Benoît XVI Homélies 25405

VISITE À LA BASILIQUE DE SAINT-PAUL-HORS-LES-MURS - Lundi 25 avril 2005

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Lundi 25 avril 2005

Messieurs les Cardinaux,

Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et soeurs dans le Seigneur!

Je rends grâce à Dieu qui, au début de mon ministère de Successeur de Pierre, me permet de m'arrêter en prière auprès du sépulcre de l'Apôtre Paul. Il s'agit pour moi d'un pèlerinage profondément désiré, d'un geste de foi, que j'accomplis en mon nom, mais également au nom du bien-aimé diocèse de Rome, dont le Seigneur m'a constitué l'Evêque et le Pasteur, et au nom de l'Eglise universelle confiée à mes soins pastoraux. Un pèlerinage, pour ainsi dire, aux racines de la mission, de cette mission que le Christ ressuscité confia à Pierre, aux Apôtres et, de manière particulière, également à Paul, en le poussant à annoncer l'Evangile aux nations, jusqu'à parvenir dans cette Ville, où, après avoir longtemps prêché le Royaume de Dieu (
Ac 28,31), il rendit en versant son sang le témoignage suprême à son Seigneur, qui l'avait "conquis" (Ph 3,12) et envoyé.
Avant encore que la Providence ne le conduise à Rome, l'Apôtre écrivit aux chrétiens de cette Ville, capitale de l'Empire, sa Lettre la plus importante du point de vue doctrinal. La partie initiale vient d'en être proclamée, un riche préambule dans lequel l'Apôtre salue la communauté de Rome en se présentant comme le "serviteur du Christ Jésus, apôtre par vocation" (Rm 1,1). Plus avant, il ajoute: "[Jésus Christ] par qui nous avons reçu grâce et apostolat pour prêcher, à l'honneur de son nom, l'obéissance de la foi parmi tous les païens" (Rm 1,5).

Chers amis, en tant que Successeur de Pierre, je suis ici pour raviver dans la foi cette "grâce de l'apostolat", car Dieu, selon une autre expression de l'Apôtre des Nations, m'a confié "le souci de toutes les Eglises" (2Co 11,28). Nous avons devant les yeux l'exemple de mon bien-aimé et vénéré prédécesseur Jean-Paul II, un Pape missionnaire, dont l'activité si intense, comme en témoignent plus de cent voyages apostoliques au-delà des frontières italiennes, est véritablement inimitable. Qu'est-ce qui le poussait à un tel dynamisme, si ce n'est cet amour pour le Christ qui transforma l'existence de saint Paul (cf. 2Co 5,14)? Que le Seigneur veuille également nourrir en moi un tel amour, pour que je n'oublie pas les urgences de l'annonce évangélique dans le monde d'aujourd'hui. L'Eglise est par nature missionnaire, sa tâche primordiale est l'évangélisation. Le Concile oecuménique Vatican II a consacré à l'activité missionnaire le Décret appelé, précisément, "Ad gentes", qui rappelle comment "les apôtres... ont suivi les traces du Christ, "prêché la parole de vérité et engendré des Eglises" (S. Aug., Enarr. in PS 44,23, PL 36, 508)" et que "le devoir de leurs successeurs est de perpétuer cette oeuvre, afin que "la parole de Dieu soit divulguée et glorifiée" (2Th 3,1), le Royaume de Dieu annoncé et instauré dans le monde entier" (n. AGD 1).

Au début du troisième millénaire, l'Eglise ressent avec une vivacité renouvelée que le mandat missionnaire du Christ est plus que jamais actuel. Le grand Jubilé de l'An 2000 l'a conduite à "repartir du Christ", contemplé dans la prière, pour que la lumière de sa vérité rayonne sur tous les hommes, en premier lieu à travers le témoignage de la sainteté. J'ai à coeur de rappeler ici la devise que saint Benoît inséra dans sa Règle, en exhortant ses moines "à ne mettre absolument rien au-dessus du Christ" (chap. RB 4). En effet, la vocation sur la route de Damas conduisit Paul précisément à cela: faire du Christ le centre de sa vie, quittant tout pour le but sublime de connaître Jésus et son mystère d'amour, et s'engageant ensuite à l'annoncer à tous, en particulier aux païens, "à l'honneur de son nom" (Rm 1,5). La passion pour le Christ le mena à prêcher l'Evangile non seulement à travers la Parole, mais à travers sa vie elle-même, toujours plus conformée à son Seigneur. A la fin, Paul annonça le Christ à travers le martyre, et son sang, avec celui de Pierre et de tant d'autres témoins de l'Evangile, irrigua cette terre et rendit féconde l'Eglise de Rome, qui préside à la communion universelle de la charité (cf. saint Ignace Ant., Ad Rom, Inscr.: Funk, I, 252).

Le vingtième siècle, nous le savons tous, a été un temps de martyre. Le Pape Jean-Paul II l'a clairement souligné, demandant à l'Eglise de "mettre à jour le Martyrologe", et canonisant et béatifiant de nombreux martyrs de l'histoire récente. Donc, si le sang des martyrs est la semence de nouveaux chrétiens, il est licite de s'attendre, au début du troisième millénaire, à une floraison renouvelée de l'Eglise, en particulier là où elle a davantage souffert pour la foi et pour le témoignage de l'Evangile.

C'est ce souhait que nous confions à l'intercession de saint Paul. Veuille-t-il obtenir à l'Eglise de Rome, en particulier à son Evêque et à tout le Peuple de Dieu, la joie d'annoncer et de témoigner à tous de la Bonne Nouvelle du Christ Sauveur.

CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE ET


PRISE DE POSSESSION DE LA CATHEDRA ROMANA - Samedi 7 mai 2005

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Basilique de Saint-Jean-de-Latran

Samedi 7 mai 2005

Chers Pères Cardinaux,

chers frères dans l'épiscopat,
chers frères et soeurs,

Aujourd'hui, où je peux pour la première fois m'installer sur la Chaire de l'Evêque de Rome en tant que Successeur de Pierre, est le jour où en Italie l'Eglise célèbre la Fête de l'Ascension du Seigneur. Au centre de ce jour, nous trouvons le Christ. C'est seulement grâce à Lui, grâce au mystère de son ascension, que nous réussissons également à comprendre la signification de la Chaire, qui est à son tour le symbole du pouvoir et de la responsabilité de l'Evêque. Qu'est-ce que veut alors nous dire la fête de l'Ascension du Seigneur? Elle ne veut pas nous dire que le Seigneur s'en est allé dans un lieu éloigné des hommes et du monde. L'Ascension du Christ n'est pas un voyage dans l'espace, vers les astres les plus lointains; car, au fond, les astres sont eux aussi faits d'éléments physiques comme la terre. L'Ascension du Christ signifie qu'Il n'appartient plus au monde de la corruption et de la mort qui conditionne notre vie. Elle signifie qu'Il appartient totalement à Dieu. Lui - le Fils éternel - a conduit notre condition humaine aux côtés de Dieu, il a apporté avec lui la chair et le sang sous une forme transfigurée. L'homme trouve une place en Dieu; à travers le Christ l'être humain a été conduit jusqu'à l'intérieur de la vie même de Dieu. Et, étant donné que Dieu embrasse et soutient l'univers tout entier, l'Ascension du Seigneur signifie que le Christ ne s'est pas éloigné de nous, mais que maintenant, grâce à Sa présence auprès du Père, il est proche de chacun de nous, pour toujours. Chacun de nous peut le tutoyer; chacun peut l'appeler. Le Seigneur se trouve toujours à portée de voix. Nous pouvons nous éloigner de Lui intérieurement. Nous pouvons Lui tourner le dos. Mais Il nous attend toujours, et Il est toujours proche de nous.

La mission de l'Esprit est d'introduire l'Eglise de manière toujours nouvelle dans la grandeur du mystère du Christ

De la lecture de la liturgie d'aujourd'hui nous apprenons également quelque chose de plus sur la manière concrète dont le Seigneur réalise cette façon d'être proche de nous. Le Seigneur promet son Esprit Saint aux disciples. La première lecture que nous avons entendue nous dit que l'Esprit Saint sera une "force" pour les disciples; l'Evangile ajoute qu'il sera le guide vers la Vérité tout entière. Jésus a tout dit à ses disciples, étant lui-même la Parole vivante de Dieu, et Dieu ne peut pas donner plus que lui-même. En Jésus, Dieu s'est entièrement donné à nous - c'est-à-dire qu'il nous a tout donné. En plus de cela, ou à côté de cela, il ne peut exister aucune autre révélation en mesure de transmettre davantage ou de compléter, de quelque manière que ce soit, la Révélation du Christ. En Lui, dans le Fils, tout nous a été dit, tout nous a été donné. Mais notre capacité de comprendre est limitée; c'est pourquoi la mission de l'Esprit est d'introduire l'Eglise de façon toujours nouvelle, de génération en génération, dans la grandeur du mystère du Christ. L'Esprit ne présente rien de différent et de nouveau à côté du Christ; il n'y a aucune révélation pneumatique à côté de celle du Christ - comme certains le croient -, aucun deuxième niveau de Révélation. Non: "c'est de mon bien qu'il recevra", dit le Christ dans l'Evangile (
Jn 16,14). Et de même que le Christ dit seulement ce qu'il sent et reçoit du Père, de même l'Esprit Saint est l'interprète du Christ. "C'est de mon bien qu'il recevra". Il ne nous conduit pas dans d'autres lieux, éloignés du Christ, mais il nous conduit toujours davantage dans la lumière du Christ. C'est pourquoi, la révélation chrétienne est, dans le même temps, toujours ancienne et toujours nouvelle. C'est pourquoi tout nous est toujours et déjà donné. Dans le même temps, chaque génération, dans la rencontre infinie avec le Seigneur - rencontre qui a lieu à travers l'Esprit Saint - apprend toujours quelque chose de nouveau.
Vous serez mes témoins. L'Eglise a été construite à travers les témoins

Ainsi, l'Esprit Saint est la force à travers laquelle le Christ nous fait ressentir sa proximité. Mais la première lecture dit également une deuxième parole: vous serez mes témoins. Le Christ ressuscité a besoin de témoins qui l'ont rencontré, d'hommes qui l'ont connu intimement à travers la force de l'Esprit Saint. D'hommes qui l'ayant, pour ainsi dire, touché du doigt, peuvent en témoigner. C'est ainsi que l'Eglise, la famille du Christ, a grandi de "Jérusalem... jusqu'aux extrémités de la terre", comme le dit la lecture. C'est à travers les témoins que l'Eglise a été construite - à commencer par Pierre et par Paul, et par les Douze, jusqu'à tous les hommes et toutes les femmes qui, comblés du Christ, ont rallumé et rallumeront au cours des siècles de manière toujours nouvelle la flamme de la foi. Chaque chrétien, à sa façon, peut et doit être le témoin du Seigneur ressuscité. Quand nous lisons les noms des saints nous pouvons voir combien de fois ils ont été - et continuent à être - tout d'abord des hommes simples, des hommes dont émanait - et émane - une lumière resplendissante capable de conduire au Christ.

La Chaire de Rome est avant tout la Chaire de la profession de foi dans le Christ

Mais cette symphonie de témoignages est également dotée d'une structure bien définie: aux Successeurs des Apôtres, c'est-à-dire aux Evêques, revient la responsabilité publique de faire en sorte que le réseau de ces témoignages demeure dans le temps. Dans le sacrement de l'ordination épiscopale leur sont conférés le pouvoir et la grâce nécessaires à ce service. Dans ce réseau de témoins, une tâche particulière revient au Successeur de Pierre. Ce fut Pierre qui exprima le premier, au nom des Apôtres, la profession de foi: "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant" (Mt 16,16). Telle est la tâche de tous les Successeurs de Pierre: être un guide dans la profession de foi en Christ, le Fils du Dieu vivant. La Chaire de Rome est avant tout la Chaire de ce credo. Du haut de cette Chaire, l'Evêque de Rome est tenu de répéter constamment: "Dominus Iesus" - "Jésus est le Seigneur", comme Paul l'écrivit dans sa Lettre aux Romains (Rm 10,9) et aux Corinthiens (1Co 12,3). Il dit aux Corinthiens avec une emphase particulière : "Car, bien qu'il y ait, soit au ciel, soit sur la terre, de prétendus dieux... pour nous en tous cas, il n'y a qu'un seul Dieu, le Père... et un seul Seigneur Jésus Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes" (1Co 8,5). La Chaire de Pierre oblige ceux qui en sont les titulaires à dire - comme Pierre le fit déjà dans un moment de crise des disciples - alors qu'un grand nombre voulaient s'en aller: "Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu" (Jn 6,68sq). Celui qui siège sur la Chaire de Pierre doit rappeler les paroles que le Seigneur adressa à Simon Pierre à l'heure de la Dernière Cène: "Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères..." (Lc 22,32). Celui qui est le titulaire du ministère pétrinien doit avoir la conscience d'être un homme fragile et faible - de même que ses propres forces sont fragiles et faibles - qui a constamment besoin de purification et de conversion. Mais il peut également avoir la conscience que c'est du Seigneur que lui vient la force pour confirmer ses frères dans la foi et les garder unis dans la confession du Christ crucifié et ressuscité. Dans la première Lettre de saint Paul aux Corinthiens, nous trouvons le récit le plus ancien de la résurrection que nous connaissons. Paul l'a fidèlement recueilli des témoins. Ce récit parle tout d'abord de la mort du Seigneur pour nos péchés, de sa sépulture, de sa résurrection, qui a eu lieu le troisième jour, puis il dit: "[le Christ] est apparu à Céphas, puis aux Douze..." (1Co 15,4). La signification du mandat conféré à Pierre jusqu'à la fin des temps est ainsi encore une fois résumée: être témoin du Christ ressuscité.

L'Evêque de Rome siège sur sa Chaire pour témoigner du Christ

L'Evêque de Rome siège sur sa Chaire pour témoigner du Christ. Ainsi la Chaire est le symbole de la potestas docendi, cette autorité d'enseignement qui est la partie essentielle du mandat de lier et de délier conféré par le Seigneur à Pierre et, après lui, aux Douze. Dans l'Eglise, l'Ecriture Sainte, dont la compréhension s'accroît sous l'inspiration de l'Esprit Saint, et le ministère de l'interprétation authentique, conféré aux apôtres, appartiennent l'une à l'autre de façon indissoluble. Là où l'Ecriture Sainte est détachée de la voix vivante de l'Eglise, elle tombe en proie aux discussions des experts. Tout ce que ces derniers ont à nous dire est certainement important et précieux; le travail des savants est d'une aide appréciable pour pouvoir comprendre ce processus vivant à travers lequel l'Ecriture a grandi et comprendre ainsi sa richesse historique. Mais la science ne peut pas nous fournir à elle seule une interprétation définitive et faisant autorité; elle n'est pas en mesure de nous donner, dans l'interprétation, la certitude avec laquelle nous pouvons vivre et pour laquelle nous pouvons également mourir. C'est pourquoi, il y a besoin d'un mandat plus grand, qui ne peut pas naître uniquement des capacités humaines. C'est pourquoi il y a besoin de la voix de l'Eglise vivante, de cette Eglise confiée à Pierre et au collège des apôtres jusqu'à la fin des temps.

Le Pape n'est pas un souverain absolu. Le ministère du Pape est la garantie de l'obéissance envers le Christ et envers Sa Parole

Cette autorité d'enseignement effraie un grand nombre d'hommes à l'intérieur et à l'extérieur de l'Eglise. Ils se demandent si celle-ci ne menace pas la liberté de conscience, si elle n'est pas une présomption s'opposant à la liberté de pensée. Il n'en est pas ainsi. Le pouvoir conféré par le Christ à Pierre et à ses successeurs est, au sens absolu, un mandat pour servir. L'autorité d'enseigner, dans l'Eglise, comporte un engagement au service de l'obéissance à la foi. Le Pape n'est pas un souverain absolu, dont la pensée et la volonté font loi. Au contraire: le ministère du Pape est la garantie de l'obéissance envers le Christ et envers Sa Parole. Il ne doit pas proclamer ses propres idées, mais se soumettre constamment, ainsi que l'Eglise, à l'obéissance envers la Parole de Dieu, face à toutes les tentatives d'adaptation et d'appauvrissement, ainsi que face à tout opportunisme. C'est ce que fit le Pape Jean-Paul II lorsque, face à toutes les tentatives, apparemment bienveillantes envers l'homme, face aux interprétations erronées de la liberté, il souligna de manière catégorique l'inviolabilité de l'être humain, l'inviolabilité de la vie humaine de sa conception jusqu'à sa mort naturelle. La liberté de tuer n'est pas une véritable liberté, mais une tyrannie qui réduit l'être humain en esclavage. Le Pape est conscient d'être, dans ses grandes décisions, lié à la grande communauté de foi de tous les temps, aux interprétations faisant autorité qui sont apparues le long du chemin du pèlerinage de l'Eglise. Ainsi son pouvoir ne se trouve pas "au-dessus", mais il est au service de la Parole de Dieu, et c'est sur lui que repose la responsabilité de faire en sorte que cette Parole continue à rester présente dans sa grandeur et à retentir dans sa pureté, de façon à ce qu'elle ne soit pas rendue vaine par les changements continuels des modes.

La Chaire est le symbole de l'autorité d'enseignement, qui est une autorité d'obéissance et de service

La Chaire est - disons-le encore une fois - le symbole de l'autorité d'enseignement, qui est une autorité d'obéissance et de service, afin que la Parole de Dieu - la vérité! - puisse resplendir parmi nous, en nous indiquant la route de la vie. Mais, en parlant de la Chaire de l'Evêque de Rome, comment ne pas rappeler les paroles que saint Ignace d'Antioche écrivit aux Romains? Pierre, venant d'Antioche, son premier siège, se dirigea vers Rome, son siège définitif. Un siège rendu définitif à travers le martyre par lequel il lia pour toujours sa succession à Rome. Ignace, quant à lui, restant Evêque d'Antioche, se dirigeait vers le martyre qu'il allait devoir subir à Rome. Dans sa lettre aux Romains, il se réfère à l'Eglise de Rome comme à "Celle qui préside dans l'amour", une expression très significative. Nous ne savons pas avec certitude ce qu'Ignace avait véritablement à l'esprit en utilisant ces mots. Mais pour l'antique Eglise, le mot amour agape, faisait allusion au mystère de l'Eucharistie. Dans ce Mystère, l'amour du Christ se fait toujours tangible parmi nous. Là, Il se donne toujours à nouveau. Là, Il laisse son coeur être toujours transpercé à nouveau; là, Il tient sa promesse, la promesse qui, de la Croix, devait tout attirer à lui. Dans l'Eucharistie, nous apprenons nous-mêmes l'amour du Christ. Cela a été grâce à ce centre et à ce coeur, grâce à l'Eucharistie, que les saints ont vécu, en apportant l'amour de Dieu dans le monde sous des formes et des manières toujours nouvelles. Grâce à l'Eucharistie, l'Eglise renaît toujours de nouveau! L'Eglise n'est autre que ce réseau - la communauté eucharistique! - dans laquelle nous tous, en recevant le même Seigneur, nous devenons un seul corps et nous embrassons le monde entier. Présider dans la doctrine et présider dans l'amour, à la fin, ne doivent être qu'une seule chose: toute la doctrine de l'Eglise, à la fin, conduit à l'amour. Et l'Eucharistie, cet amour présent de Jésus Christ, est le critère de toute doctrine. De l'amour dépendent toute la Loi et les Prophètes, dit le Seigneur (Mt 22,40). L'amour est l'accomplissement de la loi, écrivait saint Paul aux Romains (Rm 13,10).

Chers Romains, à présent je suis votre Evêque. Je vous remercie de votre générosité, je vous remercie de votre sympathie, je vous remercie de votre patience! En tant que catholiques, d'une certaine façon, nous sommes également tous Romains. Avec les paroles du Psaume 87, un hymne de louange à Sion, mère de tous les peuples, Israël chantait et l'Eglise chante: "Mais de Sion l'on dira: "Tout homme y est né"" (v. Ps 87,5). Nous pourrions dire la même chose nous aussi: en tant que catholiques, d'une certaine façon, nous sommes tous nés à Rome. C'est pourquoi je veux chercher, de tout mon coeur, à être votre Evêque, l'Evêque de Rome. Et nous voulons tous chercher à être toujours plus catholiques - toujours plus des frères et des soeurs dans la grande famille de Dieu, cette famille où il n'existe pas d'étrangers. Enfin, je voudrais remercier de tout coeur le Vicaire pour le diocèse de Rome, le cher Cardinal Camillo Ruini, et également les Evêques auxiliaires et tous ses collaborateurs. Je remercie de tout coeur les curés, le clergé de Rome et tous ceux qui, en tant que fidèles, offrent leur contribution pour construire ici la maison vivante de Dieu. Amen.



ORDINATION SACERDOTALE - Pentecôte, 15 mai 2005

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Basilique Saint-Pierre

Chers frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,


chers ordinands,
chers frères et soeurs,

La première Lecture et l'Evangile du Dimanche de Pentecôte nous présentent deux grandes images de la mission de l'Esprit Saint. La lecture des Actes des Apôtres raconte comment, le jour de la Pentecôte, l'Esprit Saint, sous les signes d'un vent puissant et du feu, fait irruption dans la communauté en prière des disciples de Jésus et donne ainsi origine à l'Eglise. Pour Israël, la Pentecôte, de fête des moissons, était devenue la fête qui faisait mémoire de l'établissement de l'alliance au Sinaï. Dieu avait montré sa présence au peuple à travers le vent et le feu et il lui avait ensuite fait don de sa loi, des dix Commandements. Ce n'est qu'ainsi que l'oeuvre de libération, commencée avec l'Exode de l'Egypte, s'était pleinement accomplie: la liberté humaine est toujours une liberté partagée, un ensemble de libertés.

Ce n'est que dans une harmonie ordonnée des libertés, qui ouvre à chacun son propre domaine, que peut régner une liberté commune. C'est pourquoi le don de la loi sur le Sinaï ne fut pas une restriction ou une abolition de la liberté, mais le fondement de la véritable liberté. Et, étant donné qu'une juste organisation humaine ne peut exister que si elle provient de Dieu et si elle unit les hommes dans la perspective de Dieu, les commandements que Dieu lui-même donne ne peuvent manquer à une organisation ordonnée des libertés humaines. Ainsi, Israël est pleinement devenu un peuple précisément à travers l'alliance avec Dieu au Sinaï. La rencontre avec Dieu au Sinaï pourrait être considérée comme le fondement et la garantie de son existence comme peuple. Le vent et le feu, qui frappèrent la communauté des disciples du Christ rassemblés au Cénacle, constituèrent un développement supplémentaire de l'événement du Sinaï et lui donnèrent une nouvelle envergure. En ce jour, se trouvaient à Jérusalem, selon ce que rapportent les Actes des Apôtres, "des hommes dévots de toutes les nations qui sont sous le ciel" (
Ac 2,5). Et voilà que se manifeste le don caractéristique de l'Esprit Saint, tous comprennent les paroles des Apôtres: "Chacun les entendait parler en son propre idiome" (Ac 2,6). L'Esprit Saint leur donne de comprendre. En surmontant la rupture initiale de Babel - la confusion des coeurs, qui nous élève les uns contre les autres - l'Esprit ouvre les frontières. Le peuple de Dieu qui avait trouvé au Sinaï sa première forme, est alors élargi au point de ne connaître plus aucune frontière.

Le nouveau peuple de Dieu, l'Eglise, est un peuple qui provient de tous les peuples. L'Eglise est catholique dès le début, telle est son essence la plus profonde. Saint Paul explique et souligne cela dans la deuxième lecture, lorsqu'il dit: "Aussi bien est-ce en un seul Esprit que nous tous avons été baptisés en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été abreuvés d'un seul Esprit" (1Co 12,13). L'Eglise doit toujours redevenir ce qu'elle est déjà: elle doit ouvrir les frontières entre les peuples et abattre les barrières entre les classes et les races. En son sein, il ne peut y avoir de personnes oubliées ou méprisées. Dans l'Eglise, il n'y a que des frères et des soeurs de Jésus Christ libres.

Le vent et le feu de l'Esprit Saint doivent sans relâche ouvrir ces frontières que nous les hommes continuons à élever entre nous; nous devons toujours repasser de Babel, de la fermeture sur nous-mêmes, à la Pentecôte. Nous devons donc prier sans cesse pour que l'Esprit Saint nous ouvre, nous donne la grâce de la compréhension, de façon à devenir le peuple de Dieu issu de tous les peuples - saint Paul nous dit encore davantage: dans le Christ, qui comme unique pain nous nourrit tous dans l'Eucharistie et nous attire à lui dans son corps torturé sur la croix, nous devons devenir un seul corps et un seul esprit.

La deuxième image de l'envoi de l'Esprit, que nous trouvons dans l'Evangile, est beaucoup plus discrète. Mais c'est précisément ainsi qu'elle fait percevoir toute la grandeur de l'événement de la Pentecôte. Le Seigneur Ressuscité entre dans le lieu où se trouvent les disciples en traversant les portes closes et il les salue deux fois en disant: que la paix soit avec vous! Quant à nous, nous fermons sans cesse nos portes; nous voulons sans cesse nous mettre en sécurité et ne pas être dérangés par les autres et par Dieu. C'est pourquoi nous pouvons sans cesse supplier le Seigneur uniquement pour cela, pour qu'il vienne à nous en franchissant nos fermetures et qu'il nous apporte son salut. "Que la paix soit avec vous": ce salut du Seigneur est un pont, qu'il jette entre le ciel et la terre. Il descend sur ce pont jusqu'à nous et nous, nous pouvons monter, sur ce pont de paix, jusqu'à lui. Sur ce pont, toujours avec Lui, nous aussi nous devons arriver à notre prochain, jusqu'à celui qui a besoin de nous. Précisément en nous abaissant avec le Christ, nous nous élevons jusqu'à Lui et jusqu'à Dieu: Dieu est Amour et la descente, l'abaissement, que l'amour demande, est donc en même temps la véritable ascension. Précisément ainsi, en nous abaissant, en sortant de nous-mêmes, nous atteignons la hauteur de Jésus Christ, la véritable hauteur de l'être humain.

Au salut de paix du Seigneur suivent deux gestes décisifs pour la Pentecôte: le Seigneur veut que sa mission se poursuive à travers les disciples: "Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie" (Jn 20,21). Après quoi il souffle sur eux et dit: "Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus" (Jn 20,23). Le Seigneur souffle sur les disciples, et il leur donne ainsi l'Esprit Saint, son Esprit. Le souffle de Jésus est l'Esprit Saint. Nous reconnaissons tout d'abord ici une allusion au récit de la création de l'homme dans la Genèse, où il est dit: "Alors Yahvé Dieu modela l'homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie" (Gn 2,7). L'homme est cette créature mystérieuse, qui provient entièrement de la terre, mais dans laquelle a été placé le souffle de Dieu. Jésus souffle sur les apôtres et leur donne de manière nouvelle, plus grande, le souffle de Dieu.

Chez les hommes, malgré toutes leurs limites, se trouve à présent quelque chose d'absolument nouveau - le souffle de Dieu. La vie de Dieu habite en nous. Le souffle de son amour, de sa vérité et de sa bonté. Ainsi, nous pouvons voir ici également une allusion au baptême et à la confirmation - à cette nouvelle appartenance à Dieu, que le Seigneur nous donne. Le texte de l'Evangile nous invite à cela: à vivre toujours dans l'espace du souffle de Jésus Christ, à recevoir la vie de Lui, de façon à ce qu'il nous insuffle la vie authentique - la vie qu'aucune mort ne peut ôter. A son souffle, au don de l'Esprit Saint, le Seigneur relie le pouvoir de pardonner. Nous avons précédemment entendu que l'Esprit Saint unit, franchit les frontières, conduit les uns vers les autres. La force, qui ouvre et permet de surmonter Babel, est la force du pardon. Jésus peut donner le pardon et le pouvoir de pardonner, car il a lui-même souffert des conséquences de la faute et il les a fait disparaître dans la flamme de son amour. Le pardon vient de la croix; il transforme le monde avec l'amour qui se donne. Son coeur ouvert sur la croix est la porte à travers laquelle la grâce du pardon entre dans le monde. Seule cette grâce peut transformer le monde et édifier la paix.

Si nous comparons les deux événements de la Pentecôte, le vent puissant du 50 jour et le souffle léger de Jésus le soir de Pâques, le contraste entre deux épisodes, qui eurent lieu au Sinaï et dont nous parle l'Ancien Testament, peut nous revenir à l'esprit. D'une part, il y a le récit du feu, du tonnerre et du vent, qui précèdent la promulgation des dix Commandements et l'établissement de l'Alliance (Ex 19sq.); de l'autre, l'on trouve le mystérieux récit d'Elie sur l'Horeb. Après les événements dramatiques du Mont Carmel, Elie avait fui la colère d'Achab et de Jézabel. Suivant le commandement de Dieu, il était ensuite parti en pèlerinage jusqu'au Mont Horeb. Le don de l'alliance divine, de la foi dans le Dieu unique, semblait avoir disparu en Israël. Elie, d'une certaine façon, devait rallumer la flamme de la foi sur le Mont de Dieu et la rapporter à Israël. En ce lieu, il fait l'expérience du vent, d'un tremblement de terre et du feu. Mais Dieu n'est pas présent dans tout cela. Alors il perçoit un doux et léger murmure. Et Dieu lui parle dans ce souffle léger (1R 19,11-18). N'est-ce pas ce qui se passe le soir de cette Pâque, lorsque Jésus apparaît à ses Apôtres pour enseigner ce que l'on veut dire ici? Ne pouvons-nous pas voir ici une préfiguration du serviteur de Yahvé, dont Isaïe dit: "Il ne crie pas, il n'élève pas le ton, il ne fait pas entendre sa voix dans la rue" (Is 42,2)? N'est-ce pas ainsi qu'apparaît l'humble figure de Jésus comme la véritable révélation à travers laquelle Dieu se manifeste à nous et nous parle? L'humilité et la bonté de Jésus ne sont-elles pas la véritable épiphanie de Dieu? Elie, sur le Mont Carmel, avait cherché à combattre l'éloignement de Dieu par le feu et par l'épée, tuant les prophètes de Baal. Mais de cette façon, il n'avait pu rétablir la foi. Sur le Mont Horeb, il doit apprendre que Dieu n'est pas dans le vent, dans un tremblement de terre, dans le feu; Elie doit apprendre à percevoir la voix légère de Dieu et, ainsi, à reconnaître à l'avance celui qui a vaincu le péché, non par la force mais par sa Passion; celui qui, à travers sa souffrance, nous a donné le pouvoir du pardon. Telle est la façon dont Dieu vainc.

Chers ordinands! De cette façon le message de Pentecôte s'adresse à présent directement à vous. La scène de la Pentecôte de l'Evangile de Jean parle de vous et à vous. A chacun de vous, de façon très personnelle, le Seigneur dit: paix à vous - paix à toi! Lorsque le Seigneur dit cela, il ne donne pas quelque chose mais il se donne lui-même. En effet, il est lui-même la paix (Ep 2,14). Dans ce salut du Seigneur, nous pouvons également entrevoir un rappel du grand mystère de la foi, de la sainte Eucharistie, dans laquelle il se donne sans cesse lui-même et, de la sorte, donne la paix véritable. Ce salut se place ainsi au centre de votre mission sacerdotale: le Seigneur vous confie le mystère de ce sacrement. En son nom vous pouvez dire: ceci est mon corps - ceci est mon sang. Laissez-vous toujours attirer à nouveau dans la Sainte Eucharistie, dans la communion de vie avec le Christ. Considérez comme le centre de chaque journée le fait de pouvoir la célébrer de façon digne. Reconduisez toujours les hommes vers ce mystère. Aidez-les, à partir de celle-ci, à apporter la paix du Christ dans le monde.

Dans l'Evangile que nous venons d'entendre, retentit ensuite une deuxième parole du Ressuscité: "Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie" (Jn 20,21). Le Christ dit cela, de façon très personnelle, à chacun de vous. A travers l'ordination sacerdotale, vous vous insérez dans la mission des apôtres. L'Esprit Saint est vent, mais il n'est pas amorphe. C'est un esprit ordonné. Et il se manifeste précisément en ordonnant la mission, dans le sacrement du sacerdoce, avec lequel se poursuit le ministère des apôtres. A travers ce ministère, vous êtes insérés dans la grande assemblée de ceux qui, à partir de la Pentecôte, ont reçu la mission apostolique. Vous êtes insérés dans la communion du presbyterium, dans la communion avec l'Evêque et avec le Successeur de saint Pierre, qui, ici à Rome, est aussi votre Evêque. Nous sommes tous insérés dans le réseau de l'obéissance à la parole du Christ, à la parole de celui qui nous donne la véritable liberté, car il nous conduit dans les espaces libres et dans les amples horizons de la vérité. C'est précisément dans ce lien commun avec le Seigneur que nous pouvons et que nous devons vivre le dynamisme de l'Esprit. De même que le Seigneur est sorti du Père et nous a donné la lumière, la vie et l'amour, la mission doit sans cesse nous remettre en mouvement, nous rendre soucieux d'apporter à celui qui souffre, à celui qui est dans le doute, et également à celui qui est hésitant, la joie du Christ.

Enfin, il y a le pouvoir du pardon. Le sacrement de la pénitence est l'un des trésors précieux de l'Eglise, car ce n'est que dans le pardon que s'accomplit le véritable renouveau du monde. Rien ne peut s'améliorer dans le monde, si le mal n'est pas surmonté. Et le mal ne peut être surmonté qu'avec le pardon. Bien sûr, cela doit être un pardon efficace. Mais seul le Seigneur peut nous donner ce pardon. Un pardon qui n'éloigne pas le mal seulement en paroles, mais qui le détruit réellement. Cela ne peut se produire qu'avec la souffrance et a réellement eu lieu avec l'amour empreint de souffrance du Christ, d'où nous puisons le pouvoir du pardon.

Enfin, chers ordinands, je vous recommande d'aimer la Mère du Seigneur. Faites comme saint Jean, qui l'accueillit au plus profond de son coeur. Laissez-vous renouveler sans cesse par son amour maternel. Apprenez d'Elle à aimer le Christ. Que le Seigneur bénisse votre chemin sacerdotal! Amen




Benoît XVI Homélies 25405