Benoît XVI Homélies 31128

VÊPRES ET DU TE DEUM D'ACTION DE GRÂCE POUR LA FIN DE L’ANNÉE 2008

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Mercredi 31 décembre 2008

Chers frères et soeurs!


L'année qui se termine et celle qui s'annonce à l'horizon sont placées toutes les deux sous le regard bénissant de la Très Sainte Mère de Dieu. La sculpture artistique en bois polychrome placée ici, à côté de l'autel, qui la représente sur le trône avec l'Enfant bénissant, nous rappelle sa présence maternelle. Nous célébrons les premières Vêpres de cette solennité mariale, et dans celles-ci nombreuses sont les références liturgiques au mystère de la maternité divine de la Vierge.

"O admirabile commercium! Merveilleux échange!". Ainsi commence l'antienne du premier psaume, pour poursuivre ensuite: "Le Créateur a pris une âme et un corps, il est né d'une vierge". "Lorsque d'une manière unique tu es né de la Vierge, tu as accompli les Ecritures", proclame l'antienne du deuxième psaume, à laquelle font écho les paroles de la troisième antienne qui nous a introduits au cantique tiré de la Lettre de Paul aux Ephésiens: "Ta virginité est intègre, Mère de Dieu: nous te louons, tu pries pour nous". La maternité divine de Marie est soulignée également dans la brève lecture qui vient d'être proclamée, qui repropose les versets célèbres de la Lettre aux Galates: "Mais lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils; il est né d'une femme [...] pour faire de nous des fils" (
Ga 4,4-5). Et dans le traditionnel Te Deum, que nous élèverons au terme de notre célébration devant le Très Saint Sacrement solennellement exposé à notre adoration, nous chanterons aussi: "Tu, ad liberandum suscepturus hominem, non horruisti Virginis uterum", en français: "Toi, ô Christ, tu naquis de la Vierge Mère pour le salut de l'homme".

Ce soir, tout nous invite donc à tourner le regard vers Celle qui "reçut le Verbe de Dieu à la fois dans son coeur et dans son corps, et présenta au monde la vie" et qui précisément pour cela - rappelle le Concile Vatican ii - "est reconnue et honorée comme la véritable Mère de Dieu" (Const. Lumen gentium LG 53). Le Noël du Christ, que nous commémorons en ces jours, est entièrement parcouru par la lumière de Marie et, alors que dans la crèche nous nous arrêtons pour contempler l'Enfant, le regard ne peut que se tourner avec reconnaissance également vers la Mère, qui par son "oui" a rendu possible le don de la Rédemption. Voilà pourquoi le temps de Noël contient en lui une profonde connotation mariale; la naissance de Jésus, homme-Dieu et la maternité divine de Marie sont des réalités indissociables entre elles; le mystère de Marie et le mystère du Fils unique de Dieu qui se fait homme, forment un unique mystère, l'un aidant à mieux comprendre l'autre.

Marie Mère de Dieu - Theotokos, Dei Genetrix. Dès l'antiquité, la Vierge fut honorée sous ce titre. Mais pendant de nombreux siècles on ne trouve pas en occident de fête spécifique consacrée à la maternité divine de Marie. C'est le Pape Pie xi qui l'introduisit dans l'Eglise latine en 1931, à l'occasion du 15 centenaire du Concile d'Ephèse, et il la fêta le 11 octobre. C'est à cette date que commença, en 1962, le Concile oecuménique Vatican ii. Ce fut ensuite le serviteur de Dieu Paul vi, en 1969, qui, reprenant une antique tradition, fixa cette solennité le premier janvier. Et dans l'Exhortation apostolique Marialis cultus du 2 février 1974, il expliqua la raison de ce choix et son lien avec la Journée mondiale de la Paix. "Dans l'ordonnance réformée du temps de Noël - écrivit Paul vi -, il nous semble que tous doivent tourner leur attention vers la réinstauration de la solennité de Sainte Marie, Mère de Dieu: [...] elle est destinée à célébrer la part qu'a eue Marie au mystère du salut et à exalter la dignité particulière qui en découle pour la Mère très sainte [...] Elle constitue par ailleurs une excellente occasion pour renouveler notre adoration au nouveau-né Prince de la Paix, pour écouter à nouveau le joyeux message des anges (cf. Lc 2,14), pour implorer de Dieu, par la médiation de la Reine de la Paix, le don suprême de la paix" (n. 5 in: Insegnamenti di Paolo vi, xii 1974, PP 105-106).

Ce soir, nous voulons placer entre les mains de la Mère céleste de Dieu notre hymne choral d'action de grâces au Seigneur pour les bienfaits qu'au cours des douze mois écoulés il nous a largement accordés. Le premier sentiment, qui naît ce soir spontanément dans notre coeur, est précisément de louange et d'action de grâces à Celui qui nous fait don du temps, précieuse opportunité pour accomplir le bien; nous y joignons la requête de pardon pour ne pas l'avoir peut-être toujours employé utilement. Je suis content de partager cette action de grâces avec vous, chers frères et soeurs, qui représentez notre communauté diocésaine, à laquelle j'adresse mon salut cordial, en l'étendant à tous les habitants de Rome. J'adresse un salut particulier au cardinal-vicaire et au maire, qui ont tous le deux commencé leurs missions différentes cette année - l'une spirituelle et religieuse, l'autre civile et administrative - au service de notre ville. Mon salut s'étend aux évêques auxiliaires, aux prêtres, aux personnes consacrées et aux nombreux fidèles laïcs ici rassemblés, ainsi qu'aux autorités présentes. En venant au monde, le Verbe éternel du Père nous a révélé la proximité de Dieu et la vérité ultime sur l'homme et sur son destin éternel; il est venu demeurer avec nous pour être notre soutien irremplaçable, en particulier dans les inévitables difficultés de chaque jour. Et ce soir la Vierge elle-même nous rappelle quel grand don Jésus nous a fait avec sa naissance, quel "trésor" précieux constitue pour nous son Incarnation. Dans son Noël, Jésus vient offrir sa Parole comme une lampe qui guide nos pas; il vient s'offrir lui-même et nous devons savoir rendre raison de Lui, notre espérance certaine, dans notre existence quotidienne, conscients que "le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné" (Gaudium et spes GS 22).

La présence du Christ est un don que nous devons savoir partager avec tous. C'est à cela que vise l'effort que la communauté diocésaine accomplit pour la formation des agents pastoraux, afin qu'ils soient en mesure de répondre aux défis que la culture moderne pose à la foi chrétienne. La présence d'institutions universitaires nombreuses et qualifiées à Rome, ainsi que les nombreuses initiatives promues par les paroisses nous permettent de regarder avec confiance l'avenir du christianisme dans cette ville. Vous le savez bien, la rencontre avec le Christ renouvelle l'existence personnelle et nous aide à contribuer à la construction d'une société juste et fraternelle. Voilà alors que, comme croyants, on peut apporter une grande contribution également pour surmonter l'urgence actuelle en matière d'éducation. Il est alors plus que jamais utile que croisse l'harmonie entre les familles, l'école et les paroisses en vue d'une évangélisation profonde et d'une courageuse promotion humaine, capables de transmettre au plus grand nombre de personnes possible la richesse qui jaillit de la rencontre avec le Christ. J'encourage pour cela chaque composante de notre diocèse à poursuivre le chemin entrepris, en réalisant ensemble le programme de l'année pastorale en cours, qui vise précisément à "éduquer à l'espérance dans la prière, dans l'action, dans la souffrance".

A notre époque, marquée par l'incertitude et la préoccupation pour l'avenir, il est nécessaire de ressentir la présence vivante du Christ. C'est vers Marie, Etoile de l'espérance, qu'Il nous conduit. C'est Elle, grâce à son amour maternel, qui peut guider vers Jésus en particulier les jeunes, qui portent gravée de façon indélébile dans leur coeur la question sur le sens de l'existence humaine. Je sais que divers groupes de parents, en se rencontrant pour approfondir leur vocation, cherchent de nouvelles voies pour aider leurs enfants à répondre aux grandes interrogations de l'existence. Je les exhorte cordialement, ainsi que toute la communauté chrétienne, à témoigner aux nouvelles générations de la joie qui jaillit de la rencontre avec Jésus qui, en naissant à Bethléem, est venu non pas nous prendre quelque chose, mais tout nous donner.

Au cours de la Nuit de Noël, j'ai eu un souvenir particulier pour les enfants; ce soir, en revanche, c'est en particulier aux jeunes que je voudrais réserver mon attention. Chers jeunes, responsables de l'avenir de notre ville, n'ayez pas peur du devoir apostolique que le Seigneur vous confie, n'hésitez pas à choisir un style de vie qui ne suit pas la mentalité hédoniste actuelle. L'Esprit Saint vous assure la force nécessaire pour témoigner de la joie de la foi et de la beauté d'être chrétiens. Les nécessités croissantes de l'évangélisation exigent de nombreux ouvriers dans la vigne du Seigneur: n'hésitez pas à lui répondre aussitôt s'Il vous appelle. La société a besoin de citoyens qui ne se préoccupent pas seulement de leurs propres intérêts car, comme je l'ai rappelé le jour de Noël: "si chacun pense uniquement à ses propres intérêts, le monde ne peut qu'aller à sa ruine".

Chers frères et soeurs, cette année se conclut avec la conscience d'une crise sociale et économique croissante qui touche désormais le monde entier; une crise qui demande à tous davantage de sobriété et de solidarité pour venir en aide en particulier aux personnes et aux familles qui connaissent le plus de difficultés. La communauté chrétienne s'engage déjà et je sais que la Caritas diocésaine et les autres organisations caritatives font leur possible, mais la collaboration de tous est nécessaire car personne ne peut penser construire seul son propre bonheur. Même si apparaissent à l'horizon de nombreuses ombres sur notre avenir, nous ne devons pas avoir peur. Notre grande espérance de croyants est la vie éternelle dans la communion du Christ et de toute la famille de Dieu. Cette grande espérance nous donne la force d'affronter et de surmonter les difficultés de la vie dans ce monde. La présence maternelle de Marie nous assure ce soir que Dieu ne nous abandonne jamais, si nous nous confions à Lui et si nous suivons ses enseignements. Nous présentons donc à Marie, avec une affection et une confiance filiales, les attentes et les espérances, ainsi que les peurs et les difficultés qui habitent notre coeur, tandis que nous prenons congé de l'année 2008 et que nous nous apprêtons à accueillir l'année 2009. Que la Vierge Marie nous offre l'enfant couché dans la crèche comme notre espérance certaine. Emplis de confiance, nous pourrons alors chanter en conclusion du Te Deum: "In te, Domine, speravi: non confundar in aeternum - Tu es Seigneur mon espérance, jamais je ne serai déçu!". Oui Seigneur, en Toi nous plaçons notre espérance, aujourd'hui et à jamais; Tu es notre espérance. Amen!



MESSE EN LA SOLENNITÉ DE LA TRÈS SAINTE MÈRE DE DIEU ET DE LA XLII JOURNÉE MONDIALE DE LA PAIX

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Basilique Vaticane - Jeudi 1er janvier 2009


Vénérés frères,
Messieurs les ambassadeurs,
chers frères et soeurs!

En ce premier jour de l'année, la divine Providence nous réunit pour une célébration qui nous émeut à chaque fois, en raison de la richesse et de la beauté de ses correspondances: la Nouvelle année civile rencontre le sommet de l'octave de Noël, au cours duquel on célèbre la Divine maternité de Marie, et cette rencontre trouve une heureuse synthèse dans la Journée mondiale de la paix. Dans la lumière du Noël du Christ, je suis heureux de vous adresser à tous mes meilleurs voeux pour l'année qui vient de commencer. Je les présente, en particulier au cardinal Renato Raffaele Martino, et à ses collaborateurs du Conseil pontifical "justice et paix", avec une reconnaissance particulière pour leur précieux service. Je les présente, dans le même temps, au secrétaire d'Etat, le cardinal Tarcisio Bertone, et à toute la Secrétairerie d'Etat; ainsi que, avec une profonde cordialité, à Messieurs les ambassadeurs présents aujourd'hui en grand nombre. Mes voeux font écho au souhait que le Seigneur lui-même vient de nous adresser, dans la liturgie de la Parole. Une Parole qui, à partir de l'événement de Bethléem, évoqué dans sa réalité historique par l'Evangile de Luc (
Lc 2,16-21) et relu dans toute sa portée salvifique par l'apôtre Paul (Ga 4,47), devient une bénédiction pour le peuple de Dieu et pour l'humanité tout entière.

C'est ainsi qu'est accomplie l'antique tradition juive de la bénédiction (Nb 6,22-27): les prêtres d'Israël bénissaient le peuple en "mettant sur lui le nom" du Seigneur. A travers une formule ternaire - présente dans la première lecture - le Nom sacré était invoqué trois fois sur les fidèles, comme voeu de grâce et de paix. Cet antique usage nous ramène à une réalité essentielle: pour pouvoir marcher sur la voie de la paix, les hommes et les peuples ont besoin d'être illuminés par le "visage" de Dieu et d'être bénis par son "nom". C'est précisément ce qui a eu lieu de façon définitive avec l'Incarnation: la venue du Fils de Dieu dans notre chair et dans l'histoire a apporté une bénédiction irrévocable, une lumière qui ne s'éteint plus et qui offre aux croyants et aux hommes de bonne volonté la possibilité d'édifier la civilisation de l'amour et de la paix.

A cet égard, le Concile Vatican II a dit que "par son Incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni lui-même à tout homme" (Gaudium et spes GS 22). Cette union a confirmé le dessein originel d'une humanité créée à l'"image et ressemblance" de Dieu. En réalité, le Verbe incarné est l'unique image parfaite et consubstantielle du Dieu invisible. Jésus Christ est l'homme parfait. "En lui - observe encore le Concile - la nature humaine a été assumée (...) par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale" (ibid.). C'est pourquoi l'histoire terrestre de Jésus, qui culmine dans le mystère pascal, est le début d'un monde nouveau, parce qu'elle a réellement inauguré une nouvelle humanité, capable, toujours et seulement par la grâce de Dieu, d'accomplir une "révolution" pacifique. Une révolution non pas idéologique mais spirituelle, non pas utopique, mais réelle, et nécessitant donc une patience infinie, des temps parfois très longs, en évitant tout raccourci et en parcourant la voie la plus difficile: la voie de la maturation de la responsabilité dans les consciences.

Chers amis, telle est la voie évangélique vers la paix, la voie que l'évêque de Rome également est appelé à reproposer avec constance chaque fois qu'il rédige le Message pour la Journée mondiale de la paix annuel. En parcourant ce chemin, il faut parfois revenir sur des aspects et des problématiques déjà affrontés, mais si importants qu'ils méritent toujours une attention nouvelle. C'est le cas du thème que j'ai choisi pour le Message de cette année: "Combattre la pauvreté, construire la paix". Un thème qui se prête à un double type de considérations, que je ne peux qu'évoquer brièvement ici. D'une part, la pauvreté choisie et proposée par Jésus, de l'autre, la pauvreté qu'il faut combattre pour rendre le monde plus juste et solidaire.

Le premier aspect trouve son cadre idéal ces jours-ci, en ce temps de Noël. La naissance de Jésus à Bethléem nous révèle que Dieu a choisi la pauvreté pour lui-même à travers sa venue parmi nous. La scène que les pasteurs virent les premiers, et qui confirma l'annonce qui leur était faite par l'ange, est celle d'une étable où Marie et Joseph avaient trouvé refuge, et d'une crèche où la Vierge avait déposé le nouveau-né enveloppé de langes (cf. Lc 2,7 Lc 2,12 Lc 2,16). Cette pauvreté, Dieu l'a choisie. Il a voulu naître ainsi - mais nous pourrions aussitôt ajouter: il a voulu vivre, et également mourir ainsi. Pourquoi? Saint Alphonse Marie de' Liguori l'explique en termes populaires dans un chant de Noël que tous connaissent en Italie: "A Toi, qui es le Créateur du monde, manquent les vêtements et le feu, ô mon Seigneur. Cher petit enfant élu, combien cette pauvreté accroît mon amour pour toi, car elle te fit également amour pauvre". Voilà la réponse: l'amour pour nous a poussé Jésus non seulement à se faire homme, mais à se faire pauvre. Dans ce même ordre d'idées, nous pouvons citer l'expression de saint Paul dans la deuxième Lettre aux Corinthiens: "Vous connaissez en effet - écrit-il - la libération de notre Seigneur Jésus Christ, qui pour vous s'est fait pauvre, de riche qu'il était, afin de vous enrichir par sa pauvreté" (2Co 8,9). Le témoin exemplaire de cette pauvreté choisie par amour est saint François d'Assise. Le mouvement franciscain, dans l'histoire de l'Eglise et de la civilisation chrétienne, constitue un courant diffus de pauvreté évangélique, qui a produit tant de bien et qui continue d'en faire à l'Eglise et à la famille humaine. En revenant à la merveilleuse synthèse de saint Paul sur Jésus, il est significatif, - également pour notre réflexion d'aujourd'hui - qu'elle ait été inspirée à l'apôtre précisément tandis qu'il exhortait les chrétiens de Corinthe à être généreux dans la collecte en faveur des pauvres. Il explique: "Il ne s'agit point, pour soulager les pauvres, de vous réduire à la gêne; ce qu'il faut, c'est l'égalité" (2Co 8,13).

Il s'agit d'un point décisif, qui nous conduit au deuxième aspect: il existe une pauvreté, une indigence, que Dieu ne désire pas et qui doit être "combattue" - comme le dit le thème de la Journée mondiale de la paix d'aujourd'hui; une pauvreté qui empêche les personnes et les familles de vivre selon leur dignité; une pauvreté qui offense la justice et l'égalité et, comme telle, menace la coexistence pacifique. Dans cette acception négative s'inscrivent également les formes de pauvreté non matérielle que l'on rencontre également dans les sociétés riches et avancées: exclusion, misère relationnelle, morale et spirituelle (cf. Message pour la Journée mondiale de la paix 2009, n. 2). Dans mon Message, j'ai voulu encore une fois, dans le sillage de mes prédécesseurs, analyser attentivement le phénomène complexe de la mondialisation, pour en évaluer les rapports avec la pauvreté sur une large échelle. Face à des plaies diffuses comme les maladies pandémiques (ibid., n. 4), la pauvreté des enfants (ibid., n. 5) et la crise alimentaire (ibid., n. 7), j'ai malheureusement dû recommencer à dénoncer l'inacceptable course aux armements. D'une part, on célèbre la Déclaration universelle des droits de l'homme et, de l'autre, on augmente les dépenses militaires, en violant la Charte des Nations unies elle-même, qui engage à les réduire au minimum (cf. art. 26). En outre, la mondialisation élimine certaines barrières, mais elle peut en construire de nouvelles (Message cit., n. 8), il est donc nécessaire que la communauté internationale et chaque Etat restent toujours vigilants; il est nécessaire qu'ils ne baissent jamais la garde face aux dangers de conflit, et qu'ils s'engagent même à garder un haut niveau de solidarité. La crise économique mondiale actuelle doit être vue dans ce sens également comme un banc d'essai: sommes-nous prêts à la lire, dans sa complexité, comme un défi pour l'avenir et pas seulement comme une urgence à laquelle donner des réponses manquant de souffle? Sommes-nous disposés à effectuer ensemble une révision profonde du modèle de développement dominant, pour la corriger de manière concertée et clairvoyante? En réalité, c'est ce qu'exigent, plus encore que les difficultés financières immédiates, l'état de santé écologique de la planète et en particulier la crise culturelle et morale, dont les symptômes sont depuis longtemps évidents dans chaque partie du monde.

Il est alors nécessaire de chercher à établir un "cercle vertueux" entre la pauvreté "à choisir" et la pauvreté "à combattre". Ici s'ouvre une voie féconde de fruits pour le présent et pour l'avenir de l'humanité, que l'on pourrait résumer ainsi: pour combattre la pauvreté injuste, qui opprime tant d'hommes et de femmes et qui menace la paix de tous, il y a besoin de redécouvrir la sobriété et la solidarité, comme valeurs évangéliques et en même temps universelles. Plus concrètement, on ne peut pas combattre efficacement la misère si l'on ne fait pas ce qu'écrit saint Paul aux Corinthiens, c'est-à-dire si l'on ne cherche pas à "établir l'égalité", en réduisant l'écart entre ceux qui gâchent le superflu et ceux qui manquent même du nécessaire. Cela comporte des choix de justice et de sobriété, des choix qui sont d'ailleurs exigés par l'exigence d'administrer sagement les ressources de la terre qui sont limitées. Quand il affirme que Jésus Christ nous a enrichis "de sa pauvreté", saint Paul offre une orientation importante non seulement sous l'aspect théologique, mais également au niveau sociologique. Non pas dans le sens où la pauvreté est une valeur en soi, mais parce qu'elle est la condition pour accomplir la solidarité. Quand François d'Assise se dépouille de ses biens, il accomplit un choix de témoignage directement inspiré de Dieu, mais dans le même temps il montre à tous la voie de la confiance dans la Providence. Ainsi, dans l'Eglise, le voeu de pauvreté est l'engagement de certains, mais il rappelle à tous l'exigence du détachement des biens matériels et la primauté des richesses de l'esprit. Voilà donc le message à recueillir aujourd'hui: la pauvreté de la naissance du Christ à Bethléem, outre à être un objet d'adoration pour les chrétiens, est également une école de vie pour chaque homme. Elle nous enseigne que pour combattre la misère, aussi bien matérielle que spirituelle, la voie à parcourir est celle de la solidarité, qui a poussé Jésus à partager notre condition humaine.

Chers frères et soeurs, je pense que la Vierge Marie s'est posée plus d'une fois cette question: pourquoi Jésus a-t-il voulu naître d'une jeune fille simple et humble comme moi? Et ensuite, pourquoi a-t-il voulu venir au monde dans une étable et avoir comme première visite celle des bergers de Bethléem? Marie eut pleinement la réponse à la fin, après avoir déposé dans le sépulcre le corps de Jésus, mort et enveloppé de bandes (cf. Lc 23,53). Elle comprit alors totalement le mystère de la pauvreté de Dieu. Elle comprit que Dieu s'était fait pauvre pour nous, pour nous enrichir de sa pauvreté pleine d'amour, pour nous exhorter à freiner l'avidité insatiable qui suscite des luttes et des divisions, pour nous inviter à modérer l'envie de posséder et être ainsi disponibles au partage et à l'accueil réciproque. A Marie, Mère du Fils de Dieu qui s'est fait notre frère, nous adressons avec confiance notre prière, pour qu'elle nous aide à en suivre les traces, à combattre et vaincre la pauvreté, à construire la paix véritable, qui est opus iustitiae. Nous lui confions le profond désir de vivre en paix qui s'élève du coeur de la grande majorité des populations israélienne et palestinienne, encore une fois mise en péril par la violence massive qui a explosé dans la bande de Gaza en réponse à une autre violence. La violence, la haine et le manque de confiance sont également des formes de pauvreté - peut-être les plus terribles - "à combattre". Que celle-ci ne l'emportent pas! En ces tristes jours, les pasteurs de ces Eglises ont fait entendre leurs voix dans ce sens. Avec eux et avec leurs très chers fidèles, en particulier ceux de la petite mais fervente paroisse de Gaza, nous déposons aux pieds de Marie nos préoccupations pour le présent et nos craintes pour l'avenir, mais également l'espérance fondée que, avec la contribution sage et clairvoyante de tous, il ne sera pas impossible de s'écouter, d'aller à la rencontre l'un de l'autre et de donner des réponses concrètes à l'aspiration diffuse de vivre en paix, en sécurité et dans la dignité. Nous disons à Marie: accompagne-nous, Mère céleste du Rédempteur, au cours de toute l'année qui commence aujourd'hui, et obtiens de Dieu le don de la paix pour la Terre Sainte et pour toute l'humanité. Sainte Mère de Dieu prie pour nous. Amen.


MESSE EN LA SOLENNITÉ DE L'ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR Basilique Vaticane - Mardi 6 janvier 2009

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Chers frères et soeurs!

L'Epiphanie, la "manifestation" de notre Seigneur Jésus Christ, est un mystère multiforme. La tradition latine l'identifie avec la visite des rois mages à l'Enfant Jésus à Bethléem, et l'interprète donc surtout comme une révélation du Messie d'Israël aux peuples païens. La tradition orientale en revanche privilégie le moment du baptême de Jésus dans le fleuve Jourdain, lorsqu'il se manifesta comme Fils unique du Père céleste, consacré par l'Esprit Saint. Mais l'Evangile de Jean invite à considérer comme "épiphanie" également les noces de Cana, où Jésus, changeant l'eau en vin, "manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui" (
Jn 2,11). Et que devrions-nous dire, chers frères, en particulier nous, prêtres de la nouvelle Alliance, qui chaque jour sommes témoins et ministres de l'"épiphanie" de Jésus Christ dans la sainte Eucharistie? L'Eglise célèbre tous les mystères du Seigneur dans ce très saint et très humble Sacrement, dans lequel il révèle et cache dans le même temps sa gloire. "Adoro te devote, latens Deitas" - en adorant, ainsi prions-nous avec saint Thomas d'Aquin.

En cette année 2009 qui, à l'occasion du 4 centenaire des premières observations de Galilée au télescope, a été consacrée à l'astronomie, nous ne pouvons manquer de prêter une attention particulière au symbole de l'étoile, si importante dans le récit évangélique des rois mages (cf. Mt 2,1-12). Ceux-ci étaient selon toute probabilité des astronomes. De leur point d'observation, placé à l'Orient par rapport à la Palestine, peut-être en Mésopotamie, ils avaient remarqué l'apparition d'un astre nouveau, et ils avaient interprété ce phénomène céleste comme l'annonce de la naissance d'un roi, précisément, selon les Saintes Ecritures, du roi des Juifs (cf. Nb 24,17). Les Pères de l'Eglise ont vu dans ce singulier épisode raconté par saint Matthieu également une sorte de "révolution" cosmologique, causée par l'entrée dans le monde du Fils de Dieu. Par exemple, saint Jean Chrysostome écrit: "Lorsque l'étoile parvint au-dessus de l'enfant, elle s'arrêta et cela ne pouvait être que le fait d'une puissance que les astres n'ont pas: c'est-à-dire tout d'abord se cacher, puis apparaître à nouveau, et enfin, s'arrêter (Homélie sur l'Evangile de MT 7,3).Saint Grégoire de Nazianze affirme que la naissance du Christ imprima aux astres de nouvelles orbites (cf. Poèmes dogmatiques, v, 53-64: pg 37, 428-429). Ce qu'il faut bien sûr entendre au sens symbolique et théologique. En effet, alors que la théologie païenne divinisait les éléments et les forces du cosmos, la foi chrétienne, en conduisant à son achèvement la révélation biblique, contemple un unique Dieu, Créateur et Seigneur de tout l'univers.

L'amour divin, incarné dans le Christ, est la loi fondamentale et universelle de la création. Cela doit en revanche être entendu non au sens poétique, mais réel. C'est ainsi que l'entendait du reste Dante lui-même, lorsque, dans le vers sublime qui conclut le Paradis et toute la Divine Comédie, il définit Dieu comme "l'amor che move il sole e l'altre stelle", l'amour qui meut le soleil et les autres étoiles (Paradis, XXXIII, 145). Cela signifie que les étoiles, les planètes, l'univers tout entier ne sont pas gouvernés par une force aveugle, ils n'obéissent pas aux dynamiques de la seule matière. Ce ne sont donc pas les éléments cosmiques qui doivent être divinisés, mais, bien au contraire, en toute chose et au-dessus de toute chose, il y a une volonté personnelle, l'Esprit de Dieu, qui dans le Christ s'est révélé comme Amour (cf. Enc. Spe salvi, ). S'il en est ainsi, alors les hommes - comme l'écrit saint Paul aux Colossiens - ne sont pas esclaves des "éléments du monde" (cf. Col 2,8), mais sont libres, c'est-à-dire capables d'entrer en relation avec la liberté créatrice de Dieu. Celui-ci est à l'origine de toute chose et gouverne toute chose non à la manière d'un moteur froid et anonyme, mais comme Père, Epoux, Ami, Frère, comme Logos, "Parole-Raison" qui s'est unie à notre chair mortelle une fois pour toutes et a partagé pleinement notre condition, en manifestant la puissance surabondante de sa grâce. Il y a donc dans le christianisme, une conception cosmologique particulière, qui a trouvé dans la philosophie et dans la théologie médiévales de très hautes expressions. Celle-ci, même à notre époque, donne des signes intéressants d'une nouvelle floraison, grâce à la passion et à la foi d'un grand nombre de scientifiques qui - sur les traces de Galilée - ne renoncent ni à la raison ni à la foi, et les mettent en revanche pleinement en valeur toutes les deux, dans leur fécondité réciproque.

La pensée chrétienne compare l'univers à un "livre" - c'est également ce que disait Galilée -, en le considérant comme l'oeuvre d'un Auteur qui s'exprime à travers la "symphonie" de la création. A l'intérieur de cette symphonie, on trouve, à un certain moment, ce que l'on appellerait en langage musical un "solo", un thème confié à un seul instrument ou à une voix; et il est tellement important que la signification de toute l'oeuvre dépend de lui. Ce "solo" c'est Jésus, à qui correspond, justement, un signe royal: l'apparition d'une nouvelle étoile dans le firmament. Jésus est comparé par les auteurs chrétiens antiques à un nouveau soleil. Selon les connaissances astrophysiques actuelles, nous devrions le comparer à une étoile encore plus centrale, non seulement pour le système solaire, mais pour tout l'univers connu. Dans ce dessein mystérieux, à la fois physique et métaphysique, qui a conduit à l'apparition de l'être humain comme couronnement des éléments de la création, Jésus est venu au monde: "né d'une femme" (Ga 4,4), comme l'écrit saint Paul. Le Fils de l'homme résume en lui la terre et le ciel, la création et le Créateur, la chair et l'Esprit. Il est le centre de l'univers et de l'histoire, parce qu'en Lui s'unissent sans se confondre l'Auteur et son oeuvre.

Dans le Jésus terrestre se trouve le sommet de la création et de l'histoire, mais dans le Christ ressuscité, on va au-delà: le passage, à travers la mort, à la vie éternelle anticipe le point de la "récapitulation" de toute chose dans le Christ (cf. Ep 1,10). Tout, en effet - écrit l'apôtre -, "a été créé par lui et pour lui" (Col 1,16). Et c'est précisément avec la résurrection d'entre les morts, qu'il a obtenu "en tout la primauté" (Col 1,18). Jésus lui-même l'affirme en apparaissant aux disciples après la résurrection: "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre" (Mt 28,18). Cette conscience soutient le chemin de l'Eglise, Corps du Christ, le long des chemins de l'histoire. Aucune ombre, aussi ténébreuse soit-elle, ne peut obscurcir la lumière du Christ. C'est pourquoi chez les croyants dans le Christ, l'espérance ne fait jamais défaut, même aujourd'hui, face à la grande crise sociale et économique qui afflige l'humanité, devant la haine et la violence destructrice qui ne cessent d'ensanglanter de nombreuses régions de la terre, face à l'égoïsme et à la prétention de l'homme de s'ériger en dieu de lui-même, ce qui conduit parfois à de dangereux bouleversements du dessein divin sur la vie et la dignité de l'être humain, sur la famille et l'harmonie de la création. Notre effort en vue de libérer la vie humaine et le monde des empoisonnements et des pollutions qui pourraient détruire le présent et l'avenir, conserve sa valeur et son sens - ai-je déjà souligné dans l'encyclique Spe salvi citée ci-dessus - même si en apparence, nous ne connaissons pas de succès et nous semblons impuissants face aux débordements des forces hostiles parce que "c'est la grande espérance appuyée sur les promesses de Dieu qui, dans les bons moments comme dans les mauvais, nous donne courage et oriente notre agir" ().

La puissance universelle du Christ s'exerce de manière particulière sur l'Eglise. Dieu "a tout mis sous ses pieds - lit-on dans la Lettre aux Ephésiens - et l'a constitué au sommet de tout, Tête pour l'Eglise, laquelle est son Corps, la Plénitude de Celui qui est rempli, tout en tout" (Ep 1,22-23). L'Epiphanie est la manifestation du Seigneur, et par reflet elle est la manifestation de l'Eglise, parce qu'on ne peut pas séparer le Corps de la Tête. La première lecture d'aujourd'hui, extraite de ce que l'on appelle le Troisième Isaïe, nous offre la perspective exacte afin de comprendre la réalité de l'Eglise, en tant que mystère de lumière réfléchie: "Debout! - dit le prophète en s'adressant à Jérusalem - Resplendis! car voici ta lumière, / et sur toi se lève la gloire de Yahvé" (Is 60,1). L'Eglise est une humanité éclairée, "baptisée" dans la gloire de Dieu, c'est-à-dire dans son amour, dans sa beauté, dans sa puissance. L'Eglise sait que son humanité, avec ses limites et ses malheurs, met encore plus en relief l'oeuvre de l'Esprit Saint. Elle ne peut se vanter de rien sinon dans son Seigneur: ce n'est pas d'elle que provient la lumière, la gloire n'est pas la sienne. Mais c'est précisément là qu'est sa joie, que personne ne pourra lui ôter: être "signe et instrument" de Celui qui est "lumen gentium", lumière des peuples (cf. Conc. Vat. ii, Const. dogm. Lumen gentium LG 1).
Chers amis, en cette année paulinienne, la fête de l'Epiphanie invite l'Eglise et, en elle, chaque communauté et chaque fidèle, à imiter, comme le fit l'apôtre des nations, le service que l'étoile rendit aux rois mages d'Orient en les conduisant jusqu'à Jésus (cf. saint Léon le Grand, Disc. 3 pour l'Epiphanie, 5: pl 54, 244). Qu'a été la vie de Paul après sa conversion, sinon une "course" pour apporter aux peuples la lumière du Christ et, inversement, conduire les peuples au Christ? La grâce de Dieu a fait de Paul une "étoile" pour les nations. Son ministère est un exemple et un encouragement pour l'Eglise à se redécouvrir essentiellement missionnaire et à renouveler l'engagement pour l'annonce de l'Evangile, notamment à tous ceux qui ne le connaissent pas encore. Mais, en regardant saint Paul, nous ne pouvons pas oublier que sa prédication était toute nourrie des Ecritures Saintes. C'est pourquoi, dans la perspective de la récente assemblée du Synode des évêques, il faut réaffirmer avec force que l'Eglise et chaque chrétien ne peuvent être une lumière qui conduit vers le Christ, que s'ils se nourrissent assidûment et intimement de la Parole de Dieu. C'est la Parole qui illumine, purifie, convertit, ce n'est certes pas nous. Nous ne sommes que des serviteurs de la Parole de vie. C'est ainsi que Paul concevait sa personne et son ministère: un service à l'Evangile. "Et tout cela je le fais pour l'Evangile" (1Co 9,23). C'est également ce que devrait pouvoir dire l'Eglise, chaque communauté ecclésiale, chaque évêque et chaque prêtre: tout cela, je le fais pour l'Evangile. Chers frères et soeurs, priez pour nous, Pasteurs de l'Eglise, afin que, en assimilant quotidiennement la Parole de Dieu, nous puissions la transmettre fidèlement à nos frères. Mais nous aussi prions pour vous, tous les fidèles, car chaque chrétien est appelé par le baptême et la confirmation à annoncer le Christ lumière du monde, avec la parole et le témoignage de la vie. Que la Vierge Marie, Etoile de l'évangélisation, nous vienne en aide, pour mener à bien cette mission ensemble, et qu'intercède pour nous du ciel saint Paul, apôtre des nations. Amen.



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