Discours 2005-2013 17910

RENCONTRE AVEC LES REPRÉSENTANTS CLÉRICAUX ET LAÏCS D'AUTRES RELIGIONS Twickenham (London Borough of Richmond) Vendredi 17 septembre 2010

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Waldegrave Drawing Room du Collège universitaire d’éducation catholique Sainte-Marie



Éminents invités, chers amis,

Je suis très heureux d’avoir cette occasion de vous rencontrer, vous qui êtes les représentants des différentes communautés religieuses de Grande-Bretagne. Je salue les représentants religieux ici présents ainsi que ceux d’entre vous qui sont engagés en politique, dans les affaires et dans l’industrie. Je suis reconnaissant au Docteur Azzam et au Grand-Rabbin, Lord Sacks, des voeux qu’ils m’ont adressés en votre nom. En vous saluant, je désire aussi souhaiter à la communauté juive de Grande-Bretagne et du monde entier une heureuse et sainte célébration du Yom Kippour.

Je voudrais commencer mes réflexions en exprimant l’appréciation de l’Église catholique pour le témoignage important que vous donnez en tant qu’hommes et femmes spirituels, vivant à une époque où les convictions religieuses ne sont pas toujours comprises ni appréciées. La présence de croyants engagés dans les différents domaines de la vie sociale et économique montre avec éloquence que la dimension spirituelle de nos vies est fondamentale pour notre identité d’êtres humains, et que l’homme, en un mot, ne vit pas seulement de pain (Cf. Dt
Dt 8,3). En tant que membres de différentes traditions religieuses, travaillant ensemble pour le bien de la communauté au sens large, nous attachons une grande importance à cette dimension « côte à côte » de notre collaboration, qui complète l’aspect « face à face » de notre dialogue permanent.

Au niveau spirituel, nous sommes tous, selon nos modes différents, engagés personnellement dans un cheminement qui apporte une réponse à la question la plus importante de toutes – la question du sens ultime de notre existence humaine. La quête du sacré est la recherche de l’unique nécessaire, qui seule satisfait les aspirations du coeur humain. Au cinquième siècle, saint Augustin décrivait cette recherche en ces termes : « Seigneur, vous nous avez faits pour vous et notre coeur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en vous » (Confessions, Livre I, 1). Lorsque nous nous embarquons dans cette aventure, nous réalisons toujours plus que l’initiative ne vient pas de nous, mais du Seigneur : en effet, ce n’est pas tellement nous qui le cherchons, mais plutôt lui qui nous cherche ; c’est lui qui a mis au fond de nos coeurs cette soif de Lui.

Votre présence et votre témoignage dans le monde montrent l’importance fondamentale pour la vie humaine de cette recherche spirituelle dans laquelle nous sommes engagés. Au sein de leurs propres sphères de compétence, les sciences humaines et naturelles nous fournissent une compréhension inestimable de divers aspects de notre existence et elles nous aident à mieux appréhender les mécanismes de l’univers physique qui peuvent alors être maîtrisés et procurer ainsi un grand avantage à la famille humaine. Néanmoins ces disciplines ne répondent pas et ne peuvent répondre à la question fondamentale, car elles opèrent à un tout autre niveau. Elles ne peuvent satisfaire les aspirations les plus profondes du coeur humain, elles ne peuvent nous expliquer pleinement nos origines et notre destinée, pourquoi et dans quel but nous existons, de même qu’elles ne peuvent pas non plus nous fournir une réponse exhaustive à la question : « Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ».

La quête du sacré ne dévalorise pas les autres domaines de la recherche humaine. Au contraire, elle les situe dans un contexte qui rehausse leur importance, comme autant de possibilités d’exercer une gestion responsable de la création. Dans la Bible, nous lisons que, lorsque l’oeuvre de la création fut achevée, Dieu bénit nos premiers parents et leur dit : « Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1,28). Il nous confia la tâche d’explorer et de dominer les mystères de la nature pour contribuer à un plus grand bien. Quel est ce plus grand bien ? Dans la foi chrétienne, celui-ci s’exprime dans l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Et donc, nous nous engageons dans le monde, sans réserve et avec enthousiasme, mais toujours dans le but de contribuer à ce plus grand bien, sinon nous risquons de défigurer la beauté de la création en l’exploitant pour des buts égoïstes.

C’est ainsi que toute croyance religieuse authentique nous oriente, au-delà de l’aspect immédiat et utilitaire, vers le transcendant. Elle nous rappelle la possibilité et l’impératif d’une conversion morale, le devoir de vivre en paix avec notre prochain, l’importance de mener une vie intègre. Comprise correctement, elle nous apporte des lumières, elle purifie nos coeurs et elle nous inspire un agir noble et généreux, au profit de la famille humaine tout entière. Elle nous incite à cultiver la pratique des vertus et à rejoindre les autres avec amour, dans le plus grand respect pour les traditions religieuses différentes de la nôtre.

Depuis le Concile Vatican II, l’Église catholique a souligné de façon particulière l’importance du dialogue et de la coopération avec les membres des autres religions. Afin d’être fécond, ce dialogue exige une réciprocité de la part de tous les partenaires du dialogue et des membres des autres religions. Je pense en particulier à des situations existant dans certaines parties du monde où la coopération et le dialogue entre les religions exigent le respect mutuel, la liberté de pratiquer sa propre religion et de prendre part à des actes de culte publics, ainsi que la liberté de suivre sa propre conscience sans subir l’ostracisme ou la persécution, même si l’on s’est converti d’une religion à une autre. Une fois ce respect et cette ouverture établis, les personnes de toutes les religions travailleront efficacement ensemble pour la paix et la compréhension mutuelle, et porteront ainsi un témoignage convainquant face au monde.

Ce type de dialogue a besoin d’être instauré à différents niveaux, et ne doit pas se limiter à des discussions formelles. Le dialogue de la vie nécessite que l’on vive simplement les uns à côté des autres et que l’on apprenne ainsi les uns des autres à grandir dans la connaissance et le respect mutuels. Le dialogue de l’action nous rapproche dans des formes concrètes de collaboration, lorsque nos intuitions religieuses inspirent nos efforts en faveur du développement humain intégral, de la paix, de la justice et d’une gestion responsable de la création. Un tel dialogue peut impliquer d’explorer ensemble les moyens de défendre la vie humaine à toutes ses étapes et d’assurer la non-exclusion de la dimension religieuse des individus et communautés dans la vie de la société. Puis, au niveau des conversations officielles, il est nécessaire non seulement d’échanger sur le plan théologique, mais aussi de partager nos richesses spirituelles, de parler de notre expérience de la prière et de la contemplation, et de nous témoigner les uns aux autres la joie de notre rencontre avec l’amour de Dieu. Dans ce contexte, je suis heureux de constater les nombreuses initiatives positives entreprises dans ce pays pour promouvoir un tel dialogue à différents niveaux. Comme les Évêques catholiques d’Angleterre et du Pays de Galles l’ont noté dans leur récent document Meeting God in Friend and Stranger, l’effort pour parvenir à l’amitié avec les membres des autres religions devient un aspect familier de la mission de l’Église locale (n. 228), une caractéristique particulière du paysage religieux de ce pays.

Mes chers amis, en terminant mes réflexions, je tiens à vous assurer que l’Église catholique suit ce chemin de l’engagement et du dialogue avec un vrai sentiment de respect pour vous et pour vos convictions. Les catholiques, en Grande-Bretagne et à travers le monde, continueront à travailler pour construire des ponts d’amitié avec les autres religions, pour réparer les faux-pas du passé et pour encourager la confiance entre les individus et les communautés. Je vous redis mes remerciements pour votre accueil et ma gratitude pour cette occasion qui m’est donnée de vous encourager dans votre dialogue avec vos frères et soeurs chrétiens. Sur vous, j’invoque d’abondantes bénédictions divines ! Merci beaucoup.



VISITE FRATERNELLE À L’ARCHEVÊQUE DE CANTORBÉRY Lambeth Palace (London Borough of Richmond) Vendredi 17 septembre 2010

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Votre Grâce,

Je suis heureux de pouvoir vous rendre les signes de courtoisie que vous m’avez donné par vos visites à Rome en accomplissant cette visite fraternelle chez vous, dans votre résidence officielle. Je vous remercie de votre invitation et de l’hospitalité que vous m’offrez si généreusement. Je salue aussi les Évêques anglicans venus ici de différents points du Royaume-Uni, mes Frères Évêques des diocèses catholiques d’Angleterre, du Pays-de-Galles et d’Écosse, ainsi que les conseillers oecuméniques qui sont ici présents.

Vous avez évoqué, Monseigneur, la rencontre historique qui s’est tenue, il y a presque trente ans entre deux de nos prédécesseurs – le Pape Jean-Paul II et l’Archevêque Robert Runcie – en la Cathédrale de Cantorbéry. Là, au lieu même où saint Thomas de Cantorbéry a rendu témoignage au Christ en versant son sang, ils ont prié ensemble pour le don de l’unité entre les disciples du Christ. Nous continuons aujourd’hui à prier pour ce don, conscients que l’unité voulue par le Christ pour ses disciples ne peut être que le fruit de la prière, par l’action de l’Esprit Saint qui renouvelle sans cesse l’Église et la guide vers la plénitude de la vérité.

Il n’est pas dans mon intention aujourd’hui de parler des difficultés que les chemins de l’oecuménisme ont rencontré et continuent d’expérimenter. Elles sont bien connues de tous ici présents. Je voudrais au contraire m’unir à vous et rendre grâce pour la profonde amitié qui s’est développée entre nous et pour les progrès remarquables qui ont été accomplis en de nombreux aspects du dialogue au long des quarante années qui ont passé depuis que la Commission Internationale Anglicane-Catholique a commencé ses travaux. Confions les fruits de ces travaux au Maître de la moisson, sûrs qu’il bénira notre amitié en la faisant grandir encore.

Le contexte dans lequel le dialogue s’établit entre la Communion anglicane et l’Église catholique, a évolué de manière spectaculaire depuis l’audience privée qui eut lieu entre le Pape Jean XXIII et l’Archevêque John Fisher en 1960. D’une part, la culture ambiante s’éloigne toujours davantage de ses racines chrétiennes, en dépit d’une faim profonde de nourriture spirituelle ressentie par beaucoup. D’autre part, la dimension multiculturelle de la société, qui ne cesse de s’accentuer et qui est particulièrement marquée dans votre pays, donne l’occasion de rencontrer d’autres religions. Pour nous, chrétiens, cela ouvre la possibilité d’explorer, avec des membres d’autres traditions religieuses, les moyens de témoigner de la dimension transcendante de la personne humaine et de l’appel universel à la sainteté, et cela nous conduit à la pratique des vertus dans notre vie personnelle et sociale. La coopération oecuménique, pour cette mission, reste essentielle et portera certainement des fruits en faveur de la paix et de l’harmonie dans un monde qui, si souvent, semble au bord de l’éclatement.

En même temps, nous chrétiens, nous ne devons jamais hésiter à proclamer notre foi dans l’unique salut qui nous vient du Christ, et à rechercher ensemble à avoir une perception plus profonde des moyens qu’il a mis à notre disposition pour accéder à ce salut. Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1Tm 2,4), et cette vérité n’est pas autre chose que Jésus Christ, le Fils éternel du Père, qui a tout réconcilié en lui par la puissance de sa Croix. Pour être fidèles à la volonté du Seigneur, telle qu’elle est exprimée dans ce passage de la première Lettre de saint Paul à Timothée, nous reconnaissons que l’Église est appelée à être compréhensive, jamais toutefois au détriment de la vérité chrétienne. D’où le dilemme auquel sont confrontés tous ceux qui sont engagés de manière authentique sur les chemins de l’oecuménisme.

Dans la figure de John Henry Newman, qui sera béatifié dimanche, nous célébrons un homme d’Église dont la vision ecclésiale fut nourrie par la tradition anglicane et s’est approfondie durant ses nombreuses années d’exercice du ministère sacerdotal dans l’Église d’Angleterre. Il peut nous enseigner les vertus que l’oecuménisme exige : d’une part, suivre sa conscience était un impératif, même au prix de grands sacrifices personnels, et d’autre part, la cordialité de l’amitié sans faille avec ses collègues d’antan, qui le conduisit à explorer avec eux, dans un pur esprit irénique, les questions sur lesquelles ils différaient, en privilégiant le désir profond de l’unité de la foi. Votre Grâce, dans ce même esprit d’amitié, puissions-nous renouveler notre détermination à poursuivre le but de l’unité dans la foi, l’espérance et l’amour, selon la volonté de notre unique Seigneur et Sauveur, Jésus Christ !

C’est avec ces sentiments que je prends congé de vous. « La grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion de l’Esprit soit avec vous tous ! » (Co 13,13).



RENCONTRE AVEC LE PARLEMENT ET LA BRITISH SOCIETY Westminster Hall - City of Westminster Vendredi 17 septembre 2010

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Monsieur le Speaker,

Je vous remercie des paroles de bienvenue que vous venez de m’adresser au nom des membres distingués de cette assemblée. En m’adressant à vous, j’ai bien conscience du privilège qui m’est ainsi donné d’adresser la parole au peuple britannique et à ses Représentants au Palais de Westminster, édifice auréolé d’une signification unique dans l’histoire civile et politique du peuple de ces Iles. Permettez-moi d’exprimer mon estime pour le Parlement qui siège en ce lieu depuis des siècles et qui a eu une influence si profonde pour le développement du gouvernement participatif dans les nations, en particulier au sein du Commonwealth et dans le monde de l’anglophonie en général. Votre tradition de droit commun sert de base aux systèmes législatifs en bien des régions du monde, et votre conception particulière des droits et des devoirs respectifs de l’État et des citoyens, ainsi que de la séparation des pouvoirs, continue d’en inspirer beaucoup sur notre planète.

Tandis que je vous parle en cette enceinte chargée d’histoire, je pense aux hommes et aux femmes innombrables des siècles passés ayant joué un rôle important en des événements marquants qui se sont déroulés dans ces murs ; ils ont laissé leur empreinte sur des générations de Britanniques et de bien d’autres aussi. En particulier, j’évoque la figure de saint Thomas More, intellectuel et homme d’État anglais de grande envergure, qui est admiré aussi bien par les croyants que par les non-croyants pour l’intégrité avec laquelle il a suivi sa conscience, fusse au prix de déplaire au Souverain dont il était le « bon serviteur », et cela parce qu’il avait choisi de servir Dieu avant tout. Le dilemme que More a dû affronter en des temps difficiles, l’éternelle question du rapport entre ce qui est dû à César et ce qui est dû à Dieu, m’offre l’opportunité de réfléchir brièvement avec vous sur la juste place de la croyance religieuse à l’intérieur de la vie politique.

La tradition parlementaire de ce pays doit beaucoup à la tendance naturelle de votre nation pour la modération, au désir d’arriver à un équilibre véritable entre les exigences légitimes du gouvernement et les droits de ceux qui y sont soumis. Tandis que des mesures décisives ont été prises à plusieurs époques de votre histoire afin de définir des limites dans l’exercice du pouvoir, les institutions politiques de la nation ont pu évoluer dans un espace remarquable de stabilité. Dans ce processus, la Grande-Bretagne est apparue comme une démocratie pluraliste qui attache une grande valeur à la liberté de parole, à la liberté d’obédience politique et au respect de la primauté du droit comme règle de conduite, accompagné d’un sens très fort des droits et des devoirs de chacun, ainsi que de l’égalité de tous les citoyens devant la loi. S’il s’exprime d’une manière différente, l’enseignement social de l’Église catholique a bien des points communs avec cette approche, aussi bien quand il s’agit de protéger avec fermeté la dignité unique de toute personne humaine, créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, que lorsqu’il souligne avec force le devoir qu’ont les autorités civiles de promouvoir le bien commun.

Et pourtant, les questions fondamentales qui étaient en jeu dans le procès de Thomas More, continuent à se présenter, même si c’est de manière différente, à mesure qu’apparaissent de nouvelles conditions sociales. Chaque génération, en cherchant à faire progresser le bien commun, doit à nouveau se poser la question : quelles sont les exigences que des gouvernements peuvent raisonnablement imposer aux citoyens, et jusqu’où cela peut-il aller ? En faisant appel à quelle autorité les dilemmes moraux peuvent-ils être résolus ? et le bien commun promu ? Ces questions nous mènent directement aux fondements éthiques du discours civil. Si les principes moraux qui sont sous-jacents au processus démocratique ne sont eux-mêmes déterminés par rien de plus solide qu’un consensus social, alors la fragilité du processus ne devient que trop évidente – là est le véritable défi pour la démocratie.

L’inaptitude des solutions pragmatiques, à court-terme, devant les problèmes sociaux et éthiques complexes a été amplement démontrée par la récente crise financière mondiale. Il existe un large consensus pour reconnaître que le manque d’un solide fondement éthique de l’activité économique a contribué aux graves difficultés qui éprouvent des millions de personnes à travers le monde entier. De même que « toute décision économique a une conséquence de caractère moral » (Caritas in veritate ), ainsi, dans le domaine politique, la dimension éthique a des conséquences de longue portée qu’aucun gouvernement ne peut se permettre d’ignorer. Nous trouvons un exemple positif de cela dans l’un des succès particulièrement remarquable du Parlement britannique : l’abolition de la traite des esclaves. La campagne qui a abouti à cette législation reposait sur des principes éthiques solides, enracinés dans la loi naturelle, et fut ainsi rendue une contribution à la civilisation dont votre nation peut justement être fière.

Mais alors la question centrale qui se pose est celle-ci : où peut-on trouver le fondement éthique des choix politiques ? La tradition catholique soutient que les normes objectives qui dirigent une action droite sont accessibles à la raison, même sans le contenu de la Révélation. Selon cette approche, le rôle de la religion dans le débat politique n’est pas tant celui de fournir ces normes, comme si elles ne pouvaient pas être connues par des non-croyants – encore moins de proposer des solutions politiques concrètes, ce qui de toute façon serait hors de la compétence de la religion – mais plutôt d’aider à purifier la raison et de donner un éclairage pour la mise en oeuvre de celle-ci dans la découverte de principes moraux objectifs. Ce rôle « correctif » de la religion à l’égard de la raison n’est toutefois pas toujours bien accueilli, en partie parce que des formes déviantes de religion, telles que le sectarisme et le fondamentalisme, peuvent être perçues comme susceptibles de créer elles-mêmes de graves problèmes sociaux. A leur tour, ces déformations de la religion surgissent quand n’est pas accordée une attention suffisante au rôle purifiant et structurant de la raison à l’intérieur de la religion. Il s’agit d’un processus à deux sens. Sans le correctif apporté par la religion, d’ailleurs, la raison aussi peut tomber dans des distorsions, comme lorsqu’elle est manipulée par l’idéologie, ou lorsqu’elle est utilisée de manière partiale si bien qu’elle n’arrive plus à prendre totalement en compte la dignité de la personne humaine. C’est ce mauvais usage de la raison qui, en fin de compte, fut à l’origine du trafic des esclaves et de bien d’autres maux sociaux dont les idéologies totalitaires du 20ème siècle ne furent pas les moindres. C’est pourquoi, je voudrais suggérer que le monde de la raison et de la foi, le monde de la rationalité séculière et le monde de la croyance religieuse reconnaissent qu’ils ont besoin l’un de l’autre, qu’ils ne doivent pas craindre d’entrer dans un profond dialogue permanent, et cela pour le bien de notre civilisation.

La religion, en d’autres termes, n’est pas un problème que les législateurs doivent résoudre, mais elle est une contribution vitale au dialogue national. Dans cette optique, je ne puis que manifester ma préoccupation devant la croissante marginalisation de la religion, particulièrement du christianisme, qui s’installe dans certains domaines, même dans des nations qui mettent si fortement l’accent sur la tolérance. Certains militent pour que la voix de la religion soit étouffée, ou tout au moins reléguée à la seule sphère privée. D’autres soutiennent que la célébration publique de certaines fêtes, comme Noël, devrait être découragée, en arguant de manière peu défendable que cela pourrait offenser de quelque manière ceux qui professent une autre religion ou qui n’en ont pas. Et d’autres encore soutiennent – paradoxalement en vue d’éliminer les discriminations – que les chrétiens qui ont des fonctions publiques devraient être obligés en certains cas d’agir contre leur conscience. Ce sont là des signes inquiétants de l’incapacité d’apprécier non seulement les droits des croyants à la liberté de conscience et de religion, mais aussi le rôle légitime de la religion dans la vie publique. Je voudrais donc vous inviter tous, dans vos domaines d’influence respectifs, à chercher les moyens de promouvoir et d’encourager le dialogue entre foi et raison à tous les niveaux de la vie nationale.

Votre disponibilité en ce sens est déjà manifeste par l’invitation exceptionnelle que vous m’avez offerte aujourd’hui. Et elle trouve aussi une expression dans les questions sur lesquelles votre Gouvernement a engagé un dialogue avec le Saint-Siège. En ce qui concerne la paix, il y a eu des échanges à propos de l’élaboration d’un traité international sur le trafic d’armes ; à propos des droits de l’homme, le Saint-Siège et le Royaume-Uni se sont réjouis des progrès de la démocratie, spécialement au cours des soixante-cinq dernières années ; en ce qui concerne le développement, des collaborations se sont mises en place pour l’allègement de la dette, pour un marché équitable et pour le financement du développement, en particulier à travers l’International Finance Facility, l’International Immunisation Bond et l’Advanced Market Commitment. Le Saint-Siège espère aussi pouvoir explorer avec le Royaume-Uni de nouvelles voies pour promouvoir une mentalité responsable vis-à-vis de l’environnement, pour le bien de tous.

Je remarque aussi que l’actuel Gouvernement a engagé le Royaume-Uni à consacrer 0,7% du revenu national pour l’aide au développement d’ici à 2013. C’est dernières années des signes encourageants ont pu être observés de par le monde concernant un souci plus grand de solidarité avec les pauvres. Mais pour que cette solidarité s’exprime en actions effectives, il est nécessaire de repenser les moyens qui amélioreront les conditions de vie dans de nombreux domaines, allant de la production alimentaire, à l’eau potable, à la création d’emplois, à l’éducation, au soutien des familles, spécialement les migrants, et aux soins médicaux de base. Là où des vies humaines sont en jeu, le temps est toujours court : toutefois le monde a été témoin des immenses ressources que les gouvernements peuvent mettre à disposition lorsqu’il s’agit de venir au secours d’institutions financières retenues comme « trop importantes pour être vouées à l’échec ». Il ne peut être mis en doute que le développement humain intégral des peuples du monde n’est pas moins important : voilà bien une entreprise qui mérite l’attention du monde, et qui est véritablement « trop importante pour être vouée à l’échec ».

Ce panorama de récents aspects de la coopération entre le Royaume-Uni et le Saint-Siège montre bien tout les progrès qui ont été accomplis, au long des années qui se sont écoulées depuis l’établissement de relations diplomatiques bilatérales, afin de promouvoir, à travers le monde, les nombreuses valeurs fondamentales que nous partageons. J’espère et je prie pour que ces relations continuent à être fructueuses, et pour qu’elles se reflètent dans une acceptation croissante du besoin de dialogue et de respect à tous les niveaux de la société entre le monde de la raison et le monde de la foi. Je suis convaincu que, dans ce pays également, il y a de nombreux domaines où l’Église et les autorités civiles peuvent travailler ensemble pour le bien des habitants, en harmonie avec la pratique historique de ce Parlement d’invoquer la guidance du Saint-Esprit sur ceux qui cherchent à améliorer la condition de tous. Afin que cette coopération soit possible, les groupes religieux – incluant des institutions en relation avec l’Église catholique – ont besoin d’être libres pour agir en accord avec leurs propres principes et leurs convictions spécifiques basés sur la foi et l’enseignement officiel de l’Église. Ainsi, ces droits fondamentaux que sont la liberté religieuse, la liberté de conscience et la liberté d’association, seront garantis.

Les anges qui nous regardent depuis le magnifique plafond de cet antique Palais, nous rappellent la longue tradition à partir de laquelle le Parlement britannique a évolué. Ils nous rappellent que Dieu veille constamment sur nous pour nous guider et nous protéger. Et ils nous invitent à faire nôtre la contribution essentielle que la croyance religieuse a apportée et continue d’apporter à la vie de la nation.

Monsieur le Speaker, je vous remercie encore de cette invitation à m’adresser brièvement à cette assemblée distinguée. Permettez-moi de vous assurer, vous-même et le Lord Speaker, de mes voeux les meilleurs et de ma prière pour vous et pour les travaux féconds des deux Chambres de cet antique Parlement. Merci, et que Dieu vous bénisse !




PRIÈRE DU SOIR -INTRODUCTION Abbaye de Westminster - City of Westminster Vendredi 17 septembre 2010

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Votre Grâce, Monsieur le Doyen,
Chers amis dans le Christ,

Je vous remercie pour votre chaleureux accueil. Ce noble édifice évoque la longue histoire de l’Angleterre, profondément marquée par l’annonce de l’Évangile et la culture chrétienne à laquelle il a donné naissance. Je viens ici aujourd’hui en pèlerin de Rome pour prier sur la tombe de saint Édouard le Confesseur et pour implorer avec vous le don de l’unité des Chrétiens. Puissent ces moments de prière et d’amitié nous confirmer dans l’amour de Jésus Christ, notre Seigneur et Sauveur, et dans un commun témoignage à la puissance permanente de l’Evangile pour éclairer l’avenir de cette illustre nation !

AU TERME DE LA PRIÈRE DU SOIR



Chers amis dans le Christ,

Je remercie le Seigneur de cette occasion de vous rencontrer, vous qui représentez les confessions chrétiennes présentes en Grande-Bretagne, dans cette magnifique église abbatiale dédiée à saint Pierre, dont l’architecture et l’histoire évoquent avec tant d’éloquence le patrimoine commun de notre foi. Ici, nous ne pouvons que nous souvenir avec admiration de la façon dont la foi chrétienne a influencé l’unité et la culture de l’Europe ainsi que le coeur et l’esprit du peuple anglais. Ici aussi, il nous est rappelé avec force que ce que nous partageons, dans le Christ, est plus grand que ce qui continue de nous diviser.

Je suis reconnaissant à Sa Grâce l’Archevêque de Canterbury de son aimable accueil, ainsi qu’au Doyen et au Chapitre de cette vénérable Abbaye pour leurs mots cordiaux de bienvenue. Je remercie le Seigneur de me permettre, comme Successeur de saint Pierre sur Siège de Rome, d’accomplir ce pèlerinage sur la tombe de saint Édouard le Confesseur. Édouard, Roi d’Angleterre, demeure un modèle de témoignage chrétien et un exemple de cette vraie grandeur à laquelle le Seigneur appelle ses disciples selon les Écritures que nous venons juste d’entendre : la grandeur d’une humilité et d’une obéissance fondées sur l’exemple même du Christ (cf.
Ph 2,6-8), la grandeur d’une fidélité qui n’hésite pas à embrasser le mystère de la Croix avec un amour vivant pour le divin Maître et une espérance sans failles en ses promesses (Cf. Mc 10,43-44).

Cette année, comme vous le savez, est marquée par le centième anniversaire du mouvement oecuménique moderne, qui a commencé par l’appel de la Conférence d’Edimbourg en faveur de l’unité des Chrétiens, condition préalable à un témoignage crédible et convainquant de l’Évangile à notre époque. En commémorant cet anniversaire, nous devons rendre grâce pour l’extraordinaire progrès fait pour atteindre ce grand but grâce aux efforts convaincus de chrétiens de toutes dénominations. En même temps, cependant, nous sommes conscients de tout ce qu’il reste encore à faire. Dans un monde marqué par une interdépendance et une solidarité croissantes, nous devons relever le défi de proclamer avec une conviction renouvelée la réalité de notre réconciliation et de notre libération en Christ, et de proposer la vérité de l’Évangile comme la clef d’un développement humain authentique et intégral. Dans une société qui est devenue de plus en plus indifférente si ce n’est même hostile au message chrétien, nous sommes plus que tous obligés de rendre raison de l’espérance qui est en nous (Cf. 1P 3,15), et de présenter le Seigneur Ressuscité comme la réponse aux questions les plus profondes ainsi qu’aux aspirations spirituelles des hommes et des femmes de notre temps.

Tandis que nous avancions vers le choeur au début de cet office, la chorale a chanté que le Christ est notre « fondement sûr ». Il est le Fils éternel de Dieu, d’une même nature que le Père, qui s’est fait chair comme le déclare le Credo : « pour nous les hommes et pour notre salut ». Lui seul a les paroles de la vie éternelle. En lui, comme nous l’enseigne l’Apôtre: « tout subsiste » (…) « car Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la plénitude » (Col 1,17 Col 19).

Notre engagement en faveur de l’unité des chrétiens est né bel et bien de notre foi en Christ, en ce Christ, ressuscité des morts et assis à la droite du Père, qui reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts. C’est la réalité de la personne du Christ, son oeuvre de salut et surtout le fait historique de sa résurrection, qui forment le contenu du kérygme apostolique ainsi que ces formulations de la foi qui, en commençant par le Nouveau Testament lui-même, ont garanti l’intégrité de sa transmission. L’unité de l’Église, en un mot, ne peut jamais être autre qu’une unité dans la foi des Apôtres, dans la foi confiée à chaque nouveau membre du Corps du Christ durant le rite du Baptême. C’est cette foi qui nous unit dans le Seigneur, qui nous rend participants de son Esprit Saint, et qui ainsi, aujourd'hui encore, nous rend participants de la vie de la Sainte Trinité, modèle de la koinonia de l’Église ici-bas.

Chers amis, nous avons en mémoire les défis, les bénédictions, les déceptions et les signes d’espérance qui ont marqué notre cheminement oecuménique. Ce soir, nous confions tout cela au Seigneur, sûrs de sa providence et de la puissance de sa grâce. Nous savons que les amitiés que nous avons bâties, le dialogue que nous avons commencé et l’espérance qui nous anime nous donneront l’énergie et nous indiqueront le chemin tandis que nous avançons ensemble avec persévérance. En même temps, avec un réalisme évangélique, nous devons aussi reconnaître les défis que nous avons à affronter, non seulement tout au long du chemin de l’unité des Chrétiens, mais aussi dans la tâche qui nous incombe d’annoncer le Christ aujourd’hui. La fidélité à la Parole de Dieu, précisément parce que c’est une Parole vraie, exige de nous une obéissance qui nous amène ensemble à une compréhension plus profonde de la volonté du Seigneur, obéissance qui doit être libérée de tout conformisme intellectuel ou d’une adaptation facile à l’esprit du monde. C’est là le mot d’encouragement avec lequel je désire vous quitter ce soir, et je le fais en conformité avec mon ministère d’Évêque de Rome et de Successeur de saint Pierre, chargé de veiller avec une attention particulière à l’unité du troupeau du Christ.

Rassemblés, dans cette antique église monastique, nous pouvons rappeler l’exemple d’un grand homme anglais et homme d’église que nous honorons en commun : saint Bède le Vénérable. À l’aube d’une ère nouvelle dans la vie de la société et de l’Église, Bède a compris à la fois l’importance de la fidélité à la Parole de Dieu telle qu’elle a été transmise par la tradition apostolique, et la nécessité d’une ouverture créative aux nouveaux développements et aux exigences d’une implantation solide de l’Évangile dans le langage et la culture modernes.

Cette nation et l’Europe que Bède et ses contemporains ont aidé à construire, se trouvent encore une fois au seuil d’une ère nouvelle. Que l’exemple de saint Bede inspire les Chrétiens de ces terres pour qu’ils redécouvrent l’héritage qu’ils partagent, pour qu’ils fortifient ce qu’ils ont en commun, et qu’ils consolident leurs liens d’amitié. Puisse le Seigneur bénir nos efforts pour remédier aux séparations du passé et pour affronter les défis actuels, dans l’espérance en un avenir que, dans sa Providence, il nous offre ainsi qu’à notre monde. Amen.




Discours 2005-2013 17910