Benoît XVI Homélies 15810

MESSE DE L’ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE

15810
Église de la paroisse San Tommaso da Villanova, Castel Gandolfo - Dimanche 15 août 2010


Eminence, Excellence,
Mesdames et Messieurs les membres des Autorités,
chers frères et soeurs,

Aujourd’hui, l’Eglise célèbre l’une des plus importantes fêtes de l’année liturgique consacrées à la Très Sainte Vierge Marie: l’Assomption. Au terme de sa vie terrestre, Marie a été élevée corps et âme au Ciel, c’est-à-dire dans la gloire de la vie éternelle, dans la pleine et parfaite communion avec Dieu.

On fête cette année le soixantième anniversaire du moment où le vénérable Pape Pie XII, le 1er novembre 1950, définit solennellement ce dogme, et je voudrais lire — même si c’est un peu compliqué — la formule du dogme. Le Pape dit: «C’est pourquoi l’auguste Mère de Dieu, unie de toute éternité à Jésus Christ, d’une manière mystérieuse, par “un même et unique décret” de prédestination, Immaculée dans sa Conception, Vierge très pure dans sa divine Maternité, généreuse associée du Divin Rédempteur qui remporta un complet triomphe du péché et de ses suites, a enfin obtenu comme suprême couronnement de ses privilèges d’être gardée intacte de la corruption du sépulcre, en sorte que, comme son Fils, déjà auparavant, après sa victoire sur la mort, elle fut élevée dans son corps et dans son âme, à la gloire suprême du ciel où Reine, elle resplendirait à la droite de son fils, Roi immortel des siècles» (Const. ap. Munificentissimus Deus, AAS, 42 (1950), 768-769).

Cela est donc le noyau de notre foi dans l’Assomption: nous croyons que Marie, comme le Christ son Fils, a déjà vaincu la mort et triomphe déjà dans la gloire céleste dans la totalité de son être, «corps et âme».

Saint Paul, dans la deuxième lecture d’aujourd’hui, nous aide à faire un peu de lumière sur ce mystère, en partant du fait central de l’histoire humaine et de notre foi: c’est-à-dire le fait de la résurrection du Christ, qui constitue «les prémisses de ceux qui sont morts». Plongés dans son mystère pascal, nous participons de sa victoire sur le péché et sur la mort. C’est là que se trouvent le secret surprenant et la réalité clef de toute l’histoire humaine. Saint Paul nous dit que nous sommes tous «incorporés» en Adam, le premier et vieil homme, que nous avons tous le même héritage humain auquel il appartient: la souffrance, la mort, le péché. Mais à cette réalité que nous pouvons tous voir et vivre chaque jour s’ajoute quelque chose de nouveau: nous nous trouvons non seulement dans cet héritage de l’unique être humain, commencé avec Adam, mais nous sommes également «incorporés» dans le nouvel homme, dans le Christ ressuscité, et ainsi la vie de la Résurrection est déjà présente en nous. Cette première «incorporation» biologique est donc une incorporation dans la mort, une incorporation qui engendre la mort. La deuxième, nouvelle, qui nous est donnée dans le baptême, est une «incorporation» qui donne la vie. Je cite encore la deuxième lecture d’aujourd’hui; saint Paul dit: «Car la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection. En effet, c’est en Adam que meurent tous les hommes; c’est dans le Christ que tous revivront, mais chacun à son rang: en premier le Christ; et ensuite, ceux qui seront au Christ lorsqu’il reviendra» (
1Co 15,21-24).

A présent, ce que saint Paul affirme de tous les hommes, l’Eglise, dans son magistère infaillible, le dit à propos de Marie, d’une manière et dans un sens précis: la Mère de Dieu est insérée à tel point dans le Mystère du Christ qu’elle participe de la Résurrection de son Fils de tout son être, déjà au terme de sa vie terrestre; elle vit ce que nous attendons à la fin des temps, lorsque sera anéanti «le dernier ennemi», la mort (cf. 1Co 15,26); elle vit déjà ce que nous proclamons dans le Credo: «J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir».

Nous pouvons alors nous demander: quelles sont les racines de cette victoire sur la mort anticipée de manière prodigieuse en Marie? Les racines se trouvent dans la foi de la Vierge de Nazareth, comme en témoigne le passage de l’Evangile que nous avons entendu (Lc 1,39-56): une foi qui est obéissance à la Parole de Dieu et abandon total à l’initiative et à l’action divine, selon ce que lui annonce l’Archange. La foi est donc la grandeur de Marie, comme le proclame joyeusement Elisabeth: Marie est «bénie entre toutes les femmes», «béni est le fruit de son sein» car elle est «la mère du Seigneur», car elle croit et elle vit de manière unique la «première» des béatitudes, la béatitude de la foi. Elisabeth le confesse dans sa joie et dans celle de l’enfant qui tressaille en son sein: «Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur» (Lc 1,45). Chers amis! Ne nous limitons pas à admirer Marie dans son destin de gloire, comme une personne très éloignée de nous: non! Nous sommes appelés à regarder ce que le Seigneur, dans son amour, a également voulu pour nous, pour notre destin final: vivre à travers la foi dans la communion parfaite d’amour avec Lui, et vivre ainsi véritablement.

A cet égard, je voudrais m’arrêter sur un aspect de l’affirmation dogmatique, là où l’on parle d’assomption à la gloire céleste. Aujourd’hui, nous sommes tous bien conscients qu’à travers le terme «ciel», nous ne nous référons pas à un lieu quelconque de l’univers, à une étoile ou à quelque chose de semblable: non. Nous nous référons à quelque chose de beaucoup plus grand et difficile à définir avec nos concepts humains limités. Par ce terme «ciel», nous voulons affirmer que Dieu, le Dieu qui s’est fait proche de nous, ne nous abandonne pas même dans la mort et au-delà de celle-ci, mais qu’il a une place pour nous et qu’il nous donne l’éternité; nous voulons affirmer qu’en Dieu, il y a une place pour nous. Pour comprendre un peu mieux cette réalité, considérons notre vie elle-même: nous faisons tous l’expérience qu’une personne, lorsqu’elle est morte, continue à subsister d’une certaine manière dans la mémoire et dans le coeur de ceux qui l’ont connue et aimée. Nous pourrions dire qu’en eux continue à vivre une partie de cette personne, mais elle est comme une «ombre» car cette survie dans le coeur des personnes qui lui sont proches est elle aussi destinée à finir. Dieu, en revanche, ne passe jamais et nous existons tous en vertu de son amour. Nous existons parce qu’il nous aime, parce qu’il a pensé à nous et nous a appelés à la vie. Nous existons dans les pensées et dans l’amour de Dieu. Nous existons dans toute notre réalité, pas seulement dans notre «ombre». Notre sérénité, notre espérance, notre paix se fondent précisément sur cela: en Dieu, dans sa pensée et dans son amour, ne survit pas seulement une «ombre» de nous-mêmes, mais en Lui, dans son amour créateur, nous sommes gardés et introduits avec toute notre vie, avec tout notre être dans l’éternité.

C’est son Amour qui vainc la mort et nous donne l’éternité, et c’est cet amour que nous appelons «ciel»: Dieu est si grand qu’il a une place également pour nous. Et l’homme Jésus, qui est en même temps Dieu, est pour nous la garantie que l’être-homme et l’être-Dieu peuvent exister et vivre éternellement l’un dans l’autre. Cela veut dire que de chacun de nous ne continuera pas à exister seulement une partie qui nous est, pour ainsi dire, arrachée, alors que d’autres parties se perdent; cela veut plutôt dire que Dieu connaît et aime tout l’homme, ce que nous sommes. Et Dieu accueille dans son éternité ce qui, à présent, dans notre vie, faite de souffrance et d’amour, d’espérance, de joie et de tristesse, croît et devient. Tout l’homme, toute sa vie est prise par Dieu et, purifiée en Lui, elle reçoit l’éternité. Chers amis! Je pense qu’il s’agit d’une vérité qui doit nous remplir d’une joie profonde. Le christianisme n’annonce pas seulement un quelconque salut de l’âme dans un au-delà imprécis, dans lequel tout ce qui, en ce monde, a été précieux et cher pour nous serait effacé, mais il promet la vie éternelle, «la vie du monde à venir»: rien de ce qui est précieux et cher pour nous ne sera perdu, mais trouvera sa plénitude en Dieu. Tous les cheveux de notre tête sont comptés, dit un jour Jésus (cf. Mt 10,30). Le monde définitif sera également l’accomplissement de cette terre, comme l’affirme saint Paul: la création sera elle-même «libérée de l’esclavage, de la dégradation inévitable, pour connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu» (Rm 8,21). On comprend alors que le christianisme donne une profonde espérance en un avenir lumineux et ouvre la voie à la réalisation de cet avenir. Nous sommes appelés, précisément en tant que chrétiens, à édifier ce monde nouveau, à travailler afin qu’il devienne un jour «le monde de Dieu», un monde qui dépassera tout ce que nous pourrons construire nous mêmes. En Marie élevée au ciel, participant pleinement à la Résurrection du Fils, nous contemplons la réalisation de la créature humaine selon le «monde de Dieu».

Prions le Seigneur afin qu’il nous fasse comprendre combien toute notre vie est précieuse à ses yeux; qu’il renforce notre foi dans la vie éternelle; qu’il fasse de nous des hommes d’espérance, qui oeuvrent pour construire un monde ouvert à Dieu, des hommes pleins de joie, qui savent apercevoir la beauté du monde à venir au milieu des difficultés de la vie quotidienne et qui vivent, croient et espèrent dans cette certitude.

Amen!




VISITE PASTORALE À CARPINETO ROMANO - MESSE Place des Monti Lepini, Carpineto Romano (Latium, Italie) - Dimanche 5 septembre 2010

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Chers frères et soeurs!

Avant tout, permettez-moi d’exprimer ma joie de me trouver parmi vous à Carpineto Romano, sur les traces de mes bien-aimés prédécesseurs Paul VI et Jean-Paul II! Et c’est aussi une fête qui m’a conduit ici: le bicentenaire de la naissance du Pape Léon XIII, Vincenzo Gioacchino Pecci, le 2 mars 1810, dans cette belle petite ville. Je vous remercie tous pour votre accueil! Je salue en particulier avec reconnaissance l’évêque d’Anatri-Alatri, Mgr Lorenzo Loppa, et le maire de Carpineto, qui m’ont souhaité la bienvenue au début de la célébration, ainsi que les diverses autorités présentes. J’adresse une pensée particulière aux jeunes, notamment à ceux qui ont accompli le pèlerinage diocésain. Ma visite, hélas, est très brève et entièrement concentrée sur cette célébration eucharistique: mais ici, nous trouvons tout: la Parole et le Pain de vie éternelle, qui nourrissent la foi, l’espérance et la charité; et nous renouvelons le lien de communion qui fait de nous l’unique Eglise du Seigneur Jésus Christ.

Nous avons écouté la Parole de Dieu, et il est naturel de l’accueillir, en cette occasion, en repensant à la figure du Pape Léon XIII et à l’héritage qu’il nous a laissé. Le thème principal qui ressort des lectures bibliques est celui du primat de Dieu et du Christ. Dans le passage évangélique, tiré de saint Luc, Jésus lui-même déclare avec franchise trois conditions nécessaires pour être ses disciples: l’aimer plus que tout autre personne, et plus que sa vie; porter sa croix et le suivre; renoncer à tous ses biens. Jésus voit qu’une grande foule le suit avec ses disciples, et il veut être clair avec tous: le suivre est exigeant, cela ne peut dépendre d’enthousiasmes et d’intérêts personnels; cela doit être une décision réfléchie, prise après s’être demandé en toute conscience: qui est Jésus pour moi? Est-il véritablement «le Seigneur», occupe-t-il la première place, comme le Soleil autour duquel tournent toutes les planètes? Et la première lecture du Livre de la Sagesse nous suggère de façon indirecte le motif de ce primat absolu de Jésus Christ: en Lui, les questions de l’homme de tout temps qui cherche la vérité sur Dieu et sur lui-même trouvent une réponse. Dieu est au-delà de notre portée, et ses desseins sont insondables. Mais lui-même a voulu se révéler, dans la création et surtout dans l’histoire du salut, jusqu’à ce que dans le Christ, il se soit pleinement manifesté lui-même, ainsi que sa volonté. Bien qu’il demeure toujours vrai que «Dieu, personne ne l'a jamais vu» (
Jn 1,18), à présent, nous connaissons son «nom», son «visage» et également sa volonté, car Jésus, qui est la Sagesse de Dieu faite homme, nous les a révélés. «C’est ainsi, — écrit l’Auteur sacré — que les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés» (Sg 9,18).

Ce rappel fondamental de la Parole de Dieu fait penser à deux aspects de la vie et du ministère de votre vénéré concitoyen que nous commémorons aujourd’hui, le Souverain Pontife Léon XIII. Avant tout, il faut souligner qu’il fut un homme de grande foi et de profonde dévotion. Cela demeure toujours la base de tout, pour chaque chrétien, y compris le Pape. Sans la prière, c’est-à-dire sans l’union intérieure avec Dieu, nous ne pouvons rien faire, comme le dit clairement Jésus à ses disciples au cours de la dernière Cène (cf. Jn 15,5). Les paroles et les actes du Pape Pecci laissaient transparaître sa religiosité intime; et cela s’est répercuté également sur son Magistère: parmi ses très nombreuses Encycliques et Lettres apostoliques, comme le fil dans un collier, il y a celles à caractère proprement spirituel, consacrées surtout à l’approfondissement de la dévotion mariale, en particulier à travers le chapelet. Il s’agit d’une véritable «catéchèse», qui rythme du début à la fin les 25 ans de son pontificat. Mais nous trouvons également les documents sur le Christ rédempteur, sur l’Esprit Saint, sur la consécration au Sacré Coeur, sur la dévotion à saint Joseph, sur saint François d’Assise. Léon XIII fut particulièrement lié à la famille franciscaine, et lui-même appartint au Tiers-Ordre. J’ai plaisir à considérer tous ces divers éléments comme les facettes d’une unique réalité: absolument rien ne doit être placé avant l’amour de Dieu et du Christ. Et c’est ici, dans son village natal, que Vincenzo Gioacchino Pecci apprit de ses parents et de sa paroisse, cette première et principale qualité.

Mais il y a aussi un deuxième aspect, qui dérive toujours du primat de Dieu et du Christ et qui se retrouve dans l'action publique de tout pasteur de l'Eglise, en particulier de tout Souverain Pontife, avec les caractéristiques propres à la personnalité de chacun. Je dirais que c'est précisément le concept de «sagesse chrétienne», qui est déjà apparu au cours de la première lecture de l'Evangile, qui nous offre la synthèse de cette caractéristique pour Léon XIII — ce n’est pas un hasard si c’est aussi l’incipit d'une de ses Encycliques. Chaque pasteur est appelé à transmettre au peuple de Dieu non seulement des vérités abstraites, mais une «sagesse», c'est-à-dire un message qui conjugue foi et vie, vérité et réalité concrète. Le Pape Léon XIII, avec l'aide de l'Esprit Saint, a été capable de le faire à une période historique parmi les plus difficiles pour l'Eglise, en demeurant fidèle à la tradition et, dans le même temps, en se mesurant avec les grandes questions ouvertes. Et il y parvint précisément sur la base de la «sagesse chrétienne» fondée sur les Saintes Ecritures, sur l'immense patrimoine théologique et spirituel de l'Eglise catholique ainsi que sur la philosophie solide et limpide de saint Thomas d'Aquin, qu'il apprécia au plus haut degré et promut dans toute l'Eglise.

Dès lors, après avoir considéré le fondement, c'est-à-dire la foi et la vie spirituelle, et donc le cadre général du message de Léon XIII, je peux évoquer son magistère social, rendu particulièrement célèbre et impérissable par l'Encyclique Rerum novarum, mais riche de multiples autres interventions qui constituent un corps organique, le premier noyau de la doctrine sociale de l'Eglise. Partons de la Lettre à Philémon de saint Paul qu’avec bonheur, la liturgie nous offre à lire précisément aujourd'hui. C'est le texte le plus bref de tout l'épistolaire paulinien. Pendant la période de sa prison, l'apôtre a transmis la foi à Onésime, un esclave originaire de Colosses ayant fui son maître Philémon, un riche habitant de cette ville, devenu chrétien avec sa famille grâce à la prédication de Paul. A présent, l'apôtre écrit à Philémon en l’invitant à accueillir Onésime non plus comme un esclave, mais comme un frère dans le Christ. La nouvelle fraternité chrétienne dépasse la séparation entre esclaves et hommes libres, et amorce dans l'histoire le principe de promotion de la personne qui conduira à l'abolition de l'esclavage, mais aussi à franchir les barrières qui existent encore aujourd'hui. Le Pape Léon XIII consacra précisément au thème de l’esclavage l'encyclique Catholicae Ecclesiae, de 1890.

A partir de cette expérience particulière de saint Paul avec Onésime, peut s’engager une vaste réflexion sur l'élan de promotion humaine apportée par le christianisme sur le chemin de la civilisation ainsi que sur la méthode et le style de cette contribution, conformes aux images évangéliques du grain et du levain: à l'intérieur de la réalité historique, les chrétiens, en agissant individuellement en citoyens, ou sous forme associative, constituent une force bénéfique et pacifique de changements profonds, en favorisant le développement des potentialités internes à la réalité elle-même. C'est la forme de présence et d'action dans le monde proposée par la doctrine sociale de l'Eglise, qui vise toujours à faire mûrir les consciences, condition de transformations efficaces et durables.

Nous devons à présent nous demander: quel était le contexte dans lequel naquit, il y a deux siècles, celui qui serait devenu, 68 ans plus tard, le Pape Léon XIII? L’Europe vivait alors la grande tempête napoléonienne, qui avait suivi la Révolution française. L’Eglise et les nombreuses expressions de la culture chrétienne étaient remises en question de manière radicale (que l’on pense, par exemple, au fait de compter les années non plus à partir de la naissance du Christ, mais depuis le début de la nouvelle ère révolutionnaire, ou d’enlever le nom des saints du calendrier, des rues, des villages etc.). Les populations des campagnes n’étaient certainement pas favorables à ces bouleversements, et elles restaient liées aux traditions religieuses. La vie quotidienne était pénible et difficile: les conditions sanitaires et alimentaires très précaires. Dans le même temps, l’industrie se développait et avec celle-ci, le mouvement ouvrier, toujours plus organisé politiquement. Le magistère de l’Eglise, à son niveau le plus élevé, fut soutenu et aidé par les réflexions et les expériences locales à élaborer une lecture globale dans la perspective de la nouvelle société et de son bien commun. Ainsi, lorsqu’en 1878 Léon XIII fut élu sur le trône pontifical, il se sentit appelé à la mener à bien, à la lumière de ses vastes connaissances de portée internationale, mais également des nombreuses initiatives réalisées «sur le terrain» par des communautés chrétiennes et des hommes et des femmes d’Eglise.

Ce furent en effet des dizaines et des dizaines de saints et de bienheureux, de la fin du XVIIIe siècle au début du XIXe siècle, qui cherchèrent à expérimenter, avec la créativité de la charité, de multiples voies pour mettre en pratique le message évangélique au sein des nouvelles réalités sociales. Ce furent sans aucun doute ces initiatives, avec les sacrifices et les réflexions de ces hommes et de ces femmes, qui préparèrent le terrain de Rerum novarum et des autres documents sociaux du Pape Pecci. Déjà depuis l’époque où il était nonce en Belgique, il avait compris que la question sociale pouvait être affrontée de façon positive et efficace à travers le dialogue et la médiation. A une époque de dur anticléricalisme et de vives manifestations contre le Pape, Léon XIII sut guider et soutenir les catholiques sur la voie d’une participation constructive, riche de contenus, ferme sur les principes et capable d’ouverture. Immédiatement après Rerum novarum eut lieu en Italie et dans d’autres pays une authentique explosion d’initiatives: associations, caisses rurales et d’artisans, journaux... un vaste «mouvement» qui trouva chez le serviteur de Dieu Giuseppe Toniolo un animateur éclairé. Un Pape très âgé, mais sage et clairvoyant, put ainsi introduire dans le XXe siècle une Eglise rajeunie, avec la juste attitude pour affronter les nouveaux défis. Il s’agissait d’un Pape encore politiquement et physiquement «prisonnier» au Vatican, mais en réalité, avec son magistère, il représentait une Eglise capable d’affronter sans complexes les grandes questions du monde contemporain.

Chers amis de Carpineto Romano, nous n’avons pas le temps d’approfondir ces questions. L’Eucharistie que nous célébrons, le sacrement de l’Amour, nous renvoie à l’essentiel: la charité, l’amour du Christ qui renouvelle les hommes et le monde; tel est l’essentiel, et nous le voyons bien, nous le percevons presque dans les expressions de saint Paul dans la Lettre à Philémon. Dans ce bref écrit, en effet, on sent toute la douceur et dans le même temps la puissance révolutionnaire de l’Evangile; on perçoit le style discret et en même temps irrésistible de la charité, qui, comme je l’ai écrit dans mon encyclique sociale, Caritas in veritate, est «la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l’humanité tout entière» (). Avec joie et avec affection, je vous laisse donc le commandement ancien et toujours nouveau: aimez-vous comme le Christ nous a aimés, et avec cet amour soyez le sel et la lumière du monde. Ainsi, vous serez fidèles à l’héritage de votre grand et vénéré concitoyen, le Pape Léon XIII. Et qu’il en soit ainsi dans toute l’Eglise! Amen.





VOYAGE APOSTOLIQUE AU ROYAUME-UNI (16-19 SEPTEMBRE 2010)


MESSE Bellahouston Park - Glasgow - Jeudi 16 septembre 2010

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Chers frères et soeurs dans le Christ,

« Le Royaume de Dieu est tout proche de vous !» (
Lc 10,9). C’est par ces mots de l’Évangile que nous venons d’écouter que je vous salue tous avec une grande affection dans le Seigneur. Oui, le Royaume du Seigneur est déjà au milieu de nous. Dans cette célébration eucharistique durant laquelle l’Église qui est en Écosse est rassemblée autour de l’autel en union avec le Successeur de Pierre, réaffirmons notre foi dans les paroles du Christ et notre espérance – une espérance qui ne déçoit jamais – en ses promesses. Je salue cordialement le Cardinal O’Brien et les Évêques d’Écosse ; je remercie en particulier Monseigneur Conti pour les aimables paroles de bienvenue qu’il m’a adressé en votre nom ; et j’exprime ma profonde gratitude pour le travail réalisé par les gouvernements britannique et écossais et par les responsables de la ville de Glasgow pour permettre cet événement.

L’Évangile d’aujourd’hui nous rappelle que Jésus continue d’envoyer ses disciples à travers le monde afin d’annoncer l’avènement de son Royaume et d’apporter sa paix dans le monde, d’abord de maison en maison, puis de famille en famille, et de ville en ville. Je suis venu chez vous, fils spirituels de saint André, comme un messager de cette paix et pour vous confirmer dans la foi de Pierre (cf. Lc 22,32). C’est avec une certaine émotion que je vous parle, non loin du lieu où mon vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, célébra la messe avec vous, il y a presque trente ans, et où il fut accueilli par la plus grande foule jamais rassemblée dans l’histoire écossaise.

Depuis cette visite historique, beaucoup d’événements se sont passés en Écosse et au sein de l’Église qui est dans ce pays. Je constate avec une profonde satisfaction combien l’appel à marcher main dans la main avec vos frères chrétiens, que le Pape Jean-Paul II vous avait adressé, a contribué à faire grandir la confiance et l’amitié avec les membres de l’Église d’Écosse, ceux de l’Église épiscopale écossaise et d’autres encore. Je vous encourage à continuer de prier et de travailler avec eux à la construction d’un avenir plus radieux pour l’Écosse, un avenir basé sur notre héritage chrétien commun. Dans la première lecture d’aujourd’hui, nous avons entendu saint Paul encourager les Romains à reconnaître que, comme membres du Christ, ‘nous sommes membres les uns des autres’ (Rm 12,5), et à vivre dans le respect et l’amour mutuel. Dans cet esprit, je salue les représentants oecuméniques qui nous honorent de leur présence. Cette année marque le 450ème anniversaire de la création du Parlement de la Réforme ainsi que le 100ème anniversaire de la Conférence Missionnaire Mondiale d’Édimbourg, qui est largement reconnue comme le point de départ du mouvement oecuménique moderne. Rendons grâce à Dieu pour l’espoir que représentent les efforts de compréhension et de coopération oecuméniques, en vue d’un unique témoignage à la vérité du salut qu’est la Parole de Dieu, dans une société soumise aujourd’hui à de rapides changements.

Parmi les différents dons énumérés par saint Paul pour la construction de l’Église figure celui de l’enseignement (cf. Rm 12,7). L’annonce de l’Évangile a toujours été accompagnée par un souci pour les paroles : la parole inspirée de Dieu, et la culture dans laquelle celle-ci s’enracine et fleurit. Ici en Écosse, je pense aux trois universités médiévales fondées par les papes, en particulier à l’université Saint-André qui va célébrer cette année le 600ème anniversaire de fondation. Dans les trente dernières années, avec le concours des autorités civiles, les écoles catholiques écossaises ont relevé le défi de procurer une éducation intégrale à un plus grand nombre d’étudiants, et cela a aidé des jeunes non seulement dans leur croissance spirituelle et humaine, mais aussi pour leur insertion dans la vie professionnelle et publique. C’est un signe de grande espérance pour l’Église, et j’encourage les professionnels catholiques, hommes politiques et professeurs d’Écosse, à ne jamais perdre de vue leur vocation qui est de mettre leurs talents et leur expérience au service de la foi, en s’engageant à tous les niveaux de la culture contemporaine écossaise.

L’évangélisation de la culture est d’autant plus importante de nos jours, alors qu’une “dictature du relativisme” menace d’obscurcir l’immuable vérité sur la nature humaine, sa destinée et son bien suprême. Certains cherchent aujourd’hui à exclure la croyance religieuse du discours public, à la limiter à la sphère privée ou même à la dépeindre comme une menace pour l’égalité et pour la liberté. Pourtant, la religion est en fait une garantie de liberté et de respect authentiques, car elle nous conduit à considérer chaque personne comme un frère ou une soeur. Pour cette raison, je lance un appel particulier à vous les fidèles laïcs, en accord avec votre vocation et votre mission baptismales, à être non seulement des exemples de foi dans la vie publique, mais aussi à introduire et à promouvoir dans le débat public l’argument d’une sagesse et d’une vision de foi. La société d’aujourd’hui a besoin de voix claires qui prônent notre droit de vivre, non pas dans une jungle de libertés autodestructrices et arbitraires, mais dans une société qui travaille pour le vrai bien-être de ses citoyens et qui, face à leurs fragilités et leurs faiblesses, leur offre conseils et protection. N’ayez pas peur de prendre en main ce service de vos frères et soeurs pour l’avenir de votre nation bien-aimée.

Saint Ninian, dont nous célébrons la fête aujourd’hui, n’a pas eu peur d’être une voix solitaire. Sur les pas des disciples que notre Seigneur envoyait devant lui, Ninian fut l’un des tout premiers missionnaires catholiques à apporter à ses frères britanniques la bonne nouvelle de Jésus Christ. Son poste missionnaire, à Galloway, devint le centre de la première évangélisation de ce pays. Ce travail fut plus tard poursuivi par saint Mungo, le saint Patron de Glasgow, et par d’autres saints, parmi lesquels saint Colomba et sainte Marguerite sont les plus grands. Inspirés par leurs exemples, beaucoup d’hommes et de femmes ont oeuvré au long des siècles pour vous transmettre la foi. Puisse l’exhortation faite par saint Paul dans la première lecture, vous inspirer constamment : « Ne brisez pas l’élan de votre générosité, mais laissez jaillir l’Esprit ; soyez les serviteurs du Seigneur. Aux jours d’espérance, soyez dans la joie ; aux jours d’épreuve, tenez bon ; priez avec persévérance » (cf. Rm 12,11-12).

J’aimerais à présent adresser un message particulier aux Évêques d’Écosse. Chers frères, je vous encourage dans votre charge pastorale auprès des catholiques d’Écosse. Comme vous le savez, l’un de vos premiers devoirs pastoraux est envers vos prêtres (cf. Presbyterorum Ordinis PO 7) et doit viser leur sanctification. De même qu’ils sont alter Christus pour la communauté catholique, ainsi l’êtes-vous aussi pour eux. Dans votre ministère fraternel envers vos prêtres, vivez en plénitude la charité qui vient du Christ et collaborez avec tous, spécialement avec ceux qui ont peu de contact avec leurs confrères prêtres. Priez avec eux pour les vocations, afin que le Maître de la moisson envoie des ouvriers pour sa moisson (cf. Lc 10,2). De même que l’Eucharistie fait l’Église, ainsi le sacerdoce est central pour la vie de l’Église. Engagez-vous personnellement dans la formation de vos prêtres afin qu’ils deviennent un groupe d’hommes capables d’en inspirer d’autres à se consacrer totalement au service du Dieu Tout-puissant. Prenez aussi soin des diacres dont le ministère de service est lié de manière particulière à celui de l’ordre des Évêques. Pour eux, soyez des pères et des guides vers la sainteté, et encouragez-les à acquérir connaissance et sagesse dans l’accomplissement de la mission d’annonce à laquelle ils ont été appelés.

Chers prêtres d’Écosse, vous êtes appelés à la sainteté et au service du peuple de Dieu en modelant vos vies sur le mystère de la croix du Seigneur. Prêchez l’Évangile avec un coeur pur et une conscience transparente. Consacrez-vous à Dieu seul et vous deviendrez pour les jeunes des exemples lumineux d’une vie sainte, simple et joyeuse : à leur tour, ils désireront vous rejoindre dans votre service exclusif de servir le peuple de Dieu. Puisse l’exemple de dévouement, de désintéressement et de courage de saint Jean Ogilvie vous inspirer tous ! De même, j’encourage les moines, les religieuses et les religieux d’Écosse à être comme la lumière placée sur la colline, menant une authentique vie chrétienne de prière et d’action qui rend un témoignage lumineux à la puissance de l’Évangile.

Je désire enfin m’adresser à vous, chers jeunes catholiques d’Écosse. Je vous invite à mener une vie digne de notre Seigneur (cf. Ep 4,1) et de vous-mêmes. Chaque jour, vous êtres soumis à de nombreuses tentations – drogue, argent, sexe, pornographie, alcool – dont le monde prétend qu’elles vous donnent le bonheur. Mais ces choses détruisent et divisent. Il n’y a qu’une seule chose qui soit durable : l’amour de Jésus Christ pour chacun de vous personnellement. Cherchez-le, connaissez-le et aimez-le, et il vous rendra libres de l’esclavage d’une existence attrayante mais superficielle, souvent proposée par la société d’aujourd’hui. Laissez de côté ce qui ne vaut rien et apprenez votre propre dignité de fils de Dieu. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus nous demande de prier pour les vocations : je prie pour que beaucoup d’entre vous connaissent et aiment Jésus Christ et, qu’à travers cette rencontre, ils se consacrent complètement à Dieu, particulièrement ceux d’entre vous qui sont appelés au sacerdoce et à la vie religieuse. C’est le défi que le Seigneur vous lance aujourd’hui : l’Eglise vous appartient dès maintenant.

Chers amis, j’exprime une fois encore ma joie de célébrer cette messe avec vous. Je suis heureux de vous assurer de mes prières dans l’antique langue de votre pays : Sìth agus beannachad Dhe dhuibh uile ; Dia bhi timcheall oi rbh ; agus gum beannaicheadh Dia Alba. La paix et la bénédiction de Dieu soient avec vous tous ; Dieu vous protège, et qu’Il bénisse le peuple écossais !





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