Bible chrétienne Evang. - § 100. Annonce des persécutions: Mt 10,17-25; (Mc 13,9-13 Lc 21,12-19)

§ 100. Annonce des persécutions: Mt 10,17-25; (Mc 13,9-13 Lc 21,12-19)

(Mt 10,17-25 Mc 13,9-13 Lc 21,12-19)

— Matthieu insère ici un paragraphe pour les temps de persécution, qui dans Mc et Lc fait partie du Discours sur la Fin des temps (commentaire au § 293 *).

// Lc 6,40 Jn 15,20 Mt 27,11 Lc 23,7 Ps 2,2 — La mission des Apôtres est une délégation à celle du Christ, donc aussi aux persécutions que provoque l'Évangile. Leur sort est lié (// Jn 15,20) < à la souffrance et à la Gloire > (Mt 10,32) ; et les disciples doivent viser à être, au mieux, « comme leur Maître » (// Lc 6,40 et ici, v. Lc 24-25), dont la conduite, durant sa Passion, est un vivant modèle de ce qu'il annonce maintenant à ses Apôtres (// Mt 27,11 etc.).

Mt 10,23) — Verset propre à Mt, et bien en rapport avec la 1° partie du Discours sur la Mission, par le refrain et l'inclusion* « villes » (cf. l'introduction aux § 99 -104). 23 a est plus directement dans la ligne de conduite à tenir lors des persécutions, annoncées aux versets précédents (17-22). Ce qui fait difficulté, c'est 23 b: si « la venue du Fils de l'homme » désigne la Parousie, comme souvent dans l'Évangile (Mt 16,27 Mt 19,28 Mt 25,31), comment le Christ peut-il l'annoncer si proche? Au moment où Mt écrivait, il savait pertinemment que les années écoulées démentaient une telle prédiction. Pour ne pas donner à cette phrase un sens absurde, il faut mesurer la portée de chacun de ses termes:

Quand ils vous poursuivront : au futur. Il ne s'agit pas de l'actuelle mission, dont Mc 6,12 et Lc 9,10; 10,17-18 nous diront le succès, sans mention de persécution. Dans cette ville-ci: désignée à titre particulier. Faudrait-il l'entendre de Jérusalem comme, pour les Romains, < Urbs > c'était Rome? Mais il existe une version plus explicite de ce v. 23 b, mentionnée par Origène, adoptée par le P. Lagrange, qui accentue la ronde « de ville en ville » : « Lorsqu'ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre, et s'ils vous chassent de celle-là, fuyez dans une autre ».

Amen, je vous le dis: Il s'agit d'une déclaration importante et catégorique, qui introduit un certain hiatus entre 23 a et 23 b. Vous n'aurez pas fini : S'agit-il seulement de ces fuites d'une ville à l'autre, comme le ferait supposer le contexte immédiat (v. 23 a), ou bien faut-il prendre ce verbe au sens fort d'achever, d'ac-complir la tâche missionnaire? Les villes d'Israël: Il ne s'agit donc pas seulement de conversions sporadiques, mais d'un ensemble de la population — surtout si l'on se rappelle que ce mot « villes » est mis en vedette dans tout ce passage (v. 5.11.14.23) ; en outre « les villes d'Israël » déborde le cadre galiléen de la présente mission. Avant la venue : Cette image de la < visite > ou de la < venue > de Dieu, même si elle implique souvent un Jugement (par ex. Gn 18 Ex 3,8 Lc 19,44*), s'applique, on le voit, en beaucoup d'autres cas que celui du Jugement Dernier. Nous sommes encore sous l'influence de la théorie < eschatologique >, selon laquelle Jésus, comme les Juifs de son temps, aurait cru la Fin des temps imminente, si bien que l'on est porté à tourner en ce sens toutes ses Paroles. Mais il est déjà sinon reconnu par tous les exégètes, du moins bien établi, que cet < eschatologisme > est sans fondement solide, et contraire à beaucoup de textes évangéliques. Donc c'est une erreur, à rectifier.

la venue du Fils de l'homme, n'est donc pas nécessairement la Parousie (comme c'est le cas, certainement, en Mt 25,31-46* et en 26,64*). D'une part, il y a d'autres visites et jugements avant le Dernier: il y a eu Sodome (v. 15 et § 109 *) ; il y aura la ruine de Jérusalem en 70, qui correspond aux données de ce v. 23 (évangélisation des villes en cours) comme à celles du // Mt 16,28 et 24,34 (de la présente génération, certains verront la catastrophe). Sur ce point, cf. A. Feuillet: Le triomphe eschatologique... p. 703-707. D'autre part, « Fils de l'homme » est un titre qui ne désigne pas seulement le Christ de la Parousie, mais vaut dès sa vie présente, et notamment lors de sa Passion et sa Résurrection (Mt 17,22 etc.). Cette expression va donc de pair avec l'« Amen, je vous le dis », pour donner à cette déclaration une solennité plus frappante. Sur ce point, cf. J. Dupont, dans nt 1958, p. 238-244. Le Christ hausse le ton pour conclure la 1° partie du Discours sur cette ferme assurance: dans les persécutions, c'est moi que vous trouverez, avec vous, venu à votre rencontre...

Mt 10,24-25) — Amorce de la 2° partie du Discours apostolique, directement axée, cette fois, sur la solidarité entre le Christ et ses disciples, pour la même Mission (cf. plus haut // Lc 6,40). Béelzéboul: voir § 117 *.

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§ 101. Confesser Jésus sans crainte: Mt 10,26-33; (Lc 12,2-9)


(Mt 10,26-33 Lc 12,2-9)

— La 1° partie du Discours ayant de quoi effrayer, la seconde rassure, mais sans céder sur les exigences de la Mission, tout au contraire. Le refrain de ce premier § est donc: Ne craignez pas, répété jusqu'à 4 fois.

// 2Th 1,4, Le ton qui convient aux disciples du Christ, témoignant, fierté de la foi, joie de l'espérance d'être « trouvés dignes du Royaume ».

Mt 10,26 b-27; (Lc 12,2-3) // Col 1,26-27 — Antithèse quadruplée, pour lui donner plus grande force: caché — révélé I secret — connu I ombre -lumière I à l'oreille — sur les toits. Elle vaut en plusieurs sens : pour l'Évangile, appris dans l'intimité du Christ, à « clamer sur les toits » (c'est le verbe du Kérygme*); mais aussi pour les souffrances subies dans l'ombre des cachots ou des salles de torture, qui éclateront au grand jour soit dans les arènes, soit mieux encore au Jour du Jugement (v. 32). Et plus fondamentalement encore, cela vaut du Mystère, jusque-là caché, dont le Christ est la manifestation même, la Parole révélatrice : Mystère du dessein éternel de Dieu de nous prendre dans sa Gloire, c'est-à-dire d'établir avec nous son Royaume (// Col 1,26 Ep 3).

Mt 10,28-31 ; (Lc 12,4-7 — Réconforter contre la peur, c'est exhorter à la confiance, aussi retrouve-t-on ici à la fois l'image des passereaux, qui ont du prix — aux yeux de Dieu surtout — et le raisonnement a fortiori du § 67 * : le corps vaut plus que des passereaux, l'âme plus que le corps, et la géhenne est pire que la mort.

Rupert de Deutz : Sur Mt vin (PL 168,1499) : Mais quelle chair ne craindra la mort ? L'Apôtre Pierre la craignit, tout le premier ; et craignant de mourir, il renia la Vie. Pourquoi, sinon parce qu'il ne lui avait pas encore été donné de ne pas craindre ? Mais quand tu le lui eus donné, Seigneur, il put faire ce que tu commandais. Sois donc notre force, et fais en nous ce que tu veux que nous fassions. Cependant, la foi doit savoir d'abord qu'en enseignant tu commandes, et qu'en commandant tu enseignes ; et ensuite, c'est à l'espérance de prier, à la charité d'obtenir que tu donnes toi-même ce que tu commandes.

craignez Celui... : Le Christ s'est affronté au Démon dès après son baptême (§ 27 *), et les débuts de son ministère (§ 33 *). Mais ici, il nous met expressément en garde contre lui, comme d'une Puissance redoutable (= qu'il faut redouter, plus que les persécuteurs), capable de nous perdre et nous jeter en enfer, si nous n'avions avec nous plus fort que lui: le Seul que notre amour doit craindre d'offenser, c'est Dieu (Is 8,12-13, en // à § 204 ).

// Ap 2,10 Jr 15,20-21 2M 13,14 (et Ex 14,13-14 2M 7,20-22 Sg 3,1-4) — tous au § 204 ) : — Exemples divers de ce qui fonde l'espérance des croyants : leur solidarité avec « le plus Fort », capable de vaincre le Prince de ce monde lui-même (§ 117 * et Jn 14,30 Jn 16,33) : « Je suis avec toi pour te sauver » de celui qui, autrement, serait capable de t'entraîner dans sa perdition.

La géhenne: cf. § 54 ) — Mt 5,22*. Sur l'enfer: § 136 *.

Un as (v. 29): voir Monnaies, § 54 in fine. Même les cheveux de votre tête: // 1S 14,45 (et Ac 27,33-34, au § 204 ) — Si les hommes peuvent veiller sur Jonathan aussi jalousement, pour le « racheter » d'avoir enfreint l'interdit du Roi Saul, son père, combien plus soigneusement Dieu, notre Père, nous « rachète », jusqu'au moindre de nos cheveux! Il est curieux que, dans le // Ac 27,33 (au § 204 ), la même expression — qui fait image — revienne aussi dans une situation de perdition.

Mt 10,32-33; (Lc 12,8-9) // 1S 2,12 1S 2,27 1S 2,28-30 1S 2,34 1S 3,13 Ap 3,5 (et Za 13,9-10, au § 204 ) — A la fidélité de la « confession de foi » des disciples, répondra la fidélité du Christ à nous reconnaître (à l'opposé du terrible « Jamais je ne vous ai connus », du § 74 ) — Mt 7,23*). C'est le juste jugement qui atteint Eli (// 1S 2,30). Heureusement, même le reniement de Simon Pierre peut encore être racheté (§ 342 * et § 372 *). Y contribue l'épreuve où se consolide l'Alliance (// Za 13,9), pour la Vie éternelle (// Ap 3,5).

Une sentence analogue à celle de Mt 10,32-33 se retrouve en Mc 8,38 et en Lc 9,26 (faisant donc doublet avec 12,8-9). Rien n'empêche de penser qu'elle ait été répétée — soit par Jésus lui-même, soit en tous cas par les Évangélistes — pour y insister. Toujours, à la correspondance entre l'attitude du Christ et la nôtre, s'en ajoute une autre: devant les hommes (donc sur terre) ... devant mon Père (Mt) ou devant les Anges (Lc), donc au ciel. On observe que là où Mc et Lc disent « le Fils de l'homme à son tour le confessera... », Mt dit simplement: « Je le confesserai ». Ce n'est pas que le Christ, dans Mt, s'attribue moins ce titre, puisqu'il se trouvait au v. 23 ; tout au contraire, cela prouve que pour Saint-Matthieu (mieux placé pour en juger que Bultmann ou autres exégètes contemporains), quand Jésus disait « Fils de l'homme », Il pensait « Je », et se tenait non seulement comme de cette terre, où l'on peut le renier, mais comme étant du ciel, où Il règne à la Droite du Père (Sur cette question, cf. L. Bouyer: Le Fils éternel, p. 198-199 et 202-205).

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§ 102. Non la paix, mais le glaive: Mt 10,34-36; (Lc 12,51-53)

(Mt 10,34-36 Lc 12,51-53)

— // Sg 5,19-20 Sg 18,14-15 Ex 32,27 Mi 7,6-7 — Le glaive, qui tranche (Mt) est symbole naturel de la division (Lc). Ce qui rend celle-ci nécessaire, c'est la sainteté totale de Dieu, incompatible avec tout ce qui s'y opposerait (// Sg 5). Aussi, est-ce toute Parole de Dieu appelant à s'unir à Lui, qui provoque la séparation des Hébreux d'avec l'endurcissement des Égyptiens, au temps de l'Exode (// Sg 18), ou qui appelle les fils de Lévi à ne pas épargner même leurs proches, qui s'étaient eux-mêmes séparés de Yahvé pour le Veau d'Or (// Ex 32,27 Nb 25,6-13). C'est cette héroïque prise de parti pour Yahvé qui habilitera les lévites à ce que Dieu même soit « leur part d'héritage et leur coupe » (Ps 16,5 cf. Dt 33,9, en // au § 103 ). Bien plus: du fait de l'Alliance, tout Israël devient un peuple séparé (Nb 23,7-10 — Dt BC I*, p. 331). Au retour de l'Exil, les femmes païennes seront renvoyées, de peur qu'elles n'entraînent leur famille à l'idolâtrie (Esd 9-10). À plus forte raison, quand la Parole de Dieu s'incarne en Jésus, elle est « signe de contradiction » et cause de division suivant que l'on se rallie au Christ ou non, comme l'annonçait le vieillard Syméon (// Lc 2,34, au § 11 ). C'est un avertissement contre l'illusion si souvent caressée que la charité suffirait à instaurer la bonne entente universelle. On ne peut faire l'économie du sacrifice, l'Évangile y insiste, à plusieurs reprises... Voir compléments au § 212 *.

Mt 10,35-36) — C'est une citation littérale du // Mi 7,6, le v. Mi 7,7 ne doit pas en être détaché, car il a de quoi réconforter dans ces difficultés.



§ 103. Se renoncer pour suivre le christ: Mt 10,37-39; (Lc 14,26-27 et 17,33)

(Mt 10,37-39 Lc 14,26-27 et Lc 17,33)

— Confirme le § précédent. Comme le remarque rupert (Pl 168,1501): « Voilà le glaive qui coupe en deux un homme ».

// Dt 6,4-5 (en // à § 227 ) — La raison imposant ce renoncement est en effet celle déjà indiquée précédemment: avec Dieu, c'est nécessairement le tout ou rien. Le 1° commandement requiert tout notre coeur et toutes nos forces. Il décuplera notre amour pour nos proches, à condition que celui-ci ne vienne pas se soustraire à l'amour de Dieu, mais bien plutôt s'y ajouter comme une façon de l'accomplir (cf. § 190 -191*).

Mt 10,37; (Lc 14,26) // Gn 22,2 Gn 22,12 Dt 33,9 — Qui aime (Mt): c'est le verbe < philein >, de l'amour naturel. Celui-ci est bon, tant qu'il ne s'oppose pas à l'amour surnaturel (< agapè >), qui s'étend à tout le prochain*, à commencer par les parents. Dans les cas douloureux où il faut sacrifier cet amour naturel, ce doit être au profit de cet amour plus désintéressé, qui va, d'un même mouvement, à Dieu et à ce < prochain >.

Qui ne hait pas (Lc): Hébraïsme, pour souligner la nécessité du choix (cf. § 59 - Mt 5,43*). Le sacrifice d'Abraham en est le plus héroïque exemple (// Gn 22), et encore celui des lévites (// Dt 33,9, les louant pour leur conduite après le Veau d'Or — cf. Ex 32,27, en // au § 102 ). Par contre, c'est la faute d'Éli envers ses fils, préférés à l'honneur de Dieu: 1S 2,12 ss, en // au § 101 : « D'où vient que tu honores tes fils plus que moi »?

n'est pas digne de moi: Revient 3 fois. Sur digne: § 99 , v. 11-13*. Quel ennoblissement pour ses disciples: être dignes du Christ! Quel réconfort aussi: « Ceux qui sont dignes de [la Sagesse], elle-même va partout les chercher, et leur apparaît avec bienveillance » (Sg 6,16 — // Indiqué par A. Feuillet).

Mt 10,38 ; (Lc 14,27) // Ez 9,4-6 — 1° mention de la croix, dans les Évangiles ; elle vise celle des disciples. Mt et Lc y reviendront une 2° fois (Mt 16,24 et Lc 9,23, § 168 ). La croix que Jésus portera, c'est la nôtre, si bien que nous, en la supportant, nous le suivons. C'est-à-dire: nous faisons notre tâche, nécessaire pour être des disciples (voir : suivre*) ; mais nous y trouvons aussi notre contentement d'être en compagnie de notre Maître. C'est même devenu notre signe distinctif : « le signe de la croix ».

l’A.T. n'avait guère parlé de la croix en termes exprès. Mais il en prophétise les tourments dans le Ps 22, messianique, et y voit un signe sauveur (// Ez 9,4 Ez 9,6 — référant à la marque du sang de l'Agneau pascal pour que les maisons d'Israël soient épargnées, Ex 12,7.12-13); enfin se trouve annoncée la valeur rédemptrice, pour l'homme, de « porter son joug depuis sa jeunesse » (Lm 3,2 Lm 3,5 Lm 3,19-21 Lm 3,27, en // au § 227 ).

Mt 10,38 ; (Lc 17,33) // Jn 12,25 — Cette sentence est reprise au § 168 , par les 3 Synoptiques. Le jeu du « qui perd gagne » est une constante de l'Évangile, si dur qu'il soit d'y consentir.


Sa vie, ou son âme: La < psyché > du grec traduit l'hébreu < Napesh >, qui signifie, suivant les cas, l'une ou l'autre. Dans un contexte de persécutions (v. 21.28-29), on pense tout naturellement au don de la vie (physique), par le martyre. Mais ici encore, comme aux v. 32-33, l'antithèse est entre cette vie-ci, terrestre, qu'on peut chercher à < sauver > (soit du martyre, soit en la gardant égoïstement pour soi), et la vie de l'au-delà, qu'on trouvera seulement si l'on a su donner celle de la terre. Par là, on rejoint l'opposition du corps périssable et de l'âme immortelle du v. 28. D'où le vocabulaire de Salut: « se sauver ou se perdre ». Pas d'échappatoire à l'alternative. C'est à prendre ou à laisser; on ne peut éviter de choisir.

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§ 104. Conclusion: Mt 10,40 à 11,1; (Mc 9,37 Mc 9,45 Lc 10,16)


(Mt 10,40-11,1 Mc 9,37 Mc 9,45 Lc 10,16)

— Si les exigences sont grandes, pour l'Apôtre, cela provient de la grandeur même de la Mission, qui fait du délégué un autre Christ, comme le Christ est Lui-même le Visage du Père qui l'envoie. C'est une sorte d'assimilation, grâce à une « chaîne de transmission » : du Père au Fils, de Lui à ses Apôtres et à ceux qui reçoivent leur Évangile (v. 40); avec retour: de l'accueil fait aux Apôtres à celui fait au Christ, donc à son Père (v. 41-42). Par cette chaîne se transmet non seulement la Mission, donc l'Évangile, mais d'abord la vie divine, reçue du Père par le Christ, et de Lui à nous dans l'eucharistie (Jn 6,57) ; donc aussi l'Amour du Père pour son Fils, rejaillissant de Lui à nous (Jn 15,9-10) ; et par cette même chaîne, le pardon offert par l'Église devient pardon du Christ et de Dieu (Jn 20,21-23). Partout c'est: « Comme mon Père... moi aussi... »

Rupert de Deutz : Sur Mt VIII (PL 168,1503): Donc, les « vrais adorateurs » n'exagèrent pas, quand pour recevoir les hôtes ils se prosternent jusqu'à terre devant eux. C'est le Christ, en effet, qui est < adoré > en eux, puisque c'est lui qui est reçu. Je dirai même : le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, et l'Esprit Saint, sont adorés dans les hôtes, parce que c'est eux qui sont reçus dans les hôtes.

Mt 10,41 // 2R 4,8-17, Exemples d'accueil, soit du prophète Elisée, soit de l'apôtre Paul, « comme un ange de Dieu, comme le Christ Jésus » (Ga 4,14). À l'inverse, la faute d'Israël a été de vouloir un roi faisant par lui-même autorité, et non plus un juge comme Samuel, simple < lieutenant > de Dieu, seul Roi, pour le < Règne > (1S 8).

Qui accueille un prophète en tant que prophète : L'accueil permet l'assimilation à celui qu'on a reçu: prophète, juste, représentants du Christ et de Dieu. Mais à condition de le recevoir comme tel: comme prophète, juste ou roi, délégué du Christ et de Dieu. C'est la foi qui peut discerner dans l'apôtre le Christ qui l'envoie : l'accueil ne vaut que par la foi qui anime cet accueil et l'intériorise. L'acte humanitaire à lui seul n'aurait pas cet effet. Pour être, en récompense, assimilé au Christ, il faut aimer et aider le prochain comme membre du Christ, aimé du Père. Cette charité — au sens propre où elle est l'amour même de Dieu, le Saint-Esprit, passant par nous pour reconnaître et servir en tout homme l'aimé de Dieu — est d'un autre ordre, incommensurable avec la simple bienfaisance humanitaire (1Co 13,3). Ainsi, le plus petit service (v. 42) prend une grande valeur, à condition que la source en soit la charité.

Grégoire de Nysse : De Instituto Christiano (Jasger VIII, 1P 87-88):

Que nul ne se dérobe à l'effort des oeuvres bonnes, comme s'il était incapable d'exécuter ces actions qui sauvent l'âme ; car Dieu ne prescrit à ses serviteurs rien d'impossible... Il donne à chacun de faire ce qu'il peut de bon ; nul de ceux qui veulent fermement être sauvés n'y échoue : « Quiconque, dit le Seigneur, donnera ne serait-ce qu'un verre d'eau fraîche... » (Mt 10,42). Qu'y a-t-il de plus facile que ce commandement-là? Et pour une coupe d'eau fraîche une récompense céleste : regarde-moi la démesure de cette « philanthropie » ! « Ce que vous aurez fait à l'un de ceux-ci, dit-il, c'est à moi que vous l'aurez fait » (Mt 25,40 Mt 15,40). Le commandement est petit, mais le salaire de l'obéissance est grand: il est payé par Dieu avec magnificence. (Trad. frse Le But divin, p. 61-62).

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§ 105-124. Nature du pouvoir messianique de Jésus: Mt 11-12; Lc 7


(Mt 11-12 Lc 7)

Comme après le Sermon sur la Montagne, Mt fait suivre le Discours sur la Mission de 2 chapitres narratifs : miracles et controverses, dont le sens rejoint celui du ch. 7 de Saint Luc.

Ce dernier suit d'ordinaire Saint-Marc. Mais il y insère des compléments, qu'on appelle sa < petite incise > (Lc 6,20-8,3) et sa < grande incise > (Lc 9,51-18,14). La petite incise commence avec le Sermon sur la Montagne (Lc 6,20-49) et va jusqu'au Discours en paraboles (Lc 8,4-18), où Lc rejoint Mc 4 (et Mt 13). Au centre de ces compléments, vient donc le ch. 7, consacré à la manifestation de la transcendance divine du Pouvoir du Christ. Celui-ci est démontré à Jean-Baptiste par l'accomplissement des miracles annoncés par Isaïe pour les temps messianiques (§ 106 *); et notamment, en ressuscitant les morts (v. 22). Mais ces miracles eux-mêmes ne sont que des signes de l'essentiel du Règne messianique: la Rédemption des péchés, par l'Amour (§ 123 ) — Lc 7,36-50*).



§ 105. Résurrection à Naïm: Lc 7,11-17


(Lc 7,11-17)

— Des 3 résurrections rapportées par les Evangiles, celle-ci est propre à Lc, celle de Lazare propre à Jn (§ 266 ); celle de la fille de Jaïre est commune aux 3 Synoptiques (§ 143 ). Luc revient aussi avec prédilection sur ce thème de la résurrection, en 14,14 et en 20,36.38 (versets qui lui sont également propres).

// 1R 17,17-23 — Parallèle, mais pour la plus grande part contrastant, afin de mettre en valeur la transcendance du Christ.

Lc 7,11-12) — Situation de la scène : un village dont le reste de la Bible ne parle pas, et que rien ne désignerait donc à l'Évangéliste, sinon le fait historique: ce miracle s'est bien passé là, où aujourd'hui encore se trouve la bourgade de < Neïn >, entre Afula et le Thabor. 2 cortèges se croisent: « la foule » de l'enterrement (v. 12) et « la foule » qui entoure Jésus (v. 11). La mort et la Vie. Pour préparer le v. 13, Lc triple les précisions émouvantes: un mort (jeune encore) / fils unique / d'une veuve (comme dans le // 1R 17,17).

Lc 7,13) — En le voyant... pris de compassion: mêmes verbes qu'en Mt 9,36* (§ 97 ) et 14,14; donc même processus, de la sensation au sentiment, qui témoigne de l'humanité du Christ (c'est-à-dire, à la fois, qu'il est vraiment homme, et homme de coeur). Le verbe choisi, lourd de sens physique — puisque la pitié atteint < jusqu'aux entrailles > — indique pourtant, plus encore qu'une simple compassion humaine, la tendresse de Dieu devant notre misère: en un mot, la Miséricorde (la < Hésed >*), telle que l'annonçaient en termes bouleversants Is 54,7; Jr 31,20; Os 2,25; Ps 103,8-13, s'inspirant de la Révélation de ce Nom de Dieu en Ex 34,6. Le Christ manifeste cette Miséricorde soit devant la foule (outre Mt 9,36 et 14,14, Mt 15,32), soit devant l'aveugle de Jéricho (Mt 20,34). C'est la compassion du Bon Samaritain (§ 191 -Lc 10,33), comme du Père de l'enfant prodigue (§ 232 ) — Lc 15,20). C'est elle qui prend ici les devants, avant même que la foi ait fait demander le miracle.

Le Seigneur* : Même titre au § suivant (Lc 7,19). Pour Luc, il désigne « surtout Jésus dans son action de Sauveur, inaugurant le Règne de Dieu, dans son exaltation Pascale, dans sa maîtrise sur l'Église, finalement dans la manifestation de ses liens mystérieux avec Dieu» (A. George: Sur Lc, «Jésus Seigneur», p. 237-255). Ici, évidemment, Lc entend souligner son action de Sauveur, en lien avec sa divinité d'où Lui vient ce Pouvoir*.

Lc 7,14-15 // 2R 4,18-37 (c'est donc la suite du // au § précédent) — Pour le Christ, une Parole suffit, et de sa propre autorité: « Je te le dis, lève-toi ! » Double supériorité sur les pénibles efforts d'Elisée, qui se borne au surplus à prier Dieu de faire le miracle. Et pour montrer qu'il avait bien ces // de l’A.T. à l'esprit, Luc termine en citant 1R 17,23, « Élie (Jésus) le rendit à sa mère » (cet autre // Se trouve au § 143 in fine).


Lève-toi: Verbe de la Résurrection du Christ (1Co 15,4 Ac 3,15 etc.; Lc 24,6), mais aussi de celle de la Fin des temps (Lc 20,37), et même de la résurrection spirituelle que réalise < l'éveil > du baptême (Ep 5,14). La résurrection physique du fils de cette veuve présage toutes les résurrections à venir, de ces morts où nous entraîne le péché: Même s'il y a péché grave, que vous ne puissiez laver vous-même par les larmes du repentir, que pour vous pleure cette mère, l'Église, qui intervient pour chacun de ses fils comme une mère veuve pour des fils uniques... lorsqu'elle voit ses enfants poussés vers la mort par des vices funestes (ambroise: Sur Le v, 92) — SC 45, p. 216).

Lc 7,16-17) — Un grand prophète: Enthousiasme de foule n'est pas encore foi véritable. « Un grand » n'est que simple comparatif; ce n'est là reconnaître en Jésus ni le prophète, au superlatif absolu, annoncé par Dt 18,18 (cf. § 364 ) — Lc 24,19*), ni « le Seigneur » (v. 13*).

Dieu a visité* son peuple: cf. § 8 ) — Lc 1,68*.

p. 327

§ 106. « Es-tu celui qui vient? »: Mt 11,2-6; Lc 7,18-23



(Mt 11,2-6 Lc 7,18-23)

 —Avant-dernier acte du Précurseur, désormais dans sa prison (§ 147 *), et spirituellement dans la nuit de la foi, comme on va le voir.

Mt 11,2-3; Lc 7,18-20/7 Gn 49,10; Is 42,18-19; Ps 142,8) — Les oeuvres du Christ: Par cette expression, Mt n'indique pas seulement les multiples miracles faits par Jésus, mais bien plutôt ces miracles comme signes que celui-ci est bien le < Christ >, le Messie. Mais dans ce cas, pourquoi Jean-Baptiste éprouve-t-il le besoin de poser la question : « Es-tu bien le Messie ? »

HILAIRE; Sur Mt XI (PL 9,979) : Serait-il possible que Jean, un si grand prophète, ne reconnaisse pas le Seigneur ? Non, on ne peut croire que l'Esprit Saint lui ait manqué dans sa prison... Dans cette circonstance, Jean a pourvu non à sa propre ignorance mais à celle de ses disciples. Lui-même avait annoncé < Celui qui viendrait pour la rémission des péchés > ; et pour que ses disciples sachent que c'est bien Jésus, et pas un autre, qui venait pour la rémission des péchés, il a envoyé ses disciples voir les oeuvres du Christ. Ainsi, les oeuvres du Messie authentifieraient les dires de Jean, et ses disciples n attendraient pas un autre Christ que celui auquel ses oeuvres rendaient témoignage.

Mais Mt et Lc montrent clairement que question et réponse sont échangées entre le Baptiste et le Christ, les disciples servant de facteurs : « Rapportez à Jean... » Encore moins peut-on supposer que le Précurseur n'ait pas reconnu en Jésus le Christ, et l'Époux devant lequel il est heureux de s'effacer (§ 22 , § 24 et § 79 ) — Mt 3,11-17*; Jn 1,29-35*; 3,27-30*). Cf. la réfutation de J. Dupont: L'ambassade de Jean-Baptiste, dans NRT 1961, p. 805-811.

Reste un 3° type d'hypothèses: serait-ce que l'image de Jésus, compatissant, bon pour les pécheurs, ne correspond pas au Messie apocalyptique que le Baptiste annonçait ? Les termes mêmes de sa question vont en ce sens :

Es-tu celui qui vient ? — avec nuance de futur (Vg. « qui venturus es »): Celui qui doit venir, et qu'on attend depuis si longtemps. Ce dernier point ressort implicitement de la suite de la phrase: « ou (si ce n'est pas toi) devons-nous encore en attendre un autre! »

// Gn 49,10 — La double expression de Jean-Baptiste se retrouve dans cette vision prophétique de Jacob sur la descendance de Juda, du moins telle que l'interprétait la Tradition juive : là où, en effet, l'hébreu annonçait: « jusqu'à ce que les peuples lui obéissent», une lecture voisine permettait de comprendre (comme le font aussi la Septante et la Vulgate) : « Il sera l'attente des nations ». Par ailleurs, Celui qui vient est le titre du Messie, en plusieurs prophéties visant le Retour glorieux du Fils de l'homme, pour le Jugement Dernier: surtout Dn 7,13-14 (en // au § 297 ), cité par le Christ à son Procès (Mt 26,64*), et Za 14,5 (en // au § 273 ) auquel réfère Mt 25,31. Ce même titre revient aussi en Za 9,9 et Ps 118,26, qui seront repris par la foule enthousiaste des Rameaux (§ 273 ) — Mt 21,5.9). C'est précisément ainsi que l'annonçait le Précurseur, au temps de sa gloire: comme « Celui qui vient derrière moi, plus fort que moi » (§ 22 ) — Mt 3,11 et Jn 1,26-27). Et il avait officiellement témoigné le reconnaître en Jésus (§ 24 ) — Jn 1,34).

Il est vrai que Jean-Baptiste l'avait désigné aussi comme « l'Agneau de Dieu », image de douceur et d'expiation (§ 24 ) — Jn 1,29*). Mais /l'essayons pas d'imaginer ce que le Précurseur pouvait éprouver alors, là où l'Évangile ne fait aucune < psychologie >. Tenons-nous en à sa question elle-même, qui est celle d'un homme qui ne sait plus ce qu'il doit penser. Et quand on ne sait plus, c'est le temps de la foi: < la nuit de la foi >, suivant l'image classique de saint Jean de la Croix et des mystiques, cette confiance gardée en la Parole de Dieu qui reste le seul guide assuré, dans la cécité et même la surdité purifiantes de l'esprit, par lesquelles doit passer « le serviteur et le messager de Dieu » (// Is 42,18-19), enfermant l'âme dans cette < nuée obscure > qui rend si pénible mais si totale la « confession de foi » (// Ps 142,8 — Il est évident que ces 2 // Ne sont pas donnés comme une < prophétie > du drame de Jean-Baptiste, mais comme exemples d'une expérience intérieure de même type).

Au Christ lui-même, l'épreuve ne sera pas épargnée, puisqu'il est le Serviteur annoncé par Is 42,18-19 et le Ps 40,6-8 (en // au § 157 *). Et comme il fut demandé à Abraham de sacrifier Isaac, gage de son espérance, pour que, « contre toute espérance ayant cru en l'espérance » (Rm 4,18), il devînt le Père de tous les croyants, de même Jean-Baptiste, témoin par excellence de la foi chrétienne, devra être aussi le modèle de la fidélité nue, aveugle, mais offerte à la volonté de Dieu, jusqu'à la mort même, inclusivement, comme Jésus vient de le demander à ses disciples (Mt 10,22 — cf. § 293 in fine).

Mt 11,4-5;Lc 7,21-22 // Is 35,1-10 Is 29,18 Is 26,19 — La réponse du Christ à cette question de la foi vise à hausser Jean-Baptiste jusqu'à la perspective de la foi, c'est-à-dire jusqu'à lui faire voir les événements du point de vue de Dieu. Aussi procède-t-Il par degrés. D'abord, oui! Il est bien « Celui qui vient »: à preuve ces miracles de toutes sortes, correspondant aux séries par lesquelles Isaïe signifiait la surabondance caractéristique des temps messianiques. Mais aussitôt, Jésus équilibre cette énumération de ses miracles par une autre citation d'Isaïe (61,1-2) : « les pauvres sont évangélisés ». On se rappelle que c'est à partir de cette prophétie qu'à Nazareth Il avait affirmé qu'en Lui, « le Règne de Dieu s'accomplissait » (§ 30 ) — Lc 4,18*).

Par là, il avertit doucement Jean-Baptiste: étant bien le Messie, j'ai donc à accomplir toutes les prophéties : non seulement le Fils de l'homme instaurant le Règne universel de l'Amour de Dieu (Da 7,13-14), mais le Serviteur humilié, mis à mort pour nos péchés (Is 53) ; non seulement le faiseur de miracles, entraîneur des foules, mais Celui qui s'attirera l'hostilité des Pharisiens, en prenant la cause des pécheurs (§ 42 ) — Lc 5,31-32*); non seulement dans la gloire des Rameaux, mais dans l'humilité scandaleuse de la Croix; non seulement en cavalier de l'Apocalypse « sorti vainqueur et pour vaincre encore, Lui, le Maître-de-tout » (6,2 et 19,11-15), mais en Agneau de Dieu écrasé sous la Croix de tous les péchés du monde ». Dès l’A.T., Dieu avait donné une semblable leçon de douceur à de trop bouillants prophètes. À Élie, massacreur des prêtres de Baal, Yahvé n'apparaît ni dans la tempête, ni dans le feu (de l'Alliance du Sinaï), mais dans le murmure d'une brise légère (1R 19, en // au § 46 ) — cf. J. Daniélou: Jean-Baptiste, témoin... p. 148). À Jonas, annonciateur du châtiment de Ninive, Dieu apprend qu'il ferait mieux de se féliciter qu'il y ait toujours un recours à Sa Miséricorde (Jon 4 — cf. J. Dupont, art. cit. p. 957-58).

Ainsi donc, non seulement Jésus donne-t-il le double argument apologétique des miracles et de l'accomplissement des prophéties, mais en même temps il apprend à Jean-Baptiste et à nous, à voir en Lui l'Évangélisateur, le Sauveur des < pauvres pécheurs >, et à reconnaître en ses miracles le simple reflet des bienfaits spirituels qui sont en réalité l'essentiel de « l'oeuvre du Christ » : illumination intérieure (comme celle du Précurseur lui-même: Jn 1,32-34); marche moins boiteuse vers Dieu, sur voie aplanie, comme le Baptiste l'annonçait (Mt 3,3); purification du péché, résurrection pour la vie nouvelle. Bref, toutes les sortes de miracles annoncés par Isaïe, et que Mt ou Le ont précédemment rapportés, résurrection comprise (Naïm, § 105 ). Curieusement, un seul encore manque: celui des « sourds qui entendent ». Nous ne le trouverons qu'en Mc 7,31-37, et nous comprendrons alors comment « l'ouverture des oreilles » est une étape capitale pour notre accession à la vie de la foi (§ 157 *).


À travers tout cela, ce qui se profile c'est le paradoxe du Salut: le Christ guérira le monde de son péché, mais par ses souffrances et sa mort, en « Agneau de Dieu ». Il évangélisera les pauvres, non pas en les tirant de leur pauvreté mais en faisant de celle-là même une participation à sa Croix, et donc à son Règne et à sa Béatitude éternelle (Mt 5,3):

Hilaire: Sur Mt XI (PL 9,979-980) : Il faut établir un lien entre « les pauvres sont évangélisés » et les derniers versets du chapitre dixième : qui sont ces pauvres, en effet ? Ceux qui prennent leur croix et suivent le Christ, ceux qui perdent leur vie (Mt 10,37). Parce que toutes ces douleurs devaient se rencontrer dans la Passion du Seigneur, et que sa Croix serait pour plusieurs un scandale, il proclame « Bienheureux » ceux pour qui sa Croix, sa mort et sa sépulture ne seront pas une tentation. Il montre quelle était la crainte de Jean, et il y répond. C'est pour cela que Jean avait envoyé ses disciples.

Comment le Baptiste a-t-il accepté cette réponse? L'Évangile n'en parle pas, mais d'une part nous savons que lui-même précédera le Christ dans la mort (§ 147 *), d'autre part le Christ nous le laisse entendre, en ajoutant:

Mt 11,6 ; Lc 7,23 // Lc 2,34 — Et bienheureux : « On ne forcerait guère en traduisant : < et heureux aussi >. En tous cas la conjonction lie étroitement ce verset au verset précédent... : l'homme dont Jésus dit qu'il est heureux se voit associé aux bénéficiaires du salut messianique, il partage le bonheur des infirmes rendus à la santé et des pauvres auxquels on a annoncé la fin de leurs misères » (J. Dupont: L'ambassade... p. 952).

Bienheureux celui : C'est la même béatitude paradoxale que celles du Sermon sur la Montagne: pauvreté, faim, larmes, persécutions ne seront pas épargnées aux disciples; et en cela même, ils auront à découvrir « la joie parfaite » (au sens, très évangélique, où l'entendait François d'Assise). Mais ici, bienheureux est au singulier, visant premièrement le Baptiste, et chacun de nous au coeur de cette épreuve de la foi, la plus intime et personnelle qui soit.

qui ne sera pas scandalisé: Car l'épreuve est à double tranchant: ou bien l'on achoppera à ce scandale* que la messianité et la divinité du Christ n'est jamais une évidence qui s'imposerait, mais une Révélation à laquelle on adhère raisonnablement — puisqu'il y a des motifs et signes suffisants — et librement, et dans ce cas l'on n'ira pas jusqu'au bout de sa foi, qui demande à être inconditionnelle, se fondant sur la seule Parole de Dieu ; ou bien comme Jean-Baptiste on restera ferme et fidèle. Si étonnant (si scandaleux) que soit ce paradoxe, Jésus est bien le « signe de contradiction pour la chute et le relèvement d'un grand nombre », prédit par le vieillard Syméon (// Lc 2,34).

Pourtant, nuance appréciable, l'Évangile ne dit pas positivement: « qui sera scandalisé », ce qui pourrait paraître menaçant; mais litt. « qui serait scandalisé », au conditionnel comme pour montrer que le Christ espère bien que nous ne le serons pas (remarque de J. Dupont, Ibid. p. 953-54). À chacun de surmonter par la foi ce scandale, et d'entrer par là même dans la Béatitude d'une relation personnelle « avec Moi »: la relation de la foi, du disciple au Maître...

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Bible chrétienne Evang. - § 100. Annonce des persécutions: Mt 10,17-25; (Mc 13,9-13 Lc 21,12-19)