Benoît XVI Homélies 25139

CHAPELLE PAPALE POUR LA CLÔTURE DE LA II ASSEMBLÉE SPÉCIALE POUR L’AFRIQUE DU SYNODE DES ÉVÊQUES

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Basilique Vaticane - Dimanche 25 octobre 2009


Vénérés frères!
Chers frères et soeurs!

Voici un message d'espérance pour l'Afrique: nous venons de l'écouter de la Parole de Dieu. C'est le message que le Seigneur de l'histoire ne se lasse pas de renouveler pour l'humanité opprimée et écrasée, de toute époque et de toute terre, depuis qu'il révéla à Moïse sa volonté concernant les Israélites esclaves en Egypte: "J'ai vu, oui, j'ai vu la misère de mon peuple (...) et j'ai entendu ses cris (...) je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer (...) et le faire monter de cette terre vers une terre plantureuse et vaste, vers une terre qui ruisselle de lait et de miel" (
Ex 3,7-8). Quelle est cette terre? Ne s'agit-il pas du Royaume de la réconciliation, de la justice et de la paix, auquel l'humanité entière est appelée? Le dessein de Dieu ne change pas. Il est le même que celui proclamé par Jérémie, dans les magnifiques oracles appelés "Livre de la consolation", dont est tirée la première lecture d'aujourd'hui. Il s'agit d'une annonce d'espérance pour le peuple d'Israël, prostré par l'invasion de l'armée de Nabuchodonosor, par la dévastation de Jérusalem et du Temple, et par la déportation à Babylone. Un message de joie pour le "reste" des enfants de Jacob, qui leur annonce un avenir, car le Seigneur les reconduira dans leur terre, à travers une route droite et facile. Les personnes qui ont besoin de soutien, comme l'aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée, font l'expérience de la force et la tendresse du Seigneur: Il est un Père pour Israël, prêt à s'en occuper comme son fils aîné (cf. Jr 31,7-9).

Le dessein de Dieu ne change pas. A travers les siècles et les bouleversements de l'histoire, Il a toujours le même objectif: le Royaume de la liberté et de la paix pour tous. Et ceci implique sa prédilection pour ceux qui sont privés de liberté et de paix, pour ceux qui sont violés dans leur dignité de personnes humaines. Nous pensons, en particulier, aux frères et aux soeurs qui, en Afrique, souffrent de la pauvreté, des maladies, des injustices, des guerres et des violences, des migrations forcées. Ces fils préférés du Père céleste sont comme l'aveugle de l'Evangile, Bartimée, qui "était assis au bord de la route" (Mc 10,46), aux portes de Jéricho. C'est sur cette même route que passe Jésus de Nazareth. C'est la route qui conduit à Jérusalem, où se consommera la Pâque, sa Pâque sacrificielle, vers laquelle le Messie s'avance pour nous. C'est la route de son exode qui est aussi le nôtre: l'unique route qui conduit à la terre de la réconciliation, de la justice et de la paix. Sur cette route, le Seigneur rencontre Bartimée qui a perdu la vue. Leurs routes se croisent, deviennent une seule route. "Fils de David, aie pitié de moi!", crie l'aveugle avec confiance. Et Jésus lui dit: "Appelez-le", et il ajoute: "Que veux-tu que je fasse pour toi?". Dieu est lumière et créateur de la lumière. L'homme est fils de la lumière, fait pour voir la lumière, mais il a perdu la vue, et se trouve obligé de mendier. A côté de lui, passe le Seigneur qui s'est fait mendiant pour nous: assoiffé de notre foi et de notre amour. "Que veux-tu que je fasse pour toi?". Dieu le sait, mais il le demande; il veut que ce soit l'homme qui parle. Il veut que l'homme se lève, qu'il retrouve le courage de demander ce qui lui revient du fait de sa dignité. Le Père veut entendre de vive voix son fils exprimer sa libre volonté de voir à nouveau la lumière, cette lumière pour laquelle il l'a créé. "Rabbouni, que je voie". Et Jésus lui dit: "Va, ta foi t'a sauvé. Aussitôt l'homme se mit à voir, et il suivait Jésus sur la route" (Mc 10,51-52).

Chers frères, rendons grâce parce que cette "mystérieuse rencontre entre notre pauvreté et la grandeur" de Dieu s'est également réalisée au cours de l'Assemblée synodale pour l'Afrique qui se conclut aujourd'hui. Dieu a renouvelé son appel: "Confiance, lève-toi..." (Mc 10,49). Et voici que l'Eglise qui est en Afrique elle aussi, au travers de ses Pasteurs, venus de tous les Pays du Continent, de Madagascar et des autres îles, a accueilli le message d'espérance et la lumière pour cheminer sur la voie qui conduit au Royaume de Dieu. "Va, ta foi t'a sauvé" (Mc 10,52). Oui, la foi en Jésus Christ - lorsqu'elle est bien intense et bien pratiquée - guide les hommes et les peuples à la liberté dans la vérité ou, pour reprendre les trois mots du thème du Synode, à la réconciliation, à la justice et à la paix. Bartimée qui, une fois guéri, suit Jésus sur la route, est une image de l'humanité qui, éclairée par la foi, se met en chemin vers la terre promise. Bartimée devient à son tour témoin de la lumière, en racontant et en démontrant par sa vie d'avoir été guéri, renouvelé, régénéré. Telle est l'Eglise dans le monde: une communauté de personnes réconciliées, artisans de justice et de paix; "sel et lumière" au milieu de la société des hommes et des nations. C'est pourquoi le Synode a réaffirmé avec force - et a manifesté - que l'Eglise est Famille de Dieu au sein de laquelle ne peuvent subsister de divisions ethniques, linguistiques ou culturelles. Des témoignages émouvants nous ont montré qu'aux heures les plus sombres de l'histoire humaine, l'Esprit Saint est à l'oeuvre et transforme les coeurs des victimes et des persécuteurs afin qu'ils se reconnaissent frères. L'Eglise réconciliée est un puissant levain de réconciliation dans les différents pays et sur tout le Continent africain.

La Deuxième Lecture nous offre une autre perspective: l'Eglise, communauté qui suit le Christ sur le chemin de l'amour, a une forme sacerdotale. La catégorie du sacerdoce, comme clef d'interprétation du mystère du Christ et, par conséquent, de l'Eglise, a été introduite dans le Nouveau Testament par l'Auteur de la Lettre aux Hébreux. Son intuition a pour origine le Psaume 110, cité aujourd'hui, là où le Seigneur Dieu, par un serment solennel, assure au Messie: "Tu es prêtre à jamais selon l'ordre du roi Melkisédek" (Ps 110,4). Une référence qui en rappelle une autre, extraite du Psaume 2, dans lequel le Messie annonce le décret du Seigneur qui dit de lui: "Tu es mon fils; moi, aujourd'hui, je t'ai engendré" (Ps 110,7). De ces textes, dérive l'attribution à Jésus Christ du caractère sacerdotal, non pas dans un sens générique mais "selon l'ordre du roi Melkisédek", c'est-à-dire le sacerdoce le plus haut et éternel, d'origine non pas humaine mais divine. Si tout grand prêtre "est toujours pris parmi les hommes, et chargé d'intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu" (He 5,1), Lui seul, le Christ, le Fils de Dieu, possède un sacerdoce qui s'identifie avec sa Personne même, un sacerdoce singulier et transcendant, dont dépend le salut universel. Son sacerdoce, le Christ l'a transmis à l'Eglise par l'intermédiaire de l'Esprit Saint; c'est pourquoi l'Eglise a en elle-même, dans chacun de ses membres, en raison du Baptême, un caractère sacerdotal. Mais - et c'est ici un aspect décisif - le sacerdoce de Jésus Christ n'est plus avant tout rituel mais bien existentiel. La dimension du rite n'est pas abolie mais, comme cela apparaît clairement dans l'institution de l'Eucharistie, elle tire sa signification du Mystère pascal qui porte à leur achèvement les sacrifices antiques et les dépasse. Naissent ainsi, de manière simultanée, un nouveau sacrifice, un nouveau sacerdoce et également un nouveau temple, et tous trois coïncident avec le Mystère de Jésus Christ. Unie à Lui par les Sacrements, l'Eglise prolonge son action salvifique en permettant aux hommes d'être guéris par la foi, comme l'aveugle Bartimée. Ainsi, la Communauté ecclésiale, sur les traces de son Maître et Seigneur, est appelée à parcourir de manière décidée la route du service, à partager jusqu'au bout la condition des hommes et des femmes de son temps, afin de témoigner à tous de l'amour de Dieu et de semer ainsi l'espérance.

Chers amis, ce message de salut l'Eglise le transmet en conjuguant toujours l'évangélisation et la promotion humaine. Prenons par exemple l'Encyclique historique "Populorum Progressio": ce que le Serviteur de Dieu Paul VI élabora en termes de réflexions, les missionnaires l'ont réalisé et continuent de le réaliser sur le terrain, en promouvant un développement respectueux des cultures locales et de l'environnement, selon une logique qui maintenant, depuis plus de 40 ans, apparaît être la seule en mesure de faire sortir les peuples africains de l'esclavage de la faim et des maladies. Cela signifie transmettre l'annonce d'espérance selon une "forme sacerdotale", c'est-à-dire en vivant en première personne l'Evangile, en cherchant à le traduire en projets et en réalisations en cohérence avec le principe dynamique fondamental qu'est l'amour. Durant ces trois semaines, la deuxième assemblée spéciale pour l'Afrique du synode des évêques a confirmé ce que mon vénéré prédécesseur Jean-Paul II avait déjà bien mis en évidence, et que j'ai voulu moi-même approfondir dans la dernière Encyclique Caritas in veritate: qu'il faut renouveler le modèle de développement mondial, de manière à ce qu'il soit capable "d'intégrer tous les peuples et non seulement ceux qui étaient en mesure d'y prendre part" (). Ce que la doctrine sociale de l'Eglise a toujours soutenu à partir de sa vision de l'homme et de la société, la mondialisation le réclame à son tour aujourd'hui (cf. ibid). Celle-ci - rappelons-le - ne doit pas être comprise de manière fataliste comme si ses dynamiques étaient produites par des forces anonymes impersonnelles et indépendantes de la volonté humaine. La mondialisation est une réalité humaine et en tant que telle, elle peut être modifiée selon une configuration culturelle ou une autre. L'Eglise travaille par sa conception personnaliste et communautaire, pour orienter ce processus en termes de relation, de fraternité et de partage (cf. ibid, ).

"Confiance, lève-toi...". C'est ainsi qu'aujourd'hui le Seigneur de la vie et de l'espérance s'adresse à l'Eglise et aux populations africaines, au terme de ces semaines de réflexion synodale. Lève-toi, Eglise en Afrique, famille de Dieu, parce que le Père céleste t'appelle, Lui que tes ancêtres invoquaient comme Créateur, avant d'en connaître la proximité miséricordieuse, révélée dans son Fils unique, Jésus Christ. Entreprends le chemin d'une nouvelle évangélisation avec le courage qui te vient de l'Esprit Saint. L'action d'évangélisation urgente, dont on a beaucoup parlé ces jours-ci, comporte également un appel pressant à la réconciliation, condition indispensable pour instaurer en Afrique des rapports de justice entre les hommes et pour construire une paix équitable et durable dans le respect de chaque individu et de tous les peuples; une paix qui a besoin et s'ouvre à l'apport de toutes les personnes de bonne volonté au-delà des appartenances religieuses, ethniques, linguistiques, culturelles et sociales respectives. Dans cette mission de grande importance, toi, Eglise pèlerine dans l'Afrique du troisième millénaire, tu n'es pas seule. Toute l'Eglise catholique t'est proche par la prière et la solidarité active, et du Ciel t'accompagnent les saints et les saintes africaines, qui, par leur vie et parfois par leur martyre, ont témoigné leur pleine fidélité au Christ.

Confiance! Lève-toi, continent africain, terre qui a accueilli le Sauveur du monde quand, enfant, il dut se réfugier avec Joseph et Marie en Egypte pour avoir la vie sauve de la persécution du roi Hérode. Accueille avec un enthousiasme nouveau l'annonce de l'Evangile afin que le visage du Christ puisse éclairer par sa splendeur la multiplicité des cultures et des langages de tes populations. Alors qu'elle offre le pain de la Parole et de l'Eucharistie, l'Eglise s'engage aussi à agir, par tous les moyens dont elle dispose, afin que ne manque à aucun africain son pain quotidien. C'est pour cela, avec l'action de première urgence de l'évangélisation, que les chrétiens sont actifs dans les interventions de promotion humaine.

Chers Pères synodaux, au terme de mes réflexions, je souhaite vous adresser mes plus cordiales salutations, en vous remerciant pour votre participation édifiante. En rentrant chez vous, Pasteurs de l'Eglise en Afrique, portez ma bénédiction à vos communautés. Transmettez à tous l'appel à la réconciliation, à la justice et à la paix qui a souvent résonné au cours de ce Synode. Tandis que se clôt cette Assemblée synodale, je ne peux que renouveler ma vive reconnaissance au Secrétaire général du Synode des Evêques et à tous ses collaborateurs. J'exprime une pensée emplie de reconnaissance aux choeurs de la communauté nigériane de Rome et du Collège Ethiopien, qui contribuent à l'animation de cette liturgie. Et enfin, j'aimerais remercier ceux qui ont accompagné les travaux synodaux par leur prière. Que la Vierge Marie vous récompense tous et chacun d'entre vous, et obtienne que l'Eglise en Afrique croisse en chaque partie de ce grand continent, diffusant partout le "sel" et la "lumière" de l'Evangile.


MESSE EN MÉMOIRE DES CARDINAUX ET ÉVÊQUES DÉCÉDÉS AU COURS DE L'ANNÉE Basilique Vaticane - Jeudi 5 novembre 2009

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Vénérés frères dans l'épiscopat

et dans le sacerdoce,
chers frères et soeurs!

"J'étais joyeux que l'on me dise: Allons à la maison de Yahvé!". Les paroles du Psaume 122, que nous venons de chanter, nous invitent à élever le regard du coeur vers la "maison du Seigneur", vers le Ciel où est mystérieusement rassemblée, dans la vision béatifiante de Dieu, la foule de tous les saints que la liturgie nous a fait contempler il y a quelques jours. A la solennité des saints a suivi la commémoration de tous les fidèles défunts. Ces deux célébrations, vécues dans un profond climat de foi et de prière, nous aident à mieux percevoir le mystère de l'Eglise dans sa totalité et à comprendre toujours plus que la vie doit être une attente vigilante constante, un pèlerinage vers la vie éternelle, accomplissement ultime qui donne son sens et sa plénitude à notre chemin terrestre. Aux portes de la Jérusalem céleste, "enfin, nos pieds s'arrêtent" (
Ps 122,2).

C'est à cette destination définitive que sont désormais parvenus les regrettés cardinaux: Avery Dulles, Pio Laghi, Stéphanos II Ghattas, Stephen Kim Sou-Hwan, Paul Joseph Pham Ðinh Tung, Umberto Betti, Jean Margéot et les nombreux archevêques et évêques qui nous ont quittés au cours de cette dernière année. Nous les rappelons avec affection et nous rendons grâces à Dieu pour le bien qu'ils ont accompli. Nous offrons en leur mémoire le Sacrifice eucharistique, réunis, comme chaque année, dans cette Basilique vaticane. Nous pensons à eux dans la communion, réelle et mystérieuse, qui nous unit, nous pèlerins sur terre, à tous ceux qui nous ont précédés dans l'au-delà, certains que la mort ne brise pas les liens de fraternité spirituelle scellés par les Sacrements du Baptême et de l'Ordre.

Dans nos vénérés frères, nous aimons reconnaître les serviteurs dont parle la parabole évangélique qui vient d'être proclamée: serviteurs fidèles, que le maître, de retour des noces, a trouvés réveillés et prêts (cf. Lc 12,36-38); des pasteurs qui ont servi l'Eglise en assurant au troupeau du Christ l'attention nécessaire; des témoins de l'Evangile qui, dans la variété des dons et des devoirs, ont donné la preuve d'une vigilance active, d'un dévouement généreux à la cause du Royaume de Dieu. Chaque célébration eucharistique, à laquelle tant de fois ils ont participé eux aussi d'abord en tant que fidèles, puis en tant que prêtres, anticipe de la façon la plus éloquente ce que le Seigneur a promis: Lui-même, prêtre suprême et éternel, fera asseoir ses serviteurs à sa table et passant de l'un à l'autre, les servira (cf. Lc 12,37). Sur la table eucharistique, banquet nuptial de la Nouvelle Alliance, le Christ, Agneau pascal, devient notre nourriture, détruit la mort et nous donne sa vie, la vie sans fin. Frères et soeurs, nous aussi, demeurons attentifs et vigilants: que "le maître, au retour des noces, à la deuxième ou à la troisième veille" (cf. Lc 12,38) nous trouve ainsi. Nous aussi, alors, comme les serviteurs de l'Evangile, nous serons bienheureux!

"Les âmes des justes sont dans les mains de Dieu" (Sg 3,1). La première lecture, tirée du livre de la Sagesse, parle de justes persécutés, condamnés injustement à mort. Mais même si leur mort - souligne l'auteur sacré -, survient dans des circonstances humiliantes et douloureuses qui laissent penser à une catastrophe, en vérité, pour celui qui a la foi, il n'en est pas ainsi: "mais eux sont en paix", et, même s'ils subirent des châtiments aux yeux des hommes, "leur espérance était pleine d'immortalité" (Sg 3,3-4). La séparation des personnes chères est douloureuse, l'événement de la mort est une énigme chargée d'inquiétude, mais pour les croyants, de quelque façon qu'elle advienne, elle est toujours illuminée par l'"espérance de l'immortalité". La foi nous soutient dans ces moments humainement chargés de tristesse et de découragement: "Car pour tous ceux qui croient en toi, Seigneur, la vie n'est pas détruite, elle est transformée - rappelle la liturgie - et lorsque prend fin leur séjour sur la terre, ils ont déjà une demeure éternelle dans les Cieux" (Préface des défunts). Chers frères et soeurs, nous savons bien et nous faisons l'expérience sur notre chemin que les difficultés et les problèmes dans cette vie ne manquent pas; il y a des situations de souffrance et de douleur, des moments difficiles à comprendre et à accepter. Mais tout cela acquiert une valeur et une signification si nous le considérons dans la perspective de l'éternité. En effet, chaque épreuve, accueillie avec une patience persévérante et offerte pour le Royaume de Dieu, représente un bénéfice spirituel pour nous ici-bas déjà et surtout dans la vie future, au Ciel. Dans ce monde, nous ne sommes que de passage, éprouvés comme l'or au creuset, affirme l'Ecriture Sainte (cf. Sg 3,6). Mystérieusement associés à la passion du Christ, nous pouvons faire de notre existence un don apprécié au Seigneur, un sacrifice volontaire d'amour.

Dans le Psaume responsorial, puis dans la deuxième lecture, tirée de la première Epître de Pierre, nous trouvons comme un écho aux paroles du livre de la Sagesse. Tandis que le Psaume 122, reprenant le chant des pèlerins qui descendent dans la Ville Sainte et après un long chemin, arrivent emplis de joie à ses portes, nous projette dans le climat de fête du Paradis, saint Pierre nous exhorte, au cours du pèlerinage terrestre, à maintenir vive dans notre coeur la perspective de l'espérance, d'une "vivante espérance" (1P 1,3). Face à l'inévitable dissolution de la scène de ce monde, - souligne-t-il - il nous donne la promesse d'"un héritage exempt de corruption, de souillure, de flétrissure" (1P 1,4), car Dieu nous a engendrés dans sa grande miséricorde "par la résurrection de Jésus Christ d'entre les morts" (1P 1,3). Voilà la raison pour laquelle nous devons être "emplis de joie", même si nous sommes affligés par diverses peines. Si, en effet, nous persévérons dans le bien, notre foi, purifiée par de nombreuses épreuves, resplendira un jour dans toute sa splendeur et nous apportera louange, gloire et honneur lorsque Jésus se manifestera dans sa gloire. C'est là que réside la raison de notre espérance, qui nous fait déjà tressaillir "d'une joie indicible et pleine de gloire", tandis que nous sommes en chemin vers le but de notre foi: le salut des âmes (cf. 1P 1,6-8).

Chers frères et soeurs, c'est avec ces sentiments que nous voulons confier à la Divine Miséricorde ces cardinaux, archevêques et évêques, avec qui nous avons travaillé dans la vigne du Seigneur. Définitivement libérés de ce qui reste en eux de la fragilité humaine, que le Père céleste les accueille dans son Royaume éternel et leur accorde la récompense promise aux bons et fidèles serviteurs de l'Evangile. Que les accompagne de sa sollicitude maternelle la Sainte Vierge, et qu'elle leur ouvre les portes du Paradis. Que la Vierge Marie nous aide également, nous qui sommes encore en pèlerinage sur terre, à maintenir notre regard fixé sur la patrie qui nous attend; qu'elle nous encourage à nous tenir prêts "les reins ceints et les lampes allumées" pour accueillir le Seigneur "dès qu'il viendra et frappera" (cf. Lc 12,35-36). A toute heure et à tout moment. Amen!


VISITE PASTORALE À BRESCIA ET CONCESIO (ITALIE)

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CONCÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE Place Paul VI - Brescia - Dimanche 8 novembre 2009

Chers frères et soeurs!

C'est pour moi une grande joie de pouvoir partager avec vous le pain de la Parole de Dieu et de l'Eucharistie ici, au coeur du diocèse de Brescia, où le serviteur de Dieu Giovanni Battista Montini, le Pape Paul VI, naquit et reçut sa formation de jeunesse. Je vous salue tous avec affection et je vous remercie pour votre accueil chaleureux! Je remercie en particulier l'évêque, Mgr Luciano Monari, des paroles qu'il m'a adressées au début de la célébration, et avec lui, je salue les cardinaux, les évêques, les prêtres et les diacres, les religieux et les religieuses, et tous les agents de la pastorale. Je remercie le maire de ses paroles et de son don, ainsi que les autres autorités civiles et militaires. J'adresse une pensée particulière aux malades qui se trouvent dans la cathédrale.

Au centre de la Liturgie de la Parole de ce dimanche - le XXXII du temps ordinaire - nous trouvons le personnage de la veuve pauvre, ou, plus exactement, nous trouvons le geste qu'elle accomplit en jetant dans le trésor du Temple les dernières pièces qui lui restent. Un geste qui, grâce au regard attentif de Jésus, est devenu proverbial: "l'obole de la veuve", est en effet synonyme de la générosité de celui qui donne sans réserve le peu qu'il possède. Mais tout d'abord, je voudrais souligner l'importance du milieu où se déroule cet épisode évangélique, à savoir le Temple de Jérusalem, centre religieux du peuple d'Israël et coeur de toute sa vie. Le Temple est le lieu du culte public et solennel, mais aussi du pèlerinage, des rites traditionnels et des disputes rabbiniques, comme celles rapportées dans l'Evangile entre Jésus et les rabbins de l'époque, dans lesquelles, toutefois, Jésus enseigne avec une autorité particulière, celle de Fils de Dieu. Il prononce des jugements sévères - comme nous l'avons entendu - à l'égard des scribes, en raison de leur hypocrisie: en effet, tout en affichant avec ostentation une grande religiosité, ils exploitent les pauvres gens en imposant des obligations qu'eux-mêmes n'observent pas. Jésus démontre donc une grande affection pour le Temple comme maison de prière, mais c'est précisément pour cette raison qu'il veut le purifier des usages impropres, et plus encore, veut en révéler la signification plus profonde, liée à l'accomplissement du Mystère lui-même, le Mystère de sa mort et résurrection, dans laquelle Il devient lui-même le Temple nouveau et définitif, le lieu où se rencontrent Dieu et l'homme, le Créateur et Sa créature.

L'épisode de l'obole de la veuve s'inscrit dans ce contexte et nous conduit, à travers le regard même de Jésus, à fixer notre attention sur un détail fuyant, mais décisif: le geste d'une veuve, très pauvre, qui jette dans le trésor du Temple deux petites pièces de monnaie. A nous aussi, comme ce jour-là aux disciples, Jésus dit: Faites attention! Regardez bien ce que fait cette veuve, parce que son action renferme un grand enseignement; celui-ci en effet, exprime la caractéristique fondamentale de ceux qui sont les "pierres vivantes" de ce nouveau Temple, c'est-à-dire le don total de soi au Seigneur et à son prochain; la veuve de l'Evangile, comme celle de l'Ancien Testament, offre tout, s'offre elle-même, et se met entre les mains de Dieu, pour les autres. Telle est la signification éternelle de l'offrande de la veuve pauvre, que Jésus exalte parce qu'elle a offert davantage que les riches, qui n'ont donné qu'une partie de leur superflu, tandis qu'elle a offert tout ce qu'elle avait pour vivre (cf.
Mt 12,44), et s'est ainsi donnée elle-même.

Chers amis! A partir de cette icône évangélique, je souhaite méditer brièvement sur le mystère de l'Eglise, du Temple vivant de Dieu, et rendre ainsi hommage à la mémoire du grand Pape Paul vi, qui a consacré toute sa vie à l'Eglise. L'Eglise est un organisme spirituel concret, qui prolonge dans l'espace et dans le temps l'oblation du Fils de Dieu, un sacrifice apparemment insignifiant par rapport aux dimensions du monde et de l'histoire, mais décisif aux yeux de Dieu. Comme le dit la Lettre aux Hébreux - également dans le texte que nous avons écouté - le sacrifice de Jésus, offert "une seule fois", a suffi à Dieu pour sauver le monde entier (cf. He 9,26 He 9,28), parce qu'en cette unique oblation est concentrée tout l'Amour du Fils de Dieu qui s'est fait homme, comme dans le geste de la veuve est concentré tout l'amour de cette femme pour Dieu et pour ses frères: il ne manque rien et rien ne pourrait y être ajouté. L'Eglise, qui naît sans cesse de l'Eucharistie, du don de soi de Jésus, est la continuation de ce don, de cette surabondance qui s'exprime dans la pauvreté, du tout qui s'offre dans un fragment. C'est le Corps du Christ qui se donne entièrement, Corps fractionné et partagé, dans une adhésion constante à la volonté de son Chef. Je suis heureux que vous approfondissiez actuellement la nature eucharistique de l'Eglise, guidés par la Lettre pastorale de votre évêque.

Voilà l'Eglise que le serviteur de Dieu Paul vi a aimée d'un amour passionné et qu'il a cherché de toutes ses forces à faire comprendre et aimer. Relisons ses Pensées sur la mort, au moment où, en conclusion, il parle de l'Eglise. "Je pourrais dire - écrit-il - que je l'ai toujours aimée... et que c'est pour elle, et pour rien d'autre, qu'il me semble avoir vécu. Mais je voudrais que l'Eglise le sache". Ce sont les accents d'un coeur qui bat, et il poursuit ainsi: "Je voudrais enfin la comprendre tout entière, dans son histoire, dans son dessein divin, dans son destin final, dans sa composition complexe, totale et unitaire, dans sa consistance humaine et imparfaite, dans ses tragédies et ses souffrances, dans ses faiblesses et dans les malheurs de tant de ses fils, dans ses aspects les moins sympathiques, et dans son effort constant de fidélité, d'amour, de perfection et de charité. Corps mystique du Christ. Je voudrais - continue le Pape - l'embrasser, la saluer, l'aimer, dans tous les êtres qui la composent, dans chaque évêque et prêtre qui l'assiste et la guide, dans toutes les âmes qui la vivent et l'illustrent; la bénir". Et ses derniers mots sont pour elle, comme à l'épouse de toute une vie: "Et à l'Eglise, à laquelle je dois tout et qui fut mienne, que dirai-je? Que les bénédictions de Dieu soient sur toi; aie conscience de ta nature et de ta mission; aie le sens des besoins véritables et profonds de l'humanité; et marche dans la pauvreté, c'est-à-dire dans la liberté, dans la force et l'amour pour le Christ".

Que peut-on ajouter à des paroles aussi élevées et intenses? Je voudrais seulement souligner cette dernière vision de l'Eglise "pauvre et libre", qui rappelle la figure évangélique de la veuve. C'est ainsi que doit être la communauté ecclésiale, pour réussir à parler à l'humanité contemporaine. La rencontre et le dialogue de l'Eglise avec l'humanité de notre temps étaient particulièrement chers à Giovanni Battista Montini à toutes les époques de sa vie, depuis les premières années du sacerdoce jusqu'à son pontificat. Il a consacré toutes ses énergies au service d'une Eglise le plus possible conforme à son Seigneur Jésus Christ, de façon à ce que, en la rencontrant, l'homme contemporain puisse rencontrer le Christ, car il a un besoin absolu de Lui. Telle est l'aspiration de fond du Concile Vatican II, à laquelle correspond la réflexion du Pape Paul VI sur l'Eglise. Il voulut en exposer sous forme de programme plusieurs points importants dans sa première encyclique Ecclesiam suam, du 6 août 1964, alors que n'avaient pas encore vu le jour les Constitutions conciliaires Lumen gentium et Gaudium et spes.

Avec cette première encyclique, le Pape se proposait d'expliquer à tous l'importance de l'Eglise pour le salut de l'humanité et, dans le même temps, l'exigence que s'établisse une relation de connaissance mutuelle et d'amour entre la communauté ecclésiale et la société (cf. Enchiridion Vaticanum 2 P 199,164). "Conscience", "renouveau", "dialogue": voilà les trois paroles choisies par Paul vi pour exprimer ses "pensées" dominantes - comme il les définit - au début du ministère pétrinien, et toutes les trois concernent l'Eglise. Tout d'abord, l'exigence que celle-ci approfondisse la conscience d'elle-même: origine, nature, mission, destin final; en deuxième lieu, son besoin de se renouveler et de se purifier en regardant le modèle qui est le Christ; enfin, le problème de ses relations avec le monde moderne (cf. ibid. , pp. 203-205 166-168). Chers amis - et je m'adresse de manière particulière à mes frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce - , comment ne pas voir que la question de l'Eglise, de sa nécessité dans le dessein de salut et de sa relation avec le monde, demeure aujourd'hui aussi absolument centrale? Que les développements de la sécularisation et de la mondialisation l'ont même rendue encore plus radicale, dans la confrontation avec l'oubli de Dieu, d'une part, et avec les religions non-chrétiennes, de l'autre? La réflexion du Pape Montini sur l'Eglise est plus que jamais actuelle; et l'exemple de son amour pour elle, inséparable de celui pour le Christ, est encore plus précieux. "Le mystère de l'Eglise - lisons-nous toujours dans l'encyclique Ecclesiam suam - n'est pas un simple objet de connaissance théologique, il doit être un fait vécu duquel, avant même d'en avoir une notion claire, l'âme fidèle peut avoir comme une expérience connaturelle" (ibid., p. 229, n. 178). Cela présuppose une vie intérieure robuste, qui est - ainsi poursuit le Pape - "la source principale de la spiritualité de l'Eglise, sa manière propre de recevoir les irradiations de l'Esprit du Christ, expression radicale et irremplaçable de son activité religieuse et sociale, inviolable défense et énergie nouvelle dans son difficile contact avec le monde profane" (ibid., p. 231, n. 179). C'est précisément le chrétien ouvert, l'Eglise ouverte au monde qui ont besoin d'une robuste vie intérieure.

Très chers amis, quel don inestimable pour l'Eglise que la leçon du serviteur de Dieu Paul VI! Et comme il est enthousiasmant de se remettre à chaque fois à son école! C'est une leçon qui concerne chacun et qui engage tous, selon les divers dons et ministères dont le Peuple de Dieu est riche, par l'action de l'Esprit Saint. En cette Année sacerdotale, j'ai plaisir à souligner que celle-ci concerne et fait participer de manière particulière les prêtres, auxquels le Pape Montini réserva toujours une affection et une sollicitude particulières. Dans l'encyclique sur le célibat sacerdotal, il écrivit: ""Saisi par le Christ Jésus" (Ph 3,12) jusqu'à s'abandonner totalement à Lui, le prêtre se configure plus parfaitement au Christ également dans l'amour avec lequel le Prêtre éternel a aimé l'Eglise son Corps, s'offrant tout entier pour elle... La virginité consacrée des ministres sacrés manifeste en effet l'amour virginal du Christ pour l'Eglise et la fécondité virginale et surnaturelle de cette union" (Sacerdotalis caelibatus,, n. 26). Je dédie ces paroles du grand Pape aux nombreux prêtres du diocèse de Brescia, ici bien représentés, ainsi qu'aux jeunes qui se forment au séminaire. Et je voudrais également rappeler les paroles que Paul vi adressa aux élèves du séminaire lombard le 7 décembre 1968, alors que les difficultés de l'après-Concile s'ajoutaient aux ferments du monde des jeunes: "De nombreuses personnes - dit-il - attendent du Pape des gestes éclatants, des interventions énergiques et décisives. Le Pape considère ne devoir suivre aucune autre ligne que celle de la confiance en Jésus Christ, qui a son Eglise plus à coeur que quiconque. Ce sera lui qui calmera la tempête... Il ne s'agit pas d'une attente stérile: mais d'une attente vigilante dans la prière. C'est la condition que Jésus a choisie pour nous, afin qu'Il puisse opérer en plénitude. Le Pape a lui aussi besoin d'être aidé par la prière" (Insegnamenti VI, [1968], 1189). Chers frères, que les exemples sacerdotaux du serviteur de Dieu Giovanni Battista Montini vous guident toujours, et que saint Arcangelo Tadini, que je viens de vénérer lors de la brève halte à Botticino, intercède pour vous.

Alors que je salue et que j'encourage les prêtres, je ne peux oublier, en particulier ici à Brescia, les fidèles laïcs, qui sur cette terre ont fait preuve d'une extraordinaire vitalité de foi et d'oeuvres, dans les divers domaines de l'apostolat associé et de l'engagement social. Chers amis Brescians, dans les Enseignements de Paul VI, vous pouvez trouver des indications toujours précieuses pour affronter les défis du présent, tels que, en particulier, la crise économique, l'immigration, l'éducation des jeunes. Dans le même temps, le Pape Montini ne perdait jamais une occasion de souligner le primat de la dimension contemplative, c'est-à-dire le primat de Dieu dans l'expérience humaine. C'est pourquoi il ne se lassait jamais de promouvoir la vie consacrée, dans la variété de ses aspects. Il aima intensément la beauté multiforme de l'Eglise, en y reconnaissant le reflet de la beauté infinie de Dieu, qui transparaît sur le visage du Christ.

Nous prions afin que la splendeur de la beauté divine resplendisse dans chacune de nos communautés et que l'Eglise soit un signe lumineux d'espérance pour l'humanité du troisième millénaire. Que Marie, que Paul VI voulut proclamer, à la fin du Concile oecuménique Vatican II, Mère de l'Eglise, obtienne cette grâce pour nous. Amen!



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