Discours 2005-2013 9112

À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES VOEUX DU CORPS DIPLOMATIQUE ACCRÉDITÉ PRÈS LE SAINT-SIÈGE Salle royale Lundi 9 janvier 2012

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Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Il m’est toujours particulièrement agréable de pouvoir vous accueillir, distingués Membres du Corps diplomatique accrédités près le Saint-Siège, dans le cadre splendide de cette salle royale, pour vous formuler personnellement des voeux fervents pour l’année qui commence. Je remercie tout d’abord votre Doyen, l’Ambassadeur Alejandro Valladares Lanza, ainsi que le vice Doyen, l’Ambassadeur Jean-Claude Michel, pour les paroles déférentes par lesquelles ils se sont fait les interprètes de vos sentiments et je salue de manière spéciale tous ceux qui participent pour la première fois à notre rencontre. À travers vous, mes souhaits s’étendent à toutes les Nations que vous représentez, avec lesquelles le Saint-Siège maintient des relations diplomatiques. C’est une joie pour nous que la Malaisie ait rejoint cette communauté au cours de l’année dernière. Le dialogue que vous entretenez avec le Saint-Siège favorise le partage d’impressions et d’informations, de même que la collaboration dans des domaines de caractère bilatéral ou multilatéral qui sont d’un intérêt particulier. Votre présence aujourd’hui rappelle l’importante contribution de l’Église à vos sociétés, dans des secteurs tels que l’éducation, la santé et l’assistance. Signes de la coopération entre l’Église catholique et les États sont les Accords qui ont été passés en 2011 avec l’Azerbaïdjan, le Monténégro et le Mozambique. Le premier a déjà été ratifié; je souhaite qu’il en aille de même rapidement pour les deux autres et que l’on parvienne à la conclusion de ceux qui sont en cours de négociation. De même, le Saint-Siège désire tisser un dialogue fructueux avec les Organisations internationales et régionales et, dans cette perspective, je relève avec satisfaction que les pays membres de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (A.S.E.A.N.) ont accueilli la nomination d’un Nonce Apostolique accrédité près de cette organisation. Je ne peux omettre de mentionner que, au mois de décembre dernier, le Saint-Siège a renforcé sa longue collaboration avec l’Organisation Internationale pour les Migrations, en en devenant membre à part entière. Il s’agit-là d’un témoignage de l’engagement du Saint-Siège et de l’Église catholique aux côtés de la communauté internationale, dans la recherche de solutions adéquates à ce phénomène qui présente de multiples aspects, de la protection de la dignité des personnes au souci du bien commun des communautés qui les reçoivent et de celles dont elles proviennent.

Au cours de l’année qui vient de s’achever j’ai rencontré personnellement de nombreux Chefs d’État et de Gouvernement, comme aussi des représentants éminents de vos nations qui ont participé à la cérémonie de la Béatification de mon très aimé Prédécesseur, le Pape Jean-Paul II. Des Représentants de vos pays ont aussi été aimablement présents à l’occasion du soixantième anniversaire de mon Ordination sacerdotale. À eux tous, comme à ceux que j’ai rencontrés dans mes voyages apostoliques en Croatie, à Saint-Marin, en Espagne, en Allemagne et au Bénin, je renouvelle ma gratitude pour la délicatesse qu’ils m’ont manifestée. En outre, j’adresse une pensée particulière aux pays de l’Amérique Latine et des Caraïbes qui, en 2011, ont fêté le bicentenaire de leur indépendance. Le 12 décembre dernier, ils ont voulu souligner leur lien avec l’Église catholique et avec le successeur du Prince des Apôtres, en participant, avec des représentants éminents de la communauté ecclésiale et des autorités institutionnelles, à la célébration solennelle dans la Basilique Saint-Pierre, au cours de laquelle j’ai annoncé mon intention de me rendre prochainement au Mexique et à Cuba. Je désire enfin saluer le Sud-Soudan qui, en juillet dernier, s’est constitué en tant qu’État souverain. Je me félicite que ce pas ait été accompli pacifiquement. Hélas, tensions et affrontements se sont succédé ces derniers mois et je souhaite que tous unissent leurs efforts afin que, pour les populations du Soudan et du Sud Soudan, s’ouvre enfin une période de paix, de liberté et de développement.

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

La rencontre d’aujourd’hui se déroule traditionnellement à la fin des festivités de Noël, où l’Église célèbre la venue du Sauveur. Il vient dans l’obscurité de la nuit, et pourtant sa présence est immédiatement source de lumière et de joie (cf.
Lc 2,9-10). Vraiment, le monde est sombre, là où il n’est pas éclairé par la lumière divine ! Vraiment le monde est obscur, là où l’homme ne reconnaît plus son lien avec le Créateur et, ainsi, met également en danger ses relations avec les autres créatures et avec la création elle-même. Le moment actuel est malheureusement marqué par un profond malaise et les diverses crises: économiques, politiques et sociales, en sont une expression dramatique.

À ce sujet, je ne peux pas ne pas mentionner, avant tout, les développements graves et préoccupants de la crise économique et financière mondiale. Celle-ci n’a pas frappé seulement les familles et les entreprises des pays économiquement plus avancés, où elle a trouvé son origine, créant une situation dans laquelle beaucoup, surtout parmi les jeunes, se sont sentis désorientés et frustrés dans leurs aspirations d’un avenir serein, mais elle a aussi profondément marqué la vie des pays en voie de développement. Nous ne devons pas nous décourager mais retracer résolument notre chemin, avec de nouvelles formes d’engagement. La crise peut et doit être un aiguillon pour réfléchir sur l’existence humaine et sur l’importance de sa dimension éthique, avant même de le faire sur les mécanismes qui gouvernent la vie économique : non seulement pour chercher à endiguer les pertes individuelles ou celles des économies nationales, mais pour nous donner de nouvelles règles qui assurent à tous la possibilité de vivre dignement et de développer leurs capacités au bénéfice de la communauté dans son ensemble.

Je désire ensuite rappeler que les effets de l’actuel moment d’incertitude touchent particulièrement les jeunes. De leur malaise sont nés les ferments qui, les mois derniers, ont investi, parfois durement, diverses régions. Je me réfère tout d’abord à l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient, où les jeunes, qui souffrent entre autres de la pauvreté et du chômage et craignent l’absence de perspectives assurées, ont lancé ce qui est devenu un vaste mouvement de revendication de réformes et de participation plus active à la vie politique et sociale. Il est difficile actuellement de tracer un bilan définitif des récents événements et d’en comprendre pleinement les conséquences pour les équilibres de la Région. L’optimisme initial a cependant cédé le pas à la reconnaissance des difficultés de ce moment de transition et de changement, et il me semble évident que la voie adéquate pour continuer le chemin entrepris passe par la reconnaissance de la dignité inaliénable de toute personne humaine et de ses droits fondamentaux. Le respect de la personne doit être au centre des institutions et des lois, il doit conduire à la fin de toute violence et prévenir le risque que l’attention due aux demandes des citoyens et la nécessaire solidarité sociale se transforment en simples instruments pour garder ou conquérir le pouvoir. J’invite la communauté internationale à dialoguer avec les acteurs des processus en cours, dans le respect des peuples et en étant consciente que la construction de sociétés stables et réconciliées, opposées à toute discrimination injuste, en particulier d’ordre religieux, constitue un horizon plus vaste et plus lointain que celui des échéances électorales. J’éprouve une grande préoccupation pour les populations des pays dans lesquels se poursuivent tensions et violences, en particulier la Syrie, où je souhaite une rapide fin des effusions de sang et le commencement d’un dialogue fructueux entre les acteurs politiques, favorisé par la présence d’observateurs indépendants. En Terre Sainte, où les tensions entre Palestiniens et Israéliens ont des répercussions sur les équilibres de tout le Moyen-Orient, il faut que les responsables de ces deux peuples adoptent des décisions courageuses et clairvoyantes en faveur de la paix. J’ai appris avec plaisir que, suite à une initiative du Royaume de Jordanie, le dialogue a repris ; je souhaite qu’il se poursuive afin que l’on parvienne à une paix durable, qui garantisse le droit des deux peuples à vivre en sécurité dans des États souverains et à l’intérieur de frontières sûres et internationalement reconnues. La Communauté internationale, de son côté, doit stimuler sa propre créativité et les initiatives de promotion de ce processus de paix, dans le respect des droits de chaque partie. Je suis aussi avec grande attention les développements en Irak, déplorant les attentats qui ont causé encore récemment la perte de nombreuses vies humaines, et j’encourage ses Autorités à poursuivre avec fermeté sur le chemin d’une pleine réconciliation nationale.

Le bienheureux Jean-Paul II rappelait que « la voie de la paix est aussi la voie des jeunes »[1], puisque ceux-ci sont « la jeunesse des nations et des sociétés, la jeunesse de toute famille et celle de l’humanité entière »[2]. Les jeunes, donc, nous poussent à considérer sérieusement leurs demandes de vérité, de justice et de paix. Par conséquent c’est à eux que j’ai dédié le Message annuel pour la célébration de la Journée Mondiale de la Paix, intitulé Éduquer les jeunes à la justice et à la paix. L’éducation est un thème crucial pour toutes les générations, puisque d’elle dépend aussi bien le sain développement de chaque personne que l’avenir de toute la société. C’est pourquoi elle représente une tâche de première importance en un temps difficile et délicat. Outre un objectif clair, comme est celui de conduire les jeunes à une connaissance pleine de la réalité et donc de la vérité, l’éducation a besoin de lieux. Parmi ceux-ci figure en premier la famille, fondée sur le mariage d’un homme avec une femme. Il ne s’agit pas d’une simple convention sociale, mais bien de la cellule fondamentale de toute société. Par conséquent, les politiques qui portent atteinte à la famille menacent la dignité humaine et l’avenir même de l’humanité. Le cadre familial est fondamental dans le parcours éducatif et pour le développement même des individus et des États ; en conséquence il faut des politiques qui le valorisent et qui aident à la cohésion sociale et au dialogue. C’est dans la famille que l’on s’ouvre au monde et à la vie et, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler au cours de mon voyage en Croatie, « l’ouverture à la vie est un signe de l’ouverture à l’avenir »[3]. Dans ce contexte de l’ouverture à la vie, j’accueille donc avec satisfaction la récente sentence de la Cour de Justice de l’Union européenne, qui interdit de breveter les processus relatifs aux cellules staminales embryonnaires humaines, comme aussi la Résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui condamne la sélection prénatale en fonction du sexe.

1389 Plus généralement, en regardant surtout le monde occidental, je suis convaincu que s’opposent à l’éducation des jeunes et par conséquent à l’avenir de l’humanité, les mesures législatives qui non seulement permettent, mais parfois même favorisent l’avortement, pour des motifs de convenance ou des raisons médicales discutables.

Continuant notre réflexion, un rôle tout autant essentiel pour le développement de la personne est rempli par les institutions éducatives : elles sont les premières instances à collaborer avec la famille et elles ont du mal à accomplir leur tâche propre si vient à manquer une harmonie d’objectifs avec la réalité familiale. Il faut mettre en oeuvre des politiques de formation afin que l’éducation scolaire soit accessible à tous et qu’en plus de promouvoir le développement cognitif de la personne, elle prenne soin de la croissance harmonieuse de la personnalité, y compris son ouverture au Transcendant. L’Église catholique a toujours été particulièrement active dans le domaine des institutions scolaires et académiques, remplissant une oeuvre appréciée à côté de celle des institutions étatiques. Je souhaite donc que cette contribution soit reconnue et valorisée aussi par les législations nationales.

Dans cette perspective on comprend bien qu’une oeuvre éducative efficace requiert également le respect de la liberté religieuse. Celle-ci est caractérisée par une dimension individuelle, ainsi que par une dimension collective et une dimension institutionnelle. Il s’agit du premier des droits de l’homme, parce qu’elle exprime la réalité la plus fondamentale de la personne. Trop souvent, pour des motifs divers, ce droit est encore limité ou bafoué. Je ne puis évoquer ce thème sans commencer par saluer la mémoire du Ministre pakistanais Shahbaz Bhatti, dont l’infatigable combat pour les droits des minorités s’est achevé par une mort tragique. Il ne s’agit pas, malheureusement, d’un cas unique. Dans de nombreux pays les chrétiens sont privés des droits fondamentaux et mis en marge de la vie publique ; dans d’autres ils souffrent des attaques violentes contre leurs églises et leurs habitations. Parfois, ils sont contraints à abandonner des pays qu’ils ont contribué à édifier, à cause des tensions continuelles et de politiques qui fréquemment les relèguent comme spectateurs secondaires de la vie nationale. Dans d’autres parties du monde, on trouve des politiques orientées à marginaliser le rôle de la religion dans la vie sociale, comme si elle était cause d’intolérance, plutôt que contribution appréciable dans l’éducation au respect de la dignité humaine, à la justice et à la paix. Le terrorisme motivé religieusement a fauché l’an passé également de nombreuses victimes, surtout en Asie et en Afrique, et c’est pourquoi, comme je l’ai rappelé à Assise, les responsables religieux doivent répéter avec force et fermeté que « telle n’est pas la vraie nature de la religion. C’est au contraire son antithèse, qui contribue à sa destruction »[4]. La religion ne peut être utilisée comme prétexte pour mettre de côté les règles de la justice et du droit en faveur du « bien » qu’elle poursuit. Dans cette perspective, je suis fier de rappeler, comme je l’ai fait dans mon pays natal, que pour les Pères constituants de l’Allemagne la vision chrétienne de l’homme a été la vraie force inspiratrice, comme, du reste, elle l’a été pour les Pères fondateurs de l’Europe unie. Je voudrais mentionner aussi des signes encourageants dans le domaine de la liberté religieuse. Je me réfère à la modification législative grâce à laquelle la personnalité juridique publique des minorités religieuses a été reconnue en Géorgie; je pense aussi à la sentence de la Cour européenne des droits de l’homme en faveur de la présence du Crucifix dans les salles de classes italiennes. Et justement je désire adresser à l’Italie une pensée particulière, en conclusion du cent-cinquantième anniversaire de son unification politique. Les relations entre le Saint-Siège et l’État italien ont traversé des moments difficiles après l’unification. Au cours du temps, cependant, la concorde et la volonté réciproque de coopérer ont prévalu, chacun dans son domaine propre, pour favoriser le bien commun. Je souhaite que l’Italie continue à promouvoir une relation équilibrée entre l’Église et l’État, constituant ainsi un exemple, auquel les autres nations puissent se référer avec respect et intérêt.

Sur le continent africain, que j’ai visité de nouveau en me rendant récemment au Bénin, il est essentiel que la collaboration entre les communautés chrétiennes et les Gouvernements aide à parcourir un chemin de justice, de paix et de réconciliation, où les membres de toutes les ethnies et de toutes les religions soient respectés. Il est douloureux de constater que, dans divers pays de ce continent, ce but est encore lointain. Je pense en particulier à la recrudescence des violences qui touche le Nigeria, comme l’ont rappelé les attentats commis contre plusieurs églises durant le temps de Noël, aux séquelles de la guerre civile en Côte d’Ivoire, à l’instabilité persistante dans la Région des Grands Lacs et à l’urgence humanitaire dans les pays de la Corne de l’Afrique. Je demande, une fois encore, à la Communauté internationale d’aider avec sollicitude à trouver une solution à la crise qui perdure depuis des années en Somalie.

Enfin, je tiens à souligner qu’une éducation correctement comprise ne peut que favoriser le respect de la création. On ne peut oublier les graves calamités naturelles qui, au cours de 2011, ont touché diverses régions du Sud-Est asiatique et les désastres écologiques comme celui de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon. La sauvegarde de l’environnement, la synergie entre la lutte contre la pauvreté et celle contre les changements climatiques constituent des domaines importants pour la promotion du développement humain intégral. Par conséquent je souhaite que, suite à la XVIIème session de la Conférence des États Parties à la Convention de l’ONU sur les changements climatiques, qui s’est conclue récemment à Durban, la Communauté internationale se prépare à la Conférence de l’ONU sur le développement durable (« Rio + 20 ») comme une authentique « famille des nations » et, donc, avec un grand sens de la solidarité et de la responsabilité envers les générations présentes et celles du futur.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

La naissance du Prince de la paix nous enseigne que la vie ne finit pas dans le néant, que son destin n’est pas la corruption, mais l’immortalité. Le Christ est venu pour que les hommes aient la vie et l’aient en abondance (cf.
Jn 10,10). « C’est seulement lorsque l’avenir est assuré en tant que réalité positive que le présent devient aussi vivable »[5]. Animé par la certitude de la foi, le Saint-Siège continue à donner sa propre contribution à la Communauté internationale, selon cette double intention que le Concile Vatican II – dont le cinquantième anniversaire a lieu cette année – a clairement définie : proclamer la grandeur suprême de la vocation de l’homme et la présence en lui d’un germe divin, et offrir à l’humanité une coopération sincère, qui instaure la fraternité universelle qui correspond à cette vocation[6]. Dans cet esprit, je vous renouvelle à tous, aux membres de vos familles et à vos collaborateurs mes voeux les plus cordiaux pour la nouvelle année.

Merci, pour votre attention.

[1] Jean-Paul II, Lettre apostolique ‘Dilecti amici’, 31 mars 1985, n. 15.

[2] Ibidem, n. 1.

[3] Homélie de la Messe à l’occasion de la Journée nationale des familles catholiques croates, Zagreb, 5 juin 2011.

1390 [4] Intervention pour la Journée de réflexion, de dialogue et de prière pour la paix et la justice dans le monde, Assise, 27 octobre 2011.

[5] Spe salvi, n. 2.

[6] Cf. Gaudium et spes, n. 3.



À LA CONFÉRENCE DES ÉVÊQUES CATHOLIQUES

DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE

EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM"

Salle du Consistoire
Jeudi 19 janvier 2012



Chers frères dans l’épiscopat,

Je vous salue tous avec une affection fraternelle et je prie pour que ce pèlerinage de renouveau spirituel et de communion approfondie vous confirme dans la foi et dans votre dévouement en tant que pasteurs de l’Eglise qui est aux Etats-Unis d’Amérique. Comme vous le savez, j’ai l’intention au cours de cette année de réfléchir avec vous sur quelques-uns des défis spirituels et culturels de la nouvelle évangélisation.

L’un des aspects les plus mémorables de ma visite pastorale aux Etats-Unis a été l’occasion qu’elle m’a donnée de réfléchir sur l’expérience historique de liberté religieuse des Etats-Unis, et de façon spécifique sur la relation entre religion et culture. Au coeur de chaque culture, que cela soit perçu ou pas, il existe un consensus sur la nature de la réalité et le bien moral, et donc sur les conditions du développement humain. En Amérique, ce consensus, comme cela est contenu dans les documents fondateurs de votre nation, reposait sur une vision mondiale formée non seulement par la foi, mais par un engagement à l’égard de certains principes éthiques dérivant de la nature et du Dieu de la nature. Aujourd’hui, ce consensus s’est réduit de façon significative suite aux nouveaux courants culturels, qui ne s’opposent pas seulement directement à divers enseignements moraux centraux de la tradition judéo-chrétienne, mais qui sont toujours plus hostiles au christianisme en tant que tel.

Pour sa part, l’Eglise qui est aux Etats-Unis est appelée, à temps et à contretemps, à proclamer un Evangile qui ne propose pas seulement des vérités morales immuables, mais qui les propose précisément comme la clé du bonheur humain et du développement social (cf. Gaudium et spes GS 10). Dans la mesure où certaines tendances culturelles actuelles contiennent des éléments qui veulent limiter la proclamation de ces vérités, que ce soit en les renfermant dans les limites d’une rationalité purement scientifique ou en les supprimant au nom du pouvoir politique ou de la loi de la majorité, elles représentent une menace non seulement pour la foi chrétienne, mais également pour l’humanité elle-même et pour la vérité plus profonde sur notre personne et notre vocation ultime, notre relation à Dieu. Lorsqu’une culture tente de supprimer la dimension du mystère ultime, et de fermer les portes à la vérité transcendante, elle s’appauvrit inévitablement et devient la proie comme l’a si bien perçu le regretté Pape Jean-Paul II, de lectures réductionnistes et totalitaires de la personne humaine et de la nature de la société.

Avec sa longue tradition de respect pour la juste relation entre la foi et la raison, l’Eglise peut jouer un rôle crucial pour s’opposer aux courants culturels qui, sur la base d’un individualisme exacerbé, tente de promouvoir des notions de libertés séparées de la vérité morale. Notre tradition ne se base pas sur une foi aveugle, mais sur une perspective rationnelle qui lie notre engagement en vue d’édifier une société véritablement juste, humaine, et prospère à l’assurance ultime que l’univers possède une logique intérieure accessible à la raison humaine. La défense par l’Eglise d’un raisonnement moral fondé sur le droit naturel se base sur sa conviction que ce droit n’est pas une menace à notre liberté, mais un «langage» qui nous permet de nous comprendre nous-mêmes et de comprendre la vérité de notre personne, et ainsi, d’édifier un monde plus juste et plus humain. C’est pourquoi elle propose son enseignement moral non comme un message de contrainte, mais de libération, et comme la base de l’édification d’un avenir certain.

Le témoignage de l’Eglise est donc de par sa nature public: elle cherche à convaincre en proposant des arguments rationnels dans le domaine public. La séparation légitime de l’Eglise et de l’Etat ne peut être interprétée dans le sens où l’Eglise devrait demeurer silencieuse sur certaines questions, et que l’Etat pourrait choisir de ne pas accorder d’importance, ou de ne pas être lié, à la voix des croyants engagés pour déterminer les valeurs qui formeront l’avenir de la nation.

1391 A la lumière de ces considérations, il est impératif que la communauté catholique des Etats-Unis tout entière réalise les graves menaces contre le témoignage moral public de l’Eglise que représente un sécularisme radical qui trouve une expression croissante dans les domaines politiques et culturels. La gravité de ces menaces doit être clairement évaluée à chaque niveau de la vie ecclésiale. Certaines tentatives faites pour limiter la plus précieuse des libertés américaines, la liberté de religion, est une source de préoccupation particulière. Un grand nombre d’entre vous ont souligné que des efforts concertés ont été accomplis pour nier le droit à l’objection de conscience des catholiques et des institutions catholiques, en ce qui concerne la coopération à des pratiques intrinsèquement mauvaises. D’autres m’ont parlé d’une tendance préoccupante à réduire la liberté religieuse à une simple liberté de culte sans garantie de respect pour la liberté de conscience.

Une fois de plus, nous constatons ici le besoin de laïcs catholiques engagés, bien formés, dotés d’un sens critique aigu vis-à-vis de la culture dominante et ayant le courage de combattre un sécularisme réducteur qui voudrait délégitimer la participation de l’Eglise au débat public sur les questions qui déterminent l’avenir de la société américaine. La préparation de responsables laïcs engagés et la présentation d’une expression convaincante de la vision chrétienne de l’homme et de la société demeure une tâche prioritaire de l’Eglise dans votre pays; en tant qu’éléments essentiels de la nouvelle évangélisation, ces préoccupations doivent déterminer la vision et les objectifs des programmes catéchétiques à tous les niveaux.

A cet égard, je voudrais mentionner avec reconnaissance vos efforts en vue de maintenir les contacts avec les catholiques engagés dans la vie politique et de les aider à comprendre leur responsabilité personnelle en vue d’offrir un témoignage public de leur foi, en particulier en ce qui concerne les grandes questions morales de notre temps: le respect de la vie, don de Dieu, la protection de la dignité humaine et la promotion de droits humains authentiques. Comme l’a souligné le Concile, et comme je l’ai moi-même répété au cours de ma visite pastorale, le respect pour la juste autonomie du domaine séculier doit également prendre en considération la vérité selon laquelle il n’existe pas de domaines d’affaires terrestres qui peut échapper à la référence au Créateur et à son autorité (cf. Gaudium et spes
GS 36). Il ne peut y avoir de doute qu’un témoignage plus important de leurs convictions profondes de la part des catholiques américains contribuerait dans une large mesure au renouveau de la société tout entière.

Chers frères dans l’épiscopat, dans le cadre de ces brèves remarques, j’ai voulu aborder certaines des questions urgentes que vous devez affronter dans votre service de l’Evangile, ainsi que leur signification pour l’évangélisation de la culture américaine. Quiconque affronte ces questions de façon réaliste ne peut ignorer les difficultés authentiques que l’Eglise rencontre en ce moment. Pourtant, en vérité, nous pouvons être réconfortés par la conscience croissante du besoin de préserver un ordre civil clairement enraciné dans la tradition judéo-chrétienne, ainsi que par la promesse offerte par une nouvelle génération de catholiques dont l’expérience et les convictions joueront un rôle décisif dans le renouveau de la présence et du témoignage de l’Eglise dans la société américaine. L’espoir que nous donnent ces « signes des temps » est en soi une raison de renouveler nos efforts pour mobiliser les ressources intellectuelles et morales de la communauté catholique tout entière au service de l’évangélisation de la culture américaine et de l’édification de la civilisation de l’amour. Avec une grande affection, je vous confie tous, ainsi que le troupeau confié à votre soin, aux prières de Marie, Mère de l’Espérance, et je vous donne cordialement ma Bénédiction apostolique en signe de grâce et de paix en Jésus Christ notre Seigneur.



À LA DÉLÉGATION OECUMÉNIQUE DE FINLANDE

À L'OCCASION DE LA FÊTE DE SAINT HENRI

Jeudi 19 janvier 2012

Cher évêque Sippo, cher évêque Häkkinen, chers amis de Finlande,

C’est avec une grande joie que je vous accueille, membres de la délégation de Finlande, à l’occasion de votre pèlerinage oecuménique annuel à Rome pour célébrer une fois de plus la fête de saint Henri, saint patron de la Finlande, que nous rappelons aujourd’hui. En commémorant nos saints patrons, nous rendons grâce pour l’action de l’Esprit Saint, qui a influencé et transformé la vie de ceux qui nous ont laissé un exemple extraordinaire de fidélité au Christ et à l’Evangile.

La visite annuelle d’une délégation oecuménique de Finlande témoigne de la croissance de la communion entre les traditions chrétiennes représentées dans votre pays. Je souhaite profondément que cette communion puisse continuer de croître, en portant de riches fruits parmi les catholiques, les luthériens et tous les autres chrétiens dans votre bien-aimé pays. Notre amitié profonde et notre témoignage commun de Jésus Christ — en particulier dans le monde d’aujourd’hui, qui manque si souvent d’une véritable orientation et qui désire entendre le message de salut — doit hâter nos progrès vers la résolution des différences qui demeurent entre nous, mais également de toutes les questions sur lesquelles les chrétiens sont divisés.

Ces derniers temps, les questions éthiques sont devenues l’un des points de divergence entre les chrétiens, en particulier en ce qui concerne la juste compréhension de la nature humaine et de sa dignité. Les chrétiens doivent parvenir à un profond accord sur les questions anthropologiques, qui peuvent ensuite aider la société et les hommes politiques à prendre des décisions sages et justes en ce qui concerne d’importantes questions dans le domaine de la vie humaine, de la famille et de la sexualité.

A cet égard, le récent document du dialogue oecuménique bilatéral dans le cadre finlandais-suédois ne reflète pas seulement un rapprochement entre catholiques et luthériens sur la compréhension de la justification, mais exhorte les chrétiens à renouveler leur engagement pour imiter le Christ dans sa vie et dans ses oeuvres. Nous avons confiance dans le pouvoir de l’Esprit Saint de rendre possible ce qui semble encore hors de portée: un vaste renouveau de la sainteté et de la pratique publique de la vertu chrétienne, à l’exemple des grands témoins qui nous ont précédés.

Au cours de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens de cette année, la seconde lecture des textes suggérés en ce jour rappelle la patience de fidèles croyants comme Abraham (He 6,15) qui ont été récompensés pour leur foi et leur confiance en Dieu. La compréhension du fait que Dieu intervient avec amour dans notre histoire nous enseigne à ne pas placer un accent inopportun sur ce que nous pouvons accomplir à travers nos propres efforts. Notre désir d’unité pleine et visible des chrétiens exige une attente patiente et confiante, non pas dans un esprit d’impuissance ou de passivité, mais dans la confiance profonde que l’unité de tous les chrétiens dans l’Eglise unique est véritablement le don de Dieu et non pas notre propre accomplissement. Cette attente patiente, dans l’espérance et la prière, nous transforme et nous prépare pour l’unité visible non pas telle que nous la projetons, mais telle que Dieu nous l’accorde.

1392 Je forme le voeu fervent que votre visite à Rome contribue à approfondir les relations fraternelles qui existent entre les luthériens et les catholiques en Finlande. Rendons grâce à Dieu pour tout ce qu’il nous a accordé jusqu’ici et prions afin qu’il nous emplisse de l’Esprit de vérité pour nous guider vers un amour et une unité toujours plus grandes. Sur vous et sur vos concitoyens, j’invoque une abondance de Bénédictions de Dieu.



À LA COMMUNAUTÉ DE L'ALMO COLLEGIO CAPRANICA DE ROME

Salle Clémentine
Vendredi 20 janvier 2012



Monsieur le cardinal, Excellence, Chers frères !

C’est toujours un motif de joie pour moi de rencontrer la communauté de l’Almo Collegio Capranica qui, depuis plus de cinq siècles, constitue l’un des séminaires du diocèse de Rome. Je vous salue tous avec affection, et en particulier, bien sûr, S.Em. le card. Martino et le recteur, Mgr Ermenegildo Manicardi. Et je remercie Son Eminence pour ses paroles courtoises. A l’occasion de la fête de sainte Agnès, patronne du Collège, je voudrais vous présenter quelques réflexions qui m’ont été suggérées précisément par sa figure.

Sainte Agnès est l’une des célèbres jeunes filles romaines, qui ont illustré la beauté authentique de la foi dans le Christ et de l’amitié avec Lui. Sa double qualité de vierge et de martyre rappelle la totalité des dimensions de la sainteté. Il s’agit d’une plénitude de sainteté qui vous est demandée également en vertu de votre foi chrétienne et de la vocation sacerdotale particulière avec laquelle le Seigneur vous a appelés et vous lie à lui. Le martyre — pour sainte Agnès — a signifié accepter de manière généreuse et libre de donner sa jeune vie, dans sa totalité et sans réserve, afin que l’Evangile soit annoncé comme vérité et beauté qui illuminent l’existence. Dans le martyre d’Agnès, accueilli avec courage dans le stade de Domitien, resplendit pour toujours la beauté d’appartenir au Christ sans hésitations, en se confiant à Lui. Aujourd’hui encore, pour quiconque passe sur la place Navone, la statue de la sainte, du haut du fronton de l’église Sant’Agnese in Agone, rappelle que notre ville est fondée également sur l’amitié pour le Christ et le témoignage de son Evangile, d’un grand nombre de ses fils et de ses filles. Leur don généreux à Lui et pour le bien de leurs frères est un élément essentiel de la physionomie spirituelle de Rome.

Dans le martyre, sainte Agnès scelle également l’autre élément décisif de sa vie, la virginité pour le Christ et pour l’Eglise. Le don total du martyre est préparé, en effet, par le choix conscient, libre et mûr, de la virginité, témoignage de la volonté d’appartenir totalement au Christ. Si le martyre est un acte héroïque final, la virginité est le fruit d’une amitié prolongée avec Jésus mûrie dans l’écoute constante de sa Parole, dans le dialogue de la prière, dans la rencontre eucharistique. Agnès, encore jeune, avait appris qu’être disciple du Seigneur signifie l’aimer en mettant en jeu toute l’existence. Cette double qualité — vierge et martyre — rappelle à notre réflexion qu’un témoin crédible de la foi doit être une personne qui vit pour le Christ, avec le Christ et dans le Christ, en transformant sa propre vie selon les exigences les plus élevées de la gratuité.

La formation du prêtre exige elle aussi l’intégralité, l’accomplissement, l’exercice ascétique, la constance et la fidélité héroïque, dans tous les aspects qui la constituent; à la base, il doit y avoir une solide vie spirituelle animée par une relation intense avec Dieu au niveau personnel et communautaire, avec un soin particulier dans les célébrations liturgiques et dans la fréquence des sacrements. La vie sacerdotale demande une aspiration croissante à la sainteté, un clair sensus Ecclesiae et une ouverture à la fraternité sans exclusions ni partialité. Le chemin de sainteté du prêtre comprend également le choix d’élaborer, avec l’aide de Dieu, sa propre intelligence et son propre engagement, une culture personnelle véritable et solide, fruit d’une étude passionnée et constante. La foi possède une dimension rationnelle et intellectuelle qui lui est essentielle. Pour un séminariste et pour un jeune prêtre encore aux prises avec les études académiques, il s’agit d’assimiler cette synthèse entre foi et raison qui est propre au christianisme. Le Verbe de Dieu s’est fait chair et le prêtre, véritable prêtre du Verbe incarné, doit se faire toujours plus transparence, lumineuse et profonde, de la Parole éternelle qui nous est donnée. Celui qui est mûr dans cette formation culturelle globale peut être, de manière plus efficace, éducateur et animateur de cette adoration « en Esprit et en vérité » dont Jésus parle à la Samaritaine (cf. Jn 4,23). Cette adoration, qui se forme dans l’écoute de la Parole de Dieu et dans la force de l’Esprit Saint, est appelée à devenir, en particulier dans la liturgie, le « rationabile obsequium », dont nous parle l’apôtre Paul, un culte dans lequel l’homme lui-même dans sa totalité d’être doté de raison, devient adoration, glorification du Dieu vivant, et qui peut être atteint en ne se conformant pas à ce monde, mais en se laissant transformer par le Christ en renouvelant la manière de penser, pour pouvoir discerner la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait (cf. Rm 12,1-2).

Chers élèves de l’Almo Collegio Capranica, votre engagement sur le chemin de la sainteté, également grâce à une solide formation culturelle, correspond à l’intention originelle de cette institution, fondée il y a 555 ans par le cardinal Domenico Capranica. Ayez toujours un profond sens de l’histoire et de la tradition de l’Eglise ! Le fait d’être à Rome est un don qui doit vous rendre particulièrement sensibles à la profondeur de la tradition catholique. Vous la percevez déjà de manière concrète dans l’histoire de l’édifice qui vous accueille. En outre, vous vivez ces années de formation dans une proximité spéciale avec le Successeur de Pierre : cela vous permet de percevoir avec une clarté particulière les dimensions universelles de l’Eglise et le désir que l’Evangile parvienne à toutes les nations. Vous avez ici la possibilité d’élargir vos horizons grâce à une expérience d’internationalité ; ici, de manière particulière, vous respirez la catholicité. Profitez de ce qui vous est offert, pour votre futur service au diocèse de Rome ou à vos diocèses d’origine ! De l’amitié, qui naît en vivant ensemble, apprenez à connaître les situations différentes des nations et des Eglises dans le monde et à vous former à la vision catholique. Préparez-vous à être proches de chaque homme que vous rencontrerez, en ne permettant à aucune culture d’être une barrière à la Parole de vie dont vous êtes les annonciateurs, également à travers votre vie.

Chers amis, l’Eglise attend beaucoup des jeunes prêtres dans l’oeuvre d’évangélisation et de nouvelle évangélisation. Je vous encourage pour que dans votre travail quotidien, enracinés dans la beauté de la tradition authentique, profondément unis au Christ, vous soyez capables de l’apporter dans vos communautés avec vérité et avec joie. Avec l’intercession de sainte Agnès, vierge et martyre, et de la Très Sainte Vierge Marie, Etoile de l’évangélisation, que votre engagement d’aujourd’hui soit profitable à la fécondité de votre ministère. Je vous donne de tout coeur, ainsi qu’à vos proches, ma Bénédiction apostolique. Merci.




Discours 2005-2013 9112