Benoît XVI Homélies 40606

SOLENNITÉ DE PENTECÔTE - 4 juin 2006

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Place Saint-Pierre

Dimanche 4 juin 2006

Chers frères et soeurs!


Le jour de la Pentecôte, l'Esprit Saint descendit avec puissance sur les Apôtres; ainsi commença la mission de l'Eglise dans le monde. Jésus avait lui-même préparé les Onze à cette mission en leur apparaissant plusieurs fois après sa résurrection (cf.
Ac 1,3). Avant son ascension au Ciel, il leur donna l'ordre de "ne pas quitter Jérusalem, mais d'y attendre ce que le Père avait promis" (cf. Ac 1,4-5); il leur demanda en fait de demeurer ensemble pour se préparer à recevoir le don de l'Esprit Saint. Ils se réunirent en prière avec Marie au Cénacle, dans l'attente de l'événement promis (cf. Ac 1,14).

Demeurer ensemble fut la condition posée par Jésus pour accueillir le don de l'Esprit Saint; la condition nécessaire pour l'harmonie entre eux fut une prière prolongée. Une formidable leçon pour toute communauté chrétienne est présentée ici. On pense parfois que l'efficacité missionnaire dépend essentiellement d'une programmation attentive, suivie d'une mise en oeuvre intelligente à travers un engagement concret. Le Seigneur demande certes notre collaboration, mais avant toute réponse de notre part, son initiative est nécessaire: le vrai protagoniste de l'Eglise est son Esprit. Les racines de notre être et de notre action se trouvent dans le silence sage et prévoyant de Dieu.

Les images utilisées par saint Luc pour indiquer l'irruption de l'Esprit Saint - le vent et le feu - rappellent le Sinaï, où Dieu s'était révélé au peuple d'Israël et lui avait accordé son alliance (cf. Ex 19,3sq). La fête du Sinaï, qu'Israël célébrait cinquante jours après Pâques, était la fête du Pacte. En parlant de langues de feu (cf. Ac 2,3), saint Luc veut représenter la Pentecôte comme un nouveau Sinaï, comme la fête du nouveau Pacte, dans lequel l'Alliance avec Israël est étendue à tous les peuples de la Terre. L'Eglise est catholique et missionnaire depuis sa naissance. L'universalité du salut est démontrée de manière significative par la liste des nombreuses ethnies auxquelles appartiennent ceux qui écoutent la première annonce des Apôtres (cf. Ac 2,9-11).

Le Peuple de Dieu, configuré pour la première fois, au Sinaï, est aujourd'hui élargi au point de ne plus connaître aucune frontière de race, de culture, d'espace ou de temps. Contrairement à ce qui s'était produit avec la tour de Babel (cf. Gn 11,1-9), lorsque les hommes, désireux de construire de leurs mains un chemin vers le ciel, avaient fini par détruire leur capacité même de se comprendre les uns les autres, à la Pentecôte, l'Esprit, à travers le don des langues, montre que sa présence unit et transforme la confusion en communion. L'orgueil et l'égoïsme de l'homme créent toujours des divisions, dressent des murs d'indifférence, de haine et de violence. L'Esprit Saint, en revanche, rend les coeurs capables de comprendre les langues de tous, car il rétablit le pont de la communication authentique entre la Terre et le Ciel. L'Esprit Saint est Amour.

Mais comment entrer dans le mystère de l'Esprit Saint, comment comprendre le secret de l'Amour? La page de l'Evangile nous conduit aujourd'hui dans le Cénacle où, la dernière Cène étant terminée, un sentiment de désarroi rend les Apôtres tristes. La raison en est que les paroles de Jésus suscitaient en effet des interrogations inquiétantes: Il parle de la haine du monde envers Lui et envers les siens, il parle de son mystérieux départ, et de nombreuses choses restent encore à dire, mais pour le moment les Apôtres ne sont pas en mesure d'en porter le poids (cf. Jn 16,12). Pour les réconforter, il explique la signification de son départ: il partira, mais reviendra; en attendant, il ne les abandonnera pas, il ne les laissera pas orphelins. Il enverra le Consolateur, l'Esprit du Père, et ce sera l'Esprit qui fera savoir que une oeuvre du Christ est une oeuvre d'amour: amour de Celui qui s'est offert, amour du Père qui l'a donné.

Tel est le mystère de la Pentecôte: l'Esprit Saint éclaire l'esprit humain et, en révélant le Christ crucifié et ressuscité, il indique la voie pour devenir davantage semblables à Lui, c'est-à-dire être "expression et instrument de l'amour qui émane de Lui" (Deus caritas Est ). Recueillie avec Marie, comme lors de sa naissance, l'Eglise prie aujourd'hui: "Veni Sancte Spiritus! - Viens, Esprit Saint, remplis les coeurs de tes fidèles et embrase-les du feu de ton amour!". Amen.


MESSE ET PROCESSION EUCHARISTIQUE de CORPUS DOMINI - Jeudi 15 juin 2006

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Parvis de la Basilique Saint-Jean-de-Latran

Jeudi 15 juin 2006

Chers frères et soeurs,


La veille de sa Passion, au cours de la Cène pascale, le Seigneur prit le pain entre ses mains, - c'est ce que nous venons d'entendre dans l'Evangile - et, ayant prononcé la Bénédiction, le rompit et le leur donna, en disant: "Prenez, ceci est mon corps". Puis, prenant la coupe, il rendit grâces, la leur donna, et ils en burent tous. Et il dit: "Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui va être répandu pour une multitude" (
Mc 14,22-24). Toute l'histoire de Dieu avec les hommes est résumée dans ces paroles. Ce n'est pas seulement le passé qui est réuni et interprété, mais l'avenir également qui est anticipé - la venue du Royaume de Dieu dans le monde. Ce que dit Jésus, ce ne sont pas simplement des paroles. Ce qu'Il dit est un événement, l'événement central de l'histoire du monde et de notre vie personnelle.

Ces paroles sont inépuisables. En cette heure, je voudrais méditer avec vous uniquement un seul aspect. Jésus, comme signe de sa présence, a choisi le pain et le vin. A travers chacun de ces deux signes, il se donne entièrement, et non pas uniquement une partie de lui. Le Ressuscité n'est pas divisé. Il est une personne qui, à travers les signes, s'approche de nous et s'unit à nous. Mais les signes représentent, à leur façon, chacun un aspect particulier de Son mystère, et, à travers leur manifestation particulière, ils veulent nous parler, afin que nous apprenions à comprendre un peu plus le mystère de Jésus Christ. Au cours de la procession et dans l'adoration, nous regardons l'Hostie consacrée, - le type le plus simple de pain et de nourriture, composé uniquement d'un peu de farine et d'eau. Il apparaît ainsi comme la nourriture des pauvres, auxquels le Seigneur a accordé en premier lieu sa préférence. La prière à travers laquelle l'Eglise, au cours de la liturgie de la Messe, remet ce pain au Seigneur, le définit comme le fruit de la terre et du travail de l'homme. Celui-ci contient les peines de l'homme, le travail quotidien de ceux qui cultivent la terre, sèment et récoltent, et enfin, préparent le pain. Toutefois, le pain n'est pas seulement notre produit, quelque chose que nous fabriquons; c'est le fruit de la terre et donc également un don. Car le fait que la terre porte des fruits n'est pas seulement l'un de nos mérites; seul le Créateur pouvait lui conférer la fertilité. Et à présent, nous pouvons également étendre encore un peu cette prière de l'Eglise, en disant: le pain est fruit à la fois de la terre et du ciel. Il suppose la synergie des forces de la terre et des dons d'en haut, c'est-à-dire du soleil et de la pluie. Et l'eau aussi, dont nous avons besoin pour préparer le pain, nous ne pouvons pas la produire seuls. A une période où l'on parle de désertification et où nous entendons toujours plus de mises en garde contre le danger qu'hommes et bêtes meurent de soif dans les régions privées d'eau - en cette période, nous nous rendons à nouveau compte de la grandeur du don de l'eau également, et combien nous sommes incapables de nous la procurer seuls. Alors, en y regardant de plus près, ce petit morceau d'Hostie blanche, ce pain des pauvres, nous apparaît comme une synthèse de la création. Ciel et terre, mais également activité et esprit de l'homme coopèrent. La synergie des forces qui rend possible, sur notre pauvre planète, le mystère de la vie et l'existence de l'homme, nous est présentée dans toute sa merveilleuse grandeur. Ainsi, nous commençons à comprendre pourquoi le Seigneur choisit ce morceau de pain comme son signe. La création, avec tous ses dons, aspire, au-delà d'elle-même, à quelque chose d'encore plus grand. Au-delà de la synthèse de ses propres forces, au-delà de la synthèse de nature et d'esprit que nous sentons également d'une certaine façon dans le morceau de pain, la création est tendue vers la divinisation, vers les saintes noces, vers l'unification avec le Créateur lui-même.

Mais nous n'avons pas encore expliqué entièrement le message de ce signe du pain. Son mystère le plus profond, le Seigneur l'a évoqué au cours du Dimanche des Rameaux, lorsqu'on lui présenta la requête de certains Grecs de pouvoir le rencontrer. Dans sa réponse à cette question, se trouve la phrase: "En vérité, en vérité je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit" (Jn 12,24). Dans le pain fait de grains moulus, se cache le mystère de la Passion. La farine, le blé moulu, suppose que le grain est mort et ressuscité. En étant moulu et cuit, il porte ensuite en lui une fois de plus le mystère même de la Passion. Ce n'est qu'à travers la mort qu'arrive la résurrection, qu'arrivent le fruit et la vie nouvelle. Les cultures de la Méditerranée, au cours des siècles précédant le Christ, ont profondément perçu ce mystère. Sur la base de l'expérience de cette mort et de cette résurrection, elles ont conçu des mythes de divinité qui, en mourant et en ressuscitant, donnaient la vie nouvelle. Le cycle de la nature leur semblait comme une promesse divine au milieu des ténèbres de la souffrance et de la mort qui nous sont imposées. Dans ces mythes, l'âme des hommes, d'une certaine façon, se projetait vers le Dieu qui s'est fait homme, qui s'est humilié jusqu'à la mort sur une croix et qui a ouvert ainsi pour nous tous la porte de la vie. Dans le pain et dans son devenir, les hommes ont découvert comme une attente de la nature, comme une promesse de la nature que cela devait exister: le Dieu qui meurt et qui, de cette façon, nous conduit à la vie. Ce qui, dans les mythes, était une attente et qui, dans le grain de blé lui-même, est caché comme signe de l'espérance de la création - cela a réellement eu lieu dans le Christ. A travers sa souffrance et sa mort choisies, Il est devenu pain pour nous tous, et, à travers cela, une espérance vivante et digne de foi: Il nous accompagne dans toutes nos souffrances jusqu'à la mort. Les voies qu'il parcourt avec nous et à travers lesquelles il nous conduit à la vie sont des chemins d'espérance.

Lorsque nous contemplons en adoration l'Hostie consacrée, le signe de la création nous parle. Nous rencontrons alors la grandeur de son don; mais nous rencontrons également la Passion, la Croix de Jésus et sa résurrection. A travers ce regard en adoration, Il nous attire à lui, dans son mystère, au moyen duquel il veut nous transformer comme il a transformé l'Hostie.

L'Eglise des débuts a trouvé un autre symbole dans le pain. La Doctrine des Douze Apôtres, un livre composé aux environs de l'an 100, rapporte dans ses prières l'affirmation: "De même que ce pain que nous rompons, autrefois disséminé sur les collines, a été recueilli pour n'en faire plus qu'un, qu'ainsi ton Eglise soit rassemblée des extrémités de la terre dans ton Royaume!" (IX, 4). Le pain composé de nombreux grains renferme également un événement d'union: la transformation en pain des grains est un processus d'unification. Nous-mêmes, de nombreux que nous sommes, nous devons devenir un seul pain, un seul corps, nous dit saint Paul (1Co 10,17). Ainsi, le signe du pain devient à la fois espérance et devoir.

Le signe du vin nous parle également de façon très semblable. Mais tandis que le pain renvoie à l'aspect quotidien, à la simplicité et au pèlerinage, le vin exprime le caractère exquis de la création: la fête de joie que Dieu veut nous offrir à la fin des temps et que, déjà à présent, il anticipe toujours à nouveau en l'évoquant à travers ce signe. Mais le vin parle également de la Passion: la vigne doit être taillée continuellement pour être ainsi purifiée; le raisin doit mûrir sous le soleil et la pluie et doit être pressé: ce n'est qu'à travers cette passion que mûrit un vin précieux.

En la fête du Corpus Domini, nous regardons surtout le signe du pain. Celui-ci nous rappelle également le pèlerinage d'Israël au cours des quarante années passées dans le désert. L'Hostie est notre manne à travers laquelle le Seigneur nous nourrit - c'est véritablement le pain du ciel à travers lequel Il se donne lui-même. Au cours de la procession, nous suivons ce signe, et ainsi, nous le suivons Lui-même. Et nous le prions: Guide-nous sur les routes de notre histoire! Montre toujours à nouveau le droit chemin à l'Eglise et à ses Pasteurs! Regarde l'humanité qui souffre, qui erre dans l'incertitude parmi tant d'interrogations; vois la faim physique et psychologique qui la tourmente! Donne aux hommes du pain pour le corps et pour l'âme! Donne-leur du travail! Donne-leur la lumière! Donne-toi à eux! Purifie-nous et sanctifie-nous tous! Fais-nous comprendre que ce n'est qu'à travers la participation à ta Passion, à travers le "oui" à la croix, au renoncement, aux purifications que tu nous imposes, que notre vie peut mûrir et atteindre sa pleine réalisation. Rassemble-nous de toutes les extrémités de la terre. Unis ton Eglise, unis l'humanité déchirée! Donne-nous ton salut! Amen!


MESSE DE SAINTS PIERRE ET PAUL - Jeudi 29 juin 2006

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Autel de la Confession de la Basilique Saint-Pierre

Jeudi 29 juin 2006




"Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise" (
Mt 16,18). Que dit précisément le Seigneur à Pierre à travers ces paroles? Quelle promesse lui fait-il à travers elles et quel devoir lui confie-t-il? Et que nous dit-il à nous - à l'Evêque de Rome qui siège sur la Chaire de Pierre, et à l'Eglise d'aujourd'hui? Si nous voulons comprendre la signification des paroles de Jésus, il est utile de se rappeler que les Evangiles nous rapportent trois situations diverses dans lesquelles le Seigneur, chaque fois de façon particulière, transmet à Pierre le devoir qui sera le sien. Il s'agit toujours du même devoir, mais de la diversité des situations et des images utilisées, nous percevons plus clairement ce qui intéressait et interesse le Seigneur dans ce devoir.

Dans l'Evangile de saint Matthieu que nous venons d'écouter, Pierre rend sa confession à Jésus, le reconnaissant comme Messie et Fils de Dieu. Sur cette base lui est conféré son devoir particulier à travers trois images: celle du roc qui devient pierre de fondation ou pierre angulaire, celle des clés et celle de lier et de délier. Je n'entend pas ici interpréter une fois de plus ces trois images que l'Eglise, au cours des siècles, a expliquées toujours à nouveau; je voudrais plutôt rappeler l'attention sur le cadre géographique et sur le contexte chronologique de ces paroles. La promesse a lieu dans les environs des sources du Jourdain, à la frontière de la terre juive, à la limite du monde païen. Le moment de la promesse marque un tournant décisif sur le chemin de Jésus: à présent, le Seigneur marche vers Jérusalem et, pour la première fois, il dit aux disciples que ce chemin vers la Ville Sainte est le Chemin vers la Croix: "A dater de ce jour, Jésus commença de montrer à ses disciples qu'il lui fallait s'en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter" (Mt 16,21). Les deux choses vont de pair et déterminent le lieu intérieur du Primat, et même de l'Eglise en général: le Seigneur est continuellement en chemin vers la Croix, vers l'humiliation du serviteur de Dieu souffrant et tué, mais dans le même temps, il est toujours également en chemin vers la vaste étendue du monde, dans laquelle Il nous précède comme Ressuscité, afin que resplendissent dans le monde la lumière de sa parole et la présence de son amour; il est en chemin afin qu'à travers Lui, le Christ crucifié et ressuscité, Dieu lui-même arrive dans le monde. En ce sens, Pierre, dans sa Première Lettre, se qualifie de "témoin des souffrances du Christ et [devant] participer à la gloire qui va être révélée" (1P 5,1). Pour l'Eglise, le Vendredi Saint et la Pâque existent toujours ensemble; celle-ci représente toujours tant le grain de sénevé que l'arbre dans les branches duquel les oiseaux du ciel font leur nid.

L'Eglise - et en elle le Christ - souffre également aujourd'hui. En elle, le Christ est toujours à nouveau bafoué et frappé; on cherche toujours à nouveau à le pousser en dehors du monde. Et toujours à nouveau, la petite barque de Pierre est secouée par le vent des idéologies, dont les eaux la pénètrent et semblent la condamner à couler. Et pourtant, précisément dans l'Eglise souffrante, le Christ est victorieux. En dépit de tout, la foi en Lui reprend toujours à nouveau ses forces.

Aujourd'hui aussi, le Seigneur commande les eaux et se révèle Maître des éléments. Il demeure sur sa barque, sur le navire de l'Eglise. Ainsi, dans le ministère de Pierre également, se révèle, d'une part, la faiblesse qui est propre à l'homme, mais également la force de Dieu: c'est précisément dans la faiblesse des hommes que le Seigneur manifeste sa force; il démontre que c'est Lui-même qui construit, à travers les hommes faibles, son Eglise.

Tournons-nous à présent vers l'Evangile de saint Luc, qui nous raconte comment le Seigneur, au cours de la Dernière Cène, confère à nouveau un devoir spécial à Pierre (cf. Lc 22,31-33). Cette fois, les paroles de Jésus adressées à Simon se trouvent immédiatement après l'institution de la Très Sainte Eucharistie. Le Seigneur vient de se donner aux siens, sous les espèces du pain et du vin. Nous pouvons voir dans l'institution de l'Eucharistie le véritable acte fondateur de l'Eglise. A travers l'Eucharistie, le Seigneur donne aux siens non seulement lui-même, mais également la réalité d'une nouvelle communion entre eux qui se prolonge dans le temps "jusqu'à ce qu'il vienne" (cf. 1Co 11,26). A travers l'Eucharistie, les disciples deviennent sa maison vivante qui, tout au long de l'histoire, croît comme le temple nouveau et vivant de Dieu dans ce monde. Et ainsi, Jésus, immédiatement après l'institution du Sacrement, parle de ce que signifie, dans la nouvelle communauté, la condition de disciples et le "ministère": il dit qu'il s'agit d'un engagement de service, tout comme Lui-même se trouve au milieu d'eux comme Celui qui sert. Il s'adresse alors à Pierre. Il dit que Satan a demandé de pouvoir cribler les disciples comme le blé. Cela évoque le passage du Livre de Job, dans lequel Satan demande à Dieu la faculté de frapper Job. Le diable - le calomniateur de Dieu et des hommes - veut, à travers cela, prouver qu'il n'existe pas de véritable religiosité, mais que dans l'homme, tout vise toujours et seulement à l'utilité. Dans le cas de Job, Dieu accorde à Satan la liberté requise précisément pour pouvoir défendre par cela sa créature, l'homme, et lui-même. Et c'est ce qui a lieu également avec les disciples de Jésus - Dieu donne une certaine liberté à Satan en tout temps. Il nous semble souvent que Dieu laisse trop de liberté à Satan; qu'il lui accorde la faculté de nous secouer de façon trop terrible; et que cela dépasse nos forces et nous opprime trop. Nous crierons toujours à nouveau à Dieu: hélas, vois la misère de tes disciples, de grâce, protège-nous! En effet, Jésus poursuit: "Mais moi, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas" (Lc 22,32). La prière de Jésus est la limite placée au pouvoir du malin. La prière de Jésus est la protection de l'Eglise. Nous pouvons nous réfugier sous cette protection, nous y agripper et placer notre certitude en elle. Mais, comme nous le dit l'Evangile: - Jésus prie de façon particulière pour Pierre: "... afin que ta foi ne défaille pas". Cette prière de Jésus est à la fois une promesse et un devoir. La prière de Jésus protège la foi de Pierre; cette foi qu'il a confessée à Césarée de Philippe: "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant" (Mt 16,16). Voilà, ne laisse jamais cette foi devenir muette, affermis-la toujours à nouveau, précisément et même face à la croix et à toutes les contradictions du monde: tel est le devoir de Pierre. C'est pourquoi précisément le Seigneur ne prie pas seulement pour la foi personnelle de Pierre, mais pour sa foi comme service aux autres. C'est précisément cela qu'Il veut dire à travers les paroles: "Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères" (Lc 22,32).

"Toi donc, quand tu seras revenu" - cette parole est à la foi une prophétie et une promesse. Elle prophétise la faiblesse de Simon qui, devant une servante et un serviteur, niera connaître Jésus. A travers cette chute, Pierre - et avec lui chacun de ses successeurs - doit apprendre que sa propre force ne suffit pas à elle seule à édifier et à guider l'Eglise du Seigneur. Personne n'y réussit seul. Pour autant que Pierre semble capable et bon - dès le premier instant de l'épreuve, il échoue. "Toi donc, quand tu seras revenu" - le Seigneur, qui prédit sa chute, lui promet également la conversion: "Le Seigneur, se retournant, fixa son regard sur Pierre..." (Lc 22,61). Le regard de Jésus réalise la transformation et devient le salut de Pierre: Lui, "sortant dehors [...] pleura amèrement" (Lc 22,62). Nous voulons implorer toujours à nouveau ce regard sauveur de Jésus: pour tous ceux qui, dans l'Eglise, ont une respon-sabilité; pour tous ceux qui souffrent des confusions de notre temps; pour les grands et les petits: Seigneur, regarde-nous toujours à nouveau et relève-nous de toutes nos chutes et prends-nous entre tes mains bienveillantes.

Le Seigneur confie à Pierre le devoir à l'égard de ses frères à travers la promesse de sa prière. Le devoir de Pierre est ancré à la prière de Jésus. C'est ce qui lui donne la certitude de sa persévérance à travers toutes les misères humaines. Et le Seigneur lui confie cette fonction dans le contexte de la Cène, en relation avec le don de la Très Sainte Eucharistie. L'Eglise, fondée sur l'institution de l'Eucharistie, au plus profond d'elle-même, est une communauté eucharistique et ainsi, une communion dans le Corps du Seigneur. Le devoir de Pierre est de présider à cette communion universelle; de la maintenir présente dans le monde comme unité également visible, incarnée. Avec toute l'Eglise de Rome, il doit - comme le dit saint Ignace d'Antioche - présider à la charité: présider à la communauté de cet amour qui provient du Christ et dépasse toujours à nouveau les limites du privé pour apporter l'amour du Christ jusqu'aux extrémités de la terre.

La troisième référence au Primat se trouve dans l'Evangile de saint Jean (Jn 21,15-19). Le Seigneur est ressuscité, et, en tant que Ressuscité, confie à Pierre son troupeau. Ici aussi s'entremêlent la Croix et la Résurrection. Jésus prédit à Pierre que son chemin conduira à la Croix. Dans cette basilique, érigée sur la tombe de Pierre - une tombe de pauvres - nous voyons que le Seigneur, précisément ainsi, à travers la Croix, vainc toujours. Son pouvoir n'est pas un pouvoir selon les modalités de ce monde. C'est le pouvoir du bien - de la vérité et de l'amour, qui est plus fort que la mort. Oui, sa promesse est vraie: les pouvoirs de la mort, les portes de l'enfer ne tiendront pas contre l'Eglise qu'il a édifiée sur Pierre (cf. Mt 16,18) et que, précisément de cette façon, Il continue d'édifier personnellement.

En cette solennité des saints Apôtres Pierre et Paul, je m'adresse à vous de façon particulière, chers Archevêques métropolitains, venus de nombreux pays du monde pour recevoir le Pallium des mains du Successeur de Pierre. Je vous salue cordialement ainsi que tous ceux qui vous ont accompagnés. Je salue en outre avec une joie particulière la délégation du Patriarcat oecuménique, présidée par Son Eminence Johannis Zizioulias, Métropolite de Pergame, Président de la Commission mixte internationale pour le Dialogue théologique entre catholiques et orthodoxes. Je suis reconnaissant au Patriarche Bartholomaios I et au Saint-Synode pour ce signe de fraternité, qui manifeste le désir et l'engagement de progresser plus rapidement sur le chemin de la pleine unité que le Christ a invoquée pour tous ses disciples. Nous sentons que nous partageons l'ardent désir exprimé un jour par le Patriarche Athénagoras et par le Pape Paul VI: de boire ensemble à la même Coupe et de manger ensemble le pain qui est le Seigneur lui-même. En cette occasion, nous implorons à nouveau que ce don nous soit bientôt accordé. Et nous rendons grâce au Seigneur de nous trouver unis dans la confession que Pierre, à Césarée de Philippe, fit pour tous les disciples: "Tu est le Christ, le Fils du Dieu vivant". Nous voulons apporter ensemble cette confession dans le monde d'aujourd'hui. Que le Seigneur nous aide à être, précisément en cette heure de notre histoire, de véritables témoins de ses souffrances et qu'il nous fasse participer à la gloire qui doit se manifester (1P 5,1). Amen!


VOYAGE APOSTOLIQUE À VALENCE - MESSE de la V RENCONTRE MONDIALE DES FAMILLES - 9 juil. 06

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Cité des Arts et des Sciences

Dimanche 9 juillet 2006

Chers Frères et Soeurs,


Au cours de cette Messe que j’ai la grande joie de présider, concélébrant avec de nombreux Frères dans l’épiscopat et un grand nombre de prêtres, je rends grâce au Seigneur pour toutes les familles bien-aimées qui sont rassemblées ici, formant une foule joyeuse, et aussi pour tant d’autres familles qui, même dans des lieux éloignés, suivent cette célébration au moyen de la radio et de la télévision. À tous, je désire adresser mes salutations et exprimer ma profonde affection, avec un geste de paix.

Les témoignages d’Esther et de Paul, que nous avons écoutés dans les lectures, nous montrent que la famille est appelée à apporter sa contribution à la transmission de la foi. Esther confesse: «J’ai entendu répéter, dans la tribu de mes pères, que tu as choisi Israël de préférence à toutes les nations» (
Est 14,5). Paul suit la tradition des ses ancêtres juifs, rendant un culte à Dieu avec une conscience pure. Il loue la foi sincère de Timothée et lui rappelle cette foi: «C’était celle de Loïs, ta grand-mère, et d’Eunikè, ta mère, et je suis convaincu que c’est la même foi qui t’anime aussi» (2Tm 1,5). Dans ces témoignages bibliques, la famille ne comprend pas seulement les parents et leurs enfants, mais aussi les grands-parents et les ancêtres. La famille nous est ainsi présentée comme une communauté de générations et comme la garante d’un patrimoine de traditions.

Aucun homme ne s’est donné à lui-même son existence, ni n’a acquis par lui-même les connaissances élémentaires de la vie. Nous avons tous reçu des autres la vie et par-là même les vérités fondamentales, et nous sommes appelés à atteindre la perfection dans la relation et la communion amoureuse avec autrui. La famille, fondée sur le mariage indissoluble entre un homme et une femme, exprime cette dimension relationnelle, filiale et communautaire, et elle constitue le milieu dans lequel l’homme peut naître dans la dignité, grandir et se développer de manière intégrale.

Lorsqu’un enfant naît, à travers la relation avec ses parents, il commence à faire partie d’une tradition familiale, dont les racines sont encore plus anciennes. Avec le don de la vie, il reçoit tout un patrimoine d’expériences. À cet égard, les parents ont le droit et le devoir inaliénables de le transmettre à leurs enfants: les éduquer dans la découverte de leur identité, les initier à la vie sociale, à l’exercice responsable de leur liberté morale et de leur capacité d’aimer à travers l’expérience d’être aimés, et, par-dessus tout, à la rencontre avec Dieu. Les enfants grandissent et mûrissent humainement dans la mesure où ils accueillent avec confiance ce patrimoine et l’éducation qu’ils doivent assumer progressivement. De cette manière, ils sont capables d’élaborer une synthèse personnelle entre ce qu’ils ont reçu et la nouveauté, et ce que chacun personnellement et ce que chaque génération sont appelés à réaliser.

À l’origine de tout homme et, en même temps, de toute paternité et de toute maternité humaines, Dieu créateur est présent. C’est pourquoi les époux doivent accueillir l’enfant qui naît d’eux comme un fils non seulement d’eux, mais aussi de Dieu, qui l’aime pour lui-même et qui l’appelle à la filiation divine. Plus encore, toutes les générations, toute paternité et toute maternité, toute famille, trouvent leur origine en Dieu, qui est Père, Fils et Esprit Saint.

En plus de la mémoire de ses ancêtres et de son peuple, son père avait transmis à Esther la mémoire d’un Dieu de qui tous procèdent et à qui tous sont appelés à répondre. La mémoire de Dieu Père, qui a choisi son peuple et qui agit dans l’histoire pour notre salut. La mémoire de ce Père éclaire l’identité la plus profonde des hommes: d’où nous venons, qui nous sommes et quelle est la grandeur de notre dignité. Nous venons certainement de nos parents et nous sommes leurs enfants, mais nous venons aussi de Dieu, qui nous a créés à son image et qui nous a appelés à être ses fils. C’est pourquoi, à l’origine de tout être humain, il n’existe pas d’aléa ni de hasard, mais un projet de l’amour de Dieu. C’est ce que nous a révélé Jésus Christ, vrai Fils de Dieu et homme parfait. Il connaît de qui il vient et de qui nous venons tous: de l’amour de son Père et de notre Père.

La foi n’est donc pas un simple héritage culturel, mais une action continue de la grâce de Dieu qui appelle et de la liberté humaine qui peut adhérer ou ne pas adhérer à cet appel. Bien que personne ne puisse répondre pour quelqu’un d’autre, les parents chrétiens sont cependant appelés à donner un témoignage crédible de leur foi et de leur espérance chrétiennes. Ils doivent faire en sorte que l’appel de Dieu et la Bonne Nouvelle du Christ parviennent à leurs enfants avec la plus grande clarté et la plus grande authenticité.

Au cours des années, ce don de Dieu que les parents ont contribué à placer devant les yeux de leurs tout-petits nécessitera aussi d’être éduqué avec sagesse et douceur, faisant grandir en eux la capacité de discernement. Ainsi, grâce au témoignage constant de l’amour conjugal de leurs parents, vécu et imprégné de foi, et grâce à un accompagnement véritable de la communauté chrétienne, on favorisera le don de la foi chez les enfants eux-mêmes, qui découvriront avec elle le sens profond de leur existence et qui se sentiront joyeux et reconnaissants pour ce don.

La famille chrétienne transmet la foi lorsque les parents enseignent à leurs enfants à prier et qu’ils prient avec eux (cf. Familiaris consortio FC 60); lorsqu’ils les font s’approcher des sacrements et qu’ils les introduisent dans la vie de l’Église, lorsqu’ils se réunissent tous pour lire la Bible, plaçant la vie familiale à la lumière de la foi et louant Dieu comme un Père.

Dans la culture actuelle, on exacerbe souvent la liberté de l’individu conçu comme sujet autonome, comme s’il se faisait lui-même et qu’il se suffisait à lui-même, en marge de ses relations avec les autres et étranger à ses responsabilités envers autrui. On entend organiser la vie sociale seulement à partir de désirs subjectifs et changeants, sans aucune référence à une vérité objective préalable, tels que la dignité de tout être humain, ses droits et ses devoirs inaliénables, au service desquels doit se mettre tout groupe social.

L’Église ne cesse de rappeler que la véritable liberté de l’être humain vient du fait d’avoir été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. C’est pourquoi l’éducation chrétienne est une éducation de la liberté et pour la liberté. «Nous faisons le bien non comme des esclaves, qui ne sont pas libres de faire autrement, mais nous le faisons parce que nous portons personnellement la responsabilité pour le monde; parce que nous aimons la vérité et le bien; parce que nous aimons Dieu lui-même et donc ses créatures également. Telle est la liberté véritable, à laquelle l’Esprit Saint veut nous conduire» (Homélie de la veillée de Pentecôte, Osservatore Romano en langue française, n. 23, 6 juin 2006, p. 3).

Jésus Christ est l’homme parfait, l’exemple de la liberté filiale, qui nous enseigne à communiquer aux autres son propre amour: «Comme le Père m’a aimé, moi aussi, je vous ai aimés; demeurez dans mon amour» (Jn 15,9). À cet égard, le Concile Vatican II enseigne que, «en suivant la route qui leur est propre, les époux et les parents chrétiens, pour leur part, doivent se soutenir mutuellement dans la grâce, tout au long de leur vie, par un amour fidèle, et imprégner du sens des vérités chrétiennes et des vertus de l’Évangile les enfants qu’ils ont reçus de Dieu, avec amour. Ainsi, ils donnent à tous l’exemple d’un amour inlassable et généreux, ils construisent une fraternité de charité, ils sont les témoins et les coopérateurs de la fécondité de la Mère Église, en signe et en participation de l’amour dont le Christ a aimé son Épouse et s’est livré pour elle» (Lumen gentium LG 41).

La joie amoureuse avec laquelle nos parents nous accueillirent et nous ont accompagnés dans nos premiers pas dans le monde est comme un signe et le prolongement sacramentel de l’amour bienveillant de Dieu d’où nous venons. L’expérience d’avoir été accueillis et aimés par Dieu et par nos parents est le fondement sûr qui favorise toujours la croissance et le développement authentique de l’homme, qui nous aide grandement à mûrir sur notre chemin vers la vérité et l’amour, et à sortir de nous-mêmes pour entrer en communion avec les autres et avec Dieu.

Pour avancer sur ce chemin de maturation humaine, l’Église nous enseigne à respecter et à promouvoir la merveilleuse réalité du mariage indissoluble entre un homme et une femme, qui est aussi l’origine de la famille. C’est pourquoi, reconnaître et soutenir cette institution est un des services les plus importants que l’on puisse apporter aujourd’hui au bien commun et au véritable développement des hommes et des sociétés, de même que la plus grande garantie pour assurer la dignité, l’égalité et la véritable liberté de la personne humaine.

Dans ce sens, je veux rappeler l’importance et la valeur positive de ce que réalisent pour le mariage et la famille les associations familiales ecclésiales. C’est pourquoi, «je désire enfin inviter tous les chrétiens à collaborer, avec cordialité et courage, avec tous les hommes de bonne volonté qui exercent leurs responsabilités au service de la famille» (Familiaris consortio FC 86), pour que, unissant leurs forces et dans le pluralisme légitime des initiatives, elles contribuent à la promotion du véritable bien de la famille dans la société actuelle.

Revenons quelques instants à la première lecture de la Messe, tirée du livre d’Esther. L’église en prière a vu en cette humble reine, qui intercède avec tout son être pour son peuple qui souffre, une préfiguration de Marie, que son Fils nous a donné à tous comme Mère; une préfiguration de la Mère qui, par son amour, protège la famille de Dieu qui chemine en ce monde. Marie est l’image exemplaire de toutes les mères, de leur grande mission d’être les gardiennes de la vie, de leur mission d’enseigner l’art de la vie, l’art d’aimer.

La famille chrétienne – père, mère, enfants – est appelée aussi à accomplir les objectifs considérés non pas comme imposés de l’extérieur, mais comme un don de la grâce du sacrement de mariage fait aux époux. S’ils demeurent ouverts en permanence à l’Esprit et qu’ils demandent son aide, l’Esprit ne manquera pas de leur communiquer l’amour de Dieu Père, manifesté et incarné dans le Christ. La présence de l’Esprit aidera les époux à ne pas perdre de vue la source et la mesure de leur amour et de leur don mutuel, à collaborer avec l’Esprit pour le rendre présent et l’incarner dans toutes les dimensions de leur existence. L’Esprit suscitera alors en eux le désir de la rencontre définitive avec le Christ dans la maison de son Père et notre Père. Tel est le message d’espérance que, de Valence, je veux lancer à toutes les familles du monde. Amen.


Benoît XVI Homélies 40606