Discours 2005-2013 1268

1268 Ce chemin de la création trouve sa plénitude avec l’Incarnation, avec la venue du Christ. Dieu a assumé le corps, il s’est révélé en lui. Le mouvement du corps vers le haut est ici intégré dans un autre mouvement plus originel, le mouvement humble de Dieu qui s’abaisse vers le corps, pour ensuite l’élever vers lui. En tant que Fils, il a reçu le corps filial dans la gratitude et dans l’écoute du Père; et il a donné ce corps pour nous, pour engendrer ainsi le nouveau corps de l’Eglise. La liturgie de l’Ascension chante cette histoire de la chair, qui a péché en Adam, et a été assumée et rachetée par le Christ. C’est une chair qui devient toujours plus pleine de lumière et d’Esprit, pleine de Dieu. C’est ainsi qu’apparaît la profondeur de la théologie du corps. Celle-ci, lorsqu’elle est lue dans l’ensemble de la tradition, évite le risque de superficialité et permet de saisir la grandeur de la vocation à l’amour, qui est un appel à la communion des personnes dans la double forme de vie de la virginité et du mariage.

Chers amis, votre Institut est placé sous la protection de la Vierge. Dante dit à propos de Marie des paroles lumineuses pour une théologie du corps: «En ton sein se ralluma l’amour» (Paradis, XXIII, 7). Dans son corps de femme, a pris corps l’Amour qui engendre l’Eglise. Que la Mère du Seigneur continue de protéger votre chemin et de rendre féconds votre étude et votre enseignement, au service de la mission de l’Eglise pour la famille et la société. Que vous accompagne ma Bénédiction apostolique, que je vous donne de tout coeur à tous. Merci.

AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

DES OEUVRES PONTIFICALES MISSIONNAIRES Salle Clémentine Samedi 14 mai 2011



Monsieur le cardinal,
vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
chers frères et soeurs,

Je souhaite avant tout adresser mes salutations cordiales au nouveau préfet de la Congrégation pour l'évangélisation des peuples, Mgr Fernando Filoni, que je remercie de tout coeur pour les paroles qu'il m'a adressées en votre nom à tous. J'ajoute à cela mes voeux fervents pour un ministère fécond. Dans le même temps, j'exprime toute ma gratitude au cardinal Ivan Dias pour le service généreux et exemplaire qu'il a rendu au dicastère missionnaire et à l'Eglise universelle ces dernières années. Que le Seigneur continue de guider par sa lumière ces deux fidèles ouvriers dans sa vigne. Je salue le secrétaire Mgr Savio Hon Tai-Fai, le secrétaire-adjoint Mgr Piergiuseppe Vacchelli, président des OEuvres pontificales missionnaires, les collaborateurs de la Congrégation et les directeurs nationaux des oeuvres pontificales missionnaires, venus à Rome des différentes Eglises particulières pour l'assemblée ordinaire annuelle du Conseil supérieur. Une affectueuse bienvenue à tous.

Chers amis, à travers votre oeuvre précieuse d'animation et de coopération missionnaires, vous rappelez au peuple de Dieu «la nécessité pour notre temps d’un engagement décidé dans la missio ad gentes» (Exhort. ap. Verbum Domini, n. 95), pour annoncer la «grande Espérance», «le Dieu qui possède un visage humain et qui nous a aimés jusqu'au bout — chacun individuellement et l'humanité tout entière» (Enc. Spe salvi ). En effet, de nouveaux problèmes et de nouveaux esclavages apparaissent à notre époque, aussi bien dans le premier monde, qui possède le bien-être et la richesse mais qui est incertain sur son avenir, que dans les pays émergents, où également à cause de la mondialisation souvent caractérisée par le profit, finissent par augmenter le nombre des pauvres, des émigrants, des opprimés, et où s'affaiblit la lumière de l'espérance. L'Eglise doit renouveler constamment son engagement à apporter le Christ, à prolonger sa mission messianique pour l'avènement du Royaume de Dieu, Royaume de justice, de paix, de liberté, d’amour. Transformer le monde selon le projet de Dieu avec la force rénovatrice de l'Evangile, «afin que Dieu soit tout en tous» (1Co 15,28) est la tâche de tout le peuple de Dieu. Il est donc nécessaire de poursuivre avec un enthousiasme renouvelé l’oeuvre d'évangélisation, l'annonce joyeuse du Royaume de Dieu, venu en Christ dans la puissance de l'Esprit Saint, pour conduire les hommes à la vraie liberté des enfants de Dieu contre toute forme d’esclavage. Il est nécessaire de jeter les filets de l'Evangile dans la mer de l'histoire pour mener les hommes vers la terre de Dieu.

«La mission d’annoncer la Parole de Dieu est le devoir de tous les disciples de Jésus Christ, comme conséquence de leur Baptême» (Exhort. ap. Verbum Domini, n. 94). Mais pour qu'il y ait un engagement ferme dans l'évangélisation, il faut que les chrétiens, aussi bien au niveau individuel que communautaire, croient vraiment que «la Parole de Dieu est la vérité salvatrice dont chaque homme a besoin en tout temps» (ibid., n. 95). Si cette conviction de foi n'est pas profondément enracinée dans notre vie, nous ne pourrons pas ressentir la passion et la beauté de son annonce. En réalité, tout chrétien devrait faire sienne l'urgence d’oeuvrer à l'édification du Royaume de Dieu. Tout dans l'Eglise est au service de l'évangélisation: chaque secteur de son activité aussi bien que chaque personne, dans les diverses fonctions qu'elle est appelée à exercer. Tous doivent s’engager dans la missio ad gentes: évêques, prêtres, religieux et religieuses, laïcs. «Aucun croyant dans le Christ ne peut se sentir étranger à cette responsabilité qui provient de l’appartenance sacramentelle au Corps du Christ» (ibid., n. 94). Il faut donc prêter une attention particulière à ce que tous les secteurs de la pastorale, de la catéchèse, de la charité soient caractérisés par la dimension missionnaire: l'Eglise est mission.

Une condition fondamentale pour l'annonce est de se laisser entièrement saisir par le Christ, Parole de Dieu incarnée, parce que seul celui qui est dans une écoute attentive du Verbe incarné, qui est intimement uni à Lui, peut en devenir l'annonciateur (cf. ibid., nn. 51; 91). Le messager de l'Evangile doit rester sous le commandement de la Parole et doit se nourrir des Sacrements: c'est de cette sève vitale que dépendent son existence et son ministère missionnaires. C'est seulement en étant profondément enraciné dans le Christ et dans sa Parole que l'on est capable de ne pas céder à la tentation de réduire l'évangélisation à un projet uniquement humain, social, en cachant ou en taisant la dimension transcendante du salut offert par Dieu dans le Christ. C'est une Parole dont on doit témoigner et qui doit être proclamée explicitement, parce que sans un témoignage cohérent, elle est moins compréhensible et moins crédible. Même si souvent nous nous sentons inadaptés, pauvres, incapables, nous conservons toujours la certitude de la puissance de Dieu, qui met son trésor «dans des vases d'argile» pour qu'il soit clair que c'est Lui qui agit par notre intermédiaire.

1269 Le ministère de l'évangélisation est fascinant et exigeant: il requiert l’amour pour l'annonce et le témoignage, un amour presque total qui peut se caractériser aussi par le martyre. L'Eglise ne peut manquer à sa mission d'apporter la lumière du Christ, de proclamer la joyeuse annonce de l'Evangile, même si cela s’accompagne de la persécution (cf. Exhort. ap. Verbum Domini, n. 95). C'est une part de sa propre vie, comme cela le fut pour Jésus Christ. Les chrétiens ne doivent pas avoir peur, même si «les chrétiens sont à l'heure actuelle le groupe religieux en butte au plus grand nombre de persécutions à cause de leur foi» (Message pour la Journée mondiale de la paix 2011, n. 1). Saint Paul affirme que «ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur» (Rm 8,38-39).
Chers amis, je vous remercie pour le travail d'animation et de formation missionnaire que, en tant que directeurs nationaux des OEuvres pontificales missionnaires, vous menez dans vos Eglises locales. Les OEuvres pontificales missionnaires, que mes prédécesseurs et le Concile Vatican II ont promues et encouragées (cf. Ad Gentes AGD 38) demeurent un outil privilégié pour la coopération missionnaire et pour un partage fécond du personnel et des ressources financières entre les Eglises. Il ne faut pas oublier, en outre, le soutien que les OEuvres pontificales missionnaires offrent aux collèges pontificaux, ici à Rome, où, choisis et envoyés par leurs évêques, sont formés des prêtres, des religieux et des laïcs pour les Eglises locales des territoires de mission. Votre oeuvre est précieuse pour l'édification de l'Eglise, destinée à devenir la «maison commune» de toute l'humanité. Que l'Esprit Saint, acteur qui joue le premier rôle dans la mission, nous guide et nous soutienne toujours, par l'intercession de Marie, Etoile de l'évangélisation et Reine des Apôtres. A vous tous et à vos collaborateurs, je donne de tout coeur ma Bénédiction apostolique.


À LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE INDIENNE

EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM" Salle du Consistoire Lundi 16 mai 2011



Chers frères dans l’épiscopat,

C’est pour moi une grande joie de vous accueillir à l’occasion de votre visite «ad limina Apostolorum» en ce temps de Pâques. A travers vous, j’étends mes salutations à tous les fidèles confiés à vos soins, et je remercie le cardinal Telesphore Placidus Toppo pour les sentiments cordiaux de communion avec le Successeur de Pierre qu’il a exprimés en votre nom.

La présence du Christ ressuscité parmi ses disciples a été une source de profond réconfort pour eux, les confirmant dans leur foi et renforçant leur amour pour lui; et lors de son Ascension, il leur a confié un mandat, en disant: «Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit» (Mt 28,19-20). Ce mandat a poussé votre grand patron saint Thomas, les autres apôtres et ceux qui les ont suivis, à prêcher l’Evangile parmi les nations; et à travers la prédication de la parole et la célébration des sacrements, la vie divine de la Très Sainte Trinité a été transmise à de nombreuses âmes chrétiennes.

Aujourd’hui, comme en tout temps, le mandat apostolique trouve sa source et son point central dans la proclamation du Fils incarné de Dieu, qui est la plénitude de la révélation divine et «le chemin, la vérité et la vie» (Jn 14,6). Sauveur de toute la création, il est le messager de la Bonne Nouvelle pour tous et l’accomplissement des aspirations les plus profondes de l’homme. La révélation définitive de Dieu qui vient à nous dans Jésus Christ et que les croyants proclament joyeusement à travers le monde, est exprimée de façon particulière dans les Ecritures Saintes et dans la vie sacramentelle de l’Eglise. Le pouvoir salvifique du Christ est également proclamé dans les vies des saints qui ont accueilli de tout leur coeur le message de l’Evangile et qui l’ont vécu fidèlement parmi leurs frères et soeurs. La révélation chrétienne, lorsqu’elle est acceptée de façon libre et par l’oeuvre de la grâce de Dieu, transforme les hommes et les femmes de l’intérieur et établit une relation extraordinaire avec Dieu, notre Père céleste, à travers le Christ, dans l’Esprit Saint. Tel est le coeur du message que nous enseignons, tel est le grand don que nous offrons dans la charité à notre prochain: la participation à la vie même de Dieu.

Au sein de l’Eglise, les premiers pas des croyants sur le chemin du Christ doivent toujours être accompagnés par une solide catéchèse qui leur permette de grandir dans la foi, l’amour et le service. Certains de vous m’ont parlé des défis que vous devez affronter à cet égard, et je vous soutiens dans votre engagement visant à offrir une formation de qualité dans ce domaine. En reconnaissant que la catéchèse diffère de la spéculation théologique, les prêtres, les religieux et les catéchistes laïcs doivent savoir comment communiquer avec clarté et une dévotion pleine d’amour la beauté transformatrice de l’existence et de l’enseignement chrétien, qui permettra et enrichira la rencontre avec le Christ lui-même. Cela est particulièrement vrai pour préparer les fidèles à rencontrer notre Seigneur dans les sacrements.

En ce qui concerne le monde en général, l’engagement chrétien de vivre et de témoigner de l’Evangile présente des défis distincts en tout temps et en tout lieu. Cela est certainement vrai pour votre pays, qui abrite diverses religions anciennes, y compris le christianisme. La vie chrétienne dans ces sociétés exige toujours l’honnêteté et la sincérité à l’égard des croyances personnelles, et le respect à l’égard de celles de son voisin. Dans de telles conditions, la présentation de l’Evangile exige le processus délicat de l’inculturation. Il s’agit d’une tâche qui respecte et préserve le caractère unique et l’intégrité de la révélation divine donnée à l’Eglise en héritage, tout en montrant qu’elle est intelligible et attirante pour ceux auxquels elle est proposée. Le processus d’inculturation exige que, dans la présentation de la Bonne Nouvelle, les prêtres, les religieux et les catéchistes laïcs utilisent attentivement les langages et les traditions appropriées des personnes qu’ils servent. Tandis que vous vous efforcez d’affronter les conditions difficiles dans lesquelles vous devez proclamer ce message dans les divers contextes culturels dans lesquels vous vous trouvez, vous êtes appelés, chers frères dans l’épiscopat, à superviser ce processus dans la fidélité au dépôt de la foi, qui nous a été confié pour être maintenu et transmis. Efforcez-vous d’allier cette fidélité avec sensibilité et créativité, afin de rendre raison de façon convaincante de l’espérance qui est en vous (1P 3,15).

En ce qui concerne le dialogue interreligieux, je suis conscient des conditions difficiles qu’un grand nombre d’entre vous doivent affronter pour développer un dialogue avec d’autres croyances religieuses, tout en encourageant une atmosphère d’interaction tolérante. Votre dialogue devrait être caractérisé par un respect constant pour ce qui est vrai, afin de promouvoir le respect mutuel, tout en évitant toute apparence de syncrétisme.

1270 De plus, tandis que les chrétiens indiens s’efforcent de vivre dans la paix et l’harmonie avec leurs voisins d’autres croyances, votre direction prudente sera cruciale dans la tâche civile et morale d’oeuvrer en vue de sauvegarder les droits humains fondamentaux de la liberté de religion et la liberté de culte. Comme vous le savez, ces droits sont fondés sur la dignité commune de tous les êtres humains et sont reconnus par la communauté des nations. L’Eglise catholique s’efforce de promouvoir ces droits pour toutes les religions à travers le monde. Je vous encourage donc à oeuvrer patiemment en vue d’établir la base commune nécessaire pour que tous puissent jouir de façon harmonieuse de ces droits fondamentaux dans vos communautés. Même si le chrétien rencontre des oppositions, sa charité et son indulgence devraient servir à convaincre les autres du bien-fondé de la tolérance religieuse, dont les disciples de toutes les religions peuvent tirer profit. Mes prières vous accompagnent, tandis que vous continuez d’affronter cette question importante et délicate.
Chers frères dans l’épiscopat, je suis reconnaissant pour cette occasion de renouveler nos liens de communion. Puisse la bienheureuse Mère Teresa de Calcutta, dont le service patient et personnel à son prochain était animé par l’amour du Christ, obtenir pour vous une abondance de grâces célestes afin d’assurer la fécondité spirituelle de votre travail pastoral. Je vous assure, ainsi que tous ceux que vous servez, de mon souvenir constant dans mes prières, et je vous donne volontiers ma Bénédiction apostolique.


AUX PARTICIPANTS À LA RENCONTRE ORGANISÉE PAR LE

CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX, À L'OCCASION DU 50e ANNIVERSAIRE DE L'ENCYCLIQUE « MATER ET MAGISTRA » Salle Clémentine Lundi 16 mai 2011



Messieurs les cardinaux,
vénérés frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir et de vous saluer à l’occasion du 50e anniversaire de l’encyclique Mater et Magistra du bienheureux Jean XXIII; un document qui conserve une grande actualité également dans notre univers mondialisé. Je salue le cardinal-président, que je remercie de ses paroles courtoises, ainsi que le secrétaire, les collaborateurs du dicastère et vous tous, venus des divers continents pour cet important congrès.

Dans Mater et Magistra, le Pape Angelo Roncalli, avec une vision de l’Eglise placée au service de la famille humaine, en particulier à travers sa mission évangélisatrice spécifique, a pensé à la doctrine sociale de l’Eglise — en anticipant le bienheureux Jean-Paul II — comme à un élément essentiel de cette mission, car «partie intégrante de la conception chrétienne de la vie» (n. 206). Jean XXIII est à l’origine des affirmations de ses successeurs également lorsqu’il a indiqué dans l’Eglise le sujet communautaire et pluriel de la doctrine sociale. Les christifideles laici, en particulier, ne peuvent pas en être seulement les usagers et les exécuteurs passifs, mais ils en sont les acteurs au moment vital de sa réalisation, et également les collaborateurs précieux des pasteurs dans sa formulation, grâce à l’expérience acquise sur le terrain et à leurs propres compétences spécifiques. Pour le bienheureux Jean XXIII, la doctrine sociale de l’Eglise a comme lumière la Vérité, comme moteur l’Amour, comme objectif la Justice (cf. n. 209), une vision de la doctrine sociale que j’ai reprise dans l’encyclique Caritas in veritate, pour témoigner de cette continuité, qui garde uni tout le corpus des encycliques sociales. La vérité, l’amour, la justice, indiqués par Mater et Magistra, en même temps que le principe de la destination universelle des biens, comme critères fondamentaux pour dépasser les déséquilibres sociaux et culturels, demeurent les piliers pour interpréter et commencer à résoudre également les déséquilibres internes de la mondialisation actuelle. Face à ces déséquilibres, il y a besoin de rétablir une raison intégrale qui fasse renaître la pensée et l’éthique. Sans une pensée morale qui dépasse les systèmes des éthiques séculières, comme l’éthique néo-utilitariste et néo-contractualiste, qui se fondent sur un scepticisme substantiel et sur une vision principalement immanentiste de l’histoire, il devient difficile pour l’homme d’aujourd’hui d’accéder à la connaissance du vrai bien humain.Il faut développer des synthèses culturelles humanistes ouvertes à la Transcendance grâce à une nouvelle évangélisation — enracinée dans la loi nouvelle de l’Evangile, la loi de l’Esprit — à laquelle nous a plusieurs fois invités le bienheureux Jean-Paul II. Ce n’est que dans la communion personnelle avec le Nouvel Adam, Jésus Christ, que la raison humaine est guérie et fortifiée et qu’il est possible d’accéder à une vision plus adaptée du développement, de l’économie et de la politique selon leur dimension anthropologique et les nouvelles conditions historiques. Et c’est grâce à une raison rétablie dans sa capacité spéculative et pratique que l’on peut disposer de critères fondamentaux pour surmonter les déséquilibres globaux, à la lumière du bien commun. En effet, sans la connaissance du véritable bien humain, la charité glisse dans le sentimentalisme (cf. n. 3); la justice perd sa «mesure» fondamentale; le principe de la destination universelle des biens est délégitimé. Les divers déséquilibres mondiaux qui caractérisent notre époque alimentent les disparités, les différences de richesse, les inégalités, créant des problèmes de justice et de distribution équitable des ressources et des opportunités, en particulier à l’égard des plus pauvres.

Mais tout aussi préoccupants sont les phénomènes liés à une finance qui, après la phase la plus aiguë de la crise, a recommencé à pratiquer avec frénésie des contrats de crédit qui permettent souvent une spéculation sans limites. Des phénomènes de spéculation néfastes ont également lieu en relation avec les denrées alimentaires, l’eau, la terre, finissant par appauvrir encore davantage ceux qui vivent déjà dans des situations de grave précarité. De même, l’augmentation des prix des ressources énergétiques primaires, avec la recherche conséquente d’énergies alternatives, parfois guidée par des intérêts exclusivement économiques et à court terme, finissent par avoir des conséquences négatives, sur l’environnement ainsi que sur l’homme lui-même.

La question sociale actuelle est sans aucun doute une question de justice sociale mondiale, comme par ailleurs le rappelait déjà Mater et Magistra il y a cinquante ans, tout en se référant à un autre contexte. Elle est, en outre, une question de distribution équitable des ressources matérielles et immatérielles, de mondialisation de la démocratie substantielle, sociale et participative. C’est pourquoi, dans un contexte où l’on vit une unification progressive de l’humanité, il est indispensable que la nouvelle évangélisation du social souligne les implications d’une justice qui doit être réalisée au niveau universel. En référence à la fondation d’une telle justice, il faut souligner qu’il n’est pas possible de la réaliser en s’appuyant uniquement sur le consensus social, sans reconnaître que celui-ci, pour être durable, doit être enraciné dans le bien humain universel. En ce qui concerne le domaine de la réalisation, la justice sociale doit être réalisée dans la société civile, dans l’économie de marché (cf. Caritas in veritate ), mais également par une autorité politique honnête et transparente qui lui soit proportionnelle, également au niveau international (cf. ibid., n. 67).

1271 En ce qui concerne les grand défis d’aujourd’hui, l’Eglise, alors qu’elle se remet tout d’abord au Seigneur Jésus et à son Esprit, qui la conduisent à travers l’histoire du monde, compte également pour la diffusion de la doctrine sociale sur l’activité de ses institutions culturelles, sur les programmes d’instruction religieuse et de catéchèse sociale des paroisses, sur les mass media et sur l’oeuvre d’annonce et de témoignage des christifideles laici (cf. Mater et Magistra MM 206-207). Ces derniers doivent être préparés spirituellement, professionnellement et éthiquement. Mater et Magistra insistait non seulement sur la formation, mais surtout sur l’éducation qui forme la conscience de façon chrétienne et pousse à une action concrète, selon un discernement sagement guidé. Le bienheureux Jean XXIII affirmait: «L'éducation à l'action chrétienne, même en matière économique et sociale, sera rarement efficace, si les sujets eux-mêmes ne prennent pas une part active à leur propre éducation et si l'éducation ne se réalise dans l'action» (nn. 212-213).

En outre, les orientations données par le Pape Angelo Roncalli à propos d’un pluralisme légitime parmi les catholiques dans la concrétisation de la doctrine sociale sont encore valables. En effet, il écrivait que dans ce domaine: «[...] des divergences de vue peuvent surgir, même entre catholiques droits et sincères. Lorsque cela se produit, que jamais ne fassent défaut la considération réciproque, le respect mutuel et la bonne volonté qui recherche les points de contact en vue d'une action opportune et efficace; que l'on ne s'épuise pas en discussions interminables; et sous le prétexte du mieux, que l'on ne néglige pas le bien qui peut et doit être fait» (n. 219). D’importantes institutions au service de la nouvelle évangélisation du social sont, outre les associations de volontariat et les organisations non gouvernementales chrétiennes ou d’inspiration chrétienne, les Commissions justice et paix, les bureaux pour les problèmes sociaux et du travail, les centres et les instituts de doctrine sociale, dont un grand nombre ne se limitent pas à l’étude et à la diffusion, mais également à l’accompagnement de diverses initiatives d’expérimentation des contenus du magistère social, comme dans le cas de coopératives sociales de développement, d’expériences de microcrédits et d’une économie animée par la logique de la communion et de la fraternité.

Le bienheureux Jean XXIII, dans Mater et Magistra, rappelait que l’on peut mieux saisir les exigences fondamentales de la justice quand on vit comme des fils de la lumière (cf. n. 235). Je vous souhaite donc à tous que le Seigneur Ressuscité réchauffe vos coeurs et vous aide à diffuser le fruit de la rédemption, à travers une nouvelle évangélisation du social et le témoignage d’une bonne vie selon l’Evangile. Que cette évangélisation soit soutenue par une pastorale sociale adaptée, systématiquement mise en oeuvre dans les différentes Eglises particulières. Dans un monde souvent replié sur lui-même, privé d’espérance, l’Eglise attend que vous soyez un levain, les semeurs inlassables d’une pensée véridique et responsable et d’un généreux projet social, soutenus par l’amour plein de vérité qui habite en Jésus Christ, Verbe de Dieu qui s’est fait homme. En vous remerciant de votre oeuvre, je vous donne de tout coeur ma Bénédiction apostolique.

À LA COMMUNAUTÉ DE LA FACULTÉ PONTIFICALE DE THÉOLOGIE

"TERESIANUM" DE ROME Salle Clémentine Jeudi 19 mai 2011

Chers frères et soeurs!

Je suis heureux de vous rencontrer et de m’unir à vous afin de rendre grâce au Seigneur pour les 75 ans de la faculté pontificale de théologie Teresianum. Je salue cordialement le grand chancelier, le père Saverio Cannistrà, préposé général de l’ordre des carmes déchaux, et je le remercie des paroles courtoises qu’il m’a adressées; à ses côtés, j’accueille avec plaisir les pères de la maison généralice. Je salue le doyen, le père Aniano Álvarez-Suárez, les autorités académiques et l’ensemble du corps enseignant du Teresianum, et je vous salue avec affection, chers étudiants, carmes déchaux, religieux et religieuses de divers ordres, prêtres et séminaristes. Trois quarts de siècle se sont donc écoulés depuis le 16 juillet 1935, mémoire liturgique de la Très Sainte Vierge du Mont Carmel, lorsque ce qui était alors le Collège international de l’ordre des carmes déchaux dans l’Urbs fut élevé au rang de faculté de théologie. Dès le début, elle visa à approfondir la théologie spirituelle dans le cadre de la question anthropologique. Au fil des ans, se constitua ensuite l’Institut de spiritualité, qui avec la faculté de théologie, compose le pôle universitaire désigné sous le nom de Teresianum.

En jetant un regard rétrospectif sur l’histoire de cette institution, nous voulons louer le Seigneur pour les merveilles qu’il a accomplies en elle et, à travers elle, chez les si nombreux étudiants qui l’ont fréquentée. Tout d’abord parce que faire partie de cette communauté académique constitue une expérience ecclésiale particulière, confortée par toute la richesse d’une grande famille spirituelle comme l’Ordre des carmes déchaux. Pensons au vaste mouvement de renouveau né dans l’Eglise à partir du témoignage de sainte Thérèse de Jésus et de saint Jean de la Croix. Celui-ci suscita la vigueur nouvelle d’idéaux et de ferveurs pour la vie contemplative, qui, au XVIe siècle, a pour ainsi dire enflammé l’Europe et le monde entier. Chers étudiants, dans le sillage de ce charisme s’inscrit aussi votre travail d’approfondissement anthropologique et théologique, la tâche de pénétrer le mystère du Christ, avec cette intelligence du coeur qui consiste à la fois à connaître et à aimer; cela exige que Jésus soit placé au centre de toute chose, de vos liens d’affection et de vos pensées, de votre temps de prière, d’étude et d’action, de toute votre existence. Il est la Parole, le «livre vivant», comme il l’a été pour sainte Thérèse d’Avila, qui affirmait: «Pour apprendre la vérité, je n’eus pas d’autre livre que Dieu» (Vie 26, 5). Je souhaite à chacun de vous de pouvoir dire avec saint Paul: «Désormais je considère tout comme désavantageux à cause de la supériorité de la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur» (Ph 3,8).

A ce propos, je voudrais rappeler la description que sainte Thérèse fait de l’expérience intérieure de la conversion, telle qu’elle la vécut un jour devant le Crucifix. Elle écrit: «J'aperçus une image de Jésus Christ... en voyant le divin Maître dans cet état, je me sentis profondément bouleversée. Au souvenir de l'ingratitude dont j'avais payé tant d'amour, je fus saisie d'une si grande douleur qu'il me semblait sentir mon coeur se fendre. Je tombai à genoux près de mon Sauveur, en versant un torrent de larmes, et je le suppliai de me fortifier enfin de telle sorte que je ne l'offense plus désormais» (Autobiographie 9, 1). Avec le même élan, la sainte semble nous demander à nous aussi: comment rester indifférents devant tant d’amour? Comment ignorer Celui qui a aimé avec une miséricorde aussi grande? L’amour du Rédempteur mérite toute l’attention du coeur et de l’esprit, et peut activer chez nous aussi ce cycle merveilleux où l’amour et la connaissance se nourrissent réciproquement. Pendant vos études de théologie, conservez toujours le regard tourné vers la raison dernière pour laquelle vous les avez entreprises, c’est-à-dire vers Jésus qui «nous a aimés et a donné sa vie pour nous» (cf. 1Jn 3,16). Soyez conscients que ces années d’étude sont un don précieux de la Providence divine; un don qu’il faut accueillir avec foi et vivre avec diligence, comme une opportunité unique de croître dans la connaissance du mystère du Christ.

Dans le contexte actuel, l’étude approfondie de la spiritualité chrétienne, à partir de ses présupposés anthropologiques, revêt une grande importance. La préparation spécifique qu’elle apporte est assurément importante parce qu’elle rend adapté et habilite à l’enseignement de cette discipline, mais elle constitue une grâce encore plus grande pour le bagage de sagesse qu’elle porte avec elle en vue de la tâche délicate de la direction spirituelle. De même qu’elle n’a jamais cessé de le faire, aujourd’hui encore, l’Eglise continue de recommander la pratique de la direction spirituelle, non seulement à ceux qui souhaitent suivre le Seigneur de près, mais à tout chrétien qui veut vivre avec responsabilité son propre baptême, c’est-à-dire la vie nouvelle dans le Christ. Chacun en effet, et en particulier ceux qui ont accueilli l’appel divin à suivre le Christ de près, a besoin d’être accompagné personnellement par un guide sûr dans la doctrine et expert dans les choses de Dieu; celui-ci peut aider à se garder de subjectivismes faciles, en mettant à disposition son propre bagage de connaissances et d’expériences vécues dans la sequela de Jésus. Il s’agit d’instaurer ce même rapport personnel que le Seigneur avait avec ses disciples, ce lien spécial avec lequel il les a conduits, à sa suite, à embrasser la volonté du Père (cf. Lc 22,42), c’est-à-dire à embrasser la croix. Vous aussi, chers amis, dans la mesure où vous serez appelés à cette tâche irremplaçable, tirez profit de ce que vous avez appris durant ces années d’étude, pour accompagner ceux que la providence divine vous confiera, en les aidant dans le discernement des esprits et dans la capacité de suivre les mouvements de l’Esprit Saint, avec l’objectif de les conduire à la plénitude de la grâce, jusqu’à «parvenir — comme dit saint Paul — à la plénitude du Christ» (Ep 4,13).
Chers amis, vous provenez des parties du monde les plus diverses. Ici à Rome, votre coeur et votre intelligence sont poussés à s’ouvrir à la dimension universelle de l’Eglise, sont incités à sentire cum Ecclesia, en profonde harmonie avec le Successeur de Pierre. Je vous exhorte donc à vivre toujours davantage et de manière plus passionnée votre capacité d’aimer et de servir l’Eglise. En ce temps de Pâques, nous demandons au Seigneur Ressuscité le don de son Esprit, et nous le demandons soutenus par la prière de la Vierge Marie; elle qui au Cénacle a invoqué avec les Apôtres le Paraclet, puisse-t-elle vous obtenir le don de la sagesse du coeur et attirer une effusion renouvelée des dons célestes pour l’avenir qui vous attend. Par l’intercession de la Mère de Dieu et des saints Thérèse de Jésus et Jean de la Croix, je donne de tout coeur à la communauté du Teresianum et à toute la Famille des carmes la Bénédiction apostolique.



AUX DIRIGEANTS, PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS DE L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DU SACRÉ-COEUR À L'OCCASION DU 90e ANNIVERSAIRE DE SA FONDATION Salle Paul VI Samedi 21 mai 2011

21411
Discours 2005-2013 1268