Benoît XVI Homélies 10306

Mercredi des Cendres, 1er mars 2006

10306 CÉLÉBRATION PÉNITENTIELLE DANS LA BASILIQUE SAINTE-SABINE SUR L’AVENTIN


Messieurs les Cardinaux,
vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce!
chers frères et soeurs!

La procession pénitentielle, par laquelle nous avons commencé la célébration d'aujourd'hui, nous a aidés à entrer dans le climat typique du Carême, qui est un pèlerinage personnel et communautaire de conversion et de renouvellement spirituel. Selon la très antique tradition romaine des stationes quadragésimales, au cours de ce temps, les fidèles, avec les pèlerins, se réunissent chaque jour et s'arrêtent - statio - devant l'une des nombreuses "mémoires" des Martyrs, qui constituent les fondements de l'Eglise de Rome. Dans les Basiliques, où sont exposées leurs reliques, est célébrée la Messe, précédée par une procession, au cours de laquelle on chante les litanies des Saints. On fait ainsi mémoire de tous ceux qui, à travers leur sang, ont rendu témoignage au Christ, et leur évocation devient un encouragement pour chaque chrétien à renouveler son adhésion à l'Evangile. En dépit des siècles écoulés, ces rites conservent leur valeur, car ils rappellent combien il est important, notamment à notre époque, d'accueillir sans compromis les paroles de Jésus: "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix chaque jour, et qu'il me suive" (
Lc 9,23).

Un autre rite symbolique, geste caractéristique et exclusif du premier jour du Carême, est l'imposition des Cendres. Quelle est sa signification la plus profonde? Il ne s'agit certes pas d'un simple rituel, mais de quelque chose de très profond, qui touche notre coeur. Celui-ci nous fait comprendre l'actualité de l'avertissement du prophète Joël, qui a retenti au cours de la première lecture, un avertissement qui conserve sa valeur salutaire également pour nous: aux gestes extérieurs doit toujours correspondre la sincérité de l'âme et la cohérence des oeuvres. A quoi sert en effet - se demande l'auteur inspiré - de déchirer ses vêtements, si le coeur demeure éloigné du Seigneur, c'est-à-dire du bien et de la justice? Voilà ce qui compte véritablement: retourner à Dieu, avec une âme sincèrement repentie, pour obtenir sa miséricorde (cf. Jl 2,12-18). Un coeur nouveau et un esprit nouveau: c'est ce que nous demandons à travers le Psaume pénitentiel par excellence, le Miserere, dont nous chantons aujourd'hui le refrain: "Aie pitié de nous Seigneur, car nous avons péché". Le vrai croyant, conscient d'être pécheur, aspire de tout son être - esprit, âme et corps - au pardon divin, comme à une nouvelle création, en mesure de lui redonner joie et espérance (cf. Ps 50,3 Ps 50,5 Ps 50,12 Ps 50,14).

Un autre aspect de la spiritualité quadragésimale est celui que nous pourrions définir de "compétition", et qui ressort de la prière de la "collecte" d'aujourd'hui, où il est question d'"armes" de la pénitence et de "lutte" contre l'esprit du mal. Chaque jour, mais en particulier au cours du Carême, le chrétien doit affronter une lutte comme celle que le Christ a soutenue dans le désert de Judée, où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable, puis au Gethsémani, lorsqu'il repoussa la tentation extrême en acceptant jusqu'au bout la volonté du Père. Il s'agit d'une lutte spirituelle, qui est dirigée contre le péché, et, en ultime analyse, contre satan. C'est une lutte qui engage la personne tout entière, et qui exige une vigilance attentive et constante. Saint Augustin observe que celui qui veut marcher dans l'amour de Dieu et dans sa miséricorde ne peut se contenter de se libérer des péchés graves et mortels, mais "accomplit la vérité en reconnaissant également les péchés que l'on considère moins graves... et vient à la lumière en accomplissant des oeuvres dignes. Même les péchés moins graves, s'ils sont négligés, prolifèrent et conduisent à la mort" (In Io. evang. 12, 13, 35).

Le Carême nous rappelle donc que l'existence chrétienne est une lutte sans relâche, au cours de laquelle sont utilisées les "armes" de la prière, du jeûne et de la pénitence. Lutter contre le mal, contre toute forme d'égoïsme et de haine, et mourir à soi-même pour vivre en Dieu représente l'itinéraire ascétique que tout disciple de Jésus est appelé à parcourir avec humilité et patience, avec générosité et persévérance. L'obéissance docile au Maître divin fait des chrétiens des témoins et des apôtres de paix. Nous pourrions dire que cette attitude intérieure nous aide à mieux mettre en évidence également quelle doit être la réponse chrétienne à la violence qui menace la paix dans le monde. Certainement pas la vengeance, ni la haine, ni même la fuite vers un faux spiritualisme. La réponse de la personne qui suit le Christ est plutôt celle qui consiste à parcourir la voie choisie par Celui qui, devant les maux de son temps et de tous les temps, a embrassé de façon décidée la Croix, en suivant le chemin plus long mais efficace de l'amour. Sur ses traces et unis à Lui, nous devons tous nous engager en vue de lutter contre le mal par le bien, contre le mensonge par la vérité, contre la haine par l'amour. Dans l'Encyclique Deus caritas est, j'ai voulu présenter cet amour comme le secret de notre conversion personnelle et ecclésiale. En me référant aux paroles de Paul aux Corinthiens, "l'amour du Christ nous presse" (2Co 5,14), j'ai souligné que "la conscience qu'en Lui Dieu lui-même s'est donné pour nous jusqu'à la mort doit nous amener à ne plus vivre pour nous-mêmes, mais pour Lui et avec Lui pour les autres" (n. ).

L'amour, comme le souligne Jésus aujourd'hui dans l'Evangile, doit ensuite se traduire par des gestes concrets envers le prochain, en particulier envers les pauvres et les personnes dans le besoin, en subordonnant toujours la valeur des "bonnes actions" à la sincérité du rapport avec "le Père qui est dans les cieux", qui "voit dans le secret" et "récompensera" ceux qui font le bien de façon humble et désintéressée (cf. Mt 6,1 Mt 6,4 Mt 6,6 Mt 6,18). Le caractère concret de l'amour constitue l'un des éléments essentiels de la vie des chrétiens, qui sont encouragés par Jésus à être la lumière du monde, afin que les hommes, en voyant leurs "bonnes oeuvres", rendent gloire à Dieu (cf. Mt 5,16). Cette recommandation nous apparaît très opportune au début du Carême, car nous comprenons toujours plus que "la charité n'est pas pour l'Eglise une sorte d'activité d'assistance sociale [...] mais elle appartient à sa nature, elle est une expression de son essence elle-même, à laquelle elle ne peut renoncer" (Deus caritas est ). L'amour véritable se traduit en gestes qui n'excluent personne, à l'exemple du Bon Samaritain, qui, avec une grande ouverture d'esprit, aida un inconnu en difficulté, rencontré "par hasard" le long du chemin (cf. Lc 10,31).

Messieurs les Cardinaux, vénérés Frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce, chers religieux, religieuses et fidèles laïcs, que je salue tous avec une profonde cordialité, entrons dans le climat caractéristique de cette période liturgique avec ces sentiments, en nous laissant illuminer et guider par la Parole de Dieu. Au cours du Carême, nous entendrons souvent retentir l'invitation à nous convertir et à croire à l'Evangile, et nous serons constamment encouragés à ouvrir notre esprit à la puissance de la grâce divine. Tirons profit de ces enseignements que l'Eglise nous offrira en abondance au cours de ces semaines. Animés par un profond engagement de prière, décidés à accomplir un effort plus grand de pénitence, de jeûne et d'attention d'amour envers nos frères, mettons-nous en marche vers Pâques, accompagnés de la Vierge Marie, Mère de l'Eglise et modèle de tout disciple authentique du Christ.



CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE POUR LES TRAVAILLEURS EN LA SOLENNITÉ DE SAINT JOSEPH, 19 mars 2006

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Basilique Vaticane - III Dimanche de Carême, 19 mars 2006




Chers frères et soeurs,

Nous avons écouté ensemble une page célèbre et belle du Livre de l'Exode, celle dans laquelle l'auteur sacré raconte la remise à Israël du Décalogue de la part de Dieu. Un détail nous frappe immédiatement: l'énonciation des dix commandements est introduite par une référence significative à la libération du peuple d'Israël. Le texte dit: "Je suis Yahvé, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude" (
Ex 20,2). Le Décalogue se veut donc une confirmation de la liberté conquise. En effet, les commandements, si on les regarde en profondeur, sont le moyen que le Seigneur nous donne pour défendre notre liberté aussi bien des conditionnements internes des passions que des abus externes de personnes malintentionnées. Les "non" des commandements sont autant de "oui" à la croissance d'une liberté authentique. Il existe une deuxième dimension du Décalogue qu'il faut également souligner: à travers la loi donnée par la main de Moïse, le Seigneur révèle qu'il souhaite passer avec Israël un pacte d'alliance. Plus qu'un ordre, la loi est par conséquent un don. Plus que commander ce que l'homme doit faire, elle veut manifester à tous le choix de Dieu: il est du côté du peuple élu; il l'a libéré de l'esclavage et il l'entoure de sa bonté miséricordieuse. Le Décalogue est le témoignage d'un amour préférentiel.

La Liturgie d'aujourd'hui nous offre un deuxième message: la Loi mosaïque a trouvé son plein accomplissement en Jésus, qui a révélé la sagesse et l'amour de Dieu à travers le mystère de la Croix, "scandale pour les Juifs, folie pour les païens - comme nous l'a dit saint Paul dans la seconde lecture -, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs... puissance de Dieu et sagesse de Dieu" (1Co 1,23-24). C'est précisément à ce mystère que fait référence la page évangélique qui vient d'être proclamée: Jésus chasse du temple les marchands et les changeurs. L'évangéliste fournit la clé de lecture de cet épisode significatif à travers le verset d'un Psaume: "Car le zèle de ta maison me dévore" (cf. Ps 69,10). Jésus est bien "dévoré" par ce "zèle" pour la "maison de Dieu", utilisée dans des buts différents de ceux auxquels elle devrait être destinée. Face à la demande des responsables religieux, qui prétendent un signe de son autorité, à la stupéfaction des personnes présentes, il affirme: "Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai" (Jn 2,19). Une parole mystérieuse, incompréhensible à ce moment-là, mais que Jean reformule pour ses lecteurs chrétiens, en observant que: "Lui parlait du sanctuaire de son corps" (Jn 2,21). Ce "sanctuaire", ses adversaires allaient le détruire, mais après trois jours, il l'aurait reconstruit à travers la résurrection. La douloureuse et "scandaleuse" mort du Christ allait être couronnée par le triomphe de sa glorieuse résurrection. Alors qu'en ce temps de Carême, nous nous préparons à revivre dans le triduum pascal cet événement central de notre salut, notre regard est déjà tourné vers le Crucifié, en entrevoyant en Lui le rayonnement du Ressuscité.

Chers frères et soeurs, la Célébration eucharistique d'aujourd'hui, qui unit à la méditation des textes liturgiques du troisième dimanche de Carême, le souvenir de saint Joseph, nous offre l'opportunité de considérer, à la lumière du mystère pascal, un autre aspect important de l'existence humaine. Je veux parler de la réalité du travail, placée aujourd'hui au centre de changements rapides et complexes. La Bible, en de nombreuses pages, montre que le travail appartient à la condition originelle de l'homme. Lorsque le Créateur façonna l'homme à son image et ressemblance, il l'invita à travailler la terre (cf. Gn 2,5-6). Ce fut à cause du péché de nos premiers ancêtres que le travail devint effort et peine (cf. Gn 3,6-8), mais dans le projet divin, il conserve intacte toute sa valeur. Le Fils de Dieu lui-même, en se faisant en toute chose semblable à nous, se consacra pendant de nombreuses années à des activités manuelles, au point d'être connu comme le "fils du charpentier" (cf. Mt 13,55). L'Eglise a toujours fait preuve, en particulier au cours du dernier siècle, d'attention et de sollicitude pour cette dimension de la société, ainsi qu'en témoignent les nombreuses interventions sociales du Magistère et l'action de multiples associations d'inspiration chrétienne dont certaines sont venues ici aujourd'hui représenter le monde des travailleurs dans son ensemble. Je suis heureux de vous accueillir, chers amis, et je présente à chacun de vous mon salut cordial. J'adresse une pensée particulière à Mgr Arrigo Miglio, Evêque d'Ivrea et Président de la Commission épiscopale italienne pour les Questions sociales et le Travail, la Justice et la Paix, qui s'est fait l'interprète des sentiments communs et m'a adressé de courtoises paroles de voeux pour ma fête. Je lui en suis vivement reconnaissant.

Le travail revêt une importance primordiale pour la réalisation de l'homme et pour le développement de la société, et c'est pourquoi il faut qu'il soit toujours organisé et accompli dans le plein respect de la dignité humaine et au service du bien commun. Dans le même temps, il est indispensable que l'homme ne se laisse pas asservir par le travail, qu'il ne l'idolâtre pas, en prétendant trouver en celui-ci le sens ultime et définitif de la vie. A ce propos, l'invitation contenue dans la première Lecture est tout à fait riche de sens: "Tu te souviendras du jour du sabbat pour le sanctifier. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage; mais le septième jour est un sabbat pour Yahvé ton Dieu" (Ex 20,8-9). Le sabbat est le jour sanctifié, c'est-à-dire consacré à Dieu, pendant lequel l'homme comprend mieux le sens de son existence comme de son activité professionnelle. L'on peut par conséquent affirmer que l'enseignement biblique sur le travail trouve son couronnement dans le commandement du repos. Le Compendium de la doctrine sociale de l'Eglise souligne justement à ce propos que: "A l'homme, lié à la nécessité du travail, le repos ouvre la perspective d'une liberté plus complète, celle du sabbat éternel (cf. He 4,9-10). Le repos permet aux hommes de rappeler et de revivre les oeuvres de Dieu, depuis la Création jusqu'à la Rédemption, de se reconnaître eux-mêmes comme Son oeuvre (cf. Ep 2,10), de lui rendre grâce de leur vie et de leur subsistance, car il en est l'auteur" (n. 258).

L'activité professionnelle doit servir au vrai bien de l'humanité, en permettant "à l'homme, considéré comme individu ou comme membre de la société, de s'épanouir selon la plénitude de sa vocation" (Gaudium et spes GS 35). Pour que cela advienne, la qualification technique et professionnelle, même si elle est nécessaire, ne suffit pas; la création d'un ordre social juste et attentif au bien de tous n'est pas non plus suffisante. Il faut vivre une spiritualité qui aide les chrétiens à se sanctifier à travers le travail, en imitant saint Joseph qui, chaque jour, a dû pourvoir aux besoins de la Sainte Famille de ses propres mains et que, pour cette raison, l'Eglise indique comme Patron des travailleurs. Son témoignage montre que l'homme est le sujet et l'acteur du travail. Je voudrais lui confier les jeunes qui parviennent avec difficulté à s'insérer dans le monde du travail, les chômeurs et ceux qui souffrent des problèmes dus à l'importante crise de l'emploi. Qu'avec Marie, son Epouse, saint Joseph veille sur tous les travailleurs et obtienne pour les familles et pour toute l'humanité, sérénité et paix. Qu'en tournant le regard vers ce grand saint, les chrétiens apprennent à témoigner dans tous les milieux professionnels de l'amour du Christ, source de solidarité véritable et de paix stable. Amen!



CONSISTOIRE ORDINAIRE PUBLIC POUR LA CRÉATION DE 15 NOUVEAUX CARDINAUX


Place Saint-Pierre Vendredi 24 mars 2006

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Vénérés Cardinaux, Patriarches et Evêques,
Mesdames et Messieurs,
Chers frères et soeurs!

En cette veille de la solennité de l'Annonciation du Seigneur, le climat pénitentiel du Carême laisse la place à la fête: aujourd'hui, en effet, le Collège des Cardinaux s'enrichit de quinze nouveaux membres. Je vous adresse avant tout à vous, chers frères, que j'ai eu la joie de créer Cardinaux, mon salut le plus cordial, et je remercie le Card. William Joseph Levada pour les sentiments et les pensées qu'il vient de m'exprimer en votre nom à tous. Je suis heureux de pouvoir saluer également les autres Cardinaux, les vénérés Patriarches, les Evêques, les prêtres, les religieux et les religieuses, ainsi que les nombreux fidèles, en particulier les familles qui sont venues accompagner dans la prière et dans la joie chrétienne les nouveaux Cardinaux. Je souhaite la bienvenue avec une reconnaissance particulière aux éminentes Autorités gouvernementales et civiles, qui représentent diverses Nations et Institutions. Le Consistoire ordinaire public est un événement qui manifeste avec une grande éloquence la nature universelle de l'Eglise, présente à chaque extrémité de la terre pour annoncer à tous la Bonne Nouvelle du Christ Sauveur. Le bien-aimé Jean-Paul II en célébra neuf, contribuant ainsi de façon déterminante à renouveler le Collège cardinalice, selon les orientations que le Concile Vatican II et le serviteur de Dieu Paul VI avaient données. S'il est vrai qu'au cours des siècles, de nombreux changements ont eu lieu concernant le Collège cardinalice, la substance et la nature essentielle de cet importante institution ecclésiale n'ont toutefois pas changé. Ses antiques racines, son développement historique et sa composition actuelle en font véritablement une sorte de "Sénat", appelé à coopérer de manière étroite avec le Successeur de Pierre dans l'accomplissement des devoirs liés à son ministère apostolique universel.

La Parole de Dieu qui vient d'être proclamée, nous ramène en arrière dans le temps. Avec l'évangéliste Marc, nous sommes remontés à l'origine même de l'Eglise et, en particulier, à l'origine du ministère pétrinien. Avec les yeux du coeur, nous avons revu le Seigneur Jésus, à la louange et à la gloire duquel est totalement orienté et consacré l'acte que nous accomplissons. Il nous a adressé des paroles qui ont rappelé à notre esprit la définition du Pontife romain chère à saint Grégoire le Grand: "Servus servorum Dei". En effet, Jésus, expliquant aux douze Apôtres que leur autorité devrait s'exercer de façon tout à fait diverse de celle des "chefs des nations", résume cette modalité dans le style du service: "Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur (d???????). Celui qui veut être le premier sera l'esclave de tous (ici Jésus utilise un mot plus fort, d?????)" (
Mc 10,43-44). La disponibilité totale et généreuse dans le service aux autres est le signe distinctif de celui qui, dans l'Eglise, a une place qui fait autorité, car il en a été ainsi pour le Fils de l'homme, qui n'est pas venu "pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude" (Mc 10,45). Tout en étant Dieu, et précisément poussé par sa divinité, Il prend la forme de serviteur - "formam servi" - comme l'exprime admirablement l'hymne au Christ contenu dans l'Epître aux Philippiens (cf. Ph 2,6-7).

Le premier "Serviteur des serviteurs de Dieu" est donc Jésus. Derrière Lui, et unis à Lui, se trouvent les Apôtres; et parmi ceux-ci, de façon particulière, Pierre, auquel le Seigneur a confié la responsabilité de guider son troupeau. Le devoir du Pape est de devenir, le premier, le serviteur de tous. Le témoignage de cette attitude ressort clairement de la première Lecture de cette Liturgie, qui nous repropose une exhortation de Pierre aux "prêtres" et aux anciens de la communauté (cf. 1P 5,1). Il s'agit d'une exhortation faite avec l'autorité que l'Apôtre possède pour avoir été témoin des souffrances du Christ, Bon Pasteur. On sent que les paroles de Pierre proviennent de l'expérience personnelle de service au troupeau de Dieu, mais avant et plus encore, elles sont fondées sur l'expérience directe de l'attitude de Jésus: de sa façon de servir jusqu'au sacrifice de soi, de son humiliation jusqu'à la mort et à la mort sur une croix, ne plaçant sa confiance que dans le Père, qui l'a exalté au moment opportun. Pierre, comme Paul, a été intimement "conquis" par le Christ - "comprehensus sum a Christo Iesu" (cf. Ph 3,12) - et, comme Paul, il peut exhorter les anciens avec une pleine autorité, car ce n'est plus lui qui vit, mais le Christ qui vit en lui - "vivo autem iam non ego, vivit vero in me Christus" (Ga 2,20).

Oui, vénérés et chers frères, ce qu'affirme le Prince des Apôtres est parfaitement adapté à celui qui est appelé à revêtir la pourpre cardinalice: "Je m'adresse à ceux qui exercent parmi vous la fonction d'Anciens, car moi aussi je fais partie des Anciens, je suis témoin de la passion du Christ, et je la communierai à la gloire qui va se révéler" (1P 5,1). Il s'agit de paroles qui, même dans leur structure essentielle, rappellent le mystère pascal, particulièrement présent dans notre coeur en ces jours de Carême. Saint Pierre les applique à lui-même, en tant que faisant "partie des Anciens" (s?µp?esß?te???), laissant ainsi entendre que l'Ancien dans l'Eglise, le prêtre, en vertu de l'expérience acquise au cours des années et des épreuves subies et surmontées, doit être particulièrement "en harmonie" avec l'intime dynamisme du mystère pascal. Combien de fois, chers frères, qui venez de recevoir la dignité cardinalice, vous avez trouvé dans ces paroles un motif de méditation et d'encouragement spirituel à suivre les traces du Seigneur crucifié et ressuscité! Celles-ci trouveront une confirmation supplémentaire et exigeante dans ce que votre nouvelle responsabilité demandera de vous. Plus étroitement liés au Successeur de Pierre, vous serez appelés à collaborer avec lui dans l'accomplissement de son service ecclésial particulier, et cela signifiera pour vous une participation plus intense au mystère de la Croix dans le partage des souffrances du Christ. Et nous tous sommes réellement témoins de ses souffrances aujourd'hui, dans le monde, ainsi que dans l'Eglise, et c'est précisément de cette manière que nous participons également à sa gloire. Cela vous permettra de puiser plus abondamment aux sources de la grâce et d'en diffuser les fruits bénéfiques de façon plus efficace autour de vous.

Vénérés et chers frères, je voudrais résumer le sens de votre nouvel appel dans la parole que j'ai placée au centre de ma première Encyclique: caritas. Elle s'associe également bien à la couleur de l'habit cardinalice. Que la pourpre que vous revêtez soit toujours l'expression de la caritas Christi, en vous encourageant à un amour passionné pour le Christ, pour son Eglise et pour l'humanité. Vous avez à présent un motif supplémentaire pour vous efforcer de revivre les mêmes sentiments qui poussèrent le Fils de Dieu fait homme à verser son sang en expiation des péchés de l'humanité tout entière. Je compte sur vous, vénérés frères, je compte sur tout le Collège dont vous faites à présent partie, pour annoncer au monde que "Deus caritas est", et pour le faire avant tout à travers le témoignage d'une communion sincère entre les chrétiens: "Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, - dit Jésus - c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres" (Jn 13,35). Je compte sur vous, chers frères Cardinaux, pour faire en sorte que le principe de la charité puisse rayonner et réussisse à vivifier l'Eglise à tous les niveaux de sa hiérarchie, dans chaque communauté et Institut religieux, dans toute initiative spirituelle, apostolique et d'animation sociale. Je compte sur vous afin que l'effort commun de fixer notre regard sur le Coeur ouvert du Christ rende plus sûr et plus rapide le chemin vers la pleine unité des chrétiens. Je compte sur vous afin que, grâce à la valorisation attentive des petits et des pauvres, l'Eglise offre au monde de façon incisive l'annonce et le défi de la civilisation de l'amour. Il me plaît de voir tout cela symbolisé dans la pourpre dont vous êtes revêtus. Que celle-ci soit véritablement le symbole de l'amour chrétien ardent qui transparaît de votre existence.

Je confie ces voeux aux mains maternelles de la Vierge de Nazareth, à laquelle le Fils de Dieu puisa le sang qu'il allait ensuite verser sur la Croix comme témoignage suprême de sa charité. Dans le mystère de l'Annonciation, que nous nous apprêtons à célébrer, il nous est révélé que par l'oeuvre de l'Esprit Saint, le Verbe divin s'est fait chair et est venu habiter parmi nous. Que par l'intercession de Marie, descende en abondance sur les nouveaux Cardinaux et sur nous tous, l'effusion de l'Esprit de vérité et de charité, afin que, toujours plus pleinement conformes au Christ, nous puissions nous consacrer inlassablement à l'édification de l'Eglise et à la diffusion de l'Evangile dans le monde.


CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE POUR LA REMISE DE L'ANNEAU AUX NOUVEAUX CARDINAUX

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Solennité de l'Annonciation du Seigneur
Place Saint-Pierre - Samedi 25 mars 2006



Messieurs les Cardinaux et Patriarches,
Vénérés frères dans l'épiscopat et le sacerdoce,
Chers frères et soeurs!

C'est un grand motif de joie pour moi que de présider cette concélébration avec les nouveaux Cardinaux, après le Consistoire d'hier, et je considère comme providentiel que celle-ci se déroule en la solennité liturgique de l'Annonciation du Seigneur, et sous le soleil que nous donne le Seigneur. Dans l'Incarnation du Fils de Dieu, nous reconnaissons en effet les débuts de l'Eglise. Tout provient de là. Toute réalisation historique de l'Eglise et également chacune de ses institutions doivent se référer à cette Source originelle. Elles doivent se référer au Christ, Verbe de Dieu incarné. C'est Lui que nous célébrons toujours: l'Emmanuel, le Dieu-avec-nous, par l'intermédiaire duquel s'est accomplie la volonté salvifique de Dieu le Père. Et cependant (nous contemplons cet aspect du Mystère précisément aujourd'hui) la Source divine s'écoule par un canal privilégié: la Vierge Marie. Utilisant une image éloquente, saint Bernard parle, à ce propos d'aquaeductus (cf. Sermo in Nativitate B.V. Mariae: PL 183, 437-448). En célébrant l'Incarnation du Fils nous ne pouvons pas, par conséquent, ne pas honorer sa Mère. C'est à Elle que fut adressée l'annonce de l'ange; Elle l'accueillit, et lorsque du plus profond de son coeur elle répondit: "Je suis la servante du Seigneur; qu'il m'advienne selon ta parole" (
Lc 1,38), à ce moment-là, le Verbe éternel commença à exister comme être humain dans le temps.

De génération en génération, on continue de s'émerveiller devant ce mystère ineffable. Imaginant s'adresser à l'Ange de l'Annonciation, Saint Augustin demande: "Dites-moi donc, ange de Dieu, d'où vient cette faveur à Marie?" La réponse, dit le Messager, est contenue dans les paroles mêmes de la salutation: "Je vous salue, pleine de grâce" (cf. Sermo 291, 6). Effectivement, l'Ange, en "entrant chez Elle", ne l'appelle pas par son nom terrestre, Marie, mais par son nom divin, comme Dieu la voit et la qualifie depuis toujours: "Pleine de grâce - gratia plena", qui dans l'original grec est 6,P"D4JTµX<0, "pleine de grâce", la grâce n'étant rien d'autre que l'amour de Dieu, c'est ainsi que nous pourrions à la fin traduire: "aimée" de Dieu (cf. Lc 1,28). Origène observe que jamais un tel titre ne fut donné à un être humain, que rien de semblable n'est décrit dans l'ensemble des Saintes Ecritures (cf. In Lucam, 6, 7). Il s'agit d'un titre exprimé sous une forme passive, mais cette "passivité" de Marie, qui est depuis toujours et pour toujours l'"aimée" du Seigneur, implique son libre consentement, sa réponse personnelle et originale: dans le fait d'être aimée, en recevant le don de Dieu, Marie est pleinement active, car elle accueille avec une disponibilité personnelle la vague de l'amour de Dieu qui se déverse en elle. En cela également, Elle est la parfaite disciple de son Fils, qui à travers l'obéissance à son Père réalise entièrement sa propre liberté et précisément de cette manière exerce la liberté, en obéissant. Dans la deuxième lecture nous avons entendu la merveilleuse page dans laquelle l'auteur de la Lettre aux Hébreux interprète le Psaume 39, précisément à la lumière de l'Incarnation du Christ: "Aussi, en entrant dans le monde, le Christ dit: ... Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté" (He 10,5-7). Face au mystère de ces deux "me voici", le "me voici" du Fils et le "me voici" de la Mère, qui se reflètent l'un dans l'autre et forment un unique Amen à la volonté d'amour de Dieu, nous demeurons émerveillés et, remplis de reconnaissance, nous adorons.

Quel grand don, chers frères, de pouvoir tenir cette célébration suggestive en la solennité de l'Annonciation du Seigneur! Que de lumière pouvons-nous puiser dans ce mystère pour notre vie de ministres de l'Eglise. Vous, en particulier, chers nouveaux Cardinaux, quel soutien vous pourrez y trouver pour votre mission d'éminent "Sénat" du Successeur de Pierre! Cette coïncidence providentielle nous aide à considérer l'événement d'aujourd'hui, dans lequel ressort de manière particulière le principe pétrinien de l'Eglise, à la lumière de l'autre principe, le principe marial qui est encore plus originel et fondamental. L'importance du principe marial dans l'Eglise a été particulièrement soulignée, après le Concile, par mon bien-aimé prédécesseur le Pape Jean-Paul II, de façon cohérente avec sa devise "Totus tuus". A travers sa spiritualité et son inlassable ministère il a rendu la présence de Marie comme Mère et Reine de l'Eglise, manifeste aux yeux de tous. Il a senti cette présence maternelle plus que jamais lors de l'attentat du 13 mai 1981, ici, Place Saint-Pierre. En souvenir de cet événement tragique il a voulu qu'une mosaïque représentant la Vierge domine la place Saint-Pierre, du haut du Palais apostolique, pour accompagner les moments culminants et le cours ordinaire de son long pontificat, qui, précisément il y a un an, entrait dans sa phase finale, à la fois douloureuse et triomphale, vraiment pascale. L'icône de l'Annonciation nous fait comprendre clairement, mieux que n'importe quelle autre, que tout dans l'Eglise remonte à ce moment-là, à ce mystère d'accueil du Verbe divin, où, par l'action de l'Esprit Saint, l'Alliance entre Dieu et l'humanité a été scellée de manière parfaite. Tout dans l'Eglise, chaque institution et ministère, y compris celui de Pierre et de ses successeurs, est "enveloppé" par le manteau de la Vierge, dans l'espace rempli de grâce de son "oui" à la volonté de Dieu. Il s'agit d'un lien qui a naturellement en chacun de nous une forte résonance affective, mais qui a avant tout une valeur objective. Entre Marie et l'Eglise il existe en effet une conformité de nature que le Concile Vatican II a fortement soulignée par l'heureux choix de placer le traité sur la Bienheureuse Vierge Marie en conclusion de la Constitution sur l'Eglise, Lumen gentium.

Nous pouvons retrouver le thème du rapport entre le principe pétrinien et le principe marial également dans le symbole de l'anneau, que je vous remettrai tout à l'heure. L'anneau est toujours un signe nuptial. Vous l'avez presque tous reçu le jour de votre ordination épiscopale, comme expression de fidélité à l'engagement à préserver la sainte Eglise, épouse du Christ (cf. Rite d'ordination des évêques). L'anneau que je vous remets aujourd'hui, propre à la dignité cardinalice, vise à confirmer et renforcer cet engagement, à partir, encore une fois, d'un don nuptial, qui vous rappelle que vous êtes avant tout intimement unis au Christ, pour accomplir la mission d'époux de l'Eglise. Que le fait de recevoir cet anneau soit donc pour vous comme un renouvellement de votre "oui", de votre "me voici", adressé en même temps au Seigneur Jésus, qui vous a choisis et constitués, et à sa sainte Eglise, que vous êtes appelés à servir avec un amour sponsal. Les deux dimensions de l'Eglise, mariale et pétrinienne, se rencontrent donc dans ce qui constitue l'accomplissement de ces deux dimensions, c'est-à-dire dans la valeur suprême de la charité, le charisme "le plus grand", la "meilleure voie de toutes", comme écrit l'Apôtre Paul (cf. 1Co 12,31 1Co 13,13).

En ce monde, tout passe. Dans l'éternité, seul l'Amour demeure. Pour cette raison, chers frères, profitant du temps propice du Carême, efforçons-nous de nous assurer que toute chose dans notre vie personnelle comme dans l'activité ecclésiale dans laquelle nous sommes engagés, est dictée par la charité et tendue vers la charité. Le mystère que nous célébrons aujourd'hui nous éclaire également à ce propos. En effet, le premier geste accompli par Marie, après avoir entendu le message de l'Ange, a été celui de se rendre "en hâte" chez sa cousine Elisabeth pour lui proposer ses services (cf. Lc 1,39). L'initiative de la Vierge fut une initiative de charité authentique, humble et courageuse, dictée par la foi dans la Parole de Dieu et l'élan intérieur de l'Esprit Saint. Celui qui aime s'oublie lui-même et se met au service de son prochain. Voici l'image et le modèle de l'Eglise! Toute communauté ecclésiale, comme la Mère du Christ, est appelée à accueillir, avec une totale disponibilité, le mystère de Dieu qui vient habiter en elle et la pousse sur les chemins de l'amour. C'est la voie sur laquelle j'ai voulu engager mon pontificat, en invitant chacun, avec ma première Encyclique, à édifier l'Eglise dans la charité, comme une "communauté d'amour" (cf. Deus caritas est, Deuxième partie). En poursuivant ce but, vénérés Frères Cardinaux, votre proximité, spirituelle et concrète, m'est d'un grand soutien et réconfort. Je vous en remercie, en vous invitant tous, prêtres, diacres, religieux et laïcs, à vous unir à l'invocation de l'Esprit Saint, afin que le Collège des Cardinaux soit toujours plus ardent de charité pastorale, pour aider toute l'Eglise à diffuser l'amour du Christ dans le monde, pour la gloire et la louange de la Très Sainte Trinité. Amen!



Benoît XVI Homélies 10306