Discours 2005-2013 8102

MÉDITATION DE BENOÎT XVI AU COURS DE LA PREMIÈRE CONGRÉGATION GÉNÉRALE Salle du Synode Lundi 8 octobre 2012

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Mes chers frères,

Ma méditation se réfère au mot « evangelium » « euangelisasthai » (cf.
Lc 4,18). Dans ce synode, nous voulons connaître davantage ce que nous dit le Seigneur et ce que nous pouvons ou devons faire. Ma méditation est divisée en deux parties: une première réflexion sur la signification de ces mots, et puis après je voudrais tenter d’interpréter l’hymne de l’heure tierce : « Nunc, Sancte, nobis Spiritus », qui se trouve à la page 5 du livre des prières.

Le mot « evangelium » « euangelisasthai » a une longue histoire. Il apparaît dans Homère : c’est l’annonce d’une victoire et donc une annonce de bien, de joie, de bonheur. Il apparaît ensuite dans le Second Isaïe (cf. Is Is 40,9) comme une voix qui annonce la joie venant de Dieu, comme une voix qui fait comprendre que Dieu n’a pas oublié son peuple, que Dieu, qui s’était apparemment retiré de l’histoire, existe, qu’Il est présent. Et Dieu a le pouvoir, Dieu donne la joie, Il ouvre les portes de l’exil. Après la longue nuit de l’exil, sa lumière apparaît et donne la possibilité de revenir à son peuple, il rénove l’histoire du bien, l’histoire de son amour. Dans ce contexte de l’évangélisation, trois mots apparaissent surtout : dikaiosyne, eirene, soteria — justice, paix, salut. Jésus lui-même a repris les paroles d’Isaïe à Nazareth, en parlant de cet « Évangile » qu’Il apporte maintenant justement aux exclus, aux prisonniers, à ceux qui souffrent et aux pauvres.

Mais pour la signification du mot « evangelium » dans le Nouveau Testament, au-delà de cette dernière — le Deutéro-Isaïe qui ouvre la porte — est d’égale importance l’emploi du mot sous l’empire romain, en commençant par l’empereur Auguste. Ici le terme « evangelium » indique un mot, un message qui vient de l’empereur. Le message de l’empereur donc, en tant que tel, fait du bien: c’est un renouveau du monde, c’est le salut. Le message impérial est, en tant que tel, un message de puissance et de pouvoir ; c’est un message de salut, de renouvellement et de santé. Le Nouveau Testament accepte cette situation. Saint Luc confronte de façon explicite l’empereur Auguste avec l’Enfant né à Bethléem : « evangelium » — dit-il — oui, c’est un mot de l’empereur, du véritable empereur du monde. Le véritable empereur du monde s’est fait entendre, il parle avec nous. Et ce fait, en tant que tel, est une rédemption parce que la grande souffrance de l’homme — à cette époque, tout comme aujourd’hui — est justement celle-ci: derrière le silence de l’univers, derrière les nuages de l’histoire, y a-t-il ou n’y a-t-il pas un Dieu ? Et, si ce Dieu existe, nous connaît-il, a-t-il quelque chose à voir avec nous ? Cette question est aujourd’hui tout aussi actuelle qu’elle l’était à cette époque. Beaucoup de personnes se demandent : Dieu est-il une hypothèse ou pas ? Est-ce une réalité ou pas ? Pourquoi ne se fait-il pas entendre ? « Évangile » signifie : Dieu a rompu son silence, Dieu a parlé, Dieu existe. Ce fait, en tant que tel, est salut : Dieu nous connaît, Dieu nous aime, Il est entré dans l’histoire. Jésus est sa Parole, le Dieu avec nous, le Dieu qui nous montre qu’Il nous aime, qui souffre avec nous jusqu’à la mort et qui ressuscite. Ceci est l’Évangile même. Dieu a parlé, Il n’est plus le grand inconnu mais Il s’est montré lui-même et c’est cela le salut.

La question pour nous est la suivante : Dieu a parlé, Il a vraiment rompu le grand silence, Il s’est montré, mais comment pouvons-nous faire arriver cette réalité à l’homme d’aujourd’hui afin qu’elle devienne salut ? Le simple fait qu’Il ait parlé est le salut, la rédemption. Mais comment l’homme peut-il le savoir ? Il me semble que ce point est une interrogation mais également une question, un mandat pour nous : nous pouvons trouver une réponse en méditant l’hymne de l’heure tierce « Nunc, Sancte, nobis Spiritus ». La première strophe déclare : « Dignare promptus ingeri nostro refusus, pectori », à savoir prions afin que l’Esprit Saint vienne, aussi bien en nous qu’avec nous. En d’autres mots: nous ne pouvons pas faire l’Église, nous pouvons seulement faire connaître ce que Lui a fait. L’Église ne commence pas avec notre « faire » mais avec le « faire » et le « parler » de Dieu. Ainsi les Apôtres n’ont pas dit après certaines assemblées: «à présent nous voulons créer une Église » et avec la forme d’une constituante ils auraient élaboré une constitution. Non, ils ont prié et dans la prière ils ont attendu, car ils savaient que seul Dieu lui-même peut créer son Église, que Dieu est le premier agent : si Dieu n’agit pas, nos affaires sont seulement les nôtres et elles sont insuffisantes ; Dieu seul peut témoigner que c’est Lui qui parle et qui a parlé. La Pentecôte est la condition de la naissance de l’Église : seulement parce que Dieu a d’abord agi, les Apôtres peuvent agir avec Lui et avec sa présence et rendre présent ce que Lui fait. Dieu a parlé et ce « a parlé » est le parfait de la foi mais c’est toujours également un présent: le parfait de Dieu n’est pas simplement un passé, parce que c’est un passé véritable qui porte toujours en soi le présent et le futur. Dieu a parlé, cela veut dire : « il parle ». Et comme à cette époque, c’est seulement grâce à l’initiative de Dieu que pouvait naître l’Église, que pouvait être connu l’Évangile, le fait que Dieu a parlé et parle, ainsi aujourd’hui aussi c’est seulement Dieu qui peut commencer, nous ne pouvons que coopérer, et le début doit venir de Dieu. Ainsi, ce n’est pas une simple formalité si nous commençons chaque jour notre assise par la prière: ceci répond à la réalité même. Seulement le fait que Dieu nous précède rend possible notre chemin, notre coopération, qui est toujours une coopération et non une décision qui est purement nôtre. Il est donc important de toujours savoir que le premier mot, l’initiative véritable, l’activité véritable vient de Dieu et c’est seulement en s’insérant dans cette initiative divine, c’est seulement en implorant cette initiative divine, que nous pouvons devenir nous aussi — avec Lui et en Lui — des évangélisateurs. Dieu est toujours le début, et c’est toujours seulement Lui qui peut faire Pentecôte, qui peut créer l’Église, qui peut montrer la réalité de sa présence parmi nous. Mais d’un autre côté, ce Dieu, qui est toujours le début, veut également notre engagement. Il veut engager notre activité, de façon à ce que les activités soient téandriques, pour ainsi dire, faites par Dieu mais avec notre engagement et en impliquant notre être, toute notre activité.

Lorsque nous faisons donc la nouvelle évangélisation, il s’agit toujours d’une coopération avec Dieu, elle réside dans l’être ensemble avec Dieu, elle est fondée sur la prière et sur sa présence réelle.

Or, notre action, qui suit l’initiative de Dieu, nous la voyons décrite dans la seconde strophe de cet Hymne : « Os, lingua, mens, sensus, vigor, confessionem, personent, flammescat igne caritas, accendat ardor proximos ». Ici nous avons, en deux lignes, deux substantifs déterminants: « confessio » dans les premières lignes, et « caritas » par la deuxième ligne. « Confessio » et « caritas », comme les deux modalités dans lesquelles Dieu nous engage, nous fait agir avec Lui, en Lui et pour l’humanité, pour sa créature : « confessio » et « caritas ». Sont aussi ajoutés les verbes : dans le premier cas « personent » et dans le deuxième « caritas » interprété par le mot feu, ardeur, allumer, flamber.

Voyons le premier : « confessionem personent ». La foi a un contenu : Dieu se communique mais ce Moi de Dieu se montre réellement dans la figure de Jésus et est interprété dans la « confession » qui nous parle de sa conception virginale de la Naissance, de la Passion, de la Croix, de la Résurrection. Le fait de se montrer de la part de Dieu est tout une Personne : Jésus comme le Verbe, avec un contenu très concret qui s’exprime dans la « confessio ». Le premier point est donc que nous devons entrer dans cette « confession », nous faire pénétrer, de façon à ce que « personent » — comme le dit l’hymne — en nous et à travers nous. Il est important ici d’observer également une petite réalité philologique : « confessio » dans le latin pré-chrétien devrait se dire non pas « confessio » mais « professio » (profiteri) : c’est la façon de présenter positivement une réalité. Le mot « confessio » se réfère au contraire à la situation dans un tribunal, dans un procès où l’on ouvre son esprit et où l’on se confesse. Autrement dit, ce mot « confession », qui a remplacé dans le latin chrétien le mot « professio », porte en soi l’élément martyriologique, l’élément de témoigner face à des instances ennemies de la foi, de témoigner même dans des situations de passion et de danger de mort. La disponibilité à souffrir appartient essentiellement à la confession chrétienne : ceci me semble très important. Toujours dans l’essence de la « confessio » de notre Credo, sont par ailleurs impliqués la passion, la souffrance, voire le don de la vie. Et c’est justement ceci qui garantit la crédibilité : la « confessio » n’est pas quelque chose que l’on peut laisser tomber ; la « confessio » implique la disponibilité de donner ma vie, d’accepter la passion. C’est justement la vérification de la « confessio ». Pour nous la « confessio » n’est pas simplement un mot, c’est plus que la douleur, c’est plus que la mort. Pour la « confessio » il vaut vraiment la peine de souffrir, il vaut vraiment la peine de souffrir jusqu’à la mort. Celui qui fait cette « confessio » démontre ainsi que vraiment ce qu’il confesse est plus que la vie : c’est la vie même, le trésor, la perle précieuse et infinie. La vérité apparaît justement dans la dimension martyrologique du mot « confessio » : elle se produit seulement pour une réalité pour laquelle il vaut la peine de souffrir, qui est plus forte même que la mort, et démontre que c’est une vérité que je tiens en main, que je suis plus sûr, que « j’apporte » ma vie parce que je trouve la vie dans cette confession.

Voyons à présent où devrait pénétrer cette « confession » : « Os, lingua, mens, sensus, vigor ». Selon saint Paul, Épître aux Romains 10, nous savons que l’endroit de la « confession » est dans le coeur et dans la bouche : elle doit rester dans la profondeur du coeur mais elle doit être aussi publique ; la foi portée dans le coeur doit être annoncée: elle n’est jamais une réalité dans le coeur mais elle tend à être communiquée, à être confessée réellement face aux yeux du monde. Ainsi nous devons apprendre, d’un côté, à être réellement — disons — pénétrés dans le coeur par la « confession », de façon à ce que notre coeur soit formé, de l’autre nous devons aussi trouver, avec la grande histoire de l’Église, venant du coeur, la parole et le courage de la parole, et la parole qui indique notre présent, cette «confession» qui est toujours toutefois une. « Mens » : la « confession » n’est pas simplement une chose du coeur et de la bouche mais aussi de l’intelligence; elle doit être pensée et ainsi, en tant que pensée et intelligemment conçue, elle touche l’autre et suppose toujours que ma pensée est réellement placée dans la « confession ». « Sensus » : il ne s’agit pas d’une chose purement abstraite et intellectuelle, la « confessio » doit pénétrer également les sens de notre vie. Saint Bernard de Clairvaux nous a dit que Dieu, dans sa révélation, dans l’histoire du salut, a donné à nos sens la possibilité de voir, de toucher, de goûter la révélation. Dieu n’est plus seulement une chose spirituelle: Il est entré dans le monde des sens et nos sens doivent être emplis de ce goût, de cette beauté de la Parole de Dieu, que représente la réalité. « Vigor » : c’est la force vitale de notre être et même la vigueur juridique d’une réalité. Avec toute notre vitalité et notre force, nous devons être pénétrés par la « confessio » qui doit réellement « personare » ; la mélodie de Dieu doit accorder notre être dans sa totalité.

« Confessio » est la première colonne — pour ainsi dire — de l’évangélisation et la seconde est « caritas ». La « confessio » n’est pas une chose abstraite, elle est « caritas », elle est amour. Seulement ainsi, elle est le reflet de la vérité divine qui, en tant que vérité, est également inséparablement amour. Le texte décrit, à l’aide de mots très forts, cet amour: c’est l’ardeur, c’est la flamme, elle allume les autres. Il y a une passion qui est nôtre, qui doit grandir de la foi, qui doit se transformer en feu de la charité. Jésus nous a dit : « Je suis venu jeter un feu sur la terre et qu’ai-je à désirer s’il est déjà allumé ? ». Origène nous a transmis une parole du Seigneur : « Celui qui est près de moi est près du feu ». Le chrétien ne doit pas être tiède. L’Apocalypse nous dit que là est le plus grand danger du chrétien : qu’il ne dise pas non mais un oui très tiède. Cette tiédeur discrédite justement le christianisme. La foi doit devenir en nous une flamme de l’amour, une flamme qui allume réellement mon être, devient une grande passion de mon être, et allume ainsi mon prochain. Ceci est le mode de l’évangélisation : « Accendat ardor proximos », que la vérité devienne en moi charité et que la charité allume comme le fait aussi le feu de l’autre. Seulement dans cette action d’allumer l’autre à travers la flamme de notre charité, croît réellement l’évangélisation, la présence de l’Évangile, qui n’est plus seulement parole mais réalité vécue.

1487 Saint Luc nous raconte que dans la Pentecôte, dans cette fondation de l’Église de Dieu, l’Esprit Saint était le feu qui a transformé le monde, mais un feu en forme de langue, à savoir un feu qui est toutefois raisonnable, qui est esprit, qui est aussi compréhension; un feu qui est uni à la pensée, à la « mens ». Et justement ce feu intelligent, cette « sobria ebrietas », est une caractéristique du christianisme. Nous savons que le feu est au début de la culture humaine; le feu est lumière, chaleur, force de transformation. La culture humaine commence au moment où l’homme a le pouvoir de créer le feu : avec le feu il peut détruire mais avec le feu il peut transformer, rénover. Le feu de Dieu est le feu transformant, le feu de la passion — certainement — qui détruit même beaucoup en nous, qui porte à Dieu, mais un feu surtout qui transforme, qui rénove et créé une nouveauté de l’homme, qui devient lumière en Dieu.

Ainsi, au bout du compte, nous pouvons seulement prier le Seigneur que la « confessio » soit en nous fondée de façon profonde et qu’elle devienne le feu qui allume les autres ; ainsi le feu de sa présence, la nouveauté de son être avec nous, devient réellement visible et force du présent et de l’avenir.

OUVERTURE DE L'ANNÉE DE LA FOI

BÉNÉDICTION

AUX PARTICIPANTS À LA PROCESSION AUX FLAMBEAUX ORGANISÉE PAR L'ACTION CATHOLIQUE ITALIENNE De la fenêtre de son bureau - Palais apostolique Jeudi 11 octobre 2012

[Vidéo]


Galerie photographique


Chers frères et soeurs,

Bonsoir à vous tous et merci d’être venus. Merci aussi à l’Action catholique italienne qui a organisé cette procession aux flambeaux.

J’étais là moi aussi, ce même jour, il y a 50 ans, sur cette place, le regard tourné vers cette fenêtre, où est apparu le bon Pape, le bienheureux Pape Jean XXIII qui s’adressa à nous à travers des paroles inoubliables, des paroles pleines de poésie et de bonté, des paroles venant du coeur.

Nous étions heureux, dirais-je, et pleins d’enthousiasme. Le grand Concile oecuménique avait été inauguré ; nous étions sûrs qu’un nouveau printemps de l’Église allait arriver, avec une nouvelle présence forte de la grâce libératrice de l’Évangile.

Aujourd’hui aussi, nous sommes heureux, nous portons la joie dans notre coeur, mais je dirais qu’il s’agit d’une joie sans doute plus sobre, d’une joie humble. Au cours des 50 dernières années, nous avons appris et fait l’expérience que le péché originel existe et se traduit toujours à nouveau en péchés personnels, qui peuvent également devenir des structures de péché. Nous avons vu que dans le champ du Seigneur, il y a toujours aussi l’ivraie. Nous avons vu que dans le filet de Pierre, il y a aussi de mauvais poissons. Nous avons vu que la fragilité humaine est présente également dans l’Église, que le navire de l’Église navigue aussi avec le vent contraire, avec des tempêtes qui menacent le navire et parfois, nous avons pensé : « le Seigneur est endormi et il nous a oubliés ».

Cela est une partie des expériences de ces cinquante années, mais nous avons également fait l’expérience nouvelle de la présence du Seigneur, de sa bonté, de sa force. Le feu de l’Esprit Saint, le feu du Christ n’est pas un feu qui dévore, ou qui détruit ; c’est un feu silencieux, une petite flamme de bonté, de bonté et de vérité, qui transforme, qui donne lumière et chaleur. Nous avons vu que le Seigneur ne nous oublie pas. Aujourd’hui aussi, à sa manière, humble, le Seigneur est présent, il donne de la chaleur au coeur, il montre la vie, il crée des charismes de bonté et de charité qui éclairent le monde et sont pour nous une garantie de la bonté de Dieu. Oui, le Christ vit, il est avec nous aujourd’hui aussi, et nous pouvons être heureux aujourd’hui aussi, car sa bonté ne s’éteint pas ; elle est forte aujourd’hui aussi !

1488 Pour finir, j’ose faire miennes les paroles inoubliables du Pape Jean XXIII : « Rentrez chez vous, donnez un baiser aux enfants et dîtes-leur que c’est le baiser du Pape ».

Dans ce sens, je vous donne de tout coeur ma Bénédiction : « Béni soit le nom du Seigneur... ».

RENCONTRE AVEC DES ÉVÊQUES AYANT PARTICIPÉ

AU CONCILE OECUMÉNIQUE VATICAN II

ET LES PRÉSIDENTS DES CONFÉRENCES ÉPISCOPALES Salle Clémentine Vendredi 12 octobre 2012

Chers et vénérés frères,

Nous nous retrouvons ensemble aujourd’hui, après la célébration solennelle qui nous a rassemblés hier Place Saint-Pierre. La salutation cordiale et fraternelle que je désire vous adresser à présent naît de la communion profonde que seule la célébration eucharistique est capable de créer. En elle se sont rendus visibles, presque tangibles, les liens qui nous unissent en tant que membres du Collège épiscopal, unis au Successeur de Pierre.

Sur vos visages, chers patriarches et archevêques des Églises orientales catholiques, chers présidents des Conférences épiscopales du monde, je vois aussi les centaines d’évêques qui, dans toutes les régions de la terre, sont engagés dans l’annonce de l’Évangile, et dans le service de l’Église et de l’homme, dans l’obéissance au mandat reçu du Christ. Mais c’est à vous aujourd’hui que je voudrais adresser une salutation particulière, chers frères qui avez eu la grâce de participer, en tant que Pères, au Concile oecuménique Vatican ii. Je remercie le cardinal Arinze, qui s’est fait l’interprète de vos sentiments, et en ce moment, je garde présent dans la prière et dans l’affection tout le groupe d’évêques — presque soixante-dix — encore en vie qui ont pris part aux travaux du Concile. En répondant à l’invitation pour cette commémoration, à laquelle ils n’ont pas pu être présents en raison de leur âge avancé et de leur santé, beaucoup d’entre eux ont rappelé ces journées, par des paroles émouvantes, en assurant de leur union spirituelle en ce moment, y compris par l’offrande de leur souffrance.

Nombreux sont les souvenirs, qui affleurent à notre esprit et que chacun garde imprimés dans le coeur, de cette période si vivante, riche et féconde qu’a été le Concile ; toutefois, je ne veux pas m’étendre trop, mais — en reprenant des éléments de mon homélie d’hier — je voudrais seulement rappeler comment un mot, lancé par le bienheureux Jean XXIII, de façon quasi programmatique, revenait continuellement dans les travaux conciliaires : le mot « aggiornamento » (mise à jour n.d.t.).

Cinquante ans après l’ouverture de ces assises solennelles de l’Église, d’aucuns se demanderont si cette expression, peut-être dès le début, a été très heureuse. Je pense que l’on pourrait discuter pendant des heures sur le choix des mots, et l’on trouverait des avis continuellement discordants, mais je suis convaincu que l’intuition du bienheureux Jean XXIII résumée par ce mot a été et est encore exacte. Le christianisme ne doit pas être considéré comme « quelque chose du passé », et il ne doit pas être vécu le regard fixé en permanence « en arrière », parce que Jésus Christ est hier, aujourd’hui et pour l’éternité (cf. He 13,8). Le christianisme est marqué par la présence du Dieu éternel qui est entré dans le temps et qui est présent à chaque époque, afin que chaque époque jaillisse de sa puissance créatrice, de son éternel « aujourd’hui ».

C’est pour cela que le christianisme est toujours nouveau. Nous ne devons jamais le voir comme un arbre pleinement développé à partir du grain de sénevé évangélique, qui a grandi, a donné ses fruits, et un beau jour vieillit et dont l’énergie vitale arrive à son crépuscule. Le christianisme est un arbre qui est, pour ainsi dire, dans une « aurore » éternelle, qui est toujours jeune. Et cette actualité, cet « aggiornamento », ne signifie pas rupture avec la tradition, mais en exprime la vitalité permanente ; elle ne signifie pas réduire la foi, en la réduisant à la mode des époques, à l’aune de ce qui nous plaît, à ce qui plaît à l’opinion publique, mais c’est le contraire : exactement comme l’ont fait les Pères conciliaires, nous devons amener « l’aujourd’hui » que nous vivons à l’aune de l’événement chrétien, nous devons amener « l’aujourd’hui » de notre temps dans « l’aujourd’hui » de Dieu.

Le Concile a été un temps de grâce pendant lequel l’Esprit Saint nous a enseigné que l’Église, sur son chemin dans l’histoire, doit toujours parler à l’homme contemporain, mais cela ne peut avoir lieu que grâce à la force de ceux qui ont des racines profondes en Dieu, qui se laissent guider par Lui et vivent leur foi avec pureté; cela ne vient pas de ceux qui se modèlent sur le moment qui passe, qui choisissent la voie la plus commode. Le Concile l’avait bien compris, lorsqu’il affirma dans la Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen gentium, au paragraphe 49, que tous dans l’Église sont appelés à la sainteté selon les paroles de l’apôtre Paul : « La volonté de Dieu, c’est votre sanctification » (1Th 4,3): la sainteté manifeste le vrai visage de l’Église, fait entrer « l’aujourd’hui » éternel de Dieu dans « l’aujourd’hui » de notre vie, dans « l’aujourd’hui » de l’homme de notre temps.
1489
Chers frères dans l’épiscopat, la mémoire du passé est précieuse, mais elle n’est jamais une fin en soi. L’Année de la foi que nous avons inaugurée hier nous suggère la meilleure façon de rappeler et de commémorer le Concile: se concentrer sur le coeur de son message, qui du reste n’est rien d’autre que le message de la foi en Jésus Christ, unique Sauveur du monde, proclamée à l’homme de notre époque. Aujourd’hui encore, ce qui est important et essentiel, c’est d’apporter le rayon de l’amour de Dieu dans le coeur et dans la vie de chaque homme et de chaque femme, et d’amener à Dieu les hommes et les femmes de tout lieu et de toute époque. Je souhaite vivement que toutes les Églises particulières trouvent, dans la célébration de cette Année, l’occasion d’un retour toujours nécessaire à la source vive de l’Évangile, à la rencontre transformante avec la personne de Jésus Christ. Merci.

DÉJEUNER AVEC LES PARTICIPANTS AU SYNODE

PAROLES Salle Paul VI Vendredi 12 octobre 2012



Sainteté,
Votre Grâce,
chers Frères,

Je voudrais vous annoncer avant tout un peu de grâce, à savoir que ce soir nous commençons non pas à 16h30, cela me semble inhumain, mais à 17h45.

C’est une belle tradition créée par le bienheureux Pape Jean-Paul II que de couronner le synode par un repas commun. C’est une grande joie pour moi d’avoir assis, à ma droite, Sa Sainteté le patriarche Bartholomée, patriarche oecuménique de Constantinople, et de l’autre côté, l’archevêque Rowan Williams de la Communion anglicane.

Cette communion est pour moi le signe que nous sommes en chemin vers l’unité et que dans notre coeur nous allons de l’avant. Le Seigneur nous aidera à aller de l’avant même extérieurement. Cette joie, il me semble, nous donne de la force également dans le mandat de l’évangélisation. Synodos signifie «chemin commun», «être en chemin commun», et ainsi le terme synodos me fait penser au célèbre chemin du Seigneur accompagné des deux disciples d’Emmaüs, qui sont un peu l’image du monde agnostique d’aujourd’hui. Jésus, leur espérance, était mort; le monde était vide; il semblait réellement que Dieu était absent ou ne s’intéressait pas à nous. Avec ce désespoir au coeur, et toutefois avec une petite flamme de foi, ils vont de l’avant. Le Seigneur marche mystérieusement avec eux et les aide à mieux comprendre le mystère de Dieu, sa présence dans l’histoire, son chemin silencieux à nos côtés. A la fin, durant le repas, lorsque déjà les paroles du Seigneur et leur écoute avaient allumé leur coeur et illuminé leur esprit, ils Le reconnaissent au cours du repas et finalement le coeur commence à voir. Il en est ainsi au cours du synode, où nous sommes ensemble avec nos contemporains en chemin. Prions le Seigneur afin qu’Il nous illumine, qu’Il allume notre coeur afin qu’il voit, qu’Il illumine notre esprit; et prions afin que, dans le repas, dans la communion eucharistique, nous puissions réellement être ouverts, Le voir et allumer ainsi également le monde et donner sa lumière à notre monde.

En ce sens, le repas — comme le Seigneur a souvent pris le déjeuner et le dîner comme symboles du Royaume de Dieu — pourrait être pour nous aussi un symbole du chemin commun et une occasion de prier le Seigneur pour qu’Il nous accompagne, nous aide. En ce sens, récitons ensemble la prière d’action de grâce.

Je vous souhaite un bon repos. Nous nous retrouvons dans la salle du synode. Merci!

DU FILM "LES CLOCHES DE L'EUROPE"

ENTRETIEN AVEC BENOÎT XVI

1490 À la question sur les raisons de l’espérance qu’il a plusieurs fois manifesté nourrir pour l’Europe, le Pape a répondu ce qui suit.

Le premier motif de mon espérance consiste dans le fait que le désir de Dieu, la recherche de Dieu est profondément inscrit dans chaque âme humaine et ne peut pas disparaître. Pendant un certain temps, on peut assurément oublier Dieu, le mettre de côté, s’occuper d’autres choses, mais Dieu ne disparaît jamais. Ce que dit saint Augustin est tout simplement vrai, à savoir que nous les hommes sommes inquiets tant que nous n’avons pas trouvé Dieu. Cette inquiétude existe aujourd’hui encore. C’est l’espérance que l’homme se mette toujours à nouveau, même aujourd’hui, en chemin vers ce Dieu.

Le deuxième motif de mon espérance consiste dans le fait que l’Évangile de Jésus Christ, la foi dans le Christ est simplement vraie. Et la vérité ne vieillit pas. On peut l’oublier elle aussi pendant un certain temps, on peut trouver d’autres choses, on peut la mettre de côté, mais la vérité comme telle ne disparaît pas. Le temps des idéologies est compté. Elles semblent fortes, irrésistibles, mais après une certaine période, elles se consument, elles n’ont plus de force en elles, car il leur manque une vérité profonde. Ce sont des parcelles de vérité, mais à la fin elles se sont consumées. En revanche, l’Évangile est vrai, et il ne se consume donc jamais. À chaque période de l’histoire apparaissent ses nouvelles dimensions, apparaît toute sa nouveauté, lorsqu’il répond aux exigences du coeur et de la raison humaine qui peut marcher dans cette vérité et s’y trouver. Et, précisément pour cette raison, je suis donc convaincu qu’il existe aussi un nouveau printemps du christianisme.

On peut voir un troisième motif empirique dans le fait que cette inquiétude tourmente aujourd’hui la jeunesse. Les jeunes ont vu tant de choses — les propositions des idéologies et du consumérisme — mais ils perçoivent le vide de tout cela, son insuffisance. L’homme est créé pour l’infini. Tout ce qui est fini est trop peu. C’est pourquoi nous voyons que, précisément chez les nouvelles générations, cette inquiétude se réveille à nouveau et qu’elles se mettent en marche, et ainsi il y a de nouvelles découvertes de la beauté du christianisme; pas un christianisme à bas prix, en réduction, mais dans sa radicalité et sa profondeur. Il me semble donc que l’anthropologie en tant que telle nous indique qu’il y aura toujours de nouveaux réveils du christianisme et les faits le confirment en un mot: fondement profond. C’est le christianisme. Il est vrai, et la vérité a toujours un avenir.

L’autre question posée au Pape concernait l’influence culturelle de l’Europe sur tout le genre humain, et le témoignage possible des catholiques et des chrétiens appartenant aux Eglises orthodoxes et protestantes, dans l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, pour la construction d’une Europe plus fidèle. Benoît XVI a répondu ainsi :

Il s’agit de la grande question. Il est évident que l’Europe a encore aujourd’hui dans le monde un grand poids, aussi bien économique que culturel et intellectuel. Et, allant de pair avec ce poids, elle a une grande responsabilité. Mais l’Europe doit encore, comme vous l’avez dit, trouver sa pleine identité pour pouvoir parler et agir selon sa responsabilité. Le problème n’est plus aujourd’hui, selon moi, les différences nationales. Il s’agit de diversités qui ne sont plus des divisions, grâce à Dieu. Les nations restent, et dans leur diversité culturelle, humaine, de tempérament, elles sont une richesse qui se complète et donne naissance à une grande symphonie de cultures. Elles sont fondamentalement une culture commune. Le problème de l’Europe pour trouver son identité me semble consister dans le fait qu’en Europe nous avons aujourd’hui deux âmes: une âme et une raison abstraite, anti-historique, qui entend tout dominer car elle se sent au-dessus de toutes les cultures. Une raison finalement arrivée à soi-même qui entend s’émanciper de toutes les traditions et valeurs culturelles en faveur d’une rationalité abstraite. La première sentence de Strasbourg sur le Crucifix était un exemple de cette raison abstraite qui veut s’émanciper de toutes les traditions, de l’histoire elle-même. Mais on ne peut pas vivre ainsi. De plus, la « raison pure » est elle aussi conditionnée par une situation historique déterminée, et elle ne peut exister qu’en ce sens. L’autre âme est celle que nous pouvons appeler chrétienne, qui s’ouvre à tout ce qui est raisonnable, qui a elle-même créé l’audace de la raison et la liberté d’une raison critique, mais qui reste ancrée aux racines qui ont donné origine à cette Europe, qui l’ont construite dans les grandes valeurs, dans les grandes intuitions, dans la vision de la foi chrétienne. Comme vous l’avez dit, c’est surtout dans le dialogue oecuménique entre Église catholique, orthodoxe, protestante, que cette âme doit trouver une expression commune et doit ensuite rencontrer cette raison abstraite, c’est-à-dire accepter et conserver la liberté critique de la raison par rapport à tout ce qu’elle peut faire et a fait, mais la mettre en pratique, la rendre concrète dans le fondement, dans la cohésion avec les grandes valeurs que le christianisme nous a données. Ce n’est que dans cette synthèse que l’Europe peut avoir son poids dans le dialogue interculturel de l’humanité d’aujourd’hui et de demain, car une raison qui s’est émancipée de toutes les cultures ne peut pas entrer dans un dialogue interculturel. Seule une raison qui possède une identité historique et morale peut aussi dialoguer avec les autres, chercher une interculturalité dans laquelle tous peuvent entrer et trouver une unité fondamentale des valeurs qui peuvent ouvrir la voie à l’avenir, à un nouvel humanisme, qui doit être notre objectif. Et pour nous, cet humanisme grandit précisément à partir de la grande idée de l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Discours 2005-2013 8102