Benoît XVI Homélies 29069

MESSE ET IMPOSITION DU PALLIUM AUX NOUVEAUX ARCHEVÊQUES MÉTROPOLITAINS

29069
Basilique Saint-Pierre - Lundi 29 juin 2009

Messieurs les cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat
et dans le sacerdoce,
Chers frères et soeurs!

Je vous adresse à tous mes salutations cordiales avec les paroles de l'apôtre auprès de la tombe duquel nous nous trouvons: "A vous, grâce et paix en abondance" (
1P 1,2). Je salue en particulier les membres de la délégation du patriarcat oecuménique de Constantinople et les nombreux archevêques métropolitains qui reçoivent aujourd'hui le pallium. Lors de la collecte de cette journée solennelle, nous demandons au Seigneur "que l'Eglise suive toujours l'enseignement des Apôtres dont elle a reçu la première annonce dans la foi". La demande que nous adressons à Dieu nous interpelle nous aussi dans le même temps: suivons-nous nous-mêmes l'enseignement des grands apôtres fondateurs? Les connaissons-nous vraiment? Au cours de l'Année paulinienne qui s'est conclue hier, avons-nous cherché à l'écouter vraiment de manière nouvelle, lui le "maître des nations", et à apprendre ainsi à nouveau l'alphabet de la foi. Avons-nous cherché à reconnaître le Christ avec Paul et à travers Paul et à trouver ainsi la voie pour une droite vie chrétienne. Dans le canon du Nouveau Testament, outre les Lettres de saint Paul, il y a également deux Lettres sous le nom de saint Pierre. La première d'entre elles se conclut explicitement avec un salut depuis Rome, qui apparaît toutefois sous le nom apocalyptique de couverture de Babylone: "Celle qui est à Babylone, élue comme vous, vous salue" (1P 5,13). En disant de l'Eglise de Rome "élue comme vous", il l'inscrit dans la grande communauté de toutes les Eglises locales - dans la communauté de tous ceux que Dieu a réunis, afin que dans la "Babylone" du temps de ce monde ils construisent son peuple et fassent entrer Dieu dans l'histoire. La Première Lettre de saint Pierre est un salut adressé de Rome à toute la chrétienté de tous les temps. Elle nous invite à écouter "l'enseignement des apôtres", qui nous indique le chemin vers la vie.

Cette Lettre est un texte très riche, qui vient du coeur et qui touche le coeur. Son centre est - comment pourrait-il en être autrement? - la figure du Christ, qui est présenté comme Celui qui souffre et qui aime, comme Crucifié et Ressuscité: "lui qui insulté ne rendait pas l'insulte, souffrant ne menaçait pas... lui dont la meurtrissure vous a guéris" (1P 2,23sq). En partant du centre qui est le Christ, la Lettre constitue ensuite également une introduction aux sacrements chrétiens fondamentaux du baptême et de l'Eucharistie et un discours adressé aux prêtres, dans lequel Pierre se qualifie de co-prêtre avec eux. Il parle aux pasteurs de toutes les générations comme celui qui a été personnellement chargé par le Seigneur de paître ses brebis et a ainsi reçu de manière particulière un mandat sacerdotal. Ainsi, que nous dit saint Pierre - en l'Année sacerdotale précisément - sur la tâche du prêtre? Tout d'abord il comprend le ministère sacerdotal totalement à partir du Christ. Il appelle le Christ "le pasteur et le gardien de vos âmes" (1P 2,25). Là où la traduction française parle de "gardien", le texte grec porte le mot epíscopos (évêque). Un peu plus loin, le Christ est qualifié de Pasteur suprême: archipoímen (1P 5,4). Il est surprenant que Pierre appelle le Christ lui-même évêque - évêque des âmes. Qu'entend-il dire par là? Dans le mot grec "episcopos" est contenu le verbe "voir"; c'est pourquoi il a été traduit par "gardien" c'est-à-dire "surveillant". Mais assurément, il ne s'agit pas d'une surveillance externe, comme celle par exemple d'un gardien de prison. Il s'agit plutôt d'une vision d'en haut - une vision depuis la hauteur de Dieu. Une vision dans la perspective de Dieu est une vision de l'amour qui veut servir l'autre, qui veut l'aider à devenir vraiment lui-même. Le Christ est l'"évêque des âmes", nous dit Pierre. Cela signifie qu'il nous voit dans la perspective de Dieu. En regardant à partir de Dieu, on a une vision d'ensemble, on voit les dangers tout comme les espoirs et les opportunités. Dans la perspective de Dieu, on voit l'essence, on voit l'homme intérieur. Si le Christ est l'évêque des âmes, l'objectif est d'éviter que l'âme dans l'homme s'appauvrisse, c'est de faire en sorte que l'homme ne perde pas son essence, sa capacité à la vérité et à l'amour. Faire en sorte qu'il vienne connaître Dieu; qu'il ne s'égare pas dans les impasses; qu'il ne se perde pas dans l'isolement, mais demeure ouvert pour l'ensemble. Jésus, l'"évêque des âmes", est le prototype de tout ministère épiscopal et sacerdotal. Etre évêque, être prêtre signifie dans cette perspective: assumer la position du Christ. Penser, voir et agir depuis sa position élevée. A partir de Lui, être à disposition des hommes, afin qu'ils trouvent la vie.

Ainsi le mot "évêque" se rapproche-t-il beaucoup du mot "pasteur", plus encore, les deux concepts deviennent interchangeables. Le devoir du pasteur est de paître et de garder le troupeau et de le conduire sur les justes pâturages. Paître le troupeau veut dire prendre soin que les brebis trouvent la juste nourriture, que leur faim soit rassasiée et leur soif étanchée. Au-delà des métaphores, cela signifie: la Parole de Dieu est la nourriture dont l'homme a besoin. Rendre toujours à nouveau présente la Parole de Dieu et apporter ainsi leur nourriture aux hommes est la tâche du pasteur juste. Et il doit également savoir résister aux ennemis, aux loups. Il doit précéder, indiquer le chemin, préserver l'unité du troupeau. Pierre, dans son discours aux prêtres, souligne encore une chose très importante. Il ne suffit pas de parler. Les pasteurs doivent devenir "les modèles du troupeau" (1P 5,3). La Parole de Dieu est portée du passé dans le présent lorsqu'elle est vécue. Il est merveilleux de voir comment chez les saints la Parole de Dieu devient une parole adressée à notre temps. Chez des figures comme François et à nouveau comme Padre Pio et bien d'autres, le Christ est devenu véritablement contemporain de leur génération, il est sorti du passé et entré dans le présent. Cela signifie être pasteur - modèle du troupeau: vivre la Parole aujourd'hui, dans la grande communauté de la sainte Eglise.

Très brièvement, je voudrais encore rappeler l'attention sur deux autres affirmations de la Première Lettre de saint Pierre, qui nous concerne tout particulièrement, à notre époque. Il y a tout d'abord la phrase aujourd'hui nouvellement découverte, sur la base de laquelle les théologiens médiévaux comprirent leur tâche, leur tâche de théologiens: "Sanctifiez dans vos coeurs le Seigneur Jésus Christ, toujours prêts à la défense contre quiconque vous demande raison de l'espérance qui est en vous" (1P 3,15). La foi chrétienne est espérance. Elle ouvre la voie vers l'avenir. Et elle est une espérance qui est raisonnable; une espérance dont nous pouvons et nous devons exposer la raison. La foi provient de la Raison éternelle qui est entrée dans notre monde et nous a montré le vrai Dieu. Elle va au-delà de la capacité propre de notre raison, tout comme l'amour voit davantage que la simple intelligence. Mais la foi parle à la raison et dans la confrontation dialectique, elle peut tenir tête à la raison. Elle ne la contredit pas mais elle va de pair avec elle et, dans le même temps, conduit au-delà d'elle - elle introduit dans la Raison plus grande de Dieu. En tant que pasteurs de notre temps, nous avons le devoir de comprendre nous les premiers la raison de la foi. Le devoir de ne pas la laisser demeurer simplement une tradition, mais de la reconnaître comme une réponse à nos questions. La foi exige notre participation rationnelle, qui s'approfondit et se purifie dans un partage d'amour. Cela fait partie de nos devoirs en tant que pasteurs que de pénétrer la foi avec la pensée pour être en mesure de montrer la raison de notre espérance dans le débat de notre temps. Toutefois, la pensée - bien qu'elle soit nécessaire - ne suffit pas à elle seule. Tout comme la parole, à elle seule, ne suffit pas. Dans sa catéchèse baptismale et eucharistique, dans le second chapitre de sa Lettre, Pierre évoque le Psaume utilisé dans l'Eglise antique dans le contexte de la communion, au verset qui dit: "Goûtez et voyez comme le Seigneur est excellent" (Ps 33,9 [34], 9; 1P 2,3). C'est goûter qui conduit à voir. Pensons aux disciples d'Emmaüs: c'est seulement dans la communion conviviale avec Jésus, c'est seulement dans la fraction du pain que s'ouvrent leurs yeux. C'est seulement en faisant véritablement l'expérience de la communion avec le Seigneur qu'ils deviennent voyants. Et cela vaut pour nous tous: au-delà de la pensée et de la parole, nous avons besoin de l'expérience de la foi; de la relation vivante avec Jésus Christ. La foi ne doit pas demeurer une théorie: elle doit être vie. Si dans le sacrement nous rencontrons le Seigneur; si dans la prière nous parlons avec Lui, si dans les décisions du quotidien nous adhérons au Christ - alors nous "voyons" toujours davantage combien Il est bon. Alors nous faisons l'expérience que c'est une chose bonne que d'être avec Lui. C'est d'une telle certitude vécue que découle ensuite la capacité de transmettre la foi aux autres de manière crédible. Le curé d'Ars n'était pas un grand penseur. Mais il "goûtait" le Seigneur. Il vivait avec Lui jusque dans les petites choses du quotidien en plus des grandes exigences du ministère pastoral. De cette manière, il devint "quelqu'un qui voit". Il avait goûté, et pour cette raison il savait que le Seigneur est bon. Prions le Seigneur, afin qu'il nous donne cette possibilité de goûter et que nous puissions ainsi devenir des témoins crédibles de l'espérance qui est en nous.

Pour finir, je voudrais faire noter encore une petite, mais importante parole de saint Pierre. Dès le début de la Lettre il nous dit que le but de notre foi est le salut des âmes (cf. 1P 1,6). Dans le monde du langage et de la pensée de la chrétienté actuelle, il s'agit d'une affirmation étrange, pour certains même scandaleuse. La parole "âme" a connu un discrédit. L'on dit que cela conduirait à une division de l'homme entre la dimension spirituelle et physique, entre l'âme et le corps, alors qu'en réalité il serait une unité indivisible. En outre, le "salut des âmes" comme but de la foi, semble indiquer un christianisme individualiste, un perte de responsabilité pour le monde dans son ensemble, dans son caractère corporel et dans son caractère matériel. Mais l'on ne trouve rien de tout cela dans la Lettre de saint Pierre. Le zèle du témoignage en faveur de l'espérance, la responsabilité pour les autres caractérisent le texte tout entier. Pour comprendre la Parole sur le salut des âmes comme but de la foi, nous devons partir d'un autre côté. Il est vrai que le manque d'attention pour les âmes, l'appauvrissement de l'homme intérieur ne détruit pas seulement l'individu, mais menace le destin de l'humanité dans son ensemble. Sans la guérison des âmes, sans la guérison de l'homme de l'intérieur, il ne peut y avoir de salut pour l'humanité dans son ensemble. La vraie maladie des âmes, saint Pierre, à notre surprise, l'appelle l'ignorance - c'est-à-dire la non-connaissance de Dieu. Celui qui ne connaît pas Dieu, celui qui au moins ne le cherche pas sincèrement, reste en dehors de la vraie vie (cf. 1P 1,14). Une autre parole de la Lettre peut encore nous être utile pour mieux comprendre la formule "salut des âmes": "Sanctifiez vos âmes par l'obéissance à la vérité" (cf. 1P 1,22). C'est l'obéissance à la vérité qui rend l'âme pure. Et c'est la coexistence avec le mensonge qui la pollue. L'obéissance à la vérité commence avec les petites vérités du quotidien, qui peuvent souvent être difficiles et douloureuses. Cette obéissance s'étend ensuite jusqu'à l'obéissance sans réserve face à la Vérité même qui est le Christ. Cette obéissance nous rend non seulement purs, mais surtout aussi libres pour le service au Christ et ainsi au salut du monde, qui part toujours de la purification obéissante de notre âme à travers la vérité. Nous ne pouvons indiquer la voie vers la vérité que si nous-mêmes - en obéissance et patience - nous laissons purifier par la vérité.

Et à présent je m'adresse à vous, chers confrères dans l'épiscopat, qui recevrez aujourd'hui de mes mains le pallium. Il a été tissé avec la laine d'agneaux que le Pape bénit en la fête de sainte Agnès. De cette manière, il rappelle les agneaux et les brebis du Christ que le Seigneur ressuscité a confié à Pierre avec le devoir de les paître (cf. Jn 21,15-18). Il rappelle le troupeau de Jésus Christ, que vous, chers frères, devez paître en communion avec Pierre. Il nous rappelle le Christ lui-même qui, comme Bon Pasteur, a pris sur ses épaules la brebis égarée, l'humanité, pour la ramener à la maison. Il nous rappelle le fait que Lui, le Pasteur Suprême, a voulu se faire Lui-même Agneau, pour prendre en charge de l'intérieur notre destin à tous; pour nous ramener et nous soigner de l'intérieur. Nous voulons prier le Seigneur, afin qu'il nous donne d'être sur ses traces des pasteurs justes, "non par contrainte, mais de bon gré, selon Dieu.. avec l'élan du coeur... en devenant les modèles du troupeau" (1P 5,2sq). Amen.



VÊPRES À L'OCCASION DE LA RÉOUVERTURE DE LA CHAPELLE PAULINE, PALAIS APOSTOLIQUE VATICAN - Samedi 4 juillet 2009

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Messieurs les cardinaux,
vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
chers frères et soeurs!

Aujourd'hui se réalise, quelques jours après la solennité des saints Pierre et Paul et la clôture de l'Année paulinienne, mon désir de pouvoir à nouveau ouvrir au culte la chapelle Pauline. Dans les basiliques papales Saint-Paul et Saint-Pierre nous avons vécu les célébrations solennelles en l'honneur des deux apôtres; ce soir, comme une sorte de complément, nous nous rassemblons au coeur du Palais apostolique, dans la chapelle qui a été voulue par le Pape Paul III et réalisée par Antonio da Sangallo le Jeune, précisément comme lieu réservé de prière pour le Pape et la famille pontificale. Les peintures et les décorations qui l'embellissent aident à prier et à méditer de manière plus que jamais efficace, en particulier les deux grandes fresques de Michel-Ange Buonarroti, qui sont les dernières de sa longue existence. Elles représentent la conversion de Paul et la crucifixion de Pierre.

Le regard est tout d'abord attiré par le visage des deux apôtres. Il est évident, déjà par leur position, que ces deux visages jouent un rôle central dans le message iconographique de la chapelle. Mais, en plus de leur emplacement, ils nous attirent immédiatement "au-delà" de l'image: ils nous interpellent et nous invitent à réfléchir. Arrêtons-nous tout d'abord sur Paul: pourquoi est-il représenté avec un visage si âgé? C'est le visage d'un vieil homme, alors que nous savons - et Michel-Ange le savait bien - que l'appel de Saul sur le chemin de Damas eut lieu lorsqu'il avait environ trente ans. Le choix de l'artiste nous conduit déjà en dehors d'un pur réalisme, il nous fait aller au-delà de la simple narration des événements pour nous introduire à un niveau plus profond. Le visage de Saul-Paul - qui est d'ailleurs celui de l'artiste lui-même, désormais âgé, inquiet et à la recherche de la lumière de la vérité - représente l'être humain qui a besoin d'une lumière supérieure. C'est la lumière de la grâce divine, indispensable pour acquérir une vue nouvelle, avec laquelle percevoir la réalité orientée vers "l'espérance de ce qui vous attend au ciel" - comme l'écrit l'apôtre dans le salut initial de la Lettre aux Colossiens, que nous venons d'entendre (
Col 1,5).

Le visage de Saul tombé à terre est illuminé d'en-haut, par la lumière du Ressuscité et, malgré son aspect dramatique, la représentation inspire la paix et transmet la sérénité. Elle exprime la maturité de l'homme intérieurement illuminé par le Christ Seigneur, alors qu'autour se déroule une multitude d'événements dans lesquels toutes les figures se retrouvent comme dans un tourbillon. La grâce et la paix de Dieu ont enveloppé Saul, l'ont conquis et transformé intérieurement. Il annoncera cette même "grâce" et cette même "paix" à toutes ses communautés au cours de ses voyages apostoliques, avec la maturité d'un homme âgé qui ne correspond pas à son âge, mais qui est une maturité spirituelle, qui lui a été donnée par le Seigneur lui-même. Ici donc, dans le visage de Paul, nous pouvons déjà percevoir le coeur du message spirituel de cette chapelle: c'est-à-dire le prodige de la grâce du Christ, qui transforme et renouvelle l'homme au moyen de la lumière de sa vérité et de son amour. C'est en cela que consiste la nouveauté de la conversion, de l'appel à la foi, qui trouve son accomplissement dans le mystère de la Croix.

Du visage de Paul, nous passons ainsi au visage de Pierre, représenté au moment où sa croix renversée est hissée et où il se tourne pour fixer celui qui l'observe. Ce visage aussi nous surprend. L'âge représenté ici est l'âge juste, mais c'est l'expression qui nous étonne et qui nous interpelle. Pourquoi cette expression? Ce n'est pas une image de douleur et le visage de Pierre transmet une vigueur physique surprenante. Le visage, en particulier le front et les yeux, semblent exprimer l'état d'âme de l'homme face à la mort et au mal: on y voit comme un égarement, un regard aigu, tendu, comme pour chercher quelque chose ou quelqu'un, à sa dernière heure. Et sur les visages des personnes qui sont autour de lui ce sont également les yeux qui ressortent: des regards inquiets s'entrecroisent, certains même épouvantés ou égarés. Que signifie tout cela? C'est ce que Jésus avait prédit à son apôtre: "Quand tu seras vieux... c'est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t'emmener là où tu ne voudrais pas aller"; et le Seigneur avait ajouté: "Suis-moi" (Jn 21,18 Jn 21,19). Voilà, c'est précisément à présent que se réalise le sommet de la "sequela": le disciple n'est pas supérieur au Maître, et à présent il fait l'expérience de toute l'amertume de la croix, des conséquences du péché qui sépare de Dieu, de toute l'absurdité de la violence et du mensonge. Si l'on vient méditer dans cette chapelle, on ne peut pas échapper à la radicalité de la question posée par la croix: la croix du Christ, Chef de l'Eglise, et la croix de Pierre, son Vicaire sur la terre.

Les deux visages, sur lesquels notre regard s'est arrêté, se trouvent l'un face à l'autre. On pourrait même penser que celui de Pierre est précisément tourné vers le visage de Paul, qui, à son tour, ne voit pas, mais porte en lui la lumière du Christ ressuscité. C'est comme si Pierre, à l'heure de l'épreuve suprême, cherchait cette lumière qui a donné la vraie foi à Paul. Voilà alors que c'est en ce sens que les deux images peuvent devenir les deux actes d'un unique drame: le drame du Mystère pascal: Croix et Résurrection, mort et vie, péché et grâce. L'ordre chronologique entre les événements représentés est peut-être renversé, mais le dessein du salut apparaît, ce dessein que le Christ lui-même a réalisé en lui en le menant à bien, comme nous venons de le chanter dans l'hymne de la Lettre aux Philippiens. Pour celui qui vient prier dans cette chapelle, et avant tout pour le Pape, Pierre et Paul deviennent des maîtres de foi. Avec leur témoignage, ils invitent à aller en profondeur, à méditer en silence le mystère de la Croix, qui accompagne l'Eglise jusqu'à la fin des temps, et à accueillir la lumière de la foi, grâce à laquelle la communauté apostolique peut étendre jusqu'aux extrémités de la terre l'action missionnaire et évangélisatrice que le Christ ressuscité lui a confiée. Ici n'ont pas lieu de solennelles célébrations avec le peuple. Ici, le Successeur de Pierre et ses collaborateurs méditent en silence et adorent le Christ vivant, présent en particulier dans le Très Saint Sacrement de l'Eucharistie.

L'Eucharistie est le sacrement dans lequel se concentre toute l'oeuvre de la Rédemption: en Jésus Eucharistie nous pouvons contempler la transformation de la mort en vie, de la violence en amour. Cachée sous les espèces du pain et du vin, nous reconnaissons avec les yeux de la foi la même gloire qui se manifesta aux Apôtres après la Résurrection, et que Pierre, Jacques et Jean contemplèrent à l'avance, sur le mont, quand Jésus se transfigura devant eux: un événement mystérieux que celui de la Transfiguration, que le grand tableau de Simone Cantarini repropose également dans cette chapelle avec une force singulière. En réalité, cependant, toute la chapelle - les fresques de Lorenzo Sabatini et Federico Zuccari, les décorations des nombreux artistes appelés ici dans un deuxième temps par le Pape Grégoire XIII - , tout, pourrions nous dire, conflue ici dans un même et unique hymne à la victoire de la vie et de la grâce sur la mort et sur le péché, dans une symphonie de louange et d'amour au Christ rédempteur qui apparaît profondément suggestive.

Chers amis, au terme de cette brève méditation, je voudrais remercier ceux qui ont oeuvré afin que nous puissions à nouveau jouir de ce lieu sacré entièrement restauré: le professeur Antonio Paolucci et son prédécesseur, M. Francesco Buranelli, qui, en tant que directeurs des Musées du Vatican, ont toujours eu à coeur cette restauration très importante; les divers spécialistes qui, sous la direction artistique du professeur Arnold Nesselrath, ont travaillé sur les fresques et les décorations de la chapelle et, en particulier, le maître-inspecteur Maurizio De Luca et son assistante, Maria Pustka, qui ont dirigé les travaux et sont intervenus sur les deux fresques de Michel-Ange, en s'appuyant sur les conseils d'une commission internationale formée par des chercheurs de grande renommée. Ma reconnaissance va également au cardinal Giovanni Lajolo et à ses collaborateurs du gouvernorat, qui ont prêté une attention spéciale à cette oeuvre. Et j'adresse naturellement mes remerciements chaleureux et bien mérités aux mécènes catholiques dignes d'éloges, américains et autres, c'est-à-dire aux Patrons of the Arts, engagés généreusement dans la sauvegarde et la valorisation du patrimoine culturel au Vatican, qui ont rendu possible le résultat que nous admirons aujourd'hui. Que parvienne à tous et à chacun l'expression de ma reconnaissance la plus cordiale.

Dans quelques instants, nous chanterons le Magnificat.Que la Très Sainte Vierge Marie, Maîtresse de prière et d'adoration, avec les saints Pierre et Paul, obtienne des grâces abondantes à ceux qui se recueilleront avec foi dans cette chapelle. Et quant à nous, ce soir, reconnaissants à Dieu pour ses merveilles, et en particulier pour la mort et la résurrection de son Fils, nous Lui élevons notre louange pour cette oeuvre parvenue aujourd'hui à son accomplissement. "Gloire à celui qui a le pouvoir de réaliser en nous par sa puissance infiniment plus que nous ne pouvons imaginer, gloire à lui dans l'Eglise et dans le Christ Jésus pour toutes les générations dans les siècles des siècles. Amen" (Ep 3,20-21).


CÉLÉBRATION DES VÊPRES DANS LA CATHÉDRALE D'AOSTE - Vendredi 24 juillet 2009

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Vendredi 24 juillet 2009


Excellence,
chers frères et soeurs,

Je voudrais tout d'abord vous dire "merci", Excellence, pour vos paroles courtoises, avec lesquelles vous m'avez introduit dans la grande histoire de cette église cathédrale; vous m'avez ainsi fait sentir que nous prions ici, non seulement en ce moment, mais que nous pouvons prier avec les siècles dans cette belle église.

Et je remercie chacun de vous, qui êtes venus pour prier avec moi et pour rendre ainsi visible ce réseau de prière qui nous relie tous et toujours.

Dans cette brève homélie, je voudrais dire quelques mots sur la prière, par laquelle se concluent ces vêpres; car il me semble que, dans cette prière, le passage de la Lettre aux Romains qui vient d'être lu est interprété et transformé en prière. La prière se compose de deux parties: une adresse - un destinataire, pour ainsi dire - et ensuite la prière composée de deux questions.

Commençons par l'adresse qui comprend, elle aussi, deux parties: on doit ici un peu concrétiser le "toi" auquel nous nous adressons, pour pouvoir frapper avec plus de force au coeur de Dieu.

Dans le texte français, nous lisons simplement: "Père miséricordieux". Le texte original latin est un peu plus long; il dit: "Dieu tout-puissant, miséricordieux". Dans ma récente encyclique, j'ai tenté de montrer la priorité de Dieu, que ce soit dans la vie personnelle ou dans la vie de l'histoire, de la société, du monde.

La relation avec Dieu est assurément une chose profondément personnelle et la personne est un être en relation, et si la relation fondamentale - la relation avec Dieu - n'est pas vivante, n'est pas vécue, toutes les autres relations ne peuvent pas non plus trouver leur juste forme. Mais cela vaut également pour la société, pour l'humanité en tant que telle. Ici aussi, si Dieu manque, si l'on fait abstraction de Dieu, si Dieu est absent, il manque la boussole pour indiquer l'ensemble de toutes les relations pour trouver la route, l'orientation pour savoir où aller.

Dieu! Nous devons à nouveau apporter dans notre monde la réalité de Dieu, le faire connaître et le rendre présent. Mais Dieu, comment le connaître? Lors des visites "ad limina" avec les évêques, surtout africains, mais aussi avec ceux de l'Asie, de l'Amérique latine, où il existe encore les religions traditionnelles, je parle toujours précisément de ces religions. Il y a beaucoup de détails, assez différents naturellement, mais il y a aussi des éléments communs. Tous savent qu'il y a Dieu, un seul Dieu, que Dieu est un mot au singulier, que les dieux ne sont pas Dieu, qu'il y a Dieu, le Dieu. Mais dans le même temps, ce Dieu semble absent, très lointain, il ne semble pas entrer dans notre vie quotidienne, il se cache, nous ne connaissons pas son visage. Et ainsi, la religion s'occupe en grande partie des choses, des pouvoirs plus proches, des esprits, des ancêtres etc., car Dieu lui-même est trop éloigné et on doit ainsi s'arranger avec ces pouvoirs proches. Et l'acte de l'évangélisation consiste précisément dans le fait que le Dieu lointain s'approche, que le Dieu n'est plus lointain, mais qu'il est proche, que ce "connu-inconnu" se fait à présent réellement connaître, montre son visage, se révèle: le voile sur son visage disparaît, et il montre réellement son visage. Et donc, puisque Dieu lui-même est à présent proche, nous le connaissons, il nous montre son visage, il entre dans notre monde. Il n'y a plus besoin de s'arranger avec ces autres pouvoirs, car Il est le pouvoir véritable, il est le Tout-Puissant.

Je ne sais pas pourquoi a été omis dans le texte français le mot "tout-puissant", mais il est vrai que nous nous sentons un peu comme menacés par le tout-puissant: il semble limiter notre liberté, il semble un poids trop lourd. Mais nous devons apprendre que la toute-puissance de Dieu n'est pas un pouvoir arbitraire, car Dieu est le Bien, il est la vérité, et donc Dieu peut tout, mais il ne peut pas agir contre le bien, il ne peut pas agir contre la vérité, il ne peut pas agir contre l'amour et contre la liberté, car Il est lui-même le bien, il est l'amour, il est la véritable liberté. Tout ce qu'il fait ne peut donc jamais être en opposition avec la vérité, l'amour et la liberté. Le contraire est vrai. Lui, Dieu, est le gardien de notre liberté, de l'amour de la vérité. Cet oeil qui nous regarde n'est pas un oeil méchant qui nous surveille, mais il est la présence d'un amour qui ne nous abandonne jamais et qui nous donne la certitude que le bien signifie exister, signifie vivre: c'est l'oeil de l'amour qui nous donne l'air pour vivre.

Dieu tout-puissant et miséricordieux. Une prière romaine, inspirée du texte du livre de la sagesse, dit: "Toi, Dieu, tu montres ta toute-puissance dans le pardon et dans la miséricorde". Le sommet de la puissance de Dieu est la miséricorde, est le pardon. Dans notre concept mondial actuel de pouvoir, nous pensons à quelqu'un qui a de grandes propriétés, qui fait autorité dans le monde économique, qui dispose de capitaux, pour influencer le monde du marché. Nous pensons à quelqu'un qui dispose du pouvoir militaire, qui peut menacer. La question de Staline: "Le Pape, combien de divisions?" caractérise encore l'idée générale du pouvoir. Le pouvoir appartient à celui qui peut être dangereux, qui peut menacer, qui peut détruire, qui a en main tant de choses du monde. Mais la Révélation nous dit: "Il n'en est pas ainsi"; le véritable pouvoir est le pouvoir de la grâce et de la miséricorde. Dans la miséricorde, Dieu démontre le véritable pouvoir.

Et ainsi, la deuxième partie de cette adresse nous dit: "Tu as racheté le monde, avec la passion, avec la souffrance de ton Fils". Dieu a souffert et dans le Fils, il souffre avec nous. Et cela constitue le sommet le plus élevé de son pouvoir qui est capable de souffrir avec nous. Ainsi, il démontre le véritable pouvoir divin: il voulait souffrir avec nous et pour nous. Dans nos souffrances, nous ne sommes jamais seuls. Dieu, dans son Fils, a tout d'abord souffert et à présent il est près de nous dans nos souffrances.

Toutefois, la question difficile que nous ne pouvons pas à présent interpréter en profondeur demeure: pourquoi était-il nécessaire de souffrir pour sauver le monde? Cela était nécessaire car dans le monde existe un océan de mal, d'injustice, de haine, de violence, et les nombreuses victimes de la haine et de l'injustice ont le droit que justice soit faite. Dieu ne peut pas ignorer le cri de ceux qui souffrent et sont opprimés par l'injustice. Pardonner n'est pas ignorer, mais transformer; c'est-à-dire que Dieu doit entrer dans ce monde et opposer à l'océan de l'injustice un océan plus grand du bien et de l'amour. Et cela est l'événement de la Croix: à partir de ce moment-là, contre l'océan du mal, il existe un fleuve infini et donc toujours plus grand que toutes les injustices du monde, un fleuve de bonté, de vérité, d'amour. Ainsi, Dieu pardonne en transformant le monde et en entrant dans notre monde pour qu'il y ait réellement une force, un fleuve de bien plus grand que tout le mal qui pourra jamais exister.

Ainsi l'adresse à Dieu, devient une adresse pour nous: ce Dieu nous invite à nous mettre de son côté, à sortir de l'océan du mal, de la haine, de la violence, de l'égoïsme et à nous identifier, à entrer dans le fleuve de son amour.

Tel est précisément le contenu de la première partie de la prière qui suit: "Fais que ton Eglise s'offre à toi comme sacrifice vivant et saint". Cette question, adressée à Dieu, s'adresse également à nous. C'est une référence à deux textes de la Lettre aux Romains. Nous-mêmes, avec tout notre être, nous devons être adoration, sacrifice, restituer notre monde à Dieu et transformer ainsi le monde. La fonction du sacerdoce est de consacrer le monde pour qu'il devienne hostie vivante, pour que le monde devienne liturgie: que la liturgie ne soit pas une chose à côté de la réalité du monde, mais que le monde lui-même devienne hostie vivante, devienne liturgie. C'est la grande vision qu'a ensuite eue Teilhard de Chardin lui aussi: à la fin nous aurons une vraie liturgie universelle, où l'univers deviendra hostie vivante. Et nous prions le Seigneur pour qu'il nous aide à être des prêtres dans ce sens, pour aider à la transformation du monde, en adoration de Dieu, en commençant par nous-mêmes. Que notre vie parle de Dieu, que notre vie soit réellement liturgie, annonce de Dieu, porte par laquelle le Dieu lointain devient le Dieu proche, et réellement don de nous-mêmes à Dieu.

Ensuite, la deuxième question. Nous prions: "Fais que ton peuple fasse toujours l'expérience de la plénitude de ton amour". Dans le texte latin, il est dit: "Rassasie-nous de ton amour". Ainsi, le texte s'inspire du Psaume que nous avons chanté, où il est dit: "Ouvre ta main et rassasie la faim de chaque être vivant". Combien de faim existe sur la terre, une faim de pain dans tant de parties du monde: Votre Excellence a également parlé de la souffrance des familles ici: faim de justice, faim d'amour. Et avec cette prière, nous prions Dieu: "Ouvre ta main et rassasie réellement la faim de chaque être vivant. Rassasie notre faim de la vérité, de ton amour".

Ainsi soit-il. Amen.



Benoît XVI Homélies 29069