Benoît XVI Homélies 14519

CÉLÉBRATION DES VÊPRES AVEC LES ÉVÊQUES, LES PRÊTRES, LES CONSACRÉS ET LES MOUVEMENTS ECCLÉSIAUX

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Basilique supérieure de l'Annonciation - Nazareth - Jeudi 14 mai 2009


Chers Frères Évêques,
Révérend Père Custode,
Chers Frères et Soeurs dans le Christ,

Il est très émouvant pour moi de me trouver avec vous, aujourd’hui, en ce lieu où le Verbe de Dieu s’est fait chair et où il est venu habiter parmi nous. Et comme il est bon que nous nous rassemblions ici pour chanter la prière vespérale de l'Église, rendant à Dieu louange et action de grâce pour les merveilles qu’il a accomplies envers nous ! Je remercie Mgr Nabil El-Sayah pour ses paroles de bienvenue et à travers sa personne je salue tous les membres de la communauté maronite présente en Terre Sainte. Je salue les prêtres, les religieux et les religieuses, les membres des mouvements ecclésiaux et les collaborateurs pastoraux de toute la Galilée. Et je veux une fois encore mentionner avec gratitude le soin avec lequel, au long des siècles, les Frères de la Custodie ont su conserver des lieux saints comme celui-ci. Je salue Sa Béatitude Michel Sabbah, Patriarche latin émérite, qui, pendant plus de vingt ans dans ces régions, a conduit son peuple. Je salue les fidèles du Patriarcat latin et leur Patriarche actuel, Sa Béatitude Fouad Twal, ainsi que les membres de la communauté Grecque-melkite, représentés par Mgr Elias Chacour. En ce lieu où Jésus lui-même a grandi jusqu’à l’âge adulte et a appris l’hébreu, je salue les Chrétiens de langue hébraïque, qui nous rappellent les racines juives de notre foi.

Ce qui est arrivé ici à Nazareth, loin des yeux du monde, est un acte singulier de Dieu, une intervention puissante dans le cours de l’histoire, par laquelle un enfant a été conçu pour apporter le salut au monde entier. La merveille de l’Incarnation ne cesse pas de nous mettre au défi et de nous inviter à ouvrir notre esprit aux possibilités sans limites de la puissance transformante de Dieu, de son amour pour nous, de son désir d’union avec nous. Ici, le Fils éternel et bien-aimé est devenu homme et pour nous, ses frères et ses soeurs, il est devenu possible d’avoir part à sa filiation divine. Ce mouvement d’amour qui s’abaisse et s’anéantit a rendu possible le mouvement d’exaltation par lequel nous sommes élevés au point de partager la vie de Dieu lui-même (cf.
Ph 2,6-11).

L’Esprit qui « est venu sur Marie » (cf. Lc 1,35), est le même Esprit qui planait sur les eaux à l’aube de la Création (cf. Gn 1,2). Cela nous rappelle que l’Incarnation est un acte de nouvelle création. Quand notre Seigneur Jésus Christ a été conçu dans le sein virginal de Marie, Dieu s’est uni à notre humanité créée, entrant alors dans une nouvelle relation permanente avec nous et inaugurant une nouvelle Création. Le récit de l’Annonciation nous montre l’extrême délicatesse de Dieu (cf. Sainte Julienne de Norwich – 1342-1416 – Révélations de l’amour divin, 77-79). Il ne s’impose pas, il ne fait simplement que prédéterminer le rôle que Marie va jouer dans son plan de salut, il sollicite d’abord son consentement. Dans l’acte premier de la Création, il ne pouvait évidemment pas y avoir place pour un consentement de ses créatures, mais pour cette nouvelle Création, c’est ce qu’il fait. Marie représente toute l’humanité. Elle parle en notre nom à tous lorsqu’elle répond à l’invitation de l’ange. Saint Bernard décrit comment toute la cour céleste était suspendue, dans l’attente de son consentement qui devait consommer l’union nuptiale entre Dieu et l’humanité. L’attention de tous les choeurs d’anges était rivée sur ce lieu, où un dialogue s’établit à partir duquel s’écrivit un chapitre nouveau et définitif, de l’histoire du monde. Et Marie dit : « Qu’il m’advienne selon ta parole ! ». Et le Verbe de Dieu se fit chair.

Quand nous réfléchissons sur ce mystère joyeux, cela nous met dans l’espérance, dans l’espérance certaine que Dieu continue à nous rejoindre dans notre histoire, qu’il continue d’agir avec une puissance créatrice afin d’atteindre des buts qui, à vues humaines, semblent impossibles. Nous sommes mis au défit de nous ouvrir à l’action transformante de l’Esprit Créateur qui fait de nous des êtres nouveaux, qui nous fait un avec lui, et nous remplit de sa vie. Et nous sommes invités, avec une exquise courtoisie, à donner notre consentement à sa venue en nous, à accueillir le Verbe de Dieu dans nos coeurs, pour que nous soyons rendus capables de répondre à son amour et de nous ouvrir à l’amour les uns envers les autres.

Dans l’État d’Israël et dans les Territoires Palestiniens, les Chrétiens sont une minorité de la population. Peut-être vous arrive-t-il parfois de penser que votre voix compte peu. Un grand nombre de vos frères chrétiens ont émigré, espérant trouver ailleurs plus de sécurité et de meilleures perspectives. Votre situation fait penser à celle de la jeune Vierge Marie, qui menait une vie cachée à Nazareth, avec bien peu de moyens humains en termes de richesse et d’influence. Et pourtant, si nous reprenons les paroles de Marie dans son splendide hymne de louange, le Magnificat, Dieu a jeté les yeux sur l’abaissement de sa servante, il a comblé de biens les affamés. Puisez force dans les paroles de ce cantique de Marie que nous allons chanter dans un instant en union avec l'Église tout entière à travers le monde ! Ayez le courage d’être fidèles au Christ et demeurer ici, sur cette terre qu’il a sanctifiée par sa présence ! Comme Marie, vous avez un rôle à jouer dans le plan de salut de Dieu, en rendant le Christ présent dans le monde, en étant ses témoins, et en répandant son message de paix et d’unité. Pour cela, il est essentiel que vous soyez unis entre vous, afin que l'Église en Terre Sainte puisse être clairement reconnue comme « le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen gentium LG 1). Votre unité dans la foi, l’espérance et l’amour est un fruit de l’Esprit Saint qui demeure en vous, et qui vous rend capables d’être des instruments efficaces de la paix de Dieu, pour être les artisans d’une réconciliation véritable entre les différents peuples qui reconnaissent en Abraham leur père dans la foi. Car, ainsi que Marie le proclamait joyeusement dans son Magnificat, Dieu se souvient toujours de « son amour, de la promesse à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa race à jamais » (Lc 1,54-55) !

Chers amis dans le Christ, soyez assurés que je me souviens de vous constamment dans mes prières, et je vous demande de faire de même pour moi. Tournons-nous maintenant vers notre Père céleste, qui en ce lieu, s’est penché sur son humble servante, et chantons ses louanges en union avec la bienheureuse Vierge Marie, avec tous les choeurs des anges et des saints, avec toute l'Église aux quatre coins du monde !


VISITE PASTORALE À CASSINO ET À MONT-CASSIN


CONCÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE - Solennité de l’Ascension du Seigneur

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Cassino, Place Miranda - Dimanche 24 mai 2009


Chers frères et soeurs!

"Mais vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit, qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre" (
Ac 1,8). Avec ces mots, Jésus prend congé des Apôtres, comme nous l'avons entendu dans la première Lecture. Immédiatement après, l'auteur sacré ajoute qu'"ils le virent s'élever et disparaître dans une nuée" (Ac 1,9). C'est le mystère de l'Ascension, que nous célébrons aujourd'hui solennellement. Mais qu'est-ce que la Bible et la liturgie désirent nous dire en disant qu'"ils le [Jésus] virent s'élever"? On comprend le sens de cette expression non à partir d'un texte unique, ni même d'un unique livre du Nouveau Testament, mais dans l'écoute attentive de toute l'Ecriture Sainte. L'utilisation du verbe "élever" est en effet d'origine vétérotestamentaire, et il se réfère à l'instauration de la royauté. L'Ascension du Christ signifie donc, en premier lieu, l'établissement du Fils de l'homme crucifié et ressuscité dans la royauté de Dieu sur le monde.

Il existe cependant un sens plus profond, qui n'est pas immédiatement perceptible. Dans la page des Actes des apôtres, il est tout d'abord dit que Jésus fut "élevé" (cf. Ac 1,9), et il est ensuite ajouté qu'"il a été assumé" (cf. Ac 1,11). L'événement est décrit non pas comme un voyage vers le haut, mais plutôt comme une action de la puissance de Dieu, qui introduit Jésus dans l'espace de la proximité divine. La présence de la nuée qui le fit "disparaître à leurs yeux" (Ac 1,9), rappelle une très ancienne image de la théologie vétérotestamenaire, et inscrit le récit de l'ascension dans l'histoire de Dieu avec Israël, de la nuée du Sinaï et au-dessus de la tente de l'alliance du désert, jusqu'à la nuée lumineuse sur le Mont de la Transfiguration. Présenter le Seigneur enveloppé dans la nuée évoque en définitive le même mystère exprimé par le symbolisme de "s'asseoir à la droite de Dieu". Dans le Christ élevé au ciel, l'être humain est entré de manière inouïe et nouvelle dans l'intimité de Dieu; l'homme trouve désormais pour toujours place en Dieu. Le "ciel", ce mot ciel, n'indique pas un lieu au dessus des étoiles, mais quelque chose de beaucoup plus fort et sublime: il indique le Christ lui-même, la Personne divine qui accueille pleinement et pour toujours l'humanité, Celui en qui Dieu et l'homme sont pour toujours inséparablement unis. L'être de l'homme en Dieu, tel est le ciel. Et nous nous approchons du ciel, ou mieux nous entrons au ciel, dans la mesure ou nous nous approchons de Jésus et entrons en communion avec Lui. Aujourd'hui, la solennité de l'Ascension nous invite donc à une communion profonde avec Jésus mort et ressuscité, présent de manière invisible dans la vie de chacun de nous.

Dans cette perspective, nous comprenons pourquoi l'évangéliste Luc affirme que, après l'Ascension, les disciples revinrent à Jérusalem "remplis de joie" (Lc 24,52). La cause de leur joie se trouve dans le fait que ce qui avait eu lieu n'avait pas été, en réalité, un détachement, une absence permanente du Seigneur: ils avaient même au contraire désormais la certitude que le Crucifié-Ressuscité était vivant, et qu'en Lui les portes de Dieu, les portes de la vie éternelle avaient été pour toujours ouvertes à l'humanité. En d'autres termes, son Ascension ne signifiait pas son absence temporaire du monde, mais inaugurait plutôt la forme nouvelle, définitive et inextinguible de sa présence, en vertu de sa participation à la puissance royale de Dieu. C'est précisément à eux, aux disciples, enhardis par la puissance de l'Esprit Saint, qu'il reviendra d'en rendre perceptible la présence à travers le témoignage, la prédication et l'engagement missionnaire. La solennité de l'Ascension du Seigneur devrait nous combler nous aussi de sérénité et d'enthousiasme, précisément comme cela fut le cas pour les Apôtres, qui du Mont des Oliviers repartirent "remplis de joie". Comme eux, nous aussi, en accueillant l'invitation des "deux hommes vêtus de blanc", nous ne devons pas rester à regarder le ciel, mais, sous la direction de l'Esprit Saint, nous devons aller partout et proclamer l'annonce salvifique de la mort et de la résurrection du Christ. Ces paroles qui terminent l'Evangile de saint Matthieu nous accompagnent et nous réconfortent: "Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde" (Mt 28,19).

Chers frères et soeurs, le caractère historique du mystère de la résurrection et de l'ascension du Christ nous aide à reconnaître et à comprendre la situation transcendante de l'Eglise, qui n'est pas née et qui ne vit pas pour suppléer l'absence de son Seigneur "disparu", mais qui trouve au contraire la raison de son être et de sa mission dans la présence permanente bien qu'invisible de Jésus, une présence agissant avec la puissance de son Esprit. En d'autres termes, nous pourrions dire que l'Eglise n'exerce pas la fonction de préparer le retour d'un Jésus "absent", mais, au contraire, elle vit et elle oeuvre pour en proclamer la "présence glorieuse" de manière historique et existentielle. Depuis le jour de l'Ascension, chaque communauté chrétienne avance dans son itinéraire terrestre vers l'accomplissement des promesses messianiques, alimentée par la Parole de Dieu et nourrie par le Corps et le Sang de son Seigneur. Telle est la condition de l'Eglise - rappelle le Concile Vatican ii - alors qu'"elle avance dans son pèlerinage à travers les persécutions du monde et les consolations de Dieu, annonçant la croix et la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne" (Lumen gentium LG 8).

Frères et soeurs de cette chère communauté diocésaine, la solennité d'aujourd'hui nous exhorte à renforcer notre foi dans la présence réelle de Jésus dans l'histoire; sans Lui nous ne pouvons rien accomplir d'efficace dans notre vie et dans notre apostolat. Comme le rappelle l'apôtre Paul dans la deuxième lecture, "les dons qu'il a faits aux hommes, ce sont d'abord les Apôtres, puis les prophètes et les missionnaires de l'Evangile, et aussi les pasteurs et ceux qui enseignent. De cette manière le peuple saint est organisé pour que les tâches du ministère soient accomplies et se construise le corps du Christ" (Ep 4,11-12) c'est-à-dire l'Eglise. Et cela pour parvenir "à l'unité dans la foi et la vraie connaissance du Fils de Dieu" (Ep 4,13), la vocation commune de tous étant d'être appelés "à une seule espérance, de même qu'il n'y a qu'un seul Corps et qu'un seul Esprit" (Ep 4,4). C'est dans cette optique que se situe ma visite d'aujourd'hui qui, comme l'a rappelé votre pasteur, a pour objectif de vous encourager à "construire, fonder et réédifier" sans cesse votre communauté diocésaine sur le Christ. Comment? Saint Benoît lui-même nous l'indique, en recommandant dans sa Règle de ne rien placer avant le Christ: "Christo nihil omnino praeponere" (RB 72,11).

Je rends donc grâce à Dieu pour le bien qu'accomplit votre communauté, sous la direction de son pasteur, le père abbé dom Pietro Vittorelli, que je salue avec affection et que je remercie pour les paroles courtoises qu'il m'a adressées en votre nom à tous. Avec lui, je salue la communauté monastique, les évêques, les prêtres, les religieux et les religieuses présents. Je salue les autorités civiles et militaires, en premier lieu le maire, auquel je suis reconnaissant pour les paroles de bienvenue qu'il m'a adressées en m'accueillant sur cette Place Miranda qui, à partir d'aujourd'hui, même si je n'en suis pas digne, portera mon nom. Je salue les catéchistes, les agents de la pastorale, les jeunes et tous ceux qui, de diverses façons, ont à coeur de diffuser l'Evangile sur cette terre chargée d'histoire, qui a connu des moments de grande souffrance au cours de la seconde guerre mondiale. Les nombreux cimetières qui entourent votre ville ressuscitée, parmi lesquels je rappelle en particulier les cimetières polonais, allemand et celui du Commonwealth, en sont les témoins silencieux. Mon salut s'étend enfin à tous les habitants de Cassino et des villes voisines: qu'à chacun, en particulier aux malades et aux personnes qui souffrent, parvienne l'assurance de mon affection et de ma prière.

Chers frères et soeurs, nous sentons retentir au cours de notre célébration l'appel de saint Benoît à garder notre coeur fixé sur le Christ, à ne rien placer avant Lui. Cela ne nous distrait pas, au contraire, cela nous pousse encore davantage à nous engager pour construire une société où la solidarité s'exprime à travers des signes concrets. Mais comment? La spiritualité bénédictine, que vous connaissez bien, propose un programme évangélique résumé dans la devise: ora et labora et lege, la prière, le travail, la culture. Avant tout la prière, qui est le plus bel héritage laissé par saint Benoît aux moines, mais également à votre Eglise particulière: à votre clergé, en grande partie formé au séminaire diocésain, dont le siège a été pendant des siècles dans cette même Abbaye du Mont-Cassin, aux séminaristes, aux nombreuses personnes éduquées dans les écoles et dans les "patronages" bénédictins et dans vos paroisses, à vous tous qui vivez sur cette terre. En élevant le regard de chaque village et contrée du diocèse, vous pouvez admirer l'appel constant au ciel que représente le monastère du Mont-Cassin, vers lequel vous montez chaque année en procession à la veille de la Pentecôte. La prière, à laquelle chaque matin le tintement grave de la cloche de saint Benoît invite les moines, est le sentier silencieux qui nous conduit directement au coeur de Dieu; c'est le souffle de l'âme qui nous redonne la paix au cours des tempêtes de la vie. En outre, à l'école de saint Benoît, les moines ont toujours cultivé un amour particulier pour la Parole de Dieu dans la lectio divina, devenue aujourd'hui patrimoine commun de nombreuses personnes. Je sais que votre Eglise diocésaine, en faisant siennes les indications de la conférence épiscopale italienne, consacre un grand soin à l'approfondissement biblique, et a même inauguré un itinéraire d'étude des Ecritures Saintes, consacré cette année à l'évangéliste Marc et qui se poursuivra au cours des quatre prochaines années pour se conclure, si Dieu le veut, par un pèlerinage diocésain en Terre Sainte. Puisse l'écoute attentive de la Parole divine alimenter votre prière et faire de vous des prophètes de vérité et d'amour dans un engagement commun d'évangélisation et de promotion humaine.

Un autre point central de la spiritualité bénédictine est le travail. Humaniser le monde du travail est typique de l'âme du monachisme, et cela représente également l'effort de votre communauté qui entend rester aux côtés des nombreux travailleurs de la grande industrie présente à Cassino et des entreprises qui y sont liées. Je sais combien la situation de nombreux ouvriers est critique. J'exprime ma solidarité à tous ceux qui vivent dans une précarité préoccupante, aux travailleurs au chômage technique, ou même licenciés. Que la blessure du chômage qui frappe ce territoire pousse les responsables des affaires publiques, les entrepreneurs et tous ceux qui en ont la possibilité à rechercher, avec la contribution de tous, des solutions justes à la crise de l'emploi, en créant de nouveaux emplois pour protéger les familles. A ce propos, comment ne pas rappeler que la famille a aujourd'hui un besoin urgent d'être mieux protégée, car elle est profondément menacée dans les racines mêmes de son institution? Je pense également aux jeunes qui ont des difficultés à trouver une activité professionnelle digne qui leur permette de construire une famille. Je voudrais leur dire: ne vous découragez pas, chers amis, l'Eglise ne vous abandonne pas! Je sais que 25 jeunes au moins de votre diocèse ont participé à la Journée mondiale de la jeunesse à Sydney: en tirant profit de cette extraordinaire expérience spirituelle, soyez un levain évangélique parmi vos amis et les jeunes de votre âge; avec la force de l'Esprit Saint, soyez les nouveaux missionnaires sur cette terre de saint Benoît!

Enfin, l'attention au monde de la culture et de l'éducation appartient également à votre tradition. Les célèbres archives et la bibliothèque du Mont-Cassin rassemblent d'innombrables témoignages de l'engagement d'hommes et de femmes qui ont médité et recherché la façon d'améliorer la vie spirituelle et matérielle de l'homme. Dans votre abbaye, on touche du doigt le "quaerere Deum", c'est-à-dire le fait que la culture européenne a été la recherche de Dieu et la disponibilité à se mettre à son écoute. Et cela vaut également à notre époque. Je sais que vous oeuvrez dans ce même esprit è l'université et dans les écoles, afin qu'elles deviennent des ateliers de connaissance, de recherche, de passion pour l'avenir des nouvelles générations. Je sais également que, en préparation à ma visite, vous avez récemment tenu un congrès sur le thème de l'éducation pour solliciter chez chacun la profonde détermination à transmettre aux jeunes les valeurs incontournables de notre patrimoine humain et chrétien. Dans l'effort culturel actuel, visant à créer un nouvel humanisme, fidèles à la tradition bénédictine, vous voulez à juste titre souligner également l'attention à l'homme fragile, faible, aux porteurs de handicap et aux immigrés. Et je vous suis reconnaissant de me donner la possibilité d'inaugurer aujourd'hui la "Maison de la Charité", où l'on édifie de façon concrète une culture attentive à la vie.

Chers frères et soeurs! Il n'est pas difficile de percevoir que votre communauté, cette portion de l'Eglise qui vit autour du Mont-Cassin, est l'héritière et la dépositaire de la mission, imprégnée par l'esprit de saint Benoît, de proclamer que dans notre vie, rien ni personne ne doit ôter la première place à Jésus; la mission d'édifier, au nom du Christ, une nouvelle humanité à l'enseigne de l'accueil et de l'aide aux plus faibles. Que vous aide et vous accompagne votre saint patriarche, avec sainte Scolastique, sa soeur; que vous protègent les saints patrons et surtout Marie, Mère de l'Eglise et Etoile de notre espérance. Amen!


VÊPRES AVEC LES ABBÉS ET LES ABBESSES ET LA COMMUNAUTÉ DES MOINES ET DE MONIALES BÉNÉDICTINS

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Basilique du Mont-Cassin - Dimanche 24 mai 2009

Chers frères et soeurs de la grande famille bénédictine!

En conclusion de ma visite, je suis particulièrement heureux de m'arrêter dans ce lieu sacré, dans cette abbaye, détruite et reconstruite quatre fois, la dernière fois après les bombardements de la deuxième guerre mondiale il y a 65 ans. "Succisa virescit": la devise de son nouveau blason en montre bien l'histoire. L'abbaye du Mont-Cassin, comme un chêne séculaire planté par saint Benoît, a été "élaguée" par la violence, mais elle a ressuscité plus vigoureuse. Plus d'une fois, j'ai eu moi aussi l'opportunité de profiter de l'hospitalité des moines, et dans cette abbaye, j'ai passé des moments inoubliables de sérénité et de prière. Ce soir, nous y sommes entrés en chantant les Laudes regiae pour célébrer ensemble les vêpres de la solennité de l'Ascension de Jésus. J'exprime à chacun de vous ma joie de partager ce moment de prière, en vous saluant tous avec affection, reconnaissant de l'accueil que vous m'avez réservé, ainsi qu'à ceux qui m'accompagnent dans ce pèlerinage apostolique. En particulier, je salue l'abbé dom Pietro Vittorelli, qui s'est fait l'interprète de vos sentiments communs. J'étends mon salut aux abbés, aux abbesses et aux communautés bénédictines ici présentes.

Aujourd'hui, la liturgie nous invite à contempler le mystère de l'Ascension du Seigneur. Dans la brève lecture, tirée de la Première lettre de Pierre, nous avons été exhortés à fixer notre regard sur notre Rédempteur, qui est "mort pour les péchés, une fois pour toutes" afin de nous reconduire à Dieu, à la droite duquel il se trouve "après être monté au ciel, au-dessus des anges et de toutes les puissances invisibles" (cf.
1P 3,18 1P 3,22). "Elevé en-haut" et rendu invisible aux yeux de ses disciples, Jésus ne les a toutefois pas abandonnés: en effet, "dans sa chair, il a été mis à mort; dans l'esprit, il a été rendu à la vie" (1P 3,18), Il est maintenant présent de manière nouvelle, intérieure, chez les croyants, et en Lui le salut est offert à chaque être humain sans différence de peuple, de langue et de culture. La Première lettre de Pierre contient des références précises aux événements christologiques fondamentaux de la foi chrétienne. La préoccupation de l'Apôtre est celle de mettre en lumière la portée universelle du salut en Christ. Nous trouvons une préoccupation analogue chez saint Paul, dont nous célébrons le bimillénaire de la naissance, lorsqu'il écrit à la communauté de Corinthe: "Car le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n'aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux" (2Co 5,15).

Ne plus vivre pour soi-même, mais pour le Christ: voilà ce qui donne un sens plénier à la vie de celui qui se laisse conquérir par Lui. Cela apparaît clairement dans l'histoire humaine et spirituelle de saint Benoît, qui, abandonnant tout, se plaça fidèlement à la suite de Jésus Christ. En incarnant l'Evangile dans sa propre existence, il est devenu l'initiateur d'un vaste mouvement de renaissance spirituelle et culturelle en Occident. Je voudrais ici mentionner un événement extraordinaire de sa vie, rapporté par son biographe saint Grégoire le Grand, et que vous connaissez certainement bien. On pourrait presque dire que le saint patriarche fut également "élevé en-haut" lors d'une expérience mystique indescriptible. Dans la nuit du 29 octobre 540 - lit-on dans sa biographie -, alors que, penché à la fenêtre, "avec les yeux fixés sur les étoiles, il s'absorbait dans la contemplation divine, le saint sentit que son coeur s'enflammait... Pour lui, le firmament étoilé était comme la tenture brodée qui révélait le Saint des Saints. A un moment donné, son âme se sentit transportée de l'autre côté du voile, pour contempler dévoilé le visage de Celui qui habite dans une lumière inaccessible" (cf. A.I. Schuster, Storia di San Benedetto et dei suoi tempi, éd. Abbazia di Viboldone, Milan, 1965, pp. 11sq.). Assurément, de même que ce fut le cas pour Paul après son ravissement au ciel, pour saint Benoît aussi, précisément à la suite de cette extraordinaire expérience spirituelle, une vie nouvelle dut commencer. En effet, si la vision fut passagère, les effets demeurèrent, sa physionomie elle-même - rapportent les biographes - en fut modifiée, son aspect resta toujours serein et son allure angélique et on comprenait qu'avec le coeur, bien que vivant sur la terre, il était déjà au paradis.

Saint Benoît ne reçut certainement pas ce don divin pour satisfaire sa curiosité intellectuelle, mais plutôt pour que le charisme dont Dieu l'avait doté ait la capacité de reproduire dans le monastère la vie même du ciel et d'y rétablir l'harmonie de la création à travers la contemplation et le travail. C'est donc à juste titre que l'Eglise le vénère comme "maître éminent de vie monastique" et "docteur de sagesse spirituelle dans l'amour pour la prière et le travail"; "guide resplendissant des peuples à la lumière de l'Evangile" qui, "élevé au ciel par une voie lumineuse", enseigne aux hommes de tous les temps à chercher Dieu et les richesses éternelles qu'Il a préparées (cf. Préface du saint dans le supplément monastique au MR, 1980, 153).

Oui, Benoît fut un exemple lumineux de sainteté et il indiqua le Christ aux moines comme unique grand idéal; il fut un maître de civilisation qui, proposant une vision équilibrée et adaptée des exigence divines et des finalités ultimes de l'homme, garda toujours à l'esprit également les nécessités et les raisons du coeur, pour enseigner et susciter une fraternité authentique et constante, afin que dans l'ensemble des rapports sociaux, on ne perde pas de vue une unité d'esprit capable de construire et de nourrir sans cesse la paix. Ce n'est pas un hasard si le mot pax accueille les pèlerins et les visiteurs aux portes de cette abbaye, reconstruite après le terrible désastre de la deuxième guerre mondiale; celle-ci s'élève comme un avertissement silencieux pour rejeter toute forme de violence afin de construire la paix: dans les familles, dans les communautés, entre les peuples et dans l'humanité tout entière. Saint Benoît invite toutes les personnes qui gravissent ce Mont à rechercher la paix et à la suivre: "inquire pacem et sequere eam (Ps 33,14-15)" (Règle, Prologue, 17).

A son école, les monastères sont devenus, au cours des siècles, de fervents centres de dialogue, de rencontre et de fusion bénéfique entre peuples différents, unifiés par la culture évangélique de la paix. Les moines ont su enseigner par la parole et par l'exemple l'art de la paix, en réalisant de manière concrète les trois "liens" que Benoît indique comme nécessaires pour conserver l'unité de l'Esprit entre les hommes: la Croix, qui est la loi même du Christ; le livre, c'est-à-dire la culture; et la charrue, qui indique le travail, la domination sur la matière et sur le temps. Grâce à l'activité des monastères, articulée selon le triple engagement quotidien de la prière, de l'étude et du travail, des peuples entiers du continent européen ont connu un authentique rachat et un développement moral, spirituel et culturel bénéfique, en s'éduquant au sens de la continuité avec le passé, à l'action concrète pour le bien commun, à l'ouverture vers Dieu et la dimension transcendante. Prions afin que l'Europe sache toujours valoriser ce patrimoine de principes et d'idéaux chrétiens qui constitue une immense richesse culturelle et spirituelle.

Cela n'est cependant possible que si l'on accueille l'enseignement constant de saint Benoît, c'est-à-dire le "quaerere Deum", chercher Dieu, comme engagement fondamental de l'homme. L'être humain ne se réalise pas pleinement, ne peut pas être véritablement heureux sans Dieu. C'est en particulier à vous qu'il revient, chers moines, d'être des exemples vivants de cette relation intérieure et profonde avec Lui, en accomplissant sans compromis le programme que votre fondateur a résumé dans le "nihil amori Christi praeponere", "ne rien placer avant l'amour pour Dieu" (Règle RB 4,21). C'est en cela que consiste la sainteté, proposition valable pour chaque chrétien, plus que jamais à notre époque, où l'on ressent la nécessité d'ancrer la vie et l'histoire à de solides références spirituelles. C'est pourquoi, chers frères et soeurs, votre vocation est plus que jamais actuelle et votre mission de moines est indispensable.

De ce lieu, où repose sa dépouille mortelle, le saint Patron de l'Europe continue à inviter chacun à poursuivre son oeuvre d'évangélisation et de promotion humaine. Il vous encourage tout d'abord vous, chers moines, à rester fidèles à l'esprit des origines et à être des interprètes authentiques de son programme de renaissance spirituelle et sociale. Que le Seigneur vous accorde ce don, par l'intercession de votre saint fondateur, de sa soeur sainte Scolastique et des saints et des saintes de l'ordre. Et que la Mère céleste du Seigneur, que nous invoquons aujourd'hui en tant qu'"Auxiliatrice des chrétiens", veille sur vous et protège cette abbaye et tous vos monastères, ainsi que la communauté diocésaine qui vit autour du Mont-Cassin. Amen!


CHAPELLE PAPALE EN LA SOLENNITÉ DE PENTECÔTE Basilique Vaticane - Dimanche 31 mai 2009

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Chers frères et soeurs!

A chaque fois que nous célébrons l'Eucharistie, nous vivons dans la foi le mystère qui s'accomplit sur l'autel, c'est-à-dire que nous participons à l'acte suprême d'amour que le Christ a réalisé par sa mort et sa résurrection. Le même et l'unique centre de la liturgie et de la vie chrétienne - le mystère pascal - assume ensuite, dans les différentes solennités et fêtes, des "formes" spécifiques, avec des significations différentes et des dons de grâce particuliers. Parmi toutes les solennités, la Pentecôte se distingue par son importance, parce qu'en elle se réalise ce que Jésus lui-même avait annoncé comme étant le but de toute sa mission sur la terre. En effet, alors qu'il montait à Jérusalem, il avait déclaré à ses disciples: "Je suis venu jeter un feu sur la terre et comme je voudrais que déjà il fût allumé!" (
Lc 12,49). Ces paroles trouvent leur réalisation la plus évidente cinquante jours après la résurrection, à Pentecôte, antique fête juive qui, dans l'Eglise, est devenue par excellence la fête de l'Esprit Saint: "Ils virent apparaître des langues qu'on eût dites de feu;... Tous furent alors remplis de l'Esprit Saint" (Ac 2,3-4). Le feu véritable, l'Esprit Saint, a été apporté sur la terre par le Christ. Il ne l'a pas arraché aux dieux, comme le fit Prométhée, selon le mythe grec, mais il s'est fait le médiateur du "don de Dieu" et il l'a obtenu pour nous, par le plus grand acte d'amour de l'histoire: sa mort sur la croix.

Dieu veut continuer à donner ce "feu" à chaque génération humaine, et naturellement, il est libre de le faire quand et comme il le veut. Il est esprit, et l'esprit "souffle où il veut" (cf. Jn 3,8). Mais il y a une "voie normale" que Dieu a choisie pour "jeter le feu sur la terre": cette voie c'est Jésus, son Fils unique incarné, mort et ressuscité. A son tour, Jésus a constitué l'Eglise comme son Corps mystique, afin qu'elle prolonge sa mission dans l'histoire. "Recevez l'Esprit Saint" - a-t-il dit aux Apôtres au soir de la résurrection, en accompagnant ces paroles par un geste expressif: il a "soufflé" sur eux (cf. Jn 20,22). Il a ainsi montré qu'il leur transmettait son Esprit, l'Esprit du Père et du Fils. Et maintenant, chers frères et soeurs, dans la solennité d'aujourd'hui, l'Ecriture nous dit encore une fois comment doit être la communauté, comment nous devons être, pour recevoir le don de l'Esprit Saint. Dans le récit, qui décrit l'événement de Pentecôte, l'auteur sacré rappelle que les disciples "se trouvaient tous ensemble en un seul lieu". Ce "lieu" est le Cénacle, la "chambre haute", où Jésus avait tenu la Dernière Cène avec ses apôtres, où il leur était apparu, ressuscité; cette pièce qui était devenue pour ainsi dire le "siège" de l'Eglise naissante (cf. Ac 1,13). Cependant, plutôt que d'insister sur le lieu physique, les Actes des Apôtres veulent faire remarquer l'attitude intérieure des disciples: "Tous d'un même coeur étaient assidus à la prière" (Ac 1,14). Donc, la concorde entre les disciples est la condition pour que vienne l'Esprit Saint; et le présupposé de la concorde est la prière.

Chers frères et soeurs, cela vaut aussi pour l'Eglise d'aujourd'hui, cela vaut pour nous, qui sommes ici réunis. Si nous ne voulons pas que Pentecôte se réduise à un simple rite ou à une commémoration, même suggestive, mais qu'elle soit un événement actuel de salut, nous devons nous préparer dans une attente religieuse au don de Dieu, par l'écoute humble et silencieuse de sa Parole. Pour que Pentecôte se renouvelle à notre époque, il faut peut-être - sans rien ôter à la liberté de Dieu - que l'Eglise soit moins "essoufflée" par les activités et davantage consacrée à la prière. C'est ce que nous enseigne la Mère de l'Eglise, la Très Sainte Vierge Marie, Epouse de l'Esprit Saint. Cette année, Pentecôte tombe justement le dernier jour du mois de mai, où l'on célèbre habituellement la fête de la Visitation. Celle-ci fut aussi une sorte de petite "pentecôte" qui fit jaillir la joie et la louange des coeurs d'Elisabeth et de Marie, l'une stérile, et l'autre vierge, devenues ensemble mères grâce à une intervention divine extraordinaire (cf. Lc 1,41-45). La musique et le chant qui accompagnent notre liturgie, nous aident eux aussi à être unanimes dans la prière, et c'est pourquoi j'exprime ma vive reconnaissance au choeur de la cathédrale et à l'orchestre de chambre (Kammerorchester) de Cologne. Pour cette liturgie, à l'occasion du bicentenaire de la mort de Joseph Haydn, a été choisie de façon très opportune son Harmoniemesse, la dernière des "Messes" composées par ce grand musicien, une symphonie sublime à la gloire de Dieu. A vous tous, venus pour cette circonstance, j'adresse mon salut le plus cordial.

Pour désigner l'Esprit Saint, dans le récit de Pentecôte, les Actes des Apôtres utilisent deux grandes images: l'image de la tempête et celle du feu. Il est clair que saint Luc a à l'esprit la théophanie du Sinaï, racontée dans les livres de l'Exode (Ex 19,16-19) et du Deutéronome (Dt 4,10-12 Dt 4,36). Dans le monde antique, la tempête était vue comme le signe de la puissance divine, devant laquelle l'homme se sentait subjugué et empli de crainte. Mais je voudrais souligner aussi un autre aspect: la tempête est décrite comme un "vent impétueux" et cela fait penser à l'air qui différencie notre planète des autres astres et nous permet d'y vivre. Ce que l'air est à la vie biologique, l'Esprit Saint l'est à la vie spirituelle; et de même qu'il existe une pollution atmosphérique qui empoisonne l'environnement et les êtres vivants, de même il existe une pollution du coeur et de l'esprit qui étouffe et empoisonne l'existence spirituelle. De même qu'il ne faut pas s'habituer aux poisons de l'air - c'est pourquoi l'engagement écologique représente aujourd'hui une priorité -, on devrait faire tout autant pour ce qui corrompt l'esprit. Il semble au contraire que l'on s'habitue sans difficulté à de nombreux produits qui polluent l'esprit et le coeur et qui circulent dans notre société - par exemple les images qui transforment en spectacle le plaisir, la violence ou le mépris de l'homme et de la femme. Cela aussi est une forme de liberté, dit-on, sans reconnaître que tout cela pollue, intoxique l'esprit, surtout des nouvelles générations, et finit ensuite par conditionner la liberté elle-même. La métaphore du vent impétueux de Pentecôte fait penser au contraire à quel point il est précieux de respirer un air propre, un air physique, avec les poumons, et un air spirituel, avec le coeur, l'air sain de l'esprit qui est l'amour!

L'autre image de l'Esprit Saint que nous trouvons dans les Actes des Apôtres est le feu. J'ai mentionné au début l'opposition entre Jésus et la figure mythologique de Prométhée, qui rappelle un aspect caractéristique de l'homme moderne. S'étant emparé des énergies du cosmos - le "feu" - l'être humain semble aujourd'hui s'affirmer comme un dieu et vouloir transformer le monde en excluant, en mettant de côté, ou même en refusant le Créateur de l'univers. L'homme ne veut plus être image de Dieu, mais de lui-même; il se déclare autonome, libre et adulte. Il est évident qu'une telle attitude révèle un rapport non authentique avec Dieu, conséquence d'une fausse image qu'il s'est faite de Lui, comme l'enfant prodigue de la parabole évangélique qui croit se réaliser lui-même en s'éloignant de la maison de son père. Entre les mains d'un tel homme, le "feu" et ses immenses potentialités deviennent dangereux: ils peuvent se retourner contre la vie et contre l'humanité elle-même, comme hélas le démontre l'histoire. Les tragédies de Hiroshima et de Nagasaki, dans lesquelles l'énergie atomique, utilisée à des fins belliqueuses, a fini par semer la mort dans des proportions inouïes, en représentent une mise en garde constante.

En vérité, on pourrait trouver de nombreux exemples, moins graves et pourtant tout aussi symptomatiques dans la réalité de chaque jour. L'Ecriture Sainte nous révèle que l'énergie capable de mettre le monde en mouvement n'est pas une force anonyme et aveugle, mais l'action de "l'Esprit de Dieu qui planait sur les eaux" (Gn 1,2) au début de la création. Et Jésus Christ a "apporté sur la terre" non pas la force vitale qui l'habitait déjà, mais l'Esprit Saint, c'est-à-dire l'amour de Dieu qui "renouvelle la face de la terre" en la purifiant du mal et en la libérant de la domination de la mort (cf. Ps 103,29-30/104, 29-30). Ce "feu" pur, essentiel et personnel, le feu de l'amour est descendu sur les apôtres, réunis dans la prière avec Marie au Cénacle, pour faire de l'Eglise le prolongement de l'oeuvre rénovatrice du Christ.

Enfin, une dernière réflexion tirée du récit des Actes des Apôtres: l'Esprit Saint vainc la peur. Nous savons que les disciples s'étaient réfugiés au Cénacle après l'arrestation de leur Maître et y étaient restés enfermés par peur de subir le même sort. Après la résurrection de Jésus, leur peur ne disparaît pas à l'improviste. Mais voilà qu'à Pentecôte, lorsque l'Esprit Saint se posa sur eux, ces hommes sortirent sans peur et commencèrent à annoncer à tous la bonne nouvelle du Christ crucifié et ressuscité. Ils n'avaient pas peur, parce qu'ils se sentaient entre les mains du plus fort. Oui, chers frères et soeurs, l'Esprit de Dieu, là où il entre, chasse la peur; il nous fait savoir et sentir que nous sommes entre les mains d'une Toute-Puissance d'amour: quoi qu'il arrive, son amour infini ne nous abandonne pas. C'est ce que montrent le témoignage des martyrs, le courage des confesseurs de la foi, l'élan intrépide des missionnaires, la franchise des prédicateurs, l'exemple de tous les saints, certains même adolescents et enfants. C'est ce que révèle l'existence même de l'Eglise, qui, en dépit des limites et des fautes des hommes, continue de traverser l'océan de l'histoire, poussée par le souffle de Dieu, et animée par son feu purificateur. Avec cette foi et cette joyeuse espérance, nous répétons aujourd'hui, par l'intercession de Marie: "Envoie ton Esprit, Seigneur, qu'il renouvelle la face de la terre".



Benoît XVI Homélies 14519