Benoît XVI Homélies 20318

MESSE IN CENA DOMINI

20318

Basilique Saint-Jean-de-Latran

Jeudi Saint, 20 mars 2008

Chers frères et soeurs,


Saint Jean débute son récit sur la manière dont Jésus lava les pieds de ses disciples avec un langage particulièrement solennel, presque liturgique. "Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin" (
Jn 13,1). L'"heure" de Jésus est arrivée, vers laquelle toute son oeuvre était dirigée depuis le début. Jean décrit ce qui constitue le contenu de cette heure, avec deux mots: passage (metabainein, metabasis) et agape - amour. Ces deux mots s'expliquent l'un l'autre; tous deux décrivent la Pâque de Jésus: la croix et la résurrection, la crucifixion entendue comme élévation, comme "passage" vers la gloire de Dieu, comme "passage" du monde vers le Père. Ce n'est pas comme si Jésus, après une brève visite dans le monde, repartait désormais et retournait au Père. Ce passage est une transformation. Il emporte avec lui sa chair et l'homme qu'il est. Sur la Croix, dans le don de soi-même, il se fond et se transforme en un nouveau mode d'être, dans lequel il est maintenant toujours avec le Père et en même temps avec les hommes. Il transforme la Croix, l'acte de la mise à mort, en un acte de don, d'amour jusqu'au bout. Avec cette expression "jusqu'à la fin" Jean renvoie par anticipation à la dernière parole du Christ sur la Croix: tout est porté à son terme, "c'est achevé" (Jn 19,30). Par son amour la Croix devient metabasis transformation de l'être homme en être participant à la gloire de Dieu. Par cette transformation il nous implique tous, en nous entraînant dans la force transformatrice de son amour au point que, dans notre être avec Lui, notre vie devient "passage", transformation. Nous recevons ainsi la rédemption - nous prenons part à l'amour éternel, une condition à laquelle nous tendons tout au long de notre existence.

Ce processus essentiel de l'heure de Jésus est représenté par le lavement des pieds dans une sorte d'acte symbolique prophétique. En celui-ci, Jésus met en évidence à travers un geste concret ce que justement le grand hymne christologique de l'Epître aux Philippiens décrit comme le contenu du mystère du Christ. Jésus dépose les vêtements de sa gloire, endosse l'"étoffe" de l'humanité et se fait esclave. Il lave les pieds sales des disciples et les rend ainsi capables de partager le banquet divin auquel Il les invite. Aux purifications cultuelles et externes, qui purifient l'homme rituellement, tout en le laissant inchangé, succède le bain nouveau: Il nous rend purs par sa parole et son amour, par le don de soi. "Déjà vous êtes purs grâce à la parole que je vous ai fait entendre", dira-t-il aux disciples dans son discours sur la vigne (Jn 15,3). Toujours et encore, Il nous lave par sa parole. Oui, si nous accueillons les paroles de Jésus dans une attitude de méditation, de prière et de foi, elles développent en nous la force purificatrice. Jour après jour, nous sommes comme recouverts de salissures diverses, de paroles vides, de préjugés, d'une sagesse réduite et altérée; une multitude de fausses vérités ou de mensonges s'infiltrent sans cesse dans notre être intérieur. Tout cela blesse et contamine notre âme, tout cela menace de nous rendre incapables de voir la vérité et le bien. Si nous accueillons les paroles de Jésus avec un coeur attentif, elles se révèlent de véritables bains, des purifications de l'âme, de l'homme intérieur. C'est à cela que nous invite l'Evangile du lavement des pieds: toujours nous laisser laver par cette eau pure, nous laisser nous rendre capables de la communion conviviale avec Dieu et nos frères. Cependant, il n'y a pas que de l'eau qui s'écoule du flanc de Jésus après le coup de lance du soldat, mais aussi du sang (Jn 19,34 cf. 1Jn 5,6 1Jn 5,8). Jésus n'a pas seulement parlé, il ne nous a pas laissé que des mots. Il s'est offert. Il nous lave par la puissance sacrée de son sang autrement dit par le don de soi "jusqu'à la fin", jusqu'à la Croix. Sa parole est plus qu'une simple déclaration; elle est la chair et le sang pour "la vie du monde" (Jn 6,51). Dans les Saints Sacrements, le Seigneur s'agenouille toujours à nouveau à nos pieds et nous purifie. Prions-le afin que par le bain sacré de son amour nous soyons toujours plus profondément pénétrés et ainsi véritablement purifiés!

Si nous écoutons attentivement l'Evangile, nous relevons deux aspects différents dans l'événement du lavement des pieds. En lavant les pieds de ses disciples, Jésus accomplit avant tout un acte simple - le don de la pureté, de la "capacité pour Dieu" qui leur est offert. Mais ce don devient ensuite un modèle, le devoir de refaire ce geste les uns pour les autres. Les Pères ont qualifié ce double aspect du lavement des pieds de Sacramentum et exemplum. Sacramentum ne signifie pas dans ce contexte l'un des sept sacrements mais le mystère du Christ dans son ensemble, de l'incarnation jusqu'à la croix et la résurrection: cet ensemble devient la force qui soigne et sanctifie, la force de transformation pour les hommes, il devient notre metabasis, notre transformation en une nouvelle forme d'être, dans notre ouverture à Dieu et dans notre communion avec Lui. Mais cet être nouveau qu'il nous donne simplement, sans que nous le méritions, doit ensuite se transformer en nous dans la dynamique d'une vie nouvelle. L'ensemble du don et de l'exemple que nous trouvons dans le texte du lavement des pieds est caractéristique de la nature du christianisme en général. Le christianisme n'est pas une sorte de moralisme, un simple système éthique. Ni notre action ni notre capacité morale n'en sont à l'origine. Le christianisme est avant tout un don: Dieu se donne à nous - il ne donne pas quelque chose, mais Il se donne lui-même. Et cela n'arrive pas seulement au début, au moment de notre conversion. Il reste en permanence celui qui donne. Il nous offre en permanence ses dons. Il nous précède en permanence. De ce fait l'acte central de l'être chrétien est l'Eucharistie: la gratitude d'avoir été gratifié, la joie pour la vie nouvelle qu'Il nous donne.

Toutefois nous ne restons pas des destinataires passifs de la bonté divine. Dieu nous gratifie comme partenaires personnels et vivants. L'amour donné est la dynamique de l'"amour partagé"; il veut être en nous une vie nouvelle à partir de Dieu. Ainsi, nous comprenons la parole, que Jésus dit à ses disciples et à nous tous, au terme du récit du lavement des pieds: "Je vous donne un commandement nouveau: vous aimer les uns les autres; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres" (Jn 13,34). Le "commandement nouveau" ne consiste pas en une nouvelle et difficile norme qui n'existait pas jusqu'alors. La nouveauté, c'est le don qui nous introduit dans l'esprit du Christ. Si nous considérons cela, nous percevons alors combien nos vies sont souvent éloignées de cette nouveauté du Nouveau Testament; combien on ne donne que trop peu en exemple à l'humanité notre amour en communion avec son amour. Nous restons donc débiteurs à son égard de la preuve de crédibilité de la vérité chrétienne qui se démontre dans l'amour. C'est précisément pour cela que nous devons toujours prier davantage le Seigneur afin qu'il nous rende, par sa purification, mûrs pour le nouveau commandement.

Dans l'Evangile du lavement des pieds la conversation entre Jésus et Pierre nous offre encore un autre détail de la pratique de la vie chrétienne, auquel nous voulons enfin accorder notre attention. Dans un premier temps, Pierre ne voulait pas se laisser laver les pieds par le Seigneur: ce renversement de situation, autrement dit que le maître - Jésus - lave les pieds, que le maître s'abaisse au travail de l'esclave, s'opposait totalement au respect révérencieux de Pierre envers Jésus, avec sa conception du rapport entre le maître et le disciple. "Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais!" dit-il à Jésus avec toute la passion dont il était capable (Jn 13,8). Sa conception du Messie comportait une image de majesté, de grandeur divine. Il devait apprendre toujours à nouveau que la grandeur de Dieu est différente de notre idée de grandeur; qu'elle consiste précisément en une descente, dans l'humilité du service, dans l'amour radical jusqu'au dénuement total. Nous aussi nous devons l'apprendre encore et toujours parce que systématiquement nous désirons un Dieu de succès et non de passion, parce que nous ne sommes pas en mesure de nous rendre compte que le pasteur est venu comme un Agneau qui se donne pour nous conduire vers le juste pâturage.

Lorsque le Seigneur dit à Pierre que, sans le lavement des pieds, il n'aurait plus pu le suivre, Pierre demanda spontanément que lui furent aussi lavées la tête et les mains. Suit alors la parole mystérieuse de Jésus: "Qui s'est baigné, n'a pas besoin de se laver, sinon les pieds" (Jn 13,10). Jésus fait allusion au bain que ses disciples, selon les prescriptions rituelles avaient déjà pris; et pour participer au repas il suffisait seulement de se laver les pieds. Il faut voir naturellement ici une signification plus profonde. A quoi fait-on allusion? Nous ne le savons pas avec certitude. Dans tous les cas, n'oublions pas que le lavement des pieds, selon le sens de tout le chapitre, n'indique pas un simple sacrement spécifique, mais le sacramentum Christi dans son ensemble - son service de salut, sa descente jusqu'à la croix, son amour jusqu'à la fin qui nous purifie et nous rend capables de Dieu. Par la distinction introduite ici entre le bain et le lavement des pieds, on perçoit toutefois une allusion à la vie dans la communauté des disciples, à la vie de l'Eglise. Il apparaît clairement que le bain qui nous purifie définitivement et qui ne doit pas être répété est le Baptême - l'immersion dans la mort et la résurrection du Christ, un évènement qui change notre vie profondément en nous donnant comme une nouvelle identité qui demeure, si nous ne la jetons pas comme le fit Judas. Cependant même avec cette nouvelle identité permanente donnée par le Baptême, nous avons besoin du "lavement des pieds" pour la communion conviviale avec Jésus. De quoi s'agit-il? Il me semble que la première lettre de saint Jean nous donne la clef de lecture. On y lit: "Si nous disons: "Nous n'avons pas de péché", nous nous abusons, la vérité n'est pas en nous. Si nous reconnaissons, si nous confessons nos péchés, lui, fidèle et juste, pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité" (1Jn 1,8sq.). Nous avons besoin de ce "lavement des pieds", de ce lavement des péchés quotidiens et pour cela nous avons besoin de la confession des péchés dont parle saint Jean dans cette Lettre. Nous devons reconnaître que dans notre nouvelle identité de baptisés nous péchons également. Nous avons besoin de la confession sous la forme du Sacrement de la réconciliation. Par celui-ci le Seigneur lave toujours à nouveau nos pieds sales afin que nous puissions nous asseoir à table avec Lui.

La parole revêt ainsi une nouvelle signification par laquelle le Seigneur élargit le sacramentum en en faisant l'exemplum, un don, un service envers nos frères: "Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres" (Jn 13,14). Nous devons nous laver les pieds les uns les autres dans le service quotidien et réciproque de l'amour. Nous devons nous laver les pieds dans le sens où nous devons aussi nous pardonner les uns les autres. La dette que le Seigneur nous a remise est toujours infiniment plus grande que toutes les dettes que les autres peuvent avoir envers nous (cf. Mt 18,21-35). C'est à cela que nous exhorte le Jeudi Saint: ne pas laisser la rancoeur envers l'autre empoisonner notre âme. Il nous exhorte à purifier continuellement notre mémoire, en nous pardonnant réciproquement du fond du coeur, en nous lavant les pieds les uns les autres, afin de pouvoir nous rendre ensemble au banquet du Seigneur.

Le Jeudi Saint est un jour de gratitude et de joie pour le grand don de l'amour jusqu'à la fin que nous a fait le Seigneur. En cette heure prions le Seigneur afin que cette joie et cette gratitude deviennent en nous la force d'aimer ensemble avec son amour. Amen.


VEILLÉE PASCALE - 22 mars 2008

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Basilique Vaticane

Samedi Saint, 22 mars 2008

Chers frères et soeurs,


Dans son discours d’adieu, Jésus a annoncé à ses disciples, par une phrase mystérieuse, sa mort imminente et sa résurrection. Il dit : « Je m’en vais, et je reviens vers vous » (
Jn 14,28). Mourir c’est s’en aller. Même si le corps du défunt demeure encore –personnellement, il s’en est allé vers l’inconnu et nous ne pouvons pas le suivre (cf. Jn 13,36). Mais dans le cas de Jésus, il y a une nouveauté unique, qui change le monde. Dans notre mort, s’en aller, c’est quelque chose de définitif, il n’y a pas de retour. Jésus, au contraire, dit de sa mort : « Je m’en vais, et je reviens vers vous ». En réalité, dans ce départ, il vient. Son départ inaugure pour lui un mode de présence totalement nouveau et plus grand. Par sa mort il entre dans l’amour du Père. Sa mort est un acte d’amour. Mais l’amour est immortel. C’est pourquoi son départ se transforme en un nouveau retour, en une forme de présence qui parvient plus en profondeur et qui ne finit plus. Dans sa vie terrestre, Jésus, comme nous tous, était lié aux conditions extérieures de l’existence corporelle : à un lieu déterminé et à un temps donné. La corporéité met des limites à notre existence. Nous ne pouvons pas être en même temps en deux lieux différents. Notre temps est destiné à finir. Et entre le je et le tu il y a le mur de l’altérité. Bien sûr, dans l’amour nous pouvons d’une certaine façon entrer dans l’existence d’autrui. Cependant, la barrière qui vient du fait que nous sommes différents demeure infranchissable. Au contraire, Jésus, qui est maintenant totalement transformé par l’action de l’amour, est libéré de ces barrières et de ces limites. Il est en mesure de passer non seulement à travers les portes extérieures fermées, comme nous le racontent les Évangiles (cf. Jn 20,19). Il peut passer à travers la porte intérieure entre le je et le tu, la porte fermée entre l’hier et l’aujourd’hui, entre le passé et l’avenir. Quand, le jour de son entrée solennelle à Jérusalem, un groupe de Grecs avait demandé à le voir, Jésus avait répondu par la parabole du grain de blé qui, pour porter beaucoup de fruit, doit passer par la mort. De cette manière, il avait prédit son propre destin : il ne voulait pas alors simplement parler avec tel ou tel Grec pour quelques minutes. Par sa Croix, à travers son départ, à travers sa mort comme le grain de blé, il serait vraiment arrivé auprès des Grecs, si bien que ces derniers pourraient le voir et le toucher dans la foi. Son départ devient un retour dans le mode universel de la présence du Ressuscité, dans lequel il est présent hier, aujourd’hui et pour l’éternité ; dans lequel il embrasse tous les temps et tous les lieux. Maintenant il peut aussi franchir le mur de l’altérité qui sépare le je du tu. Cela est arrivé avec Paul, qui décrit le processus de sa conversion et de son baptême par ces paroles : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20). Par la venue du Ressuscité, Paul a obtenu une identité nouvelle. Son moi fermé s’est ouvert. Désormais il vit en communion avec Jésus Christ, dans le grand moi des croyants qui sont devenus – comme il le définit – « un dans le Christ » (Ga 3,28).

Chers amis, il apparaît donc évident que – par le Baptême – les paroles mystérieuses de Jésus au Cénacle se font maintenant de nouveau présentes pour vous. Dans le Baptême, le Seigneur entre dans votre vie par la porte de votre coeur. Nous ne sommes plus l’un à côté de l’autre ou l’un contre l’autre. Le Seigneur traverse toutes ces portes. Telle est la réalité du Baptême : lui, le Ressuscité, vient, il vient à vous et il associe sa vie à la vôtre, vous tenant dans le feu ouvert de son amour. Vous devenez une unité, oui, un avec Lui, et de ce fait un entre vous. Dans un premier temps, cela peut sembler très théorique et peu réaliste. Mais plus vous vivrez la vie de baptisés, plus vous pourrez faire l’expérience de la vérité de ces paroles. Les personnes baptisées et croyantes ne sont jamais vraiment étrangères l’une à l’autre. Des continents, des cultures, des structures sociales ou encore des distances historiques peuvent nous séparer. Mais quand nous nous rencontrons, nous nous connaissons selon le même Seigneur, la même foi, la même espérance, le même amour, qui nous forment. Nous faisons alors l’expérience que le fondement de nos vies est le même. Nous faisons l’expérience que, au plus profond de nous-mêmes, nous sommes ancrés dans la même identité, à partir de laquelle toutes les différences extérieures, aussi grandes qu’elles puissent encore être, se révèlent secondaires. Les croyants ne sont jamais totalement étrangers l’un à l’autre. Nous sommes en communion en raison de notre identité la plus profonde : le Christ en nous. Ainsi la foi est une force de paix et de réconciliation dans le monde : l’éloignement est dépassé ; dans le Seigneur nous sommes devenus proches (cf. Ep 2,13).

Cette nature profonde du Baptême comme don d’une nouvelle identité est représentée par l’Église dans le sacrement au moyen d’éléments sensibles. L’élément fondamental du Baptême est l’eau ; à côté d’elle, il y a en deuxième lieu la lumière qui, dans la liturgie de la Veillée pascale, jaillit avec une grande efficacité. Jetons seulement un regard sur ces deux éléments. Dans le dernier chapitre de la Lettre aux Hébreux se trouve une affirmation sur le Christ, dans laquelle l’eau n’apparaît pas directement, mais qui, en raison de son lien avec l’Ancien Testament, laisse cependant transparaître le mystère de l’eau et sa signification symbolique. On y lit : « Le Dieu de la paix a fait remonter d’entre les morts le berger des brebis, Pasteur par excellence, grâce au sang de l’Alliance éternelle » (cf. He 13,20). Dans cette phrase, est évoquée une parole du Livre d’Isaïe, dans laquelle Moïse est qualifié comme le pasteur que le Seigneur a fait sortir de l’eau, de la mer (cf. Is 63,11). Jésus apparaît comme le nouveau Pasteur, le pasteur définitif qui porte à son accomplissement ce que Moïse avait fait : il nous conduit hors des eaux mortifères de la mer, hors des eaux de la mort. Dans ce contexte, nous pouvons nous souvenir que Moïse avait été mis par sa mère dans une corbeille et déposé dans le Nil. Ensuite, par la providence de Dieu, il avait été tiré de l’eau, porté de la mort à la vie, et ainsi – sauvé lui-même des eaux de la mort – il pouvait conduire les autres en les faisant passer à travers la mer de la mort. Pour nous Jésus est descendu dans les eaux obscures de la mort. Mais en vertu de son sang, nous dit la Lettre aux Hébreux, il a été remonté de la mort : son amour s’est uni à celui du Père et ainsi, de la profondeur de la mort, il a pu remonter à la vie. Maintenant il nous élève de la mort à la vraie vie. Oui, c’est ce qui se réalise dans le Baptême : il nous remonte vers lui, il nous attire dans la vraie vie. Il nous conduit à travers la mer souvent si obscure de l’histoire, où nous sommes fréquemment menacés de sombrer, au milieu des confusions et des dangers. Dans le Baptême, il nous prend comme par la main, il nous conduit sur le chemin qui passe à travers la Mer Rouge de ce temps et il nous introduit dans la vie sans fin, celle qui est vraie et juste. Tenons serrée sa main ! Quoiqu’il arrive ou quel que soit ce que nous rencontrons, n’abandonnons pas sa main ! Nous marchons alors sur le chemin qui conduit à la vie.

En second lieu, il y a le symbole de la lumière et du feu. Grégoire de Tours parle d’un usage qui, ici et là, s’est conservé longtemps, de prendre le feu nouveau pour la célébration de la Veillée pascale directement du soleil, au moyen d’un cristal : on recevait, à nouveau pour ainsi dire, lumière et feu du ciel, pour en allumer ensuite toutes les lumières et les feux de l’année. C’est un symbole de ce que nous célébrons dans la Veillée pascale. Par son amour, qui a un caractère radical et dans lequel le coeur de Dieu et le coeur de l’homme se sont touchés, Jésus Christ a vraiment pris la lumière du ciel et l’a apportée sur la terre – la lumière de la vérité et le feu de l’amour qui transforment l’être de l’homme. Il a apporté la lumière, et maintenant nous savons qui est Dieu et comment est Dieu. De ce fait, nous savons aussi comment sont les choses qui concernent l’homme ; ce que nous sommes, nous, et dans quel but nous existons. Etre baptisés signifie que le feu de cette lumière est descendu jusqu’au plus intime de nous-mêmes. C’est pourquoi, dans l’Église ancienne, le Baptême était appelé aussi le Sacrement de l’illumination : la lumière de Dieu entre en nous ; nous devenons ainsi nous-mêmes fils de la lumière. Cette lumière de la vérité qui nous indique le chemin, nous ne voulons pas la laisser s’éteindre. Nous voulons la protéger contre toutes les puissances qui veulent l’éteindre pour faire en sorte que nous soyons dans l’obscurité sur Dieu et sur nous-mêmes. De temps en temps, l’obscurité peut sembler commode. Je peux me cacher et passer ma vie à dormir. Cependant, nous ne sommes pas appelés aux ténèbres mais à la lumière. Dans les promesses baptismales, nous allumons, pour ainsi dire, de nouveau cette lumière, année après année : oui, je crois que le monde et ma vie ne proviennent pas du hasard, mais de la Raison éternelle et de l’Amour éternel, et qu’ils sont créés par le Dieu tout-puissant. Oui, je crois qu’en Jésus Christ, par son incarnation, par sa croix et sa résurrection, s’est manifesté le Visage de Dieu ; et qu’en Lui Dieu est présent au milieu de nous, qu’il nous unit et nous conduit vers notre but, vers l’Amour éternel. Oui, je crois que l’Esprit Saint nous donne la Parole de vérité et illumine notre coeur ; je crois que dans la communion de l’Église nous devenons tous un seul Corps avec le Seigneur et ainsi nous allons à la rencontre de la résurrection et de la vie éternelle. Le Seigneur nous a donné la lumière de la vérité. Cette lumière est en même temps feu, force qui vient de Dieu, force qui ne détruit pas, mais qui veut transformer nos coeurs, afin que nous devenions vraiment des hommes de Dieu et que sa paix devienne efficace en ce monde.

Dans l’Église ancienne, il était habituel que l’Évêque ou le prêtre après l’homélie exhorte les croyants en s’exclamant : « Conversi ad Dominum » – tournez-vous maintenant vers le Seigneur. Cela signifiait avant tout qu’ils se tournaient vers l’Est – dans la direction du lever du soleil comme signe du Christ qui revient, à la rencontre duquel nous allons dans la célébration de l’Eucharistie. Là où, pour une raison quelconque, cela n’était pas possible, en tout cas, ils se tournaient vers l’image du Christ, dans l’abside ou vers la Croix, pour s’orienter intérieurement vers le Seigneur. Car, en définitive, il s’agissait d’un fait intérieur : de la conversio, de tourner notre âme vers Jésus Christ et ainsi vers le Dieu vivant, vers la vraie lumière. Était aussi lié à cela l’autre exclamation qui, aujourd’hui encore, avant le Canon, est adressée à la communauté croyante : «Sursum corda » – élevons nos coeurs hors de tous les enchevêtrements de nos préoccupations, de nos désirs, de nos angoisses, de notre distraction – élevez vos coeurs, le plus profond de vous-même ! Dans les deux exclamations, nous sommes en quelque sorte exhortés à un renouvellement de notre Baptême : Conversi ad Dominum – nous devons toujours de nouveau nous détourner des mauvaises directions dans lesquelles nous nous mouvons si souvent en pensée et en action. Nous devons toujours de nouveau nous tourner vers Lui, qui est le Chemin, la Vérité et la Vie. Nous devons toujours de nouveau devenir des « convertis », tournés avec toute notre vie vers le Seigneur. Et nous devons toujours de nouveau faire en sorte que notre coeur soit soustrait à la force de gravité qui le tire vers le bas, et que nous l’élevions intérieurement vers le haut : dans la vérité et l’amour. En cette heure, remercions le Seigneur, parce qu’en vertu de la force de sa parole et de ses Sacrements, il nous oriente dans la juste direction et attire notre coeur vers le haut. Et nous le prions ainsi : Oui, Seigneur, fait que nous devenions des personnes pascales, des hommes et des femmes de la lumière, remplis du feu de ton amour. Amen.


CHAPELLE PAPALE POUR LE III ANNIVERSAIRE DE LA MORT DU SERVITEUR DE DIEU JEAN-PAUL II - mercredi 2 avril 2008

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Place Saint-Pierre

Mercredi 2 avril 2008




Chers frères et soeurs!

La date du 2 avril est restée gravée dans la mémoire de l'Eglise comme le jour du départ de ce monde du serviteur de Dieu le Pape Jean-Paul II. Nous revivons avec émotion les heures de ce samedi soir, lorsque la nouvelle de sa mort fut accueillie par une grande foule en prière qui remplissait la Place Saint-Pierre. Pendant plusieurs jours la Basilique vaticane et cette Place ont véritablement été le coeur du monde. Un fleuve ininterrompu de pèlerins rendit hommage à la dépouille mortelle du vénérable Pape et ses funérailles marquèrent un témoignage supplémentaire de l'estime et de l'affection qu'il avait conquises dans l'âme de très nombreux croyants et de personnes de tous les lieux de la terre. Comme il y a trois ans, aujourd'hui aussi peu de temps s'est écoulé depuis Pâques. Le coeur de l'Eglise est encore profondément plongé dans le mystère de la Résurrection du Seigneur. En vérité, nous pouvons lire toute la vie de mon bien-aimé Prédécesseur, en particulier son ministère pétrinien, dans le signe du Christ Ressuscité. Il nourrissait une foi extraordinaire en Lui, et il entretenait avec Lui une conversation profonde, singulière et ininterrompue. Parmi ses nombreuses qualités humaines et surnaturelles, il possédait en effet celle d'une exceptionnelle sensibilité spirituelle et mystique. Il suffisait de l'observer lorsqu'il priait: il se plongeait littéralement en Dieu et il semblait que tout le reste lui était étranger en ces moments. Les célébrations liturgiques le voyaient attentif au mystère-en-acte, avec une profonde capacité de saisir l'éloquence de la Parole de Dieu dans le devenir de l'histoire, au niveau profond du dessein de Dieu. La Messe, comme il l'a souvent répété, était pour lui le centre de chaque journée et de l'existence tout entière. La réalité "vivante et sainte" de l'Eucharistie lui donnait l'énergie spirituelle pour guider le Peuple de Dieu sur le chemin de l'histoire.

Jean-Paul II s'est éteint à la veille du deuxième Dimanche de Pâques; au terme du "jour que le Seigneur a fait". Son agonie s'est déroulée pendant tout ce "jour", dans cet espace-temps nouveau qui est le "huitième jour", voulu par la Très Sainte Trinité à travers l'oeuvre du Verbe incarné, mort et ressuscité. Le Pape Jean-Paul II a donné plusieurs fois la preuve, au cours de sa vie, de se trouver déjà plongé d'une certaine manière dans cette dimension spirituelle, en particulier dans l'accomplissement de sa mission de Souverain Pontife. Son pontificat, dans son ensemble et dans de nombreux moments spécifiques, nous apparaît en effet comme un signe et un témoignage de la Résurrection du Christ. Le dynamisme pascal, qui a fait de l'existence de Jean-Paul II une réponse totale à l'appel du Seigneur, ne pouvait pas s'exprimer sans une participation aux souffrances et à la mort du divin Maître et Rédempteur. "Voici une parole sûre - affirme l'apôtre Paul -: Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous supportons l'épreuve, avec lui nous régnerons" (
2Tm 2,11-12). Dès son enfance Karol Wojtyla avait fait l'expérience de la vérité de ces mots, en rencontrant la croix sur son chemin, dans sa famille et au sein de son peuple. Il décida très vite de la porter avec Jésus, en suivant ses traces. Il voulut être son fidèle serviteur jusqu'à accueillir l'appel au sacerdoce comme le don et l'engagement de toute sa vie. Il vécut avec Lui et il voulut également mourir avec Lui. Et tout cela à travers la singulière médiation de la Très Sainte Vierge Marie, Mère de l'Eglise, Mère du Rédempteur intimement et effectivement associée à son mystère salvifique de mort et de résurrection.

Les lectures bibliques évocatrices qui viennent d'être proclamées nous guident dans cette réflexion: "Soyez sans crainte!" (Mt 28,5). Les paroles de l'ange de la résurrection, adressées aux femmes près du tombeau vide, que nous venons d'entendre, sont devenues une sorte de devise sur les lèvres du Pape Jean-Paul II, dès le début solennel de son ministère pétrinien. Il les a répétées plusieurs fois à l'Eglise et à l'humanité en marche vers l'an 2000, et ensuite à travers ce seuil historique et encore au-delà, à l'aube du troisième millénaire. Il les a toujours prononcées avec une inflexible fermeté, tout d'abord en brandissant le bâton pastoral qui se terminait par la Croix et ensuite, lorsque ses forces physiques commencèrent à diminuer, en s'accrochant presque à celui-ci, jusqu'au dernier Vendredi Saint, au cours duquel il participa à la Via Crucis dans sa Chapelle privée en serrant la Croix entre ses bras. Nous ne pouvons pas oublier ce dernier témoignage silencieux d'amour pour Jésus. Cette scène éloquente de souffrance humaine et de foi, en ce dernier Vendredi Saint, indiquait aussi aux croyants et au monde le secret de toute la vie chrétienne. Son "Soyez sans crainte" n'était pas fondé sur les forces humaines, ni sur les succès obtenus, mais uniquement sur la Parole de Dieu, sur la Croix et sur la Résurrection du Christ. A mesure qu'il était dépouillé de tout, et même à la fin de la parole, cet acte de confiance au Christ est apparu avec une évidence croissante. Comme ce fut le cas pour Jésus, pour Jean-Paul II aussi les paroles ont laissé place à la fin au sacrifice extrême, au don de soi. Et la mort a été le sceau d'une existence entièrement donnée au Christ, se conformant à Lui également physiquement sous les traits de la souffrance et de l'abandon confiant entre les bras du Père céleste. "Laissez-moi aller au Père" furent ses dernières paroles - dont témoignèrent ceux qui furent proches de lui -, au terme d'une vie entièrement consacrée à connaître et à contempler le visage du Seigneur.

Vénérés et chers frères, je vous remercie tous de vous être unis à moi au cours de cette Messe d'intention pour le bien-aimé Jean-Paul II. J'adresse une pensée cordiale aux participants au premier Congrès mondial sur la divine Miséricorde qui commence précisément aujourd'hui, et qui entend approfondir le riche magistère sur ce thème. La miséricorde de Dieu - il le dit lui-même - est une clef de lecture privilégiée de son pontificat. Il voulait que le message de l'amour miséricordieux de Dieu atteigne tous les hommes et il exhortait les fidèles à en être les témoins (cf. Homélie à Cracovie-Lagiewniki, 18 août 2002). C'est pourquoi il voulut élever aux honneurs des autels soeur Faustine Kowalska, humble soeur devenue par un mystérieux dessein divin la messagère prophétique de la divine Miséricorde. Le serviteur de Dieu Jean-Paul II avait connu et vécu personnellement les terribles tragédies du XX siècle, et il se demanda pendant longtemps ce qui pouvait freiner la montée du mal. La réponse ne pouvait se trouver que dans l'amour de Dieu. Seule la divine Miséricorde est en effet en mesure d'imposer une limite au mal; seul l'amour tout-puissant de Dieu peut vaincre la violence des méchants et le pouvoir destructeur de l'égoïsme et de la haine. C'est pourquoi, au cours de sa dernière visite en Pologne, revenant dans sa terre natale, il dit: "Il n'y a pas d'autre source d'espérance pour l'homme que la miséricorde de Dieu" (ibid.).

Nous rendons grâce au Seigneur d'avoir donné à l'Eglise ce fidèle et courageux serviteur. Nous louons et nous bénissons la Bienheureuse Vierge Marie pour avoir veillé sans cesse sur sa personne et sur son ministère, au bénéfice du Peuple chrétien et de l'humanité tout entière. Et alors que nous offrons pour son âme élue le Sacrifice rédempteur, nous le prions de continuer à intercéder du Ciel pour chacun de nous, et de manière particulière pour moi que la Providence a appelé à recueillir son inestimable héritage spirituel. Puisse l'Eglise, en suivant ses enseignements et ses exemples, poursuivre fidèlement et sans compromis sa mission évangélisatrice, en diffusant sans se lasser l'amour miséricordieux du Christ, source de paix véritable pour le monde entier. Amen.

A l'issue de la Messe d'intention

Je vous salue chaleureusement, vous les pèlerins francophones, venus participer à la Messe à l'occasion du troisième anniversaire de la mort de Jean-Paul II. Mes salutations vont tout particulièrement à ceux qui sont aussi rassemblés pour le Congrès de la Miséricorde. Puissiez-vous tous, à la suite du serviteur de Dieu Jean-Paul II, vous attacher à aimer intimement le Christ, pour le suivre et devenir d'authentiques témoins de la Bonne Nouvelle et de la tendresse de Dieu.

J'invoque sur toutes les personnes présentes et sur celles qui sont en liaison satellite à travers la radio et la télévision, la protection céleste de la Très Sainte Vierge Marie, Mère de l'Eglise.



Benoît XVI Homélies 20318