Benoît XVI Homélies 23508

MESSE D'INTENTION POUR LE CARDINAL BERNARDIN GANTIN - Vendredi 23 mai 2008

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Autel de la chaire, Basilique Vaticane

Vendredi 23 mai 2008

Messieurs les cardinaux,

Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et soeurs,

"Prophétise. Tu leur diras : (...) Voici que j'ouvre vos tombeaux; je vais vous faire remonter de vos tombeaux" (
Ez 37,12). Ces paroles tirées du Livre du prophète Ezéchiel résonnent comme des temps d'espérance. La liturgie les a proposées à nouveau à notre méditation, alors que nous sommes réunis autour de l'autel du Seigneur pour offrir l'Eucharistie aux intentions du cher cardinal Bernardin Gantin, arrivé au terme de son parcours terrestre mardi 13 mai dernier. Au peuple opprimé et découragé, rompu par les souffrances de l'exil, le Seigneur annonce la restauration d'Israël. C'est une scène grandiose, que celle évoquée par le prophète, qui annonce par avance l'intervention décisive de Dieu dans l'histoire des hommes, intervention qui dépasse ce qui est humainement possible. Quand on se sent fatigué, impuissant et découragé devant la réalité menaçante, quand on est tenté de céder à la déception voire au désespoir, quand l'homme est réduit à une accumulation "d'os desséchés", c'est alors le moment de l'espérance "contre toute espérance" (cf. Rm 4,18). La vérité, que la Parole de Dieu rappelle avec puissance, est que rien ni personne, pas même la mort, ne peut résister à la toute-puissance de son amour fidèle et miséricordieux. Ainsi est notre foi, basée sur la résurrection du Christ; c'est l'assurance réconfortante que le Seigneur nous répète également aujourd'hui: "Vous saurez que je suis Yahvé, lorsque j'ouvrirai vos tombeaux et que je vous ferai remonter de vos tombeaux, mon peuple. Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez" (Ez 37,13-14).

C'est dans cette perspective de foi et d'espérance dans la résurrection que nous faisons mémoire du vénéré cardinal Bernardin Gantin, fidèle et dévoué serviteur de l'Eglise pendant de longues années. Il est difficile de résumer en quelques mots les fonctions, les tâches et les charges pastorales qui, s'étant succédé rapidement, ont caractérisé les étapes de son existence terrestre qui s'est conclue, à l'âge de 86 ans, à l'hôpital parisien "Georges Pompidou". Il a voulu se dévouer jusqu'à la fin avec une disponibilité chaleureuse au service de Dieu et de ses frères, en conservant sa foi à la devise qu'il s'était choisie à l'occasion de son ordination épiscopale: In tuo sancto servitio -"Dans ton saint service". Sa personnalité, humaine et sacerdotale, constituait une merveilleuse synthèse des caractéristiques de l'âme africaine avec celles propres à l'esprit chrétien, de la culture et de l'identité africaine et des valeurs évangéliques. Il a été le premier ecclésiastique africain à avoir assumé de très hautes responsabilités dans la Curie romaine, et il les a toujours tenus avec son propre style humble et simple, dont le secret est probablement à rechercher dans les sages paroles que sa mère tint à lui répéter quand il devint cardinal, le 27 juin 1977: "N'oublie jamais le lointain petit village d'où nous venons".

De nombreux souvenirs personnels me lient à notre frère, à compter justement de quand nous reçûmes ensemble la barrette cardinalice des mains du vénéré serviteur de Dieu, le Pape Paul VI, il y a 31 ans. Nous avons collaboré ensemble ici, à la Curie romaine, et nous y avons eu des contacts fréquents, qui m'ont permis d'apprécier toujours plus sa prudente sagesse, comme sa foi solide et son sincère attachement au Christ et à son vicaire sur la terre, le Pape. Cinquante-sept ans de sacerdoce, cinquante-et-un ans d'épiscopat et cardinal pendant trente-et-un ans: voilà la synthèse d'une vie passée au service de l'Eglise.

Il n'avait que 34 ans quand il reçut à Rome, dans la chapelle de Propaganda Fide, l'ordination épiscopale, le 3 février 1957. Trois ans plus tard, il devint archevêque de Cotonou, capitale de sa patrie, le Bénin: il fut le premier archevêque métropolitain africain de toute l'Afrique. Il dirigea son diocèse avec des qualités humaines et ascétiques, qui faisaient de lui un pasteur apprécié dévoué notamment au soin des prêtres et à la formation des catéchistes jusqu'à ce que, en 1971, Paul VI l'appela à Rome comme secrétaire-adjoint de la Congrégation pour l'évangélisation des peuples. Il le nomma deux ans plus tard secrétaire de ce même dicastère et, fin 1975, le choisit comme vice-président de la Commission pontificale justice et paix; il en devint par la suite président, en assumant également en 1976 la responsabilité de président du Conseil pontifical Cor unum. Le 8 avril 1984, le serviteur de Dieu Jean-Paul II, l'appela aux postes de préfet de la Congrégation pour les évêques et de président de la Commission pontificale pour l'Amérique latine, charges qu'il remplit jusqu'au 25 juin d'il y a 10 ans, quand il les quitta une fois atteinte la limite d'âge.

En reparcourant, même rapidement, la biographie du cardinal Gantin qui, en plus des charges citées ci-avant, eut à offrir sa contribution dans d'autres bureaux et dicastères de la Curie, l'affirmation de saint Paul, que nous avons entendue dans la deuxième lecture, nous vient en mémoire: "La vie c'est le Christ et mourir représente un gain" (Ph 1,21). L'apôtre lit sa propre existence à la lumière du message du Christ, parce qu'il a totalement été "saisi par le Christ" (cf. Ph 3,12). Nous pouvons également dire que notre ami et frère, auquel nous rendons aujourd'hui notre hommage reconnaissant, fut imprégné par l'amour du Christ; un amour qui le rendait aimable et disponible à l'écoute et au dialogue avec tous; un amour qui le poussait à regarder toujours, comme il aimait le répéter, à l'essentiel de la vie qui dure, sans se perdre dans les contingences qui au contraire passent rapidement; un amour qui lui faisait ressentir son rôle dans les différents bureaux de la Curie comme un service exempt d'ambitions humaines. Ce fut cet esprit qui le poussa, le 30 novembre 2002, une fois atteint l'âge vénérable de 80 ans, à donner sa démission comme doyen du Collège cardinalice et à retourner parmi les siens, au Bénin, où il reprit l'activité évangélisatrice qu'il avait entamé le jour de son ordination sacerdotale, qui eut lieu à Ouidah le lointain 14 janvier 1951.

Chers frères et soeurs, nous avons célébré hier la solennité du Corpus Domini. Le thème eucharistique revient dans la page de l'Evangile proclamée lors de cette assemblée liturgique. Saint Jean rappelle comment, en mangeant simplement "le corps" et en buvant "le sang" du Christ, nous pouvons demeurer en Lui et Lui en nous. Dans le ministère pastoral du cardinal Gantin ressort un amour constant pour l'Eucharistie, source de sainteté personnelle et de communion ecclésiale solide, qui trouve dans le successeur de Pierre son fondement visible. Et ce fut dans cette même basilique que, lors de la dernière messe qu'il célébra avant de quitter Rome, il souligna l'unité que l'Eucharistie crée dans l'Eglise. Il cita dans son homélie la célèbre phrase de l'évêque africain saint Cyprien de Carthage, inscrite dans la coupole: "Une seule foi resplendit ici pour le monde. C'est ici que naît l'unité du sacerdoce". Cela pourrait être le message que nous recueillons du vénéré cardinal Gantin comme son testament spirituel. Que l'accompagne dans cette dernière étape de son voyage terrestre notre prière à la Vierge Marie, Reine de l'Afrique, à laquelle il fut tendrement dévoué - sa mort a eu lieu le jour d'une fête mariale significative, le 13 mai, fête de Notre Dame de Fatima. Que la Sainte Vierge le remette entre les mains miséricordieuses du Père céleste et l'introduise avec joie dans la "Maison du Seigneur", vers laquelle nous nous acheminons tous. Que, dans sa rencontre avec le Christ, notre frère implore pour nous, et particulièrement pour son Afrique bien-aimée, le don de la paix. Ainsi soit-il!



VISITE PASTORALE À SANTA MARIA DI LEUCA ET BRINDISI (POUILLES, ITALIE)


MESSE AU SANCTUAIRE DE FINIBUS TERRAE À SANTA MARIA DI LEUCA - Samedi 14 juin 2008

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Samedi 14 juin 2008




Chers frères et soeurs,

Ma visite dans les Pouilles, - la deuxième, après le Congrès eucharistique de Bari - commence comme un pèlerinage marial, sur cette pointe extrême de l'Italie et de l'Europe, dans le sanctuaire "Santa Maria de finibus terrae". C'est avec une grande joie que je vous adresse à tous mes salutations affectueuses. Je remercie avec affection Mgr Vito De Grisantis de m'avoir invité et de son accueil cordial; avec lui, je salue les autres évêques de la région, en particulier l'évêque métropolitain de Lecce, Mgr Cosmo Francesco Ruppi, ainsi que les prêtres et les diacres, les personnes consacrées et tous les fidèles. Je salue avec reconnaissance le ministre Raffaele Fitto, qui représente le gouvernement italien, et les différentes autorités civiles et militaires présentes.

Dans ce lieu si important d'un point de vue historique pour le culte de la Bienheureuse Vierge Marie, j'ai voulu que la liturgie lui soit dédiée, Etoile de la mer et Etoile de l'espérance. "Ave maris stella, / Dei Mater alma, / atque semper virgo, / felix caeli porta!". Les paroles de cet hymne antique sont un salut qui fait écho d'une certaine manière à celui de l'Ange à Nazareth. Tous les titres mariaux, en effet, ont bourgeonné et fleuri à partir de ce premier nom avec lequel le messager céleste s'adressa à la Vierge: "Réjouis-toi, pleine de grâce" (
Lc 1,28). Nous l'avons écouté dans l'Evangile de saint Luc, tout à fait approprié car ce Sanctuaire - comme en atteste l'inscription au-dessus de la porte centrale du vestibule - est consacré à la Très Sainte Vierge "de l'Annonciation". Lorsque Dieu appelle Marie "pleine de grâce", l'espérance du salut s'allume pour le genre humain: une fille de notre peuple a trouvé grâce aux yeux du Seigneur, qui l'a choisie comme Mère du Rédempteur. Dans la simplicité de la maison de Marie, dans un pauvre village de Galilée, commence à s'accomplir la prophétie solennelle du salut: "Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t'écrasera la tête et tu l'atteindras au talon" (Gn 3,15). C'est pourquoi le peuple chrétien a adopté le cantique de louange que les juifs élevèrent à Judith et que nous venons de prier dans le psaume responsorial: "Sois bénis, ma fille, / par le Dieu Très Haut, / plus que toutes les femmes de la terre" (Jdt 13,18). Sans violence, mais avec le doux courage de son "oui", la Vierge nous a libérés, non d'un ennemi terrestre, mais de l'antique adversaire, en donnant un corps humain à Celui qui allait lui écraser la tête une fois pour toute.

Voilà pourquoi, sur la mer de la vie et de l'histoire, Marie resplendit comme Etoile de l'espérance. Elle ne brille pas de sa propre lumière, mais elle reflète celle du Christ, Soleil apparu à l'horizon de l'humanité, si bien qu'en suivant l'Etoile de Marie nous pouvons nous orienter au cours du voyage et maintenir notre route vers le Christ, en particulier dans les moments obscurs et tempétueux. L'apôtre Pierre a bien connu cette expérience, pour l'avoir vécue personnellement. Une nuit, tandis qu'avec les autres disciples il traversait le lac de Galilée, il fut surpris par la tempête. Leur barque, à la merci des flots, ne parvenait plus à avancer. Jésus les rejoignit à ce moment-là en marchant sur les eaux, et il invita Pierre à descendre de la barque et à s'approcher. Pierre fit quelques pas au milieu des vagues, puis il se sentit sombrer et il cria alors: "Seigneur, sauve-moi!". Jésus l'attrapa par la main et le mit à l'abri (cf. Mt 14,24-33). Cet épisode se révéla ensuite un signe de l'épreuve que Pierre allait devoir traverser au moment de la passion de Jésus. Lorsque le Seigneur fut arrêté, il eut peur et le renia trois fois: il fut emporté par la tempête. Mais lorsque ses yeux croisèrent le regard du Christ, la miséricorde de Dieu le reprit et, en le faisant s'effondrer en larmes, le releva de sa chute.

J'ai voulu réévoquer l'histoire de saint Pierre, parce que je sais que ce lieu et toute votre Eglise sont particulièrement liés au Prince des apôtres. C'est à lui, comme l'a rappelé votre évêque, que la tradition fait remonter la première annonce de l'Evangile dans cette terre. Le Pêcheur, "pêché" par Jésus, a jeté ses filets jusqu'ici, et nous aujourd'hui, nous rendons grâce pour avoir été l'objet de cette "pêche miraculeuse" qui dure depuis deux mille ans, une pêche qui, comme l'écrit saint Pierre lui-même, "nous a appelés des ténèbres à l'admirable lumière [de Dieu]" (1P 2,9). Pour devenir pêcheurs avec le Christ, il faut d'abord être "pêchés" par Lui. Saint Pierre est témoin de cette réalité, comme l'est saint Paul, grand converti, dont nous inaugurerons dans quelques jours le bimillénaire de la naissance. En tant que Successeur de Pierre et Evêque de l'Eglise fondée sur le sang de ces deux éminents apôtres, je suis venu vous confirmer dans la foi en Jésus Christ, unique sauveur de l'homme et du monde.

La foi de Pierre et la foi de Marie se conjuguent dans ce Sanctuaire. Ici on peut puiser au double principe de l'expérience chrétienne: le principe marial et le principe pétrinien. Tous deux, ensemble, vous aideront, chers frères et soeurs, à "repartir du Christ", à renouveler votre foi, pour qu'elle réponde aux exigences de notre temps. Marie vous enseigne à rester toujours à l'écoute du Seigneur dans le silence et la prière, à accueillir avec une généreuse disponibilité sa Parole avec le profond désir de vous offrir vous-mêmes à Dieu, d'offrir votre vie concrète, afin que son Verbe éternel par la puissance de l'Esprit Saint, puisse encore se "faire chair" aujourd'hui, dans notre histoire. Marie vous aidera à suivre Jésus avec fidélité, à vous unir à Lui dans l'offrande du Sacrifice, à porter dans votre coeur la joie de sa Résurrection et à vivre dans une docilité constante à l'Esprit de la Pentecôte. De manière complémentaire, saint Pierre lui aussi vous enseignera à sentir et à croire avec l'Eglise, fermes dans la foi catholique; il vous conduira à avoir le goût et la passion de l'unité, de la communion, à la joie de cheminer ensemble avec les pasteurs; et, dans le même temps, il vous communiquera le désir de la mission, de partager l'Evangile avec tous, de le faire parvenir jusqu'aux extrémités de la terre.

"De finibus terrae": le nom de ce lieu saint est très beau et suggestif, parce qu'il fait écho à l'une des dernières paroles de Jésus à ses disciples. Tendu entre l'Europe et la Méditerranée, entre l'Occident et l'Orient, il nous rappelle que l'Eglise n'a pas de frontières, elle est universelle. Et les frontières géographiques, culturelles, ethniques, tout comme les frontières religieuses sont pour l'Eglise une invitation à l'évangélisation dans la perspective de la "communion des différences". L'Eglise est née à la Pentecôte, elle est née universelle et sa vocation est de parler toutes les langues du monde. L'Eglise existe - selon sa vocation originelle et la mission révélée à Abraham - pour être une bénédiction au bénéfice de tous les peuples de la terre (cf. Gn 12,1-3); pour être, selon les mots du Concile oecuménique Vatican II, le signe et l'instrument d'unité de tout le genre humain (cf. Const. Lumen gentium LG 1). L'Eglise qui est dans les Pouilles possède la vocation particulière d'être un pont entre les peuples et les cultures. Cette terre et ce Sanctuaire sont en effet un "avant-poste" dans cette direction, et je me suis grandement réjoui de constater, tant dans la lettre de votre Evêque qu'encore aujourd'hui dans ses paroles, combien cette sensibilité est parmi vous vivante et perçue de manière positive, avec un esprit évangélique authentique.

Chers amis, nous savons bien pourquoi le Seigneur Jésus a été très clair sur ce point: l'efficacité du témoignage est proportionnelle à l'intensité de l'amour. Il ne sert à rien de se projeter au-delà des frontières de la terre, si avant cela il n'y a pas d'amour et d'entraide au sein de la communauté chrétienne. C'est pourquoi l'exhortation de l'Apôtre Paul, que nous avons écoutée dans la seconde Lecture (Col 3,12-17), est fondamentale non seulement pour votre vie de famille ecclésiale, mais aussi pour votre engagement d'animation de la réalité sociale. En effet, dans un contexte qui tend à encourager toujours davantage l'individualisme, le premier service de l'Eglise est celui d'éduquer au sens social, à l'attention pour le prochain, à la solidarité et au partage. L'Eglise qui est dotée par son Seigneur d'une charge spirituelle qui se renouvelle continuellement, se révèle capable d'exercer une influence positive également sur le plan social, parce qu'elle promeut une humanité renouvelée et des relations humaines ouvertes et constructives, en premier lieu dans le respect et dans le service des derniers et des plus faibles.

Ici, dans la région du Salento, comme dans tout le sud de l'Italie, les communautés ecclésiales sont des lieux où les jeunes générations peuvent apprendre l'espérance, non pas comme une utopie, mais comme une confiance tenace dans la force du bien. Le bien l'emporte et, si parfois il peut sembler mis en échec par l'abus et la ruse, il continue en réalité d'oeuvrer dans le silence et dans la discrétion en portant des fruits à long terme. Tel est le renouveau social chrétien, fondé sur la transformation des consciences, sur la formation morale, sur la prière; oui, parce que la prière donne la force de croire et de lutter pour le bien même lorsqu'on serait humainement tenté de se décourager et de reculer. Les initiatives que votre évêque a cité en ouverture - celle des Soeurs Marcellines, celle des Pères Trinitaires - et les autres que vous menez sur le terrain, sont des signes éloquents de ce style typiquement ecclésial de promotion humaine et sociale. Dans le même temps, en saisissant l'occasion de la présence des autorités civiles, je suis heureux de rappeler que la communauté chrétienne ne peut et ne veut jamais remplacer les légitimes et justes compétences des institutions, mais au contraire, les encourager et les soutenir dans leurs devoirs et qu'elle se propose toujours de collaborer avec elles pour le bien de tous, à partir des situations de très grande détresse et de difficulté.

Ma pensée se tourne, enfin, vers la Très Sainte Vierge. De ce sanctuaire de "Santa Maria de finibus terrae" je souhaite me rendre en pèlerinage spirituel dans les différents sanctuaires mariaux du Salento, véritables joyaux sertis dans cette péninsule lancée comme un pont sur la mer. La piété mariale des populations s'est formée sous l'influence admirable de la dévotion basilienne à la Theotokos, une dévotion cultivée ensuite par les fils de saint Benoît, de saint Dominique, de saint François, et exprimée dans les très belles églises et les simples édicules sacrés, qui doivent être entretenus et préservés comme signe du riche héritage religieux et civil de votre peuple. Nous nous adressons donc encore à Toi, Vierge Marie, qui es demeurée courageusement au pied de la croix de ton Fils. Tu es un modèle de foi et d'espérance dans la force de la vérité et du bien. Avec les paroles de l'antique hymne nous t'invoquons: "Brise les chaînes des opprimés, / rends la lumière aux aveugles, / écrase en nous toute trace de mal, / demande pour nous tout le bien". Et en élargissant le regard vers l'horizon où le ciel et la mer se rejoignent, nous voulons te confier les peuples qui sont tournés vers la Méditerranée et ceux du monde entier, en invoquant pour tous le développement et la paix: "Donne-nous des jours de paix, / veille sur notre chemin, / fais que nous voyions ton Fils, / emplis de joie au ciel". Amen.



MESSE SUR LE QUAI SANT’APOLLINARE DANS LE PORT DE BRINDISI - Dimanche 15 juin 2008

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Dimanche 15 juin 2008




Chers frères et soeurs,

Au centre de ma visite à Brindisi, nous célébrons, en ce Jour du Seigneur, le mystère qui est source et sommet de toute la vie de l'Eglise. Nous célébrons le Christ dans l'Eucharistie, le don le plus grand qui est né de son Coeur divin et humain, le Pain de la vie rompu et partagé, pour nous faire devenir un en Lui et entre nous. Je vous salue tous avec affection, vous qui êtes réunis en ce lieu aussi symbolique, le port, qui évoque les voyages missionnaires de Pierre et de Paul. Je vois avec joie de nombreux jeunes, qui ont animé la veillée cette nuit, en se préparant à la Célébration eucharistique. Et je vous salue également, vous qui participez spirituellement à travers la radio et la télévision. J'adresse en particulier mon salut au pasteur de cette Eglise bien-aimée, Mgr Rocco Talucci, en le remerciant des paroles prononcées au début de la Messe. Je salue également les autres évêques des Pouilles, qui ont voulu être ici avec nous dans une communion fraternelle de sentiments. Je suis particulièrement heureux de la présence du Métropolite Gennadios, à qui j'adresse mon salut cordial, que j'étends à tous nos frères orthodoxes et des autres confessions, depuis cette Eglise de Brindisi qui, en raison de sa vocation oecuménique, nous invite à prier et à nous engager pour la pleine unité de tous les chrétiens. Je salue avec reconnaissance les Autorités civiles et militaires qui participent à cette liturgie, en leur souhaitant tout le bien possible pour leur service. Ma pensée affectueuse va ensuite aux prêtres et aux diacres, aux religieuses et aux religieux, ainsi qu'à tous les fidèles. J'adresse un salut spécial aux malades de l'hôpital et aux détenus de la prison, que j'assure de mon souvenir dans la prière. Grâce et paix de la part du Seigneur à chacun et à toute la ville de Brindisi!

Les textes bibliques, que nous avons écoutés au cours de ce onzième dimanche du temps ordinaire, nous aident à comprendre la réalité de l'Eglise: la première lecture (cf.
Ex 19,2-6) évoque l'alliance établie près du Mont Sinaï, au cours de l'exode hors d'Egypte; l'Evangile (cf. Mt 9,36-10,8) est constitué par le récit de l'appel et de la mission des douze Apôtres. Nous y trouvons présentée la "constitution" de l'Eglise: comment ne pas percevoir l'invitation implicite adressée à chaque communauté à se renouveler dans sa propre vocation et dans son propre élan missionnaire? Dans la première lecture, l'auteur sacré raconte le pacte de Dieu avec Moïse et avec Israël au Sinaï. C'est l'une des grandes étapes de l'histoire du salut, l'un de ces moments qui transcendent l'histoire elle-même, où la frontière entre l'Ancien et le Nouveau Testament disparaît et où se manifeste le dessein éternel du Dieu de l'Alliance: le dessein de sauver tous les hommes à travers la sanctification d'un peuple, auquel Dieu propose de devenir "mon bien propre parmi tous les peuples" (Ex 19,5). Dans cette perspective, le peuple est appelé à devenir "une nation sainte", non seulement au sens moral, mais d'abord, et surtout, dans sa réalité ontologique, dans son être de peuple. La manière dont on doit comprendre l'identité de ce peuple s'est déjà progressivement manifestée au cours des événements salvifiques de l'Ancien Testament; elle s'est ensuite pleinement révélée avec la venue de Jésus Christ. L'Evangile d'aujourd'hui nous présente un moment décisif pour cette révélation. En effet, lorsque Jésus appela les Douze, il voulait se référer symboliquement aux tribus d'Israël, qui remontent aux douze fils de Jacob. C'est pourquoi, en plaçant les Douze au centre de sa nouvelle communauté, Il fait comprendre qu'il est venu mener à bien le dessein du Père céleste, même si ce n'est qu'à la Pentecôte qu'apparaîtra le nouveau visage de l'Eglise: lorsque les Douze "remplis d'Esprit Saint", proclameront l'Evangile en parlant toutes les langues (Ac 2,3-4). C'est alors que se manifestera l'Eglise universelle, rassemblée en un unique Corps dont le Christ ressuscité est le Chef et qu'Il envoie, dans le même temps, à toutes les nations, jusqu'aux extrémités de la terre (cf. Mt 28,20).

Le style de Jésus est unique: c'est le style caractéristique de Dieu, qui aime accomplir les choses les plus grandes d'une manière pauvre et humble. La solennité des récits de l'alliance du Livre de l'Exode laisse place dans les Evangiles à des gestes humbles et discrets, qui contiennent cependant un immense potentiel de renouveau. C'est la logique du Royaume de Dieu, qui n'est pas représenté par hasard par la petite graine qui devient un grand arbre (cf. Mt 13,31-32). Le pacte du Sinaï est accompagné par des signes cosmiques qui abattent les Israélites; les débuts de l'Eglise qui est en Galilée sont en revanche privés de ces manifestations, ils reflètent la douceur et la compassion du coeur du Christ, mais annoncent une autre lutte, un autre bouleversement qui est celui suscité par les puissances du mal. Au Douze - avons-nous entendu -, Il "donna le pouvoir d'expulser les esprits mauvais et de guérir toute maladie et toute infirmité" (Mt 10,1). Les Douze devront coopérer avec Jésus pour instaurer le Royaume de Dieu, c'est-à-dire sa seigneurie bénéfique, porteuse de vie, et de vie en abondance pour l'humanité tout entière. Substantiellement, l'Eglise, comme le Christ et avec Lui, est appelée et envoyée pour instaurer le Royaume de la vie et chasser la domination de la mort, pour que la vie de Dieu triomphe dans le monde. Que triomphe Dieu, qui est Amour. Cette oeuvre du Christ est toujours silencieuse, elle n'est pas spectaculaire; c'est justement dans l'humilité de l'être Eglise, de vivre chaque jour l'Evangile, que grandit le grand arbre de la vie. C'est avec ces débuts humbles que le Seigneur nous encourage afin que, même dans l'humilité de l'Eglise d'aujourd'hui, dans la pauvreté de notre vie chrétienne, nous puissions voir sa présence et avoir ainsi le courage d'aller à sa rencontre et de rendre présent sur cette terre son amour, cette force de paix et de vie véritable.

Tel est donc le dessein de Dieu: répandre sur l'humanité et sur l'univers tout entier son amour qui engendre la vie. Ce n'est pas un processus spectaculaire; c'est un processus humble, qui porte cependant avec soi la vraie force de l'avenir et de l'histoire. C'est donc un projet que le Seigneur veut réaliser dans le respect de notre liberté, car l'amour par sa nature ne peut pas être imposé. L'Eglise est alors, dans le Christ, l'espace d'accueil et de médiation de l'amour de Dieu. Dans cette perspective, il apparaît clairement comment la sainteté et le caractère missionnaire de l'Eglise constituent deux revers de la même médaille: ce n'est qu'en tant que sainte, c'est-à-dire comblée de l'amour divin, que l'Eglise peut remplir sa mission, et c'est précisément en fonction de cette tâche que Dieu l'a choisie et sanctifiée comme sa propriété. Notre premier devoir est donc, justement pour assainir ce monde, celui d'être saints, conformes à Dieu; de cette manière une force sanctifiante et transformante vient de nous qui agit également sur les autres, sur l'histoire. Chers frères et soeurs, votre Communauté ecclésiale est en ce moment en train de se mesurer sur le binôme "sainteté-mission" - la sainteté est toujours une force qui transforme les autres - au cours du Synode diocésain dans lequel elle est engagée. A cet égard, il est utile de réfléchir sur le fait que les douze apôtres n'étaient pas des hommes parfaits, choisis pour leur caractère moral et religieux irrépréhensible. Ils étaient croyants, oui, pleins d'enthousiasme et de zèle, mais marqués en même temps par leurs limites humaines, parfois même graves. Jésus ne les appela donc pas parce qu'ils étaient déjà saints, complets, parfaits, mais afin qu'ils le deviennent, afin qu'ils soient transformés pour transformer ainsi l'histoire aussi. Tout comme pour nous. Comme pour tous les chrétiens. Dans la deuxième lecture, nous avons entendu la synthèse de l'apôtre Paul: "Or la preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs" (Rm 5,8). L'Eglise est la communauté des pécheurs qui croient à l'amour de Dieu et se laissent transformer par Lui, et deviennent ainsi saints, sanctifient le monde.

Dans la lumière de cette Parole de Dieu providentielle, j'ai la joie aujourd'hui de confirmer le chemin de votre Eglise. C'est un chemin de sainteté et de mission, sur lequel votre archevêque vous a invités à réfléchir dans sa récente Lettre pastorale; c'est un chemin qu'il a largement analysé au cours de sa visite pastorale et qu'il entend à présent promouvoir à travers le Synode diocésain. L'Evangile d'aujourd'hui nous suggère le style de la mission, c'est-à-dire l'attitude intérieure qui se traduit en vie vécue. Il ne peut être que celui de Jésus: le style de la "compassion". L'évangéliste le souligne en attirant l'attention sur le regard du Christ envers les foules: "Voyant les foules, - écrit-il - il eut pitié d'elles parce qu'elles étaient fatiguées et abattues, comme des brebis sans bergers" (Mt 9,36). Et, après l'appel des Douze, il revient à cette attitude lors du commandement qu'Il leur donne de s'adresser aux "brebis perdues de la maison d'Israël" (Mt 10,6). Dans ces expressions, on ressent l'amour du Christ pour son peuple, en particulier pour les petits et les pauvres. La compassion chrétienne n'a rien à voir avec le piétisme, avec l'assistentialisme. Elle est plutôt un synonyme de solidarité et de partage, et elle est animée par l'espérance. N'est-ce pas de l'espérance que naît la parole que Jésus adresse aux apôtres: "Sur votre route, proclamez que le Royaume des cieux est tout proche" (Mt 10,7)? Il s'agit d'une espérance qui se fonde sur la venue du Christ et qui, en dernière analyse, coïncide avec sa personne et avec son mystère de salut - là où Il est, se trouve le Règne de Dieu, se trouve la nouveauté du monde -, comme le rappelait le thème du quatrième Congrès ecclésial italien, qui a été célébré à Vérone: le Christ ressuscité est l'"espérance du monde".

Animés par l'espérance dans laquelle vous avez été sauvés, vous aussi, frères et soeurs de cette antique Eglise de Brindisi, soyez les signes et les instruments de la compassion, de la miséricorde du Christ. A l'évêque et aux prêtres, je répète avec ferveur les paroles du Maître divin: "Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement" (Mt 10,8). Aujourd'hui encore, ce mandat s'adresse tout d'abord à vous. L'Esprit qui agissait dans le Christ et chez les Douze est le même qui agit en vous et qui vous permet d'accomplir parmi votre peuple, sur ce territoire, les signes du Royaume d'amour, de justice et de paix qui vient, et qui est même déjà présent dans le monde. Mais la mission de Jésus se communique de différentes façons à tous les membres du Peuple de Dieu, par la grâce du Baptême et de la Confirmation. Je pense aux personnes consacrées qui professent les voeux de pauvreté, de virginité et d'obéissance; je pense aux époux chrétiens et à vous, fidèles laïcs, engagés dans la communauté ecclésiale et dans la société, tant personnellement que sous une forme associative. Chers frères et soeurs, vous êtes tous les destinataires du désir de Jésus de multiplier les ouvriers pour la moisson du Seigneur (cf. Mt 9,38). Ce désir, qui demande à se faire prière, nous fait penser en premier lieu aux séminaristes et au nouveau séminaire de cet archidiocèse; il nous permet de considérer que l'Eglise est, au sens large, un grand "séminaire", en commençant par la famille, jusqu'aux communautés paroissiales, aux associations et aux mouvements d'engagement apostolique. Nous sommes tous appelés, dans la diversité des charismes et des ministères, à travailler dans la vigne du Seigneur.

Chers frères et soeurs de Brindisi, poursuivez le chemin entrepris dans cet esprit. Que veillent sur vous vos Patrons, saint Leucio et saint Oronzo, venus tous les deux de l'Orient au deuxième siècle pour irriguer cette terre avec l'eau vive de la parole de Dieu. Que les reliques de saint Théodore d'Amasea, vénérées dans la cathédrale de Brindisi, vous rappellent que donner la vie pour le Christ est la prédication la plus efficace. Que saint Laurent, fils de cette ville, devenu, sur les traces de saint François d'Assise, un apôtre de paix dans une Europe déchirée par les guerres et les conflits, obtienne pour vous le don d'une fraternité authentique. Je vous confie tous à la protection de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de l'espérance et Etoile de l'évangélisation. Que la Sainte Vierge vous aide à rester dans l'amour du Christ, pour que vous puissiez porter des fruits abondants à la gloire de Dieu le Père et pour le salut du monde. Amen.



Benoît XVI Homélies 23508