Benoît XVI Homélies 15908


CÉLÉBRATION DE LA MESSE AVEC DÉDICACE DE L'AUTEL À LA CATHÉDRALE D'ALBANO Dimanche 21 septembre 2008

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Chers frères et soeurs!

La célébration d'aujourd'hui est plus que jamais riche de symboles et la Parole de Dieu qui a été proclamée nous aide à comprendre la signification et la valeur de ce que nous accomplissons. Dans la première lecture, nous avons écouté le récit de la purification du Temple et de la dédicace du nouvel autel des holocaustes par Judas Maccabée en 164 av. Jésus Christ, trois ans après que le Temple a été profané par Antioche Epiphane (cf.
1M 4,52-59). En souvenir de cet événement fut instituée la fête de la Dédicace, qui durait huit jours. Cette fête, liée tout d'abord au Temple où le Peuple se rendait en procession pour offrir des sacrifices, était aussi égayée par l'illumination des maisons et elle a survécue sous cette forme, après la destruction de Jérusalem.

L'auteur saint souligne à juste titre la joie et l'allégresse qui caractérisèrent cet événement. Mais notre joie doit être encore plus grande, chers frères et soeurs, en sachant que sur l'autel, que nous nous apprêtons à consacrer, sera offert chaque jour le sacrifice du Christ. Sur cet autel, Il continuera à s'immoler, dans le sacrement de l'Eucharistie, pour notre salut et celui du monde entier. Dans le mystère eucharistique, qui se renouvelle en chaque autel, Jésus se fait réellement présent. Sa présence est une présence dynamique, qui nous saisit pour nous faire siens, pour nous assimiler à lui; il nous attire avec la force de son amour en nous faisant sortir de nous-mêmes pour nous unir à Lui, en faisant de nous une seule chose avec Lui.

La présence réelle du Christ fait de chacun de nous sa "maison", et tous ensemble nous formons son Eglise, l'édifice spirituel dont nous parle également saint Pierre. "Approchez-vous de lui: il est la pierre vivante que les hommes ont éliminée, mais que Dieu a choisie - écrit l'Apôtre - parce qu'il en connaît la valeur. Vous aussi, soyez les pierres vivantes qui servent à construire le Temple spirituel, et vous serez le sacerdoce saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus" (1P 2,4-5). Développant en quelque sorte cette belle métaphore, saint Augustin observe qu'à travers la foi les hommes sont comme des pierres et du bois pris dans les forêts et sur les montagnes pour la construction; à travers le baptême, la catéchèse et la prédication, ils sont ensuite dégrossis, équarris et poncés; mais ils ne deviennent la maison du Seigneur que lorsqu'ils sont accompagnés par la charité. Quand les croyants sont réciproquement liés selon un ordre déterminé, mutuellement et étroitement juxtaposés et assemblés, quand ils sont unis ensemble par la charité ils deviennent vraiment la maison de Dieu qui ne craint pas de s'effondrer (cf. Serm., 336).

C'est donc l'amour du Christ, la charité qui "ne passera jamais" (1Co 13,8), l'énergie spirituelle qui unit ceux qui participent au même sacrifice et se nourrissent de l'unique Pain rompu pour le salut du monde. Et-il en effet possible de communier avec le Seigneur si nous ne communions pas entre nous? Comment alors nous présenter à l'autel de Dieu divisés, éloignés les uns des autres? Que cet autel, sur lequel dans quelques instants se renouvellera le sacrifice du Seigneur, soit pour vous, chers frères et soeurs, une invitation constante à l'amour; vous devrez toujours vous en approcher avec le coeur disposé à accueillir l'amour et à le diffuser, à recevoir et à accorder le pardon.

A ce propos, le passage évangélique qui vient d'être proclamé (cf. Mt 5,23-24) nous offre une importante leçon de vie. Il s'agit d'un appel bref, mais pressant et incisif, à la réconciliation fraternelle, une réconciliation indispensable pour présenter dignement l'offrande à l'autel; un rappel qui reprend l'enseignement présent dans la prédication prophétique. En effet, les prophètes dénonçaient eux aussi avec vigueur l'inutilité de ces actes de culte privés de dispositions morales correspondantes, en particulier dans les relations avec le prochain (cf. Is 1,10-20 Am 5,21-27 Mi 6,6-8). Chaque fois que vous vous approchez de l'autel pour la célébration eucharistique, que votre âme s'ouvre donc au pardon et à la réconciliation fraternelle, prêts à accepter les excuses de ceux qui vous ont blessés et prêts, à votre tour, à pardonner.

Dans la liturgie romaine, le prêtre, une fois l'offrande du pain et du vin accomplie, penché vers l'autel, prie à voix basse: "Humbles et repentis accueilles-nous, Seigneur: que notre sacrifice qui est aujourd'hui accompli devant toi, te soit agréable". Il se prépare ainsi à entrer, avec toute l'assemblée des fidèles, au coeur du mystère eucharistique, au coeur de cette liturgie céleste à laquelle fait référence la deuxième lecture, tirée de l'Apocalypse. Saint Jean présente un ange qui offre "des parfums en abondance pour les offrir, avec les prières de tous les saints, sur l'autel d'or qui est en face du Trône de Dieu" (cf. Ap 8,3). L'autel du sacrifice devient, d'une certaine manière, le point de rencontre entre Ciel et terre; le centre, pourrions-nous dire, de l'unique Eglise qui est céleste et dans le même temps en pèlerinage sur la terre, où, entre les persécutions du monde et les consolations de Dieu, les disciples du Seigneur en annoncent la passion et la mort jusqu'à son retour dans la gloire (cf. Lumen gentium LG 8). Chaque célébration eucharistique anticipe même déjà le triomphe du Christ sur le péché et sur le monde, et montre dans le mystère la splendeur de l'Eglise, "épouse immaculée de l'Agneau immaculé, Epouse que le Christ a aimée et pour laquelle il a donné sa vie, dans le but de la rendre sainte" (ibid., n. LG 6).

Ces réflexions suscitent en nous le rite que nous nous apprêtons à accomplir dans votre cathédrale, que nous admirons aujourd'hui dans sa beauté renouvelée et que vous voulez, à juste titre, continuer à rendre toujours plus accueillante et digne. Un engagement auquel vous participez tous et qui, en premier lieu, demande à toute la communauté diocésaine de croître dans la charité et dans le dévouement apostolique et missionnaire. Il s'agit concrètement de témoigner par votre vie de votre foi dans le Christ et de la confiance totale que vous placez en Lui. Il s'agit également de cultiver la communion ecclésiale qui est tout d'abord un don, une grâce, fruit de l'amour libre et gratuit de Dieu, c'est-à-dire quelque chose de divinement efficace, toujours présent et agissant dans l'histoire, au-delà de toute apparence contraire. La communion ecclésiale est cependant également une tâche confiée à la responsabilité de chacun. Que le Seigneur vous donne de vivre une communion toujours plus convaincue et active, dans la collaboration et dans la coresponsabilité à tous les niveaux: entre prêtres, consacrés et laïcs, entre les différentes communautés chrétiennes de votre territoire, entre les divers groupes de laïcs.

J'adresse à présent mon salut cordial à votre évêque, Mgr Marcello Semeraro, que je remercie de l'invitation et des paroles courtoises de bienvenue avec lesquelles il a voulu m'accueillir en votre nom à tous. Je désire également lui exprimer mes voeux les plus sincères, à l'occasion du dixième anniversaire de son ordination épiscopale. J'adresse une pensée particulière au cardinal Angelo Sodano, doyen du Collège cardinalice, titulaire de votre diocèse suburbicaire, qui s'unit aujourd'hui à notre joie. Je salue les autres prélats présents, les prêtres, les personnes consacrées, les jeunes et les personnes âgées, les familles, les enfants, les malades, embrassant avec affection tous les fidèles de la communauté diocésaine spirituellement réunie ici. J'adresse un salut aux Autorités qui nous honorent de leur présence, et en premier lieu au Maire d'Albano, à qui je suis également reconnaissant des paroles courtoises qu'il m'a adressées au début de la Messe. J'invoque sur chacun la protection céleste de saint Pancrace, titulaire de cette cathédrale, et de l'apôtre Matthieu, que la liturgie rappelle aujourd'hui.

J'invoque en particulier l'intercession de la Bienheureuse Vierge Marie. En cette journée, qui couronne les efforts, les sacrifices et l'engagement dont vous avez fait preuve pour doter la cathédrale d'un espace liturgique renouvelé, grâce à d'opportunes interventions qui ont concerné la chaire épiscopale, l'ambon et l'autel, que la Vierge fasse que vous puissiez écrire en notre temps une autre page de sainteté quotidienne et populaire, qui puisse s'ajouter à celles qui ont marqué au cours des siècles la vie de l'Eglise d'Albano. Les difficultés, les défis et les problèmes ne manquent assurément pas, comme l'a rappelé votre pasteur, mais les espérances et les opportunités pour annoncer et témoigner l'amour de Dieu sont également grandes. Que l'Esprit du Seigneur ressuscité, qui est l'Esprit de la Pentecôte, vous ouvre ses horizons d'espérance et nourrisse en vous l'élan missionnaire vers les vastes horizons de la nouvelle évangélisation. C'est pour cela que nous prions, en poursuivant notre célébration eucharistique.


MESSE D'OUVERTURE DE LA XII ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE DES ÉVÊQUES

51008
Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs

Dimanche 5 octobre 2008



Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et soeurs,

La première Lecture, tirée du livre du prophète Isaïe, tout comme la page de l'Evangile selon Matthieu, ont proposé à notre assemblée liturgique une image allégorique suggestive des Saintes Ecritures: l'image de la vigne, dont nous avons déjà entendu parler les dimanches précédents. La péricope initiale du récit évangélique fait référence au "cantique de la vigne" que nous trouvons dans Isaïe. Il s'agit d'un chant situé dans le contexte automnal de la vendange: un petit chef-d'oeuvre de la poésie juive, qui devait être très familier aux auditeurs de Jésus et à partir duquel, ainsi qu'à partir d'autres références des prophètes (cf.
Os 10,1 Jr 2,21 Ez 17,3-10 Ez 19,10-14 Ps 79,9-17), on comprenait bien que la vigne désignait Israël. A sa vigne, au peuple qu'il s'est choisi, Dieu réserve les mêmes soins qu'un époux fidèle prodigue à son épouse (cf. Ez 16,1-14 Ep 5,25-33).

L'image de la vigne, avec celle des noces, décrit donc le projet divin du salut, et se présente comme une allégorie touchante de l'alliance de Dieu avec son peuple. Dans l'Evangile, Jésus reprend le cantique d'Isaïe, mais l'adapte à ses auditeurs et à la nouvelle heure de l'histoire du salut. L'accent n'est pas tant mis sur la vigne que sur les vignerons, auxquels les "serviteurs" du maître demandent, en son nom, le loyer du terrain. Mais les serviteurs sont maltraités et même tués. Comment ne pas penser aux épreuves du peuple élu et au sort réservé aux prophètes envoyés par Dieu? A la fin, le propriétaire de la vigne fait une dernière tentative: il envoie son propre fils, convaincu que lui, au moins, ils l'écouteront. C'est le contraire qui arrive: les vignerons le tuent justement parce qu'il est le fils, autrement dit l'héritier, convaincus de pouvoir ainsi prendre facilement possession de la vigne. Nous assistons donc à un saut de qualité par rapport à l'accusation de violation de la justice sociale, telle qu'elle émerge du cantique d'Isaïe. Nous voyons clairement ici comment le mépris pour l'ordre donné par le maître se transforme en mépris envers lui: ce n'est pas la simple désobéissance à un précepte divin, c'est le véritable rejet de Dieu: le mystère de la Croix apparaît.

Ce que dénonce la page évangélique interpelle notre manière de penser et d'agir. Elle n'évoque pas seulement l'"heure" du Christ, du mystère de la Croix à ce moment-là, mais aussi celui de la présence de la Croix dans tous les temps. Elle interpelle, d'une manière particulière, les peuples qui ont reçu l'annonce de l'Evangile. Si nous regardons l'histoire, nous sommes obligés de noter assez fréquemment la froideur et la rébellion de chrétiens incohérents. Suite à cela, Dieu, même s'il ne manque jamais à sa promesse de salut, a souvent dû recourir au châtiment. On pense spontanément, dans ce contexte, à la première annonce de l'Evangile, de laquelle surgiront des communautés chrétiennes d'abord florissantes, qui ont ensuite disparu et ne sont plus rappelées aujourd'hui que dans les livres d'histoire. Ne pourrait-il pas advenir de même à notre époque? Des nations un temps riches de foi et de vocations perdent désormais leur identité propre, sous l'influence délétère et destructive d'une certaine culture moderne. On y trouve celui qui, ayant décidé que "Dieu est mort", se déclare "dieu" lui-même, et se considère le seul artisan de son propre destin, le propriétaire absolu du monde.

En se débarrassant de Dieu et en n'attendant pas de Lui son salut, l'homme croit pouvoir faire ce qui lui plaît et se présenter comme seule mesure de lui-même et de sa propre action. Mais, quand l'homme élimine Dieu de son propre horizon, qu'il déclare Dieu "mort", est-il vraiment plus heureux? Devient-il vraiment plus libre? Quand les hommes se proclament propriétaires absolus d'eux-mêmes et uniques maîtres de la création, peuvent-ils vraiment construire une société où règnent la liberté, la justice et la paix? N'arrive-t-il pas plutôt - comme nous le démontre amplement la chronique quotidienne - que s'étendent l'arbitraire du pouvoir, les intérêts égoïstes, l'injustice et l'exploitation, la violence dans chacune de ses expressions? Le point d'arrivée, à la fin, est que l'homme se retrouve plus seul et la société plus divisée et confuse.

Mais les paroles de Jésus contiennent une promesse: la vigne ne sera pas détruite. Alors qu'il abandonne à leur destin les vignerons infidèles, le maître ne se détache pas de sa vigne et la confie à d'autres serviteurs fidèles. Ceci indique que, si dans certaines régions la foi s'affaiblit jusqu'à s'éteindre, il y aura toujours d'autres peuples prêts à l'accueillir. C'est justement pour cela que Jésus, alors qu'il cite le Psaume 117 [118]: "La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la tête de l'angle" (Ps 117,22), assure que sa mort ne sera pas la défaite de Dieu. Une fois tué, Il ne restera pas dans la tombe, au contraire, et celle qui semblait justement être une défaite totale, marquera le début d'une nouvelle victoire. A sa passion douloureuse et à sa mort sur la croix succédera la gloire de sa résurrection. La vigne continuera alors à produire du raisin et sera louée par le maître "à d'autres vignerons, qui lui en livreront les fruits en leur temps" (Mt 21,41).

L'image de la vigne, avec ses implications morales, doctrinales et spirituelles, reviendra dans le discours de la Dernière Cène, lorsque, prenant congé des Apôtres, le Seigneur dira: "Je suis la vigne véritable et mon Père est le vigneron. Tout sarment en moi qui ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, pour qu'il porte encore plus de fruit" (Jn 15,1-2). A partir de l'événement pascal, l'histoire du salut connaîtra donc un tournant décisif, et en seront protagonistes ces "autres vignerons" qui, greffés comme bourgeons choisis sur le Christ, véritable vigne, porteront des fruits abondants de vie éternelle (cf. Prière lors de la Collecte). Nous faisons partie, nous aussi, de ces "vignerons", greffés au Christ qui veut devenir lui-même la "vraie vigne". Prions pour que le Seigneur, qui nous donne son sang et qui se donne Lui-même dans l'Eucharistie, nous aide à "porter du fruit" pour la vie éternelle et pour notre temps.

Le message réconfortant que nous recueillons de ces textes bibliques est la certitude que le mal et la mort n'ont pas le dernier mot, mais que c'est le Christ qui gagne à la fin. Toujours! L'Eglise ne se lasse pas de proclamer cette Bonne Nouvelle, comme cela arrive aujourd'hui aussi, dans cette Basilique dédiée à l'Apôtre des Nations qui, le premier, diffusa l'Evangile dans de vastes régions de l'Asie mineure et de l'Europe. Nous renouvellerons de manière significative cette annonce durant la xii assemblée générale ordinaire du synode des évêques, qui a pour thème: "La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l'Eglise". Je voudrais ici vous saluer tous avec une affection cordiale, vénérables pères synodaux, ainsi que tous ceux qui prennent part à cette rencontre comme experts, auditeurs et invités spéciaux. Je suis en outre heureux d'accueillir les délégués fraternels des autres Eglises et communautés ecclésiales. Au secrétaire général du synode des évêques et à ses collaborateurs va l'expression de la reconnaissance de tous pour l'important travail réalisé au cours de ces derniers mois, ainsi que mes meilleurs voeux pour le travail qui les attend durant les prochaines semaines.

Quand Dieu parle, il sollicite toujours une réponse; son action salvifique requiert la coopération humaine; son amour attend quelque chose en retour. Que ne se réalise jamais, chers frères et soeurs, ce que dit le texte biblique à propos de la vigne: "Il attendait de beaux raisins: elle donna des raisins sauvages" (cf. Is 5,2). Seule la Parole de Dieu peut changer profondément le coeur de l'homme, et il est alors important que chaque croyant et chaque communauté entrent dans une intimité toujours plus grande avec elle. L'assemblée synodale concentrera son attention sur cette vérité fondamentale pour la vie et la mission de l'Eglise. Se nourrir de la Parole de Dieu est pour elle le devoir premier et fondamental. En effet, si l'annonce de l'Evangile constitue sa raison d'être et sa mission, il est indispensable que l'Eglise connaisse et vive ce qu'elle annonce, afin que sa prédication soit crédible, en dépit des faiblesses et des pauvretés des hommes qui la composent. Nous savons, en outre, que l'annonce de la Parole, à l'école du Christ, a pour contenu le Royaume de Dieu (cf. Mc 1,14-15), mais le Royaume de Dieu est la personne même de Jésus, qui à travers ses paroles et ses oeuvres offre le salut aux hommes de tous les temps. A cet égard, la considération de saint Jérôme est intéressante: "Celui qui ne connaît pas les Ecritures, ne connaît pas la puissance de Dieu ni sa sagesse. Ignorer les Ecritures signifie ignorer le Christ" (Prologue au commentaire du prophète Isaïe: PL 24, 17).

En cette Année paulinienne, nous entendrons résonner avec une urgence particulière le cri de l'apôtre des nations: "Oui, malheur à moi si je n'annonçais pas l'Evangile" (1Co 9,16); un cri qui pour chaque chrétien devient une invitation insistante à se mettre au service du Christ. "La moisson est abondante" (Mt 9,37), répète également aujourd'hui le Divin Maître: nombreux sont ceux qui ne L'ont pas encore rencontré et qui sont dans l'attente de la première annonce de son Evangile; d'autres, tout en ayant reçu une formation chrétienne, se sont affaiblis dans l'enthousiasme et gardent un contact seulement superficiel avec la Parole de Dieu; d'autres encore se sont éloignés de la pratique de la foi et ont besoin d'une nouvelle évangélisation. Enfin, les personnes aux sentiments droits qui se posent des questions essentielles sur le sens de la vie et de la mort, questions auxquelles seul le Christ peut donner des réponses satisfaisantes ne manquent pas. Il devient alors indispensable pour les chrétiens de tous les continents d'être prêts à répondre à quiconque demande raison de l'espérance qui est en eux (cf. 1P 3,15), annonçant avec joie la Parole de Dieu et vivant l'Evangile sans aucun compromis.

Vénérés et chers frères, que le Seigneur nous aide à nous interroger ensemble, au cours des prochaines semaines de travaux synodaux, sur la manière de rendre toujours plus efficace l'annonce de l'Evangile à notre époque. Nous percevons tous combien il est nécessaire de mettre au centre de notre vie la Parole de Dieu, d'accueillir le Christ comme notre unique Rédempteur, en tant que Royaume de Dieu en personne, afin que sa lumière éclaire tous les domaines de l'humanité: de la famille, de l'école, de la culture, du travail, des loisirs et des autres secteurs de la société et de notre vie. En participant à la célébration eucharistique, nous percevons toujours le lien étroit qui existe entre l'annonce de la Parole de Dieu et le Sacrifice eucharistique: c'est ce même Mystère qui est offert à notre contemplation. Voilà pourquoi "L'Eglise - comme le Concile Vatican II le met en lumière - a toujours vénéré les divines Ecritures, comme elle l'a toujours fait pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur la table de la parole de Dieu et sur celle du Corps du Christ, pour l'offrir aux fidèles". Justement, le Concile conclut: "De même l'Eglise reçoit un accroissement de vie par la fréquentation assidue du mystère eucharistique, ainsi peut-on espérer qu'un renouveau de vie spirituelle jaillira d'une vénération croissante pour la parole de Dieu, qui "demeure à jamais"" (Dei Verbum DV 21 DV 26).

Que le Seigneur nous concède de nous approcher avec foi de la double table de la Parole et du Corps et du Sang du Christ. Que la Sainte Vierge nous obtienne ce don, elle qui "conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son coeur" (Lc 2,19). Que ce soit elle qui nous apprenne à écouter les Ecritures et à les méditer dans un processus intérieur de maturation, qui ne sépare jamais l'intelligence du coeur. Que les Saints viennent à notre aide, en particulier l'apôtre Paul, qu'au cours de cette année nous découvrons toujours plus comme témoin intrépide et héraut de la Parole de Dieu. Amen!


CHAPELLE PAPALE - MESSE À L'OCCASION DU 50 ANNIVERSAIRE DE LA MORT DU PAPE PIE XII

9108
Basilique Vaticane

Jeudi 9 octobre 2008

Messieurs les cardinaux,

Vénérés frères dans l'épiscopat et le sacerdoce,
Chers frères et soeurs,

Le passage du livre du Siracide et le prologue de la Première Lettre de saint Pierre, proclamés comme première et deuxième lecture, nous offrent de significatives occasions de réflexion dans le cadre de cette célébration eucharistique, au cours de laquelle nous faisons mémoire de mon vénéré prédécesseur, le serviteur de Dieu Pie XII. Cinquante ans exactement se sont écoulés depuis sa mort, survenue aux premières heures du 9 octobre 1958. Le Siracide, comme nous l'avons entendu, a rappelé à ceux qui veulent suivre le Seigneur qu'ils doivent se préparer à affronter des épreuves, des difficultés et des souffrances. Pour ne pas succomber à ces dernières - exhorte-t-il - il faut un coeur qui soit droit et constant, une fidélité à Dieu et une patience qui soient unies à une inflexible détermination à avancer sur le chemin du bien. La souffrance affine le coeur du disciple du Seigneur, comme l'or est purifié dans la fournaise. "Tout ce qui t'advient, accepte-le et, dans les vicissitudes de ta pauvre condition, montre-toi patient, car l'or est éprouvé dans le feu, et les élus dans la fournaise de l'humiliation." (
Si 2,4-5).

Saint Pierre, de son côté, dans le récit qui a été proposé, en s'adressant aux chrétiens des communautés d'Asie mineure qui étaient "affligés par diverses épreuves", va encore plus loin: malgré tout, leur demande-t-il, "Vous en tressaillez de joie" (1P 1,6). L'épreuve est en effet nécessaire, observe-t-il, "afin que, bien éprouvée, votre foi, plus précieuse que l'or périssable que l'on vérifie par le feu, devienne un sujet de louange, de gloire et d'honneur, lors de la Révélation de Jésus Christ" (1P 1,7). Ensuite, pour la deuxième fois, il les exhorte à être joyeux, et même à exulter "d'une joie indicible et pleine de gloire" (1P 1,8). La raison profonde de cette joie spirituelle réside dans l'amour envers Jésus et dans la certitude de sa présence invisible. C'est Lui qui rend inébranlables la foi et l'espérance des croyants, même au cours des phases les plus complexes et les plus dures de l'existence.

A la lumière de ces textes bibliques, nous pouvons lire le parcours terrestre du Pape Pacelli et son long service envers l'Eglise, commencé sous Léon XIII et poursuivi sous Pie X, Benoît XV et Pie XI. Ces textes bibliques nous aident surtout à comprendre la source à laquelle il a puisé son courage et sa patience au cours de son ministère pontifical qui s'est déroulé durant les douloureuses années de la Seconde guerre mondiale et de la période qui a suivi, non moins complexe, de la reconstruction et des difficiles rapports internationaux, passés à l'histoire sous l'appellation significative de "guerre froide".

"Miserere mei Deus, secundum magnam misericordiam tuam": c'est par cette invocation extraite du Psaume 50/51 que Pie XII ouvrait son testament. Et il poursuivait: "Ces mots que je prononçai, conscient d'être sans mérites et non préparé, au moment où je donnai, en tremblant, mon acceptation à l'élection comme Souverain Pontife, je les répète maintenant avec plus de raison". C'était deux ans avant sa mort. S'abandonner entre les mains miséricordieuses de Dieu: telle fut l'attitude que cultiva constamment mon vénéré prédécesseur, le dernier des Papes nés à Rome, appartenant à une famille en relation avec le Saint-Siège depuis de nombreuses années.

En Allemagne, où il exerça les fonctions de nonce apostolique, d'abord à Munich puis à Berlin jusqu'en 1929, il laissa derrière lui un souvenir emplit de gratitude, surtout pour avoir collaboré avec Benoît xv à la tentative de mettre fin à l'"inutile massacre" de la Grande Guerre, et pour avoir décelé, dès son avènement, le danger constitué par la monstrueuse idéologie nationale-socialiste, avec ses pernicieuses racines antisémites et anti-catholiques. Créé cardinal en décembre 1929, et devenu peu après secrétaire d'Etat, il fut un fidèle collaborateur de Pie XI pendant neuf ans, à une époque caractérisée par les totalitarismes: le fascisme, le nazisme et le communisme soviétique, condamnés respectivement par les encycliques Non abbiamo bisogno, Mit Brennender Sorge et Divini Redemptoris.

"Celui qui écoute ma parole et croit (...) a la vie éternelle" (Jn 5,24). Cette assurance de Jésus, que nous avons écoutée dans l'Evangile, nous fait penser aux moments les plus durs du pontificat de Pie XII lorsque, sentant s'évanouir toute sécurité humaine, il ressentait fortement le besoin, également à travers un effort ascétique permanent, d'adhérer au Christ, unique certitude qui ne passe pas. La Parole de Dieu devenait ainsi lumière sur son chemin, un chemin le long duquel le Pape Pacelli dut consoler les réfugiés et les persécutés, essuyer les larmes de douleur et pleurer les innombrables victimes de la guerre. Seul le Christ est la véritable espérance de l'homme; c'est seulement en se confiant à Lui que le coeur humain peut s'ouvrir à l'amour qui l'emporte sur la haine. Cette conscience accompagna Pie XII au cours de son ministère de Successeur de Pierre, ministère commencé justement alors que s'accumulaient sur l'Europe et sur le reste du monde les nuages menaçants d'un nouveau conflit mondial qu'il tenta d'éviter par tous les moyens: "Le péril est imminent, mais il est encore temps. Rien n'est perdu avec la paix. Tout peut l'être avec la guerre", s'était-il écrié dans son radio-message du 24 août 1939 (AAS, XXXI, 1939, p. 334).

La guerre mit en évidence l'amour qu'il nourrissait pour sa "Rome bien-aimée", un amour témoigné par son intense oeuvre de charité qu'il accomplissait en faveur des persécutés, sans tenir compte d'aucune distinction de religion, d'ethnie, de nationalité, d'appartenance politique. Lorsqu'à maintes reprises, pendant l'occupation de la ville, on lui conseilla de quitter le Vatican pour se mettre à l'abri, sa réponse fut toujours la même, identique et décisive: "Je ne laisserai pas Rome et mon poste, même si je devais en mourir" (cf. Summarium, p. 186). Ses proches et d'autres témoins firent, en outre, part de ses privations de nourriture, de chauffage, de vêtements, de commodités, qu'il s'imposait volontairement pour partager la condition de la population durement éprouvée par les bombardements et par les conséquences de la guerre (cf. A. Tornielli, Pie XII, Un uomo sul trono di Pietro). Et comment oublier son radio-message de Noël, en décembre 1942? Avec une voix brisée par l'émotion, il déplora la situation des "centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, mais seulement pour des raisons de nationalité ou de race, sont destinées à la mort ou à un progressif dépérissement" (AAS, XXXV, 1943, p. 23), se référant très clairement à la déportation et à l'extermination perpétrée contre les juifs. Il a souvent agi dans le secret et le silence, parce qu'à la lumière des situations concrètes de la complexité de ce moment historique, il avait l'intuition que c'était seulement de cette manière que l'on pouvait éviter le pire et sauver le plus grand nombre possible de juifs. De nombreux et unanimes témoignages de reconnaissances lui furent adressés à la fin de la guerre pour ses interventions, ainsi qu'au moment de sa mort, par les plus hautes autorités du monde juif, comme par exemple le ministre des Affaires étrangères d'Israël Mme Golda Meir, qui lui écrivit: "Quand le martyre le plus épouvantable a frappé notre peuple, durant les dix années de terreur du nazisme, la voix du Souverain Pontife s'est élevée en faveur des victimes", concluant avec émotion: "Nous pleurons la perte d'un grand serviteur de la paix".

Malheureusement, le débat historique, qui n'a pas toujours été serein, sur la figure du serviteur de Dieu Pie XII, a négligé de mettre en lumière tous les aspects de son pontificat multiforme. Les discours, les allocutions et les messages qu'il a adressés aux scientifiques, aux médecins, aux responsables des plus diverses catégories de travailleurs, dont certains d'entre eux sont, encore aujourd'hui, d'une extraordinaire actualité et qui continuent d'être un point ferme de référence, ont été très nombreux. Paul vi, qui fut son fidèle collaborateur pendant de nombreuses années, le décrivit comme un érudit, un chercheur attentif, ouvert aux voies modernes de la recherche et de la culture, restant fermement, et avec cohérence, fidèle tant aux principes de la rationalité humaine, qu'à l'intangible dépôt des vérités de la foi. Il le considérait comme un précurseur du Concile Vatican ii (cf. Angelus du 10 mars 1974). Dans cette perspective, un grand nombre de ses documents mériteraient d'être rappelés, mais je me limiterai à n'en citer que quelques-uns. Avec l'encyclique Mystici Corporis, publiée le 29 juin 1943 alors que la guerre faisait encore rage, il décrivait les rapports spirituels et visibles qui unissent les hommes au Verbe incarné, et proposait d'intégrer, dans cette perspective, tous les principaux thèmes de l'ecclésiologie, offrant pour la première fois une synthèse dogmatique et théologique sur laquelle se baserait la Constitution dogmatique conciliaire Lumen gentium.

Quelques mois après, le 20 septembre 1943, avec l'encyclique Divino afflante Spiritu, il fixait les normes doctrinales pour l'étude des Saintes Ecritures, en mettant en relief son importance et son rôle dans la vie chrétienne. Il s'agit d'un document qui témoigne d'une grande ouverture à la recherche scientifique sur les textes bibliques. Comment ne pas rappeler cette encyclique, alors que se déroulent les travaux du Synode qui a justement pour thème "La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l'Eglise"? C'est à l'intuition prophétique de Pie XII que nous devons la première étude sérieuse des caractéristiques de l'historiographie antique, pour mieux comprendre la nature des livres sacrés, sans en affaiblir ou en nier leur valeur historique. L'approfondissement des "genres littéraires", pour mieux comprendre ce que l'auteur sacré avait voulu dire, avait été, jusqu'en 1943, considéré comme suspect, du fait aussi des abus qui y avaient été commis. L'encyclique reconnaissait sa juste application, déclarant légitime son usage pour l'étude non seulement de l'Ancien mais aussi du Nouveau Testament. "Aujourd'hui encore, cet art - explique le Pape - que l'on a l'habitude d'appeler critique textuelle et qui est, valablement et de manière fructueuse, utilisée dans les éditions des auteurs profanes, s'applique de plein droit aux Livres Saints, précisément pour le respect qui est dû à la Parole de Dieu". Et, il ajoute: "Son objectif est, en effet, de restituer, avec toute la précision possible, sa première teneur au texte sacré, le débarrassant des déformations introduites par les fautes des copistes et le libérant des gloses et des lacunes, des transpositions de mots, des répétitions et des défauts similaires de tout ordre, qui dans les écrits transmis à la main pendant de nombreux siècles, s'infiltraient couramment." (AAS, XXXV, 1943, p. 336).

La troisième encyclique que je voudrais mentionner est Mediator Dei, consacrée à la liturgie, publiée le 20 novembre 1947. Avec ce document, le serviteur de Dieu donna l'impulsion au mouvement liturgique, insistant sur l'"élément essentiel du culte", qui "doit être celui interne: il est, en effet, nécessaire - écrit-il - de vivre toujours en Christ, de se dédier à Lui, afin qu'en Lui, avec Lui et pour Lui on glorifie le Père. La sainte Liturgie exige que ces deux éléments soient intimement liés... Autrement, la religion devient un formalisme sans fondement et sans contenu". Ensuite, nous ne pouvons pas, non plus, manquer d'évoquer l'élan important que ce Souverain Pontife donna à l'activité missionnaire de l'Eglise avec les encycliques Evangelii praecones (1951) et Fidei donum (1957), mettant en relief le devoir pour chaque communauté d'annoncer l'Evangile aux nations, comme le fera, avec une courageuse vigueur, le Concile Vatican ii. Le Pape Pacelli avait, du reste, manifesté son amour pour les missions dès le début de son pontificat quand, au mois d'octobre 1939, il avait voulu consacrer personnellement douze évêques provenant de pays de mission, dont un indien, un chinois, un japonais, le premier évêque africain et le premier évêque de Madagascar. Enfin, l'une de ses préoccupations pastorales constantes fut la promotion du rôle des laïcs, pour que la communauté ecclésiale puisse compter sur toutes les énergies et les ressources disponibles. Pour cela aussi, l'Eglise et le monde lui sont reconnaissants.

Chers frères et soeurs, alors que nous prions pour que la cause de béatification du serviteur de Dieu Pie XII ait une heureuse issue, il est bon de rappeler que la sainteté fut son idéal, un idéal qu'il ne manqua pas de proposer à tous. Pour cela, il donna une forte impulsion aux causes de béatifications et de canonisations de personnes appartenant à des populations différentes, de représentants de tous les états de vie, fonctions et professions, réservant une vaste place aux femmes. C'est Marie justement, la Femme du salut, qu'il montre à l'humanité comme signe de ferme espérance, en proclamant le dogme de l'Assomption durant l'Année Sainte de 1950. A notre époque qui est, comme alors, assaillie par des préoccupations et des angoisses pour son avenir; en ce monde où, peut-être encore plus qu'alors, l'éloignement de tant de personnes de la vérité et de la vertu laisse entrevoir des situations sans espérance, Pie XII nous invite à tourner notre regard vers Marie qui est montée dans la gloire céleste. Il nous invite à l'invoquer avec confiance, pour qu'elle nous fasse apprécier toujours plus la valeur de la vie sur la terre et nous aide à diriger notre regard vers le vrai but auquel nous sommes tous destinés: cette vie éternelle que, comme Jésus nous l'assure, possède déjà celui qui écoute et suit sa parole. Amen!




Benoît XVI Homélies 15908