Benoît XVI Homélies 11115

CHAPELLE PAPALE EN SUFFRAGE DES CARDINAUX ET DES ÉVÊQUES DÉFUNTS AU COURS DE L'ANNÉE Vendredi 11 novembre 2005

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Messieurs les Cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
chers frères et soeurs!

Le mois de novembre revêt une connotation spirituelle particulière en raison des deux journées par lesquelles il s'ouvre: la Solennité de la Toussaint et la Commémoration de tous les fidèles défunts. Le mystère de la communion des saints illumine de manière particulière ce mois et toute la partie finale de l'année liturgique, en orientant la méditation sur le destin terrestre de l'homme à la lumière de la Pâque du Christ. Dans celle-ci trouve son fondement cette espérance qui, comme le dit saint Paul, est telle qu'elle "ne déçoit pas" (cf.
Rm 5,5). La célébration d'aujourd'hui se situe précisément dans ce contexte, dans lequel la foi exalte des sentiments profondément inscrits dans l'âme humaine. Lors de ces journées, la grande famille de l'Eglise trouve un temps de grâce et le vit, selon sa vocation, en se rassemblant en prière autour du Seigneur et en offrant son Sacrifice rédempteur à l'intention des fidèles défunts. Aujourd'hui, nous l'offrons de manière particulière pour les Cardinaux et les Evêques qui nous ont quittés au cours de l'année écoulée.

Pendant longtemps, j'ai appartenu au Collège cardinalice, dont j'ai également été le Doyen pendant deux ans et demi. Je me sens donc particulièrement lié à cette communauté spécifique, que j'ai eu l'honneur de présider également pendant les journées inoubliables qui ont suivi la disparition du bien-aimé Pape Jean-Paul II. Il nous a laissé, parmi d'autres exemples lumineux, celui très précieux de la prière, et en ce moment également, nous recueillons son héritage spirituel, conscients que son intercession se poursuit de manière encore plus intense du Ciel. Au cours des douze derniers mois, cinq Vénérés frères Cardinaux sont passés "sur l'autre rive": Juan Carlos Aramburu, Jan Pieter Schotte, Corrado Bafile, Jaime Sin et, il y a moins d'un mois, Giuseppe Caprio. Avec leurs âmes, nous confions aujourd'hui au Seigneur celles des Archevêques et des Evêques qui, au cours de cette même période, ont conclu leur pèlerinage terrestre. Nous élevons ensemble notre prière pour chacun d'eux, dans la lumière de la Parole que Dieu nous a adressée dans cette Liturgie.

Le passage du Livre du Siracide contient tout d'abord une exhortation à la constance dans l'épreuve et donc une invitation à la confiance en Dieu. A l'homme qui traverse les vicissitudes de la vie, la Sagesse recommande: "Attache-toi à lui - au Seigneur -, ne t'éloigne pas, afin d'être exalté à ton dernier jour" (Si 2,3). Celui qui se place au service du Seigneur et qui donne sa vie dans le ministère ecclésial n'est pas exempté des épreuves, au contraire, il en rencontre de plus insidieuses, comme le démontre largement l'expérience des saints. Mais vivre dans la crainte de Dieu libère le coeur de toute peur et le plonge dans les profondeurs de son amour. "Vous qui craignez le Seigneur, ayez confiance en lui [...] espérez ses bienfaits, la joie éternelle et la miséricorde" (Si 2,8-9).

Cette invitation à la confiance se rattache directement au début de l'épisode de l'Evangile de saint Jean qui vient d'être proclamé: "Que votre coeur ne se trouble pas! - dit Jésus aux Apôtres lors de la dernière Cène - vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi" (Jn 14,1). Le coeur humain, toujours inquiet tant qu'il ne trouve pas un refuge sûr dans son pèlerinage, atteint finalement là le roc solide où s'arrêter et se reposer. Celui qui a confiance en Jésus, place sa confiance en Dieu lui-même. En effet, Jésus est un Homme véritable, mais en lui, nous pouvons avoir une foi pleine et inconditionnée, car - comme il l'affirme lui-même peu après en s'adressant à Philippe - il est dans le Père et le Père est en lui (cf. Jn 14,10). En cela, Dieu est véritablement venu à notre rencontre. Nous, les êtres humains, nous avons besoin d'un ami, d'un frère qui nous prenne par la main et nous accompagne jusqu'à la maison du Père (Jn 14,2); nous avons besoin de quelqu'un qui connaît bien la route. Et Dieu, dans son amour "surabondant" (Ep 2,4), a envoyé son Fils, non seulement pour qu'il nous l'indique, mais pour devenir lui-même "le chemin" (Jn 14,6).

"Nul ne vient au Père que par moi" (Jn 14,6), affirme Jésus. Ce "nul" n'admet pas d'exceptions; mais, à tout bien considérer, il correspond à une autre parole, que Jésus prononça aussi lors de la dernière Cène lorsque, présentant la coupe, il dit: "Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés" (Mt 26,28). Dans la maison, du Père, les "places" sont "nombreuses", au sens où près de Dieu il y a de la place pour "tous" (cf. Jn 14,2). Jésus est la voie ouverte à "tous"; il n'y en a pas d'autres. Et celles qui semblent "autres", dans la mesure où elles sont authentiques, reconduisent à Lui; autrement, elles ne mènent pas à la vie. Le don que le Père a fait à l'humanité en envoyant son Fils unique est donc inestimable. A ce don correspond une responsabilité, qui est d'autant plus grande qu'est plus étroit le rapport qui en a dérivé avec Jésus. "A qui on aura donné beaucoup - dit le Seigneur - il sera beaucoup demandé, et à qui on aura confié beaucoup on réclamera davantage" (Lc 12,48). C'est pour cette raison que, alors que nous rendons grâce à Dieu pour tous les bienfaits qu'il a accordés à nos confrères défunts, nous offrons pour eux les mérites de la passion et de la mort du Christ, pour qu'ils comblent les lacunes dues à la fragilité humaine.

Le Psaume responsorial (Ps 121/122) et la deuxième Lecture (1Jn 3,1-2) ouvrent nos coeurs par l'émerveillement de l'espérance, à laquelle nous avons été appelés. Le Psalmiste nous la fait chanter comme un hymne à Jérusalem, en nous invitant à imiter spirituellement les pèlerins qui "montaient" vers la ville sainte et, après un long chemin, parvenaient remplis de joie à ses portes: "J'étais joyeux que l'on me dise: / Allons à la maison de Yahvé! / Enfin nos pieds s'arrêtent / dans tes portes, Jérusalem!" (Ps 121,1-2). Dans sa première Lettre, l'Apôtre Jean l'exprime en nous communiquant la certitude, mêlée de gratitude, d'être devenus des fils de Dieu et en même temps en nous rappelant l'attente de la pleine manifestation de cette réalité: "Bien-aimés, dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté... Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est" (1Jn 3,2).

Vénérés et chers frères, l'âme tournée vers ce mystère de salut, nous offrons la divine Eucharistie pour les Cardinaux et les Evêques qui nous ont précédés dans le dernier passage vers la vie éternelle. Nous invoquons l'intercession de saint Pierre et de la Bienheureuse Vierge Marie, afin qu'ils les accueillent dans la maison du Père, dans l'espérance confiante de pouvoir un jour nous unir à eux pour jouir de la plénitude de la vie et de la paix. Amen.


CHAPELLE PAPALE PREMIÈRES VÊPRES DU PREMIER DIMANCHE DE L'AVENT Basilique Vaticane - Samedi 26 novembre 2005

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Chers frères et soeurs!

Avec la célébration des Premières Vêpres du Premier dimanche de l'Avent nous commençons une nouvelle Année liturgique. En chantant ensemble les Psaumes, nous avons élevé nos coeurs à Dieu, en prenant l'attitude spirituelle qui caractérise ce temps de grâce: la "veillée dans la prière" et l'"exultation dans la louange" (cf. Missel Romain, Préface de l'Avent II/A). Imitant le modèle de la Très Sainte Vierge Marie, qui nous enseigne à vivre dans une écoute religieuse de la parole de Dieu, nous nous arrêtons sur la brève Lecture biblique qui vient d'être proclamée. Il s'agit de deux versets contenus dans la partie conclusive de la Première Lettre de saint Paul aux Thessaloniciens (
1Th 5,23-24). Le premier exprime le voeu de l'Apôtre à la communauté; le deuxième offre, pour ainsi dire, la garantie de son accomplissement. Le souhait est que chacun soit sanctifié par Dieu et demeure irréprochable dans toute sa personne - "esprit, âme et corps" - pour la venue finale du Seigneur Jésus; la garantie que cela puisse se produire est offerte par la fidélité à Dieu lui-même, qui ne manquera pas de mener à bien l'oeuvre commencée chez les croyants.

Cette Première Lettre aux Thessaloniciens est la première de toutes les Lettres de saint Paul, probablement écrite en l'an 51. Dans cette première Lettre on sent, encore davantage que dans les autres, le coeur de l'Apôtre qui bat, son amour paternel, nous pouvons même dire maternel, pour cette nouvelle communauté. Et l'on sent aussi sa préoccupation pleine d'inquiétude pour que ne s'éteigne pas la foi de cette nouvelle Eglise, encerclée par un contexte culturel qui, sous de nombreux points de vue, est contraire à la foi. Ainsi, Paul conclut sa Lettre par un souhait, nous pourrions même dire par une prière. Le contenu de la prière que nous avons entendue est qu'ils soient saints et irréprochables au moment de la venue du Seigneur. La parole centrale de cette prière est "venue". Nous devons nous demander: que signifie venue du Seigneur? En grec c'est la "parousie", en latin l'"adventus": "avent", "venue". Qu'est cette venue? Nous concerne-t-elle ou non?

Pour comprendre la signification de cette parole et donc de la prière de l'Apôtre pour cette communauté et pour les communautés de tous les temps - également pour nous - nous devons nous tourner vers la personne grâce à laquelle s'est réalisée de manière unique, singulière, la venue du Seigneur: la Vierge Marie. Marie appartenait à cette partie du peuple d'Israël qui, à l'époque de Jésus, attendait de tout son coeur la venue du Sauveur. Et à partir des paroles, des gestes rapportés par l'Evangile nous pouvons voir comment Elle vivait réellement plongée dans les paroles des Prophètes, elle était tout entière en attente de la venue du Seigneur. Toutefois, Elle ne pouvait pas imaginer comment cette venue se serait réalisée. Peut-être attendait-elle une venue dans la gloire. C'est pourquoi fut d'autant plus surprenant pour elle le moment où l'Archange Gabriel entra dans sa maison et lui dit que le Seigneur, le Sauveur, voulait prendre chair en Elle, d'elle, voulait réaliser sa venue à travers Elle. Nous pouvons imaginer l'émotion de la Vierge. Marie, avec un grand acte de foi, d'obéissance, dit oui: "Me voici, je suis la servante du Seigneur". Ainsi, Elle est devenue "demeure" du Seigneur, véritable "temple" dans le monde et "porte" à travers laquelle le Seigneur est entré sur la terre.

Nous avons dit que cette venue est singulière: "la" venue du Seigneur. Toutefois il n'y a pas que la dernière venue à la fin des temps: dans un certain sens, le Seigneur désire toujours venir à travers nous. Et il frappe à la porte de notre coeur: es-tu disposé à me donner ta chair, ton temps, ta vie? Telle est la voix du Seigneur, qui veut entrer également dans notre époque, il veut entrer dans l'histoire humaine à travers nous. Il cherche également une demeure vivante, notre vie personnelle. Voilà la venue du Seigneur. C'est ce que nous voulons à nouveau apprendre pendant le temps de l'Avent: que le Seigneur peut venir également à travers nous.

Nous pouvons donc dire que cette prière, ce souhait exprimé par l'Apôtre contient une vérité fondamentale, qu'il cherche à inculquer aux fidèles de la communauté qu'il a fondée et que nous pouvons résumer ainsi: Dieu nous appelle à la communion avec lui, qui se réalisera pleinement au retour du Christ, et Il s'engage lui-même à faire en sorte que nous arrivions préparés à cette rencontre finale et décisive. L'avenir est, pour ainsi dire, contenu dans le présent, ou mieux, dans la présence de Dieu lui-même, de son amour indéfectible, qui ne nous laisse pas seuls, qui ne nous abandonne pas même un seul instant, comme un père et une mère n'arrêtent jamais de suivre leurs enfants sur le chemin de leur croissance. Face au Christ qui vient, l'homme se sent interpellé dans tout son être, que l'Apôtre résume par les termes "esprit, âme et corps", indiquant ainsi toute la personne humaine, comme une unité articulée possédant une dimension somatique, psychique et spirituelle. La sanctification est un don de Dieu et une initiative venant de lui, mais l'être humain est appelé à y répondre de tout son être, sans que rien de lui ne soit exclu.

C'est précisément l'Esprit Saint, qui dans le sein de la Vierge a formé Jésus, Homme parfait, qui mène à bien dans la personne humaine l'admirable projet de Dieu, transformant tout d'abord le coeur et, à partir de ce centre, tout le reste. Il arrive ainsi que dans chaque personne se résume toute l'oeuvre de la création et de la rédemption, que Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, accomplit du début jusqu'à la fin de l'univers et de l'histoire. Et de même que dans l'histoire de l'humanité se trouve au centre le premier Avent du Christ et, à la fin, son retour glorieux, de même chaque existence personnelle est appelée à se mesurer à lui - de façon mystérieuse et multiforme - au cours du pèlerinage terrestre, pour être trouvée "en lui" au moment de son retour.

Que la Très Sainte Vierge Marie, Vierge fidèle, nous guide pour faire de ce temps de l'Avent et de toute la nouvelle Année liturgique un chemin de sanctification authentique, à la louange et à la gloire de Dieu Père, Fils et Esprit Saint.



CHAPELLE PAPALE 40e ANNIVERSAIRE DE LA CLÔTURE DU CONCILE VATICAN II Solennité de l'Immaculée Conception - Jeudi 8 décembre 2005

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Chers frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et soeurs,

Il y a quarante ans, le 8 décembre 1965, sur l'esplanade de la Basilique Saint-Pierre, le Pape Paul VI concluait solennellement le Concile Vatican II. Il avait été inauguré, selon la volonté de Jean XXIII, le 11 octobre 1962, qui était alors la fête de la Maternité de Marie, et il fut conclu le jour de l'Immaculée. Un cadre marial entoure le Concile. En réalité, il s'agit de beaucoup plus qu'un cadre: c'est une orientation de tout son chemin. Il nous renvoie, comme il renvoyait alors les Pères du Concile, à l'image de la Vierge à l'écoute, qui vit dans la Parole de Dieu, qui conserve dans son coeur les paroles qui viennent de Dieu et, les rassemblant comme dans une mosaïque, apprend à les comprendre (cf.
Lc 2,19 Lc 2,51); il nous renvoie à la grande Croyante qui, pleine de confiance, se remet entre les mains de Dieu, s'abandonnant à sa volonté; il nous renvoie à l'humble Mère qui, lorsque la mission de son Fils l'exige, s'efface et, dans le même temps, à la femme courageuse qui, alors que les disciples s'enfuient, demeure au pied de la croix. Paul VI, dans son discours à l'occasion de la promulgation de la Constitution, conciliaire sur l'Eglise, avait qualifié Marie de "tutrix huius Concilii" - "protectrice de ce Concile" (cf. Oecumenicum Concilium Vaticanum II, Constitutiones Decreta Declarationes, Cité du Vatican 1966, p. 983) et, à travers une allusion au récit de la Pentecôte rapporté par Luc (Ac 1,12-14), il avait dit que les Pères s'étaient réunis dans la salle du Concile "cum Maria, Matre Iesu" et que, également en son nom, ils en seraient à présent sortis (p. 985).

Dans ma mémoire demeure inscrit de manière indélébile le moment où, en entendant ses paroles: "Mariam Sanctissimam declaramus Matrem Ecclesiae" - "Nous déclarons la Très Sainte Vierge Marie Mère de l'Eglise", les Pères se levèrent spontanément de leurs chaises et applaudirent debout, rendant hommage à la Mère de Dieu, à notre Mère, à la Mère de l'Eglise. De fait, à travers ce titre, le Pape résumait la doctrine mariale du Concile et donnait la clef pour sa compréhension. Marie n'a pas seulement un rapport singulier avec le Christ, le Fils de Dieu qui, comme homme, a voulu devenir son fils. Etant totalement unie au Christ, elle nous appartient également totalement. Oui, nous pouvons dire que Marie est proche de nous comme aucun autre être humain, car le Christ est homme pour les hommes et tout son être est une "présence pour nous". Le Christ, disent les Pères, en tant que Tête, est inséparable de son Corps qui est l'Eglise, formant avec celle-ci, pour ainsi dire, un unique sujet vivant. La Mère du Chef est également la Mère de toute l'Eglise; elle est, pour ainsi dire, totalement expropriée d'elle-même; elle s'est entièrement donnée au Christ et, avec Lui, elle nous est donnée en don à tous. En effet, plus la personne humaine se donne, plus elle se trouve elle-même.

Le Concile entendait nous dire cela: Marie est tellement liée au grand mystère de l'Eglise qu'elle et l'Eglise sont inséparables, tout comme sont inséparables le Christ et elle. Marie reflète l'Eglise, elle l'anticipe dans sa personne, et, dans tous les épisodes douloureux qui frappent l'Eglise qui souffre et qui oeuvre, elle reste toujours l'étoile du salut. C'est elle qui est son centre véritable en qui nous avons confiance, même si bien souvent, ce qui est autour pèse sur notre âme. Le Pape Paul VI, dans le contexte de la promulgation de la Constitution sur l'Eglise, a mis tout cela en lumière à travers un nouveau titre profondément enraciné dans la Tradition, précisément dans l'intention d'illuminer la structure intérieure de l'enseignement sur l'Eglise développé au cours du Concile. Le Concile Vatican II devait s'exprimer sur les composantes institutionnelles de l'Eglise: sur les Evêques et sur le Pontife, sur les prêtres, les laïcs et les religieux dans leur communion et dans leurs relations; il devait décrire l'Eglise en chemin, "qui enferme des pécheurs dans son propre sein, et est donc à la fois sainte et appelée à se purifier..." (Lumen gentium LG 8). Mais cet aspect "pétrinien" de l'Eglise est inclu dans l'aspect "marial". En Marie, l'Immaculée, nous rencontrons l'essence de l'Eglise d'une manière qui n'est pas déformée. Nous devons apprendre d'elle à devenir nous-mêmes des "âmes ecclésiales", comme s'exprimaient les Pères, pour pouvoir nous aussi, selon la parole de saint Paul, nous présenter "immaculés" devant le Seigneur, tels qu'Il nous a voulus dès le commencement (Col 1,3-21 Ep 1,4).

Mais à présent nous devons nous demander: Qu'est-ce que signifie "Marie l'Immaculée"? Ce titre a-t-il quelque chose à nous dire? La liturgie d'aujourd'hui éclaire pour nous le contenu de cette parole à travers deux grandes images. Il y a tout d'abord le récit merveilleux de l'annonce à Marie, la Vierge de Nazareth, de la venue du Messie. Le salut de l'Ange est tissé de fils de l'Ancien Testament, en particulier du prophète Sophonie. Celui-ci fait voir que Marie, l'humble femme de province qui est issue d'une lignée sacerdotale et qui porte en elle le grand patrimoine sacerdotal d'Israël, est "le saint reste" d'Israël auquel les prophètes, au cours de toutes les périodes de douleurs et de ténèbres, ont fait référence. En elle est présente la véritable Sion, celle qui est pure, la demeure vivante de Dieu. En elle demeure le Seigneur, en elle il trouve le lieu de Son repos. Elle est la maison vivante de Dieu, qui n'habite pas dans des édifices de pierre, mais dans le coeur de l'homme vivant. Elle est le germe qui, dans la sombre nuit d'hiver de l'histoire, jaillit du tronc abattu de David. En elle s'accomplit la parole du Psaume: "La terre a donné son fruit" (Ps 67,7). Elle est le surgeon, duquel dérive l'arbre de la rédemption et des rachetés. Dieu n'a pas essuyé un échec, comme il pouvait sembler au début de l'histoire avec Adam et Eve, ou bien au cours de l'exil à Babylone, et comme il semblait à nouveau à l'époque de Marie, quand Israël était devenu un peuple sans importance dans une région occupée, avec bien peu de signes reconnaissables de sa sainteté. Dieu n'a pas failli. Dans l'humilité de la maison de Nazareth vit l'Israël saint, le reste pur. Dieu a sauvé et sauve son peuple. Du tronc abattu ressurgit à nouveau son histoire, devenant une nouvelle force vive qui oriente et envahit le monde. Marie est l'Israël saint; elle dit "oui" au Seigneur, se met pleinement à sa disposition et devient ainsi le temple vivant de Dieu.

La deuxième image est beaucoup plus difficile et obscure. Cette métaphore, tirée du Livre de la Genèse, nous parle à partir d'une grande distance historique, et ne peut être éclaircie qu'avec beaucoup de peine; ce n'est qu'au cours de l'histoire qu'il a été possible de développer une compréhension plus profonde de ce qui y est référé. Il est prédit qu'au cours de toute l'histoire, la lutte entre l'homme et le serpent se poursuivra, c'est-à-dire entre l'homme et les puissances du mal et de la mort. Cependant, il est également préannoncé que "la lignée" de la femme vaincra un jour et écrasera la tête du serpent, de la mort; il est préannoncé que la lignée de la femme - et en elle la femme et la mère elle-même - vaincra et qu'ainsi, à travers l'homme, Dieu vaincra. Si nous nous mettons à l'écoute de ce texte avec l'Eglise croyante et en prière, alors nous pouvons commencer à comprendre ce qu'est le péché originel, le péché héréditaire, et aussi ce que signifie être sauvergardé de ce péché héréditaire, ce qu'est la rédemption.

Quelle est la situation qui nous est présentée dans cette page? L'homme n'a pas confiance en Dieu. Tenté par les paroles du serpent, il nourrit le soupçon que Dieu, en fin de compte, ôte quelque chose à sa vie, que Dieu est un concurrent qui limite notre liberté et que nous ne serons pleinement des êtres humains que lorsque nous l'aurons mis de côté; en somme, que ce n'est que de cette façon que nous pouvons réaliser en plénitude notre liberté. L'homme vit avec le soupçon que l'amour de Dieu crée une dépendance et qu'il lui est nécessaire de se débarasser de cette dépendance pour être pleinement lui-même. L'homme ne veut pas recevoir de Dieu son existence et la plénitude de sa vie. Il veut puiser lui-même à l'arbre de la connaissance le pouvoir de façonner le monde, de se transformer en un dieu en s'élevant à Son niveau, et de vaincre avec ses propres forces la mort et les ténèbres. Il ne veut pas compter sur l'amour qui ne lui semble pas fiable; il compte uniquement sur la connaissance, dans la mesure où celle-ci confère le pouvoir. Plutôt que sur l'amour, il mise sur le pouvoir, avec lequel il veut prendre en main de manière autonome sa propre vie. Et en agissant ainsi, il se fie au mensonge plutôt qu'à la vérité et cela fait sombrer sa vie dans le vide, dans la mort. L'amour n'est pas une dépendance, mais un don qui nous fait vivre. La liberté d'un être humain est la liberté d'un être limité et elle est donc elle-même limitée. Nous ne pouvons la posséder que comme liberté partagée, dans la communion des libertés: ce n'est que si nous vivons d'une juste manière, l'un avec l'autre et l'un pour l'autre, que la liberté peut se développer. Nous vivons d'une juste manière, si nous vivons selon la vérité de notre être, c'est-à-dire selon la volonté de Dieu. Car la volonté de Dieu ne constitue pas pour l'homme une loi imposée de l'extérieur qui le force, mais la mesure intrinsèque de sa nature, une mesure qui est inscrite en lui et fait de lui l'image de Dieu, et donc une créature libre. Si nous vivons contre l'amour et contre la vérité - contre Dieu -, alors nous nous détruisons réciproquement et nous détruisons le monde. Alors nous ne trouvons pas la vie, mais nous faisons le jeu de la mort. Tout cela est raconté à travers des images immortelles dans l'histoire de la chute originelle et de l'homme chassé du Paradis terrestre.

Chers frères et soeurs! Si nous réfléchissons sincèrement sur nous et sur notre sur histoire, nous constatons qu'à travers ce récit est non seulement décrite l'histoire du début, mais l'histoire de tous les temps, et que nous portons tous en nous une goutte du venin de cette façon de penser illustrée par les images du Livre de la Genèse. Cette goutte de venin, nous l'appelons péché originel. Précisément en la fête de l'Immaculée Conception apparaît en nous le soupçon qu'une personne qui ne pèche pas du tout est au fond ennuyeuse; que quelque chose manque à sa vie: la dimension dramatique du fait d'être autonomes; qu'être véritablement hommes comprenne également la liberté de dire non, de descendre au fond des ténèbres du péché et de vouloir agir tout seuls; que ce n'est qu'alors que l'on peut exploiter totalement toute l'ampleur et la profondeur du fait d'être des hommes, d'être véritablement nous-mêmes; que nous devons mettre cette liberté à l'épreuve, également contre Dieu, pour devenir en réalité pleinement nous-mêmes. En un mot, nous pensons au fond que le mal est bon, que nous avons au moins un peu besoin de celui-ci pour faire l'expérience de la plénitude de l'être. Nous pensons que Méphistophélès - le tentateur - a raison lorsqu'il dit être la force "qui veut toujours le mal et qui accomplit toujours le bien" (J.W. v. Goethe, Faust I, 3). Nous pensons que traiter un peu avec le mal, se réserver un peu de liberté contre Dieu est au fond un bien, et peut-être même nécessaire.

Cependant, en regardant le monde autour de nous, nous pouvons voir qu'il n'en est pas ainsi, c'est-à-dire que le mal empoisonne toujours, il n'élève pas l'homme, mais l'abaisse et l'humilie, il ne le rend pas plus grand, plus pur et plus riche, mais il lui cause du mal et le fait devenir plus petit. C'est plutôt cela que nous devons apprendre le jour de l'Immaculée: l'homme qui s'abandonne totalement entre les mains de Dieu ne devient pas une marionnette de Dieu, une personne consentante ennuyeuse; il ne perd pas sa liberté. Seul l'homme qui se remet totalement à Dieu trouve la liberté véritable, l'ampleur vaste et créative de la liberté du bien. L'homme qui se tourne vers Dieu ne devient pas plus petit, mais plus grand, car grâce à Dieu et avec Lui, il devient grand, il devient divin, il devient vraiment lui-même. L'homme qui se remet entre les mains de Dieu ne s'éloigne pas des autres en se retirant dans sa rédemption en privé; au contraire, ce n'est qu'alors que son coeur s'éveille vraiment et qu'il devient une personne sensible et donc bienveillante et ouverte.

Plus l'homme est proche de Dieu et plus il est proche des hommes. Nous le voyons en Marie. Le fait qu'elle soit totalement auprès de Dieu est la raison pour laquelle elle est également si proche de tous les hommes. C'est pourquoi elle peut être la Mère de toute consolation et de toute aide, une Mère à laquelle devant chaque nécessité quiconque peut oser s'adresser dans sa propre faiblesse et dans son propre péché, car elle comprend tout et elle est pour tous la force ouverte de la bonté créatrice. C'est en Elle que Dieu imprime son image, l'image de Celui qui suit la brebis égarée jusque dans les montagnes et parmi les épines et les ronces des péchés de ce monde, se laissant blesser par la couronne d'épine de ces péchés, pour prendre la brebis sur ses épaules et la ramener à la maison. En tant que Mère compatissante, Marie est la figure anticipée et le portrait permanent de son Fils. Nous voyons ainsi que même l'image de la Vierge des Douleurs, de la Mère qui partage la souffrance et l'amour, est une véritable image de l'Immaculée. Son coeur, grâce au fait d'être et de ressentir avec Dieu, s'est agrandi. En Elle, la bonté de Dieu s'est beaucoup approchée et s'approche beaucoup de nous. Ainsi Marie se trouve devant nous comme signe de réconfort, d'encouragement, d'espérance. Elle s'adresse à nous en disant: "Aie le courage d'oser avec Dieu! Essaye! N'aie pas peur de Lui! Aie le courage de risquer avec la foi! Aie le courage de risquer avec la bonté! Aie le courage de risquer avec le coeur pur! Engage-toi avec Dieu, tu verras alors que c'est précisément grâce à cela que ta vie deviendra vaste et lumineuse, non pas ennuyeuse, mais pleine de surprises infinies, car la bonté infinie de Dieu ne se tarit jamais!"

En ce jour de fête, nous voulons rendre grâce au Seigneur pour le grand signe de sa bonté qu'il nous a donné en Marie, sa Mère et Mère de l'Eglise. Nous voulons le prier de placer Marie sur notre chemin comme une lumière qui nous aide à devenir nous aussi lumière et à porter cette lumière dans les nuits de l'histoire. Amen.



VISITE PASTORALE DANS LA PAROISSE ROMAINE "SANTA MARIA CONSOLATRICE" 18 décembre 2005

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IV Dimanche de l'Avent, 18 décembre 2005

Chers frères et soeurs,


C'est réellement une grande joie pour moi d'être ici avec vous ce matin et de célébrer la Messe avec vous et pour vous. Ma visite à "Santa Maria Consolatrice", première paroisse dans laquelle je me rends depuis que le Seigneur a voulu m'appeler à être l'Evêque de Rome, est en effet pour moi, véritablement et concrètement, un retour à la maison. Je me rappelle très bien de ce 15 octobre 1977, lorsque je pris possession de mon église titulaire. Le curé était dom Ennio Appignanesi, les vice-curés étaient dom Enrico Pomili et dom Franco Camaldo. Le cérémonier qui m'avait été assigné était Mgr Piero Marini. Voilà, nous sommes tous à nouveau ici ensemble! C'est réellement pour moi une grande joie.

Depuis lors, notre lien réciproque est devenu progressivement plus fort, plus profond. Un lien dans le Seigneur Jésus Christ, dont j'ai célébré tant de fois le sacrifice eucharistique et administré les sacrements dans cette église. Un lien d'affection et d'amitié, qui a réellement réchauffé mon coeur et qui le réchauffe encore aujourd'hui. Un lien qui m'a uni à vous tous, en particulier à votre curé et aux autres prêtres de la paroisse. C'est un lien qui ne s'est pas distendu lorsque je suis devenu titulaire du diocèse suburbicaire de Velletri et Segni. Un lien qui a acquis une dimension nouvelle et plus profonde, du fait que je suis désormais Evêque de Rome et votre Evêque.

Je suis par ailleurs particulièrement heureux que ma visite d'aujourd'hui - comme dom Enrico l'a déjà dit - s'accomplisse en l'année où vous célébrez le 60 anniversaire de l'érection de votre paroisse, le 50 anniversaire de l'ordination sacerdotale de notre très cher curé, Mgr Enrico Pomili, et, enfin, les 25 ans d'épiscopat de Mgr Ennio Appignanesi. Une année au cours de laquelle nous avons donc des motifs particuliers pour rendre grâce au Seigneur.

Je salue précisément maintenant avec affection Mgr Enrico Pomili, et je le remercie des paroles si courtoises qu'il m'a adressées. Je salue le Card. Vicaire Camillo Ruini, le Card. Ricardo María Carles Gordó, titulaire de cette église, et donc mon successeur à ce Titre, le Card. Giovanni Canestri, votre ancien curé bien-aimé, le Vice-gérant, l'Evêque du secteur Est de Rome, Mgr Luigi Moretti; nous avons déjà salué Mgr Ennio Appignanesi, qui a été votre curé, et Mgr Massimo Giustetti, qui fut votre vicaire paroissial. J'adresse un salut affectueux à vos vicaires paroissiaux actuels et aux religieuses de Sainte Marie Consolatrice, présentes à Casal Bertone depuis 1932, précieuses collaboratrices de la paroisse et véritables messagères de miséricorde et de réconfort dans ce quartier, en particulier pour les pauvres et pour les enfants. Avec les mêmes sentiments, je salue chacun de vous, toutes les familles de la paroisse et tous ceux qui se prodiguent à divers titres dans les services paroissiaux.
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Nous voulons à présent brièvement méditer le très bel Evangile de ce quatrième dimanche de l'Avent, qui est pour moi l'une des plus belles pages de l'Ecriture Sainte. Et je souhaiterais - pour ne pas trop m'étendre - ne réfléchir que sur trois mots de ce riche Evangile.

Le premier mot sur lequel que je voudrais méditer avec vous est le salut de l'Ange à Marie. Dans la traduction italienne, l'Ange dit: "Je te salue Marie". Mais la parole grecque qui est traduite, "Kaire", signifie en soi "réjouis-toi", "sois contente".Et il y a là un premier élément qui surprend: le salut entre les juifs était "Shalom", "paix", alors que le salut dans le monde grec était "Kaire", "réjouis-toi". Il est surprenant que l'Ange, en entrant dans la maison de Marie, salue avec le salut des grecs: "Kaire", "réjouis-toi, sois contente". Et les Grecs, lorsqu'ils lurent cet Evangile quarante ans plus tard, ont pu voir ici un message important: ils ont pu comprendre qu'avec le début du Nouveau Testament, auquel cette page de Luc faisait référence, avait également eu lieu l'ouverture au monde des peuples, à l'universalité du Peuple de Dieu, qui désormais n'embrassait plus seulement le peuple juif, mais également le monde dans sa totalité, tous les peuples. La nouvelle universalité du Royaume du vrai Fils de David apparaît dans ce salut grec de l'Ange.

Mais il est opportun de noter immédiatement que les paroles de l'Ange sont la reprise d'une promesse prophétique tirée du Livre du prophète Sophonie. Nous trouvons ici presque littéralement ce salut. Le prophète Sophonie, inspiré par Dieu, dit à Israël: "Réjouis-toi, fille de Sion; le Seigneur est avec toi et prend en toi sa demeure". Nous savons que Marie connaissait bien les Saintes Ecritures. Son Magnificat est une étoffe tissée de fils de l'Ancien Testament. Nous pouvons donc être certains que la Sainte Vierge comprit immédiatement qu'il s'agissait des paroles du Prophète Sophonie adressées à Israël, à la "fille de Sion", considérée comme demeure de Dieu. A présent, la chose surprenante qui fait réfléchir Marie est que ces paroles, adressées à tout Israël, sont adressées de manière particulière à Elle, Marie. Il lui apparaît ainsi avec clarté que c'est précisément elle la "fille de Sion" dont le prophète a parlé et que le Seigneur a donc une intention spéciale à son égard; qu'elle est appelée à être la véritable demeure de Dieu, une demeure qui n'est pas faite de pierres, mais de chair vivante, d'un coeur vivant; que Dieu entend en réalité prendre précisément elle, la Vierge, comme son véritable temple. Quelle indication! Et nous pouvons alors comprendre que Marie commence à réfléchir avec une intensité particulière sur ce que signifie ce salut.

Mais arrêtons-nous à présent sur le premier mot en particulier: "réjouis-toi, sois contente". C'est la première parole qui retentit dans le Nouveau Testament comme tel, car l'annonce faite par l'ange à Zacharie à propos de la naissance de Jean Baptiste est une parole qui retentit encore sur le seuil entre les deux Testaments. Ce n'est qu'avec ce dialogue de l'Ange Gabriel avec Marie, que commence réellement le nouveau Testament. Nous pouvons donc dire que la première parole du Nouveau Testament est une invitation à la joie: "réjouis-toi, sois contente". Le Nouveau Testament est véritablement "Evangile", la "Bonne Nouvelle" qui nous apporte la joie. Dieu n'est pas loin de nous, inconnu, énigmatique, voire dangereux; Dieu est proche de nous, si proche qu'il se fait enfant, et que nous pouvons "tutoyer" ce Dieu.

C'est dans le monde grec qu'a été ressentie cette nouveauté, qu'a profondément été ressentie cette joie, car pour eux il n'apparaissait pas clairement s'il existait un Dieu bon ou un Dieu méchant, ou tout simplement aucun Dieu. La religion de l'époque leur parlait de nombreuses divinités: ils se sentaient donc entourés par des divinités très différentes, en opposition l'une avec l'autre, au point de devoir craindre que si l'on faisait quelque chose en faveur d'une divinité, l'autre pouvait s'offenser ou se venger. Ils vivaient ainsi dans un monde de peur, entourés par des démons dangereux, sans jamais savoir comment se sauver de ces forces en opposition entre elles. C'était un monde de peur, un monde obscur. Et à présent, ils entendaient dire: "Réjouis-toi, ces démons ne sont rien, il y a le Dieu véritable et ce vrai Dieu est bon, il nous aime, il nous connaît, il est avec nous, avec nous au point de s'être fait chair!". C'est la grande joie que le christianisme annonce. Connaître ce Dieu est vraiment la "bonne nouvelle", une parole de rédemption.

Peut-être nous, catholiques, qui le savons depuis toujours, ne sommes-nous plus surpris, ne ressentons-nous plus avec acuité cette joie libératrice. Mais si nous regardons le monde d'aujourd'hui, où Dieu est absent, nous devons constater qu'il est lui aussi dominé par les peurs, par les incertitudes: est-il bon d'être un homme ou pas? Est-il bon de vivre ou pas? Est-il vraiment bon d'exister? Ou tout est-il peut-être négatif? Et les hommes vivent en réalité dans un monde sombre, ils ont besoin d'anesthésie pour pouvoir vivre. Ainsi la parole: "réjouis-toi, le Seigneur est avec toi" est une parole qui ouvre réellement un temps nouveau. Très chers amis, par un acte de foi, nous devons de nouveau accepter et comprendre dans la profondeur de notre coeur cette parole libératrice: "réjouis-toi!".

Lorsque quelqu'un a reçu cette joie, il ne peut pas la garder pour lui; la joie doit toujours être partagée. Une joie doit être communiquée. Marie est immédiatement allée communiquer sa joie à sa cousine Elisabeth. Et depuis qu'elle a été élevée au ciel, elle distribue de la joie dans le monde entier, elle est devenue la grande Consolatrice; notre Mère qui transmet joie, confiance, bonté et qui nous invite nous aussi à distribuer la joie. Tel est le véritable engagement de l'Avent: apporter la joie aux autres. La joie est le véritable don de Noël, et non pas les cadeaux coûteux qui prennent du temps et de l'argent. Nous pouvons communiquer cette joie de manière simple: par un sourire, par un geste de bonté, par une petite aide, par un pardon. Apportons cette joie et la joie donnée nous reviendra en retour. Cherchons en particulier à apporter la joie la plus profonde, celle d'avoir connu Dieu en Christ. Prions pour que dans nos vies transparaisse cette présence de la joie libératrice de Dieu.

Le deuxième mot que je voudrais méditer est encore de l'Ange: "Sois sans crainte Marie!", dit-il. En réalité, il y avait lieu d'avoir peur, car porter à présent le poids du monde sur soi, être la mère du Roi universel, être la mère du Fils de Dieu, quel poids cela constituait-il! Un poids au-dessus des forces d'un être humain! Mais l'Ange dit: "Sois sans crainte! Oui, tu portes Dieu, mais Dieu te soutient. N'aie pas peur!". Cette parole "Sois sans crainte" pénétra certainement en profondeur dans le coeur de Marie. Nous pouvons imaginer comment, en diverses occasions, la Vierge est revenue sur cette parole, l'a écoutée à nouveau. Au moment où Siméon lui dit: "Cet enfant doit être un signe en butte à la contradiction, et toi-même une épée te transpercera l'âme", à ce moment où elle pouvait céder à la peur, Marie revient à la parole de l'Ange, elle en ressent intérieurement l'écho: "Sois sans crainte, Dieu te soutient".Ensuite, lorsque pendant la vie publique, les contradictions se déchaînent autour de Jésus, et que de nombreuses personnes disent: "Il est fou", elle repense: "Sois sans crainte" et elle va de l'avant. Enfin, lors de la rencontre sur le chemin du Calvaire, puis sous la Croix, alors que tout semble fini, elle entend encore dans son coeur la parole de l'Ange: "Sois sans crainte". Elle reste ainsi courageusement aux côtés de son fils mourant et, soutenue par la foi, elle va vers la Résurrection, vers la Pentecôte, vers la fondation de la nouvelle famille de l'Eglise.

"Sois sans crainte!", Marie nous adresse à nous aussi cette parole. J'ai noté plus haut que notre monde est un monde de peurs: peur de la misère et de la pauvreté, peur des maladies et des souffrances, peur de la solitude, peur de la mort. Dans notre monde, il existe un système d'assurances très développé: c'est un bien qu'elles existent. Nous savons cependant qu'au moment de la souffrance profonde, au moment de la dernière solitude de la mort, aucune assurance ne pourra nous protéger. La seule assurance valable en ces moments est celle qui nous vient du Seigneur, qui nous dit à nous aussi: "Sois sans crainte, je suis toujours avec toi". Nous pouvons tomber, mais à la fin, nous tombons entre les mains de Dieu et les mains de Dieu sont de bonnes mains.

Troisième parole: au terme de l'entretien, Marie répond à l'Ange: "Je suis la servante du Seigneur, qu'il m'advienne selon ta parole". Marie anticipe ainsi la troisième invocation du Notre Père: "Que ta volonté soit faite". Elle dit "oui" à la grande volonté de Dieu, une volonté apparemment trop grande pour un être humain; Marie dit "oui" à cette volonté divine, elle se place dans cette volonté, elle insère toute son existence à travers un grand "oui" dans la volonté de Dieu et ouvre ainsi la porte du monde à Dieu. Adam et Eve, avec leur "non" à la volonté de Dieu, avaient fermé cette porte. "Que la volonté de Dieu soit faite": Marie nous invite nous aussi à prononcer ce "oui" qui apparaît parfois si difficile. Nous sommes tentés de préférer notre volonté, mais Elle nous dit: "Sois courageux, dis toi aussi: "Que ta volonté soit faite", car cette volonté est bonne". Tout d'abord elle peut apparaître comme un poids presque insupportable, un joug qu'il n'est pas possible de porter; mais en réalité, la volonté de Dieu n'est pas un poids, la volonté de Dieu nous donne des ailes pour voler haut, et nous pouvons ainsi aussi oser, avec Marie, ouvrir à Dieu la porte de notre vie, les portes de ce monde, en disant "oui" à sa volonté, en ayant conscience que cette volonté est le vrai bien et nous guide vers le vrai bonheur. Prions Marie, la Consolatrice, notre Mère, la Mère de l'Eglise, pour qu'elle nous donne le courage de prononcer ce "oui", qu'elle nous donne également cette joie d'être avec Dieu et qu'elle nous guide vers son Fils, vers la vraie Vie.

Amen!




Benoît XVI Homélies 11115