Benoît XVI Homélies 7506


VOYAGE APOSTOLIQUE EN POLOGNE


CONCÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE SUR LA PLACE PILSUDSKI Varsovie, 26 mai 2006

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Loué soit Jésus Christ!

Très chers frères et soeurs dans le Christ Seigneur, "avec vous je voudrais chanter un hymne de louange à la divine Providence, qui me permet de me trouver ici en qualité de pèlerin". C'est avec ces paroles que, il y a vingt-sept ans, mon bien-aimé prédécesseur le Pape Jean-Paul II commença son homélie à Varsovie. Je les fais miennes et je rends grâce au Seigneur qui m'a accordé de pouvoir venir aujourd'hui sur cette place historique. Ici, à la veille de la Pentecôte, Jean-Paul II prononça les paroles significatives de la prière: "Que descende ton Esprit. Et qu'il renouvelle la face de la terre!". Et il ajouta: "De cette terre!". En ce même lieu, fut donné le dernier salut, lors d'une cérémonie funèbre solennelle, au grand Primat de la Pologne, le Cardinal Stefan Wyszynski, dont nous rappelons en ces jours le XXV anniversaire de la mort.

Dieu unit ces deux personnes non seulement à travers la même foi, la même espérance et le même amour, mais également à travers les mêmes événements humains, qui ont si profondément lié l'une et l'autre à l'histoire de ce peuple et de l'Eglise qui y vit. Au début de son Pontificat, Jean-Paul II écrivit au Cardinal Wyszynski: "Sur le Siège de Pierre, il n'y aurait pas ce Pape polonais qui aujourd'hui, rempli de la crainte de Dieu mais également de confiance, commence le nouveau pontificat, si n'avaient pas existé Ta foi, qui ne s'est pas pliée face à la prison et la souffrance, Ton espérance héroïque, Ta confiance entièrement donnée à la Mère de l'Eglise; s'il n'y avait pas eu Jasna Góra et toute cette période de l'histoire de l'Eglise dans notre patrie, liée à Ton service d'Evêque et de Primat" (Lettre de Jean-Paul II aux Polonais, 23 octobre 1978). Comment ne pas rendre grâce à Dieu pour ce qui a été réalisé dans votre patrie et dans le monde entier, au cours du Pontificat de Jean-Paul II? Devant nos yeux ont eu lieu des changements de systèmes politiques, économiques et sociaux tout entiers. Dans plusieurs pays, les populations ont recouvré la liberté et le sens de la dignité. "N'oublions pas les exploits du Seigneur" (cf.
Ps 78,7). Je vous remercie vous aussi de votre présence et de votre prière. Merci au Cardinal Primat des paroles qu'il m'a adressées. Je salue tous les Evêques ici présents. Je me réjouis de la présence du Président et des Autorités nationales et locales. J'embrasse de tout coeur tous les Polonais qui vivent dans leur pays et à l'étranger.

"Demeurez forts dans la foi!". Nous venons d'entendre les paroles de Jésus: "Si vous m'aimez, vous garderez mes commandements; et je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, pour qu'il soit avec vous à jamais, l'Esprit de Vérité" (Jn 14,15-17a). Dans ces paroles, Jésus révèle le lien profond qui existe entre la foi et la profession de la Vérité Divine, entre la foi et le dévouement à Jésus Christ dans l'amour, entre la foi et la pratique de la vie inspirée par les commandements. Ces trois dimensions de la foi sont toutes le fruit de l'action de l'Esprit Saint. Cette action se manifeste comme une force intérieure qui harmonise les coeurs des disciples avec le Coeur du Christ et rend capable d'aimer ses frères comme Lui les a aimés. Ainsi la foi est un don, mais dans le même temps elle est un devoir.

"Il vous donnera un autre Consolateur - l'Esprit de Vérité". La foi, comme connaissance et profession de la vérité sur Dieu et sur l'homme, "naît de ce qu'on entend; et ce qu'on entend, c'est l'annonce de la parole du Christ", dit saint Paul (Rm 10,17). Au cours de l'histoire de l'Eglise, les Apôtres ont prêché la Parole du Christ en se préoccupant de la remettre intacte à leurs successeurs, qui à leur tour l'ont transmise aux générations successives, jusqu'à nos jours. Beaucoup de prédicateurs de l'Evangile ont donné leur vie précisément à cause de la fidélité à la vérité de la Parole du Christ. Et ainsi, de l'attention pour la vérité est née la Tradition de l'Eglise. Comme dans les siècles passés, aujourd'hui aussi existent des personnes et des milieux qui, négligeant cette Tradition séculaire, voudraient falsifier la Parole du Christ et ôter de l'Evangile les Vérités selon eux trop malcommodes pour l'homme moderne. On cherche à créer l'impression que tout est relatif: les vérités de la foi dépendraient elles aussi de la situation historique et de l'évaluation humaine. Cependant, l'Eglise ne peut pas faire taire l'Esprit de Vérité. Les successeurs des Apôtres, avec le Pape, sont les responsables de la Vérité de l'Evangile, et tous les chrétiens sont également appelés à partager cette responsabilité en acceptant leurs indications faisant autorité. Chaque chrétien est sans cesse tenu de confronter ses propres convictions avec les indications de l'Evangile et de la Tradition de l'Eglise, dans l'engagement pour rester fidèle à la Parole du Christ, même quand celle-ci est exigeante et humainement difficile à comprendre. Nous ne devons pas tomber dans la tentation du relativisme ou de l'interprétation subjective et sélective des Ecritures Saintes. Seule la vérité intégrale peut nous ouvrir à l'adhésion au Christ mort et ressuscité pour notre salut.

Le Christ dit en effet: "Si vous m'aimez...". La foi ne signifie pas seulement accepter un certain nombre de vérités abstraites à propos des mystères de Dieu, de l'homme, de la vie et de la mort, des réalités futures. La foi consiste en un rapport intime avec le Christ, un rapport fondé sur l'amour de Celui qui nous a aimés le premier (cf. 1Jn 4,11), jusqu'à l'offrande totale de lui-même. "Or, la preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs" (Rm 5,8). Quelle autre réponse pouvons-nous donner à un amour aussi grand, sinon celle d'un coeur ouvert et prêt à aimer? Mais que signifie aimer le Christ? Cela signifie avoir confiance en Lui également à l'heure de l'épreuve, Le suivre fidèlement également sur la Via Crucis, dans l'espérance que bientôt viendra le matin de la résurrection. En nous confiant au Christ, nous ne perdons rien, mais nous gagnons tout. Entre ses mains notre vie acquiert son sens véritable. L'amour pour le Christ s'exprime dans la volonté d'harmoniser sa propre vie avec les pensées et les sentiments de son Coeur. Cela se réalise à travers l'union intérieure fondée sur la grâce des Sacrements, renforcée par la prière, la louange, l'action de grâce et la pénitence incessantes. Il ne peut manquer une écoute attentive des inspirations qu'Il suscite à travers sa Parole, les personnes que nous rencontrons, les situations de vie quotidienne. L'aimer signifie rester en dialogue avec Lui, pour connaître sa volonté et la réaliser promptement.

Mais vivre sa propre foi comme un rapport d'amour avec le Christ signifie également être prêts à renoncer à tout ce qui constitue la négation de son amour. Voilà pourquoi Jésus a dit aux Apôtres: "Si vous m'aimez, vous observerez mes commandements". Mais quels sont les commandements du Christ? Quand le Seigneur enseignait aux foules, il ne manqua pas de confirmer la loi que le Créateur avait inscrite dans le coeur de l'homme et avait ensuite formulée sur les Tables du Décalogue. "Ne pensez pas que je suis venu abolir la Loi ou les prophètes; je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Amen, je vous le dis: Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas une lettre, pas un seul petit trait ne disparaîtra de la Loi jusqu'à ce que tout se réalise" (Mt 5,17-18). Jésus nous a cependant montré avec une nouvelle clarté le centre unifiant des lois divines révélées sur le Sinaï, c'est-à-dire l'amour de Dieu et du prochain: "Aimer [Dieu] de tout son coeur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices" (Mc 12,33). Plus encore, Jésus, dans sa vie et dans son mystère pascal, a conduit toute la loi à son accomplissement. En s'unissant à nous à travers le don de l'Esprit Saint, il porte avec nous et en nous le "joug" de la loi, qui devient ainsi un "fardeau léger" (Mt 11,30). C'est dans cet esprit que Jésus formula sa liste des attitudes intérieures de ceux qui cherchent à vivre profondément la foi: Heureux ceux qui ont une âme de pauvres, les affligés, les doux, les affamés et assoiffés de justice, les miséricordieux, les coeurs purs, les artisans de paix, les persécutés pour la justice... (cf. Mt 5,3-12).

Chers frères et soeurs, la foi en tant qu'adhésion au Christ se révèle comme amour qui pousse à promouvoir le bien que le Créateur a inséré dans la nature de chacun et de chacune de nous, dans la personnalité de chaque autre homme et dans tout ce qui existe dans le monde. Celui qui croit et qui aime devient ainsi le constructeur de la véritable "civilisation de l'amour", dont le Christ est le centre. Il y a vingt-sept ans, en ce lieu, Jean-Paul II disait: "La Pologne est devenue à notre époque une terre de témoignage particulièrement responsable" (Varsovie, 2 juin 1979). Je vous en prie, cultivez ce riche héritage de foi qui vous a été transmis par les générations précédentes, l'héritage de la pensée et du service de ce grand Polonais que fut le Pape Jean-Paul II. Restez forts dans la foi, transmettez-la à vos enfants, témoignez de la grâce, dont vous avez fait l'expérience de manière si abondante à travers l'Esprit Saint dans votre histoire. Que Marie, Reine de la Pologne, vous indique la route vers son Fils et vous accompagne vers un avenir heureux et plein de paix. Que ne manque jamais dans vos coeurs l'amour pour le Christ et pour son Eglise. Amen!


CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE Cracovie-Blonie 28 mai 2006

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"Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel?" (Ac 1,11).


Frères et soeurs, aujourd'hui, sur l'esplanade de Blonia de Cracovie, retentit à nouveau cette question rapportée dans les Actes des Apôtres. Cette fois, elle s'adresse à nous tous: "Pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel?". Dans la réponse à cette question est contenue la vérité fondamentale sur la vie et le destin de l'homme.

Cette question se réfère à deux attitudes liées aux deux réalités dans lesquelles est inscrite la vie de l'homme: la réalité terrestre et la réalité céleste. Tout d'abord, la réalité terrestre: "Pourquoi restez-vous ainsi?" - Pourquoi êtes vous là, pourquoi êtes-vous sur terre? Nous répondons: nous sommes sur terre car le Créateur nous a placés ici comme couronnement de l'oeuvre de la création. Dieu tout-puissant, conformément à son ineffable dessein d'amour, créa l'univers, le tira du néant. Et après avoir accompli cette oeuvre, il appela à l'existence l'homme, créé à son image et ressemblance (cf. Gn 1,26-27). Il lui conféra la dignité de fils de Dieu et l'immortalité. Nous savons cependant que l'homme s'égara, abusa du don de la liberté et dit "non" à Dieu, se condamnant ainsi à une existence dans laquelle entrèrent le mal, le péché, la souffrance et la mort. Mais nous savons également que Dieu lui-même ne se résigna pas à une telle situation et entra directement dans l'histoire de l'homme et que celle-ci devint l'histoire du salut. "Nous sommes sur terre", nous sommes enracinés dans celle-ci, nous grandissons à partir d'elle. C'est ici que nous effectuons le bien dans les vastes domaines de l'existence quotidienne, dans le domaine des choses matérielles, et également dans le domaine des choses spirituelles: dans les relations réciproques, dans l'édification de la communauté humaine, dans la culture. Nous faisons ici l'expérience de la fatigue des voyageurs en marche vers leur objectif le long de chemins tortueux, affrontant les hésitations, les tensions, les incertitudes, mais également avec la profonde conscience que, tôt ou tard, ce chemin arrivera à son terme. Et c'est alors que naît la réflexion: tout est là? La terre sur laquelle "nous nous trouvons" est-elle notre destin définitif?

Dans ce contexte, nous devons nous arrêter sur la deuxième partie de l'interrogation rapportée dans les pages des Actes: "Pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel?" Nous lisons que lorsque les Apôtres tentèrent d'attirer l'attention du Ressuscité sur la question de la reconstruction du royaume terrestre d'Israël, "sous leurs regards, il s'éleva, et une nuée le déroba à leurs yeux". Et ces derniers "étaient là, les yeux fixés au ciel pendant qu'il s'en allait" (Ac 1,9-10). Ils étaient donc là, les yeux fixés au ciel, car ils accompagnaient du regard Jésus Christ, crucifié et ressuscité, qui était élevé vers le haut. Nous ne savons pas s'ils se rendirent compte à ce moment du fait que, précisément devant eux, était en train de s'ouvrir un horizon magnifique, infini, le point d'arrivée définitif du pèlerinage terrestre de l'homme. Peut-être ne le comprirent-ils que le jour de la Pentecôte, illuminés par l'Esprit Saint. Pour nous, cependant, cet événement qui se produisit il y a deux mille ans est facilement lisible. Nous sommes appelés, en restant sur terre, à fixer le ciel, à tourner notre attention, notre pensée, notre coeur vers l'ineffable mystère de Dieu. Nous sommes appelés à regarder dans la direction de la réalité divine, vers laquelle l'homme est orienté dès la création. C'est là qu'est contenu le sens définitif de notre vie.

Chers frères et soeurs, je célèbre aujourd'hui avec une profonde émotion l'Eucharistie sur l'esplanade de Blonia, à Cracovie, le lieu où le Saint-Père Jean-Paul II célébra plusieurs fois la Messe au cours de ses inoubliables voyages apostoliques dans son pays natal. Au cours de la liturgie, il rencontrait le peuple de Dieu dans presque tous les lieux du monde, mais il ne fait aucun doute que la célébration de la Messe sur l'esplanade de Blonia à Cracovie représentait chaque fois pour lui un événement exceptionnel. Il retournait avec la pensée et le coeur aux racines, aux sources de sa foi et de son service dans l'Eglise. D'ici, il voyait Cracovie et toute la Pologne. Au cours du premier pèlerinage en Pologne, le 10 juin 1979, terminant son homélie sur cette esplanade, il dit avec nostalgie: "Avant de vous quitter, je voudrais donc jeter encore un regard sur Cracovie, cette Cracovie dont j'aime chaque pierre et chaque brique. Et je regarde encore ma Pologne...". Au cours de la dernière Messe célébrée en ce lieu le 18 août 2002, il déclara dans son homélie: "Je suis reconnaissant pour l'invitation à visiter ma ville de Cracovie et pour l'hospitalité qui m'a été offerte". Je désire accueillir ces paroles, les faire miennes et les répéter aujourd'hui: je vous remercie de tout coeur "pour l'invitation à visiter ma ville de Cracovie et pour l'hospitalité qui m'a été offerte". Cracovie, la ville de Karol Wojtyla et de Jean-Paul II, est également ma Cracovie! C'est aussi une Cracovie chère au coeur d'innombrables foules de chrétiens du monde entier, qui savent que Jean-Paul II arriva sur la colline du Vatican de cette ville, de la colline de Wawel, "d'un pays lointain", qui, grâce à cet événement, devint un pays cher à tous.

Au début de la deuxième année de mon pontificat, je suis venu en Pologne et à Cracovie poussé par un besoin du coeur, en tant que pèlerin sur les traces de mon Prédécesseur. Je voulais respirer l'air de sa patrie. Je voulais regarder la terre sur laquelle il naquit et où il grandit pour assumer l'inlassable service au Christ et à l'Eglise universelle. Je désirais tout d'abord rencontrer les hommes vivants, ses compatriotes, connaître votre foi, dont il tira la sève vitale, et m'assurer que vous êtes bien ancrés en elle. Ici, je désire également prier Dieu de conserver en vous l'héritage de la foi, de l'espérance et de la charité laissé au monde, et de manière particulière à vous, par Jean-Paul II.

Je salue cordialement toutes les personnes rassemblées sur l'esplanade de Blonia à Cracovie, aussi loin que s'étend mon regard et même au-delà. Je voudrais serrer la main de chacun de vous, en le regardant dans les yeux. J'embrasse de tout coeur tous ceux qui participent à notre Eucharistie à travers la radio et la télévision. Je salue toute la Pologne. Je salue les enfants et la jeunesse, les familles et les personnes seules, les malades et ceux qui souffrent dans leur esprit et leur corps, qui sont privés de la joie de vivre. Je salue tous ceux qui, par leur travail de chaque jour, contribuent au bien de ce pays. Je salue les Polonais qui vivent en dehors des frontières de leur patrie, dans le monde entier. Je remercie le Cardinal Stanislaw Dziwisz, Archevêque métropolitain de Cracovie, de ses paroles cordiales de bienvenue. Je salue le Cardinal Franciszek Macharski et tous les Cardinaux, les Evêques, les prêtres, les personnes consacrées et nos hôtes que nous accueillons ensemble, venus de nombreux pays, en particulier limitrophes. Je salue le Président de la République, le Premier ministre, les représentants des Autorités de l'Etat, territoriales et locales.

Chers frères et soeurs, la devise de mon pèlerinage en terre polonaise, sur les traces de Jean-Paul II, est constituée par les paroles: "Demeurez fermes dans la foi!". L'exhortation contenue dans ces mots s'adresse à nous tous qui formons la communauté des disciples du Christ, elle s'adresse à chacun de nous. La foi est un acte humain très personnel, qui se réalise en deux dimensions. Croire veut tout d'abord dire accepter comme vérité ce que notre esprit ne comprend pas entièrement. Il faut accepter ce que Dieu nous révèle sur lui-même, sur nous-mêmes et sur la réalité qui nous entoure, y compris la réalité invisible, ineffable, inimaginable. Cet acte d'acceptation de la vérité révélée, élargit l'horizon de notre connaissance et nous permet de parvenir au mystère dans lequel notre existence est plongée. Il n'est pas facile d'accepter que la raison possède cette limitation. Et c'est précisément là que la foi se manifeste dans sa deuxième dimension: celle de se confier à une personne - non pas à une personne ordinaire, mais au Christ. Ce en quoi nous croyons est important, mais celui en qui nous croyons est encore plus important.

Saint Paul nous parle de cela dans le passage de la Lettre aux Ephésiens qui a été lu aujourd'hui. Dieu nous a donné un esprit de sagesse et "les yeux de notre coeur pour nous faire voir quelle espérance nous ouvre son appel, quels trésors de gloire renferme son héritage parmi les saints, et quelle extraordinaire grandeur sa puissance revêt pour nous, les croyants, selon la vigueur de sa force, qu'il a déployée en la personne du Christ" (cf. Ep 1,17-20). Croire signifie s'abandonner à Dieu, Lui confier notre destin. Croire signifie établir un lien très personnel avec notre Créateur et Rédempteur en vertu de l'Esprit Saint, et faire en sorte que ce lien soit le fondement de toute notre vie.

Aujourd'hui, nous avons entendu les paroles de Jésus: "Mais vous allez recevoir une force, celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre" (Ac 1,8). Il y a des siècles, ces paroles arrivèrent également en terre polonaise. Elles représentèrent et continuent encore à représenter un défi pour tous ceux qui admettent appartenir au Christ, ceux pour qui sa cause est la plus importante. Nous devons être des témoins de Jésus qui vit dans l'Eglise et dans le coeur des hommes. C'est Lui qui nous confie une mission. Le jour de son ascension au ciel, il dit aux Apôtres: "Allez dans le monde entier, proclamez l'Evangile à toute la création... Pour eux, ils s'en allèrent prêcher en tout lieu, le Seigneur agissant avec eux et confirmant la Parole par les signes qui l'accompagnaient" (Mc 16,15). Chers frères et soeurs! Lors de l'élection de Karol Wojtyla sur le Siège de Pierre au service de toute l'Eglise, votre terre est devenue le lieu d'un témoignage de foi particulier en Jésus Christ. Vous avez vous-mêmes été appelés à rendre ce témoignage devant le monde entier. Cette vocation est toujours actuelle, et peut-être davantage encore depuis le moment de la bienheureuse mort du Serviteur de Dieu. Que votre témoignage ne fasse pas défaut au monde!

Avant de rentrer à Rome, pour poursuivre mon ministère, je vous exhorte tous en reprenant les paroles de Jean-Paul II prononcées ici en l'année 1979: "Vous devez être forts, très chers frères et soeurs! Vous devez être forts de cette force qui prend sa source dans la foi! Vous devez être fidèles! Aujourd'hui plus qu'à aucune autre époque, vous avez besoin de cette force. Vous devez être forts de la force de l'espérance qui conduit à la parfaite joie de vivre et ne permet pas d'attrister l'Esprit Saint! Vous devez être forts de l'amour, qui est plus fort que la mort... Vous devez être forts de la force de la foi, de l'espérance et de la charité, de cette force consciente, mûre et responsable qui nous aide à établir ce grand dialogue avec l'homme et avec le monde en l'étape actuelle de notre histoire: dialogue avec l'homme et avec le monde, enraciné dans le dialogue avec Dieu lui-même - avec le Père, par le Fils, dans l'Esprit - dialogue du salut".

Moi aussi, Benoît XVI, Successeur du Pape Jean-Paul II, je vous prie de regarder le ciel depuis la terre, de fixer Celui qui - depuis deux mille ans - est suivi par les générations qui vivent et qui se succèdent sur notre terre, en retrouvant en Lui le sens définitif de l'existence. Fortifiés par la foi en Dieu, engagez-vous avec ardeur pour consolider son Royaume sur la terre: le Royaume du bien, de la justice, de la solidarité et de la miséricorde. Je vous prie de témoigner avec courage de l'Evangile face au monde d'aujourd'hui, en apportant l'espérance aux pauvres, aux personnes qui souffrent, aux laissés-pour-compte, à ceux qui ont perdu l'espoir, à ceux qui ont soif de liberté, de vérité et de paix. En faisant le bien à l'égard de votre prochain et en vous montrant attentifs au bien commun, vous témoignez que Dieu est amour.

Enfin, je vous prie de partager le trésor de la foi avec les autres peuples de l'Europe et du monde, également en considération de la mémoire de votre compatriote qui, comme Successeur de saint Pierre, l'a fait avec une force et une efficacité extraordinaires. Et rappelez-vous également de moi dans vos prières et dans vos sacrifices, de même que vous rappeliez mon grand prédécesseur, afin que je puisse accomplir la mission qui m'a été confiée par le Christ. Je vous en prie, demeurez fermes dans la foi! Demeurez fermes dans l'espérance! Demeurez fermes dans la charité! Amen!



RENCONTRE AVEC LES MOUVEMENTS ECCLÉSIAUX ET LES COMMUNAUTÉS NOUVELLES 3 juin 2006

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PREMIERES VÊPRES LORS DE LA VEILLÉE DE PENTECÔTE


Place Saint-Pierre

Samedi 3 juin 2006

Chers frères et soeurs!


Vous êtes venus vraiment nombreux ce soir sur la Place Saint-Pierre pour participer à la Veillée de Pentecôte. Je vous remercie de tout coeur. Appartenant à divers peuples et cultures, vous représentez ici tous les membres des Mouvements ecclésiaux et des Communautés nouvelles, spirituellement rassemblés autour du Successeur de Pierre, pour proclamer la joie de croire en Jésus Christ, et renouveler l'engagement d'être ses fidèles disciples à notre époque. Je vous remercie de votre participation et j'adresse à chacun de vous mon salut cordial. Ma pensée affectueuse va, tout d'abord, à Messieurs les Cardinaux, à mes vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce, aux religieux et aux religieuses. Je salue les responsables de vos nombreuses réalités ecclésiales qui montrent combien l'action de l'Esprit Saint est vivante au sein du Peuple de Dieu. Je salue tous ceux qui ont préparé cet événement extraordinaire, et en particulier les personnes qui travaillent au Conseil pontifical pour les Laïcs, avec le Secrétaire, S.Exc. Mgr Josef Clemens, et le Président, Mgr Stanislaw Rylko, à qui je suis également reconnaissant des paroles cordiales qu'il m'a adressées au début de la Liturgie des Vêpres. La rencontre analogue qui eut lieu sur cette même Place, le 30 mai 1998, avec le bien-aimé Pape Jean-Paul II, se présente de manière émouvante à notre mémoire. Grand évangélisateur de notre époque, il vous a accompagnés et guidés au cours de tout son Pontificat; à plusieurs reprises, il a qualifié de "providentielles" vos associations et communautés, en particulier parce que l'Esprit sanctificateur se sert d'elles pour réveiller la foi dans le coeur de si nombreux chrétiens et leur fait redécouvrir la vocation reçue avec le Baptême, en les aidant à être des témoins d'espérance, remplis de ce feu d'amour qui est précisément le don de l'Esprit Saint.

A présent, en cette Veillée de Pentecôte, nous nous demandons: qui est ou qu'est-ce que l'Esprit Saint? Comment pouvons-nous le reconnaître? De quelle façon allons-nous à Lui et Lui vient-il à nous? Qu'est-ce qu'il fait? Une première réponse nous est donnée par le grand hymne de Pentecôte de l'Eglise, par lequel nous avons commencé les Vêpres: "Veni, Creator Spiritus... - Viens, Esprit Créateur...". L'hymne fait ici référence aux premiers versets de la Bible qui évoquent, en ayant recours à des images, la création de l'univers. Il y est tout d'abord dit qu'au-dessus du chaos, sur les eaux des abîmes, l'Esprit de Dieu planait. Le monde dans lequel nous vivons est l'oeuvre de l'Esprit Créateur. La Pentecôte n'est pas seulement l'origine de l'Eglise et donc, de manière particulière, sa fête; la Pentecôte est aussi une fête de la création. Le monde n'existe pas tout seul; il provient de l'Esprit créateur de Dieu, de la Parole créatrice de Dieu. C'est pourquoi il reflète également la sagesse de Dieu. Celle-ci, dans son ampleur et dans la logique qui embrasse ses lois sous tous leurs aspects, laisse entrevoir quelque chose de l'Esprit Créateur de Dieu. Celle-ci nous appelle à la crainte révérentielle. Précisément celui qui, en tant que chrétien, croit dans l'Esprit Créateur, prend conscience du fait que nous ne pouvons pas user et abuser du monde et de la matière comme d'un simple matériau au service de notre action et de notre volonté; que nous devons considérer la création comme un don qui nous est confié non pour qu'il soit détruit, mais pour qu'il devienne le jardin de Dieu et, ainsi, un jardin de l'homme. Face aux multiples formes d'abus de la terre que nous voyons aujourd'hui, nous entendons presque le gémissement de la création dont parle saint Paul (
Rm 8,22); nous commençons à comprendre les paroles de l'Apôtre, c'est-à-dire que la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu, pour être libérée et atteindre sa splendeur. Chers amis, nous voulons être ces fils de Dieu que la création attend, et nous pouvons l'être, car dans le baptême, le Seigneur nous a rendus tels. Oui, la création et l'histoire - celles-ci nous attendent, elles attendent des hommes et des femmes qui soient réellement des fils de Dieu et qui se comportent en conséquence. Si nous regardons l'histoire, nous voyons de quelle manière, autour des monastères, la création a pu prospérer, tout comme avec le réveil de l'Esprit de Dieu dans le coeur des hommes, le rayonnement de l'Esprit Créateur est revenu également sur la terre - un rayonnement qui avait été obscurcie par la barbarie de la soif de pouvoir de l'homme et parfois presque éteinte. Et à nouveau, autour de François d'Assise, la même chose se produit - cela se produit partout où l'Esprit de Dieu pénètre dans les âmes, cet Esprit que notre hymne qualifie de lumière, d'amour et de vigueur. Nous avons ainsi trouvé une première réponse à la question sur ce qu'est l'Esprit Saint, ce qu'il accomplit et comment nous pouvons le reconnaître. Il vient à notre rencontre à travers la création et sa beauté. Toutefois, la bonne création de Dieu, au cours de l'histoire des hommes, a été recouverte par une épaisse couche de saleté qui rend, sinon impossible, du moins difficile de reconnaître en elle le reflet du Créateur - même si face à un coucher de soleil sur la mer, au cours d'une excursion en montagne ou devant une fleur à peine éclose se réveille toujours à nouveau en nous, presque spontanément, la conscience de l'existence du Créateur.

Mais l'Esprit Créateur vient à notre aide. Il est entré dans l'histoire et ainsi, il nous parle d'une manière nouvelle. En Jésus Christ, Dieu lui-même s'est fait homme et nous a accordé la possibilité, pour ainsi dire, de jeter un regard dans l'intimité de Dieu lui-même. Et nous voyons là une chose tout à fait inattendue: en Dieu existent un Moi et un Tu. Le Dieu mystérieux n'est pas une infinie solitude, Il est un événement d'amour. Si, à partir du regard sur la création, nous pensons pouvoir entrevoir l'Esprit Créateur, Dieu lui-même, presque comme des mathématiques créatives, comme un pouvoir qui modèle les lois du monde et leur ordre, mais également, comme la beauté - à présent nous le savons: l'Esprit Créateur a un coeur. Il est Amour. Il existe le Fils, qui parle avec le Père. Et tous les deux sont une seule chose dans l'Esprit qui est, pour ainsi dire, l'atmosphère du don et de l'amour qui fait d'eux un Dieu unique. Cette unité d'amour, qui est Dieu, est une unité beaucoup plus sublime que ne pourrait l'être l'unité d'une dernière particule indivisible. Le Dieu trine est précisément le seul et unique Dieu.

Au moyen de Jésus, nous jetons, pour ainsi dire, un regard dans l'intimité de Dieu. Jean, dans son Evangile, l'a exprimé ainsi: "Dieu, personne ne l'a jamais vu; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c'est lui qui a conduit à le connaître" (Jn 1,18). Mais Jésus ne nous a pas seulement laissé regarder dans l'intimité de Dieu; avec Lui Dieu est également comme sorti de son intimité et il est venu à notre rencontre. Cela a tout d'abord lieu dans sa vie, sa passion, sa mort et sa résurrection; dans sa parole. Mais Jésus ne se contente pas de venir à notre rencontre. Il veut davantage. Il veut l'unification. Telle est la signification des images du banquet et des noces. Nous ne devons pas seulement savoir quelque chose sur Lui, mais à travers Lui, nous devons être attirés en Dieu. C'est pourquoi Il doit mourir et ressusciter. Car à présent, il ne se trouve plus dans un lieu déterminé, mais désormais son Esprit, l'Esprit Saint, émane de Lui et entre dans nos coeurs, nous mettant ainsi en liaison avec Jésus lui-même et avec le Père - avec le Dieu Un et Trine.

La Pentecôte est cela: Jésus, et à travers Lui Dieu lui-même, vient à nous et nous attire en Lui. "Il envoie l'Esprit Saint" - ainsi s'exprime l'Ecriture. Quel effet cela a-t-il? Je voudrais tout d'abord noter deux aspects: l'Esprit Saint, à travers lequel Dieu vient à nous, nous apporte la vie et la liberté. Regardons ces deux choses d'un peu plus près. "Moi je suis venu pour que les hommes aient la vie, pour qu'ils l'aient en abondance", dit Jésus dans l'Evangile de Jean (Jn 10,10). Vie et liberté - ce sont les choses auxquelles nous aspirons tous. Mais qu'est-ce que cela veut dire? - où et comment trouvons-nous la "vie"? Je pense que, spontanément, la très grande majorité des hommes a la même conception de la vie que le fils prodigue de l'Evangile. Il s'était fait donner sa part d'héritage, et à présent, il se sentait libre, il voulait finalement vivre en n'ayant plus le poids des devoirs de la maison, il voulait seulement vivre. Avoir de la vie tout ce qu'elle peut offrir. En profiter pleinement - vivre, seulement vivre, s'abreuver à l'abondance de la vie et ne rien perdre de ce qu'elle peut offrir de précieux. A la fin, il se retrouva gardien de porcs, enviant même ces animaux - sa vie était devenue vide à ce point, vaine à ce point. Et sa liberté aussi se révélait vaine. N'est-ce pas ce qui se passe aujourd'hui aussi? Lorsqu'on veut uniquement devenir le maître de sa vie, celle-ci devient toujours plus vide, plus pauvre; on finit facilement par se réfugier dans la drogue, dans la grande illusion. Et le doute apparaît de savoir si vivre, en fin de compte, est vraiment un bien. Non, de cette façon nous ne trouvons pas la vie. La parole de Jésus sur la vie en abondance se trouve dans le discours du bon Pasteur. C'est une parole qui se place dans un double contexte. A propos du Pasteur, Jésus nous dit qu'il donne sa vie. "Personne ne me l'enlève, mais je la donne de moi-même" (cf. Jn 10,18). On ne trouve la vie qu'en la donnant; on ne la trouve pas en voulant en prendre possession. C'est ce que nous devons apprendre du Christ; et c'est ce que nous enseigne l'Esprit Saint, qui est pur don, qui est Dieu qui se donne. Plus quelqu'un donne sa vie pour les autres, pour le bien même, plus le fleuve de la vie coule en abondance. En deuxième lieu, le Seigneur nous dit que la vie naît en allant avec le Pasteur qui connaît le pâturage - les lieux où jaillissent les sources de la vie. Nous trouvons la vie dans la communion avec Celui qui est la vie en personne - dans la communion avec le Dieu vivant, une communion dans laquelle l'Esprit Saint nous introduit, appelé par l'hymne des Vêpres "fons vivus", source vivante. Le pâturage, où coulent les sources de la vie, est la Parole de Dieu telle que nous la trouvons dans l'Ecriture, dans la foi de l'Eglise. Le pâturage est Dieu lui-même, que, dans la communion de la foi, nous apprenons à connaître à travers la puissance de l'Esprit Saint. Chers amis, les Mouvements sont nés précisément de la soif de la vraie vie; ce sont des Mouvements pour la vie sous tous les aspects. Là où ne s'écoule plus la source véritable de la vie, là où on s'approprie seulement de la vie au lieu de la donner, la vie des autres se trouve également en danger; on est disposé à exclure la vie sans défense qui n'est pas encore née, car elle semble ôter de l'espace à sa propre vie. Si nous voulons protéger la vie, nous devons alors surtout retrouver la source de la vie; la vie elle-même doit alors réapparaître dans toute sa beauté et son caractère sublime; nous devons alors nous laisser vivifier par l'Esprit Saint, source créatrice de la vie.

Le thème de la liberté a déjà été évoqué il y a peu. Dans le départ du fils prodigue se rejoignent justement les thèmes de la vie et de la liberté. Il veut la vie, et c'est pourquoi il veut être totalement libre. Etre libre signifie, de ce point de vue, pouvoir faire tout ce que l'on veut; ne devoir accepter aucun critère en dehors ou au-dessus de moi-même. Suivre seulement mon désir et ma volonté. Qui vit ainsi s'opposera très vite à l'autre qui veut vivre de la même manière. La conséquence nécessaire de cette conception égoïste de la liberté est la violence, la destruction réciproque de la liberté et de la vie. L'Ecriture Sainte relie en revanche le concept de liberté à celui de filiation, dit saint Paul: "Aussi bien n'avez-vous pas reçu un esprit d'esclave pour retomber dans la crainte; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier "Abba! Père"" (Rm 8,15). Qu'est-ce que cela signifie? Saint Paul se réfère ici au système social du monde antique, dans lequel existaient les esclaves, qui ne possédaient rien et qui ne pouvaient donc pas être intéressés à un juste déroulement des choses. De manière correspondante, il y avait les fils qui étaient également les héritiers et qui par conséquent se préoccupaient de la préservation et de la bonne administration de leur propriété ou de la conservation de l'Etat. Puisqu'ils étaient libres, ils avaient également une responsabilité. En faisant abstraction de l'arrière-fond sociologique de cette époque, le principe est toujours valable: liberté et responsabilité vont de pair. La véritable liberté se démontre dans la responsabilité, dans une manière d'agir qui prend sur soi la coresponsabilité pour le monde, pour soi-même et pour les autres. Libre est le fils auquel appartient quelque chose et qui ne permet donc pas qu'elle soit détruite. Toutes les responsabilités de ce monde, dont nous avons parlé, ne sont que des responsabilités partielles, dans un domaine déterminé, un Etat déterminé, etc. L'Esprit Saint en revanche fait de nous des fils et des filles de Dieu. Il nous fait participer à la responsabilité de Dieu lui-même pour son monde, pour l'humanité tout entière. Il nous enseigne à regarder le monde, l'autre et nous-mêmes avec les yeux de Dieu. Nous faisons le bien non comme des esclaves qui ne sont pas libres de faire autrement, mais nous le faisons parce que nous portons personnellement la responsabilité pour le monde; parce que nous aimons la vérité et le bien, parce que nous aimons Dieu lui-même et donc ses créatures également. Telle est la liberté véritable, à laquelle l'Esprit Saint veut nous conduire. Les Mouvements ecclésiaux veulent et doivent être des écoles de liberté, de cette liberté véritable. Là nous voulons apprendre cette liberté véritable, non celle d'esclaves qui visent à couper pour eux-mêmes une part du gâteau qui appartient à tous, même si cette part doit ensuite manquer à l'autre. Nous souhaitons la véritable et grande liberté, celle des héritiers, la liberté des fils de Dieu. Dans ce monde, débordant de fausses libertés qui détruisent l'environnement et l'homme, nous voulons, avec la force de l'Esprit Saint, apprendre ensemble la liberté véritable; construire des écoles de liberté; démontrer aux autres par notre vie que nous sommes libres et comme il est beau de vivre véritablement libres dans la liberté véritable des enfants de Dieu.

L'Esprit Saint, en donnant la vie et la liberté, donne également l'unité. Il s'agit ici de trois dons inséparables les uns des autres. J'ai déjà parlé trop longuement; permettez-moi toutefois de dire encore un mot sur l'unité. Pour la comprendre, une phrase peut se révéler utile même si, au premier abord, elle semble plutôt nous éloigner de celle-ci. A Nicodème qui, dans sa recherche de la vérité, vient une nuit poser des questions à Jésus, celui-ci répond: "L'Esprit souffle où il veut" (cf. Jn 3,8). Mais la volonté de l'Esprit n'est pas arbitraire. C'est la volonté de la vérité et du bien. C'est pourquoi il ne souffle pas n'importe où, se tournant une fois de ce côté-ci, et une autre de ce côté-là; son souffle ne nous disperse pas mais nous réunit, parce que la vérité unit et l'amour unit. L'Esprit Saint est l'Esprit de Jésus Christ, l'Esprit qui unit le Père avec le Fils dans l'Amour qui, dans l'unique Dieu, donne et accueille. Il nous unit à ce point que saint Paul a pu dire: "Vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus" (Ga 3,28). L'Esprit Saint, par son souffle, nous pousse vers le Christ. L'Esprit Saint oeuvre de façon corporelle; il n'oeuvre pas seulement subjectivement, "spirituellement". Aux disciples qui voyaient en lui simplement un "esprit", le Christ ressuscité dit: "C'est bien moi! touchez-moi et rendez-vous compte qu'un esprit - un fantôme - n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai" (cf. Lc 24,39). Cela vaut pour le Christ ressuscité à toutes les époques de l'histoire. Le Christ ressuscité n'est pas un fantôme, il n'est pas simplement un esprit, une pensée, une idée seulement. Il est demeuré l'Incarné - celui qui a assumé notre chair - et il continue toujours à édifier son Corps, il fait de nous son Corps. L'Esprit souffle où il veut, et sa sainteté est l'unité faite corps, l'unité qui rencontre le monde et le transforme.

Dans la Lettre aux Ephésiens, saint Paul nous dit que ce Corps du Christ qui est l'Eglise, possède des jointures (cf. Ep 4,16), il les nomme également: ce sont les apôtres, les prophètes, les évangélistes, les pasteurs et les docteurs (cf. Ep 4,11). L'Esprit dans ses dons prend de multiples formes - nous le voyons ici. Si nous regardons l'histoire, si nous regardons cette assemblée ici sur la Place Saint-Pierre - alors nous nous rendons compte qu'il suscite toujours de nouveaux dons, nous voyons combien il crée d'organes différents, et comment, de manière toujours nouvelle, il oeuvre corporellement. Mais en Lui la multiplicité et l'unité vont de pair. Il souffle où il veut. Il le fait de manière inattendue, dans des lieux inattendus et sous des formes qu'on ne peut jamais imaginer à l'avance. Et avec quelle multiplicité de forme et quelle corporéité il le fait! Et c'est précisément ici que la multiplicité des formes et l'unité sont inséparables entre elles. Il veut que vous preniez de multiples formes et il vous veut pour l'unique corps, dans l'union avec les ordres durables - les jointures - de l'Eglise, avec les successeurs des apôtres et avec le Successeur de saint Pierre. Il ne nous enlève pas la difficulté d'apprendre comment nous rapporter les uns aux autres; il nous démontre également qu'il oeuvre en vue de l'unique corps et dans l'unité de l'unique corps. C'est vraiment uniquement de cette manière que l'unité trouve sa force et sa beauté. Prendre part à l'édification de l'unique corps! Les pasteurs seront attentifs à ne pas éteindre l'Esprit (cf. 1Th 5,19) et vous, vous ne cesserez d'apporter vos dons à la communauté tout entière. Une fois de plus: l'Esprit Saint souffle où il veut. Mais sa volonté est l'unité. Il nous conduit vers le Christ, dans son Corps. "[du Christ] le Corps tout entier - nous dit saint Paul - reçoit concorde et cohésion par toutes sortes de jointures qui le nourrissent et l'actionnent selon le rôle de chaque partie, opérant ainsi sa croissance et se construisant lui-même, dans la charité" (Ep 4,16).

L'Esprit veut l'unité, il veut la totalité. C'est pourquoi sa présence se démontre aussi surtout dans l'élan missionnaire. Qui a rencontré quelque chose de vrai, de beau et de bon dans sa propre vie - le seul vrai trésor, la perle précieuse! -, court le partager partout, dans sa famille et au travail, dans tous les domaines de son existence. Il le fait sans aucune crainte, parce qu'il sait qu'il a été adopté comme un fils; sans aucune présomption, parce que tout est don; sans découragement, parce que l'Esprit de Dieu précède son action dans le "coeur" des hommes et il est comme une semence dans les cultures et les religions les plus diverses. Il le fait sans frontières, parce qu'il est porteur d'une bonne nouvelle qui est pour tous les hommes, pour tous les peuples. Chers amis, je vous demande d'être, plus encore, beaucoup plus, des collaborateurs dans le ministère apostolique universel du Pape, en ouvrant les portes au Christ. C'est le meilleur service que l'Eglise rend aux hommes et en particulier aux pauvres, afin que la vie de la personne, un ordre plus juste dans la société et la coexistence pacifique entre les nations trouvent dans le Christ la "pierre angulaire" sur laquelle construire l'authentique civilisation, la civilisation de l'amour. L'Esprit Saint donne aux croyants une vision supérieure du monde, de la vie, de l'histoire et il fait d'eux des gardiens de l'espérance qui ne déçoit pas.

Prions donc Dieu le Père, à travers notre Seigneur Jésus Christ, dans la grâce de l'Esprit Saint, afin que la célébration de la solennité de la Pentecôte soit comme un feu ardent et un vent impétueux pour la vie chrétienne et pour la mission de toute l'Eglise. Je dépose les intentions de vos Mouvements et Communautés dans le coeur de la Très Sainte Vierge Marie, présente au Cénacle avec les Apôtres; puisse-t-elle obtenir par la prière leur réalisation concrète. J'invoque sur vous tous l'effusion des dons de l'Esprit, afin qu'à notre époque également, l'on puisse faire l'expérience d'une Pentecôte renouvelée. Amen!



Benoît XVI Homélies 7506