Benoît XVI Homélies 20907


VOYAGE APOSTOLIQUE EN AUTRICHE À L'OCCASION DU 850 ANNIVERSAIRE DE LA FONDATION DU SANCTUAIRE DE MARIAZELL


MESSE - Sanctuaire de Mariazell, Samedi 8 septembre 2007

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Chers frères et soeurs,


Avec notre grand pèlerinage à Mariazell, nous célébrons la fête patronale de ce Sanctuaire, la fête de la Nativité de Marie. Depuis 850 ans, des personnes de divers peuples et nations se rendent ici, des personnes qui prient en apportant avec elles les désirs de leurs coeurs et de leurs pays, leurs préoccupations et leurs espérances les plus profondes. Mariazell est ainsi devenue pour l'Autriche, et bien au-delà de ses frontières, un lieu de paix et d'unité réconciliée. Nous faisons ici l'expérience de la bonté réconfortante de la Mère; ici, nous rencontrons Jésus-Christ, à travers lequel Dieu est avec nous, comme l'affirme aujourd'hui le passage évangélique - Jésus, dont nous avons entendu dire dans la lecture du prophète Michée: Il sera la paix (cf.
Mi 5,4). Aujourd'hui, nous nous inscrivons dans le grand pèlerinage séculaire. Nous faisons une halte devant la Mère du Seigneur et nous la prions: Montre-nous Jésus. Montre-nous, à nous pèlerins, Celui qui est à la fois le chemin et le but: la vérité et la vie.

Le passage évangélique, que nous venons d'écouter, ouvre encore davantage notre vision. Il nous présente l'histoire d'Israël à partir d'Abraham comme un pèlerinage qui, suivant des montées et des descentes, à travers des voies courtes et des voies longues, conduit enfin au Christ. La généalogie, avec ses figures lumineuses et obscures, avec ses succès et ses échecs, nous démontre que Dieu peut écrire droit également sur les lignes tortueuses de notre histoire. Dieu nous laisse notre liberté et, toutefois, il sait trouver dans notre échec des voies nouvelles pour son amour. Dieu n'échoue pas. Ainsi, cette généalogie est une garantie de la fidélité de Dieu; une garantie que Dieu ne nous laisse pas choir et une invitation à orienter notre vie toujours à nouveau vers Lui, à marcher toujours à nouveau vers le Christ.

Aller en pèlerinage signifie être orientés dans une certaine direction, marcher vers un objectif. Cela confère également au chemin et à ses difficultés une beauté qui leur est propre. Parmi les pèlerins de la généalogie de Jésus, certains avaient oublié l'objectif et voulaient se présenter eux-mêmes comme cet objectif. Mais le Seigneur a toujours suscité à nouveau également des personnes qui se sont laissées entraîner par la nostalgie de l'objectif, en orientant leur propre vie vers lui. L'élan vers la foi chrétienne, le début de l'Eglise de Jésus-Christ a été possible, parce qu'existaient en Israël des personnes dont le coeur était en quête - des personnes qui ne se sont pas installées dans l'habitude, mais qui ont regardé au loin, à la recherche de quelque chose de plus grand: Zacharie, Elisabeth, Siméon, Anne, Marie et Joseph, les Douze et beaucoup d'autres. Leur coeur étant en attente, ils pouvaient reconnaître en Jésus Celui que Dieu avait envoyé et devenir ainsi le début de sa famille universelle. L'Eglise des nations est devenue possible car, que ce soit dans la région de la Méditerranée et dans la proche ou la moyenne Asie, là où arrivaient les Messagers de Jésus, il y avait des personnes en attente qui ne se contentaient pas de ce que tous faisaient et pensaient, mais qui cherchaient l'étoile qui pouvait leur indiquer la voie vers la Vérité même, vers le Dieu vivant.

Nous avons besoin de ce coeur inquiet et ouvert. C'est le noyau du pèlerinage. Aujourd'hui aussi, il ne suffit pas d'être et de penser en quelque sorte comme tous les autres. Le projet de notre vie va au-delà. Nous avons besoin de Dieu, de ce Dieu qui nous a montré son visage et ouvert son coeur: Jésus-Christ. Jean, à juste titre, affirme qu'Il est le Fils unique de Dieu qui est dans le sein du Père (cf. Jn 1,18); ainsi, Lui seul, du plus profond de Dieu lui-même, pouvait nous révéler Dieu - nous révéler également qui nous sommes, d'où nous venons et vers où nous allons. De nombreuses et grandes personnalités ont vécu, au cours de l'histoire, des expériences de Dieu belles et émouvantes. Elles restent cependant des expériences humaines, avec leur limites humaines. Lui seul est Dieu et donc Lui seul est le pont, qui met vraiment Dieu et l'homme en contact direct. Et donc, si nous chrétiens l'appelons l'unique Médiateur du salut valable pour tous, qui concerne chacun et dont, en définitive, tous ont besoin, cela ne signifie pas du tout un mépris des autres religions ni une absolutisation orgueilleuse de notre pensée, mais seulement que nous avons été conquis par Celui qui nous a intérieurement touchés et comblés de dons, afin que nous puissions à notre tour faire des dons également aux autres. De fait, notre foi s'oppose décidément à la résignation qui considère l'homme incapable de la vérité - comme si celle-ci était trop grande pour lui. Cette résignation face à la vérité est, selon ma conviction, le coeur de la crise de l'Occident, de l'Europe. Si, pour l'homme, il n'existe pas de vérité, celui-ci, au fond, n'est même pas capable de distinguer entre le bien et le mal. Les grandes et merveilleuses connaissances de la science deviennent alors ambiguës: elles peuvent ouvrir des perspectives importantes pour le bien, pour le salut de l'homme, mais également - et nous le voyons - devenir une menace terrible, la destruction de l'homme et du monde. Nous avons besoin de la vérité. Mais, certainement en raison de notre histoire, nous avons peur que la foi dans la vérité ne conduise à l'intolérance. Si cette peur, qui a ses bonnes raisons historiques, nous assaille, il est temps de tourner notre regard vers Jésus comme nous le voyons ici au Sanctuaire de Mariazell. Nous le voyons sous deux aspects: comme un enfant dans les bras de sa Mère et, au-dessus de l'autel principal de la Basilique, comme le crucifié. Ces deux images de la basilique nous disent: la vérité ne s'affirme pas à travers un pouvoir extérieur, mais elle est humble et ne se donne à l'homme qu'à travers le pouvoir intérieur du fait qu'elle est vraie. La vérité se démontre elle-même dans l'amour. Elle n'est jamais notre propriété, notre produit, de même que l'amour ne peut pas être produit, mais seulement se recevoir et se transmettre comme don. Nous avons besoin de cette force intérieure de la vérité. En tant que chrétiens, nous avons confiance dans cette force intérieure de la vérité. Nous en sommes les témoins. Nous devons la transmettre en don, de la même manière que nous l'avons reçue, de la même façon que celle-ci s'est donnée.

"Regarder vers le Christ" est la devise de cette journée. Cette invitation, pour l'homme en quête, se transforme toujours à nouveau en une question spontanée, une question adressée en particulier à Marie, qui nous a donné le Christ comme son Fils: "Montre-nous Jésus!". Nous prions ainsi aujourd'hui de tout notre coeur; nous prions ainsi également en d'autres moments, intérieurement à la recherche du Visage du Rédempteur. "Montre-nous Jésus!". Marie répond, en nous le présentant tout d'abord comme un enfant. Dieu s'est fait petit pour nous. Dieu ne vient pas avec la force extérieure, mais il vient dans l'impuissance de son amour, qui constitue sa force. Il se donne entre nos mains. Il nous demande notre amour. Il nous invite à devenir nous aussi petits, à descendre de nos trônes élevés et à apprendre à être des enfants devant Dieu. Il nous offre le "Toi". Il nous demande d'avoir confiance en Lui et d'apprendre ainsi à vivre dans la vérité et dans l'amour. L'Enfant Jésus nous rappelle naturellement aussi tous les enfants du monde, à travers lesquels il veut venir à notre rencontre. Les enfants qui vivent dans la pauvreté; qui sont exploités comme soldats; qui n'ont jamais pu faire l'expérience de l'amour de leurs parents; les enfants malades et qui souffrent, mais aussi ceux qui sont joyeux et sains. L'Europe est devenue pauvre en enfants: nous voulons tout pour nous-mêmes, et peut-être n'avons-nous pas tellement confiance en l'avenir. Mais la terre ne sera privée d'avenir que lorsque s'éteindront les forces du coeur humain et de la raison illuminée par le coeur - quand le visage de Dieu ne resplendira plus sur la terre. Là où se trouve Dieu, là se trouve l'avenir.

"Regarder vers le Christ": jetons encore brièvement un regard sur le Crucifié au-dessus de l'autel majeur. Dieu a racheté le monde non par l'épée, mais par la Croix. Mourant, Jésus ouvre les bras. C'est tout d'abord le geste de la Passion, avec lequel Il se laisse clouer pour nous, pour nous donner sa vie. Mais les bras étendus sont en même temps l'attitude de l'orant, une position que le prêtre prend lorsque, dans la prière, il ouvre les bras: Jésus a transformé la passion - sa souffrance et sa mort - en prière, et il l'a ainsi transformée en un acte d'amour envers Dieu et envers les hommes. C'est pourquoi les bras ouverts du Crucifié sont, à la fin, également un geste d'étreinte, avec lequel Il nous attire à Lui, il veut nous embrasser entre les mains de son amour. Ainsi, Il est une image du Dieu vivant, il est Dieu lui-même, nous pouvons nous confier à Lui.

"Regarder vers le Christ!". Si nous le faisons, nous nous rendons compte que le christianisme est quelque chose de plus et de différent qu'un système moral, qu'une série de requêtes et de lois. Il est le don d'une amitié qui perdure dans la vie et dans la mort: "Je ne vous appelle plus serviteur, mais amis" (cf. Jn 15,15), dit le Seigneur aux siens. Nous nous confions à cette amitié. Mais précisément parce que le christianisme est plus qu'une morale, il est justement le don d'une amitié, c'est pour cela qu'il contient également en lui une grande force morale dont nous avons tant besoin face aux défis de notre temps. Si avec Jésus-Christ et avec son Eglise nous relisons de manière toujours nouvelle le décalogue du Sinaï, en pénétrant dans ses profondeurs, alors il se révèle à nous comme un grand enseignement, valable et permanent. Le Décalogue est tout d'abord un "oui" à Dieu, à un Dieu qui nous aime et nous guide, qui nous conduit et qui, toutefois, nous laisse notre liberté, plus encore, en fait une liberté véritable (les trois premiers commandements). C'est un "oui" à la famille (quatrième commandement), un "oui" à la vie (cinquième commandement), un "oui" à un amour responsable (sixième commandement), un "oui" à la solidarité, à la responsabilité sociale et à la justice (septième commandement), un "oui" à la vérité (huitième commandement) et un "oui" au respect des autres personnes et de ce qui leur appartient (neuvième et dixième commandements). En vertu de la force de notre amitié avec le Dieu vivant, nous vivons ce multiple "oui" et, dans le même temps, nous le présentons comme indicateur de l'itinéraire à cette époque du monde.

"Montre-nous Jésus!". Avec cette requête à la Mère du Seigneur, nous nous sommes mis en marche vers ce lieu. Cette même question nous accompagnera lorsque nous reprendrons notre vie quotidienne. Et nous savons que Marie exauce notre prière: oui, à chaque moment, lorsque nous tournons notre regard vers Marie, elle nous montre Jésus. Ainsi, nous pouvons trouver le juste chemin, le suivre pas à pas, remplis de la certitude joyeuse que le chemin conduit à la lumière - à la joie de l'Amour éternel. Amen.
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A l'issue de la Messe:

Chers frères et soeurs!

Avant la rencontre avec les Conseils paroissiaux et avant de vous remettre l'Evangile et les Actes des Apôtres, je voudrais reprendre ce que j'ai déjà dit dans les intentions de prière. Beaucoup de personnes, ici en Autriche, souffrent, ces jours-ci, à cause des inondations et ont subi des dommages. Je voudrais assurer à nouveau toutes ces personnes de ma prière, de ma sollicitude et de ma douleur et je suis certain que tous ceux qui en auront la possibilité feront preuve de solidarité et leur viendront en aide.

Je voudrais ensuite rappeler également les deux pèlerins qui sont morts ici, aujourd'hui - j'ai évoqué leur mémoire dans ma prière au cours de la Messe. Nous pouvons être certains que la Mère de Dieu les a conduits directement devant le Seigneur, étant donné qu'ils étaient venus en pèlerinage pour rencontrer Jésus avec Elle.

Chers pèlerins hongrois, je connais votre dévotion traditionnelle pour la Vierge de Mariazell. J'invoque sa protection sur vous tous. Loué soit Jésus Christ.

Chers frères et soeurs venus de Slovénie, que la Vierge Marie protège toujours votre peuple et vos familles. Loué soit Jésus Christ.

De tout coeur je vous salue également, chers pèlerins croates! Que vous accompagne la puissante intercession et l'assistance de la Bienheureuse Vierge Marie, afin que vous demeuriez toujours fidèles au Christ et à son Eglise. Loués soient Jésus et Marie!

Je salue cordialement les pèlerins de la République tchèque également. Je vous confie tous à la protection maternelle de la Bienheureuse Vierge Marie. Loué soit Jésus Christ.

Je salue cordialement les pèlerins slovaques. Chers amis, que la Mater Gentium Slavorum vous aide à demeurer toujours fidèles au Christ et à l'Eglise.

Je salue les Polonais venus à Mariazell pour un pèlerinage de foi et d'union. A travers l'intercession de Marie, je demande à Dieu sa Bénédiction pour vous et pour vos familles.


MESSE, Cathédrale Saint-Etienne, Vienne, Dimanche 9 septembre 2007

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Chers frères et soeurs!

"Sine dominico non possumus!". Sans le don du Seigneur, sans le Jour du Seigneur, nous ne pouvons pas vivre: c'est ainsi que répondirent, en l'an 304, plusieurs chrétiens d'Abitène, dans l'actuelle Tunisie, lorsque, surpris au cours de la Célébration eucharistique dominicale qui était interdite, ils furent conduits devant le juge et on leur demanda pourquoi ils avaient célébré le Dimanche la fonction religieuse chrétienne, alors qu'ils savaient bien que cela était puni par la mort. "Sine dominico non possumus". Dans le mot dominicum/dominico sont liées de façon indissoluble deux significations, dont nous devons à nouveau apprendre à percevoir l'unité. Il y a tout d'abord le don du Seigneur - ce don est Lui-même: le Ressuscité, au contact et à la proximité duquel les chrétiens doivent se trouver pour être eux-mêmes. Cela n'est cependant pas seulement un contact spirituel, intérieur, subjectif: la rencontre avec le Seigneur s'inscrit dans le temps à travers un jour précis. Et, de cette façon, elle s'inscrit dans notre existence concrète, physique et communautaire, qui est temporalité. Elle donne à notre temps, et donc à notre vie dans son ensemble, un centre, un ordre intérieur. Pour ces chrétiens, la Célébration eucharistique dominicale n'était pas un précepte, mais une nécessité intérieure. Sans Celui qui soutient notre vie, la vie elle-même est vide. Abandonner ou trahir ce centre ôterait à la vie elle-même son fondement, sa dignité intérieure et sa beauté.

Cette attitude des chrétiens de l'époque a-t-elle également de l'importance pour nous, chrétiens d'aujourd'hui? Oui, elle vaut également pour nous, qui avons besoin d'une relation qui nous soutienne et donne une orientation et un contenu à notre vie. Nous aussi avons besoin du contact avec le Ressuscité, qui nous soutient jusqu'au-delà de la mort. Nous avons besoin de cette rencontre qui nous réunit, qui nous donne un espace de liberté, qui nous fait regarder au-delà de l'activisme de la vie quotidienne vers l'amour créateur de Dieu, dont nous provenons et vers lequel nous sommes en marche.

Toutefois, si nous prêtons à présent attention au passage évangélique d'aujourd'hui, au Seigneur qui nous parle dans celui-ci, nous prenons peur: "Celui qui ne quitte pas toutes ses possessions et qui n'abandonne pas aussi tous ses liens familiaux, ne peut pas être mon disciple". Nous voudrions objecter: mais que dis-tu Seigneur? Le monde n'a-t-il pas besoin de sa famille? N'a-t-il pas besoin de l'amour paternel et maternel, de l'amour entre parents et enfants, entre homme et femme? N'avons-nous pas besoin de l'amour de la vie, besoin de la joie de vivre? N'y a-t-il pas besoin de personnes qui investissent dans les biens de ce monde et qui édifient la terre qui nous a été donnée, de manière à ce que tous puissent avoir une partie de ses dons? Ne nous a-t-on pas aussi confié le devoir de nous occuper du développement de la terre et de ses biens? Si nous écoutons mieux le Seigneur et surtout si nous écoutons l'ensemble de ce qu'Il nous dit, alors nous comprenons que Jésus n'exige pas la même chose de tous. Chacun a sa tâche personnelle et le type de "sequela" préparé pour lui. Dans l'Evangile d'aujourd'hui, Jésus parle directement de ce qui n'est pas la tâche des nombreuses personnes qui s'étaient associées à lui dans le pèlerinage vers Jérusalem, mais qui est un appel particulier aux Douze. Ceux-ci doivent tout d'abord surmonter le scandale de la Croix et doivent ensuite être prêts à vraiment tout quitter et à accepter la mission apparemment absurde d'aller jusqu'aux extrémités de la terre et, avec leur peu de culture, d'annoncer à un monde plein d'une présumée érudition et d'une formation fausse ou véritable - ainsi que bien sûr d'annoncer en particulier aux pauvres et aux simples - l'Evangile de Jésus Christ. Ils doivent être prêts, sur leur chemin dans le vaste monde, à subir en première personne le martyre, pour témoigner ainsi l'Evangile du Seigneur crucifié et ressuscité. Si la parole de Jésus au cours de ce pèlerinage vers Jérusalem, où une grande foule l'accompagne, s'adresse tout d'abord aux Douze, son appel atteint naturellement, au-delà du moment historique, tous les siècles. De tous temps, Il appelle des personnes à compter exclusivement sur Lui, à tout quitter et à être totalement à sa disposition, et ainsi à la disposition des autres: à créer des oasis d'amour désintéressé dans un monde dans lequel, si souvent, ne semblent compter que le pouvoir et l'argent. Rendons grâce au Seigneur, car tout au long des siècles, il nous a donné des hommes et des femmes qui par amour pour Lui ont tout quitté, devenant des signes lumineux de son amour! Il suffit de penser à des personnes comme Benoît et Scholastique, comme François et Claire d'Assise, Elisabeth de Thuringe et Edwige de Silésie, comme Ignace de Loyola, Thérèse d'Avila, jusqu'à Mère Teresa de Calcutta et Padre Pio! Ces personnes, à travers toute leur vie, sont devenues une interprétation de la parole de Jésus, qui en eux devient proche et compréhensible pour nous. Et nous prions le Seigneur, afin qu'à notre époque également, il donne à de nombreuses personnes le courage de tout quitter, pour être ainsi à la disposition de tous.

Si, toutefois, nous nous consacrons à présent à nouveau à l'Evangile, nous pouvons nous rendre compte que le Seigneur n'y parle pas seulement de quelques-uns et de leur tâche particulière; le noyau de ce qu'il entend vaut pour tous. Ce dont il s'agit en dernière mesure est exprimé une autre fois ainsi: "Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi, celui-là la sauvera. Que sert donc à l'homme de gagner le monde entier, s'il se perd ou se ruine lui-même?" (
Lc 9,24sq). Qui veut posséder seulement sa propre vie, la prendre seulement pour soi-même, la perdra. Seul celui qui se donne reçoit sa vie. En d'autres termes: seul celui qui aime trouve la vie. Et l'amour exige toujours de sortir de soi-même, exige toujours de se quitter soi-même. Celui qui se tourne en arrière pour se chercher et veut avoir l'autre seulement pour soi, se perd précisément de cette manière lui-même et l'autre. Sans cette perte plus profonde de soi-même, il n'y a pas de vie. La soif fébrile de vie qui aujourd'hui ne laisse pas les hommes en paix finit dans le vide de la vie perdue. "Qui perdra sa vie à cause de moi...", dit le Seigneur: une manière de se quitter soi-même de manière plus radicale n'est possible que si à travers cela, en fin de compte, nous ne tombons pas dans le vide, mais dans les mains de l'Amour éternel. Seul l'amour de Dieu, qui s'est perdu lui-même pour nous en se remettant à nous, nous permet à nous aussi de devenir libres, de nous laisser aller et ainsi de trouver véritablement la vie. Cela est le coeur de ce que le Seigneur veut nous communiquer dans le texte évangélique apparemment si dur de ce Dimanche. Avec sa parole, Il nous donne la certitude que nous pouvons compter sur son amour, sur l'amour du Dieu fait homme. La sagesse dont nous a parlé la première lecture consiste à reconnaître cela. Il est vrai ici aussi que tout le savoir du monde ne nous sert à rien, si nous n'apprenons pas à vivre, si nous n'apprenons pas ce qui compte vraiment dans la vie.

"Sine dominico non possumus!". Sans le Seigneur et le jour qui Lui appartient, on ne réalise pas une vie réussie. Le dimanche, dans nos sociétés occidentales, s'est mué en "week-end", en temps libre. Le temps libre, en particulier dans la frénésie du monde moderne, est une chose belle et nécessaire; chacun de nous le sait. Mais si le temps libre n'a pas un centre intérieur, d'où provient une orientation pour l'ensemble, il finit par être un temps vide qui ne nous renforce pas et ne nous détend pas. Le temps libre a besoin d'un centre - la rencontre avec Celui qui est notre origine et notre but. Mon grand prédécesseur sur la chaire épiscopale de Munich et Freising, le Cardinal Faulhaber, l'a exprimé un jour ainsi: "Donne à l'âme son Dimanche, donne au Dimanche son âme".

Précisément parce que, le Dimanche, on traite en profondeur de la rencontre, dans la Parole et dans le Sacrement, avec le Christ ressuscité, le rayon de ce jour embrasse la réalité tout entière. Les premiers chrétiens ont célébré le premier jour de la semaine comme Jour du Seigneur, parce que c'était le jour de la résurrection. Mais très vite, l'Eglise a pris conscience également du fait que le premier jour de la semaine est le jour du matin de la création, le jour où Dieu a dit: "Que la lumière soit!" (Gn 1,3). C'est pourquoi le Dimanche est dans l'Eglise également la fête hebdomadaire de la création - la fête de la gratitude et de la joie pour la création de Dieu. A une époque où, à cause de nos interventions humaines, la création semble exposée à de nombreux dangers, nous devrions accueillir consciemment cette dimension du Dimanche également. Pour l'Eglise primitive, le premier jour a ensuite assimilé progressivement également l'héritage du septième jour, du sabbat. Nous participons au repos de Dieu, un repos qui embrasse tous les hommes. Ainsi, nous percevons ce jour-là quelque chose de la liberté et de l'égalité de toutes les créatures de Dieu.

Dans l'oraison de ce dimanche, nous rappelons tout d'abord que Dieu, à travers son fils, nous a rachetés et adoptés comme des fils bien-aimés. Ensuite, nous le prions de poser un regard bienveillant sur les croyants dans le Christ et de nous donner la vraie liberté et la vie éternelle. Nous prions pour le regard de bonté de Dieu. Nous-mêmes avons besoin de ce regard de bonté, au-delà du Dimanche, jusque dans la vie de chaque jour. En priant, nous savons que ce regard nous a déjà été donné, et nous savons même que Dieu nous a adoptés comme fils, Il nous a accueillis véritablement dans la communion avec Lui-même. Etre fils signifie - l'Eglise primitive le savait très bien - être une personne libre, pas un esclave, mais quelqu'un qui appartient personnellement à la famille. Et cela signifie être un héritier. Si nous appartenons à ce Dieu qui est le pouvoir au-dessus de tous les pouvoirs, alors nous sommes sans peur et libres, et alors nous sommes des héritiers. L'héritage qu'il nous a laissé c'est Lui-même, son Amour. Oui, le Seigneur fait que cette conscience pénètre profondément dans notre âme et que nous apprenons ainsi la joie des rachetés. Amen.



VISITE PASTORALE DANS LE DIOCÈSE SUBURBICAIRE DE VELLETRI-SEGNI (ITALIE) Dimanche 23 septembre 2007

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CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE SUR LE PARVIS DE LA CATHÉDRALE DE VELLETRI


Place San Clemente

Dimanche 23 septembre 2007

Chers frères et soeurs!


C'est avec plaisir que je reviens parmi vous pour présider cette Célébration eucharistique solennelle, répondant à votre invitation répétée. Je suis revenu avec joie pour rencontrer votre communauté diocésaine qui, pendant plusieurs années, a été de manière particulière la mienne également, et qui demeure toujours chère à mon coeur. Je vous salue tous avec affection. Je salue en premier lieu Monsieur le Cardinal Francis Arinze, qui m'a succédé comme Cardinal titulaire de ce diocèse; je salue votre pasteur, le cher Mgr Vincenzo Apicella, que je remercie de ses paroles de bienvenue par lesquelles il a voulu m'accueillir en votre nom. Je salue les autres Evêques, les prêtres, les religieux et les religieuses, les agents de la pastorale, les jeunes et tous ceux qui sont activement engagés dans les paroisses, dans les mouvements, dans les associations et dans les diverses activités diocésaines. Je salue le "Commissaire préfectoral" de Velletri, les maires des communes du diocèse de Velletri-Segni et les autres Autorités civiles et militaires, qui nous honorent de leur présence. Je salue tous ceux qui sont venus d'autres lieux, en particulier d'Allemagne, de Bavière, pour s'unir à nous en ce jour de fête. Des liens d'amitié unissent ma terre natale à la vôtre: en témoigne la colonne de bronze qui m'a été offerte à Marktl am Inn en septembre de l'année dernière, à l'occasion du Voyage apostolique en Allemagne. Récemment, m'a été offerte, comme je l'ai déjà dit, par cent communes de Bavière, presque une jumelle de cette colonne qui sera placée ici à Velletri, comme signe supplémentaire de mon affection et de ma bienveillance. Elle sera le signe de ma présence spirituelle parmi vous. A cet égard, je souhaite remercier les donateurs, le sculpteur et les maires que je vois ici présents avec de nombreux amis. Merci à vous tous!

Chers frères et soeurs, je sais que vous vous êtes préparés à ma visite d'aujourd'hui à travers un intense chemin spirituel, en adoptant comme devise un verset très significatif de la Première Lettre de Jean: "Nous avons reconnu l'amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru" (
1Jn 4,16). Deus caritas est, Dieu est amour: c'est par ces mots que commence ma première Encyclique, qui touche au coeur de notre foi: l'image chrétienne de Dieu et l'image de l'homme et de son chemin qui en découle. Je me réjouis que vous ayez choisi comme orientation de l'itinéraire spirituel et pastoral du diocèse précisément cette expression: "Nous avons reconnu l'amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru". Nous avons cru à l'amour: telle est l'essence du christianisme. Notre assemblée liturgique d'aujourd'hui ne peut donc pas manquer de se focaliser sur cette vérité essentielle, sur l'amour de Dieu, capable d'imprimer à l'existence humaine une orientation et une valeur absolument neuves. L'amour est l'essence du christianisme, qui fait du croyant et de la communauté chrétienne un ferment d'espérance et de paix dans tous les milieux, attentifs en particulier aux nécessités des pauvres et des personnes dans le besoin. Et telle est notre mission commune: être un ferment d'espérance et de paix parce que nous croyons en l'amour. L'amour fait vivre l'Eglise, et puisque celui-ci est éternel, il la fait vivre toujours jusqu'à la fin des temps.

Lors des dimanches précédents, saint Luc, l'évangéliste qui, plus que les autres, se préoccupe de montrer l'amour que Jésus a pour les pauvres, nous a offert différents éléments de réflexion sur les dangers d'un attachement excessif à l'argent, aux biens matériels et à tout ce qui nous empêche de vivre en plénitude notre vocation à aimer Dieu et nos frères. C'est aussi le cas aujourd'hui, à travers une parabole qui suscite en nous un certain étonnement, parce que l'on parle d'un intendant malhonnête dont il est fait la louange (cf. Lc 16,1-13); à bien y regarder le Seigneur nous réserve un enseignement sérieux et plus que jamais salutaire. Comme toujours, le Seigneur part d'un fait divers quotidien: il raconte l'histoire d'un intendant qui est sur le point d'être licencié à cause de la gestion malhonnête des affaires de son patron et, pour s'assurer un avenir, il tente avec ruse de se mettre d'accord avec les débiteurs. Il est assurément malhonnête, mais malin: l'Evangile ne nous le présente pas comme un modèle à suivre dans la malhonnêteté, mais comme un exemple à imiter pour sa capacité à agir de manière avisée. La brève parabole se conclut en effet par ces mots: "Le patron loua cet intendant malhonnête d'avoir agi de façon avisée" (Lc 16,8).

Mais que veut nous dire Jésus avec cette parabole? Avec cette conclusion surprenante? Après la parabole de l'intendant infidèle, l'évangéliste présente une brève série de dictons et d'avertissements sur la relation que nous devons avoir avec l'argent et les biens de cette terre. Ce sont de petites phrases qui invitent à un choix qui présuppose une décision radicale, une constante tension intérieure. La vie est en vérité toujours un choix: entre honnêteté et malhonnêteté, entre fidélité et infidélité, entre égoïsme et altruisme, entre bien et mal. La conclusion du passage évangélique est incisive et péremptoire: "Nul serviteur ne peut servir deux maîtres: ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre". En définitive, dit Jésus, il faut se décider: "Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon" (Lc 16,13). Mammon est un terme d'origine phénicienne qui évoque la sécurité économique et le succès dans les affaires; nous pourrions dire que dans la richesse est indiquée l'idole à laquelle on sacrifie toute chose pour atteindre sa propre réussite matérielle et ainsi cette réussite économique devient le vrai dieu d'une personne. Une décision fondamentale est donc nécessaire entre Dieu et Mammon, il faut choisir entre la logique du profit comme ultime critère de notre action et la logique du partage et de la solidarité. La logique du profit, si elle prévaut, augmente les inégalités entre les pauvres et les riches, ainsi qu'une exploitation ruineuse de la planète. Lorsqu'en revanche prévaut la logique du partage et de la solidarité, il est possible de corriger la route et de l'orienter vers un développement équitable, pour le bien commun de tous. Au fond, il s'agit de la décision entre l'égoïsme et l'amour, entre la justice et la malhonnêteté, en définitive entre Dieu et Satan. Si aimer le Christ et nos frères ne doit pas être considéré comme quelque chose d'accessoire et de superficiel, mais plutôt comme le vrai et ultime but de toute notre existence, il faut savoir opérer des choix fondamentaux, être disponibles à des renoncements radicaux, si nécessaire jusqu'au martyr. Aujourd'hui comme hier, la vie du chrétien exige le courage d'aller à contre-courant, d'aimer comme Jésus, qui est allé jusqu'au sacrifice sur la croix.

Nous pourrions dire alors, en paraphrasant une observation de saint Augustin, que grâce aux richesses terrestres, nous devons nous procurer celles qui sont véritables et éternelles: si l'on trouve en effet des gens prêts à tout type de malhonnêtetés à condition de s'assurer un bien-être matériel toujours aléatoire, nous chrétiens devrions d'autant plus nous soucier de nous occuper de notre bonheur éternel avec les biens de cette terre (cf. Discours 359, 10). Or l'unique manière de faire fructifier pour l'éternité nos dons et nos capacités personnelles tout comme les richesses que nous possédons est de les partager avec nos frères, en nous montrant de cette manière de bons intendants de ce que Dieu nous confie. Jésus dit: "Qui est fidèle en très peu de choses est fidèle aussi en beaucoup, et qui est malhonnête en très peu est malhonnête aussi en beaucoup" (Lc 16,10-11).

Le prophète Amos nous parle aujourd'hui dans la première lecture de ce même choix fondamental, à accomplir jour après jour. Avec des paroles fortes, il stigmatise un style de vie typique de celui qui se laisse absorber par une recherche égoïste du profit de toutes les manières possibles et qui se traduit en une soif de gain, en un mépris pour les pauvres et en une exploitation de leur situation à leur avantage (cf. Am 4,5). Le chrétien doit repousser énergiquement tout cela, en ouvrant au contraire son coeur à des sentiments d'authentique générosité. Une générosité qui, comme y exhorte l'apôtre Paul dans la deuxième Lecture, s'exprime en un amour sincère pour tous et se manifeste dans la prière. En réalité, prier pour les autres est un grand geste de charité. L'Apôtre invite en premier lieu à prier pour ceux qui ont des responsabilités dans la communauté civile, parce que - explique-t-il - de leurs décisions, si elles visent à réaliser le bien, découlent des conséquences positives, en assurant la paix et "une vie calme et paisible en toute piété et dignité" (1Tm 2,2). Que ne manque donc jamais notre prière, contribution spirituelle à l'édification d'une communauté ecclésiale fidèle au Christ et à la construction d'une société plus juste et solidaire.

Chers frères et soeurs, prions, en particulier, pour que votre communauté diocésaine, qui est en train de connaître une série de transformations, dues à l'installation de nombreuses jeunes familles provenant de Rome, au développement du "secteur tertiaire" et à l'installation dans les centres historiques de nombreux immigrés, conduise une action pastorale toujours plus organique et partagée, en suivant les indications que votre Evêque offre avec une grande sensibilité pastorale. A cet égard, sa Lettre pastorale de décembre dernier s'est révélée plus que jamais opportune, en invitant à se mettre à l'écoute attentive et persévérante de la Parole de Dieu, des enseignements du Concile Vatican II et du Magistère de l'Eglise. Nous déposons entre les mains de la Vierge des Grâces, dont l'image est conservée et vénérée dans votre belle cathédrale, chacune de vos intentions et chacun de vos projets pastoraux. Que la protection maternelle de Marie accompagne votre chemin, tout comme celui de ceux qui n'ont pas pu participer à notre célébration eucharistique d'aujourd'hui. En particulier, que la Sainte Vierge veille sur les malades, sur les personnes âgées, sur les enfants, sur tous ceux qui se sentent seuls et abandonnés ou se trouvent dans des difficultés particulières. Que Marie nous libère de la cupidité des richesses, et fasse en sorte que se lèvent au ciel des mains libres et pures; rendons gloire à Dieu par toute notre vie (cf. Collecte). Amen!




Benoît XVI Homélies 20907