Discours 2005-2013 1237

1237 La conscience morale des chercheurs, et de toute la société civile, est intimement impliquée aussi dans le second thème de vos travaux: l'utilisation des banques de cordon ombilical, dans un but clinique et de recherche. La recherche médico-scientifique est une valeur et donc un devoir non seulement pour les chercheurs, mais pour toute la communauté civile. Il en découle le devoir, de la part des institutions, de promouvoir des recherches valides sur le plan éthique, et la valeur de la solidarité des personnes dans la participation à des recherches visant à la promotion du bien commun. Cette valeur et la nécessité de cette solidarité sont bien mises en évidence dans le cas de l'utilisation des cellules souches provenant du cordon ombilical. Il s'agit d'applications cliniques importantes et de recherches prometteuses sur le plan scientifique, mais dont la mise en oeuvre dépend beaucoup de la générosité dans le don du sang de cordon au moment de l'accouchement et de l'adaptation des structures pour rendre concrète la volonté du don de la part des femmes qui accouchent. C'est pourquoi je vous encourage tous à devenir des promoteurs d'une solidarité humaine et chrétienne vraie et consciente. A ce propos, de nombreux chercheurs en médecine considèrent avec perplexité, à juste titre, la floraison de banques privées pour la conservation du sang de cordon pour un usage personnel exclusif. Ce choix — comme le démontrent les travaux de votre assemblée — non seulement est dépourvu d'une réelle supériorité scientifique par rapport au don de cordon, mais il affaiblit l'esprit de solidarité authentique qui doit constamment animer la recherche de ce bien commun auquel tendent, en dernière analyse, la science et la recherche médicale.

Chers frères et soeurs, je renouvelle l'expression de ma reconnaissance au président et à tous les membres de l'Académie pontificale pour la vie, pour la valeur scientifique et éthique de votre engagement au service du bien de la personne humaine. Mon souhait est que vous mainteniez toujours vivant votre esprit de service authentique qui rend les esprits et les coeurs sensibles de façon à reconnaître les besoins des hommes de notre temps. A chacun de vous et à ceux qui vous sont chers, j'accorde de tout coeur ma Bénédiction apostolique.

AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE

DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LES COMMUNICATIONS SOCIALES Salle Clémentine Lundi 28 février 2011



Eminences, Excellences,
chers frères et soeurs,

Je suis heureux de vous accueillir à l’occasion de l’assemblée plénière du dicastère. Je salue le président, Mgr Claudio Maria Celli, que je remercie pour ses paroles courtoises, les secrétaires, les officiaux, les consulteurs et tout le personnel.

Dans le message pour la Journée mondiale des communications sociales de cette année, j’ai invité à réfléchir sur le fait que les nouvelles technologies non seulement changent la façon de communiquer, mais opèrent une vaste transformation culturelle. Une nouvelle façon d’apprendre et de penser se développe, avec des occasions inédites d’établir des relations et d’instaurer une communion. Je voudrais m’arrêter à présent sur le fait que la pensée et la relation ont toujours lieu selon la modalité du langage, entendu naturellement au sens large, et pas seulement verbal. Le langage n’est pas seulement un simple revêtement interchangeable et provisoire de concepts, mais le concept vivant et vibrant dans lequel les pensées, les inquiétudes et les projets des hommes naissent à la conscience et sont façonnés à travers des gestes, des symboles et des paroles. L’homme, donc, non seulement «utilise», mais dans un certain sens, «habite» le langage. En particulier, aujourd’hui, ce que le Concile Vatican ii a défini de «merveilleuses découvertes techniques» (Inter mirifica IM 1), sont en train de transformer le milieu culturel, et cela exige une attention spécifique aux langages qui se développent en son sein. Les nouvelles technologies «ont la capacité non seulement d’influencer les modalités, mais également les contenus de la pensée» (Aetatis novae, n. 4).

Les nouveaux langages qui se développent dans la communication numérique déterminent, entre autres, une capacité plus intuitive et émotive qu’analytique, orientent vers une diverse organisation logique de la pensée et de la relation avec la réalité, privilégient souvent l’image et les liens hypertextes. De plus, la traditionnelle distinction nette entre langage écrit et oral semble disparaître au bénéfice d’une communication écrite qui prend la forme et le caractère immédiat de la communication orale. Les dynamiques propres aux «réseaux participatifs» exigent, en outre, que la personne prenne part elle-même à ce qu’elle communique. Lorsque les personnes s’échangent des informations, elles partagent déjà leur propre personne et leur vision du monde: elles deviennent «témoins» de ce qui donne un sens à leur existence. Certes, les risques encourus sont visibles à tous: la perte de l’intériorité, la superficialité dans la façon de vivre les relations, la fuite dans l’émotivité, la prédominance de l’opinion la plus convaincante par rapport au désir de vérité. Et toutefois, ils sont la conséquence d’une incapacité à vivre en plénitude et de façon authentique le sens des innovations. Voilà pourquoi la réflexion sur les langages développés par les nouvelles technologies est urgente. Le point de départ est la Révélation elle-même, qui nous témoigne que Dieu a communiqué ses merveilles précisément dans le langage et dans l’expérience réelle des hommes selon «des types de culture propres à chaque époque» (Gaudium et spes GS 58), jusqu’à la pleine manifestation de soi du Fils incarné. La foi pénètre, enrichit, exalte et vivifie toujours la culture, et celle-ci, à son tour, devient véhicule de la foi, à laquelle elle offre le langage pour être pensée et exprimée. Il est donc nécessaire de devenir des auditeurs attentifs des langages des hommes de notre temps, pour être attentifs à l’oeuvre de Dieu dans le monde.

Dans ce contexte, le travail qu’accomplit le Conseil pontifical pour les communications sociales est important pour approfondir la «culture numérique», en encourageant et en soutenant la réflexion en vue d’une conscience accrue des défis qui attendent la communauté ecclésiale et civile. Il ne s’agit pas seulement d’exprimer le message évangélique dans le langage d’aujourd’hui, mais il faut avoir le courage de réfléchir de façon plus profonde, comme cela a été le cas à d’autres époques, sur le rapport entre la foi, la vie de l’Eglise et les changements que l’homme vit. C’est l’engagement d’aider ceux qui ont une responsabilité dans l’Eglise à être en mesure de comprendre, d’interpréter et de parler «le nouveau langage» des médias dans la fonction pastorale (cf. Aetatis novae, n. 2), dans un dialogue avec le monde contemporain, en se demandant: quel défi ce que l’on appelle la «pensée numérique» présente-t-elle à la foi et à la théologie? Quelles questions et quelles demandes?

Le monde de la communication concerne l’univers culturel, social et spirituel tout entier de la personne humaine. Si les nouveaux langages ont un impact sur la façon de penser et de vivre, cela concerne, d’une certaine façon, également le monde de la foi, son intelligence et son expression. La théologie, selon une définition classique est l’intelligence de la foi, et nous savons bien que l’intelligence, entendue comme connaissance réfléchie et critique, n’est pas étrangère aux changements culturels en cours. La culture numérique lance de nombreux défis à notre capacité de parler et d’écouter un langage symbolique qui parle de la transcendance. Jésus lui-même, dans l’annonce du Royaume, a su utiliser des éléments de la culture et du milieu de son époque: le troupeau, les champs, les banquets, les semences et ainsi de suite. Aujourd’hui, nous sommes appelés à découvrir, également dans la culture numérique, des symboles et des métaphores significatives pour les personnes, qui puissent aider à parler du Royaume de Dieu à l’homme contemporain.

1238 Il faut en outre considérer que la communication à l’époque des «nouveaux médias» comporte une relation toujours plus étroite et familière entre l’homme et les machines, de l’ordinateur au téléphone portable, pour ne citer que les plus communs. Quels seront les effets de cette relation constante? Le Pape Paul VI, en parlant des premiers projets d’automation de l’analyse linguistique du texte biblique, indiquait déjà une piste de réflexion lorsqu’il s’interrogeait: «N’est-ce pas plutôt cet effort d’infuser dans des instruments mécaniques le reflet de fonctions spirituelles, qui est ennobli et élevé au rang de service, qui confine au sacré? Est-ce l’esprit qui devient prisonnier de la matière ou au contraire la matière, désormais dominée et contrainte d’exécuter les lois de l’esprit, qui rend à celui-ci de sublimes hommages?» (Discours au centre d’automation de l’Aloisianum de Gallarate, 19 juin 1964; cf. ORLF n. 26 du 26 juin 1964). On perçoit dans ces paroles le lien profond avec l’esprit auquel la technologie est appelée par vocation (cf. Enc. Caritas in veritate, ).

C’est précisément l’appel aux valeurs spirituelles qui permettra de promouvoir une communication véritablement humaine: au-delà de tout enthousiasme ou scepticisme facile, nous savons que celle-ci est une réponse à l’appel contenu dans notre nature d’êtres créés à l’image et ressemblance du Dieu de la communion. C’est pourquoi, la communication biblique selon la volonté de Dieu est toujours liée au dialogue et à la responsabilité, comme en témoignent, par exemple, les figures d’Abraham, de Moïse, de Job et des prophètes, et jamais à la séduction linguistique, comme c’est en revanche le cas du serpent, ou d’incommunicabilité et de violence, comme dans le cas de Caïn. La contribution des croyants pourra alors représenter une aide pour le monde des médias lui-même, en ouvrant des horizons de sens et de valeur que la culture numérique n’est pas capable à seule d’entrevoir et de représenter.

En conclusion, il me plaît de rappeler, avec de nombreuses autres figures de communicateurs, celle du père Matteo Ricci, protagoniste de l’annonce de l’Evangile en Chine à l’époque moderne, dont nous avons célébré le IVe centenaire de la mort. Dans son oeuvre de diffusion du message du Christ, il a toujours considéré la personne, son contexte culturel et philosophique, ses valeurs et son langage, en recueillant tout ce qu’il y avait de positif dans sa tradition, et en offrant de l’animer et de l’élever au moyen de la sagesse et de la vérité du Christ.

Chers amis, je vous remercie pour votre service, que je confie à la protection de la Vierge Marie et, en vous assurant de ma prière, je vous donne ma Bénédiction apostolique.
Mars 2011


AUX ÉVÊQUES DE LA CONÉRENCE ÉPISCOPALE DES PHILIPPINES EN VISITE « AD LIMINA APOSTOLORUM » Salle du Consistoire Jeudi 3 mars 2011



Mes chers frères évêques,

C’est avec joie que je vous souhaite la bienvenue à l’occasion de votre visite «ad limina Apostolorum». Par votre intermédiaire, j’étends mon salut cordial aux prêtres, aux religieux et aux fidèles de vos divers diocèses.

Notre rencontre d’aujourd’hui m’offre l’opportunité de vous remercier collectivement de l’oeuvre pastorale que vous accomplissez avec amour pour le Christ et pour son peuple. Comme l’affirme saint Paul: «Ne nous lassons pas de faire le bien, car le moment venu, nous récolterons si nous ne nous décourageons pas» (Ga 6,9). Avec ces paroles, l’Apôtre encourage ses lecteurs à accomplir le bien envers tous, en particulier envers nos frères dans la foi. Il nous présente un double impératif, qui est parfaitement approprié à votre ministère dans les îles centrales et méridionales de l’archipel des Philippines. Vous devez vous prodiguer pour faire le bien parmi les chrétiens, ainsi que parmi les non-chrétiens.

A propos des «frères dans la foi» qui demandent votre sollicitude apostolique, l’Eglise qui est dans vos régions respectives partage naturellement un grand nombre des exigences pastorales du reste du pays. Parmi celles-ci, l’une des plus importantes est constituée par la tâche de la formation catéchétique permanente. La profonde piété personnelle de votre peuple doit être nourrie et soutenue par une profonde compréhension et par l’appréciation des enseignements de l’Eglise en matière de foi et de morale. En effet, ces éléments sont nécessaires afin que le coeur humain apporte sa réponse exhaustive et appropriée à Dieu. Alors que vous continuez à développer la catéchèse dans vos diocèses, ne manquez pas d’inclure dans celle-ci la proximité aux familles, en portant une attention particulière aux parents dans leur rôle de premiers éducateurs des enfants dans la foi. Cette oeuvre est déjà évidente dans le soutien que vous offrez à la famille face à des influences qui pourraient en diminuer ou en détruire les droits et l’intégrité. Je sais qu’offrir ce type de formation catéchétique n’est pas une mince tâche et je saisis cette opportunité pour saluer les nombreuses soeurs et les catéchistes laïcs qui vous assistent dans cette oeuvre importante.

1239 En effet, en tant qu’évêques diocésains, vous n’affrontez jamais aucun défi seuls, car vous êtes tout d’abord assistés par les membres de votre clergé. Comme vous, ils ont consacré leur vie au service de Dieu et de son peuple, et à leur tour, ils ont besoin de votre sollicitude paternelle. Comme vous le savez bien, vous et vos confrères évêques avez le devoir particulier de bien connaître vos prêtres et de les guider avec une attention sincère, alors que les prêtres doivent toujours être préparés à accomplir avec humilité et fidélité les tâches qui leur sont confiées. Dans cet esprit de coopération réciproque pour le bien du Royaume de Dieu, il est certain que «le moment venu nous récolterons notre moisson» de foi.

Un grand nombre de vos diocèses ont élaboré des programmes de formation permanente pour les jeunes prêtres, en les aidant à passer du système structuré du séminaire à celui plus indépendant de la vie paroissiale. Dans la même optique, il est également utile de leur assigner des guides choisis parmi les prêtres les plus âgés, qui se sont démontrés de fidèles serviteurs du Seigneur. Ces hommes peuvent guider leurs confrères plus jeunes le long du chemin vers un style de vie sacerdotale mûre et bien équilibrée.

En outre, les prêtres de tous les âges exigent une sollicitude constante. Il faut régulièrement organiser des journées de rassemblement, des retraites et des convocations annuelles, ainsi que des programmes pour offrir une éducation et une assistance constantes aux prêtres qui peuvent rencontrer des difficultés. Je suis également certain que vous mettrez en oeuvre des moyens pour soutenir les prêtres dont les responsabilités les conduisent à être isolés. Il est gratifiant de constater que le deuxième congrès national pour le clergé, qui s’est déroulé au cours de l’Année sacerdotale, a été une occasion de renouveau et de soutien fraternel. Dans le but de tirer profit de cet élan, je vous encourage à profiter de la célébration annuelle du Jeudi saint, au cours de laquelle l’Eglise commémore le sacerdoce de manière particulière. Selon leurs promesses solennelles faites lors de l’ordination, rappelez à vos prêtres leur engagement au célibat, à l’obéissance et à un dévouement toujours plus grand au service pastoral. En vivant ces promesses, ces hommes deviendront d’authentiques pères spirituels dotés d’une maturité personnelle et psychologique qui se développera pour refléter la paternité de Dieu.

A propos du commandement de saint Paul de faire le bien à ceux qui ne sont pas nos frères dans la foi, le dialogue avec les autres religions reste une priorité importante, en particulier dans les zones méridionales de votre pays. Bien que l’Eglise proclame sans relâche que le Christ est le chemin, la vérité et la vie (cf.
Jn 14,6), elle respecte tout ce qu’il y a de vrai et de bon dans les autres religions, et cherche, avec prudence et charité, à instaurer un dialogue honnête et amical, avec les fidèles de ces religions, là où cela est possible (cf. Nostra aetate NAE 2). En faisant cela, l’Eglise oeuvre en vue de la compréhension réciproque et du progrès du bien commun de l’humanité. Je vous félicite pour l’oeuvre que vous avez déjà accomplie et je vous encourage, au moyen du dialogue qui a été instauré, à continuer de promouvoir le chemin vers la paix authentique et durable avec votre prochain, sans jamais cesser de traiter chaque personne, indépendamment de sa foi, comme étant créée à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Enfin, alors que nous luttons pour «ne pas nous lasser de faire du bien», il nous est rappelé que le bien le plus grand que nous puissions offrir à ceux que nous servons, est issu de l’Eucharistie. Au cours de la Messe, les fidèles reçoivent la grâce nécessaire pour être transformés en Jésus Christ. Il est encourageant de constater que de nombreux Philippins participent à la Messe dominicale, mais cela ne doit pas vous inciter à être satisfaits de vous en tant que pasteurs. Il est de votre devoir, ainsi que celui de vos prêtres, de ne jamais vous lasser de chercher la brebis égarée, en garantissant que tous les fidèles tirent vie du grand don qui nous est offert dans les mystères sacrés.

Chers frères évêques, je rends grâce au Seigneur pour les journées de votre visite dans la ville de Pierre et de Paul, au cours de laquelle Dieu a renforcé nos liens de communion. Avec l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie, puisse le Seigneur miséricordieux mener votre oeuvre à bien. Je vous assure de mon souvenir dans la prière et je vous donne volontiers, ainsi qu’aux fidèles confiés à votre sollicitude, ma Bénédiction apostolique, en gage de grâce et de paix.

VISITE AU GRAND SÉMINAIRE PONTIFICAL ROMAIN

POUR LA FÊTE DE NOTRE-DAME DE LA CONFIANCE

LECTIO DIVINA

Chapelle du Séminaire Vendredi 4 mars 2011



Chers frères et soeurs,

Je suis très heureux d’être, au moins une fois par an, ici, avec mes séminaristes, avec les jeunes qui sont en chemin vers le sacerdoce et qui formeront le futur presbyterium de Rome. Je suis heureux que cela ait lieu chaque année le jour de la Vierge de la Confiance, de la Mère qui nous accompagne avec son amour, jour après jour, et qui nous donne la confiance d’aller de l’avant vers le Christ.

1240 «Dans l’unité de l’Esprit» est le thème qui guide vos réflexions au cours de cette année de formation. C’est une expression qui se trouve précisément dans le passage de la Lettre aux Ephésiens qui nous a été proposée, là où saint Paul exhorte les membres de cette communauté à «garder l’unité dans l’Esprit» (4, 3). Ce texte ouvre la deuxième partie de la Lettre aux Ephésiens, qu’on appelle la partie paranétique, d’exhortation, et commence par le mot «parakalo», «je vous exhorte». Mais c’est le même mot qui se trouve également dans le terme «Paraklitos», c’est donc une exhortation dans la lumière, dans la force de l’Esprit Saint. L’exhortation de l’Apôtre se fonde sur le mystère du salut, qu’il avait présenté dans les trois premiers chapitres. En effet, notre passage commence par le mot «donc»: «Moi donc... je vous exhorte» (v. 1). Le comportement des chrétiens est la conséquence du don, la réalisation de ce qui nous est donné chaque jour. Toutefois, s’il est simplement la réalisation du don qui nous est donné, il ne s’agit pas d’un effet automatique, car avec Dieu nous sommes toujours dans la réalité de la liberté et donc — étant donné que la réponse, également la réalisation du don est liberté — l’apôtre doit le rappeler, ne peut pas le considérer comme évident. Le Baptême, nous le savons, ne produit pas automatiquement une vie cohérente: celle-ci est le fruit de la volonté et de l’engagement persévérant de collaborer avec le don, avec la Grâce reçue. Et cet engagement n’est pas gratuit, il y a un prix à payer en personne. Peut-être est-ce pour cela que saint Paul fait référence précisément ici à sa condition actuelle: «Moi qui suis en prison à cause du Seigneur, je vous encourage...» (ibid.). Suivre le Christ signifie partager sa Passion, sa Croix, le suivre jusqu’au bout, et cette participation au destin du Maître unit profondément à Lui et renforce l’autorité de l’exhortation de l’apôtre.

A présent, nous entrons dans le vif de notre méditation, en rencontrant un mot qui nous frappe de façon particulière: le mot «appel», «vocation». Saint Paul écrit: «suivez fidèlement l’appel, la klesis que vous avez reçu» (ibid.). Et il le répétera peu après, en affirmant que «...votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance» (v. 4). Ici, dans ce cas, il s’agit de la vocation commune à tous les chrétiens, c’est-à-dire de la vocation baptismale: l’appel à appartenir au Christ et à vivre en Lui, dans son corps. Dans ce mot est inscrite une expérience, retentit l’écho de l’expérience des premiers disciples, celle que nous connaissons des Evangiles: quand Jésus passa sur la rive du lac de Galilée, et appela Simon et André, puis Jacques et Jean (cf.
Mc 1,16-20). Et avant encore, au bord du fleuve Jourdain, après le baptême, quand, s’apercevant qu’André et l’autre disciple le suivaient, il leur dit: «Venez et vous verrez» (Jn 1,39). La vie chrétienne commence par un appel et reste toujours une réponse, jusqu’à la fin. Et cela aussi bien dans la dimension de la croyance que dans celle de l’action: la foi, tout autant que le comportement du chrétien, est une réponse à la grâce de la vocation.

J'ai parlé de l'appel des premiers apôtres, mais avec le mot «appel», nous pensons avant tout à la Mère de tout appel, à la Très Sainte Vierge Marie, l'élue, l'Appelée par excellence. L'icône de l'Annonciation à Marie représente bien plus que cet épisode évangélique particulier, aussi fondamental soit-il: elle contient tout le mystère de Marie, toute son histoire, son être; et dans le même temps, elle parle de l'Eglise, de son essence de toujours; ainsi que chaque croyant dans le Christ, de chaque âme chrétienne appelée.

Ici, il faut avoir à l'esprit que nous ne parlons pas de personnes du passé; Dieu, le Seigneur, a appelé chacun de nous, chacun est appelé par son nom. Dieu est si grand qu'il a le temps pour chacun de nous, il me connaît, il connaît chacun de nous par son nom, personnellement. C'est un appel personnel pour chacun de nous. Je pense que nous devons méditer toujours à nouveau ce mystère: Dieu, le Seigneur, m'a appelé, il m'appelle, il me connaît, il attend ma réponse comme il attendait la réponse de Marie, comme il attendait la réponse des Apôtres. Dieu m'appelle: cela devrait nous rendre attentifs à la voix de Dieu, attentifs à sa Parole, à son appel pour moi, pour répondre, pour réaliser cette partie de l'histoire du salut pour laquelle il m'a appelé.

Dans ce texte, ensuite, saint Paul nous indique quelques éléments concrets de cette réponse à l'aide de quatre mots: «humilité», «douceur», «patience», et «supportez-vous les uns les autres avec charité». Peut-être pouvons-nous méditer brièvement ces paroles dans lesquelles s'exprime le chemin chrétien. Nous reviendrons ensuite, à la fin, encore une fois sur ce sujet.

«Humilité»: le mot grec est «tapeinophrosyne», le même mot que saint Paul utilise dans la Lettre aux Philippiens lorsqu'il parle du Seigneur, qui était Dieu et s'est humilié, s'est fait «tapeinos», s'est abaissé jusqu'à se faire créature, jusqu'à se faire homme, jusqu'à l'obéissance de la Croix (cf. Ph 2,7-8). L’humilité n'est donc pas un mot quelconque, une simple modestie, quelque chose... mais c'est un mot christologique. Imiter le Dieu qui s'abaisse jusqu'à moi, qui est si grand qu'il devient mon ami, qu'il souffre pour moi, est mort pour moi. C'est l'humilité qu'il faut apprendre, l'humilité de Dieu. Cela veut dire que nous devons nous voir toujours à la lumière de Dieu; ainsi, dans le même temps, nous pouvons connaître la grandeur d'être une personne aimée de Dieu, mais aussi notre petitesse, notre pauvreté, et ainsi, nous comporter de manière juste, non comme des maîtres, mais comme des serviteurs. Comme le dit saint Paul: «Ce n'est pas que nous entendions régenter votre foi. Non, nous contribuons à votre joie» (2Co 1,24). Etre prêtre, plus encore qu'être chrétien, implique cette humilité.

«Douceur»: dans le texte grec, on trouve le mot «praütes», le même mot que celui qui apparaît dans les Béatitudes: «Heureux les doux, car ils posséderont la terre» (Mt 5,5). Et dans le Livre des Nombres, le quatrième livre de Moïse, nous trouvons l'affirmation que Moïse était l'homme le plus doux du monde (cf. 12, 3) et, en ce sens, il était une préfiguration du Christ, de Jésus, qui dit de lui-même: «Je suis doux et humble de coeur» (Mt 11,29). Dans ces paroles aussi, par conséquent, «doux», «douceur», est une parole christologique et implique à nouveau cette imitation du Christ. Parce que dans le baptême, nous sommes conformés au Christ, nous devons donc nous conformer au Christ, trouver cet esprit de douceur, sans violence, convaincre par l'amour et par la bonté.

«Patience», ou plus précisément la magnanimité, «makrothymia» veut dire la générosité du coeur, ne pas être minimalistes en donnant uniquement le strict nécessaire: donnons-nous nous-mêmes avec tout ce que nous possédons, et croissons nous aussi dans la magnanimité.

«Supportez-vous avec charité»: c'est une tâche de chaque jour de se supporter l'un l'autre dans notre altérité, et précisément en se supportant avec humilité, apprendre le véritable amour.

Et à présent, faisons un pas en avant. Après ce mot de l'appel, suit la dimension ecclésiale. Nous venons de parler de la vocation comme d'un appel très personnel: Dieu m'appelle, me connaît, attend ma réponse personnelle. Mais, dans le même temps, l'appel de Dieu est un appel en communauté, c'est un appel ecclésial, Dieu nous appelle dans une communauté. Il est vrai que dans le passage que nous méditons, le mot «ekklesia», le mot «Eglise», n'apparaît pas, mais la réalité qu’il recouvre apparaît d'autant plus. Saint Paul parle d'un Esprit et d'un corps. L'esprit se crée le corps et nous unit comme un unique corps. Puis il parle de l'unité, il parle de la chaîne de l'être, du lien de la paix. Et avec ce mot, il évoque le mot «prisonnier» du début: c'est toujours le même mot, «je suis enchaîné», «des chaînes te retiendront», mais derrière, il y a la grande chaîne invisible, libératrice de l'amour. Nous sommes dans ce lien de la paix qui est l'Eglise, il est le grand lien qui nous unit au Christ. Peut-être devons-nous aussi méditer personnellement ce point: nous sommes appelés personnellement, mais nous sommes appelés dans un corps. Et cela n'est pas quelque chose d'abstrait, mais de très réel.

En ce moment, le séminaire est le corps dans lequel se réalise concrètement l'être d’un chemin commun. Puis ce sera la paroisse: accepter, supporter, animer toute la paroisse, les personnes, qu'elles soient sympathiques ou non, s'insérer dans ce corps. Corps: l'Eglise est corps, elle a donc des structures, mais aussi réellement un droit et quelquefois, il n'est pas si simple de s'y insérer. Bien sûr, nous voulons une relation personnelle avec Dieu, mais le corps souvent ne nous plaît pas. Mais c'est précisément ainsi que nous sommes en communion avec le Christ, en acceptant cette corporéité de son Eglise, de l'Esprit, qui s'incarne dans le corps.

1241 Et d'autre part, souvent, nous ressentons peut-être le problème, la difficulté de cette communauté, à commencer par la communauté concrète du Séminaire jusqu'à la grande communauté de l'Eglise, avec ses institutions. Nous devons aussi avoir à l'esprit qu'il est très beau d'être en compagnie, de cheminer dans une grande compagnie de tous les siècles, d’avoir des amis au Ciel et sur la terre, et de sentir la beauté de ce corps, d’être heureux que le Seigneur nous ait appelés dans un corps et nous ait donné des amis partout à travers le monde.

J’ai dit que le mot «ekklesia» n'apparaissait pas, mais on trouve le mot «corps», le mot «esprit», le mot «lien» et sept fois dans ce court passage revient le mot «un». Nous constatons ainsi que l'unité de l'Eglise tient au coeur de l'Apôtre. Et il finit avec une «échelle d'unité», jusqu'à l'Unité: Dieu est Un, le Dieu de tous. Dieu est Un et l'unicité de Dieu s’exprime dans notre communion, parce que Dieu est le Père, le Créateur de nous tous et nous sommes donc tous frères, nous sommes tous un corps et l'unité de Dieu est la condition, est la création aussi de la fraternité humaine, de la paix. Par conséquent, méditons aussi ce mystère de l’unité et l'importance de chercher toujours l'unité dans la communion de l'unique Christ, de l'unique Dieu.

A présent, nous pouvons faire un autre pas en avant. Si nous nous demandons quel est le sens profond de cette utilisation du mot «appel», nous voyons qu’il est l’une des portes qui s’ouvrent sur le mystère trinitaire. Jusqu’à présent, nous avons parlé du mystère de l’Eglise, de l’unique Dieu, mais le mystère trinitaire apparaît aussi. Jésus est le médiateur de l'appel du Père qui advient dans l'Esprit Saint.

La vocation chrétienne ne peut que posséder une forme trinitaire, tant au niveau de la personne, qu'au niveau de la communauté ecclésiale. Le mystère de l'Eglise est tout entier animé par le dynamisme de l'Esprit Saint, qui est un dynamisme vocationnel au sens large et éternel, à partir d'Abraham qui, le premier, entendit l'appel de Dieu et répondit avec la foi et l'action (cf. Gn
Gn 12,1-3); jusqu'au «me voici» de Marie, reflet parfait de celui du Fils de Dieu, au moment où il accueille l’appel du Père à venir au monde (cf. He 10,5-7). Ainsi, au coeur de l'Eglise — comme dirait sainte Thérèse de l'Enfant Jésus — l'appel de chaque chrétien est un mystère trinitaire: le mystère de la rencontre avec Jésus, avec la Parole faite chair, à travers laquelle Dieu le Père nous appelle à la communion avec Lui et dans ce but, veut nous donner son Esprit Saint, et c'est précisément grâce à l'Esprit que nous pouvons répondre à Jésus et au Père de manière authentique, au sein d'une relation réelle, filiale. Sans le souffle de l'Esprit Saint, la vocation chrétienne tout simplement ne s'explique pas, elle perd sa sève vitale.

Et enfin, le dernier passage. La forme de l'unité selon l'Esprit requiert comme je l'avais dit, l'imitation de Jésus, la conformation à Lui dans le concret de ses comportements. L’Apôtre écrit, comme nous l'avons médité: «En toute humilité, douceur et patience, supportez-vous les uns les autres avec charité», puis il ajoute qu'il faut conserver l'unité de l'esprit «par ce lien qu'est la paix» (Ep 4,2-3).

L'unité de l'Eglise n'est pas donnée par un «moule» imposé de l’extérieur, mais elle est le fruit d’une concorde, d'un engagement commun de se comporter comme Jésus, en vertu de son Esprit. Il y a un très beau commentaire de saint Jean Chrysostome à ce passage. Chrysostome commente l'image du «lien», le «lien de la paix», et il dit: «C'est un très beau lien, par lequel nous nous lions ensemble aussi bien les uns avec les autres qu'avec Dieu. Ce n'est pas une chaîne qui blesse. Il ne donne pas de crampes aux mains, il les laisse libres, il leur accorde un large espace et un courage plus grand» (Homélies sur l'Epître aux Ep 9, 4, 1-3). Nous trouvons ici le paradoxe évangélique: l'amour chrétien est un lien, comme nous l'avons dit, mais un lien qui libère! L'image du lien, comme je vous l'ai dit, nous renvoie à la situation de saint Paul, qui est «prisonnier», qui est «pris dans un lien». L’Apôtre est enchaîné à cause du Seigneur, comme Jésus lui- même, il s'est fait esclave pour nous libérer. Pour conserver l'unité de l'esprit, il faut façonner son propre comportement sur cette humilité, cette douceur et cette patience dont Jésus a témoigné dans sa passion; il faut avoir les mains et le coeur liés par ce lien d'amour que Lui-même a accepté pour nous, en se faisant notre serviteur. C’est cela le «lien de la paix». Et saint Jean Chrysostome ajoute encore, dans le même commentaire: «Liez-vous à vos frères, ceux qui sont liés ainsi ensemble dans l'amour supportent tout avec facilité... Ainsi veut-il que nous soyons liés les uns aux autres, non seulement pour être en paix, non seulement pour être amis, mais pour ne faire qu'un, une seule âme» (ibid.).
Le texte paulinien dont nous avons médité certains passages est très riche. Je n'ai pu vous apporter que quelques réflexions, que je confie à votre méditation. Et prions la Vierge Marie, la Vierge de la Confiance, pour qu'elle nous aide à cheminer avec joie dans l'unité de l'Esprit. Merci!


Discours 2005-2013 1237