, ce qui distingue la valeur attribuée à la problématique du sens et son implication dans la vie publique. Le passage au régime républicain, qui s’est produit voici un siècle au Portugal, a ouvert, dans la distinction entre l’Eglise et l’Etat, un nouvel espace de liberté pour l’Eglise, espace auquel les deux Concordats de 1940 et 2004 ont pu donner forme, dans des cadres culturels et dans des perspectives ecclésiales très marquées par des changements rapides. Les souffrances provoquées par les transformations ont généralement été affrontées avec courage. Vivre dans la pluralité des systèmes de valeurs et de repères moraux requiert d’aller jusqu’au centre du moi personnel et au coeur du christianisme, pour renforcer la qualité du témoignage jusqu’à la sainteté, trouver des sentiers de mission jusqu’à la radicalité du martyre.

Chers frères et amis portugais, je vous remercie encore une fois pour la cordialité de votre accueil. Que Dieu bénisse ceux qui se trouvent ici et tous les habitants de cette noble et bien-aimée Nation que je confie à la Vierge de Fatima, image sublime de l’amour de Dieu qui vous embrasse tous comme des fils.




Discours 2005-2013 20530