Bible chrétienne Actes 19

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C. LA PASSION DE PAUL


Ac 21-28) §§ 19-23


§ 19. MONTÉE À JÉRUSALEM ET ARRESTATION : Ac 21,1 à 22,30


Le parallèle est évident entre l'Apôtre et son Maître. Luc avait organisé toute la partie centrale de son Évangile en « montée à Jérusalem » (Lc 9,51 à 19,41 — cf. BC II*, p. 445-446). Sept fois revient la mention de cette route qui le mène jusqu'à cette ville où «il doit» subir sa Passion rédemptrice (Lc 13,33): 9,53; 13,22.33; 17,11 ; 18,31 ; 19,11.28. Chemin faisant, par trois fois, Jésus annonce sa mort et sa résurrection (9,22.43-45 ; 18,31-34). 11 y a également sept fois le rappel que Paul monte vers Jérusalem, entre son « projet » d'aller à Jérusalem et à Rome (Ac 19,21) et son arrivée (Ac 21,17) : 20,16.22; 21,4.11.12.13.15, avec le même verbe «monter» en Ac 21,4.12.15 qu'en Lc 18,31 et 19,28, et avec triple annonce de son arrestation: Ac 20,22-23; 21,11.13 (m. gourgues : L'Evangile aux païens, p. 10-11).

Ac 21,1-3 // Is 23,17-18 Ps 87,4-7 Lc 10,13-14 — Jusqu'au verset Lc 18, c'est le troisième des fragments en « nous » — d'où la précision des étapes de l'itinéraire: depuis Milet, par Cos, Rhodes, Patara et peut-être Myre d'après une variante, ils contournent la côte sud-ouest de l'Asie mineure, passent entre Chypre et Laodicée jusqu'à la Phénicie. Tyr a dû être évangélisée par les chrétiens dispersés à la suite du martyre d'Etienne (Ac 11,19-20). Les parallèles annoncent qu'à la différence des cités anéanties, comme Babylone ou Ninive, Tyr bénéficiera d'une certaine reviviscence (Is 23) et que certains de ses habitants auront part à la nouvelle naissance qui vient de Jérusalem (Ps 87), si bien qu'elle sera moins rigoureusement traitée que Chorazeïn et Bethsaïde, elles aussi disparues: (Lc 10) : ce que nous voyons ici accompli.

Ac 21,4-7sept jours : Arrêt relativement important, comme plus loin à Césarée (v. 10), dans ce voyage où l'Apôtre force les étapes de sa « montée à Jérusalem» (Ac 20,16).

les disciples... disaient à Paul de ne pas monter: Etant «mus par l'Esprit Saint», comment peuvent-ils s'opposer au même Esprit Saint qui conduit l'Apôtre vers sa Passion (Ac 20,23) ? jean chrysostome explique bien que ces disciples de Tyr étaient authentiquement mus par le don de prophétie quand ils annonçaient la captivité, mais seulement émus par une affection louable bien que trop humaine quand ils cherchaient à en détourner Paul — comme Pierre avait tenté de dissuader Jésus (Mt 16,22-23). Aussi, de fait, Paul suit ponctuellement son programme, repartant dès « que les jours (prévus) furent révolus » (v. 5); cela provoque une scène d'adieux d'autant plus déchirante que, cette fois, «femmes et enfants » sont là (comparer avec Ac 20,36-38). À Césarée encore, même débat, dont l'enjeu deviendra tout à fait explicite (Ac 21, 10-14*).

Ac 21,7-9 // Ptolémaïs est l'ancien Akko de Josué et des Juges, le Saint-Jean-d'Acre des croisés, historiquement en lien avec Jérusalem (// 1M 10). Césarée est la dernière étape importante. D'abord par la présence de Philippe, l'un des sept diacres (Ac 6,5 et 8,5-7.26-40). Si, au début de sa carrière, Paul participe à la lapidation d'Etienne, à la fin il semble que Philippe, en quelque manière, offre Paul à Dieu... en prenant part à l'ultime voyage de Paul vers la prison: non plus persécuteur mais persécuté, témoin de Jésus-Christ, lui aussi. Ces rencontres avec deux des sept diacres sont toutes les deux déterminantes: l'une prépare la conversion de Paul, l'autre prépare sa passion (d. barsotti).

quatre filles vierges qui prophétisaient : Si, comme il semble, les Actes mettent ce titre de «vierges» en relation avec leur don de prophétie, c'est que cette virginité prend valeur de consécration ; et en ce cas, on aurait là une première mention de ce qui deviendra par la suite vie religieuse consacrée. S'il en était autrement, cette précision n'aurait guère de raison d'être, sinon purement documentaire. Paul reconnaît à des femmes ce ministère de « prophète » ( 1Co ), en dépit de la règle générale de discrétion qui leur convient ().

Ac 21,10-14 // Ps Lc 119,112 Lc 119,117 Le charisme prophétique remonte non seulement à l'époque royale en Israël OH R EN 22 cf. 1S ), mais à Moïse (Dt 31 et 33), et même Abraham, Jacob (Gn 46,1-4 et 49) ou Balaam (Nb 23-24).

Il semble fréquent aux débuts de l'Eglise, et vient d'être mentionné au verset 9, probablement aussi au verset 4.

Agabus descendit de Judée: Comme au chapitre 11,27-28 «des prophètes étaient descendus de Jérusalem à Antioche» — tant il est vrai que tout le christianisme vient de la Ville sainte et y remonte (Lc 24,47 cf. // Ps 87). C'est au surplus un rappel du plan de progression des Actes à partir de Jérusalem (Ac 1,8*). L'action symbolique d'Agabus — du même type que celles de Jérémie (Jr 13 et 19) ou d'Ézéchiel (Ez 4 et 12) — souligne le parallèle entre Pierre et Paul (// Jn 21 — BC II*, p. 783 ; voir aussi Pierre dire au Seigneur : « Je suis prêt à donner ma vie pour toi», // à Ac 21,13b, en bcii, p. 524-525 et bcii*, p. 651). Mais d'autre part, quand le même Agabus prophétise : « (les Juifs) le livreront aux mains des Gentils», ce verbe «livrer» rapproche les deux Passions de l'Apôtre et du Christ (// Lc 18,32cf. BC II, p. 292 et BC II* p. 420).

À ce moment-là, Paul se trouve en butte à l'opposition non seulement des disciples de Césarée — comme, auparavant, aux larmes des chrétiens de Milet et de Tyr (Ac 20,37-38 Ac 21,5) — , mais de ses proches dont Luc lui-même (Ac 21,12-13). Ces objurgations, ces pleurs de personnes aimées sont un ressort classique de la tragédie antique. F. bovon n'a pas de peine à en trouver des exemples non seulement dans la littérature grecque, mais dans les Passions des martyrs chrétiens ou dans la célèbre lettre d'iGNACE D'antioche suppliant les Romains de ne pas le détourner de sa vocation au martyre. Mais que font tous ces écrits, sinon accentuer, dramatiser, magnifier un débat qui oppose si généralement les héros et les saints à leur entourage. L'auteur des Actes n'avait donc pas besoin de ces antécédents littéraires pour évoquer de telles scènes. Mais en tout cas, la suite de cette étude intitulée «Le Saint-Esprit, l'Église et les relations humaines selon Actes 20,36 à 21,16» (L'OEuvre de Luc, p. 121-144) analyse bien cette différence des perspectives entre Paul, conduit par l'Esprit Saint au plus grand amour, qui serait de donner sa vie « pour le Seigneur Jésus » (v. 13), et l'assemblée, « avec les femmes et les enfants », qui témoigne d'une affection très humaine. Il est remarquable que Luc non seulement ne la condamne pas, mais semble admettre que cette fraternelle insistance des chrétiens envers l'Apôtre soit louable. Aussi, dans ce débat, Paul n'impose-t-il pas «sa» volonté. Aidé par l'intervention d'Agabus, il entreprend de hausser la réaction des disciples de l'affectif au théologal, des sentiments «qui brisent le coeur», à lui aussi, jusqu'à la pleine charité, qui est d'aimer Dieu, et par conséquent ce qu'il veut, par-dessus tout. Et c'est bien la conclusion de ce débat, insoluble s'il n'accédait à un ordre plus élevé que celui de toutes considérations humaines : ni Paul ni les autres ne changent de sentiments (et ce serait bien regrettable) ; seulement, ils «cessent d'insister» parce qu'ils acceptent « que la volonté de Dieu se fasse ». Ainsi, par-delà les différences d'auditoire, les chrétiens de Césarée répondent-ils à l'exhortation de l'Apôtre aux anciens d'Ephèse d'obéir à «toute la volonté de Dieu». Mieux encore, à la suite de saint Paul, c'est une ratification, par toute cette Église, du Fiat voluntas tua de Gethsémani.

Ainsi considéré, l'épisode est exemplaire sur la façon de faire évoluer les relations entre chrétiens, par le recours à une autorité plus haute : Le pôle supplémentaire que Dieu constituesous forme non tyrannique et non totalement dévoilée (l'arrestation étant seule révélée, non la suite, ce qui laisse place à la liberté d'appréciation humaine)— modifie le type de communication entre Paul et les autres croyants. Uintention de Paul se réalise, certes, mais elle n'écrase pas les disciples. Le dialogue qui se déroule selon une logique de la persuasion remplace une décision transmise de façon autoritaire. D'où les larmes, d'où les coeurs qui risquent de flancher. Au terme de l'exercice, chacun aura pu croître dans la foi (F. bovon, loc. cit.). C'est la leçon de tout ce passage : être chrétien, c'est, comme Jésus et saint Paul son disciple, discerner la volonté de Dieu et y adhérer pleinement — même si cela ne va pas toujours sans déchirement. Ce qui est demandé n'est d'ailleurs pas directement une obéissance active, qui serait surhumaine comme on le voit à Gethsémani, où Jésus lui-même en est écrasé, si bien qu'il peut tout au plus s'en remettre à son Père : « non ma volonté mais la tienne » (// Lc 22) ; à quoi répond exactement le «fiât» des disciples du Christ, ici à Césarée comme toutes les fois qu'un chrétien fait sienne la prière de Jésus : «Père, que ta volonté se fasse, sur la terre comme au ciel »...

Ac 21,15-17 // Lc 9,51-53 — C'est l'ultime montée vers Jérusalem (// Lc 9) avec un gîte d'étape intermédiaire chez Mnason (v. 16 // 1P 4) et l'accueil par «les frères», joyeux comme il se doit (// Ps 133). Ce préambule fait mieux sentir les réticences qui vont suivre.

Ac 21,18-26 Il Gn 17,9 Gn 17,13 Ex 12,48-49 Dt 10,15-16 Dt 30,6 — La rencontre avec Jacques. C'est une entrevue, courtoise certes ! mais avec une certaine réserve due à la différence des points vue ; il y manque chaleur et spontanéité si bien qu'on la dirait plus officielle que fraternelle. Cela tient d'abord au caractère même de la rencontre: Jacques réuni « les presbytres » ou «anciens», et, quel que soit leur ministère exact, ils «représentent» l'Église de Jérusalem, tandis qu'il est spécifié que «Paul entra avec nous», c'est-à-dire Luc et tout le cortège indiqué au chapitre 20,4*. Bien plus, derrière Paul se profilent tous les païens convertis par ses missions (v. 19) ; ce dont les assistants ne peuvent que «rendre gloire à Dieu» puisque c'est lui l'auteur de toute conversion ; mais en faisant eux-mêmes état « des milliers qui ont cru » et en soulignant non seulement qu'ils viennent des Juifs (par opposition aux païens de saint Paul), mais « qu’ils sont tous zélés pour la Loi », Jacques et son conseil semblent dresser en face l'une de l'autre l'Église de Jérusalem et l'Église des Gentils.

Or, tout en mettant prudemment l'accusation au compte de ces chrétiens d'origine juive, Jacques ne s'en livre pas moins à un interrogatoire quasi judiciaire : « Qu'en est-il ? » (v. 22). C'est faire sienne la question, qui est grave puisqu'à son propos est prononcé le mot d'« apostasie » (traduit ici « se détourner de Moïse», verset 21). Certes ! il ne remet pas en cause la décision du concile de Jérusalem, que lui-même alléguera au verset 25. Seulement, saint Jacques semble restreindre la liberté vis-à-vis de la Loi mosaïque aux seuls chrétiens venus du paganisme, et tenir que les judéo-chrétiens n'en étaient pas pour autant dispensés (v. 21), à commencer par Paul lui-même, dont il espère bien qu'il marche, lui aussi, en gardant la Loi (v. 24b). On peut même se demander si le conseil de prudence, suggéré aux versets 23-24a, n'est pas un moyen habile d'obtenir de l'Apôtre des Gentils un acte qui, de fait, l'engage sous la dépendance de la Loi... alors que celui-ci refusera violemment toute obligation à l'égard de cette même Loi, comme une sorte d'apostasie du Christ et de sa rédemption toute gratuite. Sur la base d'une même décision du premier concile, on a donc là une différence d'interprétation, que nous trouverons formulée d'une part dans l'épître de saint Jacques, et de l'autre dans les épîtres aux Galates et aux Romains. Cela nous dispense de la définir ici, et ce serait déjà beaucoup d'en tirer la conclusion que, dans l'orthodoxie et plus encore dans l'« orthopraxie » (c'est-à-dire dans une façon de vivre conforme à l'enseignement du Christ), il y a place pour un certain éventail des opinions et des conduites, qui n'est pas pour autant « pluralisme » à tout va, et qui permet de ne pas tout réduire au monolithisme de notre propre façon de voir, en anathé-matisant toute autre position.

Que de blessures on aurait évitées aux chrétiens d'aujourd'hui, et de malheurs à l'Église, si l'on avait gardé cette sagesse dans l'interprétation du concile de Vatican n ! On aurait mieux fait de suivre l'exemple que nous donnent ici les deux Apôtres. Car saint Jacques, au lieu de refuser le concile, s'y appuie pour réclamer à bon droit que l'on n'en tire pas des conclusions abusives ; et saint Paul montre qu'il est vraiment libre en acceptant de suivre

la suggestion de Jacques. Si, comme chrétien, il n'est plus obligé de suivre les prescriptions de Moïse, cela ne signifie pas qu'il soit obligé de ne pas les suivre : on ne ferait de la sorte que substituer à une obéissance louable la pression d'une interprétation unilatérale et donc partiale, qui serait par définition le contraire de la liberté. Il y a là une contradiction intolérable. Saint Paul y échappe, étant libre vis-à-vis de cette liberté même, libre de pratiquer librement la Loi dans la mesure même où il ne se tient plus pour obligé ni par elle ni par sa propre liberté. Pour la paix, pour ne pas scandaliser les faibles comme il l'écrira aux Romains (chapitre 14), il va « se faire Juif avec les Juifs, et sous la Loi bien qu'il sache n'être plus sous la Loi » (// ), « afin de gagner les Juifs ». Voilà bien ce qui lui tient à coeur, ce qui en fait un « Apôtre » envers tous, et le rend parfaitement libre !

Qu'importe si cette tentative de justification par les oeuvres, pour la satisfaction des judéo-chrétiens, va causer son arrestation. Il vient de faire la preuve infiniment plus exemplaire, et donc utile, de sa liberté intérieure, même sur un point de doctrine et de conduite qu'il tient pour capital. La Loi elle-même est faite en réalité pour mener à cette vraie liberté, puisqu'en prescrivant la pratique de la circoncision elle ajoute que c'est le coeur qu'il faut surtout « circoncire », c'est-à-dire libérer (comparer // Gn 17 et Ex 12 à Dt 10 et 30). Paul avait au surplus montré d'avance qu'il se tenait pour effectivement libre de ce précepte, dans les deux sens, en faisant circoncire Timothée « à cause des Juifs de la région» (Ac 16,3), et non Trophime (Ac 21,28-29*). De même, lui aussi avait pratiqué le naziréat (Ac 18,18b*); et peut-être même aller au Temple rentrait-il dans l'acquittement de ce voeu, comme pour les quatre compagnons qu'on lui adjoint (v. 23-24 et 26). Son désir de conciliation et sa générosité vont jusqu'à prendre aussi en charge toute la dépense (v. 24a.26b) !...

Ac 21,27-36 // Mt 23,1-3 Mt 23,13 Mt 23,23 Mc 14,55 Mc 14,57-58 Mc 15,8 Mc 15,11 Mc 15, Lc 23,18 Jn 19,14-15 — La prudence de Jacques provoque en réalité un redoublement de la colère juive contre saint Paul: premier exemple des effets néfastes de l'opportunisme, qui a causé tant de déboires à l'Eglise au cours des vingt siècles de son histoire. Aux accusations de « détourner du judaïsme les Juifs de la diaspora» (et non ceux de Jérusalem, verset 21), s'ajoute le grief bien plus provocateur d'avoir, en la personne de Trophime, violé l'interdit du Temple à tout incirconcis, interdit qui les rendait sacrilèges dès qu'ils dépassaient le «parvis des Gentils». Aussi «les Juifs d'Asie», qui avaient lancé seuls le premier grief, peuvent-il ameuter cette fois « la foule » contre Paul.

Or ce n'est qu'un quiproquo (v. 29), volontaire ou non. Mais allez donc faire entendre raison à une émeute, que ce soit celle de Corinthe, d'Éphèse ou de Jérusalem (Ac 18,12-17 Ac 19,23-40 Ac 21,27-36) ! Et de surcroît, le plus remarquable est sans doute que cette même accusation avait également été portée contre Jésus (// Mc 14) et contre Etienne (Ac 6,14).

Le double parallélisme est en effet flagrant. Paul est victime, comme le Christ, d'une observance trop matérielle de la Loi (// Mt 23) ; le procès, lancé par quelques-uns (princes des prêtres pour Jésus et Juifs d'Asie pour saint Paul), se trouve porté par la foule jusque devant le pouvoir romain (// Mc 15), avec même demande qu'on soit débarrassé tant de l'Apôtre que du Maître (v. 36 // Lc 23 et Jn 19); Paul enfin sera montré aux Juifs ameutés (v. 40) comme Jésus présenté en «Ecce Homo» par Pilate : il est vrai qu'à la différence du Christ silencieux Paul obtiendra de faire un long discours.

Sur ce point, il ressemble plutôt à Etienne, car il provoque la même réaction furieuse des auditeurs, qui traînèrent Paul hors du Temple, comme Etienne (et Jésus) l'avaient été «hors de la ville» (Ac 7,58) : car si Paul n'est pas lapidé, c'est uniquement grâce à l'interposition de la police romaine, et encore faut-il qu'elle soit énergique (v. 31-35) — nouvel éloge tacite au pouvoir romain.

Ac 21,37-40 // Jn 19,14Au moment d'entrer dans la forteresse : L'An-tonia, à l'angle nord-ouest de l'esplanade du Temple. Scène étonnante que cet homme de petite taille, prêt d'être lynché, capturé et à peine mis en sûreté par les soldats romains, qui en quelques mots subjugue d'abord le tribun, puis en impose à la foule elle-même, et à chaque fois en parlant la langue appropriée, grecque puis hébraïque (ou araméenne) : autre façon de s'adapter pour conquérir son auditoire.

Auprès du tribun, il se prévaut de sa position civique et culturelle : non pas Egyptien et chef de bande (v. 38), mais Juif de la diaspora et honnête citoyen, de Tarse... cité qui n'est pas inconnue : voir Ac 9,26-30* ; 11,25 ; 22,3. Le nom de cette ville est évoqué en 2M 3,5 et 2M 4,30. À l'époque des Grecs, centre intellectuel renommé pour ses maîtres stoïciens, Tarse était finalement devenue capitale romaine de la Cilicie : d'où la citoyenneté romaine dont Paul se servira en Ac 22,25-29*. Voir déjà Ac 16,35-40*.

Paul est haï de la foule, grandement suspect aux militaires, mais il les domine tous... Il vient d'échapper de peu à la mort, il est blessé et affaibli, mais il se tient debout, la main levée hors de la toge, deux doigts repliés dans le geste de l'orateur qui demande silence. Et il parle (d. barsotti). Cela évoque Jésus, à Gethsémani, faisant par sa seule majesté « reculer et tomber sur le sol » les gardes envoyés pour l'arrêter (Jn 18,6). Mais il est sans doute encore plus grand lorsque, humilié par sa Passion, suivant la parole prophétique de Pilate, il apparaît aux Juifs comme «votre roi» (// Jn 19) — et nous l'adorons plus encore dans cette humiliation.



LA PREMIERE APOLOGIE* : Ac 22,1-21 — Pour l'essentiel, Paul redit sa conversion, déjà racontée au chapitre 9, et sur laquelle il reviendra au chapitre 26. C'est à ce chapitre 9 qu'on se reportera pour le commentaire de ce que ces récits ont de commun. Quant aux parallèles, ayant donné au chapitre 9 ceux qui proviennent de l’A.T., nous recourons davantage cette fois-ci à ceux que l'on relève dans les épîtres de saint Paul.

Ici, par conséquent, nous nous bornons aux différences ; non seulement elles ajoutent plusieurs points non négligeables à notre connaissance de l'événement, mais elles ont pour premier avantage de montrer que le même auteur, reprenant par trois fois le même récit mais dans un contexte différent, peut fort bien y introduire des variantes qui ne soient pas des « faux », mais qui traduisent plutôt un effort d'adaptation à des situations elles-mêmes diverses.

S'adressant ici directement aux Juifs, l'Apôtre insiste tout naturellement sur ce qui est le plus capable de les mieux disposer en faveur de sa conversion.

Ac 22,1-11 // — C'est bien une « défense » (v. 1). Et Paul joue d'abord sur sa solidarité avec les Juifs: même langage ; même race ; et s'il de la diaspora, par son éducation à Jérusalem, avec un maître renommé et respecté comme Gamaliel, il s'apparente avec ce que le judaïsme a de plus noble et intelligent: on en a eu la preuve lors de l'intervention de ce Gamaliel en faveur des Apôtres (Ac 5,34*).

formé à ses pieds : Comme l'étaient les disciples à l'écoute de leur Maître. Qu'on se rappelle Marthe et Marie.

selon la vérité de la Loi de nos pères : Double hommage à la Loi : à sa vérité, à la garantie d'une Tradition sacrée puisque reçue «de nos pères», que Paul tient en commun avec ses auditeurs : « nos » pères, Abraham, Isaac, Jacob et ses douze fils, ancêtres des douze tribus d'Israël. Nous savons par Ph 3,5 que Paul était «de la tribu de Benjamin; et quant à la Loi, Pharisien», donc de l'appartenance la plus stricte au judaïsme.

rempli de zèle pour la Loi de dieu (à ce titre plus absolument vénérable encore) comme vous l'êtes tous aujourd'hui: Compliment à ses accusateurs en même temps qu'approbation et participation. Car s'ils sont «remplis d'un zèle jaloux pour Yahvé Sabaoth», comme Élie (), lui-même l'est aussi.

Ainsi est introduit le rappel de sa « persécution de la Voie (chrétienne) », aux versets 4-5, amenant lui-même le récit de son «chemin de Damas» (v. 6-11) — substantiellement le même qu'en Ac 9,1-9*. Il peut même en appeler au témoignage du grand prêtre et de tous les prêtres (v. 5), ce qui serait en effet des plus probant si tout n'avait été changé par cette parole de « Jésus-que-tu-persécutes ».

Avant même de rejoindre les chrétiens, la conversion de Saul est d'abord une révolution intérieure : chef de troupe qui avait pris l'initiative des opérations, il est maintenant « conduit par la main de ceux qui l'accompagnaient », et en réalité par Dieu qui l'appelle (// Is 57 et 58), par le Christ qui va en faire expressément son Apôtre.

C'est évidemment le point névralgique pour sa « défense » : est-il ou non fidèle à son passé juif en devenant chrétien ? Aussi Paul s'empresse-t-il de donner à cette rectitude de sa conversion une double garantie.

Ac 22,12-16 // Jn 9,31-33 Jr 1,4-5 Col 1,9 Ep 3,8-9 Gn 45,9 Gn 45,13 Ez 3,22-23 Lc 5,23-24 Ps 51,3-4 Ps 51,9 Ps 51,14-15 Gn 12,8 Ps 145,18 — La première garantie est que l'entrée de Paul dans l'Eglise chrétienne s'est faite par la médiation d'un Juif fidèle et bien connu comme tel (v. 12). En vertu du raisonnement du parallèle Jn 9,31 — où l'on retrouve la double vertu d'Ana-nie , «Si un homme est religieux et accomplit sa volonté... » — , c'est Dieu même qui a ratifié l'action d'Ananie par un miracle (v. 13). Voilà donc la conversion de Paul reconnue non seulement par ce bon Juif, mais par Dieu. Attirant l'attention sur ce point, l'apologiste en profite pour glisser discrètement sur le fait qu'Ananie soit lui-même déjà chrétien, ce qui rendrait suspecte, dans l'esprit des auditeurs, sa reconnaissance de la fidélité de Paul au judaïsme... Mais les paroles mêmes d'Ananie sont de nature à convaincre tout croyant, juif ou chrétien.

Le Dieu de nos pères (toujours l'argument d'une commune Tradition) t'a préordonné à connaître sa volonté (v. 14) : Cette phrase ne se trouve ni au chapitre 9 ni au chapitre 26, mais ici où elle peut le mieux convaincre l'auditoire de Paul : car si cette conversion est «préordonnée », elle rentre donc dans le dessein éternel de Dieu comme celle de Jérémie (// Jr 1,4-5) ; elle est révélatrice de la volonté de Dieu, qu'il nous est si important de connaître (// Col 1), pour y consentir.

... et à voir le Juste : Donner ici à ce « Jésus le Nazaréen » le titre non pas de « Christ » — que les auditeurs lui refuseraient — mais plutôt de « Juste » par excellence, c'est le présenter comme l'héritier des amis de Dieu que l’A.T.reconnaît avoir été «juste » ce que Dieu leur demandait (cf. bc (*, p. 96 ; BC II*, p. 243* et table). Loin d'être par conséquent une «apostasie» (Ac 21,21*), devenir son disciple est bien au contraire suivre « la Voie » par où s'accomplit le judaïsme.

Voir, entendre : C'est précisément ce qui est arrivé à Paul (v. 6-7) et qui l'habilite à être Apôtre, c'est-à-dire «témoin» (v. 15 ; cf. Ac 1,21-22*). Il est vrai que les trois récits de sa conversion ne disent pas positivement qu'il ait « vu » le Christ, mais seulement la lumière de sa gloire (v. 6) ; 2Co 5,16 permet peut-être de supposer une vision proprement dite (voir le commentaire), mais en tout cas il a entendu le reproche : « Pourquoi me persécutes-tu », si révélateur du « mystère » de solidarité entre le Christ et ses membres (Ac 9,4-5*) ; et il se tient pour chargé de le révéler (// Ep 3* ; cf. Col 1,25-29). Tu seras témoin devant tous les hommes : C'est déjà, implicitement, appeler Paul à être l'Apôtre des païens comme des Juifs.

Et maintenant* (v. 16) : On en vient à la conséquence pratique. Pourquoi tarder?: Quand Dieu appelle, il ne faut pas le faire attendre... Cependant, le parallèle Gn 45 ne joue pas seulement sur ce point, mais plus généralement sur un rapprochement entre Jacob — engagé à l'apparent détour de l'établissement en Egypte, par le «juste » Joseph, dans toute sa gloire pharaonique — et Paul, que sa vocation par le Juste qui lui est apparu glorifié entraînera chez les Grecs puis jusqu'à Rome.

Lève-toi : Que ce soit directement par Jésus (// Lc 5) ou sacramentellement par le baptême, c'est bien le même miracle d'être « lavé de ses péchés » pour se redresser et «marcher désormais dans la Voie» : et de toute façon, c'est être

admis à « voir la gloire de Dieu » (// Ez 3), qui éclate dans ce pouvoir de remettre les péchés non moins que de ressusciter des morts (Jn 11,40 — sur cette « connaissance de la gloire de Dieu » comme illumination intérieure, voir 2Co 3,17-18* et 4,6*).

en invoquant son nom : C'est l'expression fondamentale de la foi (// Gn 12 Ps 145); car «nul autre nom n'a été donné aux hommes, en lequel nous devions être sauvés » (Ac 4,10-12*).

Ac 22,17-21 // Ga 1,18 Ga 1,21-23 — Cette venue à Jérusalem correspond à celle dont parle Ac 9,26-30 Ac 9, ici seulement Paul nous parle de cette extase dans le Temple (v. 17). Car même si le parallèle y réfère, c'est seulement de façon plus générale et sans précision du lieu. Bien entendu, Paul n'invente pas cette mission, dont il se réclame dans ses épîtres (Ga 1,15-16 — avec aussi l'idée d'une «préordination» — Col 1,25, etc.). Seulement, au lieu de la tenir d'Ananie comme en Ac 9,15-16, ou directement du Christ sur le chemin de Damas en Ac 26,16-18, Paul préfère se référer ici à ce qui s'est passé « dans le Temple ». Car, de ce fait, cette vision doit en paraître encore plus authentifiée aux Juifs qui écoutent cette apologie. Alors qu'en Ac 9,26-30 l'éloignement de Jérusalem n'était expliqué que par les craintes ou les haines trop humaines que sa conversion avait suscitées, cette fois Paul donne pour nouvelle garantie de son envoi aux païens qu'il vient du Dieu d'Israël parlant du coeur même de la religion juive (v. 21). Ainsi l'Apôtre exprime-t-il certainement la continuité de la foi chrétiennne avec le judaïsme, mais proclame aussi la fin d'une religion nationale (d. barsotti). Et c'est exactement cela que les auditeurs trouvent intolérable: d'où la violence immédiate de leur réaction.

Ac 22,22-30 // Jn 19,1 Mt 10,16-17 — Reprise de l'effervescence d'Ac Mt 21,30-31 Mt 21,36 Mt 21, aux cris de mort (v. 22 Comme 21,36*) les gestes de rejet (v. 23). Faute de comprendre de quoi Paul est accusé par la foule, le tribun Claudius Lysias cherche à le savoir de son prisonnier, par le moyen, alors courant hélas ! de la flagellation. Celle-ci nous rappelle bien entendu la Passion du Christ (// Jn 19); et si l'Apôtre n'a plus la soumission de «l'Agneau de Dieu », c'est pour suivre le conseil de prudence laissé par Jésus lui-même à ses disciples (// Mt 10). La suite en donnera la raison (Ac 23,2-4*. 11 et 25,10-12*).



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§ 20. PROCÈS ET COMPLOT DES JUIFS : Ac 23,1 -35


La convocation du sanhédrin ayant été annoncée dans les derniers versets du chapitre 22, le procès commence d'emblée. La disparité est marquée entre Paul, accusé mais fort de son droit, et les chefs des Juifs, divisés entre eux et iniques.

Ac 23,1 // Gn 20,4-6 Rm 9,1 Rm 9,3-4 Si Abimélek, ignorant que Sara était l'épouse d'Abraham, était de bonne foi en se préparant à la prendre pour femme (// Gn 20), si bien que Dieu doit intervenir pour empêcher ce qui aurait été de fait un adultère, a fortiori Paul n'a-t-il rien à se reprocher puisque, d'une part, s'il a évangélisé les païens, c'est pour «les fiancer à l'unique époux, comme une vierge pure» (2Co 11,2), de façon aussi désintéressée que Jean-Baptiste, l'ami de l'Époux (Jn 3,29) ; et d'autre part il n'a pas trahi son propre peuple, comme le montre de manière si émouvante le cri du coeur du parallèle Rm 9
Ac 23,2-5 // Jn 18,22-23 Dt 25,1-2 Mt 23,27 Ez 13,10-14 — Ayant rappelé Jérémie, frappé par le prêtre Pashehur (Jr 20), et Paul, sur la bouche, par ordre du grand prêtre, Origène les rapproche de mon Seigneur Jésus-Christ disant de lui-même l'oracle d'isàie sur le Serviteur de Yahvé: «J'ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe ; je n'ai pas dérobé ma face à la confusion et aux crachats » (Is 50,6). Cela, les simples ne savent que le rapporter à l'époque où Pilate le fit flageller, où les Juifs firent un complot contre lui ; mais moi, je vois ce même Jésus, chaque jour, livrant son dos à la flagellation: entre dans les synagogues et vois Jésus flagellé par la langue du blasphème ; vois les fils des nations rassemblés (Ps 2,1-2), complotant contre les chrétiens, et comment ils s'emparent (en eux) de Jésus... considère le Verbe de Dieu sujet aux insolences, aux injures, à la haine des incroyants... Lequel de ceux qui méprisent son enseignement ne fait-il pas comme si, jusqu'à maintenant, il crachait encore sur Jésus, qui le supporte... (Sur Jérémie, xix, 12 — SC 238, p. 222-224).

Le parallèle avec le Christ est en effet assez évident (// in 18); mais pourquoi donc Paul agit-il à l'inverse de son Maître ? Durant sa Passion, Jésus se tait, alors que l'Apôtre fait sa propre apologie ; frappé, Jésus réplique en toute mansuétude alors que Paul invective le grand prêtre (v. 3) ; ridiculisé par les gardes du sanhédrin, Hérode, Pilate et ses soldats, ou les passants du Golgotha, Jésus se garde bien de riposter (Lc 22,63-65 Lc 23,11 Jn 19,2-5 Mc 15,29-32), tandis que Paul, avec adresse, ridiculise ses accusateurs (v. 5-9*).

Mais la situation n'est pas la même. Jésus, Agneau de Dieu, en est à l'heure de sauver le monde par son abaissement et son obéissance à la volonté salvifique du Père, «jusqu'à la mort, et la mort de la Croix » (Ph 2,6-8). Paul a encore au moins six ans à vivre, puisque nous sommes à la Pentecôte 58, tandis que son martyre est au plus tôt en 64, sinon même en 67 ; et ce n'est pas à Jérusalem qu'il doit mourir mais à Rome, où il avait projeté d'aller librement (Ac 19,21 Rm 1,10). De fait, le Seigneur va lui confirmer au verset 11 qu'il ira, enchaîné, pour «lui rendre témoignage», d'abord par la prédication (Ac 28,23-31) puis le martyre. Sa Passion ne fait que commencer. Elle va se prolonger, elle lui laisse encore bec et ongles pour défendre et propager l'Evangile dans toute sa vérité, comme le Christ lui-même l'a fait violemment lors de ses invectives aux Pharisiens, juste avant d'entrer dans sa Passion (Mt 23). Ananie donna l'ordre... de le frapper: Certes ! le Deutéronome prévoyait que l'on puisse donner des coups à un condamné ; mais pas avant qu'il ait été jugé coupable (// Dt 25). En réalité, comme il arrive entre les interlocuteurs d'un débat passionné, les coups trahissent l'impuissance des accusateurs à fournir un motif acceptable de condamnation. Car ils ne peuvent incriminer l'Apôtre pour son attachement au Christ — question doctrinale dans laquelle refusait d'entrer l'autorité romaine, comme on l'avait vu lors du procès du Christ lui-même. Ne restaient que les fautes contre le pouvoir occupant (ou même juif), dont Paul était manifestement innocent; et la violation de l'interdit du Temple était fausse, puisque Paul s'était promené avec Trophime seulement dans la ville, non dans le Temple (Ac 21,29).

Paul lui dit : « Dieu te frappera, muraille blanchie » : Jésus avait traité ses adversaires de « sépulcres blanchis » (// Mt 23,27) : ça se vaut ! Mais il est possible que l'image de la « muraille » convienne mieux ici, pour renvoyer à la parabole d'Ezéchiel (// Ez 13). Elle est d'autant plus en situation dans le cas présent qu'Ananie — cette «muraille décrépite, bien que blanchie» par son titre de grand prêtre — tombera, jeté dans un égout par les Juifs au début de la révolte contre Rome, en 66, donc peut-être même avant le martyre de Paul... «Je ne savais pas... Il est écrit... » : C'est une excuse, mais en même temps, Paul fait preuve de sa connaissance et de son respect de la Loi mosaïque puisqu'il est capable de citer, à brûle-pourpoint, ce précepte de détail (// Ex 22). On peut au surplus se demander avec D. Barsotti dans quelle mesure cette excuse n'est pas ironique, tant il est improbable que Paul n'ait pas su reconnaître le grand prêtre, tant il va aussitôt après jeter malignement une pomme de discorde à ses juges (v. 6-9). Il paraît aussi invraisemblable qu'en écrivant la phrase absolutoire des Pharisiens, au verset 9, Luc n'ait pas eu le sourire !

Ac 23,6-9 // Mc 12,24 Mc 12,26-27 — La contre-attaque est habile en effet: Sagement, Paul divisa les Pharisiens et les Sadducéens pernicieusement unis contre lui: leur entente pouvait facilement causer sa perte ; par leur division il s'en tirerait. Le principe de la victoire est donc de rompre la concorde de ceux qui conspirent contre soi ; et la suprême habileté, d'introduire la discorde entre ses ennemis. Le Christ lui-même n'avait pas agi autrement, remarque d'ailleurs isaac de t:étoile, qui paraphrase ainsi la parole: « Tout royaume divisé contre lui-même se ruine... »: C'est comme s'il disait: « Je suis venu pour détruire le règne du diable sur les hommes et instituer le règne de Dieu dans (le coeur) des hommes... Aussi, en venant dans le monde, entre les démons eux-mêmes comme entre la chair et l'esprit, ou entre les démons et les hommes, ou enfin entre fils des ténèbres et fils de lumière, je n'ai pas lancé la paix, mais le glaive » (Mt 10,34) (S. 39, 11-13; SC 207, p. 324-326).

Mais c'est sur le fond même de cette profession de foi que Paul rejoint le Christ, puisque celui-ci avait défendu, contre les Sadducéens qui n'y croyaient pas, la foi en la résurrection (// Mc 12). L'a.t. en témoigne clairement dans les parallèles 2M 7 Jb 19 Sg 3 ; mais les Sadducéens pouvaient en discuter, sous prétexte que ces trois textes sont relativement récents. Le christianisme, lui, confortait fondamentalement ce dogme, puisqu'il se basait sur le fait même de la résurrection du Christ. Même si l'exclamation de Paul a seulement un effet dilatoire (puisque le vrai procès du sanhédrin devra recommencer au chapitre 24), elle n'atteint pas moins le fond du débat, et montre qu'en réalité l'Évangile se trouve dans le prolongement du judaïsme, tel que le maintenaient les Pharisiens, et que les Sadducéens le trahissaient. Ceux-là savent bien reconnaître que, sur ce point tout au moins, Paul est des leurs (v. 9) ; et lui-même se dira de cette stricte observance, pharisienne (Ac 26,5 cf. Ph 3,5).

Et si un esprit ou un ange... (v. 9) : Répond à la négation par les Sadducéens qu'existent anges ou esprits (v. 8). Le christianisme admet non seulement anges ou esprits, mais le Saint-Esprit lui-même (cf. Ac 5,19* ; 12,6-10*. 13-16*). v.o. ajoute : Ne combattons pas contre Dieu, ce qui est reprendre le sage conseil de Gamaliel (Ac 5,39).

Ac 23,10-11 // Ps 121,4 Ps 121,8 Nouvelle vision, nocturne: cf. Ac 18,9-10, toujours dans le but de conforter « l'assurance* » de l'Apôtre (cf. Ac 28,16.31), en manifestant que Dieu le guide à chaque étape vers le martyre: « Non, il ne dort ni s'assoupit», celui qui garde Paul au fond de sa prison, et chacun de nous dans ses liens particuliers, pour en délivrer ceux qui font de lui leur «Seigneur»...

Théodoret montre bien comment la crainte révérencielle de Dieu, loin d'être une peur paralysante, nous délivre au contraire de la peur humaine et nous donne « courage » (v. 11), en nous mettant sous la protection de la providence de Dieu : Lorsque le divin Paul fut jeté en prison, le Christ son Maître lui dit : « Ne crains pas... » (cf. bc // *, p. 36) . Et quand il eut délivré de ses liens le couple éminent des Apôtres Pierre et Jean, il lui enjoignit de transmettre sans crainte, dans le Temple, les paroles de vie (Ac 5,20)... Ainsi le prophète montre l'avantage que l'on tire de cette crainte (non plus des hommes, mais du seul Dieu de l'univers) : «N'appelez pas complot tout ce que ce peuple appelle complot... C'est Yahvé Sabaoth, c'est lui qu'il faut sanctifier, c'est lui qu'il faut craindre... (Alors( il sera pour toi un sanctuaire et vous n'achopperez pas comme on heurte une pierre... » Cette traduction, opposée à la lettre de la prophétie, qui est une condamnation, garde pourtant son esprit en supposant logiquement que l'oracle de malédiction doit se retourner en bénédiction si, à l'inverse d'Israël, on se met sous la conduite de Dieu. Autrement dit, poursuit Théodoret, lui-même vous sanctifiera, lui-même conduira vos pas, vous dirigera par la voie droite, rendra unie votre route, et ne vous laissera pas y trébucher... (Sur Is 8,12-14 SC 276, p. SC 308-310)

il faut que tu me rendes témoignage à Rome : Réalise le projet de Paul (Ac 19,21), mais autrement.

Ac 23,12-35 // Jg 20,1 Jg 20,11 Jg 21,5 Jg 21,8 Jg 21,10 Jg 21,15 Jg 21,18 Jr 44,12 Lc 23,4-6 — Le récit du complot, éventé — ce qui suppose que l'un des conjurés ait fait avertir le neveu de Paul — puis déjoué, ne demande guère de commentaire. Notons cette mention de la famille de l'Apôtre, la seule que nous en ayons.

Au matin : Rappelle le procès de Jésus, alors que le sanhédrin dut aussi attendre qu'il fasse jour, comme le prescrivait le droit, pour que la condamnation fût valide (Lc 22,66). Mais dans le cas de Paul, ce n'est plus un procès, même seulement pour la forme: cela tourne à la conjuration criminelle (v. 12-14), avec laquelle pactise le sanhédrin lui-même (v. 15) — preuve par l'absurde de l'innocence de Paul.

et firent un voeu avec serment exécratoire (v. 12) : Explicite le sens littéral : « ils s'anathématisèrent ». Les parallèles en donnent deux exemples. 200 soldats, 70 cavaliers, 200 archers (v. 23) : Effectifs considérables pour déjouer un simple guet-apens. Craignait-on que l'échauffourée tourne à l'émeute ?... C'est aussi par précaution que le tribun fait partir son prisonnier — bien traité puisque monté (v. 24) — , la troisième heure de la nuit (v. 23), c'est-à-dire dès neuf heures du soir.

qu’on le mène sain et sauf au gouverneur Félix (v. 24) : Recoupement avec l'histoire générale romaine: cet «Antonius Félix, affranchi, frère de Pallas, ministre de Néron, fut procurateur de Judée de 52 à 59 ou 60 » (tob). Cf. Ac 24,24. v.o. ajoute : Il avait été effrayé, en effet, à l'idée de voir un jour les Juifs enlever et tuer (Paul) , et de se voir lui-même accusé par la suite comme s'il avait touché de l'argent (Que Félix ne fût pas insensible à une telle vénalité, cf. Ac 24,26).

La lettre de Lysias, de style officiel courant, met en valeur l'autorité romaine, la turbulence et les menées des Juifs, et l'innocence de Paul (v. 29 et, implicitement, v. 30b). C'est un des arguments qui ont fait supposer que cette dernière partie des Actes était une sorte de « dossier » en vue du procès en appel à Rome, préparé durant les deux longues années où l'Apôtre dut rester dans la ville impériale, en résidence surveillée (Ac 28,16-31). Dans ce cas, les Actes dateraient au moins d'avant 67 — raison toute simple de leur silence sur le martyre de l'Apôtre — et par conséquent cela ferait avancer aussi la date de rédaction de l'Evangile de Luc, puisque celui-ci est antérieur aux Actes (Ac 1,1)...

Quoi qu'il en soit, c'est un nouveau parallèle de Paul avec Jésus, dont l'innocence avait été reconnue, elle aussi, par Pilate (// Lc 23 cf. Jn 18,38).

et l'ai délivré, parce que j'ai appris qu'il est citoyen romain : Lysias simplifie, pensant que c'est à son avantage. Mais en réalité, nous l'estimons bien plus d'être intervenu pour sauver Paul de la lapidation avant de savoir quoi que ce soit sur lui, comme il aurait donc fait pour n'importe quel homme... Voilà ce qui est à l'honneur de l'humanité !

J'ai trouvé qu'ils l'accusaient pour des questions relatives à leur Loi (v. 29) : v.o. ajoute : ... la Loi de Moïse et d'un certain Jésus... Je l'emmenai non sans peine, par la force.

Et il ordonna de le garder dans le prétoire d'Hérode (v. 35) : Le palais bâti par Hérode à Césarée, résidence habituelle des procurateurs romains.



Bible chrétienne Actes 19