Benoît XVI Homélies 11069

MESSE ET PROCESSION EUCHARISTIQUE DE CORPUS DOMINI

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Parvis de la basilique Saint-Jean-de-Latran - Jeudi 11 juin 2009


"Ceci est mon corps, ceci est mon sang"

Chers frères et soeurs,


Ces paroles que Jésus prononça au cours de la Dernière Cène, sont répétées à chaque fois que se renouvelle le Sacrifice eucharistique. Nous les avons écoutées il y a quelques instants dans l'Evangile de Marc et elles retentissent avec une puissance évocatrice particulière aujourd'hui, en la solennité du Corpus Domini. Elles nous conduisent idéalement au Cénacle, elles nous font revivre le climat spirituel de cette nuit lorsque, célébrant la Pâque avec les siens, le Seigneur anticipa dans le mystère le sacrifice qui devait se consumer le lendemain sur la croix. L'institution de l'Eucharistie nous apparaît ainsi comme une anticipation et une acceptation de la part de Jésus de sa mort. Saint Ephrem de Syrie écrit à ce propos: au cours de la Cène, Jésus s'immola; sur la croix, Il fut immolé par les autres (cf. Hymne sur la crucifixion, 3, 1).

"Ceci est mon sang". Ici la référence au langage sacrificiel d'Israël est clair. Jésus se présente comme le sacrifice véritable et définitif, dans lequel se réalise l'expiation des péchés qui, dans les rites de l'Ancien Testament, n'avait jamais été totalement accomplie. A cette expression s'en ajoutent deux autres très significatives. Tout d'abord, Jésus Christ dit que son sang "est versé pour la multitude" avec une référence compréhensible aux chants du Serviteur, qui se trouvent dans le livre d'Isaïe (cf.
Is 53). Avec l'ajout - "sang de l'alliance" -, Jésus manifeste en outre que, grâce à sa mort, se réalise la prophétie de la nouvelle alliance fondée sur la fidélité et sur l'amour infini du Fils fait homme, une alliance donc plus forte que tous les péchés de l'humanité. L'antique alliance avait été établie sur le Sinaï à travers un rite sacrificiel d'animaux, comme nous l'avons écouté dans la première lecture, et le peuple élu, libéré de l'esclavage d'Egypte, avait promis d'accomplir tous les commandements donnés par le Seigneur (cf. Ex 24,3).

En vérité, dès le début, Israël, en construisant le veau d'or, se montra incapable de rester fidèle à cette promesse et de même au pacte en question, qu'elle transgressa même très souvent par la suite, adaptant à son coeur de pierre la Loi qui aurait dû lui enseigner le chemin de la vie. Mais le Seigneur ne manqua pas à sa promesse et, à travers les prophètes, se préoccupa de rappeler la dimension intérieure de l'alliance, et annonça qu'il en aurait écrit une nouvelle dans le coeur de ses fidèles (cf. Jr 31,33), les transformant par le don de l'Esprit (cf. Ez 36,25-27). Et ce fut au cours de la Dernière Cène qu'il établit avec les disciples et avec l'humanité cette nouvelle alliance, la confirmant non pas à travers des sacrifices d'animaux, comme cela avait eu lieu par le passé, mais par son sang, devenu "sang de la nouvelle alliance". Il la fonda donc sur son obéissance, plus forte, comme je l'ai dit, que tous nos péchés.

Cela est bien mis en évidence dans la deuxième lecture, tirée de la Lettre aux Hébreux, dans laquelle le saint auteur déclare que Jésus est "médiateur d'une nouvelle alliance" (He 9,15). Il l'est devenu grâce à son sang, ou, plus exactement, grâce au don de lui-même, qui donne sa pleine valeur à l'effusion de son sang. Sur la croix, Jésus est dans le même temps victime et prêtre: victime digne de Dieu car sans tache, et prêtre suprême qui s'offre lui-même, sous l'impulsion de l'Esprit Saint, et intercède pour toute l'humanité. La Croix est donc le mystère d'amour et de salut qui nous purifie - comme le dit la Lettre aux Hébreux - des "oeuvres mortes", c'est-à-dire des péchés, et elle nous sanctifie en gravant l'alliance nouvelle dans notre coeur; l'Eucharistie, en rendant présent le sacrifice de la Croix, nous rend aptes à vivre fidèlement la communion avec Dieu.

Chers frères et soeurs - que je salue avec affection, en commençant par le cardinal-vicaire et les autres cardinaux et évêques ici présents - comme le peuple élu réuni dans l'assemblée du Sinaï, nous aussi, nous voulons répéter ce soir notre fidélité au Seigneur. Il y a quelques jours, en inaugurant le congrès diocésain annuel, j'ai rappelé l'importance de demeurer, comme Eglise, à l'écoute de la Parole de Dieu dans la prière et en scrutant les Ecritures, en particulier à travers la pratique de la lectio divina, c'est-à-dire la lecture méditée et adorante de la Bible. Je sais que de nombreuses initiatives ont été promues à cet égard dans les paroisses, dans les séminaires, dans les communautés religieuses, au sein des confraternités, des associations et des mouvements apostoliques, qui enrichissent notre communauté diocésaine. Aux membres de ces multiples organismes ecclésiaux, j'adresse mon salut fraternel. Votre présence nombreuse à cette célébration, chers amis, met en lumière le fait que notre communauté, caractérisée par une pluralité de cultures et d'expériences diverses, est façonnée par Dieu comme "son" peuple, comme l'unique Corps du Christ, grâce à notre participation sincère à la double table de la Parole et de l'Eucharistie. Nourris du Christ, nous, ses disciples, recevons la mission d'être "l'âme" de notre ville (cf. Lettre à Diognète, 6: ed. Funk, I, o. 400; voir également LG 38) ferment de renouveau, pain "rompu" pour tous, en particulier pour ceux qui vivent dans des situations de difficulté, de pauvreté, de souffrance physique et spirituelle. Nous devenons témoins de son amour.

Je m'adresse en particulier à vous, chers prêtres, que le Christ a choisis afin qu'avec Lui, vous puissiez vivre votre vie comme sacrifice de louange pour le salut du monde. Ce n'est que de l'union avec Jésus que vous pouvez tirer la fécondité spirituelle qui engendre l'espérance dans votre ministère pastoral. Saint Léon le grand rappelle que "notre participation au corps et au sang du Christ ne tend à rien d'autre qu'à devenir ce que nous recevons" (Sermo 12, De passione 3, 7, PL 54). Si cela est vrai pour tout chrétien, cela l'est à plus forte raison pour nous, prêtres. Devenir Eucharistie! Que cela soit précisément notre désir et notre engagement constant, afin que le don du corps et du sang du Seigneur que nous faisons sur l'autel, s'accompagne du sacrifice de notre existence. Chaque jour, nous puisons au Corps et au Sang du Seigneur l'amour libre et pur qui fait de nous de dignes ministres du Christ et des témoins de sa joie. C'est ce que les fidèles attendent du prêtre: c'est-à-dire l'exemple d'une authentique dévotion pour l'Eucharistie; ils aiment le voir passer de longs moments de silence et d'adoration devant Jésus comme le faisait le saint curé d'Ars, que nous rappellerons de façon particulière lors de l'Année sacerdotale, désormais imminente.

Saint Jean Marie Vianney aimait dire à ses paroissiens: "Prenez la communion... Il est vrai que vous n'en êtes pas dignes, mais vous en avez besoin" (Bernard Nodet, Le curé d'Ars. Sa pensée - Son coeur, éd. Xavier Mappus, Paris 1995, p. 119). Avec la conscience d'être inadéquats à cause des péchés, mais ayant besoin de nous nourrir de l'amour que le Seigneur nous offre dans le sacrement eucharistique, nous renouvelons ce soir notre foi dans la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. Il ne faut pas considérer cette foi comme acquise! Aujourd'hui, il existe le risque d'une sécularisation insidieuse également au sein de l'Eglise, qui peut se traduire en un culte eucharistique formel et vide, dans des célébrations privées de la participation du coeur qui s'exprime dans la vénération et le respect de la liturgie. La tentation est toujours forte de réduire la prière à des moments superficiels et hâtifs, en se laissant submerger par les activités et par les préoccupations terrestres. Lorsque, dans peu de temps, nous répéterons le Notre Père, notre prière par excellence, nous dirons: "Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour", en pensant naturellement au pain de chaque jour pour nous et pour tous les hommes. Mais cette demande contient également quelque chose de plus profond. Le terme grec epioúsios, que nous traduisons par "de ce jour", pourrait également faire référence au pain "supra-substantiel", au pain "du monde à venir". Certains Pères ont vu ici une référence à l'Eucharistie, le pain de la vie éternelle, du nouveau monde, qui nous est déjà donné aujourd'hui dans la Messe afin que, dès à présent, le monde à venir commence en nous. Avec l'Eucharistie donc, le ciel descend sur terre, le demain de Dieu se fond avec le présent et le temps est comme embrassé par l'éternité divine.

Chers frères et soeurs, comme chaque année, au terme de la Messe, se déroulera la traditionnelle procession eucharistique et nous élèverons, à travers nos prières et nos chants, une imploration commune au Seigneur présent dans l'hostie consacrée. Nous lui dirons au nom de toute la Ville: reste avec nous Jésus, fais-nous don de ta personne et donne-nous le pain qui nous nourrit pour la vie éternelle! Libère ce monde du poison du mal, de la violence et de la haine qui empoisonne les consciences, purifie-le par la puissance de ton amour miséricordieux. Et toi, Marie, qui as été femme "eucharistique" toute ta vie durant, aide-nous à marcher unis vers l'objectif céleste, nourris par le Corps et par le Sang du Christ, pain de vie éternelle et remède de l'immortalité divine. Amen!



VÊPRES DE LA SOLENNITÉ DU TRÈS SAINT COEUR DE JÉSUS - OUVERTURE DE L'ANNÉE SACERDOTALE ET DU 150 ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE SAINT JEAN-MARIE VIANNEY

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Basilique Vaticane - Vendredi 19 juin 2009

Chers frères et soeurs,

Dans l'antienne du Magnificat, nous chanterons d'ici peu: "Le Seigneur nous a accueillis dans son coeur - Suscepit nos Dominus in sinum et cor suum". Dans l'Ancien Testament, il est question 26 fois du coeur de Dieu, considéré comme l'organe de sa volonté: c'est par rapport au coeur de Dieu que l'homme est jugé. A cause de la douleur que son coeur éprouve pour les péchés de l'homme, Dieu décide le déluge, mais il s'émeut ensuite face à la faiblesse humaine et pardonne. Il y a ensuite un passage vétérotestamentaire dans lequel le thème du coeur de Dieu est exprimé de façon absolument claire: c'est dans le chapitre 11 du livre du prophète Osée, où les premiers versets décrivent la dimension de l'amour avec lequel le Seigneur s'est adressé à Israël à l'aube de son histoire: "Quand Israël était jeune, je l'aimais, et d'Egypte j'appelai mon fils" (
Os 11,1). En vérité, à l'inlassable prédilection divine, Israël répond avec indifférence et même ingratitude. "Mais plus je les appelais - est obligé de constater le Seigneur - plus ils s'écartaient de moi" (Os 11,2). Toutefois, Il n'abandonne jamais Israël aux mains des ennemis, car "mon coeur - observe le Créateur de l'univers - en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent" (Os 11,8).

Le coeur de Dieu frémit de compassion! Aujourd'hui, en la solennité du Très Saint Coeur de Jésus, l'Eglise offre à notre contemplation ce mystère, le mystère du coeur d'un Dieu qui s'émeut et reverse tout son amour sur l'humanité. Un amour mystérieux, qui dans les textes du Nouveau Testament, nous est révélé comme une passion incommensurable de Dieu pour l'homme. Il ne se rend pas face à l'ingratitude et pas même devant le refus du peuple qu'il a choisi; au contraire, avec une infinie miséricorde, il envoie dans le monde son Fils unique afin qu'il prenne sur lui le destin de l'amour détruit; afin que, vainquant le pouvoir du mal et de la mort, il puisse rendre la dignité de fils aux êtres humains devenus esclaves par le péché. Tout cela a un prix élevé: le Fils unique du Père s'immole sur la croix: "Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin" (cf. Jn 13,1). Le symbole de cet amour qui va au-delà de la mort est son côté transpercé par une lance. A cet égard, le témoin oculaire, l'apôtre Jean, affirme: "L'un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l'eau" (cf. Jn 19,34).

Chers frères et soeurs, merci car, répondant à mon invitation, vous êtes venus nombreux à cette célébration par laquelle nous entrons dans l'Année sacerdotale. Je salue Messieurs les cardinaux et les évêques, en particulier le cardinal-préfet et le secrétaire de la congrégation pour le clergé avec ses collaborateurs, et l'évêque d'Ars. Je salue les prêtres et les séminaristes des divers séminaires et collèges de Rome; les religieux et les religieuses, ainsi que tous les fidèles. J'adresse un salut spécial à Sa Béatitude Ignace Youssef Younan, patriarche d'Antioche des Syriens, venu à Rome pour me rencontrer et manifester publiquement l'"ecclesiastica communio" que je lui ai accordée.

Chers frères et soeurs, arrêtons-nous ensemble pour contempler le Coeur transpercé du Crucifié. Nous avons entendu à nouveau il y a peu, dans la brève lecture tirée de la Lettre de saint Paul aux Ephésiens, que "Dieu, riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ [...] avec lui Il nous a ressuscités et fait asseoir aux cieux, dans le Christ Jésus" (Ep 2,4-6). Etre dans le Christ Jésus, c'est déjà être assis dans les Cieux. Dans le coeur de Jésus est exprimé le noyau essentiel du christianisme; dans le Christ nous a été révélée et donnée toute la nouveauté révolutionnaire de l'Evangile: l'Amour qui nous sauve et nous fait vivre déjà dans l'éternité de Dieu. L'évangéliste Jean écrit: "Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle" (Jn 3,16). Son coeur divin appelle alors notre coeur; il nous invite à sortir de nous-mêmes, à abandonner nos certitudes humaines pour placer notre confiance en Lui, et, suivant son exemple, à faire de nous-mêmes un don d'amour sans réserve.

S'il est vrai que l'invitation de Jésus à "demeurer dans son amour" (cf. Jn 15,9) s'adresse à chaque baptisé, dans la fête du Sacré-Coeur de Jésus, Journée de sanctification sacerdotale, cette invitation retentit avec une plus grande force pour nous, prêtres, en particulier ce soir, début solennel de l'Année sacerdotale, que j'ai voulu proclamer à l'occasion du 150 anniversaire de la mort du saint curé d'Ars. Il me vient immédiatement à l'esprit une belle et émouvante affirmation, rapportée dans le Catéchisme de l'Eglise catholique où il est dit: "Le sacerdoce est l'amour du Coeur de Jésus" (CEC 1589). Comment ne pas rappeler avec émotion que c'est directement de ce Coeur qu'a jailli le don de notre ministère sacerdotal? Comment oublier que nous, prêtres, sommes consacrés pour servir, humblement et avec autorité, le sacerdoce commun des fidèles? Notre mission est une mission indispensable pour l'Eglise et pour le monde, qui demande une pleine fidélité au Christ et une union incessante avec Lui; c'est-à-dire que le fait de demeurer dans son amour exige que nous tendions constamment à la sainteté comme l'a fait saint Jean-Marie Vianney. Dans la Lettre qui vous a été adressée à l'occasion de cette année jubilaire particulière, chers frères prêtres, j'ai voulu mettre en lumière certains aspects caractéristiques de notre ministère, en faisant référence à l'exemple et à l'enseignement du saint curé d'Ars, modèle et protecteur de nous tous les prêtres, et en particulier des curés. Que ma lettre soit pour vous une aide et un encouragement à faire de cette année une occasion propice pour croître dans l'intimité de Jésus, qui compte sur nous, ses ministres, pour diffuser et consolider son Royaume, pour diffuser son amour, sa vérité. C'est pourquoi, "à l'exemple du saint curé d'Ars, - ainsi ai-je conclu ma Lettre - laissez-vous conquérir par Lui et vous serez vous aussi, dans le monde d'aujourd'hui, des messagers d'espérance, de réconciliation et de paix!".

Se laisser conquérir pleinement par le Christ! Tel a été le but de toute la vie de saint Paul, vers qui nous avons tourné notre attention au cours de l'Année paulinienne qui touche désormais à son terme; cela a été l'objectif de tout le ministère du saint curé d'Ars, que nous invoquerons particulièrement durant l'Année sacerdotale; que cela soit aussi l'objectif principal de chacun de nous. Pour être des ministres au service de l'Evangile, l'étude et une formation théologique et pastorale soignée et permanente sont assurément utiles et nécessaires, mais cette "science de l'amour" que l'on n'apprend que dans le "coeur à coeur" avec le Christ est encore plus nécessaire. En effet, c'est Lui qui nous appelle pour rompre le pain de son amour, pour remettre les péchés et pour guider le troupeau en son nom. C'est précisément pour cela que nous ne devons jamais nous éloigner de la source de l'Amour qui est son Coeur transpercé sur la croix.

Ce n'est qu'ainsi que nous serons en mesure de coopérer avec efficacité au mystérieux "dessein du Père" qui consiste à "faire du Christ le coeur du monde"! Un dessein qui se réalise dans l'histoire, à mesure que Jésus devient le Coeur des coeurs humains, en commençant par ceux qui sont appelés à être les plus proches de lui, précisément les prêtres. Les "promesses sacerdotales", que nous avons prononcées le jour de notre ordination et que nous renouvelons chaque année, le Jeudi saint, lors de la Messe chrismale, nous rappellent à cet engagement constant. Même nos carences, nos limites et nos faiblesses doivent nous reconduire au Coeur de Jésus. En effet, s'il est vrai que les pécheurs, en le contemplant, doivent apprendre de Lui la nécessaire "douleur des péchés" qui les reconduit au Père, cela vaut encore davantage pour les saints ministres. Comment oublier, à ce propos, que rien ne fait davantage souffrir l'Eglise, Corps du Christ, que les péchés de ses pasteurs, en particulier ceux qui se transforment en "voleurs de brebis" (Jn 10,1sqq), ou parce qu'ils les égarent avec leurs doctrines privées, ou encore parce qu'ils les enserrent dans le filet du péché et de la mort? Pour nous aussi, chers prêtres, le rappel à la conversion et le recours à la divine miséricorde est valable, et nous devons également adresser avec humilité au Coeur de Jésus la demande pressante et incessante pour qu'il nous préserve du risque terrible de faire du mal à ceux que nous sommes tenus de sauver.

Il y a quelques instants, j'ai pu vénérer, dans la chapelle du Choeur, la relique du saint Curé d'Ars: son coeur. Un coeur enflammé par l'amour divin, qui s'émouvait à la pensée de la dignité du prêtre et qui parlait aux fidèles avec des accents touchants et sublimes, affirmant que "après Dieu, le prêtre est tout! ... Lui-même ne se comprendra bien qu'au ciel" (cf. Lettre pour l'Année sacerdotale, p. 2). Chers frères, cultivons cette même émotion, que ce soit pour exercer notre ministère avec générosité et dévouement, ou pour conserver dans notre âme une véritable "crainte de Dieu": la crainte de pouvoir priver de tant de bien, par notre négligence ou notre faute, les âmes qui nous sont confiées, ou de pouvoir - que Dieu nous en garde! - leur faire du mal. L'Eglise a besoin de prêtres saints; de ministres qui aident les fidèles à faire l'expérience de l'amour miséricordieux du Seigneur et qui en soient des témoins convaincus. Dans l'adoration eucharistique, qui suivra la célébration des vêpres, nous demanderons au Seigneur qu'il enflamme le coeur de chaque prêtre de cette "charité pastorale" capable d'assimiler son "moi" personnel à celui de Jésus Prêtre, de manière à pouvoir l'imiter dans l'offrande de soi la plus complète. Que la Vierge Marie nous obtienne cette grâce; Elle dont nous contemplerons demain avec une foi vive le Coeur Immaculé. Le saint curé d'Ars nourrissait à son égard une dévotion filiale, si bien qu'en 1836, en avance sur la proclamation du Dogme de l'Immaculée Conception, il avait déjà consacré sa paroisse à Marie "conçue sans péché". Et il garda l'habitude de renouveler souvent cette offrande de la paroisse à la Sainte Vierge, en enseignant aux fidèles qu'"il suffit de s'adresser à elle pour être exaucés", pour la simple raison qu'elle "désire surtout nous voir heureux". Que la Vierge Sainte, notre Mère, nous accompagne en l'Année sacerdotale que nous commençons aujourd'hui, afin que nous puissions être des guides solides et éclairés pour les fidèles que le Seigneur confie à nos soins pastoraux. Amen!



VISITE PASTORALE À SAN GIOVANNI ROTONDO - CONCÉLÉBRATION Dimanche 21 juin 2009

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Esplanade de l'église de San Pio da Pietrelcina - Dimanche 21 juin 2009



Chers frères et soeurs!

Au coeur de mon pèlerinage en ce lieu, où tout parle de la vie et de la sainteté de Padre Pio da Pietrelcina, j'ai la joie de célébrer pour vous et avec vous l'Eucharistie, mystère qui a constitué le centre de toute son existence: l'origine de sa vocation, la force de son témoignage, la consécration de son sacrifice. Je vous salue avec une grande affection, vous tous qui êtes venus nombreux ici, et tous ceux qui sont en liaison avec nous à travers la radio et la télévision. Je salue tout d'abord S.Exc. Mgr Domenico Umberto D'Ambrosio, qui, après tant d'années de fidèle service à cette communauté diocésaine, s'apprête à assumer la charge pastorale de l'archidiocèse de Lecce. Je le remercie cordialement également parce qu'il s'est fait l'interprète de vos sentiments. Je salue les autres évêques concélébrants. J'adresse un salut spécial aux frères capucins, avec le ministre général, frère Mauro Jöhri, le définiteur général, le ministre provincial, le père gardien du couvent, le recteur du sanctuaire et la fraternité capucine de San Giovanni Rotondo. Je salue en outre avec reconnaissance ceux qui offrent leur contribution au service du sanctuaire et des oeuvres annexes; je salue les autorités civiles et militaires; je salue les prêtres, les diacres, les autres religieux et religieuses et tous les fidèles. J'adresse une pensée affectueuse à ceux qui se trouvent dans la Maison "Sollievo della Sofferenza", aux personnes seules et à tous les habitants de votre ville.

Nous venons d'écouter l'Evangile de la tempête apaisée, que l'on a rapproché d'un texte bref mais incisif du Livre de Job, où Dieu se révèle comme le Seigneur de la mer. Jésus menace le vent et ordonne à la mer de se calmer, il l'interpelle comme si celle-ci s'identifiait au pouvoir diabolique. En effet, selon ce que nous disent la première Lecture et le Psaume 106/107, dans la Bible la mer est considérée comme un élément menaçant, chaotique, potentiellement destructeur, que seul Dieu, le Créateur, peut dominer, gouverner et apaiser.

Il existe cependant une autre force - une force positive - qui anime le monde, capable de transformer et de renouveler les créatures: la force de l'"amour du Christ", (
2Co 5,14), comme l'appelle saint Paul dans la Deuxième Lettre aux Corinthiens: ce n'est donc pas essentiellement une force cosmique, mais divine, transcendante. Il agit également sur l'univers mais, en lui-même, l'amour du Christ est un pouvoir "autre", et le Seigneur a manifesté cette altérité transcendante dans sa Pâque, dans la "sainteté" du "chemin" qu'Il a choisi pour nous libérer de la domination du mal, comme cela s'était produit pour l'exode d'Egypte, lorsqu'il avait fait sortir les juifs à travers les eaux de la Mer Rouge. "O Dieu - s'exclame le psalmiste - la sainteté est ton chemin... Par la mer passait ton chemin / tes sentiers, par les eaux profondes" (Ps 77/76, Ps 76,14 Ps 76,20). Dans le mystère pascal, Jésus est passé à travers l'abîme de la mort, car Dieu a ainsi voulu renouveler l'univers: à travers la mort et la résurrection de son Fils "mort pour tous", pour que tous puissent vivre "pour celui qui est mort et ressuscité pour eux" (2Co 5,16) et ne pas vivre uniquement pour eux-mêmes!

Le geste solennel de calmer la mer agitée est clairement le signe de la domination du Christ sur les puissances négatives et incite à penser à sa divinité: "Qui est-il donc - se demandent émerveillés et craintifs les disciples -, pour que même le vent et la mer lui obéissent?" (Mc 4,41). Leur foi n'est pas encore solide, elle est en train de se former; c'est un mélange de peur et de confiance; l'abandon confiant de Jésus au Père est en revanche total et pur. Ainsi par ce pouvoir de l'amour, il peut dormir, Il dort pendant la tempête, absolument en sécurité entre les bras de Dieu. Mais le moment viendra où Jésus éprouvera la peur et l'angoisse: lorsque son heure viendra, il sentira sur lui le poids des péchés de l'humanité, comme une marée montante qui va s'abattre sur Lui. Il s'agira alors d'une tempête terrible, non pas d'une tempête universelle, mais spirituelle. Ce sera le dernier assaut extrême du mal contre le Fils de Dieu.

Mais en cette heure, Jésus ne douta pas du pouvoir de Dieu le Père et de sa proximité, même s'il dut faire pleinement l'expérience de la distance de la haine à l'amour, du mensonge à la vérité, du péché à la grâce. Il fit l'expérience de ce drame en lui-même de manière déchirante, en particulier au Gethsémani, avant son arrestation, et ensuite durant toute sa passion, jusqu'à sa mort en croix. En cette heure, Jésus fut, d'une part, entièrement un avec le Père, pleinement abandonné à Lui; mais, de l'autre, solidaire avec les pécheurs, il fut comme séparé et se sentit comme abandonné par Lui.

Certains saints ont vécu intensément et personnellement cette expérience de Jésus. Padre Pio da Pietrelcina est l'un d'eux. Un homme simple, d'origine humble, "saisi par le Christ" (Ph 3,12) - comme l'apôtre Paul l'écrit de lui-même - pour en faire un instrument élu du pouvoir éternel de sa Croix: pouvoir d'amour pour les âmes, de pardon et de réconciliation, de paternité spirituelle, de solidarité effective avec ceux qui souffrent. Les stigmates, qui marquèrent son corps, l'unirent intimement au Crucifié-Ressuscité. Authentique disciple de saint François d'Assise, il fit sienne, comme le Poverello d'Assise, l'expérience de l'apôtre Paul, telle qu'il la décrit dans ses Lettres: "Avec le Christ, je suis fixé à la croix; je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi" (Ga 2,20); ou bien: "Ainsi la mort fait son oeuvre en nous, et la vie en vous" (2Co 4,12). Cela ne signifie pas aliénation, perte de personnalité: Dieu n'annule jamais l'être humain, mais le transforme avec son Esprit et l'oriente au service de son dessein de salut. Padre Pio conserva ses dons naturels, et aussi son tempérament, mais il offrit chaque chose à Dieu, qui a pu s'en servir librement pour prolonger l'oeuvre du Christ: annoncer l'Evangile, remettre les péchés et guérir les malades dans le corps et l'esprit.

Comme ce fut le cas pour Jésus, Padre Pio a dû soutenir la vraie lutte, le combat radical non contre des ennemis terrestres, mais contre l'esprit du mal (cf. Ep 6,12). Les plus grandes "tempêtes" qui le menaçaient étaient les assauts du diable, dont il se défendait avec l'"armure de Dieu", avec "le bouclier de la foi" et "l'épée de l'Esprit, c'est-à-dire la parole de Dieu" (Ep 6,11 Ep 6,16 Ep 6,17). Restant uni à Jésus, il n'a jamais perdu de vue la profondeur du drame humain, et c'est pour cela qu'il s'est offert et a offert ses nombreuses souffrances, et il a su se prodiguer pour le soin et le soulagement des malades, signe privilégié de la miséricorde de Dieu, de son Royaume qui vient, qui est même déjà dans le monde, de la victoire de l'amour et de la vie sur le péché et sur la mort. Guider les âmes et soulager les souffrances: ainsi peut-on résumer la mission de saint Pio da Pietrelcina, comme l'a dit également à son propos le serviteur de Dieu, le Pape Paul vi: "C'était un homme de prière et de souffrance" (Aux pères capitulaires capucins, 20 février 1971).

Chers amis, frères mineurs capucins, membres des groupes de prière et tous les fidèles de San Giovanni Rotondo, vous êtes les héritiers de Padre Pio et l'héritage qu'il vous a laissé est la sainteté. Dans une de ses lettres, il écrit: "Il semble que Jésus n'ait pas d'autre souci à l'esprit que celui de sanctifier votre âme" (Epist. ii, p. 155). Telle était toujours sa première préoccupation, son inquiétude sacerdotale et paternelle: que les personnes reviennent à Dieu, qu'elles puissent faire l'expérience de sa miséricorde et, intérieurement renouvelées, puissent redécouvrir la beauté et la joie d'être chrétiens, de vivre en communion avec Jésus, d'appartenir à son Eglise et de pratiquer l'Evangile. Padre Pio attirait sur la voie de la sainteté grâce à son propre témoignage, en indiquant par l'exemple le "chemin" qui conduit à celle-ci: la prière et la charité.

Avant tout la prière. Comme tous les grands hommes de Dieu, Padre Pio était lui-même devenu prière, corps et âme. Ses journées étaient un chapelet vécu, une méditation et une assimilation continues des mystères du Christ en union spirituelle avec la Vierge Marie. C'est ainsi que s'explique la coprésence singulière en lui de dons surnaturels et de qualités humaines. Et tout atteignait son sommet dans la célébration de la Messe: là il s'unissait pleinement au Seigneur mort et ressuscité. De la prière, comme d'une source toujours vive, jaillissait la charité. L'amour qu'il portait dans son coeur et qu'il transmettait aux autres était plein de tendresse, toujours attentif aux situations réelles des personnes et des familles. En particulier à l'égard des malades et des personnes qui souffrent il nourrissait la prédilection du Coeur du Christ, et c'est précisément de celle-ci qu'a pris origine et forme le projet d'une grande oeuvre consacrée au "soulagement de la souffrance". On ne peut pas comprendre ni interpréter comme il se doit cette institution si on la sépare de sa source d'inspiration, qui est la charité évangélique, animée à son tour par la prière.

Très chers amis, Padre Pio repropose tout cela aujourd'hui à notre attention. Les risques de l'activisme et de la sécularisation sont toujours présents; c'est pourquoi ma visite a également pour but de vous confirmer dans la fidélité à la mission héritée de votre père bien-aimé. Beaucoup d'entre vous, religieux, religieuses et laïcs, êtes tellement pris par les mille occupations requises par le service aux pèlerins, ou aux malades de l'hôpital, que vous courez le risque de négliger la chose vraiment nécessaire: écouter le Christ pour accomplir la volonté de Dieu. Lorsque vous vous apercevez que vous êtes proches de courir ce risque, regardez Padre Pio: son exemple, ses souffrances; et invoquez son intercession, pour qu'il obtienne du Seigneur la lumière et la force dont vous avez besoin pour poursuivre sa mission imprégnée d'amour pour Dieu et de charité fraternelle. Et du ciel, qu'il continue à exercer cette paternité totalement spirituelle qui l'a distingué au cours de son existence terrestre; qu'il continue à accompagner ses confrères, ses fils spirituels et toute l'oeuvre qu'il a commencée. Avec saint François, et la Vierge, qu'il a tant aimée et faite aimer dans ce monde, qu'il veille sur vous tous et vous protège toujours. Et alors, même dans les tempêtes qui peuvent se lever à l'improviste, vous pourrez faire l'expérience du souffle de l'Esprit Saint, qui est plus fort que tout vent contraire et qui pousse la barque de l'Eglise et chacun de nous. Voilà pourquoi nous devons toujours vivre dans la sérénité et cultiver la joie dans notre coeur, en rendant grâce au Seigneur. "Son amour est pour toujours" (Psaume responsorial). Amen!


SOLENNITÉ DES SAINTS APÔTRES PIERRE ET PAUL


PREMIÈRES VÊPRES - CLÔTURE DE L'ANNÉE PAULINIENNE

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Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs - Dimanche 28 juin 2009

Messieurs les cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Illustres membres de la délégation du patriarcat oecuménique,
Chers frères et soeurs,

J'adresse à chacun mon salut cordial. Je salue en particulier le cardinal-archiprêtre de cette basilique et ses collaborateurs, je salue l'abbé et la communauté monastique bénédictine; je salue également la délégation du patriarcat oecuménique de Constantinople. L'année commémorative de la naissance de saint Paul se conclut ce soir. Nous sommes recueillis auprès de la tombe de l'apôtre, dont le sarcophage, conservé sous l'autel papal, a été récemment l'objet d'une analyse scientifique approfondie: dans le sarcophage, qui n'a jamais été ouvert pendant tous ces siècles, a été pratiquée une toute petite ouverture pour introduire une sonde spéciale, à travers laquelle ont été relevées des traces d'un précieux tissu de lin de couleur pourpre, mêlé de fils d'or pur, et d'un tissu de couleur bleue avec des filaments de lin. On a également relevé la présence de grains d'encens rouge et de substances protéinées et calcaires. En outre, de tout petits fragments d'os, soumis à l'examen du carbone 14 par des experts ignorant leur provenance, ont résulté appartenir à une personne ayant vécu entre le I et le II siècle. Cela semble confirmer la tradition unanime et incontestée qu'il s'agit de la dépouille mortelle de l'apôtre Paul. Tout cela remplit notre âme d'une profonde émotion. De nombreuses personnes ont, au cours de ces mois, suivi les voies de l'apôtre - les voies extérieures et plus encore les voies intérieures, qu'il a parcourues au cours de sa vie: le chemin de Damas vers la rencontre avec le ressuscité; les routes du monde méditerranéen, qu'il a empruntées avec la flamme de l'Evangile, rencontrant des contradictions et des adhésions, jusqu'au martyre, en vertu duquel il appartient pour toujours à l'Eglise de Rome. C'est à elle qu'il a adressé sa Lettre la plus grande et la plus importante. L'Année paulinienne se conclut, mais être en chemin avec Paul, avec lui et grâce à lui faire la connaissance de Jésus et, comme lui, être illuminés et transformés par l'Evangile - cela fera toujours partie de l'existence chrétienne. Et, au-delà du monde des croyants, il reste toujours le "maître des nations", qui veut apporter le message du Ressuscité à tous les hommes, car le Christ les a connus et tous aimés; il est mort et ressuscité pour eux tous. Nous voulons donc l'écouter également en cette heure où nous commençons solennellement la fête des deux apôtres unis entre eux par un lien étroit.

La caractéristique des Lettres de Paul est que celles-ci - toujours en référence à un lieu et une situation particulière - expliquent tout d'abord le mystère du Christ, nous enseignent la foi. Dans une deuxième partie, suit l'application à notre vie: qu'est-ce que cette foi implique? Comment celle-ci façonne-t-elle notre existence jour après jour? Dans la Lettre aux Romains, cette deuxième partie commence avec le douzième chapitre, dans les deux premiers versets duquel l'apôtre résume immédiatement le noyau essentiel de l'existence chrétienne. Que nous dit saint Paul dans ce passage? Tout d'abord il affirme, comme une chose fondamentale, qu'avec le Christ a commencé une nouvelle façon de vénérer Dieu - un nouveau culte. Celui-ci consiste dans le fait que l'homme vivant devient lui-même adoration, "sacrifice" jusque dans son propre corps. Ce ne sont plus les choses qui sont offertes à Dieu. C'est notre existence elle-même qui doit devenir louange de Dieu. Mais comment cela se produit-il? Dans le deuxième verset une réponse nous est donnée: "Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu..." (
Rm 12,2). Les deux mots décisifs de ce verset sont: "transformer" et "renouveler". Nous devons devenir des hommes nouveaux, transformés en une nouvelle façon d'exister. Le monde est toujours à la recherche de nouveautés, car à juste titre il est toujours insatisfait de la réalité concrète. Paul nous dit: le monde ne peut pas être renouvelé sans des hommes nouveaux. Ce n'est qu'avec des hommes nouveaux qu'existera un monde nouveau, un monde renouvelé et meilleur. Au début, se trouve le renouveau de l'homme. Cela vaut ensuite pour chaque individu. Ce n'est que si nous-mêmes devenons nouveaux, que le monde devient nouveau. Cela signifie également qu'il ne suffit pas de s'adapter à la situation actuelle. L'apôtre nous exhorte à un non-conformisme. Dans la lettre en question, il est dit de ne pas se soumettre au schéma de l'époque actuelle. Nous devrons revenir sur ce point, en réfléchissant sur le deuxième texte sur lequel je veux méditer avec vous ce soir. Le "non" de l'apôtre est clair et également convaincant pour quiconque observe le "schéma" de notre monde. Mais comment peut-on devenir nouveaux? En sommes-nous vraiment capables? Avec la parole concernant le fait de devenir nouveaux, Paul fait allusion à sa propre conversion: à sa rencontre avec le Christ ressuscité, une rencontre dont il dit dans la Deuxième lettre aux Corinthiens: "Si donc quelqu'un est en Jésus Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s'en est allé, un monde nouveau est déjà né" (2Co 5,17). Cette rencontre avec le Christ était tellement bouleversante pour lui qu'il dit à ce propos: "J'ai cessé de vivre" (Ga 2,19 cf. Rm 6). Il est devenu nouveau, un autre, parce qu'il ne vit plus pour lui-même et en vertu de lui-même, mais pour le Christ et en Lui. Au cours des années, il a cependant également vu que ce processus de renouveau et de transformation se poursuit pendant toute la vie. Nous devenons nouveaux si nous nous laissons saisir et façonner par l'Homme nouveau Jésus Christ. Il est l'Homme nouveau par excellence. En Lui, la nouvelle existence humaine est devenue réalité, et nous pouvons vraiment devenir nouveaux si nous nous remettons entre ses mains et que nous nous laissons façonner par Lui.

Paul détaille plus encore ce processus de "refusion" en disant que nous devenons nouveaux si nous transformons notre façon de penser. Ce qui a ici été traduit comme "façon de penser", est le terme grec "nous". Il s'agit d'un terme complexe. Il peut être traduit par "esprit", "sentiments", "raison" et, précisément, également par "façon de penser". Notre raison doit devenir nouvelle. Cela nous surprend. Nous nous serions peut-être attendu à ce que cela concerne plutôt certaines attitudes: ce que nous devons changer dans notre façon d'agir. Mais non: le renouveau doit aller jusqu'au bout. Notre façon de voir le monde, de comprendre la réalité - toute notre manière de penser doit se transformer à partir de sa base. La pensée du vieil homme, la façon de penser commune est généralement tournée vers la possession, le bien-être, l'influence, le succès, la célébrité et ainsi de suite. Mais de cette manière, elle a une portée trop limitée. Ainsi, en dernière analyse, le "moi" reste le centre du monde. Nous devons apprendre à penser de manière plus profonde. Saint Paul nous dit ce que cela signifie dans la deuxième partie de la phrase: il faut apprendre à comprendre la volonté de Dieu, de manière à ce que celle-ci façonne notre volonté. Afin que nous-mêmes voulions ce que Dieu veut, car nous reconnaissons que ce que Dieu veut est le beau et le bon. Il s'agit donc d'un tournant dans notre orientation spirituelle de fond. Dieu doit entrer dans l'horizon de notre pensée: ce qu'Il veut et la manière dont Il a créé le monde et moi. Nous devons apprendre à prendre part à la pensée et à la volonté de Jésus Christ. C'est alors que nous serons des hommes nouveaux dans lesquels apparaît un monde nouveau.

Cette même pensée d'un renouveau nécessaire de notre personne humaine est ultérieurement illustrée par Paul dans deux passages de la Lettre aux Ephésiens, sur lesquels nous voulons encore réfléchir brièvement. Dans le quatrième chapitre de la Lettre, l'apôtre nous dit qu'avec le Christ nous devons atteindre l'âge adulte, une foi mûre. Nous ne pouvons plus rester "comme des enfants, nous laissant secouer et mener à la dérive par tous les courants d'idées..." (Ep 4,14). Paul désire que les chrétiens aient une foi "responsable", une "foi adulte". L'expression "foi adulte" est devenue un slogan fréquent ces dernières années. Mais on l'entend souvent au sens de l'attitude de celui qui n'écoute plus l'Eglise et ses pasteurs, mais qui choisit de manière autonome ce qu'il veut croire ou ne pas croire - donc une foi "bricolée". Et on la présente comme le "courage" de s'exprimer contre le magistère de l'Eglise. Mais en réalité, il n'y a pas besoin de courage pour cela, car l'on peut toujours être sûr de l'ovation du public. Il faut plutôt du courage pour adhérer à la foi de l'Eglise, même si celle-ci contredit le "schéma" du monde contemporain. C'est ce non-conformisme de la foi que Paul appelle une "foi adulte". C'est la foi qu'il veut. Il qualifie en revanche d'infantile le fait de courir derrière les modes et les courants de l'époque. Par exemple, il appartient à la foi adulte de s'engager pour l'inviolabilité de la vie humaine dès son premier moment, en s'opposant radicalement au principe de la violence, précisément aussi en défense des créatures humaines les plus faibles. Il appartient à la foi adulte de reconnaître le mariage entre un homme et une femme pour toute la vie comme une disposition du Créateur, à nouveau rétablie par le Christ. La foi adulte ne se laisse pas transporter ici et là par n'importe quel courant. Elle s'oppose aux vents de la mode. Elle sait que ces vents ne sont pas le souffle de l'Esprit Saint; elle sait que l'Esprit de Dieu s'exprime et se manifeste dans la communion avec Jésus Christ. Toutefois, ici aussi Paul ne s'arrête pas à la négation, mais il nous conduit au grand "oui". Il décrit la foi mûre, vraiment adulte de manière positive par l'expression: "agir selon la vérité dans la charité" (cf. Ep 4,15). La nouvelle façon de penser, qui nous est donnée par la foi, se tourne tout d'abord vers la vérité. Le pouvoir du mal est le mensonge. Le pouvoir de la foi, le pouvoir de Dieu est la vérité. La vérité sur le monde et sur nous-mêmes devient visible lorsque nous tournons notre regard vers Dieu. Et Dieu apparaît à nous dans le visage de Jésus Christ. En regardant le Christ nous reconnaissons une chose supplémentaire: vérité et charité sont inséparables. En Dieu, les deux sont une chose indissoluble: telle est précisément l'essence de Dieu. C'est pourquoi, pour les chrétiens vérité et charité vont de pair. La charité est la preuve de la vérité. Nous devrons toujours à nouveau être mesurés selon ce critère, qui est que la vérité devient charité et la charité nous rend authentiques.

Une autre pensée importante apparaît encore dans le verset de saint Paul. L'apôtre nous dit que, en agissant selon la vérité dans la charité, nous contribuons à faire en sorte que le tout - l'univers - croisse en tendant vers le Christ. Paul, à partir de sa foi, ne s'intéresse pas seulement à notre droiture personnelle et pas seulement à la croissance de l'Eglise. Il s'intéresse à l'univers: ta pánta. Le but ultime de l'oeuvre du Christ est l'univers - la transformation de l'univers, de tout le monde humain, de toute la création. Celui qui avec le Christ sert la vérité dans la charité contribue au véritable progrès du monde. Oui, il est ici tout à fait clair que Paul connaît l'idée de progrès. Le Christ, sa vie, sa souffrance et sa résurrection ont été le véritable grand saut du progrès pour l'humanité, pour le monde. A présent, cependant, l'univers doit croître en vue du Christ. Là où augmente la présence du Christ se trouve le véritable progrès du monde. Là, l'homme devient nouveau et ainsi le monde devient nouveau.

Encore à partir d'un point de vue différent, Paul nous rend la même chose évidente. Dans le troisième chapitre de la Lettre aux Ephésiens il nous parle de la nécessité d'être "rendus forts dans l'homme intérieur" (Ep 3,16). Il reprend là un thème qu'il avait traité auparavant, dans une situation de difficulté, dans la Deuxième Lettre aux Corinthiens: "Même si en nous l'homme extérieur va vers sa ruine, l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour" (2Co 4,16). L'homme intérieur doit se renforcer - c'est un impératif particulièrement approprié pour notre époque où les hommes sont si souvent intérieurement vides et doivent donc se raccrocher à des promesses et des drogues, qui ont ensuite comme conséquence un accroissement ultérieur du sentiment de vide en eux-mêmes. Le vide intérieur - la faiblesse de l'homme intérieur - est l'un des grands problèmes de notre temps. L'intériorité doit être renforcée - la capacité de perception du coeur; la capacité de voir et comprendre le monde et l'homme de l'intérieur, avec le coeur. Nous avons besoin d'une raison éclairée par le coeur, pour apprendre à agir selon la vérité dans la charité. Toutefois, cela ne se réalise pas sans une relation intime avec Dieu, sans la vie de prière. Nous avons besoin de la rencontre avec Dieu, qui nous est donnée dans les sacrements. Et nous ne pouvons pas parler à Dieu dans la prière, si nous ne le laissons pas parler d'abord, si nous ne l'écoutons pas dans la parole qu'il nous a donnée. Paul écrit à cet égard: "Que le Christ habite en vos coeurs par la foi; restez enracinés dans l'amour, établis dans l'amour. Ainsi vous serez capables de comprendre avec tous les fidèles quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur... Vous connaîtrez l'amour du Christ qui surpasse tout ce qu'on peut connaître" (Ep 3,17sq). L'amour voit plus loin que la simple raison, voilà ce que Paul nous dit avec ces mots. Et il nous dit encore que ce n'est que dans la communion avec tous les saints, c'est-à-dire dans la grande communauté de tous les croyants - et non contre elle ou sans elle - que nous pouvons connaître la grandeur du mystère du Christ. Il définit cette ampleur avec des mots qui veulent exprimer la dimension du cosmos: largeur, longueur, hauteur et profondeur. Le mystère du Christ a une ampleur cosmique: Il n'appartient pas seulement à un groupe déterminé. Le Christ crucifié embrasse l'univers en entier dans toutes ses dimensions. Il prend le monde entre ses mains et le porte en haut, vers Dieu. A commencer par saint Irénée de Lyon - donc dès le II siècle - les Pères ont vu dans ce terme de la largeur, de la longueur, de la hauteur et de la profondeur de l'amour du Christ une allusion à la Croix. L'amour du Christ a embrassé dans la Croix la profondeur la plus basse - la nuit de la mort, et la hauteur suprême - l'élévation de Dieu lui-même. Et il a pris entre ses bras l'ampleur et la largeur de l'humanité et du monde dans toutes leurs dimensions. Il embrasse toujours l'univers - nous tous.

Prions le Seigneur, afin qu'il nous aide à reconnaître quelque chose de l'ampleur de son amour. Prions-Le afin que son amour et sa vérité touchent notre coeur. Demandons que le Christ habite nos coeurs et fasse de nous des hommes nouveaux, qui agissent selon la vérité dans la charité.

Amen!


Benoît XVI Homélies 11069