Bible chrétienne Evang. - § 107. Témoignage de Jésus sur Jean-Baptiste : Mt 11, 7-15; Lc 7,24-30

§ 107. Témoignage de Jésus sur Jean-Baptiste : Mt 11, 7-15; Lc 7,24-30


(Mt 11,7-15 Lc 7,24-30)

- Éloge quadruplement gradué, menant à une définition des rapports entre l'A.T. et le N.T.

// Ex 23,20 Ex 32,34 Ml 3,1 — Cet homme est donc « plus encore qu'un prophète »: il est le Précurseur, auquel l'Évangile applique un amalgame de l'Exode et de Malachie, au prix d'une double adaptation. Car en Ex 23,20 ou 32,34, « devant ta face » désignait Israël, guidé par l'Ange de Yahvé; et en Ml 3,1 « devant ma Face » annonçait que cet < Ange > serait précurseur de Dieu même. Cette double prophétie s'accomplit doublement, en Jean-Baptiste, puisqu'il fraie la voie à Dieu, mais sous la Personne du Christ, qui guidera tout le Peuple de Dieu de la Nouvelle Alliance vers la vraie Terre Promise. La grandeur de Jean-Baptiste est donc bien de faire la jointure entre l'A.T. et le N.T.

Mt 11,11; Lc 7,28 // Jb 14,1-2 Jb 15,14 Lc 1,15 Mt 18,4 — Comparaison entre deux ordres de grandeur, mais qui ne s'identifient pas complètement avec l’A.T. et le N.T.comme entre deux époques purement successives. Le 1° est l'ordre naturel, de « l'homme né de la femme ». Cette expression désigne en effet l'homme dans la précarité de sa condition terrestre, faible et pécheresse (// Jb). Le 2° est le Royaume, sur-naturel. Dans le premier ordre, Jean-Baptiste est « le plus grand »: c'est le sommet de son éloge. Mais l'ordre du Royaume est si entièrement au-dessus que même « le plus petit » lui est encore supérieur.

Gardons-nous cependant d'une double erreur: d'une part, le Précurseur n'est évidemment pas exclu du Royaume : les deux ordres ne sont pas temporels, successifs, mais d'ÊTRE, et peuvent donc fort bien se conjuguer. D'autre part, quel est ce « plus petit » dans le Royaume? — Si la loi de ce Royaume est l'humilité, par où « quiconque s'abaisse sera élevé » (Mt 23,12), alors le plus petit, celui qui s'est fait enfant et serviteur (// Mt 18,4 cf. Mt 23,11), y est en réalité le plus grand. Hilaire ose donc même conclure que ce plus petit, qui est plus grand que Jean-Baptiste, n'est autre que le Christ, Lui qui s'est humilié jusqu'à la mort et la mort de la Croix, et qui, dès ce moment même, vient d'être « Celui qu'on interroge, en qui on ne croit pas, à qui ses oeuvres n'assurent pas de crédit » (PL 9,980). Mais le Précurseur, lui aussi, ne s'est-il pas effacé devant l'Époux: « Il faut qu'il croisse et que je diminue » (§ 79 ) — Jn 3,30*). Acceptant que sa fonction de lampe allumée (§ 150 ) — Jn 5,35*) pâlisse devant la Lumière du Christ, il est resté dans l'humilité, la vérité de son être et de sa grâce d'ami de l'Époux. Se dépassant lui-même en sa mission de précurseur, il est entré dans le Royaume, où son humilité le fait « grand devant le Seigneur » (// Lc 1,15).

Lc 7,29-30) — Confirme le sens des versets précédents: ce sont les petits et les publicains, réputés pécheurs, qui sont venus au Royaume à l'appel du Baptiste, tandis que les Pharisiens et les doctes se sont abstenus. Les deux verbes ont un sens extrêmement fort. Litt. les uns « ont justifié Dieu » (= sont entrés dans son Dessein de Salut, juste et justifiant) ; les autres l'ont « annulé ». Avec cette restriction cependant : pour leur part. La restriction peut avoir les Pharisiens soit comme sujet: ils n'ont pas annulé le Dessein de Dieu entièrement, mais seulement en ce qui les concernait — soit comme objet : annulé le Dessein que Dieu avait pour eux. De toute façon, l'annulation est donc seulement partielle, et ne vaut pas, heureusement ! pour tous ceux qui veulent entrer dans cette volonté de Salut de Dieu, par le baptême.


Mt 11,12-13; (Lc 16,16 — Il y a donc deux périodes, ou deux < économies >* : « la Loi et les Prophètes, jusqu'à Jean », et « le Royaume ». Jean est au terme de l’A.T. ; mais il n'est pas moins au départ du N.T.— il est la charnière de l'un à l'autre. Donc « depuis les jours de Jean » doit s'entendre inclusivement (A. Feuillet: Baptême et Tentation, p. 60). La situation dont parle la suite du verset peut donc s'entendre au sens limité des 2 ou 3 années qui vont du Baptiste à la Passion de Jésus. Celle-ci ouvrira définitivement la porte du Royaume ; mais déjà, de par la présence du Christ, la porte est entrouverte, et cède le passage à qui la pousse (en ce sens: J. Daniélou: Jean-Baptiste, témoin... p. 150-51). Mais rien n'empêche de prendre aussi le : « jusqu'à présent » en un sens durable, toujours actuel. La suite est encore plus ambiguë:

Le Royaume souffre violence : D'une part, le verbe grec peut être à la forme purement passive (= notre traduction), ou bien < moyenne >, ce qui signifierait que le Royaume use de violence vis-à-vis de lui-même. D'autre part, cette violence peut être prise en bonne ou en mauvaise part. Lc 16,16 porte davantage à la 1° interprétation: Litt. « chacun se violente vers le Royaume = doit se faire violence pour y entrer ». D'autant plus qu'à propos de la Porte étroite, Luc écrit, dans le même sens: « efforcez-vous » = faites effort pour entrer (Lc 13,24). ph.h. menoud propçse même de traduire: « chacun est invité instamment, par la prédication de l'Évangile, à entrer... » (Mél. R. Rigaux, p. 207-212) -comme dans la parabole des Invités au festin (Lc 14,23).

// Gn 32,25 Ex 32-33 — La Lutte de Jacob avec l'Ange, l'intercession de Moïse après le Veau d'Or sont des exemples de cette < violence > de charité, agréée de Dieu. Dans ce sens on peut comprendre: « Le Royaume se fraie une voie avec violence en brisant tous les obstacles ; le Royaume est forcé par la multitude qui y accourt et l'emporte d'assaut; le Royaume est l'objet d'une sainte violence de la part de ceux qui s'en emparent au prix des plus durs renoncements ; le Royaume est violenté parce que ce ne sont pas ceux qui semblaient y avoir droit... mais publicains et pécheresses qui ont l'air de voler ce qui revient à d'autres » (A. Feuillet, ) C'est d'ailleurs ce que Luc vient de dire, sous une autre forme, en Lc 7,29-30, en opposant les publicains aux Pharisiens.

// Gn 6,13 2S 3,38-39 Jb 6,23 Ps 72,13-14 etc. — Mais beaucoup plus généralement, dans la Bible, la violence est prise en mauvaise part, comme le fait des ennemis, et souvent des impies.

des violents s'en emparent (Mt) : Sans article, « et donc on ne peut pas comprendre, semble-t-il, qu'il s'agisse des disciples, mais des violents (que Jésus ne désigne pas d'une façon plus précise), qui empêchent (dans le mauvais sens) de parvenir au Royaume » (J. carmignac: Le mirage... p. 41). Au moins en Mt, par conséquent, cette Parole vise tous ceux qui s'opposent au Royaume.

s'en emparent: également péjoratif, ne se retrouvant qu'en Mt 13,19, avec pour sujet: « le Malin ».

Mais pourquoi Jésus ne viserait-il pas cette double violence : des publicains qui s'efforcent d'entrer par leur conversion, et des « Fils du Royaume » (§ 84 ) — Mt 8,12*) qui vont s'y opposer de plus en plus violemment:

Hilaire: Sur Mt xi (PL 9,981): Le Seigneur avait remarqué l'incrédulité des disciples de Jean ; il avait compris ce que la foule pensait de son héraut; et il prévoyait que le scandale de la Croix serait un grand péril pour la foi. Il avait commandé aux Apôtres d'aller de préférence aux brebis perdues d'Israël : car il fallait les établir dans le Royaume, et les retenir dans la famille d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Mais toute cette prédication profitait aux publicains et aux pécheurs : de ces publicains et de ces pécheurs, en effet, certains étaient déjà croyants, et même Apôtres (Matthieu) ; déjà ils étaient < Royaume des cieux >. D'autre part, le peuple reste incrédule devant le témoignage de Jean comme devant les oeuvres du Christ, et la Croix fera scandale. Désormais, la prophétie s'arrête ; la Loi a terminé sa carrière; déjà l'esprit d'Elie est envoyé dans la « Voix » de Jean. Le Christ est prêché aux uns, mais reconnu par d'autres; il naît chez les uns, mais d'autres le choisissent. Les siens le repoussent, les étrangers le reçoivent; ses proches le persécutent, et ses ennemis l'embrassent. Cet héritage qu'il offre, les fils d'adoption le réclament et la famille le rejette. Les fils refusent le Testament, les serviteurs le reconnaissent. C'est pourquoi le Royaume des cieux souffre violence, et ceux qui lui font violence l'emportent: la gloire d'Israël, promise aux patriarches, annoncée par les prophètes, offerte par le Christ, est saisie et emportée par la foi des Gentils.

Commentant le Ps 2,12: « Saisissez l'enseignement... Bienheureux tous les hommes qui lui donnent leur foi », Hilaire ajoute : Le vocabulaire même indique une volonté impatiente et qui se hâte : cette doctrine, on ne doit pas seulement la demander, mais « la saisir ». Le Seigneur trouve en effet sa joie dans « les violents qui font violence au Royaume des cieux » (Mt 11,12). Et saint-Paul écrit aux Philippiens (3,12) : « Je cours pour saisir ce en quoi j'ai moi-même été saisi ». Car, si Dieu a saisi notre nature corporelle, étrangère à sa nature divine, quand il est né homme et est devenu ce que nous sommes, à nous maintenant de « saisir » ce qu'il est lui-même : que notre hâte fasse violence à cette gloire dans laquelle Il a introduit notre nature corruptible. Nous saisirons ce en quoi nous avons été saisis, si nous obtenons la nature de Dieu après qu'il ait pris lui-même la nature des hommes. Il faut donc saisir la doctrine, la posséder par une sorte d'étreinte et comme par un lien de chair, pour qu'elle ne nous échappe pas (PL 9,289).

Rupert de Deutz  : Sur Mt IX (PL 168,1513): Voulant faire comprendre que le Royaume de Dieu était la présence même du Roi, l'avènement du Christ, et que l'entrée de ce Royaume était la pénitence — suivant la prédication et le témoignage de Jean-Baptiste — Jésus déclara : « Voici : le Royaume de Dieu est parmi vous » (Lc 17,21). Puis, répondant aux pensées des foules : « Depuis les jours de Jean-Baptiste, dit-il, le Royaume des cieux souffre violence, et les violents s'en emparent » (Mt 11,12). Ce qui revient à dire: il n'en est pas aujourd'hui comme autrefois, où l'on espérait de loin le Royaume des cieux: il vient, il est déjà au milieu de vous, on peut le saisir, il est à portée de la main : oui! On s'en empare en y portant la main! Il cède à la violence des violents, c'est-à-dire des pécheurs pénitents... Tous les prophètes et la Loi, jusqu'à Jean, ont prophétisé — sous-entendu : ont prophétisé le premier avènement du Christ, ou du Royaume de Dieu — mais depuis les jours de Jean jusqu'à présent, c’est-à-dire : aussi longtemps qu'on peut dire < Aujourd'hui > (He 4,7), en d'autres termes: depuis les jours de Jean jusqu'à la consommation des siècles, il ne s'agit plus de prophétie: le Royaume de Dieu est présent, et les violents s'en emparent: les violents, c'est-à-dire les pécheurs, qui n'ont aucun droit au Royaume de Dieu, mais sont rendus forts par l'esprit d'humilité, cet esprit par lequel Moïse, tout mortel qu'il était, put < tenir Dieu > (// Ex 32-33). Finalement violents, ils s'emparent du Royaume de Dieu ; et ce Royaume de Dieu cède à la violence : il cède même volontiers à cette violence-là.

Guerric d’Igny : 2° S. sur Jean-Baptiste (PL 185,167; SC 202, p. 326-332): Désormais le Royaume de Dieu nous est offert pour le piller: ce royaume que la justice des innocents ne pouvait conquérir, voici qu'à présent la violence des pénitents l'envahit et le possède. N'est-ce pas violence, que de ravir de force ce qui n'avait pas été concédé à la nature ? Ceux qui par nature étaient fils de colère et de géhenne (Ep 2,3), font irruption comme des intrus dans l'héritage des saints et la communauté de gloire !

Nous vous le disons donc, mes Frères, vous qui avez entrepris de ravir le ciel, de lutter ensemble contre l'ange qui garde l'accès de l'arbre de vie (Gn 3,24 Gn 32,25-30) : il est absolument nécessaire que vous luttiez constamment et implacablement... Mais ne crois-tu pas lutter avec Dieu, plutôt qu'avec l'ange?... O clémence divine, qui te déguises en rudesse! Avec quel amour paternel tu combats ceux en faveur de qui tu combats! Courage donc, âme bienheureuse qui as commencé de lutter avec Dieu : il aime souffrir violence de ta part, il désire être vaincu par toi. Car même quand il est irrité et avance la main qui châtie, il cherche — il l'avoue lui-même — un homme semblable à Moïse pour lui résister ; et s'il ne le trouve pas, il s'en plaint et il dit : « Personne qui se lève et qui me tienne! » (Is 64,7).

Mt 11,14-15) — Elle qui doit venir: C'est la prophétie de Ml 3,23-24, que le Christ expliquera encore plus clairement au § 170 *.

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§ 108. À qui comparerai-je cette génération: Mt 11,16-19; Lc 7,31-35


(Mt 11,16-19 Lc 7,31-35)

— Génération charnière, elle aussi, puisque, venant de l’A.T., elle a entendu le double appel du Précurseur et du Christ (Mt 11,12a*). L'expression est péjorative, comme d'ordinaire dans le N.T.où elle se trouve renforcée souvent par les adjectifs: «mauvaise et adultère» (§ 120 et §160 -Mt 12,39.45; 16,4) ou « incrédule et pervertie » (§ 168 ) — Mc 8,38).

Le sens originel, sémitique, est celui du < cercle >, donc au point de vue temporel, du cycle, généralement de longue durée — et plus spécialement « une masse d'hommes vivant à peu près à la même époque ou se ressemblant par des qualités bonnes ou mauvaises: < trois, quatre, mille générations; la génération des justes et la génération des pervers > ». Mais dans les Evangiles, il y a interférence avec le mot grec < Généa >, où ce qui domine, c'est « l'idée d'origine commune » et, secondairement, une période d'environ trente ans, âge de la < génération > (au sens d'engendrer, qui est premier, en latin — Cf. f. prat: Cette génération... dans Rech. sr 1927, p. 316-324).

C'est donc difficile de traduire. Suivant le cas, il s'agit plutôt de communauté de race (sans racisme), ou bien des Juifs contemporains du Christ. Mais généralement, il y a des deux à la fois, avec seulement un dosage variable. On trouvera d'autres exemples de « cette génération », pris dans 1 'A.T. et le N.T.en // au § 171 . Voir aussi § 299 ) — Mt 24,34-35*.

// 1R 1,40 2S 6,14-16 1M 3,45 — La flûte et la danse, expression de la joie / Les lamentations, du deuil. En Mt, les enfants commodément assis, reprochent aux autres de ne pas entrer dans leurs jeux successifs. En Lc, ils se disputent les uns les autres sur le choix du jeu : noces ou enterrement (cf. J. Jérémias : Paraboles, p. 161). De toute façon, eux-mêmes ne s'y sont pas engagés, se bornant à criailler contre les autres. L'avertissement concorde donc avec la finale du Sermon sur la Montagne (Mt 7,13-27).

// Qo 3,4 Mt 9,14 — L'apologue est aussi une invitation à se mettre à l'heure de Dieu et de sa grâce : à faire pénitence avec Jean-Baptiste pour préparer la Voie au Seigneur, à être en fête quand vient l'Époux, quitte à jeûner après qu'il aura été < enlevé > (§ 97 ) — Mt 9,15*; cf. J. Daniélou: Jean-Baptiste, témoin... p. 153-54).

Mt 11,19; (Lc 7,34-35) // Ba 3,38 Jn 14,10 Ps 8,3 — Mangeur et buveur... ami des publicains et des pécheurs : Cf. la vocation de Matthieu et le « festin » qui s'ensuit (§ 41 -43). Ami, non du péché vis-à-vis duquel Jésus est particulièrement intransigeant, mais des pécheurs qui se reconnaissent pour tels, et se trouvent donc dans l'attitude spirituelle convenable pour avoir recours à la Miséricorde divine. Sans cette humilité, pas d'espérance. C'est la raison de la dureté des invectives du Christ contre les Pharisiens (§ 245 ) — Lc 18, 9-14* ; cf. e. roustang: Le Christ, ami des pécheurs, dans « Christus » 1959, p. 6-21).

La Sagesse est justifiée par ses oeuvres (Mt): Dans le prolongement de l'apologue, il pourrait s'agir seulement de la sagesse des hommes, qui se trouve justifiée par leur engagement, ou par la prudence avec laquelle ils entrent « dans la mesure et le temps de Dieu » (Dostoïevski), en suivant d'abord le Précurseur, puis le Christ. Mais plus probablement, en face de l'incompréhension de « cette génération », le Christ dresse la Sagesse divine du dessein éternel de Salut. Cette Sagesse, c'est Lui-même, Verbe de Dieu incarné « parmi les hommes » (// Ba 3,38 — et cette proclamation de son identité divine témoigne d'autant plus de la conscience qu'il a d'ÊTRE Dieu qu'elle affleure ici, incidemment et comme sans y penser (cf. L. Bouyer: Le Fils éternel, p. 215-216). Ce qui « justifie » cette Sagesse de Salut, ce sont « ses oeuvres » = « les oeuvres du Christ » (Mt 11,2*): ses miracles sont là pour témoigner, soit à Jean-Baptiste soit à nous (// Jn 14,10-11), l'excellence de la Sagesse qu'il est, Lui, « le Sauveur du monde » (Jn 4,42), en qui « l'Amour du Père est parfait(ement) accompli », (§ 24 ) — Mt3,17b*).

La Sagesse a été reconnue juste par tous ses enfants (Lc) — C'est l'analogue de Jn 8,47 (§ 261 *): « pour entendre les Paroles de Dieu, il faut être de Dieu », « né de Dieu » (Jn 1,12-13*). Pour reconnaître la Sagesse et la Justesse du dessein de Salut en Jésus, ami des pécheurs et qui va mourir pour eux, il faut être de « ses enfants ». Non pas comme les gamins de l'apologue (le mot en grec est différent), mais en renaissant, par l'humilité et la confiance des disciples, « ses enfants », enfants de la Sagesse et enfantés par Elle. Ce sera l'objet du § 110 .

Hilaire: Sur Mt XI (PL 9,982): « La Sagesse est reconnue juste par ses fils », c'est-à-dire par ceux qui font violence au Royaume des cieux, et qui s'en emparent parce qu'ils sont justifiés par la foi: ils confessent, en effet, que l'oeuvre de la Sagesse est juste, car elle a transféré son don, des incrédules et des méprisants aux obéissants pleins de foi.

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§ 109. Malheur à toi, Chorazein : Mt 11,20-24 (et 10,15); (Lc 10,12-15)


(Mt 11,20-24 Mt 10,15 Lc 10,12-15)

— Les péricopes ne sont pas sans rapport entre elles: § 108 : « Cette génération » n'a pas su s'engager à la suite du Christ; § 109 : Pour son malheur; § 110 : Mais honneur à Dieu et bonheur aux hommes qui acceptent de se faire disciples du Maître doux et humble de coeur.

Plus largement, la malédiction de ces « villes » fait écho à la mission qui s'adressait aux « villes » (Introd. aux § 99 -104). Bien plus, le reproche fait à ces villes de « n'avoir pas fait pénitence » est en rapport avec le programme de prédication non seulement des Apôtres envoyés en mission (§ 145 ) — Mc 6,12), mais du Christ, comme de son Précurseur (Mt 3,2 et 4,17*). Autrement dit: cette 1° Partie de l'Évangile de Saint-Matthieu (ch. 3 à 11, ou plus précisément 4,17 à 11,24) se conclut sur l'échec de la mission entreprise par Jean-Baptiste, Jésus, et plus particulièrement de celle des Apôtres aux villes de Galilée.

Mt 11,20 // Jn 15,24 — Le bienfait de miracles et de toute grâce de Dieu se retourne contre qui ne les met pas à profit (Parabole des talents, § 306 ). Ces miracles sont au surplus nommés « actes de Puissance » (< Dunameis >), pour souligner leur portée de signes de la < Puissance > divine incarnée en Jésus.

Proférer des imprécations: menace prophétique, comme en Mt 18,7; 24,19; 26,24. Ici, elle est particulièrement solennelle, et forte.

Tyr et Sidon: ce sont, comme Babylone, le type des villes païennes que leur orgueil a perdu (// Ez; et Is 14,12-19, au § 186 ). À Sodome et Gomorrhe était plutôt reprochée leur corruption, et en particulier d'avoir si honteusement accueilli les Anges du Jugement (Gn 18,20 et ch. 19). Par contre, Ninive a été sauvée par sa conversion, à la Parole du prophète Jonas (// Jon 3,6), « sous le sac et la cendre », signes avec le jeûne de la < pénitence > effective à laquelle porte la < Métanoïa >.

Au Jour du Jugement: C'est bien le Jugement Dernier, pour lequel les Juifs pensaient que leur descendance d'Abraham leur vaudrait une mesure particulière de Miséricorde. Le démenti est donc cinglant, comme déjà celui du Précurseur, comme dans l'Évangile selon Saint-Jean (8,39-44; et § 20 ) — Mt 3,9*; cf. D. Marquerai: Le Jugement... p. 257-272). Mais ce n'est pas absolument inouï: Les Lamentations l'avaient déjà reconnu (// Lm 4,6).

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§ 110. La révélation aux petits: Mt 11,25-27; (Lc 10,21-22)


(Mt 11,25-27 Lc 10,21-22)

— En Mt, ce § fait contraste avec le précédent. En Lc, il se rattache au retour des disciples envoyés en mission. Mt ne s'y oppose pas, d'ailleurs, puisque tout ce ch. 11 est dans le prolongement du Discours sur la Mission, et de l'accueil que celle-ci reçoit. Simplement, Mt omet de mentionner ce retour.

On appelle souvent ces versets: le « Logion johannique », tant ils témoignent de l'intimité de Jésus avec son Père, et de son rôle de < Révélateur >, mieux mis en valeur par le 4° Évangile. Mais L. Cerfaux a montré qu'en réalité le vocabulaire et la théologie de ce passage proviennent bien du fonds général des Synoptiques, alors que les ressemblances littérales avec Saint-Jean étaient trop générales et lâches pour permettre d'établir qu'il y ait eu emprunt de Mt-Lc à Jn ou vice versa (Rec. Cerfaux III, p. 161-174). Une fois de plus, il est tellement plus normal de conclure que les ressemblances viennent tout simplement de ce que les Évangélistes expriment, chacun à sa manière, la même Parole originelle, de leur unique Maître à tous. Jusque dans leur forme, ces phrases gardent au surplus — par leurs termes comme par leur construction — une marque sémitique et biblique qui contribue encore à les authentifier.

En ce temps-là* (Mt) : Plus encore que référence aux temps primordiaux de l'« In illo tempore », il s'agit de ce temps favorable (< Kaïros >*), donné précisément à « cette génération » (Mt 11,12*). En cette heure-là est une expression familière à Lc (Lc 2,38 Lc 12,12 Lc 13,31 etc.); mais cela ne veut pas dire qu'elle ne soit pas venue sous sa plume pour signifier une coïncidence avec ce qui précède (Lc 10,17-20), c'est-à-dire la réponse du Christ à l'enthousiasme des disciples pour les prodiges par eux accomplis : de la terre Il tente d'élever leur ambition jusqu'au ciel. Et c'est alors qu'Il exulta dans l'Esprit Saint (termes analogues pour Marie chantant son Magnificat, Lc 1,47). Tout à coup, le Christ jusqu'ici en conversation avec les hommes, décolle, entre en extase, si bien que ses Paroles, dites non plus à nous mais au Père, sont plus directement révélatrices de ce qu'il a constamment au coeur. La formule de Mt : « Jésus prit la parole et dit », doit d'ailleurs être prise elle aussi au sens d'une réponse inspirée. Ainsi se manifeste le mystère de la Trinité du Fils uni à son Père dans la ferveur de l'Esprit Saint (A. George: Sur Luc, p. 232).

Jean Paul II : Dominum et Vivificantem I, 21 : Ce qui, au cours de la théophanie du Jourdain (§ 24 ) — Mt 3,16-17*) est venu pour ainsi dire < de l'extérieur >, d'en haut, provient ici < de l'intérieur >, c'est-à-dire du plus profond de ce qu'est Jésus. C'est une autre révélation du Père et du Fils, unis dans l'Esprit Saint. Jésus parle seulement de la paternité de Dieu et de sa propre filiation ; il ne parle pas explicitement de l'Esprit qui est Amour et, par là, union du Père et du Fils. Néanmoins, ce qu'il dit du Père et de lui-même comme Fils résulte de la plénitude de l'Esprit qui est en lui, qui remplit son coeur, pénètre son propre « Moi », inspire et vivifie en profondeur son action. De là cette « exultation dans l'Esprit Saint ». L'union du Christ avec l'Esprit Saint, dont il a une parfaite conscience, s'exprime dans cette < exultation > qui, en un sens, rend perceptible sa source secrète. Il en résulte une manifestation et une exaltation particulières qui sont propres au Fils de l'homme, au Christ-Messie dont l'humanité appartient à la personne du Fils de Dieu, substantiellement un avec l'Esprit Saint dans la divinité.

Je le confesse et t'en rends grâces: Traduit un seul verbe grec, qui conjugue les sens de < confesser sa foi >, < confesser Dieu > (= le louer et le remercier), et < confesser ses péchés > (Vtb < Confession >, et C.J. Nesmy : Pratique de la confession, ddB 1962, p. 128-138).

// Gn 14,18-19 — Bénédiction, si typique de la spiritualité juive. C'est la même ouverture de l'âme, la même adhésion de la volonté à celle de Dieu qu'ici, où l'on pourrait aussi traduire: « Je te bénis, Père... » (BJ). Sur la bénédiction de Dieu aux hommes et des hommes à Dieu, cf. BC I* p. 87-88 et 93-94.

Père: le nom personnel sous lequel Jésus parle à Dieu, de Toi à Moi, à un titre unique. Seigneur du ciel et de la terre : Sous des formes approchées, ce qualificatif revient plusieurs fois dans l’A.T. (Gn 24,3 Gn 24,7 Esd 5,11 Tb 7,16 Jdt 11,12); et encore plus souvent: « Créateur du ciel et de la terre ». Cela nous incline à comprendre que la « Révélation » annoncée ne sera pas seulement de Dieu en Lui-même, mais aussi de son Dessein créateur sur le monde.

tu as révélé: Le verbe grec est celui dont on a tiré < Apocalypse >. « Tu as caché » relève d'ailleurs du même vocabulaire. Dans ces deux paragraphes, il va être question de < Révélation >, au sens où l'Apocalypse en est une, c'est-à-dire non pas une description détaillée de l'à-venir, mais une façon d'apprendre à lire dans les événements extérieurs la réalisation progressive du dessein divin.

ces choses: Non précisé, car il s'agit sans doute d'une révélation très générale des mystères du Royaume de Dieu (§ 127 ) — Mt 13,11), « ces choses cachées depuis le commencement du monde » (§ 135 ) — Mt 13,35), et que les Apôtres ont pour mission de « révéler en le clamant sur les toits » (§ 101 ) — Mt 10,27 ; cf. 1Co 2,7 Ep 3,7 Col 1,26). En outre, d'après le v. 27, se révèle aussi la relation mutuelle du Père et du Fils, donc le mystère de la Sainte Trinité.

// Is 29,14c-d Os 14,10 (et 1Co 1,26-29, au § 186 ) — Les sages et les intelligents sont classiquement associés, dans la Bible, généralement en bonne part. Il était communément admis dans le judaïsme contemporain que c'était à eux que la Révélation était confiée, depuis Moïse (Dt 1,13 Dt 1,15). Ils occupaient « la chaire de Moïse » (Mt 23,2). Mais ces scribes, légistes, docteurs de la Loi avaient fini par devenir « une caste de spécialistes », comme dit Dom J. Dupont (Les Béatitudes n, p. 191-197), et c'est à cette caste que le Christ se heurtera violemment (dès le ch. 12, et surtout au ch. 23).

// Mt 18,3 — Les petits : Ce mot désigne en effet premièrement les enfants en bas âge, auxquels doivent devenir semblables ceux qui veulent « entrer dans le Royaume », et en avoir la Révélation. Ce serait le terme condescendant par lequel les doctes nommaient < les simples > qu'ils estimaient avoir pour mission d'instruire (Rm 2,20 cf. J. Dupont: Ibid. p. 98-203). Mais «un aveugle peut-il guider un autre aveugle » (§ 68 ) — Lc 6,39)? On voit donc le nouveau retournement qu'annonce Jésus : ce sont les petits qui recevront la Révélation du Royaume, et verront clair, tandis que ceux qui se croyaient clairvoyants s'aveuglent (§ 127 ) — Mt 13,10-15* et § 262 ) — Jn 9,39-41*). C'est tellement parallèle au rejet d'Israël infidèle, au profit des païens appelés à hériter eux aussi de la Bénédiction d'Abraham, qu'Hilaire attribue « à la foi des Gentils la cause de la joie du Seigneur » en Mt 11,25 (PL 9,983).

Mt 11,26 // Mt 17,5 = 3,17* — Litt. « Oui, Père, car ainsi s'est accompli ton Amour devant toi » (< Périphrase révérencielle >, d'après P. Jouôn : L'Évangile... p. 74). C'est le ton propre au Christ avec son Père (surtout dans Saint-Jean) : de totale déférence en même temps que de parfaite intimité.

Oui, Père: Satan est celui qui dit: « Non ! Je ne servirai pas ». Jésus — et Marie — disent: « Oui, me voici pour faire, ô Dieu, ta Volonté », si bien que par là, nous sommes sanctifiés (He 10,5-10), et qu'« en Lui, toutes les Promesses de Dieu ont eu leur < Oui > » (2Co 1,20). Il faut savoir sentir l'élan de tout son être que le Christ met dans ce: « Oui », « Ita Pater »...

ainsi l'a voulu ton Amour: Nous avons déjà rencontré ce mot d'< Eudokia > (en hébreu < Raison >), lors du baptême du Christ (§ 24 ) — Mt 3,17*), et c'est encore ainsi que le Père définit en Jésus son Fils, le Bien-Aimé, lors de la Transfiguration (// Mt 17,5). C'est l'Amour du Père qui l'a notamment porté à ce grand Dessein de création et de salut pour ré-unir à Lui les hommes, en un Royaume où règne Dieu — donc aussi le Bonheur et la Béatitude éternelle. Ce Dessein est effectivement parfait dans le Christ. Mais encore faut-il que les hommes y rentrent, et pour ce faire, qu'ils en aient la Révélation. Or c'est, on l'a vu, précisément ce dont il s'agit ici: s'ouvrir au Mystère du Royaume proclamé par Jean-Baptiste, Jésus, les Apôtres ou l'Église, en « croyant à cette Bonne Nouvelle » (§ 28 ) — Mc 1,15*). Et puisque cet Amour Sauveur du Père s'accomplit en l'Incarnation Rédemptrice de son Fils, puisque la seule présence du Christ est la manifestation même de ce Règne, recevoir cette Révélation sur le Royaume, c'est reconnaître la Royauté du Christ en se faisant ses disciples (v. 28-30*).

Non que Dieu repousse la science comme telle - et d'autant plus qu'il s'agit de l'étude de la Loi, donc de cette Révélation même, que les Livres Sapientiaux encouragent à méditer sans cesse ! Non qu'il interdise la prudence : elle est à conjuguer avec la simplicité (Mt 10,16*). Encore moins plairait-il à Dieu d'écarter volontairement « les sages et les habiles », comme a pu le faire penser à des savants exégètes mal avisés la formule du v. 25, qui semblerait donner même importance à la volonté de cacher à ceux-ci ce qui était révélé aux petits ! J. Dupont montre savamment qu'il n'en est rien: l'Amour bienveillant de Dieu vise uniquement à cette Révélation au profit des simples (Béatitudes II, p. 189-190). L'aveuglement des autres est mentionné ici seulement pour faire contraste, avant d'être abordé pour lui-même seulement au § 127 *.

Alors, pourquoi donc l'Amour de Dieu s'adresse-t-il ainsi aux simples! — Par la même préférence qu'indiquaient les 3 premières Béatitudes (§ 50 -Mt 5,3-5*; cf. aussi J. Dupont: Ibid. p. 212-215). Ce n'est pas que les pauvres, les doux, les affligés, les petits, aient un mérite particulier qui attirerait le choix de Dieu, exclusif des autres. Dieu n'est conditionné par rien ; Il ne nous aime pas à cause de nos qualités, qu'elles soient psychologiques, morales ou sociales, puisqu'à l'inverse, c'est son Amour qui l'a porté à nous parer de ces qualités. Plus encore, la vocation est pur « Don de Dieu » (Jn 4,10), offert à tous, mais que le Père trouve satisfaction à voir ainsi aller à ceux qui recevront simplement cette Révélation. Comme le dit très bien D. Marguerat plus généralement, à propos des destinées antithétiques d'Israël et des païens : « Ce qui sépare Israël de l'Eglise n'est pas l'offre du salut, mais la réponse donnée à la grâce, le destin de l'homme devant Dieu se joue dans cette réponse » (Le Jugement... p. 263). Nous comprendrons aux v. 28-30* pourquoi ce sont les petits, les obscurs et les méprisés qui répondent, plutôt que les sages, les puissants et les bien-nés (1Co 1,26-29, en // au § 186 ).

// Da 2,19-20 Da 2,23 Da 2,44 — Daniel est un de ces «petits», tellement que l'hymne chantée par lui et ses compagnons au chapitre suivant est traditionnellement appelée : « Cantique des enfants dans la fournaise ». Or là où < les sages > de Babylone n'ont pas su deviner quel songe avait fait Nabuchodonosor, Dieu a choisi Daniel, en lui révélant « les secrets » de la succession des Empires temporels, donc caducs, jusqu'à l'instauration du Royaume éternel, sur < la pierre > qui est le Christ (v. 44-45) — v. 45 en // au § 347 ). Tant il est vrai qu'il y a « un Dieu du Ciel, qui révèle les mystères » (v. 28). Le // avec Mt 11,25 vaut donc sur toute la ligne (Rec. Cerfaux III, p. 139-146).

Isaac de l’Etoile tire de l'exemple que nous donne le Christ le point central de référence, tant pour notre manière de juger les événements que pour notre prière: la volonté bienfaisante du Père. Telle est la raison principale, primordiale, de tout ce qui a été fait. Après elle, sous cette cause première et maximale, peuvent prendre place les causes diverses des événements divers ; mais ce qui a plu au Père, c'est cela qui est bon, qui n'est que bon et qui seul est bon. Et cela est bon parce que cela lui a plu. Ne pensons pas que cela lui ait plu < ensuite >, parce que < d'abord > c'était bon, par soi, en soi: Non; ce qui ne lui plaît pas n'est pas bon — et précisément n'est pas bon parce que cela ne lui plaît pas (Sermon 36, pour le 2° D. de Carême — Pl 194,1809; SC 207, p. 270).

Quant à la prière, suivant le conseil de saint Paul (Rm 8,26-27 et 1Co 2,10), laissons-nous inspirer par « l'Esprit Saint qui scrute les profondeurs de Dieu » : Non qu'il ait à les chercher mais parce qu'il les pénètre. Il sait totalement quelle est la volonté de Dieu, ce qui plaît à ses yeux; et c'est selon cette volonté qu'il dirige la prière des saints. Demandons-lui de secourir toujours notre faiblesse, de sorte que nous voulions, uniquement et toujours, non pas ce que nous voulons et parce que nous le voulons, mais ce que veut le Père et parce que le Père le veut — et que nous attendions plutôt de lui ce qu'il veut, et que nous aimions ce qu'il veut, au lieu de lui expliquer ce que nous voulons, nous; et que nous désirions sa volonté, nous qui avons été instruits par son Verbe : « Que ta volonté soit faite, au ciel et sur la terre » (Mt 6,10). (Même Sermon 36) — Pl 194,1811; SC 207, p. 278).

Mt 11,27 Lc 10,22 // Jn 3,35 Jn 1,18 (et Is 42,1-4, au § 114 ) — Tout m'a été donné: Annonce l'ultime envoi des Apôtres par le Christ, avant son Ascension: « Toute Puissance m'a été donnée » (Mt 28,18*). D'après J. Jérémias, ici, on ne doit pas « voir dans ce < tout > la souveraineté universelle ; le contexte (v. 25-26 et 27 b-d) s'y oppose, car il parle uniquement de la révélation de Dieu. Etant donné que < transmettre > est le terme technique usuel pour désigner la transmission d'un enseignement, d'une connaissance et d'une science sacrée, < tout > désigne plutôt la connaissance de Dieu, exactement comme « ces choses » au v. Jn 25 signifie le mystère de la révélation. Voici donc ce que dit Jésus au v. 27a, Dieu m'a transmis la plénitude de la révélation » (Abba, p. 54). Mais il est vrai que d'autres exégètes « entendent plus largement ce < tout >, d'une investiture des pouvoirs messianiques, comparable à la déclaration royale du Ps 2,7-9 ou à l'investiture du Fils de l'homme en Da 7,14 » (A. George, qui admet sagement les deux interprétations, dans Sur Luc, p. 224-225).

par mon Père: Cette appellation témoigne de la conscience qu'avait Jésus des liens uniques entre son Père et Lui — et même s'il parle de Dieu comme « notre Père », il prend soin de se mettre à part: « Mon Père et votre Père » (Jn 20,17). Aussi, l'authenticité de ce verset a été très combattue. Mais tous les arguments contre se sont avérés sans fondement (cf. S. Légasse : Le Logion sur le Fils révélateur, dans « La notion biblique de Dieu », Louvain 1976, p. 245-274). J. Jérémias est fondé à conclure que nous sommes ici en présence de ce qu'il appelle l'« Ipsissima Vax » de Jésus de Nazareth (Abba, p. 95-99; Théologie, p. 49). La suite précise de quel ordre est la relation entre le Père et le Fils :

Nul ne connaît: C'est de l'ordre de la connaissance; mais au sens plein de la Bible, où elle implique amour et communion (par exemple, l'acte conjugal se dit « connaître », et engendre un être nouveau, semblable au père, Gn 4,1 — cf. BC I*, p. 68). À ce point, connaître revient à naître, suivant le jeu de mots de Claudel : connaître = co-naître ; car naître = être au monde, en symbiose avec ce qui nous entoure — » connaître, accéder à l'être : « La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, Père » (Jn 17,3). Si c'est vrai de la connaissance des élus, incommensurablement plus pour l'Unique ! C'est d'ailleurs ce qu'indiqué la formule de ce verset: une réciprocité entre la connaissance (par définition divine, totale, parfaite) du Fils par le Père, et celle du Père par le Fils : « De même que seul, le Père connaît... de même seul le Fils connaît... » Cela implique à son tour une égalité, car qui peut connaître parfaitement Dieu, si ce n'est Dieu lui-même ? C'est donc une de ces Paroles d'où ressort la conscience que Jésus avait d'être Dieu. Même si beaucoup s'acharnent encore à la nier, la foi constante de l'Église sur ce point reste solidement fondée sur l'Évangile, seul témoin sûr du Jésus que les Apôtres ont vu et entendu manifester ainsi sa symbiose avec le Père (f. dreyfus: Jésus savait-il... p. 51-54).

Nul ne connaît le Fils: « L'idée qui découle le plus naturellement du texte c'est qu'il y a un mystère du Fils comme il y a un mystère du Père » (S. Légasse, p. 255). Jésus est plus que l'homme connu de tout le monde, plus même que le Messie reconnu par ses disciples : Il est Dieu, connu pour tel du Père seul, et de ceux auxquels le Père donne la foi qui permet de le croire « le Fils du Dieu vivant » (§ 165 ) — Mt 16,16-17*). Car telle est cette volonté du Père que Jésus vient de louer: attirer ces < petits > à son Fils et les lui « donner », pour que celui-ci leur communique la connaissance, la Lumière, la Vie du Père (Jn 6,37-40 Jn 6,44-45 ; Jn 17,6-7 Jn 17,2). En même temps, cette intimité du Fils à son Père nous dévoile la source d'où vient l'attitude spirituelle fondamentale de Jésus, qui s'exprimait déjà aux v. 25-26, et que le v. 29 définira comme douceur et humilité: c'est celle des Béatitudes, celle du < tout-petit > (v. 25) mais qui se sait « le Bien-Aimé » en qui l'Amour de Dieu peut se reposer en perfection (v. 26).

// Is 42,1-4 — Cette prophétie est citée par Mt lui-même au § 114 , comme « accomplie » en Jésus. Or elle fait le joint entre la grandeur et l'humilité du Messie. D'une part, il est « le Bien-Aimé en qui l'Amour du Père est par-fait » (Mt 12,18b), et à ce titre le mot grec < Pa'ïs > — qui peut désigner soit l'enfant, soit le serviteur — pourrait ici prendre valeur de : « Voici mon Enfant, mon Élu » (18 a). Mais d'autre part, Is 42 est le premier des « poèmes du Serviteur », annonçant que ce Fils vient nous servir et nous sauver par l'humilité de sa prédication d'abord (v. 19-20) et surtout de sa Passion (Is 50,5-7 Is 53,1-12).

Nul ne connaît le Père, sinon le Fils: // Jn 1,18*.

et celui à qui le Christ voudra le révéler: En continuité avec v. 25 (les mystères du Royaume révélés aux petits), et avec les v. 28-30, qui vont expliciter quelle est cette Révélation.

Irénée : Adv. Hoer. IV, 6, n° 4.7.3 (PG 7,987-990; SC 100, p. 442-454): Ce que nous enseigne le Seigneur, c'est que nul ne peut connaître Dieu si Dieu ne l'enseigne ; autrement dit, nous ne pouvons connaître Dieu sans le secours de Dieu. Mais le Père veut être connu: le connaîtront ceux à qui le Fils le révélera...

Le mot « révélera » ne désigne pas seulement le futur, comme si le Verbe n'avait commencé à révéler le Père que quand Il naquit de Marie ; mais il s'applique à la totalité du temps. Depuis le commencement, le Fils, présent à sa propre créature, révèle le Père à tous ceux que veut le Père, et quand il le veut, et comme il le veut...

Nul en effet ne peut connaître le Père sans le Verbe de Dieu, c'est-à-dire si le Fils ne le révèle — ni connaître le Fils sans la volonté favorable du Père. Or la volonté du Père, le Fils l'accomplit: le Père envoie, le Fils est envoyé, et il vient. Or, ce Père qui nous est invisible, son propre Verbe le connaît, et il raconte ce qui est ineffable...

C'est pourquoi le Fils révèle la connaissance du Père par sa propre manifestation; la manifestation du Fils est, en effet, connaissance du Père. (Sur l'interprétation par saint Irénée de ce verset, en fonction des théories hérétiques de la Gnose, pour replacer le texte dans le cadre de l'enseignement authentique de l'Église, cf. A. Houssiau: dans etl 1953, p. 328-354).

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Bible chrétienne Evang. - § 107. Témoignage de Jésus sur Jean-Baptiste : Mt 11, 7-15; Lc 7,24-30