Benoît XVI Homélies 19106

VISITE PASTORALE À VÉRONE À L'OCCASION DU IV CONGRÈS NATIONAL DE L'ÉGLISE ITALIENNE - 19 oct 06

19106

Stade "Bentegodi"de Vérone (Italie)

Jeudi 19 octobre 2006

Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce!

Chers frères et soeurs!

Au cours de cette célébration eucharistique, nous vivons le moment central du IV Congrès eucharistique national de l'Eglise qui est en Italie, qui se rassemble aujourd'hui autour du Successeur de Pierre. Le coeur de tout événement ecclésial est l'Eucharistie, dans laquelle le Christ Seigneur nous convoque, nous parle, nous nourrit et nous envoie. Il est significatif que le lieu choisi pour cette liturgie solennelle soit le stade de Vérone: un espace où, habituellement, l'on ne célèbre pas des rites religieux, mais des manifestations sportives, auxquelles participent des milliers de passionnés. Aujourd'hui, cet espace accueille Jésus ressuscité, réellement présent dans sa Parole, dans l'assemblée du Peuple de Dieu avec ses pasteurs et, de manière éminente, dans le Sacrement de son Corps et de son Sang. Le Christ vient aujourd'hui, en ce moderne aréopage, pour répandre son Esprit sur l'Eglise qui est en Italie, afin que, ravivée par le souffle d'une nouvelle Pentecôte, elle sache "transmettre l'Evangile dans un monde qui change", comme le proposent les Orientations pastorales de la Conférence épiscopale italienne pour la décennie 2000-2010.

A vous, vénérés frères Evêques, à vos prêtres et à vos diacres, à vous, chers délégués des diocèses et des groupes de laïcs, à vous religieuses, religieux et laïcs engagés, j'adresse mon salut le plus cordial, que j'étends à ceux qui s'unissent à nous à travers la radio et la télévision. Je salue et j'embrasse spirituellement toute la Communauté ecclésiale italienne, Corps du Christ vivant. Je désire exprimer de manière particulière mon appréciation à ceux qui ont longtemps travaillé pour préparer et organiser ce Congrès: le Président de la Conférence épiscopale, le Cardinal Camillo Ruini, le Secrétaire général, Mgr Giuseppe Betori et les collaborateurs des différents bureaux; le Cardinal Dionigi Tettamanzi et les autres membres du Comité préparatoire; l'Evêque de Vérone, Mgr Flavio Roberto Carraro, à qui je suis reconnaissant des paroles courtoises qu'il m'a adressées au début de la célébration, également au nom de cette bien-aimée communauté de Vérone qui nous accueille. Une pensée respectueuse va également au Président du Conseil des Ministres et aux autres éminentes Autorités présentes; j'adresse enfin un remerciement cordial aux professionnels de la communication qui suivent les travaux de cette importante réunion de l'Eglise qui est en Italie.

Les lectures bibliques, qui viennent d'être proclamées, éclairent le thème du Congrès: "Témoins de Jésus ressuscité, espérance du monde". La Parole de Dieu met en évidence la résurrection du Christ, un événement qui a régénéré les croyants à une espérance vivante, comme l'exprime l'Apôtre Pierre au début de sa Première Lettre. Ce texte a constitué la ligne directrice de l'itinéraire de préparation à cette grande rencontre nationale. En tant que son successeur, je m'exclame moi aussi avec joie: "Béni soit Dieu, le Père de Jésus Christ notre Seigneur" (
1P 1,3), car à travers la résurrection de son Fils, il nous a régénérés et, dans la foi, il nous a donné une espérance invincible dans la vie éternelle, de sorte que nous vivons dans le présent toujours tendus vers l'objectif, qui est la rencontre finale avec notre Seigneur et Sauveur. Forts de cette espérance, nous n'avons pas peur des épreuves, qui, bien que douloureuses et difficiles, ne peuvent jamais entacher la joie profonde qui dérive du fait d'être aimé de Dieu. Dans sa miséricorde providentielle, il nous a donné son Fils et nous, sans le voir, nous croyons en Lui et nous L'aimons (cf. 1P 1,3-9). Son amour nous suffit.

De la force de cet amour, de la foi solide dans la résurrection de Jésus qui fonde l'espérance, naît et se renouvelle constamment notre témoignage chrétien. C'est là que s'enracine notre "Credo", le symbole de foi dans lequel la prédication des débuts a puisé et qui continue de manière inlassable à nourrir le Peuple de Dieu. Le contenu du "kerygma" de l'annonce, qui constitue la substance de tout le message évangélique, est le Christ, le Fils de Dieu fait Homme, mort et ressuscité pour nous. Sa résurrection est le mystère qui caractérise le christianisme, l'accomplissement surabondant de toutes les prophéties de salut, également de celle que nous avons écoutée dans la première Lecture, tirée de la partie finale du Livre du prophète Isaïe. Du Christ ressuscité, prémisses de l'humanité nouvelle, régénérée et régénératrice, est né en réalité, comme le prophète l'a prédit, le peuple des "pauvres" qui ont ouvert leur coeur à l'Evangile et sont devenus et deviennent toujours à nouveau des "chênes de justice", "des plantations de Yahvé pour se glorifier", des reconstructeurs de ruines, des restaurateurs de villes désolées, estimés de tous comme la race bénie du Seigneur (cf. Is 61,3-4 Is 61,9). Le mystère de la résurrection du Fils de Dieu, qui, monté au ciel à côté du Père, a répandu l'Esprit Saint sur nous, nous fait embrasser d'un seul regard le Christ et l'Eglise: le Ressuscité et les ressuscités, les Prémisses et la plantation de Dieu, la Pierre d'angle et les pierres vivantes, pour reprendre une autre image de la Première Lettre de Pierre (cf. 1P 2,4-8). Ce qui a eu lieu au début, avec la première communauté apostolique, doit avoir lieu également maintenant.

En effet, à partir du jour de la Pentecôte la lumière du Seigneur ressuscité a transfiguré la vie des Apôtres. Ceux-ci avaient désormais la claire perception de ne pas être simplement des disciples d'une doctrine nouvelle et intéressante, mais des témoins choisis et responsables d'une révélation à laquelle était lié le salut de leurs contemporains et de toutes les générations futures. La foi pascale remplissait leur coeur d'une ardeur et d'un zèle extraordinaires, qui les rendait prêts à affronter chaque difficulté et même la mort, et qui imprimait à leurs paroles une irrésistible énergie de persuasion. Ainsi, un groupe de personnes, dépourvues de ressources humaines et uniquement fortes de leur foi, affronta sans peur de dures persécutions et le martyre. L'Apôtre Jean écrit: "Et ce qui nous a fait vaincre le monde, c'est notre foi" (1Jn 5,4b). L'exactitude de cette affirmation est documentée également en Italie par presque deux millénaires d'histoire chrétienne, à travers d'innombrables témoignages de martyrs, de saints et de bienheureux, qui ont laissé des traces indélébiles en chaque lieu de la belle péninsule dans laquelle nous vivons. Certains d'entre eux ont été évoqués au début du Congrès et leurs figures en accompagnent les travaux.

Nous sommes aujourd'hui les héritiers de ces témoins victorieux! Mais c'est précisément de cette constatation que naît la question: qu'en est-il de notre foi? Dans quelle mesure savons-nous aujourd'hui la communiquer? La certitude que le Christ est ressuscité nous assure qu'aucune force adverse ne pourra jamais détruire l'Eglise. Nous sommes également animés par la conscience que seul le Christ peut pleinement satisfaire les attentes profondes de chaque coeur humain et répondre aux interrogations les plus inquiétantes sur la douleur, l'injustice et le mal, sur la mort et l'au-delà. Notre foi est donc fondée, mais il faut que cette foi devienne vie en chacun de nous. Un vaste effort capillaire à accomplir se présente alors, pour que chaque chrétien se transforme en "témoin" capable et prêt à assumer l'engagement de rendre compte à tous et toujours de l'espérance qui l'anime (cf. 1P 3,15). C'est pourquoi il faut recommencer à annoncer avec vigueur et joie l'événement de la mort et de la résurrection du Christ, coeur du christianisme, point d'appui de notre foi, puissant levier de nos certitudes, vent impétueux qui balaye toute peur et indécision, tout doute et calcul humain. Ce n'est que de Dieu que peut venir le changement décisif du monde. Ce n'est qu'à partir de la Résurrection que l'on comprend la véritable nature de l'Eglise et de son témoignage, qui n'est pas quelque chose de détaché du mystère pascal, mais bien son fruit, sa manifestation et sa réalisation de la part de ceux qui, recevant l'Esprit Saint, sont envoyés par le Christ pour poursuivre cette même mission (cf. Jn 2,21-23).

"Témoins de Jésus ressuscité": cette définition des chrétiens dérive directement du passage de l'Evangile de Luc aujourd'hui proclamé, mais également des Actes des Apôtres (cf. Ac 1,8 Ac 1,22). Témoins de Jésus ressuscité. Ce "de" doit être bien compris! Il signifie que le témoin est "de" Jésus ressuscité, c'est-à-dire qu'il Lui appartient, et, précisément en tant que tel, il peut lui rendre un témoignage valable, il peut parler de Lui, Le faire connaître, conduire à Lui, transmettre sa présence. C'est exactement le contraire de ce qui se produit pour l'autre expression: "espérance du monde". Ici, la préposition "de" n'indique pas du tout l'appartenance, car le Christ n'est pas du monde, de même que les chrétiens aussi ne doivent pas, non plus, être du monde. L'espérance, qui est le Christ, est dans le monde, est pour le monde, mais elle l'est précisément parce que le Christ est Dieu, est "le Saint" (en hébreu Qadosh). Le Christ est espérance pour le monde parce qu'il est ressuscité, et il est ressuscité parce qu'il est Dieu. Les chrétiens aussi peuvent apporter l'espérance au monde, car ils sont du Christ et de Dieu dans la mesure où ils meurent avec Lui au péché et renaissent avec Lui à la vie nouvelle de l'amour, du pardon, du service, de la non-violence. Comme le dit saint Augustin: "Tu as cru, tu as été baptisé: la vieille vie est morte, elle a été tuée sur la croix, ensevelie dans le baptême. La vieille vie a été ensevelie, cette vie dans laquelle tu as mal vécu: que la nouvelle vie renaisse" (Sermone Guelf. IX, in M. Pellegrino, Vox Patrum, 177). Ce n'est que si, comme le Christ, je ne suis pas du monde, que les chrétiens peuvent être espérance dans le monde et pour le monde.

Chers frères et soeurs, mon souhait, que vous partagez sûrement tous, est que l'Eglise en Italie puisse repartir de ce Congrès comme transportée par la parole du Seigneur ressuscité qui répète à tous et à chacun: soyez dans le monde d'aujourd'hui les témoins de ma passion et de ma résurrection (cf. Lc 24,48). Dans un monde qui change, l'Evangile ne change pas. La Bonne Nouvelle reste toujours la même: le Christ est mort et il est ressuscité pour notre salut! En son nom, apportez à tous l'annonce de la conversion et du pardon des péchés, mais soyez les premiers à donner le témoignage d'une vie convertie et pardonnée. Nous savons bien que cela n'est pas possible sans être "revêtus d'une force venue d'en-haut" (Lc 24,49), c'est-à-dire sans la force intérieure de l'Esprit du Ressuscité. Pour la recevoir, il ne faut pas, comme le dit Jésus à ses disciples, s'éloigner de Jérusalem, il faut rester dans la "ville" où s'est consommé le mystère du salut, l'Acte d'amour suprême de Dieu pour l'humanité. Il faut rester en prière avec Marie, la Mère que le Christ nous a donnée sur la Croix. Pour les chrétiens, citoyens du monde, rester à Jérusalem ne peut que signifier rester dans l'Eglise, la "ville de Dieu", où puiser dans les Sacrements l'"onction" de l'Esprit Saint. Au cours de ces journées du Congrès ecclésial national, l'Eglise qui est en Italie, obéissant au commandement du Seigneur ressuscité, s'est rassemblée, a revécu l'expérience originelle du Cénacle, pour recevoir à nouveau le don venu d'En-Haut. A présent, consacrés par son "onction", allez! Apportez la joyeuse annonce aux pauvres, pansez les plaies des coeurs meurtris, annoncez la libération des esclaves, la délivrance des prisonniers, proclamez l'année de grâce du Seigneur (cf. Is 61,1-2). Rebâtissez les ruines antiques, relevez les restes désolés, restaurez les villes en ruines (cf. Is 61,4). Nombreuses sont les situations difficiles qui attendent une intervention résolutive! Apportez dans le monde l'espérance de Dieu, qui est le Christ Seigneur, qui est ressuscité des morts, et qui vit et règne pour les siècles des siècles. Amen.


CHAPELLE PAPALE POUR LA SOLENNITÉ DE TOUS LES SAINTS

11106 Basilique Vaticane - Mercredi 1er novembre 2006



Chers frères et soeurs,

Notre célébration eucharistique s'est ouverte par l'exhortation "Réjouissons-nous tous dans le Seigneur". La liturgie nous invite à partager l'exultation céleste des saints, à en goûter la joie. Les saints ne constituent pas une caste restreinte d'élus, mais une foule innombrable, vers laquelle la liturgie nous invite aujourd'hui à élever le regard. Dans cette multitude, il n'y a pas seulement les saints officiellement reconnus, mais les baptisés de chaque époque et nation, qui se sont efforcés d'accomplir avec amour et fidélité la volonté divine. Nous ne connaissons pas le visage ni même le nom de la plupart d'entre eux, mais avec les yeux de la foi, nous les voyons resplendir, tels des astres emplis de gloire, dans le firmament de Dieu.

Aujourd'hui, l'Eglise fête sa dignité de "mère des saints, image de la cité céleste" (A. Manzoni), et manifeste sa beauté d'épouse immaculée du Christ, source et modèle de toute sainteté. Elle ne manque certes pas de fils contestataires et rebelles, mais c'est dans les saints qu'elle reconnaît ses traits caractéristiques, et c'est précisément en eux qu'elle goûte sa joie la plus profonde. Dans la première Lecture, l'auteur du Livre de l'Apocalypse les décrit comme "une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toute nation, race, peuple et langue" (
Ap 7,9). Ce peuple comprend les saints de l'Ancien Testament, à partir d'Abel le juste et du fidèle Patriarche Abraham, ceux du Nouveau Testament, les nombreux martyrs du début du christianisme, les bienheureux et saints des siècles successifs, jusqu'aux témoins du Christ de notre époque. Il sont tous unis par la volonté d'incarner l'Evangile dans leur existence, sous l'impulsion de l'éternel animateur du Peuple de Dieu qu'est l'Esprit Saint.

Mais "à quoi sert notre louange aux saints, à quoi sert notre tribut de gloire, à quoi sert cette solennité elle-même?". C'est par cette question que commence une célèbre homélie de saint Bernard pour le jour de la Toussaint. C'est une question que nous pourrions nous poser également aujourd'hui. Et la réponse que le saint nous donne est tout aussi actuelle: "Nos saints - dit-il - n'ont pas besoin de nos honneurs et et ils ne reçoivent rien de notre culte. Pour ma part, je dois confesser que, lorsque je pense aux saints, je sens brûler en moi de grands désirs" (Disc. 2; Opera Omnia Cisterc. 5, 364sqq). Telle est donc la signification de la solennité d'aujourd'hui: en regardant l'exemple lumineux des saints, réveiller en nous le grand désir d'être comme les saints: heureux de vivre proches de Dieu, dans sa lumière, dans la grande famille des amis de Dieu. Etre saint signifie: vivre dans la proximité de Dieu, vivre dans sa famille. Et telle est notre vocation à tous, répétée avec vigueur par le Concile Vatican II, et reproposée aujourd'hui de façon solennelle à notre attention.

Mais comment pouvons-nous devenir saints, amis de Dieu? On peut répondre à cette interrogation tout d'abord par une négation: pour être saint, il n'est pas nécessaire d'accomplir des actions et des oeuvres extraordinaires, ni de posséder des charismes exceptionnels. On peut ensuite répondre par une affirmation: il est nécessaire avant tout d'écouter Jésus, et de le suivre sans se décourager face aux difficultés. "Si quelqu'un me sert - nous avertit-Il - qu'il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera" (Jn 12,26). Celui qui a confiance en Lui et l'aime d'un amour sincère, comme le grain de blé tombé en terre, accepte de mourir à lui-même. En effet, il sait que celui qui veut garder sa vie pour lui-même la perd, et que celui qui se donne, se perd, et trouve précisément ainsi la vie. (cf. Jn 12,24-25). L'expérience de l'Eglise démontre que toute forme de sainteté, tout en suivant des parcours différents, passe toujours par le chemin de la croix, le chemin du renoncement à soi-même. Les biographies des saints décrivent des hommes et des femmes qui, dociles aux desseins divins, ont parfois affronté des épreuves et des souffrances indescriptibles, des persécutions et le martyre. Ils ont persévéré dans leur engagement, "ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve - lit-on dans l'Apocalypse - ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau" (v. Ap 7,14). Leurs noms sont inscrits dans le livre de la vie (cf. Ap 20,12); leur demeure éternelle est le Paradis. L'exemple des saints est pour nous un encouragement à suivre les mêmes pas, à ressentir la joie de celui qui a confiance en Dieu, car l'unique cause véritable de tristesse et de malheur pour l'être humain est de vivre loin de Lui.

La sainteté exige un effort constant, mais elle est à la portée de tous car, plus que l'oeuvre de l'homme, elle est avant tout un don de Dieu, trois fois Saint (cf. Is 6,3). Dans la seconde Lecture, l'Apôtre Jean observe: "Voyez quelle manifestation d'amour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes!" (1Jn 3,1). C'est donc Dieu qui nous a aimés en premier et qui, en Jésus, a fait de nous ses fils adoptifs. Dans notre vie, tout est don de son amour: comment demeurer indifférents face à un si grand mystère? Comment ne pas répondre à l'amour du Père céleste par une vie de fils reconnaissants? Dans le Christ, il nous a fait don de tout son être, et nous appelle à une relation personnelle et profonde avec Lui. C'est pourquoi, plus nous imitons Jésus et demeurons unis à Lui, plus nous entrons dans le mystère de la sainteté divine. Nous découvrons qu'Il nous aime de façon infinie, et cela nous pousse à notre tour à aimer nos frères. Aimer implique toujours un acte de renoncement à soi-même, de "se perdre soi-même" et, précisément ainsi, cela nous rend heureux.

Ainsi, nous sommes arrivés à l'Evangile de cette fête, à l'annonce des Béatitudes que nous venons d'entendre retentir dans cette Basilique. Jésus dit: Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, heureux les doux, heureux les affligés, heureux les affamés et les assoiffés de justice, les miséricordieux, heureux les coeurs purs, les artisans de paix, les persécutés pour la justice (cf. Mt 5,3-10). En vérité, le bienheureux par excellence est uniquement Lui, Jésus. En effet, c'est Lui qui a véritablement une âme de pauvre, l'affligé, le doux, l'affamé et assoiffé de la justice, le miséricordieux, le coeur pur, l'artisan de paix; c'est Lui le persécuté pour la justice. Les Béatitudes nous montrent la physionomie spirituelle de Jésus, et expriment ainsi son mystère, le mystère de Mort et de Résurrection, de Passion, et de joie de la Résurrection. Ce mystère, qui est le mystère de la véritable Béatitude, nous invite à suivre Jésus et, ainsi, à nous acheminer vers elle. Dans la mesure où nous accueillons sa proposition et nous nous plaçons à sa suite - chacun selon ses conditions -, nous aussi, nous pouvons participer à sa béatitude. Avec Lui, l'impossible devient possible et même un chameau peut passer par le trou d'une aiguille (cf. Mc 10,25); avec son aide, et uniquement avec son aide, il est possible de devenir parfaits comme le Père céleste est parfait (cf. Mt 5,48).

Chers frères et soeurs, entrons à présent dans le coeur de la Célébration eucharistique, encouragement et aliment de sainteté. Dans quelques instants deviendra présent de la façon la plus élevée le Christ, véritable Vigne, à laquelle, en tant que sarments, sont unis les fidèles qui sont sur terre et les saints du ciel. Ainsi se renforcera la communion de l'Eglise en pèlerinage dans le monde avec l'Eglise triomphante dans la gloire. Dans la Préface, nous proclamerons que les saints sont pour nous des amis et des modèles de vie. Invoquons-les afin qu'ils nous aident à les imiter et engageons-nous à répondre avec générosité, comme ils l'ont fait, à l'appel divin. Invoquons en particulier Marie, Mère du Seigneur et miroir de toute sainteté. Qu'Elle, la Toute Sainte, fasse de nous de fidèles disciples de son fils Jésus Christ! Amen.


CHAPELLE PAPALE EN SUFFRAGE DES CARDINAUX ET DES ÉVÊQUES DÉFUNTS AU COURS DE L’ANNÉE - Samedi 4 novembre 2006

41106
Basilique Vaticane - Samedi 4 novembre 2006

Messieurs les Cardinaux,

Vénérés frères dans l'épiscopat,
Chers frères et soeurs!

Ces derniers jours, la solennité de la Toussaint et la Commémoration de tous les fidèles défunts nous ont aidés à méditer sur la destination finale de notre pèlerinage terrestre. Dans ce climat spirituel, nous nous retrouvons aujourd'hui autour de l'autel du Seigneur pour célébrer la Messe d'intention pour les Cardinaux et les Evêques que Dieu a appelés à lui au cours de l'année écoulée. Nous revoyons leurs visages qui nous sont familiers, tout en entendant à nouveau les noms des regrettés Cardinaux, qui, au cours des douze derniers mois, nous ont quittés: Leo Scheffczyk, Pio Taofinu'u, Raùl Francisco Primatesta, Angel Suquía Goicoechea, Johannes Willebrands, Louis-Albert Vachon, Dino Monduzzi et Mario Francesco Pompedda. J'aimerais aussi citer chacun des Archevêques et des Evêques, mais la certitude réconfortante, comme le dit un jour Jésus aux Apôtres, que leurs noms "sont inscrits dans les cieux" (
Lc 10,20), nous suffit.

Rappeler les noms de nos frères dans la foi nous renvoie au sacrement du Baptême, qui a marqué pour chacun d'eux, comme pour chaque chrétien, l'entrée dans la communauté des saints. Au terme de la vie, la mort nous prive de tout ce qui est terrestre, mais non de cette Grâce et de ce "caractère" sacramentel en vertu desquels nous avons été associés indissolublement au mystère pascal de notre Seigneur et Sauveur. Dépossédé de tout, mais revêtu du Christ: c'est ainsi que le baptisé passe le seuil de la mort et se présente devant Dieu juste et miséricordieux. Afin que le vêtement blanc, reçu lors du Baptême, soit purifié de tout péché et de toute tache, la communauté des croyants offre le sacrifice eucharistique et d'autres prières d'intention pour ceux que la mort a appelés à passer du temps à l'éternité. Il s'agit d'une noble pratique, que celle de prier pour les défunts, qui présuppose la foi dans la résurrection des morts, selon ce que l'Ecriture Sainte et, de façon parfaite, l'Evangile, nous ont révélé.

Nous venons d'entendre le récit de la vision des ossements desséchés du prophète Ezéchiel (Ez 37,1-14). C'est sans aucun doute l'une des pages bibliques les plus significatives et impressionnantes, qui se prête à une double lecture. Sur le plan historique, il répond au besoin d'espérance des Hébreux déportés à Babylone, découragés et affligés d'avoir dû enterrer leurs proches en terre étrangère. Par la bouche du prophète, le Seigneur leur annonce qu'il les fera sortir de ce cauchemar et les fera rentrer dans le pays d'Israël. L'image très suggestive des ossements qui se réaniment et se mettent en mouvement représente donc ce peuple qui reprend vigueur dans l'espérance pour rentrer dans sa patrie.

Mais le long et complexe oracle d'Ezéchiel, qui exalte la puissance de la Parole de Dieu face à laquelle rien n'est impossible, marque dans le même temps un pas en avant décisif vers la foi dans la résurrection des morts. Cette foi trouvera son accomplissement dans le Nouveau Testament. A la lumière du mystère pascal du Christ, la vision des ossements desséchés revêt la valeur d'une parabole universelle sur le genre humain, en pèlerinage dans l'exil terrestre et soumis au joug de la mort. La Parole divine, incarnée en Jésus, vient habiter dans le monde qui, sous de nombreux points de vue, est une vallée désolée; il devient pleinement solidaire avec tous les hommes et il leur apporte l'annonce joyeuse de la vie éternelle. Cette annonce d'espérance est proclamée jusque dans les profondeurs d'outre-tombe, alors qu'est définitivement ouverte la route qui conduit à la Terre promise.

Dans le passage évangélique, nous avons à nouveau entendu les premiers versets de la grande prière de Jésus rapportée dans le chapitre 17 de saint Jean. Les paroles chaleureuses du Seigneur montrent que la fin dernière de toute l'"oeuvre" du Fils de Dieu incarné consiste à offrir aux hommes la vie éternelle (cf. Jn 17,2). Jésus dit également en quoi consiste la vie éternelle: "C'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ" (Jn 17,3). Dans cette expression, on entend résonner la voix en prière de la communauté ecclésiale, consciente que la révélation du "nom" de Dieu, reçue du Seigneur, équivaut au don de la vie éternelle. Connaître Jésus signifie connaître le Père et connaître le Père veut dire entrer en communion réelle avec l'Origine même de la Vie, de la Lumière, de l'Amour.

Chers frères et soeurs, aujourd'hui, nous rendons grâce de manière particulière à Dieu pour avoir fait connaître son nom à ces Cardinaux et Evêques qui nous ont quittés. Ils appartiennent au nombre de ces hommes que le Père - selon l'expression de l'Evangile de Jean - a confiés au Fils "du monde" (cf. Jn 17,6). A chacun d'eux, le Christ "a donné les paroles" du Père et "ils ont cru", ils ont placé leur confiance dans le Père et le Fils (cf. Jn 17,8). Pour eux, Il a prié (Jn 17,9), en les confiant au Père (Jn 17,15 Jn 17,17 Jn 17,20-21) et en disant en particulier: "Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire" (Jn 17,24). Nous voulons aujourd'hui unir notre prière d'intention à cette prière du Seigneur, qui est sacerdotale par excellence. Le Christ a rendu concrète son invocation au Père à travers l'oblation de lui-même sur la Croix; quant à nous, nous offrons notre prière en union avec le Sacrifice eucharistique, qui est la représentation réelle et actuelle de cette oblation salvifique unique.

Chers frères et soeurs, c'est dans cette foi qu'ont vécu les vénérés Cardinaux et Evêques défunts que nous rappelons ce matin. Chacun d'eux a été appelé dans l'Eglise à ressentir comme siennes et à tenter de mettre en pratique les paroles de l'Apôtre Paul: "Pour moi, la vie c'est le Christ" (Ph 1,21), proclamées il y a quelques instants dans la seconde lecture. Cette vocation, reçue dans le Baptême, s'est renforcée en eux à travers le sacrement de la Confirmation et à travers les trois grades de l'Ordre sacré, et elle s'est constamment nourrie dans la participation à l'Eucharistie. A travers cet itinéraire sacramentel, leur "être dans le Christ" s'est constamment consolidé et approfondi, si bien que mourir n'est plus une perte - étant donné qu'ils avaient déjà tout "perdu" de manière évangélique pour le Seigneur et pour l'Evangile (cf. Mc 8,35) - mais un "gain": celui de rencontrer enfin Jésus, et avec Lui, la plénitude de la vie. Nous demandons au Seigneur qu'il concède à nos chers frères Cardinaux et Evêques défunts d'atteindre la destination tant désirée. Nous le demandons en nous appuyant sur l'intercession de la Très Sainte Vierge Marie et sur les prières des si nombreuses personnes qui les ont connus lorsqu'ils étaient en vie et ont apprécié leurs vertus chrétiennes. Nous recueillons toutes les actions de grâce et les prières dans cette Eucharistie, au bénéfice de leurs âmes et de celles de tous les défunts, que nous recommandons à la miséricorde divine. Amen.



MESSE AVEC LES ÉVÊQUES DE SUISSES Chapelle Redemptoris Mater - Mardi 7 novembre 2006

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Chers confrères,

Les textes que nous venons d'écouter - la Lecture, le Psaume responsorial et l'Evangile - ont un thème commun qui pourrait être résumé dans cette phrase: Dieu n'échoue pas. Ou, plus exactement: initialement, Dieu échoue toujours, il laisse exister la liberté de l'homme et celle-ci dit toujours "non". Mais l'imagination de Dieu, la force créatrice de son amour est plus grande que le "non" humain. A travers tout "non" humain, est donnée une nouvelle dimension de son amour, et Il trouve une voie nouvelle, plus grande, pour réaliser son oui à l'homme, à son histoire et à la création. Dans le grand hymne au Christ de la Lettre aux Philippiens par laquelle nous avons commencé, nous entendons avant tout une allusion à l'histoire d'Adam, qui n'était pas satisfait de l'amitié avec Dieu; c'était trop peu pour lui, car lui-même voulait être un dieu. Il considéra l'amitié comme une dépendance et se crut un dieu, comme s'il pouvait exister uniquement par lui-même. C'est pourquoi il dit "non" pour devenir lui-même un dieu, et, précisément de cette façon, se jeta lui-même de toute sa hauteur. Dieu "échoue" en Adam - et il en est ainsi apparemment au cours de toute l'histoire. Mais Dieu n'échoue pas, car à présent il devient lui-même homme et recommence ainsi une nouvelle humanité; il enracine la condition de Dieu dans la condition d'homme et descend dans les abîmes les plus profonds de la condition d'homme; il s'abaisse jusqu'à la croix. Il vainc l'orgueil par l'humilité et par l'obéissance de la croix.

Et ainsi advient ce qu'Isaïe, chap. 45, avait prédit. Du temps où Israël était en exil, et avait disparu des cartes géographiques, le prophète avait prédit que le monde entier - "tout genou" - fléchirait devant ce Dieu impuissant. Et la Lettre aux Philippiens le confirme: à présent, cela a eu lieu. Au moyen de la croix du Christ, Dieu s'est approché des hommes, il est sorti d'Israël et il est devenu le Dieu du monde. Et à présent, l'univers s'agenouille devant Jésus Christ, ce que nous aussi nous pouvons constater aujourd'hui de façon merveilleuse: sur tous les continents, jusque dans les plus humbles cabanes, le Crucifié est présent. Le Dieu qui avait "échoué", à présent, à travers son amour, conduit véritablement l'homme à s'agenouiller, et ainsi, vainc le monde par son amour.

Nous avons chanté comme Psaume responsorial la seconde partie du Psaume de la passion 21/22. C'est le Psaume du juste qui souffre, et avant tout d'Israël qui souffre et qui, face au Dieu muet qui l'a abandonné, s'écrie: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? Comment as-tu pu m'oublier? A présent, je ne suis presque plus rien. Tu ne fais plus rien, tu ne dis plus rien... Pourquoi m'as-tu abandonné?". Jésus s'identifie avec Israël qui souffre, avec les justes de tout temps qui souffrent, abandonnés par Dieu, et porte le cri de l'abandon de Dieu, la souffrance d'être oublié l'élève jusqu'au coeur de Dieu lui-même et transforme ainsi le monde. La seconde partie du Psaume, celle que nous avons récitée, nous dit ce qui en découle: les pauvres mangeront et seront rassasiés. C'est l'Eucharistie universelle qui provient de la croix. A présent, Dieu rassasie les hommes dans le monde entier, les pauvres qui ont besoin de lui. Il les rassasie selon leurs besoins: il donne Dieu, il se donne lui-même. Puis le Psaume dit: "Tous les lointains de la terre se souviendront et reviendront vers Yahvé". C'est de la croix que naît l'Eglise universelle. Dieu va au-delà des juifs et embrasse le monde entier pour l'unir au banquet des pauvres.

Et, enfin, le message de l'Evangile. A nouveau l'échec de Dieu. Ceux qui ont été invités en premier se dérobent, ne viennent pas. La salle de Dieu reste vide, le banquet semble avoir été préparé en vain. C'est ce dont Jésus fait l'expérience dans la phase finale de son activité: les groupes officiels, faisant autorité, disent "non" à l'invitation de Dieu, qui est Lui-même. Ils ne viennent pas. Son message, son appel finit dans le "non" des hommes. Mais ici non plus: Dieu n'échoue pas. La salle vide devient une occasion d'appeler un plus grand nombre de personnes. L'amour de Dieu, l'invitation de Dieu s'élargit - Luc nous raconte cela en deux étapes: d'abord, l'invitation est adressée aux pauvres, aux personnes abandonnées, à ceux qui ne sont invités par personne dans la ville. De cette façon, Dieu fait ce que nous avons entendu dans l'Evangile d'hier. (L'Evangile d'aujourd'hui fait partie d'un petit symposium dans le cadre d'un dîner chez un Pharisien. Nous trouvons quatre textes: d'abord la guérison de l'hydropique, puis la parabole sur la dernière place, puis l'enseignement de ne pas inviter les amis qui pourraient rendre la pareille, mais ceux qui ont véritablement faim, et qui ne peuvent pas rendre l'invitation, et enfin suit notre récit). Dieu fait à présent ce qu'il a dit au Pharisien: Il invite ceux qui ne possèdent rien, qui ont vraiment faim, qui ne peuvent pas l'inviter, qui ne peuvent rien lui donner. Puis a lieu la deuxième étape: Il sort de la ville, sur les routes de campagne; il invite les sans-abris. Nous pouvons supposer que Luc a compris ces deux étapes dans le sens où les premiers à arriver dans la salle sont les pauvres d'Israël et après - étant donné qu'ils ne sont pas assez nombreux, car le domaine de Dieu est plus grand - l'invitation s'étend au-delà de la Ville Sainte vers les autres nations. Ceux qui n'appartiennent pas du tout à Dieu, qui sont au-dehors, sont à présent invités pour remplir la salle. Et Luc, qui nous a transmis cet Evangile a certainement vu en cela la représentation anticipée de façon imagée des événements qu'il rapporte ensuite dans les Actes des Apôtres, où c'est précisément ce qui a lieu: Paul commence toujours sa mission dans la synagogue, par ceux qui ont été invités en premier, et ce n'est que lorsque les personnes faisant autorité se sont dérobées et que n'est resté qu'un petit groupe de pauvres qu'il sort et va vers les païens. Ainsi, l'Evangile, à travers ce parcours de crucifixion toujours nouveau, devient universel, englobe tout, et arrive finalement à Rome. A Rome, Paul appelle les chefs de la synagogue, leur annonce le mystère de Jésus Christ, le royaume de Dieu dans Sa personne. Mais les notables se dérobent, et il prend congé d'eux par ces paroles: étant donné que vous n'écoutez pas, ce message est annoncé aux païens, et eux l'écouteront. C'est par cette certitude que se conclut le message de l'échec: eux écouteront; l'Eglise des païens se formera. Et elle s'est formée et continue de se former. Au cours des visites ad limina, j'entends parler de nombreuses choses graves et difficiles, mais toujours - précisément du tiers-monde -, j'entends également cela: que les hommes écoutent, qu'ils viennent, qu'aujourd'hui aussi, le message arrive sur les routes jusqu'aux confins de la terre et que les hommes se pressent dans la salle de Dieu, à son banquet.

Nous devrions donc nous demander: Que signifie tout cela pour nous? Cela signifie avant tout une certitude: Dieu n'échoue pas. Il "échoue" continuellement, mais précisément pour cela, il n'échoue pas, car il en tire de nouvelles opportunités de miséricorde plus grande, et son imagination est inépuisable. Il n'échoue pas car il trouve toujours de nouveaux moyens d'atteindre les hommes et d'ouvrir davantage sa grande maison, afin qu'elle se remplisse complètement. Il n'échoue pas car il ne se soustrait pas à la perspective de solliciter les hommes afin qu'ils viennent s'asseoir à sa table, à prendre la nourriture des pauvres, dans laquelle est offert le don précieux, Dieu lui-même. Dieu n'échoue pas, pas même aujourd'hui. Même si nous entendons de nombreux "non", nous pouvons en être certains. De toute cette histoire de Dieu, à partir d'Adam, nous pouvons conclure: Il n'échoue pas. Aujourd'hui aussi, il trouvera de nouvelles voies pour appeler les hommes et il veut que nous soyons à ses côtés comme ses messagers et ses serviteurs.

Précisément à notre époque, nous connaissons très bien le "non" prononcé par ceux qui ont été invités en premier. En effet, les chrétiens d'Occident, c'est-à-dire les nouveaux "premiers invités", se dérobent aujourd'hui en grand nombre, ils n'ont pas le temps d'aller vers le Seigneur. Nous connaissons bien les Eglises qui se vident toujours plus, les séminaires qui continuent de se vider, les maisons religieuses qui se vident toujours plus; nous connaissons toutes les formes sous lesquelles se présente ce "non, j'ai d'autres choses importantes à faire". Et cela nous fait peur et nous bouleverse d'être témoins de ces invités qui s'excusent et se dérobent, et qui en réalité, devraient comprendre la grandeur de l'invitation et devraient se presser dans cette direction. Mais que devons-nous faire?

Nous devons avant tout nous poser une question: pourquoi cela a-t-il précisément lieu? Dans sa parabole, le Seigneur cite deux raisons: la possession et les relations humaines, qui absorbent tellement les personnes qu'elles considèrent qu'elles n'ont plus besoin de rien d'autre pour remplir totalement leur temps et donc leur existence intérieure. Saint Grégoire le Grand, dans sa présentation de ce texte, a tenté d'aller plus loin et s'est demandé: mais comment est-il possible qu'un homme dise "non" à ce qu'il y a de plus grand; qu'il n'ait pas de temps pour ce qui est plus important, qui contient en soi sa propre existence? Et il répond: En réalité, les hommes n'ont jamais fait l'expérience de Dieu; ils n'ont jamais "goûté" à Dieu, ils n'ont jamais ressenti combien il est délicieux d'être "touché" par Dieu! Il leur manque ce "contact" et, à travers cela, le "goût de Dieu". Ce n'est que si, pour ainsi dire, nous le goûtons que nous venons alors au banquet. Saint Grégoire cite le Psaume, dont est tirée l'Antienne de la communion d'aujourd'hui: goûtez et dégustez, et voyez; goûtez, et alors, vous verrez et vous serez illuminés! Notre devoir est d'aider les personnes à pouvoir goûter, afin qu'elles puissent sentir à nouveau le goût de Dieu. Dans une autre homélie, saint Grégoire le Grand a approfondi plus encore la même question, et s'est demandé: Comment se fait-il que l'homme ne veuille pas même "goûter" Dieu? Et il répond: lorsque l'homme est occupé entièrement par son monde, par les choses matérielles, par ce qu'il peut faire, par tout ce qu'il peut réaliser pour connaître le succès, par tout ce qu'il peut produire ou comprendre, alors, sa capacité de perception à l'égard de Dieu s'affaiblit, l'organe qui perçoit Dieu dépérit, devient incapable de percevoir et insensible. Il ne perçoit plus le Divin, car l'organe correspondant en lui s'est desséché, il ne n'est plus développé. Lorsqu'il utilise trop les autres organes, ceux empiriques, alors, il peut advenir que précisément le sens de Dieu s'affaiblisse; que cet organe meure; et que l'homme, comme le dit saint Grégoire, ne perçoive plus le regard de Dieu, le fait d'être regardé par Lui - cette chose précieuse qu'est son regard qui se pose sur moi!

Je pense que saint Grégoire le grand a décrit exactement la situation de notre époque - en effet, il s'agissait d'une époque très semblable à la nôtre. Et la question se pose encore: que devons-nous faire? Je pense que la première chose est celle que le Seigneur nous dit aujourd'hui dans la première Lecture et que saint Paul nous proclame au nom de Dieu: "Ayez en vous les mêmes sentiments qui sont dans Jésus Christ! - Touto phroneite en hymin ho kai en Christo Iesou". Apprenez à penser comme a pensé le Christ, apprenez à penser avec Lui! Et cette façon de penser n'est pas seulement celle de l'esprit, mais également une pensée du coeur. Nous apprenons les sentiments de Jésus Christ lorsque nous apprenons à penser avec Lui et donc, lorsque nous apprenons à penser également à son échec et à sa façon de traverser l'échec, à l'accroissement de son amour dans l'échec. Si nous entrons dans ses sentiments, si nous commençons à nous exercer à penser comme Lui et avec Lui, alors se réveille en nous la joie à l'égard de Dieu, la certitude qu'Il est de toute façon le plus fort; oui, nous pouvons le dire, l'amour pour Lui se réveille en nous. Nous ressentons combien il est beau qu'Il soit là et que nous puissions Le connaître - que nous le connaissions dans le visage de Jésus Christ, qui a souffert pour nous. Je pense que c'est la première chose: que nous entrions nous-mêmes dans un contact vivant avec Dieu, avec le Seigneur Jésus, le Dieu vivant; que se renforce en nous l'organe qui perçoit Dieu; que nous portions en nous la perception de son "goût exquis". Cela encourage également notre action; car nous aussi, nous courons un risque: on peut faire beaucoup, tant de choses, dans le domaine ecclésial, tout pour Dieu... et ce faisant, se tenir totalement à l'écart, sans jamais rencontrer Dieu. L'engagement se substitue à la foi, mais ensuite, se vide de l'intérieur. Je pense donc que nous devrions nous engager surtout dans l'écoute du Seigneur, dans la prière, dans la participation intime aux sacrements, dans l'apprentissage des sentiments de Dieu sur le visage et dans les souffrances des hommes, pour être ainsi contaminés par sa joie, par son zèle, par son amour, et pour regarder avec Lui, et à partir de Lui, le monde. Si nous réussissons à faire cela, alors même au milieu de tant de "non", nous trouverons à nouveau les hommes qui L'attendent et qui sont souvent peut-être insolites - la parabole le dit clairement - mais qui sont tout de même appelés à entrer dans sa salle.

Une fois de plus, en d'autres termes: il s'agit de la place centrale de Dieu, et précisément non pas d'un dieu quelconque, mais du Dieu qui a le visage de Jésus Christ. Cela est important aujourd'hui. Il y a tant de problèmes que l'on pourrait énumérer mais qui - tous - ne peuvent être résolus si Dieu n'est pas placé au centre, si Dieu ne devient pas à nouveau visible dans le monde, s'il ne devient pas déterminant dans notre vie et s'il n'entre pas également à travers nous de façon déterminante dans le monde. C'est en cela, je pense, que se décide aujourd'hui le destin du monde dans cette situation dramatique: si Dieu - le Dieu de Jésus Christ - existe et est reconnu comme tel, ou s'il disparaît. Nous faisons en sorte qu'il soit présent. Que devrions-nous faire? En ultime analyse? Nous nous adressons à Lui! Nous célébrons cette Messe votive de l'Esprit Saint, en L'invoquant: "Lava quod est sordidum, riga quod est aridum, sana quod est saucium. Flecte quod est rigidum, fove quod est frigidum, rege quod est devium". Nous L'invoquons afin qu'il irrigue, réchauffe, redresse, afin qu'il nous entoure de la force de sa flamme sacrée et qu'il renouvelle la terre. Pour cela, nous le prions de tout notre coeur en ce moment, en ces jours. Amen.


Benoît XVI Homélies 19106