Benoît XVI Homélies 27512

MESSE EN LA SOLENNITÉ DE PENTECÔTE 27 mai 2012

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Basilique vaticane

Dimanche 27 mai 2012




Chers frères et soeurs,

Je suis heureux de célébrer avec vous cette Messe, animée aujourd’hui par le choeur de l’Académie de Sainte-Cécile et par l’orchestre des jeunes — que je remercie — en la solennité de Pentecôte. Ce mystère constitue le baptême de l’Eglise, c’est un événement qui lui a donné, pour ainsi dire, sa forme initiale et l’impulsion pour sa mission. Et cette «forme» et cette «impulsion» sont toujours valables, toujours actuelles, et elles se renouvellent en particulier à travers les actions liturgiques. Ce matin, je voudrais m’arrêter sur un aspect essentiel du mystère de la Pentecôte, qui est pour nous toujours aussi important. La Pentecôte est la fête de l’union, de la compréhension et de la communion humaine. Nous pouvons tous constater que dans notre monde, alors même que nous sommes toujours plus proches les uns les autres avec le développement des moyens de communication et que les distances géographiques semblent disparaître, la compréhension et la communion entre les personnes est souvent superficielle et difficile. Il demeure des déséquilibres qui conduisent assez souvent au conflit; le dialogue entre les générations devient difficile et parfois l’affrontement prévaut; nous assistons à des événements quotidiens où il semble que les hommes deviennent plus agressifs et plus méfiants; se comprendre les uns les autres semble demander trop d’efforts, et on préfère rester dans son propre «moi», dans ses propres intérêts. Dans ce contexte, pouvons-nous trouver véritablement et vivre cette unité dont nous avons besoin?

Le récit de la Pentecôte dans les Actes des apôtres, que nous avons écouté dans la première lecture (cf. Ac
Ac 2,1-11), contient en arrière-plan l’une des histoires fondamentales que nous trouvons au commencement de l’Ancien Testament: l’histoire antique de la construction de la Tour de Babel (cf. Gn Gn 11,1-9). Mais qu’est-ce que Babel? C’est la description d’un royaume où les hommes ont accumulé tant de pouvoir qu’ils pensent pouvoir s’affranchir d’un Dieu lointain et être assez forts pour pouvoir construire tout seuls un chemin qui s’élève jusqu’au ciel, pour en ouvrir les portes et prendre la place de Dieu. Mais précisément dans ces circonstances, il arrive quelque chose d’étrange et de singulier. Tandis que les hommes travaillaient ensemble pour construire la tour, ils ont soudain réalisé qu’ils étaient en train de construire les uns contre les autres. Tandis qu’ils tentaient d’être comme Dieu, ils couraient le risque de n’être même plus des hommes, car ils avaient perdu un élément fondamental de l’être de la personne humaine: la capacité de se mettre d’accord, de se comprendre et d’oeuvrer ensemble.

Ce récit biblique contient une vérité éternelle; nous le voyons dans l’histoire, mais aussi dans le monde actuel. Avec le progrès de la science et de la technique, nous avons acquis le pouvoir de dominer les forces de la nature, de manipuler les éléments, de fabriquer des êtres vivants, parvenant presque jusqu’à l’homme lui-même. Dans ce contexte, prier Dieu semble quelque chose de dépassé, d’inutile, parce que nous pouvons construire et réaliser nous-mêmes tout ce que nous voulons. Mais nous ne nous apercevons pas que nous sommes en train de revivre l’expérience de Babel. C’est vrai, nous avons multiplié les possibilités de communiquer, d’obtenir et de transmettre des informations, mais peut-on dire que la capacité de se comprendre s’est développée ou bien, paradoxalement, que l’on se comprend toujours moins? Ne semble-t-il pas que se répand entre les hommes un sentiment de méfiance, de soupçon, de peur mutuelle, à tel point que les hommes deviennent même dangereux les uns pour les autres? Revenons alors à la question initiale: peut-il vraiment exister l’unité, la concorde? Et comment?

Nous trouvons la réponse dans l’Ecriture Sainte: l’unité ne peut exister qu’avec le don de l’Esprit de Dieu, qui nous donnera un coeur nouveau et un langage nouveau, une capacité nouvelle de communiquer. Et c’est ce qui s’est passé à la Pentecôte. Ce matin-là, cinquante jours après Pâques, un vent violent souffla sur Jérusalem et la flamme de l’Esprit Saint descendit sur les disciples réunis, se posa sur chacun et alluma en eux le feu divin, un feu d’amour, capable de transformer. La peur disparut, leur coeur sentit une force nouvelle, leurs langues se délièrent et ils commencèrent à parler en toute franchise, si bien que tous purent comprendre l’annonce de Jésus Christ mort et ressuscité. A la Pentecôte, là où régnaient la division et le sentiment d’être étrangers, sont nées l’unité et la compréhension.

Mais lisons l’Evangile d’aujourd’hui, dans lequel Jésus affirme: «Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière» (Jn 16,13). Ici, Jésus, parlant de l’Esprit Saint, nous explique ce qu’est l’Eglise et comment elle doit vivre pour être elle-même, pour être le lieu de l’unité et de la communion dans la vérité. Il nous dit qu’agir en tant que chrétien signifie ne pas être enfermé dans son propre «moi», mais être tourné vers le tout. Cela signifie accueillir en soi-même l’Eglise tout entière ou, mieux encore, la laisser nous accueillir intérieurement. Aussi, lorsque je parle, je pense, j’agis comme chrétien, je ne le fais pas en m’enfermant dans mon «moi», mais je le fais toujours dans le tout et à partir du tout: ainsi l’Esprit Saint, Esprit d’unité et de vérité, peut continuer à agir dans nos coeurs et dans les esprits des hommes, les poussant à se rencontrer et à s’accueillir réciproquement. C’est précisément en agissant ainsi, que l’Esprit nous introduit dans la vérité tout entière, qui est Jésus, qu’il nous guide pour l’approfondir, la comprendre: nous ne grandissons pas dans la connaissance en nous enfermant dans notre «moi», mais seulement en devenant capables d’écouter et de partager, seulement dans le «nous» de l’Eglise, dans une attitude de profonde humilité intérieure. Les raisons pour lesquelles Babel est Babel et la Pentecôte est la Pentecôte sont ainsi plus claires. Là où les hommes veulent se faire Dieu, ils ne peuvent que se dresser les uns contre les autres. Là où, au contraire, ils se placent dans la vérité du Seigneur, ils s’ouvrent à l’action de son Esprit qui les soutient et les unit.

L’opposition entre Babel et Pentecôte est évoquée aussi dans la seconde lecture, dans laquelle l’Apôtre dit: «Laissez-vous mener par l’Esprit et vous ne risquerez pas de satisfaire la convoitise charnelle» (Ga 5,16). Saint Paul nous explique que notre vie personnelle est marquée par un conflit intérieur, par une division, entre les pulsions de la chair et celles de l’Esprit; et nous ne pouvons pas toutes les suivre. En effet, nous ne pouvons pas être en même temps égoïstes et généreux, suivre la tendance à dominer les autres et éprouver la joie du service désintéressé. Nous devons toujours choisir quelle pulsion suivre et nous ne pouvons le faire de façon authentique qu’avec l’aide de l’Esprit du Christ. Saint Paul énumère — comme nous venons de l’entendre — les oeuvres de la chair, ce sont les péchés d’égoïsme et de violence, tels que l’inimitié, la discorde, la jalousie, les désaccords; ce sont des pensées et des actions qui ne font pas vivre de façon véritablement humaine et chrétienne, dans l’amour. C’est une orientation qui conduit à la perte de sa vie. Au contraire, l’Esprit Saint nous guide vers les hauteurs de Dieu, pour que nous puissions vivre, déjà sur cette terre, le germe de vie divine qui est en nous. Saint Paul affirme en effet: «Le fruit de l’Esprit est charité, joie, paix» (Ga 5,22). Et notons que l’Apôtre utilise le pluriel pour décrire les oeuvres de la chair, qui provoquent la dispersion de l’être humain, alors qu’il utilise le singulier pour définir l’action de l’Esprit, il parle de «fruit», exactement comme la dispersion de Babel s’oppose à l’unité de Pentecôte.

Chers amis, nous devons vivre selon l’Esprit d’unité et de vérité, et nous devons prier pour cela afin que l’Esprit nous illumine et nous guide pour vaincre la fascination de suivre nos vérités, et pour accueillir la vérité du Christ transmise dans l’Eglise. Le récit de Luc de la Pentecôte nous dit que Jésus, avant de monter au ciel, demanda aux Apôtres de rester ensemble pour se préparer à recevoir le don de l’Esprit Saint. Et ceux-ci se réunirent en prière avec Marie, au Cénacle, dans l’attente de l’événement promis (cf. Ac Ac 1,14). Recueillie avec Marie, comme à sa naissance, l’Eglise encore aujourd’hui prie: «Veni Sancte Spiritus! — Viens, Esprit Saint, remplis les coeurs de tes fidèles et allume en eux le feu de ton amour!». Amen.






VISITE PASTORALE À L’ARCHIDIOCÈSE DE MILAN ET VII\e RENCONTRE MONDIALE DES FAMILLES (1-3 JUIN 2012)


CÉLÉBRATION DE L'HEURE DU MILIEU DU JOUR Cathédrale de Milan Samedi 2 juin 2012

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Chers frères et soeurs !


Nous nous sommes recueillis en prière, en répondant à l’invitation de l’Hymne ambrosien de l’Heure Tierce : « C’est l’heure tierce. Jésus Seigneur, injurié, monte sur la croix ». C’est une claire référence à l’obéissance pleine d’amour de Jésus à la volonté du Père. Le mystère pascal a marqué le début d’un temps nouveau : la mort et la résurrection du Christ recrée l’innocence au sein de l’humanité et y fait naître la joie. En effet, l’hymne poursuit : « À partir d’ici commence l’époque du salut du Christ — Hinc iam beata tempora coepere Christi gratia ». Nous nous sommes rassemblés dans la basilique cathédrale, dans ce Dôme, qui est véritablement le coeur de Milan. D’ici la pensée s’étend au très vaste archidiocèse ambrosien qui, au cours des siècles et également à un époque récente, a donné à l’Église des hommes éminents par leur sainteté de vie et dans leur ministère, comme saint Ambroise et saint Charles, et plusieurs Papes d’une envergure peu commune, comme Pie IX et le serviteur de Dieu Paul VI, et les bienheureux cardinaux Andrea Carlo Ferrari et Alfredo Alfonso Schuster.

Je suis très heureux de faire cette halte avec vous ! J’adresse une pensée affectueuse à tous et à chacun en particulier, et je voudrais la faire parvenir de manière particulière à ceux qui sont malades ou très âgés. Je salue avec une vive cordialité votre archevêque, le cardinal Angelo Scola, et je le remercie de ses aimables paroles. Je salue avec affection vos pasteurs émérites, les cardinaux Carlo Maria Martini et Dionigi Tettamanzi, avec les autres cardinaux et évêques présents.

En ce moment, nous vivons le mystère de l’Église dans son expression la plus élevée, celle de la prière liturgique. Nos lèvres, nos coeurs et nos esprits, dans la prière ecclésiale, se font les interprètes des nécessités et des aspirations de toute l’humanité. Avec les paroles du Psaume 118, nous avons supplié le Seigneur au nom de tous les hommes : « Incline mon coeur vers tes enseignements... Seigneur, que ta grâce vienne vers moi ». La prière quotidienne de la Liturgie des heures constitue une tâche essentielle du ministère ordonné dans l’Église. Également à travers l’Office divin, qui prolonge pendant la journée le mystère central de l’Eucharistie, les prêtres sont de manière particulière unis au Seigneur Jésus, qui vit et agit dans le temps. Le sacerdoce : quel don précieux ! Chers séminaristes qui vous préparez à le recevoir, apprenez à le goûter dès à présent et vivez avec engagement le temps précieux du séminaire ! Mgr Montini, au cours des ordinations de 1958, parlait précisément ainsi dans cette cathédrale : « La vie sacerdotale commence : un poème, un drame, un mystère nouveau... source de méditation perpétuelle... toujours objet de découverte et d’émerveillement ; [le sacerdoce] — dit-il — est toujours nouveauté et beauté pour qui y consacre une pensée pleine d’amour... il est la reconnaissance de l’oeuvre de Dieu en nous (Homélie pour l’ordination de 46 prêtres, 21 juin 1958).

Si le Christ, pour édifier son Église, se remet entre les mains du prêtre, celui-ci doit à son tour se confier à Lui sans réserve. L’amour pour le Seigneur Jésus est l’âme et la raison du ministère sacerdotal, de même qu’il fut la condition pour qu’il donne à Pierre la mission de paître son troupeau : « Simon... m’aimes-tu plus que ceux-ci ?... Sois le berger de mes agneaux » (
Jn 21,15). Le Concile Vatican II a rappelé que le Christ « demeure toujours la source et le principe d’unité de leur vie. Les prêtres réaliseront cette unité de vie en s’unissant au Christ dans la découverte de la volonté du Père, et dans le don d’eux-mêmes pour le troupeau qui leur est confié. Assumant ainsi le rôle du Bon Pasteur, ils trouveront dans l’exercice de la charité pastorale le lien de la perfection sacerdotale qui assure l’unité de leur vie et de leur action » (Décr. Presbyterorum ordinis PO 14). Il s’est précisément exprimé sur cette question: pendant les diverses activités, heure après heure, comment trouver l’unité de la vie, l’unité de l’état de prêtre, précisément de cette source de l’amitié profonde avec Jésus, être avec Lui de l’intérieur. Et il n’y pas d’opposition entre le bien de la personne du prêtre et sa mission. Au contraire, la charité pastorale est l’élément unifiant de la vie qui part d’une relation toujours plus intime avec le Christ dans la prière pour vivre le don total de soi pour le troupeau, de manière à ce que le peuple de Dieu croisse dans la communion avec Dieu et soit la manifestation de la communion avec la Très Sainte Trinité. Chacune de nos actions, en effet, a pour but de conduire les fidèles à l’union avec le Seigneur et à faire ainsi croître la communion ecclésiale pour le salut du monde. Ces trois choses, union personnelle avec Dieu, bien de l’Église, bien de l’humanité dans sa totalité, ne sont pas des choses distinctes ou opposées, mais une symphonie de la foi vécue.

Le célibat sacerdotal et la virginité consacrée sont un signe lumineux de cette charité pastorale et d’un coeur indivis. Dans l’Hymne de saint Ambroise, nous avons chanté : « Si en toi naît le Fils de Dieu, tu conserves la vie sans faute ». « Accueillir le Christ — Christum suscipere » est un motif qui revient souvent dans la prédication du saint évêque de Milan. Je cite un passage de son Commentaire sur saint Luc : « Celui qui accueille le Christ au coeur de sa maison est rassasié par les joies les plus grandes » (Expos. Evangelii sec. Lucam, V, 16). Le Seigneur Jésus a été le coeur, l’argument principal de sa réflexion et de sa prédication, et surtout le terme d’un amour vivant et confiant. Sans aucun doute l’amour pour Jésus vaut pour tous les chrétiens, mais il acquiert une signification particulière pour le prêtre célibataire et pour celui qui a répondu à la vocation à la vie consacrée : ce n’est qu’en Christ et toujours en lui que l’on trouve la source et le modèle pour répéter chaque jour le « oui » à la volonté de Dieu. « Par quels liens le Christ est-il retenu ? » — se demandait saint Ambroise, qui avec une intensité surprenante prêcha et cultiva la virginité dans l’Église, promouvant également la dignité de la femme. À la question citée, il répondait : « Non par des liens de corde, mais par les liens de l’amour et par l’affection de l’âme » (De virginitate, 13, 77). Et précisément dans un célèbre sermon aux vierges, il dit : « Le Christ est tout pour nous : si tu désires guérir tes blessures, il est le médecin ; si tu es angoissé par la brûlure de la fièvre, il est la source ; si tu es opprimé par la faute, il est la puissance ; si tu as peur de la mort, il est la vie ; si tu désires le paradis, il est le chemin ; si tu fuis les ténèbres, il est la lumière ; si tu es à la recherche de nourriture, il est la nourriture» (ibid., 16, 99).

Chers frères et soeurs consacrés, je vous remercie de votre témoignage et je vous encourage : envisagez l’avenir avec confiance ; en comptant sur la fidélité de Dieu, qui ne fera jamais défaut, et sur la puissance de sa grâce, capable de toujours accomplir de nouvelles merveilles, également en nous et avec nous. Les antiennes de la psalmodie de ce samedi nous ont conduits à contempler le mystère de la Vierge Marie. En effet, dans celle-ci nous pouvons reconnaître le « genre de vie virginale et pauvre que le Christ Seigneur choisit pour lui et que la Vierge sa Mère embrassa » (Lumen gentium LG 46), une vie en pleine obéissance à la volonté de Dieu.

L’Hymne nous a aussi rappelé les paroles de Jésus sur la Croix : « De la gloire de sa potence, Jésus parle à la Vierge : “Voici ton fils, ô femme”; “Jean, voici ta mère” ». Marie, Mère du Christ, étend et prolonge également en nous sa maternité divine, afin que le ministère de la Parole et des sacrements, la vie de contemplation et l’activité apostolique sous ses multiples formes persévèrent, sans lassitude et avec courage, au service de Dieu et pour l’édification de son Église.

En ce moment, j’ai à coeur de rendre grâce à Dieu pour la multitude de prêtres ambrosiens, de religieux et de religieuses qui ont prodigué leurs énergies au service de l’Évangile, allant parfois jusqu’au sacrifice suprême de leur vie. Certains d’entre eux ont été proposés au culte et à l’imitation des fidèles également à des époques récentes ; les bienheureux prêtres Luigi Talamoni, Luigi Biraghi, Luigi Monza, Carlo Gnocchi, Serafino Morazzone ; les bienheureux religieux Giovanni Mazzucconi, Luigi Monti et Clemente Vismara, et les religieuses Maria Anna Sala et Enrichetta Alfieri. Par leur intercession commune, nous demandons confiants au Dispensateur de tout bien de rendre toujours fécond le ministère des prêtres, de renforcer le témoignage des personnes consacrées, pour montrer au monde la beauté de se donner au Christ et à l’Église, et de renouveler les familles chrétiennes selon le dessein de Dieu, pour qu’elles soient des lieux de grâce et de sainteté, terrain fertile pour les vocations au sacerdoce et à la vie consacrée. Amen. Merci.



CÉLÉBRATION EUCHARISTIQUE Parc de Bresso Dimanche 3 juin 2012

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Vénérés frères,

Éminentes autorités,
Chers frères et soeurs,

C’est un moment fort de joie et de communion que nous vivons ce matin, en célébrant le sacrifice eucharistique ; une grande assemblée, réunie avec le Successeur de Pierre, constituée de fidèles provenant de nombreuses nations. Elle offre une image expressive de l’Église, une et universelle, fondée par le Christ et fruit de cette mission, que Jésus, comme nous l’avons entendu dans l’Évangile, a confiée à ses apôtres : aller et faire de tous les peuples des disciples, « les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » (
Mt 28,18-19). Je salue avec affection et reconnaissance le Cardinal Angelo Scola, Archevêque de Milan, et le Cardinal Ennio Antonelli, Président du Conseil pontifical pour la Famille, principaux artisans de cette VIIe Rencontre mondiale des Familles, ainsi que leurs collaborateurs, les Évêques auxiliaires de Milan et tous les autres Prélats. Je suis heureux de saluer toutes les autorités présentes. Et aujourd’hui, toute mon affection va surtout à vous, chères familles ! Merci de votre participation !

Dans la deuxième lecture, l’apôtre Paul nous a rappelé qu’au baptême nous avons reçu l’Esprit Saint, qui nous unit au Christ en tant que frères et nous met en relation avec le Père en tant qu’enfants, de sorte que nous pouvons crier : « Abbà Père ! » (cf. Rm Rm 8,15 Rm Rm 8,17). En cet instant, il nous a été donné un germe de vie nouvelle, divine, pour le faire grandir jusqu’à son accomplissement définitif dans la gloire céleste ; nous sommes devenus membres de l’Église, la famille de Dieu, « sacrarium Trinitatis » - ainsi la définit saint Ambroise -, « peuple qui – comme l’enseigne le Concile Vatican II – tire son unité de l’unité du Père et du Fils et de l’Esprit Saint » (Const. Lumen gentium LG 4). La solennité liturgique de la Sainte Trinité, que nous célébrons aujourd’hui, nous invite à contempler ce mystère, mais elle nous pousse aussi à nous engager à vivre la communion avec Dieu et entre nous sur le modèle de la communion trinitaire. Nous sommes appelés à accueillir et à transmettre d’un commun accord les vérités de la foi ; à vivre l’amour réciproque et envers tous, en partageant joies et souffrances, en apprenant à demander et à accorder le pardon, en valorisant les différents charismes sous la conduite des pasteurs. En un mot, nous est confiée la tâche d’édifier des communautés ecclésiales qui soient toujours plus famille, capables de refléter la beauté de la Trinité et d’évangéliser non seulement par la parole mais, je dirais même, par « irradiation », par la force de l’amour vécu.

Ce n’est pas seulement l’Église qui est appelée à être image du Dieu unique en trois personnes, mais aussi la famille, fondée sur le mariage entre l’homme et la femme. Au commencement, en effet, « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. Dieu les bénit et leur dit : "Soyez féconds, et multipliez-vous" » (Gn 1,27-28). Dieu a créé l’être humain mâle et femelle, avec une même dignité, mais aussi avec des caractéristiques propres et complémentaires, pour que les deux soient un don l’un pour l’autre, se mettent en valeur réciproquement et réalisent une communauté d’amour et de vie. L’amour est ce qui fait de la personne humaine l’image authentique de la Trinité, image de Dieu. Chers époux, en vivant le mariage, vous ne vous donnez pas quelque chose ou quelque activité, mais la vie entière. Et votre amour est fécond avant tout pour vous-mêmes, parce que vous désirez et vous réalisez le bien l’un de l’autre, expérimentant la joie de recevoir et de donner. Il est aussi fécond dans la procréation, généreuse et responsable, des enfants, dans l’attention prévenante pour eux et dans leur éducation attentive et sage. Il est fécond enfin pour la société, car votre vécu familial est la première et irremplaçable école des vertus sociales telles que le respect des personnes, la gratuité, la confiance, la responsabilité, la solidarité, la coopération. Chers époux, prenez soin de vos enfants et, dans un monde dominé par la technique, transmettez-leur, avec sérénité et confiance, les raisons de vivre, la force de la foi, en leur proposant des objectifs élevés et en les soutenant dans leur fragilité. Mais vous aussi les enfants, sachez maintenir sans cesse une relation de profonde affection et d’attention prévenante à l’égard de vos parents, et que les relations entre frères et soeurs soient aussi des occasions de grandir dans l’amour.

Le projet de Dieu sur le couple humain trouve sa plénitude en Jésus-Christ qui a élevé le mariage au rang de sacrement. Chers époux, par un don spécial de l’Esprit Saint, le Christ vous fait participer à son amour sponsal, en faisant de vous le signe de son amour pour l’Église : un amour fidèle et total. Si vous savez accueillir ce don, en renouvelant chaque jour, avec foi, votre « oui », avec la force qui vient de la grâce du Sacrement, votre famille aussi vivra de l’amour de Dieu, sur le modèle de la Sainte Famille de Nazareth. Chères familles, demandez souvent, dans la prière, l’aide de la Vierge Marie et de saint Joseph, pour qu’ils vous apprennent à accueillir l’amour de Dieu comme ils l’ont accueilli. Votre vocation n’est pas facile à vivre, spécialement aujourd’hui, mais celle de l’amour est une réalité merveilleuse, elle est l’unique force qui peut vraiment transformer le cosmos, le monde. Devant vous vous avez le témoignage de nombreuses familles qui vous indiquent les voies pour grandir dans l’amour : maintenir une relation constante avec Dieu et participer à la vie ecclésiale, entretenir le dialogue, respecter le point de vue de l’autre, être prêts à servir, être patients avec les défauts des autres, savoir pardonner et demander pardon, surmonter avec intelligence et humilité les conflits éventuels, s’accorder sur les orientations éducatives, être ouverts aux autres familles, attentifs aux pauvres, responsables dans la société civile. Ce sont tous des éléments qui construisent la famille. Vivez-les avec courage, certains que, dans la mesure où avec le soutien de la grâce divine, vous vivrez l’amour réciproque et envers tous, vous deviendrez un Évangile vivant, une véritable Église domestique (cf. Exhort. apost. Familiaris consortio FC 49). Je voudrais aussi réserver un mot aux fidèles qui, tout en partageant les enseignements de l’Église sur la famille, sont marqués par des expériences douloureuses d’échec et de séparation. Sachez que le Pape et l’Église vous soutiennent dans votre peine. Je vous encourage à rester unis à vos communautés, tout en souhaitant que les diocèses prennent des initiatives d’accueil et de proximité adéquates.

Dans le livre de la Genèse, Dieu confie au couple humain sa création pour qu’il la garde, la cultive, la conduise selon son projet (cf. 1, 27-28 ; 2, 15). Dans cette indication de la Sainte Écriture, nous pouvons lire la tâche de l’homme et de la femme de collaborer avec Dieu pour transformer le monde, par le travail, la science et la technique. L’homme et la femme sont images de Dieu aussi dans cette oeuvre précieuse qu’ils doivent accomplir avec le même amour que le Créateur. Nous voyons que, dans les théories économiques modernes, prédomine souvent une conception utilitariste du travail, de la production et du marché. Le projet de Dieu et l’expérience elle-même montrent cependant que ce n’est pas la logique unilatérale du bénéfice personnel et du profit maximum qui peut contribuer à un développement harmonieux, au bien de la famille et à l’édification d’une société plus juste, car cette logique comporte une concurrence exaspérée, de fortes inégalités, la dégradation de l’environnement, la course aux biens de consommation, la gêne dans les familles. Bien plus, la mentalité utilitariste tend à s’étendre aussi aux relations interpersonnelles et familiales, en les réduisant à de précaires convergences d’intérêts individuels et en minant la solidité du tissu social.

Un dernier élément. L’homme, en tant qu’image de Dieu, est appelé aussi au repos et à la fête. Le récit de la création se termine par ces paroles : « Le septième jour, Dieu avait achevé l'oeuvre qu'il avait faite. Il se reposa le septième jour, de toute l'oeuvre qu'il avait faite. Et Dieu bénit le septième jour : il en fit un jour sacré » (Gn 2,2-3). Pour nous chrétiens, le jour de fête c’est le dimanche, jour du Seigneur, Pâque hebdomadaire. C’est le jour de l’Église, assemblée convoquée par le Seigneur autour de la table de la Parole et du Sacrifice eucharistique, comme nous sommes en train de le faire aujourd’hui, pour nous nourrir de Lui, entrer dans son amour et vivre de son amour. C’est le jour de l’homme et de ses valeurs : convivialité, amitié, solidarité, culture, contact avec la nature, jeu, sport. C’est le jour de la famille, au cours duquel nous devons vivre ensemble le sens de la fête, de la rencontre, du partage, en participant aussi à la Messe. Chères familles, même dans les rythmes serrés de notre époque, ne perdez pas le sens du jour du Seigneur ! Il est comme l’oasis où s’arrêter pour goûter la joie de la rencontre et étancher notre soif de Dieu.

Famille, travail, fête : trois dons de Dieu, trois dimensions de notre existence qui doivent trouver un équilibre harmonieux. Harmoniser les temps de travail et les exigences de la famille, la profession et la paternité et la maternité, le travail et la fête, est important pour construire des sociétés au visage humain. En cela, privilégiez toujours la logique de l’être par rapport à celle de l’avoir : la première construit, la deuxième finit par détruire. Il faut s’éduquer à croire, avant tout en famille, dans l’amour authentique, qui vient de Dieu et qui nous unit à lui et pour cela justement « nous transforme en un nous, qui surpasse nos divisions et qui nous fait devenir un, jusqu’à ce que, à la fin, Dieu soit "tout en tous" » (1Co 15,28) » (Enc. Deus caritas est ). Amen.



MESSE DU CORPUS DOMINI Jeudi 7 juin 2012

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Basilique Saint-Jean-de-Latran

Jeudi 7 juin 2012



Chers frères et soeurs,

Ce soir, je voudrais méditer avec vous sur deux aspects, liés entre eux, du Mystère eucharistique: le culte de l’Eucharistie et son caractère sacré. Il est important de les prendre à nouveau en considération pour les préserver des visions incomplètes du Mystère lui-même, comme celles que l’on a pu constater dans un passé récent.

Avant tout, une réflexion sur la valeur du culte eucharistique, en particulier de l’adoration du Très Saint Sacrement. C’est l’expérience que nous vivrons aussi ce soir, après la messe, avant la procession, pendant son déroulement et à son terme. Une interprétation unilatérale du concile Vatican ii avait pénalisé cette dimension en réduisant en pratique l’Eucharistie au moment de la célébration. En effet, il a été très important de reconnaître le caractère central de la célébration, à travers laquelle le Seigneur convoque son peuple, le rassemble autour de la double table de la Parole et du Pain de vie, le nourrit et l’unit à lui dans l’offrande du Sacrifice. Cette mise en valeur de l’assemblée liturgique dans laquelle le Seigneur agit et réalise son mystère de communion, demeure naturellement valable, mais elle doit être replacée dans un juste équilibre. En effet — comme c’est souvent le cas — pour souligner un aspect, on finit par en sacrifier un autre. Ici, l’accent mis sur la célébration de l’Eucharistie s’est fait aux dépends de l’adoration, en tant qu’acte de foi et de prière adressée au Seigneur Jésus, réellement présent dans le Sacrement de l’autel. Ce déséquilibre a aussi eu des répercussions sur la vie spirituelle des fidèles. En effet, si l’on concentre tout le rapport avec Jésus Eucharistie dans le seul moment de la Sainte Messe, on risque de vider de sa présence le reste du temps et de l’espace existentiels. Et ainsi, l’on perçoit moins le sens de la présence constante de Jésus au milieu de nous et avec nous, une présence concrète, proche, au milieu de nos maisons, comme « Coeur battant » de la ville, du pays, du territoire avec ses différentes expressions et activités. Le Sacrement de la Charité du Christ doit pénétrer toute la vie quotidienne.

En réalité, c’est une erreur que d’opposer la célébration et l’adoration, comme si elles étaient concurrentes. C’est justement le contraire : le culte du Saint Sacrement constitue comme le « milieu » spirituel dans lequel la communauté peut célébrer l’Eucharistie d’une manière juste et vraie. C’est seulement lorsqu’elle est précédée, accompagnée et suivie de cette attitude intérieure de foi et d’adoration que l’action liturgique peut exprimer toute sa signification et sa valeur. La rencontre avec Jésus dans la Messe se réalise vraiment et pleinement lorsque la communauté est en mesure de reconnaître que, dans le Sacrement, il habite dans sa maison, nous attend, nous invite à sa table, et puis, après que l’assemblée s’est dispersée, qu’il reste avec nous, par sa présence discrète et silencieuse, et nous accompagne de son intercession, en continuant à recueillir nos sacrifices spirituels et à les offrir au Père.

A ce propos, je voudrais souligner l’expérience que nous allons vivre ensemble aussi ce soir. Au moment de l’adoration, nous sommes tous sur le même plan, agenouillés devant le Sacrement de l’Amour. Le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel se trouvent réunis dans le culte eucharistique. C’est une expérience très belle et très significative que nous avons vécue à différentes reprises dans la basilique Saint-Pierre, ainsi que lors des inoubliables veillées avec les jeunes — je me souviens par exemple de celles de Cologne, de Londres, de Zagreb, de Madrid. Il est évident pour tous que ces moments de veillée eucharistique préparent la célébration de la Messe, préparent les coeurs à la rencontre, si bien qu’elle en devient elle aussi plus féconde. Etre tous en silence de façon prolongée devant le Seigneur présent dans son Sacrement, est l’une des expériences les plus authentiques de notre être Eglise, qui est accompagnée de façon complémentaire par celle de célébrer l’Eucharistie, en écoutant la Parole de Dieu, en chantant, en s’approchant ensemble de la table du Pain de vie. Communion et contemplation ne peuvent pas être séparées, elles vont de pair. Pour communier vraiment avec une autre personne, je dois la connaître, savoir rester auprès d’elle en silence, l’écouter, la regarder avec amour. Le vrai amour et la vraie amitié vivent toujours de cette réciprocité de regards, de silences intenses, éloquents, pleins de respect, et de vénération, afin que la rencontre soit vécue en profondeur, de façon personnelle et non pas superficielle. Et hélas, s’il manque cette dimension, même la communion sacramentelle peut devenir, de notre part, un geste superficiel. En revanche, dans la vraie communion, préparée par l’entretien de la prière et de la vie, nous pouvons dire au Seigneur des paroles de confiance, comme celles qui viennent de résonner dans le psaume responsorial : « Je suis ton serviteur fils de ta servante, / tu as défait mes liens. / Je t'offrirai le sacrifice d'action de grâces, / j'appellerai le nom du Seigneur » (
Ps 115,16-17).

Je voudrais maintenant passer brièvement au deuxième aspect: le caractère sacré de l’Eucharistie. Là aussi, on a, dans un passé récent, senti les conséquences d’un certain malentendu sur le message authentique de la Sainte Ecriture. La nouveauté chrétienne concernant le culte a été influencée par une certaine mentalité sécularisée des années soixante et soixante-dix du siècle dernier. Il est vrai, et cela reste toujours valable, que le centre du culte n’est plus désormais dans les rites et dans les sacrifices anciens, mais dans le Christ lui-même, dans sa personne, dans sa vie, dans son mystère pascal. Et cependant, on ne doit pas déduire de cette nouveauté fondamentale que le sacré n’existe plus, mais qu’il a trouvé son accomplissement en Jésus Christ, Amour divin incarné. La Lettre aux Hébreux que nous avons écoutée ce soir dans la seconde lecture, nous parle justement de la nouveauté du sacerdoce du Christ, « grand prêtre des biens à venir » (He 9,11), mais il ne dit pas que le sacerdoce est terminé. Le Christ « est médiateur d’une nouvelle alliance » (He 9,15), scellée dans son sang, qui purifie « notre conscience des oeuvres mortes » (He 9,14). Il n’a pas aboli le sacré, mais il l’a porté à son accomplissement, en inaugurant un culte nouveau, qui est certes pleinement spirituel, mais qui cependant, tant que nous sommes en chemin dans le temps, se sert encore de signes et de rites, qui ne disparaîtront qu’à la fin, dans la Jérusalem céleste, là où il n’y aura plus aucun temple (cf. Ap Ap 21,22). Grâce au Christ, le caractère sacré est plus vrai, plus intense, et, comme il advient pour les commandements, plus exigeant aussi ! L’observance rituelle ne suffit pas, mais il faut la purification du coeur, et l’engagement de la vie.

Je voudrais aussi souligner que le sacré a une fonction éducative et que sa disparition appauvrit inévitablement la culture, en particulier la formation des nouvelles générations. Si, par exemple, au nom d’une foi sécularisée qui n’aurait plus besoin des signes sacrés, on abolissait la procession du Corpus Domini dans la ville, le profil spirituel de Rome se trouverait « aplati » et notre conscience personnelle et communautaire s’en trouverait affaiblie. Ou bien, pensons à une mère et à un père qui, au nom de la foi désacralisée, priveraient leurs enfants de tout rituel religieux: ils finiraient en réalité par laisser le champ libre aux innombrables succédanés présents dans la société de consommation, à d’autres rites et à d’autres signes, qui pourraient devenir plus facilement des idoles. Dieu, notre Père, n’a pas agi ainsi avec l’humanité : il a envoyé son Fils dans le monde, non pour abolir, mais pour porter le sacré aussi à son accomplissement. Au sommet de cette mission, lors de la Dernière Cène, Jésus a institué le sacrement de son Corps et de son Sang, le Mémorial de son Sacrifice pascal. En agissant ainsi, il s’est mis lui- même à la place des sacrifices anciens, mais il l’a fait à l’intérieur d’un rite, qu’il a commandé aux apôtres de perpétuer, comme le signe suprême du véritable Sacré, qui est Lui-même. C’est avec cette foi, chers frères et soeurs, que nous célébrons aujourd’hui et chaque jour le Mystère eucharistique et que nous l’adorons comme le centre de notre vie et le coeur du monde. Amen.




Benoît XVI Homélies 27512