Benoît XVI Homélies 13507


CANONISATION DES Bx GEORGES PRECA, SIMON DE LIPNICY, CHARLES DE SAINT-ANDRÉ HOUBEN, MARIE EUGÉNIE DE JÉSUS MILLERET - 3 juin 2007

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Place Saint-Pierre

Solennité de la Très Sainte Trinité

Dimanche 3 juin 2007


Chers frères et soeurs,

Nous célébrons aujourd'hui la solennité de la Très Sainte Trinité. Après le temps pascal, après avoir revécu l'événement de la Pentecôte, qui renouvelle le Baptême de l'Eglise dans l'Esprit Saint, nous tournons pour ainsi dire le regard vers "les cieux ouverts", pour entrer avec les yeux de la foi dans les profondeurs du mystère de Dieu, Un dans la substance et Trine dans les personnes: le Père, le Fils et l'Esprit Saint. Alors que nous nous laissons envelopper par ce mystère suprême, nous admirons la gloire de Dieu, qui se reflète dans la vie des saints; nous la contemplons en particulier chez ceux que je viens de proposer à la vénération de l'Eglise universelle: Georges Preca, Simon de Lipnica, Charles de Saint-André Houben et Marie-Eugénie de Jésus Milleret. J'adresse mon salut cordial à tous les pèlerins, rassemblés ici pour rendre hommage à ces témoins exemplaires de l'Evangile. Je salue, en particulier, Messieurs les Cardinaux, Messieurs les Présidents des Philippines, d'Irlande, de Malte et de Pologne, mes vénérés frères dans l'épiscopat, les délégations gouvernementales et les autres Autorités civiles, qui prennent part à cette célébration.

Dans la première Lecture, tirée du Livre des Proverbes, entre en scène la Sagesse, qui se trouve aux côtés de Dieu comme assistante, comme "maître d'oeuvre" (
Pr 8,30). La "vision panoramique" sur l'univers observé à travers ses yeux est merveilleuse. La Sagesse elle-même confesse: "M'ébattant sur la surface de sa terre / et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes" (Pr 8,31). C'est au milieu des êtres humains que celle-ci aime demeurer, car elle reconnaît en eux l'image et la ressemblance du Créateur. Cette relation préférentielle de la Sagesse avec les hommes fait penser à un célèbre passage d'un autre livre sapientiel, le Livre de la Sagesse: "La sagesse - peut-on lire - est en effet un effluve de la puissance de Dieu / ... Bien qu'étant seule, elle peut tout, demeurant en elle-même, elle renouvelle l'univers / et, d'âge en âge passant en des âmes saintes, / elle en fait des amis de Dieu et des prophètes" (Sg 7,25-27). Cette dernière expression suggestive invite à considérer la manifestation de la sainteté, multiforme et intarissable, au sein du peuple de Dieu au cours des siècles. La Sagesse de Dieu se manifeste dans l'univers, dans la variété et la beauté de ses éléments, mais ses chefs-d'oeuvre, dans lesquels apparaissent beaucoup plus sa beauté et sa grandeur, ce sont les saints.

Dans le passage de la Lettre de l'Apôtre Paul aux Romains, nous trouvons une image semblable: celle de l'amour de Dieu "répandu dans les coeurs des saints", c'est-à-dire des baptisés, "par le Saint Esprit" qui leur a été donné (cf. Rm 5,5). C'est à travers le Christ que passe le don de l'Esprit, "Personne-amour, Personne-don", comme l'a défini le Serviteur de Dieu Jean-Paul II (Encyc. Dominum et vivificantem DEV 10). A travers le Christ, l'Esprit de Dieu nous parvient comme principe de vie nouvelle, "sainte". L'Esprit place l'amour de Dieu dans le coeur des croyants sous la forme concrète qui était la sienne dans l'homme Jésus de Nazareth. C'est ainsi que se réalise ce que saint Paul dit dans la Lettre aux Colossiens: "Christ parmi vous! L'espérance de la gloire!" (Col 1,27). Les "tribulations" ne sont pas en opposition avec cette espérance, elles concourent même à la réaliser, à travers la "constance" et la "vertu éprouvée" (Rm 5,3-4): c'est le chemin de Jésus, le chemin de la Croix.

Dans la même perspective, de la sagesse de Dieu incarnée dans le Christ et communiquée par l'Esprit Saint, l'Evangile nous a suggéré que Dieu le Père continue à manifester son dessein d'amour à travers les saints. Ici aussi, se produit ce que nous avons déjà souligné à propos de la Sagesse: l'Esprit de vérité révèle le dessein de Dieu dans la multiplicité des éléments de l'univers - nous sommes reconnaissants pour cette manifestation visuelle de la beauté et de la bonté de Dieu dans les éléments de l'univers -, et il le fait en particulier à travers les hommes et les femmes, de manière particulière à travers les saints et les saintes, où transparaissent avec une grande force sa lumière, sa vérité, son amour. En effet, "l'Image du Dieu invisible" (Col 1,15) est Jésus Christ et lui seul, "le Saint et le Juste" (Ac 3,14). Il est la Sagesse incarnée, le Logos créateur qui trouve sa joie en demeurant parmi les fils de l'homme, chez qui il a planté sa tente (cf. Jn 1,14). En Lui, il a plu à Dieu de faire habiter "toute la Plénitude" (cf. Col 1,19); ou, comme Il le dit lui-même dans le passage évangélique d'aujourd'hui: "Tout ce qui est au Père est à moi" (Jn 16,15). Chaque saint participe de la richesse du Christ, reprise par le Père et communiquée au moment opportun. C'est toujours la même sainteté que celle de Jésus, c'est toujours Lui, le "Saint", que l'Esprit façonne dans les "âmes saintes", en formant des amis de Jésus et des témoins de sa sainteté. Et Jésus veut également faire de nous ses amis. Précisément en ce jour, ouvrons notre coeur afin que, dans notre vie également, croisse l'amitié pour Jésus, afin que nous puissions témoigner de sa sainteté, de sa bonté et de sa vérité.

Georges Preca

Un ami de Jésus et un témoin de la sainteté qui provient de Lui fut Georges Preca, né à La Vallette dans l'île de Malte. Ce fut un prêtre entièrement consacré à l'évangélisation: à travers la prédication, les écrits, la direction spirituelle et l'administration des Sacrements et, avant tout, à travers l'exemple de sa vie. L'expression de l'Evangile de Jean "Verbum caro factum est" orienta toujours son âme et son action, et, ainsi, le Seigneur a pu se servir de lui pour donner vie à une oeuvre digne d'éloges, la "Société de la Doctrine chrétienne" - merci pour votre engagement! -, qui vise à assurer aux paroisses le service qualifié de catéchistes bien préparés et généreux. Ame profondément sacerdotale et mystique, il se prodiguait en élans d'amour pour Dieu, pour Jésus, pour la Vierge Marie et pour les saints. Il aimait répéter: "Seigneur mon Dieu, je suis ton obligé! Merci, Seigneur mon Dieu, et pardonne-moi, Seigneur mon Dieu!". Une prière que nous pourrions nous aussi répéter, que nous pourrions faire nôtre. Que saint Georges Preca aide l'Eglise à être toujours, à Malte et dans le monde, l'écho fidèle de la voix du Christ, Verbe incarné.

Simon de Lipnica

Le nouveau saint, Simon de Lipnica, grand fils de la terre polonaise, témoin du Christ et disciple de la spiritualité de saint François d'Assise, a vécu à une époque lointaine, mais c'est précisément aujourd'hui qu'il est proposé à l'Eglise comme modèle actuel de chrétien qui - animé par l'esprit de l'Evangile - est prêt à consacrer sa vie pour ses frères. Ainsi, rempli de la miséricorde qu'il puisait dans l'Eucharistie, il n'hésita pas à venir en aide aux malades frappés par la peste, contractant cette maladie qui le conduisit lui aussi à la mort. Nous confions aujourd'hui de manière particulière à sa protection ceux qui souffrent en raison de la pauvreté, de la maladie, de la solitude et de l'injustice sociale. Par son intercession, nous demandons pour nous la grâce de l'amour persévérant et actif, pour le Christ et pour nos frères.

Charles de Saint-André Houben

"L'amour de Dieu a été déversé dans nos coeurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné". Dans le cas du prêtre passionniste Charles de Saint André Houben, nous voyons véritablement la façon dont cet amour a débordé dans une vie entièrement consacrée au soin des âmes. Au cours de ses nombreuses années de ministère sacerdotal en Angleterre et en Irlande, les personnes accouraient vers lui pour rechercher ses sages conseils, sa sollicitude pleine de compassion et son pouvoir de guérison. Chez les personnes malades et les personnes souffrantes, il reconnaissait le visage du Christ crucifié, pour lequel il a nourri une dévotion tout au long de sa vie. Il puisait abondamment aux fleuves d'eau vive qui se déversaient du côté du Transpercé, et à travers la puissance de l'Esprit, il témoigna au monde de l'amour du Père. Aux funérailles de ce prêtre tant aimé, surnommé de façon affectueuse Père Charles de "Mount Argus", son supérieur observa avec émotion: "Le peuple l'a déjà déclaré saint".

Marie-Eugénie Milleret

Marie-Eugénie Milleret nous rappelle tout d'abord l'importance de l'Eucharistie dans la vie chrétienne et dans la croissance spirituelle. En effet, comme elle le souligne elle-même, sa première communion fut un temps fort, même si elle ne s'en aperçut pas complètement à ce moment-là. Le Christ, présent au plus profond de son coeur, travaillait en elle, lui laissant le temps de marcher à son rythme, de poursuivre sa quête intérieure qui la conduirait jusqu'à se donner totalement au Seigneur dans la vie religieuse, en réponse aux appels de son temps. Elle percevait notamment l'importance de transmettre aux jeunes générations, en particulier aux jeunes filles, une formation intellectuelle, morale et spirituelle, qui ferait d'elles des adultes capables de prendre en charge la vie de leur famille, sachant apporter leur contribution à l'Eglise et à la société. Tout au long de sa vie elle trouva la force pour sa mission dans la vie d'oraison, associant sans cesse contemplation et action. Puisse l'exemple de sainte Marie-Eugénie inviter les hommes et les femmes d'aujourd'hui à transmettre aux jeunes les valeurs qui les aideront à devenir des adultes forts et des témoins joyeux du Ressuscité. Que les jeunes n'aient pas peur d'accueillir ces valeurs morales et spirituelles, de les vivre dans la patience et la fidélité. C'est ainsi qu'ils construiront leur personnalité et qu'ils prépareront leur avenir.

Chers frères et soeurs, nous rendons grâce à Dieu pour les merveilles qu'il a accomplies chez les saints, dans lesquels resplendit sa gloire. Laissons-nous attirer par leurs exemples, laissons-nous guider par leurs enseignements, pour que toute notre existence devienne, comme la leur, un cantique de louange à la gloire de la Très Sainte Trinité. Que Marie, la Reine des saints, ainsi que l'intercession de ces quatre nouveaux "Frères aînés" que nous vénérons aujourd'hui avec joie, nous obtiennent cette grâce. Amen.



MESSE ET PROCESSION DE LA FÊTE-DIEU - 7 juin 2007

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Parvis de la Basilique Saint-Jean-de-Latran

Jeudi 7 juin 2007

Chers frères et soeurs!


Il y a quelques instants, nous avons chanté dans la Séquence: "Dogma datur christianis / quod in carnem transit panis / et vinum in sanguinem - C'est un dogme pour les chrétiens: / que le pain se change en son corps, / que le vin devient son sang". Aujourd'hui, nous réaffirmons avec une grande joie notre foi dans l'Eucharistie, le Mystère qui constitue le coeur de l'Eglise. Dans la récente Exhortation post-synodale Sacramentum caritatis, j'ai rappelé que le Mystère eucharistique "est le don que Jésus Christ fait de lui-même, nous révélant l'amour infini de Dieu pour tout homme" (). C'est pourquoi la fête du Corpus Domini est une fête particulière et constitue un rendez-vous de foi et de louange pour chaque communauté chrétienne. C'est une fête qui a trouvé son origine dans un contexte historique et culturel précis: elle est née dans le but bien précis de réaffirmer ouvertement la foi du Peuple de Dieu en Jésus Christ vivant et réellement présent dans le Très Saint Sacrement de l'Eucharistie. C'est une fête instituée pour adorer, louer et rendre grâce publiquement au Seigneur, qui "continue de nous aimer "jusqu'au bout", jusqu'au don de son corps et de son sang" ().

La célébration eucharistique de ce soir nous reconduit à l'atmosphère spirituelle du Jeudi Saint, le jour où le Christ, la veille de sa Passion, institua la Très Sainte Eucharistie au Cénacle. Le Corpus Domini constitue ainsi une reprise du mystère du Jeudi Saint, presque en obéissance à l'invitation de Jésus de "proclamer sur les toits" ce qu'Il nous a dit dans le creux de l'oreille (cf.
Mt 10,27). Les Apôtres reçurent le don de l'Eucharistie du Seigneur dans l'intimité de la Dernière Cène, mais il était destiné à tous, au monde entier. Voilà pourquoi il doit être proclamé et exposé ouvertement, afin que chacun puisse rencontrer "Jésus qui passe", comme cela avait lieu sur les route de Galilée, de Samarie et de Judée; afin que chacun, en le recevant, puisse être guéri et renouvelé par la force de son amour. Chers amis, tel est l'héritage perpétuel et vivant que Jésus nous a laissé dans le Sacrement de son Corps et de son Sang. Un héritage qui demande d'être constamment repensé, revécu, afin que, comme le dit le vénéré Paul VI, il puisse "imprimer son efficacité sans limites sur tous les jours de notre vie mortelle" (Audience générale du 24 mai 1967, Insegnamenti, V [1967], p. 779).

Toujours dans l'Exhortation post-synodale, en commentant l'exclamation du prêtre après la consécration: "Il est grand le mystère de la foi!", j'observais: à travers ces paroles, il "proclame le mystère qui est célébré et il manifeste son émerveillement devant la conversion substantielle du pain et du vin en corps et en sang du Seigneur Jésus, réalité qui dépasse toute compréhension humaine" (). Précisément parce qu'il s'agit d'une réalité mystérieuse qui dépasse notre compréhension, nous ne devons pas nous étonner si, aujourd'hui encore, de nombreuses personnes ont du mal à accepter la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. Il ne peut en être autrement. Il en fut ainsi depuis le jour où, dans la synagogue de Capharnaüm, Jésus déclara publiquement être venu pour nous donner en nourriture sa chair et son sang (cf. Jn 6,26-58). Ce langage apparut "dur" et de nombreuses personnes se retirèrent. A l'époque, comme aujourd'hui, l'Eucharistie demeure "un signe de contradiction" et ne peut manquer de l'être, car un Dieu qui se fait chair et se sacrifie pour la vie du monde met en crise la sagesse des hommes. Mais avec une humble confiance, l'Eglise fait sienne la foi de Pierre et des autres Apôtres, et proclame avec eux, tout comme nous proclamons: "Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle" (Jn 6,68). Renouvelons nous aussi ce soir la profession de foi dans le Christ vivant et présent dans l'Eucharistie. Oui, "c'est un dogme pour les chrétiens, / que le pain se change en son corps / que le vin devient son sang".

A son point culminant, la Séquence, nous a fait chanter: "Ecce panis angelorum, / Factus cibus viatorum: / vere panis filiorum - Le voici, le pain des anges, / il est le pain de l'homme en route, / le vrai pain des enfants de Dieu". Et par la grâce du Seigneur, nous sommes ses enfants. L'Eucharistie est la nourriture réservée à ceux qui, dans le Baptême, ont été libérés de l'esclavage et sont devenus ses enfants; c'est la nourriture qui les soutient sur le long chemin de l'exode à travers le désert de l'existence humaine. Comme la manne pour le peuple d'Israël, ainsi, pour chaque génération chrétienne, l'Eucharistie est la nourriture indispensable qui la soutient tandis qu'elle traverse le désert de ce monde, asséché par les systèmes idéologiques et économiques qui ne promeuvent pas la vie, mais lui portent atteinte; un monde où domine la logique du pouvoir et de l'avoir plutôt que celle du service et de l'amour; un monde où triomphe souvent la culture de la violence et de la mort. Mais Jésus vient à notre rencontre et nous confère la certitude: Lui-même est "le pain de la vie" (Jn 6,35 Jn 6,48). Il nous l'a répété dans les paroles du Chant à l'Evangile: "Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais" (Jn 6,52).

Dans le passage évangélique que nous venons de proclamer, saint Luc, nous rapportant le miracle de la multiplication des cinq pains et des deux poissons avec lesquels Jésus nourrit la foule "dans un endroit désert", conclut en disant: "Ils mangèrent et furent tous rassasiés" (cf. Lc 9,11-17). Je voudrais souligner en premier lieu ce "tous". Le désir du Seigneur est, en effet, que chaque être humain se nourrisse de l'Eucharistie, car l'Eucharistie est pour tous. Si, dans le Jeudi Saint, est souligné la relation étroite qui existe entre la Dernière Cène et le mystère de la mort de Jésus sur la croix, aujourd'hui fête du Corpus Domini, avec la procession et l'adoration commune de l'Eucharistie, l'attention est attirée sur le fait que le Christ s'est immolé pour l'humanité tout entière. Son passage entre les maisons et dans les rues de notre ville sera pour ceux qui y habitent un don de joie, de vie immortelle, de paix et d'amour.

Dans le passage évangélique, un second élément saute aux yeux: le miracle accompli par le Seigneur contient une invitation explicite à offrir à chacun sa propre contribution. Les deux poissons et les cinq pains indiquent notre contribution pauvre mais nécessaire, qu'Il transforme en don d'amour pour tous. "Le Christ, encore aujourd'hui, - ai-je écrit dans l'Exhortation post-synodale mentionnée - continue à exhorter ses disciples à s'engager personnellement" (). L'Eucharistie est donc un appel à la sainteté et au don de soi à nos frères, car "la vocation de chacun de nous consiste véritablement à être, avec Jésus, pain rompu pour la vie du monde" (ibid.).

Notre Rédempteur nous adresse cette invitation en particulier à nous, chers frères et soeurs de Rome, réunis sur cette Place historique autour de l'Eucharistie: je vous salue tous avec affection. Mon salut s'adresse avant tout au Cardinal-Vicaire et aux Evêques auxiliaires, aux autres vénérés Frères Cardinaux et Evêques, ainsi qu'aux nombreux prêtres et diacres, aux religieux et aux religieuses, et aux nombreux fidèles laïcs. Au terme de la Célébration eucharistique, nous nous rassemblerons en procession, comme pour porter idéalement le Seigneur Jésus à travers toutes les rues et les quartiers de Rome. Nous le plongerons, pour ainsi dire, dans le quotidien de notre vie, afin qu'Il marche où nous marchons, afin qu'Il vive où nous vivons. Nous savons, en effet, comme nous l'a rappelé l'Apôtre Paul dans la Lettre aux Corinthiens, que dans toute Eucharistie, également dans celle de ce soir, nous "annonçons la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne" (cf. 1Co 11,26). Nous marchons sur les routes du monde en sachant qu'Il est à nos côtés, soutenus par l'espérance de pouvoir un jour le voir à visage découvert dans la rencontre définitive.

En attendant, dès à présent, nous écoutons sa voix qui répète, comme nous le lisons dans le Livre de l'Apocalypse: "Voici, je me tiens à la porte et je frappe; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi" (Ap 3,20). La fête du Corpus Domini veut rendre perceptible, en dépit de notre surdité intérieure, le Seigneur qui frappe à notre porte. Jésus frappe à la porte de notre coeur et nous demande d'entrer non seulement l'espace d'un jour, mais pour toujours. Nous l'accueillons avec joie, en élevant vers Lui l'invocation commune de la Liturgie: "O bon Pasteur, notre vrai pain, / ô Jésus, aie pitié de nous, [...] Toi qui sais tout et peux tout / toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel / en compagnie de tes saints". Amen!


VISITE PASTORALE À ASSISE À L'OCCASION DU VIII CENTENAIRE DE LA CONVERSION DE SAINT FRANÇOIS - 17 juin 2007

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CONCÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE


Esplanade de la Basilique inférieure Saint-François

Dimanche 17 juin 2007

Chers frères et soeurs,


Que nous dit aujourd'hui le Seigneur, alors que nous célébrons l'Eucharistie dans le cadre suggestif de cette place, où sont rassemblés huit siècles de sainteté, de dévotion, d'art et de culture, liés au nom de François d'Assise? Aujourd'hui, ici, tout parle de conversion, comme nous l'a rappelé Mgr Domenico Sorrentino, que je remercie de tout coeur, pour les paroles aimables qu'il m'a adressées. Je salue avec lui toute l'Eglise d'Assise-Nocera Umbra-Gualdo Tadino, ainsi que les pasteurs des Eglises d'Ombrie. Une pensée reconnaissante va au Cardinal Attilio Nicora, mon Légat pour les deux Basiliques papales de cette ville. J'adresse un salut affectueux aux fils de François, ici présents à travers leurs Ministres généraux des divers Ordres. Je présente mes respects au Président du Conseil des Ministres et à toutes les Autorités civiles qui ont voulu nous honorer de leur présence.

Parler de conversion signifie aller au coeur du message chrétien et en même temps aux racines de l'existence humaine. La Parole de Dieu qui vient d'être proclamée nous illumine, en plaçant devant nos yeux trois figures de convertis. La première est celle de David. Le passage qui le concerne, tiré du deuxième Livre de Samuel, nous présente l'un des dialogues les plus dramatiques de l'Ancien Testament. Au centre de cet échange, se trouve un verdict cuisant, avec lequel la Parole de Dieu, prononcée par le prophète Nathan, met à nu un roi parvenu au sommet de sa gloire politique, mais aussi tombé au niveau le plus bas de sa vie morale. Pour saisir la tension dramatique de ce dialogue, il faut avoir à l'esprit l'horizon historique et théologique dans lequel il se situe. C'est un horizon dessiné par l'acte d'amour avec lequel Dieu choisit Israël comme son peuple, établissant avec lui une alliance et se préoccupant de lui assurer une terre et la liberté. David est un anneau de cette histoire de l'attention permanente de Dieu pour son peuple. Il est choisi à un moment difficile et placé aux côtés du roi Saul, pour devenir ensuite son successeur. Le dessein de Dieu concerne également sa descendance, liée au projet messianique, qui trouvera dans le Christ, "fils de David", sa pleine réalisation.

La figure de David est ainsi une image de grandeur à la fois historique et religieuse. L'abjection dans laquelle il tombe contraste d'autant plus avec cette image, lorsque, aveuglé par sa passion pour Bethsabée, il l'arrache à son époux, l'un de ses plus fidèles guerriers, et ordonne ensuite froidement l'assassinat de ce dernier. C'est quelque chose qui fait frissonner: comment un élu de Dieu peut-il tomber si bas? L'homme est vraiment grandeur et misère: il est grandeur, car il porte en lui l'image de Dieu et il est l'objet de son amour; il est misère, car il peut faire un mauvais usage de la liberté qui est son grand privilège, finissant par se dresser contre son Créateur. Le verdict de Dieu, prononcé par Nathan sur David, éclaire les fibres intimes de la conscience, là où ne comptent plus les armées, le pouvoir, l'opinion publique, mais où l'on est seul avec Dieu seul. "Tu es cet homme": c'est une parole qui renvoie David à ses responsabilités. Profondément frappé par cette parole, le roi développe un repentir sincère et s'ouvre au don de la miséricorde. Voilà le chemin de la conversion.

François nous invite aujourd'hui sur ce chemin, aux côtés de David. Dans ce que ses biographes nous rapportent de ses années de jeunesse, rien ne fait penser à des chutes aussi graves que celles qui sont imputées à l'ancien roi d'Israël. Mais François lui-même, dans le Testament rédigé au cours des derniers mois de son existence, considère ses vingt-cinq premières années comme une époque où "il était dans les péchés" (cf. 2 Test 1: FF 110). Au-delà des faits particuliers, sa façon de concevoir et d'organiser une vie entièrement centrée sur lui-même, en suivant de vains rêves de gloire terrestre, était un péché. Lorsqu'il était le "roi des fêtes" parmi les jeunes d'Assise (cf. Cel I, 3, 7: FF 588), il ne manquait pas d'une générosité d'âme naturelle. Mais celle-ci était encore bien loin de l'amour chrétien qui se donne sans réserve à l'autre. Comme il le rappelle lui-même, il lui semblait amer de voir les lépreux. Le péché l'empêchait de dominer cette répugnance physique et de reconnaître en eux autant de frères à aimer. La conversion le conduisit à exercer la miséricorde et il obtint en même temps miséricorde. Servir les lépreux, jusqu'à les embrasser, ne fut pas seulement un geste de philanthropie, une conversion, pour ainsi dire, "sociale", mais une véritable expérience religieuse, commandée par l'initiative de la grâce et par l'amour de Dieu: "Le Seigneur - dit-il - me conduisit parmi eux" (2 Test 2: FF 110). Ce fut alors que l'amertume se transforma en "douceur d'âme et de corps" (2 Test 3: FF 110). Oui, mes chers frères et soeurs, nous convertir à l'amour c'est passer de l'amertume à la "douceur", de la tristesse à la joie véritable. L'homme n'est vraiment lui-même et ne se réalise pleinement, que dans la mesure où il vit avec Dieu et de Dieu, en le reconnaissant et en l'aimant dans ses frères.

Dans le passage de la Lettre aux Galates, apparaît un autre aspect du chemin de conversion. Celui qui nous l'explique est un autre grand converti, l'Apôtre Paul. Le contexte de ses paroles est celui du débat dans lequel la communauté primitive se trouve engagée: dans celle-ci, de nombreux chrétiens provenant du judaïsme tendaient à lier le salut à l'accomplissement des oeuvres de l'ancienne Loi, rendant ainsi vaine la nouveauté du Christ et l'universalité de son message. Paul se dresse comme témoin et proclamateur de la grâce. Sur le chemin de Damas, le visage radieux et la voix puissante du Christ l'avaient arraché à son zèle violent de persécuteur et avaient allumé en lui le nouveau zèle du Crucifié, qui réconcilie ceux qui sont proches ou loin dans sa croix (cf.
Ep 2,11-22). Paul avait compris que, dans le Christ, toute la loi est accomplie et que celui qui adhère au Christ s'unit à Lui, accomplit la loi. Apporter le Christ, et avec le Christ l'unique Dieu, à toutes les nations était devenu sa mission. Le Christ "est notre paix: des deux, Israël et les païens, il a fait un seul peuple... il a fait tomber le mur de la haine" (Ep 2,14). Sa confession d'amour très personnelle exprime dans le même temps également l'essence commune de la vie chrétienne: "Ma vie aujourd'hui dans la condition humaine, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et qui s'est livré pour moi" (Ga 2,20). Et comment peut-on répondre à cet amour, si ce n'est en embrassant le Christ crucifié, jusqu'à vivre de sa vie elle-même? "Avec le Christ, je suis fixé à la croix: je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi" (Ga 2,20).

En parlant du fait qu'il est crucifié avec le Christ, saint Paul fait non seulement allusion à sa nouvelle naissance dans le baptême, mais à toute sa vie au service du Christ. Ce lien avec sa vie apostolique apparaît avec clarté dans les paroles de conclusion de sa défense de la liberté chrétienne, à la fin de la Lettre aux Galates: "Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter. Car moi je porte dans mon corps la marque des souffrances de Jésus" (Ga 6,17). C'est la première fois, dans l'histoire du christianisme, qu'apparaît le terme "marque des souffrances de Jésus". Dans le débat sur la juste façon de voir et de vivre l'Evangile, ce ne sont pas, à la fin, les arguments de notre esprit qui décident; ce qui décide est la réalité de la vie, la communion vécue et soufferte avec Jésus, non seulement dans les idées ou dans les paroles, mais jusqu'au plus profond de l'existence, faisant aussi participer le corps, la chair. Les meurtrissures reçues au cours d'une longue histoire de passion sont le témoignage de la présence de la croix de Jésus dans le corps de saint Paul, ce sont ses stigmates. Et ainsi peut-il dire que ce n'est pas la circoncision qui le sauve: les stigmates sont la conséquence de son baptême, l'expression de sa mort avec Jésus, jour après jour, le signe sûr du fait qu'il est une créature nouvelle (cf. Ga 6,15). Du reste, Paul rappelle, en utilisant l'expression "marque des souffrances de Jésus", l'usage antique d'imprimer sur la peau de l'esclave le sceau de son propriétaire. Le serviteur était ainsi "marqué" comme propriété de son patron et se trouvait sous sa protection. Le signe de la croix, inscrit en longues passions sur la peau de Paul, est son orgueil: il le légitime comme véritable serviteur de Jésus, protégé par l'amour du Seigneur.

Chers amis, François d'Assise nous transmet aujourd'hui ces paroles de Paul, avec la force de son témoignage. Depuis que le visage des lépreux, aimés par amour de Dieu, lui donna l'intuition, d'une certaine manière, du mystère de la "kénose" (cf. Ph 2,7), l'abaissement de Dieu dans la chair du Fils de l'homme, et depuis que la voix du Crucifié de Saint-Damien plaça dans son coeur le programme de sa vie: "Va François, réparer ma maison" (2 Cel I, 6, 10: FF 593), son chemin ne fut que l'effort quotidien de s'identifier au Christ. Il tomba amoureux du Christ. Les plaies du Crucifié blessèrent son coeur, avant même de marquer son corps à La Verne. Il pouvait vraiment dire avec Paul: "Ce n'est plus moi qui vit, mais le Christ qui vit en moi".

Et venons-en au coeur évangélique de la Parole de Dieu d'aujourd'hui. Jésus lui-même, dans le passage de l'Evangile de Luc qui vient d'être lu, nous explique le dynamisme de l'authentique conversion, en nous indiquant comme modèle la femme pécheresse rachetée par l'amour. Il faut reconnaître que cette femme avait beaucoup osé. Sa façon de se placer face à Jésus, en baignant ses pieds de larmes et en les essuyant avec ses cheveux, les embrassant et les oignant d'huile parfumée, était faite pour scandaliser ceux qui regardaient les personnes de sa condition avec l'oeil impitoyable du juge. On est au contraire impressionné par la tendresse avec laquelle Jésus traite cette femme, exploitée et jugée par tant de personnes. Elle a finalement trouvé en Jésus un oeil pur, un coeur capable d'aimer sans exploiter. Dans le regard et dans le coeur de Jésus elle reçoit la révélation de Dieu-Amour!

Pour éviter les équivoques, il faut noter que la miséricorde de Jésus ne s'exprime pas en mettant la loi morale entre parenthèses. Pour Jésus, le bien est le bien, le mal est le mal. La miséricorde ne change pas l'aspect du péché, mais le brûle d'un feu d'amour. Cet effet purifiant et assainissant se réalise si, dans l'homme, se trouve une correspondance d'amour, qui implique la reconnaissance de la loi de Dieu, le repentir sincère, l'intention d'une vie nouvelle. On pardonne beaucoup à la pécheresse de l'Evangile, parce qu'elle a beaucoup aimé. En Jésus, Dieu vient nous donner l'amour et nous demander l'amour.

Mes chers frères et soeurs, qu'a été la vie de François converti si ce n'est un grand acte d'amour? C'est ce que révèlent ses prières enflammées, riches de contemplation et de louanges, son tendre baiser à l'Enfant divin à Greccio, sa contemplation de la passion à La Verne, son "vivre selon la forme du saint Evangile" (2 Test 14, FF 116), son choix de pauvreté et sa recherche du Christ dans le visage des pauvres.

Telle est sa conversion au Christ, jusqu'au désir de "se transformer" en Lui, en devenant son image accomplie, qui explique sa manière de vivre typique, en vertu de laquelle il nous apparaît si actuel également par rapport à de grands thèmes de notre époque, tels que la recherche de la paix, la sauvegarde de la nature, la promotion du dialogue entre tous les hommes. François est un véritable maître dans ce domaine. Mais il l'est à partir du Christ. En effet, c'est le Christ, qui est "notre paix" (cf. Ep 2,14). C'est le Christ qui est le principe même de l'univers, car en lui tout a été créé (cf. Jn 1,3). C'est le Christ qui est la vérité divine, l'éternel "Logos", en qui chaque "dia-logos" dans le temps trouve son ultime fondement. François incarne profondément cette vérité "christologique" qui se trouve à la racine de l'existence humaine, de l'univers, de l'histoire.

Je ne peux pas oublier, dans le contexte d'aujourd'hui, l'initiative de mon Prédécesseur de sainte mémoire, Jean-Paul II, qui voulut réunir ici, en 1986, les représentants des confessions chrétiennes et des diverses religions du monde, pour une rencontre de prière pour la paix. Ce fut une intuition prophétique et un moment de grâce, comme je l'ai réaffirmé il y a quelques mois dans ma lettre à l'Evêque de cette ville, à l'occasion du vingtième anniversaire de cet événement. Le choix de célébrer cette rencontre à Assise était précisément suggéré par le témoignage de François comme homme de paix, que de nombreuses personnes, même d'autres tendances culturelles et religieuses, considèrent avec sympathie. Dans le même temps, la lumière du Poverello sur cette initiative était une garantie d'authenticité chrétienne, car sa vie et son message reposent si visiblement sur le choix du Christ, qu'ils repoussent a priori toute tentation d'indifférentisme religieux, qui n'aurait rien à voir avec l'authentique dialogue interreligieux. L'"esprit d'Assise", qui depuis cet événement continue à se diffuser dans le monde, s'oppose à l'esprit de violence, à l'abus de la religion comme prétexte pour la violence. Assise nous dit que la fidélité à sa propre conviction religieuse, la fidélité en particulier au Christ crucifié et ressuscité ne s'exprime pas par de la violence et de l'intolérance, mais par le respect sincère de l'autre, par le dialogue, par une annonce qui fait appel à la liberté et à la raison, dans l'engagement pour la paix et la réconciliation. Ne pas réussir à conjuguer l'accueil, le dialogue et le respect pour tous avec la certitude de foi que chaque chrétien, à l'image du saint d'Assise, est tenu de cultiver, en annonçant le Christ comme chemin, vérité et vie de l'homme (cf. Jn 14,6), unique Sauveur du monde, ne pourrait pas être une attitude évangélique, ni franciscaine.

Que François d'Assise obtienne à cette Eglise particulière, aux Eglises qui sont en Ombrie, à toute l'Eglise qui est en Italie, dont il est le Patron avec sainte Catherine de Sienne, aux nombreuses personnes dans le monde qui se réclament de lui, la grâce d'une conversion pleine et authentique à l'amour du Christ.



Benoît XVI Homélies 13507