Benoît XVI Homélies 29505

VISITE PASTORALE À BARI POUR LA CLÔTURE DU XXIV CONGRÈS EUCHARISTIQUE ITALIEN Esplanade de Marisabella - Dimanche 29 mai 2005

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Très chers frères et soeurs,


"Glorifie le Seigneur, Jérusalem, loue, Sion, ton Dieu" (Psaume responsorial). L'invitation du Psalmiste, qui retentit également dans la Séquence, exprime très bien le sens de cette Célébration eucharistique: nous sommes recueillis pour louer et bénir le Seigneur. Telle est la raison qui a incité l'Eglise italienne à se retrouver ici, à Bari, pour le Congrès eucharistique national. J'ai moi aussi voulu m'unir aujourd'hui à vous tous, pour célébrer avec une importance particulière la Solennité du Corps et du Sang du Christ, et rendre ainsi hommage au Christ dans le Sacrement de son amour, et renforcer dans le même temps les liens de communion qui me lient à l'Eglise qui est en Italie et à ses Pasteurs. Mon vénéré et bien-aimé Prédécesseur, le Pape Jean-Paul II aurait également voulu être présent comme vous le savez à cet important rendez-vous ecclésial. Nous sentons tous qu'il est proche de nous et qu'il glorifie avec nous le Christ, bon Pasteur, qu'il peut désormais contempler directement.

Je vous salue tous avec affection, vous qui participez à cette solennelle liturgie: le Cardinal Camillo Ruini et les autres Cardinaux présents, l'Archevêque de Bari, Mgr Francesco Cacucci, que je remercie de ses aimables paroles, les Evêques des Pouilles et ceux qui sont venus nombreux de toutes les régions d'Italie; les prêtres, les religieux, les religieuses et les laïcs; particulièrement les jeunes et naturellement tous ceux qui, de différentes façons, ont collaboré à l'organisation du Congrès. Je salue aussi les Autorités qui, à travers leur présence appréciée, soulignent également que les Congrès eucharistiques font partie de l'histoire et de la culture du peuple italien.

Ce Congrès eucharistique, qui arrive aujourd'hui à sa conclusion, a voulu présenter le dimanche comme la "Pâque hebdomadaire", expression de l'identité de la communauté chrétienne et centre de sa vie et de sa mission. Le thème choisi - "Sans le dimanche nous ne pouvons pas vivre" - nous ramène à l'an 304, lorsque l'empereur Dioclétien interdit aux chrétiens, sous peine de mort, de posséder les Ecritures, de se réunir le dimanche pour célébrer l'Eucharistie et de construire des lieux pour leurs assemblées. A Abitène, une petite ville situé dans l'actuelle Tunisie, 49 chrétiens furent surpris un dimanche alors que, réunis dans la maison d'Octave Félix, ils célébraient l'Eucharistie, bravant ainsi les interdictions impériales. Arrêtés, ils furent conduits à Carthage pour être interrogés par le Proconsul Anulinus. La réponse, parmi d'autres, qu'un certain Eméritus donna au Proconsul qui lui demandait pourquoi ils avaient transgressé l'ordre sévère de l'empereur, est significative. Il répondit: "Sine dominico non possumus": sans nous réunir en assemblée le dimanche pour célébrer l'Eucharistie, nous ne pouvons pas vivre. Les forces nous manqueraient pour affronter les difficultés quotidiennes et ne pas succomber. Après d'atroces tortures, ces 49 martyrs d'Abitène furent mis à mort. Ils confirmèrent ainsi leur foi, à travers l'effusion de leur sang. Ils moururent, mais ils vainquirent: nous les rappelons à présent dans la gloire du Christ ressuscité.

Les martyrs d'Abitène représentent une expérience sur laquelle nous, chrétiens du XXI siècle, nous devons réfléchir. Pour nous non plus, il n'est pas facile de vivre en chrétiens, même s'il n'y a pas ces interdictions de l'empereur. Mais, d'un point de vue spirituel, le monde dans lequel nous nous trouvons, souvent marqué par une consommation effrénée, par l'indifférence religieuse, par un sécularisme fermé à la transcendance, peut apparaître comme un désert aussi aride que celui "grand et redoutable" (
Dt 8,15) dont nous a parlé la première lecture, tirée du Livre du Deutéronome. Dieu vint à l'aide du peuple hébreu en difficulté dans ce désert avec le don de la manne, pour lui faire comprendre que "l'homme ne vit pas seulement de pain, mais que l'homme vit de tout ce qui sort de la bouche de Yahvé" (Dt 8,3). Dans l'Evangile d'aujourd'hui, Jésus nous a expliqué à quel pain Dieu, à travers le don de la manne, voulait préparer le peuple de la Nouvelle Alliance. Faisant allusion à l'Eucharistie, il a dit: "Voici le Pain descendu du ciel; il n'est pas comme celui qu'ont mangé les pères et ils sont morts; qui mange ce pain vivra à jamais" (Jn 6,58). le Fils de Dieu, s'étant fait chair, pouvait devenir Pain, et être ainsi la nourriture de son peuple, de nous qui sommes en marche en ce monde vers la terre promise du Ciel.

Nous avons besoin de ce Pain pour affronter les difficultés et la fatigue du voyage. Le Dimanche, Jour du Seigneur, est l'occasion propice pour puiser notre force en Lui, qui est le Seigneur de la vie. Le précepte de fête n'est donc pas un devoir imposé de l'extérieur, un fardeau qui pèse sur nos épaules. Au contraire, participer à la Célébration dominicale, se nourrir du Pain eucharistique et faire l'expérience de la communion des frères et des soeurs dans le Christ, est un besoin pour le chrétien, est une joie; ainsi, le chrétien peut trouver l'énergie nécessaire pour le chemin que nous devons parcourir chaque semaine. Un chemin, par ailleurs, qui n'est pas arbitraire: la route que Dieu nous indique dans sa Parole va dans la direction inscrite dans l'essence même de l'homme. La Parole de Dieu et la raison vont de pair. Suivre la Parole de Dieu, aller avec le Christ signifie pour l'homme se réaliser soi-même; l'égarer équivaut à s'égarer soi-même.

Le Seigneur ne nous laisse pas seuls sur ce chemin. Il est avec nous; Il désire même partager notre sort jusqu'à s'identifier avec nous. Dans l'entretien que l'Evangile vient de nous rapporter, Il dit: "Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui" (Jn 6,56). Comment ne pas se réjouir d'une telle promesse? Nous avons cependant entendu que, à cette première annonce, les gens, au lieu de se réjouir, commencèrent à discuter et à protester: "Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger?" (Jn 6,52). En vérité, cette attitude s'est répétée de nombreuses autres fois au cours de l'histoire. On dirait que, au fond, les gens ne veulent pas que Dieu soit aussi proche, aussi accessible, aussi actif dans leurs vies. Les gens le veulent grand et, en définitive, nous aussi, souvent, nous le voulons plutôt un peu loin de nous. On soulève alors des questions qui veulent démontrer, en fin de compte, qu'une telle proximité serait impossible. Mais les paroles que le Christ a prononcées en cette circonstance demeurent dans toute leur clarté: "En vérité, en vérité je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme et ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous" (Jn 6,53). En vérité, nous avons besoin d'un Dieu proche. Face au murmure de protestation, Jésus aurait pu se replier sur des paroles rassurantes: "Mes amis, aurait-il pu dire, ne vous inquiétez pas! J'ai parlé de chair, mais il s'agit seulement d'un symbole. Je ne veux parler que d'une profonde communion de sentiments". Mais non, Jésus n'a pas eu recours à de telles simplifications. Il a fermement conservé son affirmation, tout son réalisme, même face à la défection d'un grand nombre de ses disciples (cf. Jn 6,66). Il s'est même révélé disposé à accepter la défection de ses apôtres eux-mêmes, pour ne pas changer quoi que ce soit à l'aspect concret de son discours: "Voulez-vous partir, vous aussi?" (Jn 6,67), a-t-il demandé. Grâce à Dieu, Pierre a donné une réponse que nous aussi, aujourd'hui, pleinement conscients, nous faisons nôtre: "Seigneur à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle" (Jn 6,68). Nous avons besoin d'un Dieu proche, d'un Dieu qui se remet entre nos mains et qui nous aime.

Dans l'Eucharistie, le Christ est réellement présent parmi nous. Sa présence n'est pas une présence statique. C'est une présence dynamique, qui nous saisit pour nous faire siens, pour nous assimiler à Lui. Le Christ nous attire à Lui, il nous fait sortir de nous-mêmes pour faire de nous tous une seule chose avec Lui. De cette façon, il nous insère également dans la communauté des frères, et la communion avec le Seigneur est toujours également une communion avec nos soeurs et avec nos frères. Et nous voyons la beauté de cette communion que la Sainte Eucharistie nous donne.

Nous abordons ici une dimension supplémentaire de l'Eucharistie, dont je voudrais également traiter avant de conclure. Le Christ que nous rencontrons dans le sacrement est le même ici à Bari qu'à Rome, ici en Europe qu'en Amérique, en Afrique, en Asie, en Océanie. C'est l'unique et même Christ qui est présent dans le Pain eucharistique de chaque lieu de la terre. Cela signifie que nous ne pouvons le rencontrer qu'avec tous les autres. Nous ne pouvons le recevoir que dans l'unité. N'est-ce pas ce que nous a dit l'apôtre Paul dans la lecture que nous venons d'entendre? Ecrivant aux Corinthiens, il affirmait: "Parce qu'il n'y a qu'un pain, à plusieurs nous ne sommes qu'un corps, car tous nous participons à ce pain unique" (1Co 10,17). La conséquence est claire: nous ne pouvons pas communiquer avec le Seigneur, si nous ne communiquons pas entre nous. Si nous voulons nous présenter à Lui, nous devons également nous mettre en mouvement pour aller les uns à la rencontre des autres. C'est pourquoi il faut apprendre la grande leçon du pardon: ne pas laisser notre âme être rongée par le ressentiment, mais ouvrir notre coeur à la magnanimité de l'écoute de l'autre, ouvrir notre coeur à la compréhension à son égard, à l'éventuelle acceptation de ses excuses, au don généreux des nôtres.

L'Eucharistie - répétons-le - est le sacrement de l'unité. Mais malheureusement les chrétiens sont divisés, précisément dans le sacrement de l'unité. Soutenus par l'Eucharistie, nous devons d'autant plus nous sentir incités à tendre de toutes nos forces à cette pleine unité que le Christ a ardemment souhaitée au Cénacle. Précisément ici, à Bari, heureuse Bari, dans la généreuse ville qui conserve les ossements de saint Nicolas, terre de rencontre et de dialogue avec les frères chrétiens de l'Orient, je voudrais réaffirmer ma volonté de prendre l'engagement fondamental d'oeuvrer avec toute mon énergie à la reconstruction de l'unité pleine et visible de tous les disciples du Christ. Je suis conscient que pour cela les manifestations de bons sentiments ne suffisent pas. Il y a besoin de gestes concrets qui entrent dans les âmes et qui éveillent les consciences, invitant chacun à cette conversion intérieure qui est le présupposé de chaque progrès sur la voie de l'oecuménisme (cf. Message à l'Eglise universelle, Chapelle Sixtine, 20 avril 2005). Je demande à tous de prendre de manière décidée la route de cet oecuménisme spirituel qui, dans la prière, ouvre les portes à l'Esprit Saint, le seul qui puisse créer l'unité.

Chers amis venus à Bari de diverses régions d'Italie pour célébrer ce Congrès eucharistique, nous devons redécouvrir la joie du dimanche chrétien. Nous devons redécouvrir avec fierté le privilège de participer à l'Eucharistie, qui est le sacrement du monde renouvelé. La résurrection du Christ eut lieu le premier jour de la semaine, qui, dans l'Ecriture, était le jour de la création du monde. C'est précisément pour cette raison que le dimanche était considéré par la communauté chrétienne primitive comme le jour où un monde nouveau a commencé, celui où, grâce à la victoire du Christ sur la mort, la nouvelle création a commencé. En se rassemblant autour de la table eucharistique, la communauté se formait progressivement comme le nouveau peuple de Dieu. Saint Ignace d'Antioche définissait les chrétiens comme "ceux qui sont parvenus à la nouvelle espérance", et il les présentait comme des personnes "vivantes selon le dimanche" ("iuxta dominicam viventes"). Dans cette perspective, l'Evêque d'Antioche se demandait: "Comment pourrions-nous vivre sans Lui, que les prophètes aussi ont attendu?" (EP ad Magnesios, 9, 1-2).

"Comment pourrions-nous vivre sans Lui?". Nous entendons retentir dans ces paroles de saint Ignace l'affirmation des martyrs d'Abitène: "Sine dominico non possumus". C'est précisément de là que jaillit notre prière: que nous aussi, chrétiens d'aujourd'hui, retrouvions la conscience de l'importance décisive de la Célébration dominicale et sachions tirer de la participation à l'Eucharistie l'élan nécessaire pour un nouvel engagement dans l'annonce au monde du Christ "notre paix" (Ep 2,14). Amen!



SOLENNITÉ DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL - 29 juin 2005

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Basilique Saint-Pierre

Mercredi 29 juin 2005

Chers frères et soeurs,


La fête des saints Apôtres Pierre et Paul est à la fois une commémoration reconnaissante des grands témoins de Jésus Christ et une confession solennelle en faveur de l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique. C'est tout d'abord une fête de la catholicité. Le signe de la Pentecôte - la nouvelle communauté qui parle dans toutes les langues et qui unit tous les peuples en un unique peuple, en une famille de Dieu - ce signe est devenu réalité. Notre assemblée liturgique, au sein de laquelle sont réunis des Evêques provenant de toutes les parties du monde, des personnes de multiples cultures et nations, est une image de la famille de l'Eglise présente sur toute la terre. Des étrangers sont devenus des amis; au-delà de toutes les frontières, nous nous reconnaissons comme des frères. Ainsi est menée à bien la mission de saint Paul, qui savait "être un officiant du Christ Jésus auprès des païens, ministre de l'Evangile de Dieu , afin que les païens deviennent une offrande agréable, sanctifiée dans l'Esprit Saint" (
Rm 15,16). Le but de la mission est une humanité devenue elle-même une glorification vivante de Dieu, le culte véritable que Dieu attend: tel est le sens le plus profond de la catholicité - une catholicité qui nous a déjà été donnée et vers laquelle nous devons toutefois toujours nous acheminer. La Catholicité n'exprime pas qu'une dimension horizontale, le rassemblement de nombreuses personnes dans l'unité; elle exprime également une dimension verticale: ce n'est qu'en tournant le regard vers Dieu, seulement en s'ouvrant à Lui que nous pouvons devenir vraiment une seule chose. Comme Paul, Pierre vint lui aussi à Rome, dans la ville qui était le lieu de convergence de tous les peuples et qui, précisément pour cette raison, pouvait devenir avant toute autre l'expression de l'universalité de l'Evangile. En entreprenant le voyage de Jérusalem à Rome, il savait assurément qu'il était guidé par les voix des prophètes, par la foi et par la prière d'Israël. En effet, la mission vers le monde entier fait également partie de l'annonce de l'Ancienne Alliance: le peuple d'Israël était destiné à être une lumière pour les nations. Le grand Psaume de la Passion, le psaume 21, dont le premier verset est: "Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné?". Jésus a prononcé ce psaume sur la croix, il se terminait par la vision suivante: "Tous les lointains de la terre se souviendront et reviendront vers Yahvé; toutes les familles des nations se prosterneront devant lui" (Ps 21,28). Quand Pierre et Paul vinrent à Rome le Seigneur, qui avait commencé ce psaume sur la croix, était ressuscité; cette victoire de Dieu devait à présent être annoncée à tous les peuples, accomplissant ainsi la promesse avec laquelle le Psaume se concluait.

Catholicité signifie universalité - multiplicité qui devient unité; unité qui demeure toutefois multiplicité. A partir de la parole de Paul sur l'universalité de l'Eglise, nous avons déjà vu que la capacité des peuples à se dépasser eux-mêmes, pour regarder vers l'unique Dieu, fait partie de cette unité. Le fondateur de la théologie catholique, saint Irénée de Lyon au II siècle, a exprimé d'une très belle façon ce lien entre catholicité et unité, et je le cite. Il dit: "C'est cette doctrine et cette foi que l'Eglise, disséminée dans le monde entier, conserve avec diligence, formant presque une unique famille: la même foi avec une seule âme et un seul coeur, la même prédication, enseignement, tradition comme si elle ne possédait qu'une seule bouche. Les langues sont différentes selon les régions, mais la force de la tradition est unique et la même. Les Eglises d'Allemagne n'ont pas une foi ou une tradition différente, ni même celles d'Espagne, de Gaule, d'Egypte, de Lybie, de l'Orient, du centre de la terre; comme le soleil, créature de Dieu, est un seul et identique dans le monde entier, ainsi la lumière de la vraie prédication resplendit partout et éclaire tous les hommes qui veulent venir à la connaissance de la vérité" (Adv. haer., I 10, 2). L'unité des hommes dans leur multiplicité est devenue possible car Dieu, cet unique Dieu du ciel et de la terre, s'est montré à nous; parce que la vérité essentielle sur notre vie, sur notre "d'où?" et "vers où?", est devenue visible quand Il s'est montré à nous et, en Jésus Christ, nous a fait voir son visage, lui-même. Cette vérité sur l'essence de notre être, sur notre vie et sur notre mort, vérité qui a été rendue visible par Dieu, nous unit et nous fait devenir frères. Catholicité et unité vont de pair. Et l'unité a un contenu: la foi que les Apôtres nous ont transmise de la part du Christ.

Je suis heureux d'avoir pu remettre hier à l'Eglise - en la fête de saint Irénée et à la veille de la solennité des saints Pierre et Paul - un nouveau guide pour la transmission de la foi, qui nous aide à mieux connaître et ensuite à mieux vivre également la foi qui nous unit: le Compendium du Catéchisme de l'Eglise catholique. Ce qui dans le grand Catéchisme, à travers les témoignages des saints de tous les siècles et avec les réflexions mûries par la théologie, est présenté de manière détaillée, est ici dans ce livre récapitulé dans ses contenus essentiels, qu'il faut ensuite traduire dans le langage quotidien et concrétiser toujours à nouveau. Le livre est structuré à la façon d'un entretien, avec des questions et des réponses; quatorze images associées à divers domaines de la foi invitent à la contemplation et à la méditation. Elles résument pour ainsi dire de façon visible ce que la parole développe en détail. Au début, il y a l'icône du Christ du XVI siècle, qui se trouve sur le mont Athos et qui représente le Christ dans sa dignité de Seigneur de la terre, mais en même temps comme le héraut de l'Evangile, qu'il tient à la main. "Je suis celui qui est" - ce mystérieux nom de Dieu proposé dans l'Ancienne Alliance - est rapporté là comme son nom propre: tout ce qui existe provient de Lui; il est la source originelle de tout être. Et comme il est unique, il est aussi toujours présent, il est toujours proche de nous et, dans le même temps, il nous précède toujours: comme "indicateur" sur la voie de notre vie, étant d'ailleurs Lui-même la voie. On ne peut pas lire ce livre comme on lit un roman. Il faut le méditer avec calme dans chacune de ses parties et permettre que son contenu, à travers les images, pénètre dans l'âme. J'espère qu'il sera accueilli de cette façon et pourra devenir un bon guide dans la transmission de la foi.

Nous avons dit que catholicité de l'Eglise et unité de l'Eglise vont de pair. Le fait que ces deux dimensions nous deviennent visibles à travers les figures des saints Apôtres, nous indique déjà la caractéristique suivante de l'Eglise: elle est apostolique. Qu'est-ce que cela signifie? Le Seigneur a institué douze Apôtres, de même que les fils de Jacob étaient douze, en les désignant ainsi comme les chefs de file du peuple de Dieu qui, désormais devenu universel, comprend dès lors tous les peuples. Saint Marc nous dit que Jésus appela les Apôtres pour "être ses compagnons et pour les envoyer prêcher" (Mc 3,14). Cela semble presque une contradiction. Nous, nous dirions: ou ils sont avec lui, ou alors ils sont envoyés et se mettent en marche. Le saint Pape Grégoire le Grand prononça une phrase sur les anges qui nous aide à résoudre cette contradiction. Il dit que les anges sont toujours envoyés et, dans le même temps, sont toujours devant Dieu, et il poursuit ainsi : "Ils sont envoyés partout, ils vont partout, ils marchent toujours dans le sein de Dieu" (Homélie 34, 13). L'Apocalypse a qualifié les Evêques d'"anges" de leur Eglise, et nous pouvons donc en tirer l'application suivante: les Apôtres et leurs successeurs devraient toujours être avec le Seigneur et précisément ainsi - où qu'ils aillent - être toujours en communion avec Lui et vivre de cette communion.

L'Eglise est apostolique, car elle confesse la foi des Apôtres et cherche à la vivre. Il y a une unicité qui caractérise les Douze appelés par le Seigneur, mais il existe dans le même temps une continuité dans la mission apostolique. Saint Pierre, dans sa première Lettre, s'est qualifié de "co-presbytre" comme les presbytres auxquels il écrit (1P 5,1). Il a ainsi exprimé le principe de la succession apostolique: le même ministère qu'il avait reçu du Seigneur continue à présent dans l'Eglise, grâce à l'ordination sacerdotale. La Parole de Dieu n'est pas seulement écrite mais, grâce aux témoins que le Seigneur, à travers le sacrement, a insérés dans le ministère apostolique, elle reste parole vivante. C'est pourquoi je m'adresse à présent à vous, chers confrères Evêques. Je vous salue avec affection, ainsi que vos familles et les pèlerins de vos diocèses respectifs. Vous allez recevoir le pallium des mains du Successeur de Pierre. Nous l'avons fait bénir, comme par Pierre lui-même, en le plaçant à côté de sa tombe. A présent, celui-ci est l'expression de notre responsabilité commune devant le "chef des pasteur" Jésus Christ, dont parle Pierre (1P 5,4). Le pallium est l'expression de notre mission apostolique. Il est l'expression de notre communion, qui possède sa garantie visible dans le ministère pétrinien. A l'unité, ainsi qu'à l'apostolicité, est lié le service pétrinien, qui réunit de façon visible l'Eglise de tous les lieux et de toutes les époques, empêchant ainsi chacun de nous de glisser vers de fausses autonomies, qui se transforment trop facilement en particularismes de l'Eglise et peuvent ainsi compromettre son indépendance. Avec cela nous ne voulons pas oublier que le sens de toutes les fonctions et de tous les ministères est, au fond, que "nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire plus qu'un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et constituer cet Homme parfait, dans la force de l'âge, qui réalise la plénitude du Christ", pour que le corps du Christ croisse "se construisant lui-même dans la charité" (Ep 4,13 Ep 4,16).

Dans cette perspective, je salue de tout coeur et avec gratitude la délégation de l'Eglise orthodoxe de Constantinople, qui est envoyée par le Patriarche oecuménique Bartholomaios I, auquel j'adresse une pensée cordiale. Conduite par le Métropolite Ioannis, elle est venue à notre fête et participe à notre célébration. Même si nous ne trouvons pas encore un accord sur la question de l'interprétation et de la portée du ministère pétrinien, nous sommes cependant ensemble dans la succession apostolique, nous sommes profondément unis les uns aux autres pour le ministère épiscopal et pour le sacrement du sacerdoce et nous confessons ensemble la foi des Apôtres, telle qu'elle nous est donnée dans l'Ecriture et telle qu'elle est interprétée par les grands Conciles. En cette heure du monde, pleine de scepticisme et de doutes, mais également riche du désir de Dieu, nous reconnaissons à nouveau notre mission commune de témoigner ensemble du Christ Seigneur et, sur la base de cette unité qui nous est déjà donnée, d'aider le monde afin qu'il croie. Et nous supplions le Seigneur de tout notre coeur pour qu'il nous guide à la pleine unité, de façon à ce que la splendeur de la vérité, qui elle seule peut créer l'unité, devienne à nouveau visible dans le monde.

L'Evangile de ce jour nous parle de la confession de saint Pierre, à partir de laquelle l'Eglise a commencé: "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant" (Mt 16,16). Ayant parlé aujourd'hui de l'Eglise une, catholique et apostolique, mais pas encore de l'Eglise sainte, nous voulons rappeler maintenant une autre confession de Pierre prononcée au nom des Douze à l'heure du grand abandon: "Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le saint de Dieu" (Jn 6,69). Qu'est-ce que cela signifie? Jésus, dans la grande prière sacerdotale, dit de se sanctifier pour les disciples, faisant allusion au sacrifice de sa mort (Jn 17,19). Jésus exprime ainsi implicitement sa fonction de vrai Prêtre suprême qui réalise le mystère du "Jour de la Réconciliation", non plus seulement à travers les rites substitutifs, mais avec l'aspect concret de son corps et de son sang. L'expression "le saint de Dieu" indiquait Aaron dans l'Ancien Testament comme le Prêtre Suprême qui avait la tâche d'accomplir la sanctification d'Israël (Ps 105,16 vgl. Si 45,6). La confession de Pierre en faveur du Christ, qu'il déclare le Saint de Dieu, se situe dans le contexte du discours eucharistique, dans lequel Jésus annonce le grand Jour de la Réconciliation à travers l'offrande de lui-même en sacrifice: "Le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde" (Jn 6,51). Ainsi, dans le cadre de cette confession, se trouve le mystère sacerdotal de Jésus, son sacrifice pour nous tous. L'Eglise n'est pas sainte par elle-même; elle est en effet constituée de pécheurs - nous le savons et nous le voyons tous. Mais elle est plutôt toujours à nouveau sanctifiée par le Saint de Dieu, par l'amour purificateur du Christ. Dieu n'a pas seulement parlé: il nous a aimés d'une façon très réaliste, aimé jusqu'à la mort de son propre Fils. C'est précisément là qu'apparaît toute la grandeur de la révélation qui a comme inscrit les blessures dans le coeur de Dieu lui-même. Alors chacun de nous peut personnellement dire avec saint Paul: "Je vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi" (Ga 2,20). Nous prions le Seigneur afin que la vérité de cette parole s'imprime profondément, avec sa joie et avec sa responsabilité, dans notre coeur; nous prions pour qu'en rayonnant à partir de la Célébration eucharistique, elle devienne toujours davantage la force qui modèle notre vie.



SOLENNITÉ DE L'ASSOMPTION - Lundi 15 août 2005

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Paroisse pontificale "San Tommaso da Villanova", Castel Gandolfo




Chers frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce, chers frères et soeurs,

Avant tout, un cordial salut à vous tous. C'est pour moi une grande joie de célébrer la Messe le jour de l'Assomption dans cette belle église paroissiale. Je salue le Cardinal Sodano, l'Evêque d'Albano, tous les prêtres, le Maire et vous tous. Merci de votre présence. La fête de l'Assomption est un jour de joie. Dieu a vaincu. L'amour a vaincu. La vie a vaincu. On a vu que l'amour est plus fort que la mort. Que Dieu possède la véritable force et que sa force est bonté et amour.

Marie a été élevée au ciel corps et âme: même pour le corps, il y a une place en Dieu. Le ciel n'est plus pour nous un domaine très éloigné et inconnu. Dans le ciel, nous avons une mère. C'est la Mère de Dieu, la Mère du Fils de Dieu, c'est notre Mère. Lui-même l'a dit. Il en a fait notre Mère, lorsqu'il a dit au disciple et à nous tous: "Voici ta Mère!". Dans le ciel, nous avons une Mère. Le ciel s'est ouvert, le ciel a un coeur.

Dans l'Evangile, nous avons entendu le Magnificat, cette grande poésie qui s'est élevée des lèvres, et plus encore du coeur de Marie, inspirée par l'Esprit Saint. Dans ce chant merveilleux se reflète toute l'âme, toute la personnalité de Marie. Nous pouvons dire que son chant est un portrait, une véritable icône de Marie, dans laquelle nous pouvons la voir exactement telle qu'elle est. Je voudrais souligner uniquement deux points de ce grand chant. Celui-ci commence par la parole "Magnificat": mon âme "magnifie" le Seigneur, c'est-à-dire "proclame la grandeur" du Seigneur. Marie désire que Dieu soit grand dans le monde, soit grand dans sa vie, soit présent parmi nous tous. Elle n'a pas peur que Dieu puisse être un "concurrent" dans notre vie, qu'il puisse ôter quelque chose de notre liberté, de notre espace vital, par sa grandeur. Elle sait que si Dieu est grand, nous aussi, nous sommes grands. Notre vie n'est pas opprimée, mais est élevée et élargie: ce n'est qu'alors qu'elle devient grande dans la splendeur de Dieu.

Le fait que nos ancêtres pensaient le contraire, constitua le noyau du péché originel. Ils craignaient que si Dieu avait été trop grand, il aurait ôté quelque chose à leur vie. Ils pensaient devoir mettre Dieu de côté pour avoir de la place pour eux-mêmes. Telle a été également la grande tentation de l'époque moderne, des trois ou quatre derniers siècles. On a toujours plus pensé et dit: "Mais ce Dieu ne nous laisse pas notre liberté, il rend étroit l'espace de notre vie avec tous ses commandements. Dieu doit donc disparaître; nous voulons être autonomes, indépendants. Sans ce Dieu, nous serons nous-mêmes des dieux, et nous ferons ce que nous voulons". Telle était également la pensée du fils prodigue, qui ne comprit pas que, précisément en vertu du fait d'être dans la maison du père, il était "libre". Il partit dans des pays lointains et consuma la substance de sa vie. A la fin, il comprit que, précisément parce qu'il s'était éloigné du père, au lieu d'être libre, il était devenu esclave; il comprit que ce n'est qu'en retournant à la maison du Père qu'il pouvait être véritablement libre, dans toute la splendeur de la vie. Il en est de même à l'époque moderne. Avant, on pensait et on croyait que, ayant mis Dieu de côté et étant autonomes, en suivant uniquement nos idées, notre volonté, nous serions devenus réellement libres, nous aurions pu faire ce que nous voulions sans que personne ne nous donne aucun ordre. Mais là où Dieu disparaît, l'homme ne devient pas plus grand; il perd au contraire sa dignité divine, il perd la splendeur de Dieu sur son visage. A la fin, il n'apparaît plus que le produit d'une évolution aveugle, et, en tant que tel, il peut être usé et abusé. C'est précisément ce que l'expérience de notre époque a confirmé.

Ce n'est que si Dieu est grand que l'homme est également grand. Avec Marie, nous devons commencer à comprendre cela. Nous ne devons pas nous éloigner de Dieu, mais rendre Dieu présent; faire en sorte qu'Il soit grand dans notre vie; ainsi, nous aussi, nous devenons divins; toute la splendeur de la dignité divine nous appartient alors. Appliquons cela à notre vie. Il est important que Dieu soit grand parmi nous, dans la vie publique et dans la vie privée. Dans la vie publique, il est important que Dieu soit présent, par exemple, à travers la Croix, dans les édifices publics, que Dieu soit présent dans notre vie commune, car ce n'est que si Dieu est présent que nous pouvons suivre une orientation, une route commune; autrement, les différences deviennent inconciliables, car il n'existe pas de reconnaissance de notre dignité commune. Rendons Dieu grand dans la vie publique et dans la vie privée. Cela veut dire laisser chaque jour un espace à Dieu dans notre vie, en commençant le matin par la prière, puis en réservant du temps à Dieu, en consacrant le dimanche à Dieu. Nous ne perdons pas notre temps libre si nous l'offrons à Dieu. Si Dieu entre dans notre temps, tout notre temps devient plus grand, plus ample, plus riche.

Une seconde observation. Cette poésie de Marie - le Magnificat - est entièrement originale; toutefois, elle est, dans le même temps, un "tissu" composé à partir de "fils" de l'Ancien Testament, à partir de la Parole de Dieu. Et ainsi, nous voyons que Marie était, pour ainsi dire, "chez elle" dans la Parole de Dieu, elle vivait de la Parole de Dieu, elle était pénétrée de la Parole de Dieu. Dans la mesure où elle parlait avec les paroles de Dieu, elle pensait avec les paroles de Dieu, ses pensées étaient les pensées de Dieu. Ses paroles étaient les paroles de Dieu. Elle était pénétrée par la lumière divine et c'est la raison pour laquelle elle était aussi resplendissante, aussi bonne, aussi rayonnante, d'amour et de bonté. Marie vit de la Parole de Dieu, elle est imprégnée de la Parole de Dieu. Et le fait d'être plongée dans la Parole de Dieu, le fait que la Parole de Dieu lui est totalement familière, lui confère également la lumière intérieure de la sagesse. Celui qui pense avec Dieu pense bien, et celui qui parle avec Dieu parle bien. Il possède des critères de jugement valables pour toutes les choses du monde. Il devient savant, sage, et, dans le même temps, bon; il devient également fort et courageux, grâce à la force de Dieu qui résiste au mal et promeut le bien dans le monde.

Et ainsi, Marie parle avec nous, elle nous parle, elle nous invite à connaître la Parole de Dieu, à aimer la Parole de Dieu à vivre avec la Parole de Dieu et à penser avec la Parole de Dieu. Et nous pouvons le faire de façons très diverses: en lisant l'Ecriture Sainte, en particulier en participant à la Liturgie, dans laquelle, au cours de l'année, la Sainte Eglise nous présente tout le livre de l'Ecriture Sainte. Elle l'ouvre à notre vie et le rend présent dans notre vie. Mais je pense également au "Compendium du Catéchisme de l'Eglise catholique", que nous avons récemment publié, et dans lequel la Parole de Dieu est appliquée à notre vie, interprète la réalité de notre vie, nous aide à entrer dans le grand "temple" de la Parole de Dieu, à apprendre à l'aimer et à être, comme Marie, pénétrés par cette Parole. Ainsi la vie devient lumineuse et nous possédons un critère de base pour notre jugement, nous recevons en même temps la bonté et la force.

Marie est élevée corps et âme à la gloire du ciel et avec Dieu et en Dieu, elle est Reine du ciel et de la terre. Est-elle si éloignée de nous? Bien au contraire. Précisément parce qu'elle est avec Dieu et en Dieu, elle est très proche de chacun de nous. Lorsqu'elle était sur terre, elle ne pouvait être proche que de quelques personnes. Etant en Dieu, qui est proche de nous, qui est même "à l'intérieur" de nous tous, Marie participe à cette proximité de Dieu. Etant en Dieu et avec Dieu, elle est proche de chacun de nous, elle connaît notre coeur, elle peut entendre nos prières, elle peut nous aider par sa bonté maternelle et elle nous est donnée - comme le dit le Seigneur, - précisément comme "mère", à laquelle nous pouvons nous adresser à tout moment. Elle nous écoute toujours, elle est toujours proche de nous, et, étant la Mère du Fils, elle participe de la puissance du Fils, de sa bonté. Nous pouvons toujours confier toute notre vie à cette Mère, qui est proche de tous.

Rendons grâce au Seigneur, en ce jour de fête, pour le don de la Mère et prions Marie, afin qu'elle nous aide à trouver le bon chemin chaque jour. Amen.



Benoît XVI Homélies 29505