Bible chrétienne Actes 21

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§ 21. LE PROCÈS DEVANT LE PROCURATEUR FÉLIX : Ac 24,1 -27


Cette fois, le procès se passe en bonne et due forme : accusation (v. 1-9) ; défense (v. 10-21) ; ajournement (v. 22-27).

Ac 24,1-9 // Lc 23,2-5 Jn 18,31 Ml 2,10-12 Ez 22,26 Ez 24,21 — Les accusateurs: Ananie (Ac 23,2-5*), son escorte et son «avocat», Tertullus. Exorde ampoulé, trop flatteur pour être honnête (v. 2b-4), surtout quand on sait, par Tacite, le sinistre personnage qu'était Félix.

L'accusation (v. 5-6) est triple, mais le vrai motif se dissimule entre deux griefs plus recevables des Romains : Paul est un fauteur de troubles (v. 5) et il a « tenté de profaner le Temple ». Le premier met l'Apôtre en parallèle avec le Christ (// Lc 23) ; le second, avec Etienne (Ac 6,13-14). L'irritation des Juifs de ne pouvoir se faire justice par eux-mêmes mais d'être contraints de passer par celle des occupants est aussi la même que lors du procès de Jésus devant Pilate (comparer le verset 6 au parallèle Jn 18). v.o. y insiste : Nous avons voulu le juger selon notre Loi. Mais le tribun Lysias étant survenu, avec une grande violence, l'a tiré de nos mains et emmené, non sans avoir donné l'ordre que ses accusateurs viennent devant toi (v. 6-7).

Ces deux accusations sont fausses mais vraisemblables, puisqu'il y a eu des troubles autour de la prédication de Paul dans bien des villes — même s'ils étaient chaque fois suscités par les Juifs, contre l'Apôtre — et que, d'autre part, Paul est bien entré dans le Temple, même si c'était avec une intention pieuse (Ac 21,26).

En réalité, l'accusation de «profaner le Temple», c'est Dieu même qui la lance, par ses prophètes, contre Israël et plus particulièrement contre ses prêtres (// Ez 22, mais aussi // Ml 2, dont les versets précédents stigmatisaient les erreurs doctrinales et le favoritisme sacerdotal). Par conséquent, ce sont eux, et non saint Paul, qui entraîneront la profanation et la ruine du sanctuaire (// Ez 24), quand les Romains reprendront la ville révoltée, en 70 — c'est-à-dire dix ans seulement après le présent procès, né du refus opposé par les autorités religieuses juives de se convertir au Christ, seul Sauveur. C'est elles qui seront cause que « la nation périsse tout entière », et non Paul ou Jésus qui au contraire la sauveront, en réunissant autour du « véritable Israël », « les enfants de Dieu dispersés» (Jn 11,50-52).

Car le véritable motif pour lequel est intenté ce procès à Paul, c'est qu'il est considéré comme le « chef de la secte des Nazaréens » (v. 5). Ce n'est pas vrai non plus, car «le chef» de l'Eglise, c'est Pierre; et à Jérusalem, c'est Jacques. Que ce titre soit donné à Paul montre l'ascendant pris par l'Apôtre des Gentils, du moins aux yeux des Juifs non convertis. Dénommer la religion qu'il proclame une « secte » — ce qui est évidemment péjoratif et minimisant — et «de Nazôréens», c'est la rattacher à ce «Jésus de Nazareth», homme privé, d'une si basse origine qu'il ne pouvait rien en sortir de bon (Jn 1,46 — sur «Nazôraios », voir BC II*, p. 114-116). Aussi, bien que Pierre parle encore, à la Pentecôte, de «Jésus le Nazaréen » (Ac 2,22), est-ce à beaucoup plus juste titre que l'on rattache les chrétiens au Christ (Ac 11,26), comme étant ceux qui reconnaissent en Jésus qu'il est le Messie (« Christos »). De ce fait même, c'est reconnaître aussi en ce Jésus l'accomplissement du judaïsme en sa perspective fondamentale, qui est messianique. Mais c'est précisément ce que refusent Ananie et les siens en accusant Paul d'être le chef de cette « secte » hérétique d'un prophète venu de Nazareth !

Ac 24,10-21 // Tb 13,3 Tb 13,6-8 Dn — L'exorde est plus simple et plus digne que celui de Tertullus (v. 10, comparé aux v. 2b-4). Mais la v.o. le surcharge un peu: Paul répondit qu’il possédait une défense pour lui-même ; et reprenant une attitude inspirée du ciel, il dit.... tu es juste juge...

Il argue d'abord de la brièveté de son séjour à Jérusalem : il n’y a pas plus de douze jours — dont cinq à Césarée (Ac 24,1) — , ce qui serait trop bref pour avoir soulevé une émeute, mais souligne aussi pour nous, lecteurs, la rapidité de tous ces événements, que risquait de nous faire perdre de vue l'extension du récit, commencé dès le chapitre 21,17. Puis l'Apôtre réfute les deux accusations. 11 s'en tient à Jérusalem, sans mettre en cause les troubles suscités en Asie, dont il n'est en tout cas pas coupable ; et d'autre part il n'est pas allé au Temple, ni ailleurs, pour y chercher querelle (v. 12-13), mais avec la piété d'un pèlerin venu pour «adorer», c'est-à-dire, ajoutera-t-il bientôt, pour se purifier, offrir un sacrifice et apporter des aumônes (v. 17-18). Quant à sa religion, il n'en présente que les points par où elle est en continuité avec le judaïsme.

Je confesse: C'est le mot annonçant une «confession de foi». Il est bien dommage que l'on n'ose plus employer ce verbe en un sens pourtant extrêmement fréquent dans la Bible (ici // Tb 13) ; car dès lors, confesser ne se dit plus que pour l'aveu des péchés, enlevant à cette auto-accusation ce qui en faisait la grandeur et le sacré : la reconnaissance que le mal vient de nous et non de Dieu (cf. Ac 5,1-2*). Faute de cette reconnaissance, c'est à Dieu que l'on reprochera faussement le mal — comme on ne s'en prive guère, hélas ! et d'autant plus facilement que c'est toujours sur l'autre que nous avons tendance à rejeter notre culpabilité, depuis Adam (Gn 3,12-13). Mais en accuser Dieu, quelle énormité !...

j'adore: Telle est bien, au contraire, la mission fondamentale, non seulement d'Israël (// Dn ), mais de tout homme religieux. Le Dieu de mes pères : Paul se rattache donc formellement à la religion d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et de Moïse, même s'il suit non pas une secte mais la Voie, qui est le Christ (Jn 14,6).

Je crois (c'est bien une « confession » de foi) à tout ce qui est écrit (il n'y a de foi qu'intégrale, sans « en prendre et en laisser», ce qui en ferait revenir à son jugement personnel, limité, humain) dans la Loi et les Prophètes : L'Evangile même est bien l'accomplissement de l’A.T.tout entier, c'est le Christ lui-même qui le présente ainsi (// Mt 5 et 7) ; et c'est plus précisément à cette preuve par les Écritures de la valeur messianique de la mort et de la résurrection du Christ que Paul doit faire allusion, comme il le fera en tout cas expressément au chapitre 26,22*.

Mais plus généralement, sur la résurrection, Paul affirme aussi qu'il partage avec les Juifs la même foi et donc la même espérance (v. 15 et 20-21). Résurrection des justes et des injustes, donc universelle — suivant la foi qu'à la suite de l'Apôtre professe l'Eglise catholique — et non pas réservée aux seuls justes (suivant une autre conception, qui avait cours aussi dans la tradition de l’A.T., et dont le parallèle Ps 1 témoigne pour sa part). Quand le Christ viendra juger les vivants et les morts, dit le Credo « de saint Athanase » (fin du Ve siècle), tous les hommes ressusciteront avec leurs corps et rendront compte chacun de leurs actes (du 40; FC 10). Et le concile de Latran (1215): Tous ressusciteront avec leur propre corps, qu’ils ont maintenant, pour recevoir, selon que leurs oeuvres auront été bonnes ou mauvaises, les uns, un châtiment éternel avec le diable, les autres, une gloire éternelle avec le Christ (du 429 ; FC 956).

En Dieu, j'ai l'espérance: Parce que c'est à lui que nous faisons confiance pour qu'il nous ressuscite.

Entre-temps, aux versets 16-17, Paul en est venu à sa conduite, irréprochable devant Dieu et devant les hommes, ce qui est encore une expression très biblique (// Pr 3 cf. Sg Sg 4,1). En particulier il allègue la collecte qu'il a organisée en Macédoine et en Grèce. Nous en avons connaissance par les indications qu'en donnent les épîtres (Rm 15,25-28 et surtout ) mais, curieusement, les Actes n'y font allusion qu'ici. À dessein, Paul omet de préciser que ces dons étaient pour les judéo-chrétiens plutôt que pour « faire des aumônes à mon peuple », profitant de cette ambiguïté pour marquer sa solidarité avec tous les Juifs, indistinctement...

Il ne reste donc rien des accusations portées contre lui, et Paul peut même reprocher à ceux qui sont venus pour le faire condamner de n'être que des porte-parole de ses vrais persécuteurs, « certains Juifs d'Asie » (v. 19)... Il peut alors en appeler au sanhédrin qui, lui, avait autorité pour juger des points touchant à la foi juive.

c'est sur la résurrection des morts que je suis jugé (v. 21, référant à Ac 23,6-9*) : S'il y revient, pour conclure, c'est qu'il tient ce point pour capital : et pour lui, car il entend bien être jugé non pour de vulgaires délits politiques ou même religieux, mais comme témoin de la croyance essentielle des chrétiens : « Christ est ressuscité !» ; et pour le débat entre Juifs et chrétiens qui, même s'ils se divisent sur la foi dans le fait de la résurrection du Christ, avec toutes ses conséquences, ne s'en rencontrent pas moins dans la foi et l'espérance en la résurrection (en général).

Ac 24,22-25 // Mc 6,17-20 Rm 10,5-6 Rm 10,8-10 Si Pr Si 7-14 Ga 5,22-23Félix... était très bien informé sur... la Voie: L'Évangile n'est plus seulement le fait des croyants ; il est devenu de notoriété publique. Sans doute même les Actes veulent-ils suggérer ici que la curiosité de Félix vise précisément « la foi en Jésus-Christ », que ce soit ou non dû à l'influence de sa femme, Drusilla (v. 24).

Celle-ci était fille du roi Hérode Agrippa f (celui d'Ac 12,1-23), et avait épousé le roi d'Émèse avant de devenir «la femme de Félix». C'est donc la même triste histoire que celle d'Hérodiade, «femme de Philippe épousée par Hérode Antipas » (// Mc 6). Rappelons la généalogie hérodienne : d'Hérode-le-Grand (37 à 3 av. J.-C.) descendent son fils Hérode Antipas (3 av. J.-C. à 39 ap. J-C. — donc celui de la Passion, Lc 23,7-12) et, par une autre femme, son petit-fils Hérode Agrippa f (37-44 ap. J.-C). Celui-ci a eu pour enfants : la célèbre Bérénice (Ac 25,13 Ac 25,23), Drusilla et Agrippa h (50-94 ap. J.-C. — donc celui d'Ac 25-26), qui est par conséquent l’arrière-petit-fils d'Hérode-le-Grand.

La situation de Paul reproduit celle de Jean-Baptiste, emprisonné par Antipas (// Mc 6) : l'un et l'autre ont un certain ascendant sur le tyran, qui les garde à sa disposition (v. 22), curieux de s'entretenir avec eux de religion, mais à condition que cela ne leur demande aucune conversion morale. Et dans les deux cas, la femme illégitime du prince est l'ennemie la plus acharnée de l'homme de Dieu (v.o. ajoute, en clair, au verset 27 d'Ac 24 : et sur l'intervention de Drusilla... (Félix) avait laissé Paul sous bonne garde)... Pour quelle raison s'intéresser au « religieux », à condition qu'il soit sans obligation morale ni ascétique, et même sans dogme précis ?...

lui laissant une certaine liberté : La juste conclusion de la confrontation entre Ananie et Paul (v. 2-21) aurait été de libérer l'Apôtre, reconnu innocent des accusations portées contre lui. Félix ajourne ce qui aurait été simplement de son devoir de « rendre justice » (v. 22) ; et c'est bien le moins qu'il soit relativement libéral sur le régime de cette injuste captivité (v. 23). Mais c'est que celle-ci est triplement avantageuse à Félix : « pour plaire aux Juifs » (v. 27b // à l'emprisonnement de Pierre en Ac 12,1-3), pour essayer d'obtenir une rançon de cet important « chef de la secte des chrétiens » (v. 26 // Ex 23 Dt 16), et en attendant, pour questionner Paul sur sa foi en Jésus-Christ (v. 24).

Mais quand Paul se mit à discuter — donc de façon non dogmatique, prête à tenir compte des objections possibles de Félix — sur la justice (v. 25) : Il ne s'agit pas du jugement de Paul, mais évidemment de la «justice», au sens biblique et très général de ce mot (voir Ac 22,14* et bcii*, table), qui n'est pas seulement moral mais religieux, impliquant premièrement l'engagement de la foi(// Rm 10).

sur la maîtrise de soi : Non pas seulement stoïcienne, ce qui serait déjà une bien grande qualité, mais naturelle ; tandis que saint Paul l'attend comme un don de Dieu nous communiquant quelque chose de son Esprit: c'est ce qu'il nous enseigne dans ses épîtres (// Ga 5 et ), et qu'il devait dire à ses interlocuteurs, Drusilla et Félix. Et comme ils tenaient en main son destin, il fallait de la force d'âme à l'Apôtre comme à Jean-Baptiste pour dire la vérité à leurs dangereux geôliers.

et sur le jugement futur : Non pas seulement comme une menace — à vrai dire toujours présente dans les prophéties qui l'annoncent (// Jr 25 Jl 4 Ml 3) — , mais plutôt comme une perspective eschatologique, ouvrant vers «l'avenir», et remettant à sa place, relative, la vie de la terre.

Mais Félix refuse l'appel de la grâce en différant d'y répondre aussitôt, ce qui est la conduite la plus ordinaire de la lâcheté... Je te rappellerai à l'occasion fait écho à la désinvolture des Athéniens : «Nous t'écouterons là-dessus une autre fois » (Ac 17,32). Un peu de curiosité religieuse ne suffit pas à une « conversion », qui exigerait un retournement du coeur et une rupture avec les habitudes antécédentes du péché : Un petit laisser-aller dans le mal, sans l'entraver, et il passera la mesure; la faute cachée dans le coeur, si la raison ne s'y oppose, ira jusqu’à se traduire dans les actes, même si elle a semblé surseoir un moment, remarque didyme laveugle à propos de cette inconséquence de Félix (Sur Gn 4,8 — SC 233, p. 294).

Deux ans s'écoulèrent (v. 27, avec Joseph en // ) : C'est un mal ordinaire, hélas ! que celui des prisonniers en attente de jugement ; encore plus dommageable quand c'est un homme de la valeur et l'envergure de saint Paul ! Mais il est encore plus nécessaire d'apprendre, par l'épreuve, que «nous sommes des serviteurs inutiles » (voir BC II*, p. 150 : irénée ; et p. 488-489) : Dieu exige la patience et la foi. Dieu doit prendre patience avec nous, mais nous aussi devons patienter avec le Seigneur ! Il veut de nous une foi de plus en plus pure ; cette foi suppose une attente qui paraît toujours déçue et qui nous use lentement, parce que nous ne voyons rien, et que rien ne semble arriver. Et pourtant, c'est Dieu qui conduit tout. Quand tout semblait retourner au point mort, Dieu intervient, et soudain s'ouvre pour Paul la voie qui le conduira à Rome (d. barsotti).


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§ 22. PAUL DEVANT FESTUS ET AGRIPPA: Ac 25,1 à 26,32


Le procès intenté à Paul par les Juifs est dans une impasse (Ac 25,1-9). Paul en appelant à Rome (v. 10-12), la suite de sa détention à Césarée ne relève donc plus du procès : cet entre-deux permet plutôt à l'Apôtre de présenter son témoignage aux deux plus hautes autorités du pays, comme une répétition de celui qu'il portera ensuite jusqu'à Rome, devant l'empereur, mais cette fois sous forme de « martyre » (« martur » = témoin) : témoignage qu'il explicitera sous sa forme la plus haute à la fin de son discours au roi Agrippa (Ac 26,22-23).

Ac 25,1-9 // Dt 17,8-10 Dt 17,12-13 Dt 1,16-17 Dt 19,16-20 — Profitant que Festus est nouveau venu, moins au courant de l'espèce de « non-lieu » auquel avait abouti le procès devant Félix (Ac 24), sous prétexte d'un nouveau jugement, c'est un nouveau complot que préparent les autorités juives (v. 3). L'excuse de Festus, son départ de Jérusalem, n'est que dilatoire, puisqu'il propose ensuite à Paul d'être jugé à Jérusalem (v. 9) ; et sa réponse, que le prisonnier est « sous bonne garde », pourrait s'entendre en un sens ironique: il ne risque pas de s'échapper, mais pas non plus d'être enlevé !... Car Félix avait fort bien pu mettre son successeur au courant du projet d'enlèvement, dont le tribun Lysias avait heureusement été averti à temps pour le déjouer (Ac 23,16-30).

Il ne passa que huit ou dix jours... Le lendemain de son arrivée à Césarée: Festus fait vite. Mais faute de preuves, et pour cause, le procès ne peut que s'enliser.

les Juifs... lui imputèrent des fautes (v. 7. Au verset 8, la réponse de Paul suppose que les accusations portent sur des fautes contre la Loi, le Temple ou le Pouvoir civil), dont ils ne pouvaient fournir la preuve : Comme dans le procès contre Jésus (Mc 14,58-59 Lc 23,14). Le recommencer contre Paul une troisième fois, à Jérusalem, pourrait sembler satisfaire à un point de la Loi des Juifs (// Dt 17,8), qui bien entendu exclut à la fois la partialité du juge et les faux témoignages des accusateurs (// Dt 1,16 Dt 19) ; mais Luc nous prévient que cette proposition de Festus vient plutôt du désir qu'il a de «plaire aux Juifs ». Et c'est bien parce qu'il le pressent, et le craint, que Paul en appelle à César.

Ac 25,10-12 — Ce n'est pas un « appel » au sens juridique de ce mot, car il ne pourrait intervenir qu'après jugement et condamnation de l'Apôtre ; c'est plutôt un recours à une autorité assez haute pour être plus indépendante de la pression que les Juifs pouvaient exercer sur leur procurateur, et encore plus à Jérusalem qu'à Césarée, comme on l'avait bien vu lors du procès du Christ devant Pilate... Mais cet «appel» de circonstance sert surtout le dessein de Paul et du Christ que l'Évangile atteigne ainsi «jusqu'aux extrémités de la terre» (Ac 19,21 1,8*). Car, sur le jugement lui-même, c'était s'en remettre à un César sanguinaire comme allait se montrer Néron... : « À l'homme les projets du coeur / de Yahvé vient la réponse», et à travers les vicissitudes inattendues de l'homme, «le dessein de Yahvé, lui, reste ferme» (Pr 16,1 Pr 19,21).

Ac 25,13-22 // 1M 8,1 1M 8,15-16 1M 12,1 1M 12,3; Jr 10,10 Est 8,12 lxx; Ap 1,17-18 Ap 4,10 CO 13,4 — le roi Agrippa: Il s'agit d'Agrippa n, donc le fils d'Hérode Agrippa Ier (Ac 12,1-23 — généalogie hérodienne à Ac 24,22-25*). Bérénice, aimée de Titus et douce victime dans la tragédie de Racine, était, comme Drusilla (Ac 24,24*), soeur d'Agrippa n (voir Ac 26,28*).

Festus exposa au roi le cas de Paul : Et il le fait en des termes avantageux, remplaçant ses obscures manoeuvres (v. 4-5.9) par un « mot historique », digne du gouverneur intègre qu'il se flatte d'être (v. 12).

C'est ajuste titre que le droit romain a été, sur bien des points, un modèle qui garde valeur jusqu'à aujourd'hui (// ) ; et bien avant saint Paul, les «résistants» maccabéens s'étaient appuyés sur Rome contre les exactions d'Antiochus iv (// ). j. dupont a montré comment les termes de la fière sentence de Festus, historiquement justifiés, témoignent aussi du sens juridique de Luc et de son estime du pouvoir romain, déjà souvent notée au cours des chapitres précédents.

ce n'est pas la coutume (au sens fort où la coutume fait loi)... de livrer un homme : Au sens de « faire don d'un prisonnier par complaisance envers ceux qui le réclament ». Ce verbe est de la même racine que « charis, grâce, faveur », et répondrait par conséquent à « la faveur demandée » par les autorités juives au verset 3 (cf. aussi Ac 24,27). Ce que Paul redoute au verset 11, c'est justement d'être ainsi « livré » (même verbe). En français, « livrer » est le terme spécifique pour Jésus, «livré à la mort» ; mais ce n'est pas le même verbe qu'ici: fortuite, l'évocation n'en est pas moins un utile rappel des ressemblances et différences entre les deux Passions...

avant que l'accusé soit confronté à ses accusateurs: Première défense de l'accusé que de pouvoir s'expliquer «en face» avec ses accusateurs. Il faut donc lui fournir le «topos», c'est-à-dire certes! au sens figuré, «la possibilité», mais plus matériellement, il faut aussi avoir trouvé «un lieu» où le procès puisse garantir au prisonnier sa sécurité: c'est ce qu'avaient permis Félix puis Festus en n'acceptant pas Jérusalem, trop peu sûre, et en convoquant plutôt le Grand Prêtre et ses acolytes à Césarée. De façon plus générale, c'est ce qui justifie, depuis au moins Montesquieu, la séparation entre pouvoirs judiciaire et exécutif, que n'avaient pas encore su effectuer les Romains.

de se défendre des crimes dont on l'accuse : C'est «l'apologia* », terme spécifique de «la défense» en face de «l'accusation». C'est le même verbe que l'on retrouve dans l'avertissement du Christ: «Retenez bien dans vos coeurs que vous ne devez pas méditer à l'avance votre défense (litt. : à calculer votre apologie) , car moi je vous donnerai une bouche et une sagesse à laquelle tous vos adversaires seront incapables de résister ou de répondre » (Lc 21,14-15 — Nous préférons donner la promesse semblable de Mt 10,18-20, en parallèle au verset 23*, car il annonce plus précisément la situation même de Paul). « Crimes » traduit littéralement le grec, mais il faut le prendre au sens large de «crimina» (Vulgate) : «grief qui est une inculpation susceptible d'entraîner condamnation».

Conclusion de J. dupont: Si Luc cite cette parole, c'est parce qu'il l'apprécie, personnellement, à sa juste valeur... Il l'adopte et la cite comme le reflet de sa propre pensée. Ce qui est vrai d'un Romain le reste pour les chrétiens... (Mais) ce n'est peut-être pas seulement à cause de son sens juridique que Luc apprécie si hautement le droit romain... Le mouvement spontané de la charité chrétienne (pour tous les faibles, pauvres, déshérités, opprimés) s'accorde merveilleusement sur ce point avec la préoccupation du droit romain protégeant un accusé contre ses accusateurs et contre l'arbitraire de ses juges. Il n'est pas téméraire de penser que la charité chrétienne a rendu Luc plus sensible à la noblesse de l'équité romaine (Etudes, p. 527-552).

Les chefs d'accusation, résumés par Festus aux versets 18-19, sont typiques de l'idée imprécise que des non-initiés pouvaient se faire du débat entre Juifs et chrétiens. Ce Romain s'est d'ailleurs mis d'emblée hors jeu en affectant de parler de leur religion particulière ; et son exposé est symptomatique : traiter cette personne du Dieu fait homme, unique s'il en fut, comme « un certain Jésus » le rend quelconque entre bien d'autres. Qui est mort relève du fait, patent, assuré. Dont Paul affirme, annonce au contraire une assertion qu'à tout le moins Festus ne prend pas à son compte, et ne semble guère même seulement s'interroger sur sa possibilité. Qu'il vit: Au fait avéré, devant témoins, de la résurrection, on substitue un vague « il est vivant », qui peut vouloir tout dire: depuis l'entrée glorieuse dans la vie divine jusqu'à une poursuite de la vie terrestre, que la mort ait eu lieu ou non, et même jusqu'à une simple survie dans les mémoires de ses disciples. Toutefois, si l'on donne au contraire à cette expression sa force maximale, et au-delà même, alors, oui, Christ est vivant au sens où Dieu est vivant, si vivant, comme l'affirme tout l’A.T., que, par comparaison, il est le seul vraiment, totalement vivant (// Jr 10 Est 8). À tel point que dire également de Jésus qu'il est vivant de cette vie-là, c'est proclamer qu'il est Dieu, jusque dans son humanité divinisée, devenue de ce fait adorable (// Ap 1 et 4 ; ).

Quand Agrippa conclut: «J'aimerais entendre cet homme, moi aussi» (v. 22), nul doute que ce soit non pas tant sur le procès que sur la foi du prétendu «chef de la secte des Nazaréens» (Ac 24,5*) qu'il souhaite des éclaircissements.

Ac 25,23-27 // Mt 10,18-20 Agrippa et Bérénice vinrent en grand appareil, foule des personnages importants, lieu même qui est non plus tribunal mais salle d'audience, tout signale la « majesté » de cette confrontation: C'est la rencontre entre le monde et Dieu, le monde en ses représentants les plus puissants, qui s'intéressent à Dieu par pure curiosité, sans aucune disposition intérieure pour s'ouvrir à la vérité, sans aucune disposition morale pour accueillir la Parole de Dieu. Et cependant, cette Parole est telle que, pour un moment, Agrippa lui-même en reste interdit (p. barsotti). L'exactitude avec laquelle cette scène réalise la prophétie de Jésus (// Mt 10) est impressionnante: l'Apôtre est bien «devant un gouverneur et un roi » ; et son discours, manifestement inspiré pour dire « la vérité et le bon sens» (Ac 26,1-23 et 25*).

En un moment si solennel, l'aimable introduction de Festus est moins plaisante — comme elle voudrait l'être à l'intention de son auguste invité — qu'odieuse, si l'on imagine tout ce que cet innocent, et reconnu pour tel dès le premier procès (Ac 24,22-27 — Félix, lui, n'ayant même pas l'excuse de Festus de ne pas « être informé sur la Voie »), a souffert depuis deux ans, et va souffrir par la suite... Du moins le procurateur se plaît-il à proclamer une nouvelle fois, officiellement, que les accusations des Juifs sont fausses (v. 24-25), comme l'étaient celles de Saiil contre David, sauvé, lui, par le plaidoyer de son ami (// \ S 19). Le parallèle est encore plus frappant avec Pilate, conscient de l'innocence du Christ. Il n'y manque même pas «l'appel à César», même si alors ce sont les Juifs qui en appellent à lui pour arracher au procurateur la condamnation...

Ac 26,1-5 // Ph 3,4-6 — Après un bref exorde en forme d'hommage à la compétence de son royal auditeur (v. 2-3), Paul recommence donc son « apologie* ». Et il faut essayer de comprendre d'abord pourquoi ce triple récit des débuts et de la conversion de saint Paul, dans ce livre des Actes qui garde un silence complet sur tant d'autres points d'histoire que nous aurions aimé connaître. Luc nous a donné trop d'exemples du soin avec lequel son ouvrage fut composé pour qu'une telle répétition ne soit pas voulue ; et son insistance donne au chemin de Damas une valeur clé d'événement fondateur sur laquelle repose toute la suite de la vie et du développement de l'Église.

La première base de la foi chrétienne, c'est évidemment le Christ, tel que l'annoncent les Évangiles. De lui à nous, il y a un chaînon essentiel, et c'est là ce que visent à établir les Actes. Mais cette seconde strate du fondement de notre foi est complexe, car c'est l'oeuvre du Saint-Esprit de la Pentecôte, non seulement dans le noyau apostolique de l'Eglise que sont les Douze (et leurs collaborateurs immédiats que sont les sept diacres), mais dans la mission de saint Paul qui prend la relève des Apôtres eux-mêmes. D'où la composition des Actes en deux parties majeures : la première sur l'établissement de l'Église par les Apôtres essentiellement représentés par saint Pierre (Ac 1-12), scellé par le martyre initial d'Etienne; la seconde sur son extension dans le monde païen gréco-latin, essentiellement grâce à l'apostolat de saint Paul (Ac 13-28), bien que commencée avant lui dès le chapitre 8. Or le grand axe suivant lequel Paul prend pratiquement la relève des Douze est le triple récit de sa conversion : au chapitre 9 il fait charnière avec Etienne et la première évangélisation des « païens » de Samarie ; au chapitre 26, il va permettre de préciser ce passage des Douze à Paul (v. 16-23*). Et chaque fois, dans la prédication de Paul comme auparavant dans celle de Pierre, l'apparition du Ressuscité fonde et justifie le ministère, fonde et justifie la vie même de la nouvelle communauté des croyants (d. barsotti).

Paul reprend donc son apologie « depuis (sa) jeunesse, dès le début » (v. 4-5), comme en Ac 22,3 ; et il insiste sur son intégration à Israël : « dans mon peuple, à Jérusalem ». Cela est de notoriété publique : tous le savent, et peuvent en témoigner. Les deux versets sont donc parallèles et se concluent sur sa ferveur ; définie plus généralement en 22,3 : « rempli de zèle pour la Loi », et plus précisément ici comme dans le parallèle Ph 3, par sa « stricte observance » de « Pharisien ».

Ac 26,6-8 // Ps 17,14-15 2 Ch 2Ch 7,1-3 Jdt 6,18-19 Ex 27,20-21 Jos 1,8 Ps 1,2 Ne 1,5-6 Rm 4,17 He 11,19 Jr 32,26-27Et maintenant* souligne une interruption dans le récit, opposant à ce judaïsme alors unanime entre lui et ses congénères le débat actuel. On lui fait un procès de rester précisément dans la même ligne, qui est celle de la foi d'Israël et qu'il appelle une espérance puisque c'est la foi en une promesse.

C'est pour Paul une occasion de formuler l'attitude intérieure caractérisant si exemplairement ce que le pharisaïsme avait de meilleur, bien au-delà du formalisme que l'Apôtre lui reprochera dans ses épîtres, et encore plus au-delà de l'hypocrisie dont l'accusera l'Évangile. La religion d'Israël — «nos douze tribus » et pas seulement les Pharisiens qui en sont seulement « les plus observants » — , c'est essentiellement une attente adorante continuelle. L'adoration du vrai Dieu est bien la tâche qui définit Israël (// 2Ch 7 Jdt 6), au point qu'Esther, priant pour le salut de son peuple, le demande identiquement à Dieu en le suppliant que « ne se ferme pas la bouche de ceux qui te louent» (Est 4,17 Septante). L'Évangile précise seulement que «Dieu se cherche des adorateurs en esprit et en vérité » (Jn 4,33-34*). Mieux encore, ce sera l'essentiel de la béatitude éternelle des élus de Dieu : // Ps 17. appliquées nuit et jour: Image de l'assiduité (// Ex 27 Jos 1 Ps 1), qui doit répondre à la continuité avec laquelle Dieu lui-même veille sur sa création et garde son Alliance (// Ne 1).

espèrent parvenir : Parce que l'appel de Dieu est plein d'avenir, Dieu ne peut le formuler, quant à nous, que sous l'apparence d'une «promesse». De son point de vue divin, éternel, tout est présent, si bien que la promesse est déjà aussi assurée que tenue ; seulement, elle ne se réalisera pour nous que suivant la succession des temps, quand nous y arriverons, donc en ce qui, pour nous, reste un futur. C'est cette projection, dans l'avenir, de «la promesse» qui fait de la foi, c'est-à-dire de la confiance avec laquelle nous tenons pour assurée cette seule Parole, une espérance. Nul ne l'a mieux dit que le chapitre 11 de l'épître aux Hébreux. La religion juive est en attente, d'Abraham à Moïse et aux prophètes ; autrement dit, elle est un messianisme ; et la révélation chrétienne nomme seulement ce Messie en Jésus, comme l'a prouvé sa résurrection. D'où la question du verset 8, qui paraît abrupte parce qu'elle saute les jalons du raisonnement, mais qui reste dans la suite logique de ce qui précède, et qui saute directement à ce qui empêche les Juifs de reconnaître dans le Christ la réalisation même de la promesse qu'ils espèrent ! On ne saurait dire plus vivement le seul point fondamental sur lequel se divisent Juifs et chrétiens.

Que trouvez-vous d'incroyable : Les parallèles montrent les antécédents où la foi «juive» a su s'accommoder de l'invraisemblable même, en faisant confiance à la toute-puissance divine (Jr 32), qui est sans limites puisque le Créateur peut a fortiori «rendre la vie aux morts» (Rm 4 et He 11). Bien mieux : l'épreuve du sacrifice d'Isaac était une parabole du Fils à venir, recon-naissable en Jésus ressuscité (cf. bc i*, p. 115 s). L'affirmation, encore générale, de la résurrection des morts prépare en effet l'annonce du «kérygme* » au verset 23.

Ac 26,9-12 // — Après cette interruption, Paul en revient à la suite des faits, comme en Ac 9 et 22, en appuyant cette fois sur la vigueur de ses interventions: «de toutes mes forces... furieux... emprisonnement... visant la condamnation à mort (c’est le même verbe que pour les princes des prêtres cherchant à faire périr le Christ, en Lc 22,1 Lc 23,32 Ac 2,23 Ac 10,39)... tortures... persécution acharnée ». Ainsi Paul n'aurait pas approuvé seulement la mort d'Etienne (Ac 8,1), mais toutes les autres (Ac 26,10). À présent, il appelle des saints ceux qu'il persécutait alors...

Dans ces dispositions... avec pouvoirs et autorisation des grands prêtres : On ne saurait mieux dire à quel point, ni subjectivement ni objectivement puisque ses « pouvoirs » sont au service des adversaires du christianisme naissant, Paul est aux antipodes d'une adhésion au Christ ressuscité.

Le parallèle 1Co 15, en insistant sur ce retard de Paul par rapport aux Douze, qui avaient cru dès l'origine, et en le situant vis-à-vis de ces « colonnes de l'Église » comme un avorton, indigne d'être Apôtre, prépare la comparaison entre l'apostolat des Douze et celui de Paul, qui sera au centre des versets 16 à 23*.

À un aussi complet retournement, il faut bien qu'il y ait une cause proportionnée.

Ac 26,13-16 // Lc 2,9 Lc 9,29 Lc 9,34-35 Mt 17,6 Ps 32,9-10 Mc 10,46-50 Ha 3,19 Ps 18,34 — Le chemin de Damas, en termes pour l'essentiel similaires aux deux relations précédentes (Ac 9 et 22 — voir notamment à 9,4-5* le commentaire de 26,15). Une lumière venue d'en haut enveloppe ici non seulement Paul (comme en Ac 9,3 Ac 22,6.9), mais ses compagnons, annonçant peut-être symboliquement la lumière que sera pour les nations la prédication de Paul (v. 18 et 23). Saoul est précisément la forme hébraïque nom, qui sera transposé en « Paul », à la grecque.

Les parallèles soulignent ici les points communs avec la révélation de la gloire du Christ, soit à sa naissance (// Lc 2), soit lors de sa Transfiguration (// Lc 9 et Mt 17). C'est important pour montrer le rapport ici établi entre les trois Apôtres témoins de la Transfiguration et Paul qui, même s'il se tient comme un « avorton » et « dernier de tous », « indigne même du titre d'Apôtre » (// , aux versets 9-12), va bénéficier d'une vision similaire, qui l'habilite à sa mission.

Il t'est dur de ruer contre l'aiguillon (v. 14) : Comparaison classique en grec comme en hébreu (// Ps 32). Bien que le mot ne soit pas le même, serait-il permis de rapprocher cet «aiguillon» de «l'écharde dans la chair» (), qui apprend à Paul la direction et l'élan à trouver dans sa faiblesse même, pour mieux célébrer la puissance de ce qui avait été accompli en lui, par Dieu (cosmas : Topog. chrét., vu, 42 ; SC 197, p. 99) ? Toutefois la différence des termes nous interdit de pousser trop loin la comparaison.

Nous nous trouvons ici, dans le cas personnel de saint Paul, devant ce qui est la « politique » ou mieux « l'économie* » de Dieu dans la distribution de sa grâce. Tout au long de l'Histoire sainte, en effet, Yahvé semble se plaire à choisir, pour sauver son peuple, des personnes humainement dénuées de toute chance déjouer un rôle de premier plan : Seth, après Caïn et Abel, des femmes stériles qui deviennent mères, David, le petit dernier, qui triomphe de Goliath et prend la place de Saùl, premièrement élu. Dans le n.t., Marie, Joseph, Jésus lui-même (apparemment), et les Douze. Aujourd'hui encore, Bernadette ou Thérèse de Lisieux, etc. De même, au début de l'Eglise, Jésus avait pourtant soigneusement choisi le collège apostolique, puis Pierre avait pourvu au remplacement de Judas; et ce n'est qu'après coup, en surnombre, qu'apparaît « l'avorton », à qui doit être confiée plus particulièrement la mission primitivement attribuée aux Apôtres de plein droit, en Ac 1,8. Les particularités mêmes de ce troisième récit du chemin de Damas sont là pour nous montrer que c'est bien le dessein de Luc, et donc le sens propre de cette troisième version du récit. Voir j. dupont : Nouv. Études, p. 446-556 (avec bibliographie).

D'abord, la définition de la mission n'est plus donnée par l'intermédiaire d'Ananie comme en Ac 9 ou 22, mais directement à Paul, au cours même de sa vision, si bien que le Christ en apparaît lui-même comme le garant (v. 16-18). Ensuite, un commentaire de l'Apôtre explique comment il a rempli cette mission, non sans risques (v. 19-21). Enfin, il redit lui-même, dans les termes propres cette fois du « kérygme* », sa prédication (v. 21-23). Dans chacune de ces trois petites sections successives, J. dupont relève quatre points parallèles : A. l'apparition ; B. a pour but d'établir Paul ministre et témoin ; C. envoyé aux nations ; D. pour leur conversion et la rémission des péchés, par la foi. Voyons plus en détail.

Ac 26 Ac 16-18 Mc 10,46-50 Ha 3,19 Ps 18 Ps 34 Is 9,1 Ps 18,29 Ps 112,4 Col 1,12-14 Dt 4,37-38 Mt 19,29 Mt 25,34 Ep 1,18 Ep 3,6lève-toi, et tiens-toi sur tes pieds, Correspond au verset 14, où Paul et son escorte sont tous tombés à terre. Mais l'ordre n'est pas seulement physique: comme dans le cas de Bartimée, d'Habaquq ou de David (// Mc 10 Ha 3 Ps 18), et comme dans la vocation d'Ézéchiel (Ez 2,1), ce verbe traduit à la fois la résurrection spirituelle et l'impulsion donnée pour un nouveau départ (correspondant à «l'envoi» du verset 17*). Car je t'ai apparu = A.: C'est la base. pour t'établir ministre et témoin = B.: C'est bien une institution; «témoin» puisqu'il a vu le Christ ressuscité; «ministre», c'est-à-dire au service de ce témoignage. C'est la même vocation que celle des Douze: être «témoin oculaire » et « serviteur de la Parole » (Ac 1,22 ; Lc 1,2).

des choses que tu as vues: C'est le sens littéral, que respecte Osty. En interprétant : « de la vision où tu viens de me voir », bj et tob vont à ce qui est le plus essentiel ; mais ne vaut-il pas mieux supposer que si Luc a préféré une expression plus générale, c'était pour garder au témoignage de Paul une source également plus globale ? C'est ce qu'indique aussi la suite : et de celles dans lesquelles (ou: pour lesquellesOsty) je t'apparaîtrai encore: Ac 18,9 et 22,17-18 mentionnent ces deux visions, non exclusives de ces «visions et révélations » (au pluriel) dont parle 2Co 12,1. Le témoignage de saint Paul est donc fondé sur d'autres bases que celui des Douze, qui sont toutes d'avant l'Ascension (Ac 1,3). Mais ce ne sont pas pour autant des «preuves» moins directes et visuelles. Paul n'a donc pas moins droit à se tenir pour un «Apôtre», au sens fort de ce mot (). La suite va préciser encore le rapport entre les Douze et « l'Apôtre des nations ».

Au verset 17 vient l'envoi, d'où est tiré le nom des «Apôtres», c'est-à-dire « envoyés », comme le Christ est l'Envoyé du Père (Jn 17,18 — BC II*, table). Envoyé au peuple LdTsraël) et aux païens : Donc à tous (= C). te délivrant: Rappelle la vocation de Jérémie (1,8-10), et s'ajoute au rapprochement avec la vocation d'Ézéchiel (v. 16a*), tandis que l'expression «prophète des nations » apparaît aussi dans la vocation de Jérémie, et que « ouvrir les yeux » (v. 18) ou « lumière des nations » (v. 23) évoque le « Serviteur de Yahvé » (Is 42,6-7). On voit déjà que Paul est bien dans la ligne des grands prophètes, auxquels il se référera expressément au verset 22. afin qu’ils passent - D. : L'antithèse « ténèbres - lumière » et « Satan - Dieu » est classique dans Ta.t. comme dans le n.t. (// Is 9 Ps 18 et Ps 112 Col 1). La rémission des péchés... par la foi rejoint les deuxième et troisième points du kérygme* (cf. Ac 2,37-41*). S'y ajoutent ici d'une part l'espérance de l'héritage, que le n.t. a spiritualisé sans en diminuer l'attente (// Dt 4 Mt 19 et Mt 25 Ep 1 et Ep 3) ni le caractère communautaire (au milieu des sanctifiés — expression qui se trouvait déjà en Ac 20,32*) ; d'autre part la spécification de cette foi : en moi, qui marque en même temps le caractère profondément et premièrement inter-personnel des relations qui s'instaurent entre les disciples du Christ et leur Maître, entre chacun des membres et la Tête du Corps unique (1Co 12,12-28*):

À l'élection de tout un peuple dans l'Ancienne Alliance succède l'élection individuelle dans le n.t. Le peuple nouveau des fils de Dieu se forme par l'insertion de chacun, le consentement personnel de ceux qui croient... Si nous sommes dans l'Église, ce n'est pas en vertu de la génération charnelle, mais en vertu d'une libre élection divine et d'une libre réponse de l'homme. Nous sommes appelés un à un, dit le quatrième Évangile (Jn 10,3)... Dans le christianisme, rien ne peut remplacer le rapport personnel avec le Christ... Le salut et la vie sont un rapport personnel avec lui, un rapport qui unit et lie chacun de nous au Seigneur crucifié et ressuscité. La foi est donc le fondement de tout : c’est par la foi dans le Christ que se fait la rémission des péchés, et qu’est donné l'héritage parmi ceux qui ont été sanctifiés. Tous les dons de Dieu dépendent de cette foi qui lie les hommes au Christ, les met dans un rapport vrai et vivant avec lui, pour qu'ils l’écoutent, l'aiment, et enfin vivent de lui (d. barsotti).

Ac 26,19-21 // Lc 3,3 Lc 3,8 À sa mission, définie par le Christ aux versets LE 16-18, Paul a répondu, et point pour point: fidèle à la vision céleste (= A.), il a proclamé l'Evangile « en témoin et en serviteur de la Parole » (= B.), successivement à tous, Juifs et païens (= C), suivant les étapes indiquées par le Christ en Ac 1,8*. Et ce message n'est autre que le kérygme de la pénitence (= D.), dans les termes mêmes de Jean-Baptiste (// Lc 3) et de Jésus (Mc 1,15). Il y manque, c'est vrai, le premier point, qui est capital, que ce soit la proximité du Royaume ou le Christ ressuscité (Ac 2,22-36*), mais Paul se réserve d'y revenir aux versets suivants.

Ac 26,22-23 // Lc 2,28-32 — On y retrouve, en plus général, les quatre points des sections précédentes : aide de Dieu (= A.) ; témoignage (= B.) ; à tous, «petits et grands », «peuple et nations » (= C.) ; objet du message, qui est cette fois le premier point du kérygme* (= D.)-

ne prêchant rien d'autre : On se surprend à enchaîner avec «rien d'autre que Jésus et Jésus crucifié » de 1Co 2,2. Les menues différences que les exégètes soulèvent tiennent peu en face de la cohérence massive qu'il y a entre les épîtres et les Actes, comme d'une même vérité, reflétée par deux personnalités différentes, écrivant dans un but lui-même bien différent.

Mais c'est à une correspondance bien plus vaste entre a.t. et n.t. que l'Apôtre — suivant la leçon d'exégèse du Christ en Lc 24,44-48 — veut « ouvrir les esprits », non seulement de ses auditeurs ou même de ses contradicteurs juifs, mais de tous : Moïse et les prophètes ont prédit le Christ. L'accord est si complet qu'à partir ainsi de l’A.T. il n'y aurait, pour ainsi dire, rien d'autre à prêcher.

Vient alors, en finale comme dans le discours d'Athènes (Ac 17,31), l'annonce du mystère pascal, avec double addition.

premier d'entre les morts : Implique la résurrection de tous les siens, à sa suite (), qui est elle aussi l'espérance d'Israël, annoncée dès les versets 7-8*. et... la lumière... aux nations // Lc 2,32: Correspond à la mission donnée (v. 18).

Comme tout cela est magistralement construit !

De ces versets 16 à 23, j. dupont conclut (art. cit. p. 455) : Luc applique à la mission de Paul le même modèle que celui qui définit la mission des douze Apôtres. Comme celle des Apôtres, la mission de Paul se rattache directement au Christ : comme eux, il est « témoin » immédiat et accrédité, même si son témoignage au Ressuscité ne s'étend pas à l'existence terrestre de Jésus. Comme celle des Apôtres, la mission de Paul réalise une tâche qui fait partie intégrante du programme assigné au Messie par les Écritures : « annoncer la lumière au peuple et aux nations » (Ac 26,23 cf. Lc Lc 24,47).

Ac 26,24-32 // — Conclusion dernier discours des Actes, qui est donc aussi une finale, même si elle s'achève sur un prolongement (v. 32*).

La réaction de Festus (v. 24) rejoint celle des Grecs après le discours devant l'Acropole : même interruption, même fin de non-recevoir. Pour l'hellénisme, pour la raison humaine, non seulement la croix mais la résurrection elles-mêmes sont inadmissible «folie » (112M 6 ; Sg 5). Aussi Paul se contente d'une dénégation (v. 25), appuyée non seulement sur son bon sens — donc sa non-folie — mais sur la vérité des faits, au surplus avérés (v. 26 // Lc 12), que le bon sens et la science, et donc la rationalité, devraient au moins commencer par examiner sérieusement avant de savoir si l'on peut rejeter la résurrection comme dérisoire ou non. Ainsi, trop souvent, ceux-là qui se piquent de représenter l'esprit scientifique se refusent à tenir compte de cette vérité des faits fondateurs du christianisme, par un préjugé qui est le contraire de l'esprit scientifique...

Mais Paul se tourne plutôt vers Agrippa, d'origine juive, et donc au fait non seulement des événements concernant le Christ, mais de leur accord avec «les prophètes» (v. 26-27). L'Apôtre lui parle avec assurance* (cette « parrèsia » si caractéristique de la prédication apostolique, Ac 4,13*). Et son intervention est si vive qu'Agrippa doit répondre, ne peut contredire, et s'esquive par une boutade qui est elle aussi fin de non-recevoir (v. 28). que... tous ceux qui m'écoutent aujourd'hui deviennent tel que je suis: Paul découvre ici le vrai motif de l'esprit apostolique (au sens le plus large de ce mot) : contrairement à ce qu'imaginent ses adversaires, il n'a rien d'un désir de conquête ou de triomphe ; ce n'est pas une «propagande » ni du prosélytisme, au sens indiscret, racoleur que ces mots ont pris dans le langage courant ; c'est tout simplement la charité fraternelle, désireuse de partager aux autres le bien, jugé inestimable, de la foi et de l'espérance chrétiennes ! Et c'est pourquoi l'Apôtre, cessant de s'adresser au seul roi Agrippa, se tourne vers tous ceux qui (l'Jécoutent.

jean chrysostome : Hom. 7,2 sur Paul (SC 300, p. 296) — Si Paul exaltait (l'étendard de la croix) , ce n'était pas pour le porter seul, mais afin que tous le fassent et apprennent (de lui) à l'exalter... (citation de Ph 3,17 Ph 4,9 Ph 1,29). Car si les honneurs de la vie présente ressortent mieux quand ils sont rassemblés autour d'un seul, dans l'ordre spirituel c'est tout le contraire : l'honneur prend tout son éclat quand beaucoup partagent le privilège et jouissent avec le bénéficiaire des mêmes faveurs.

Il ne reste plus au couple royal et au gouverneur romain qu'à se retirer dignement (v. 30-31), en renonçant lâchement à une loyale « discussion* » ; du moins rendent-ils un dernier hommage à l'innocence du prisonnier (v. 31).

Le verset 32 fait transition, en rappelant que Paul doit aller à Rome pour y être jugé «par César» et y mourir martyr, c'est-à-dire témoigner jusqu'au sang... Cela nous fait rentrer dans le mouvement de cette dernière partie des Actes, consacrée à la Passion de Paul (cf. introduction au chapitre 20*) ; et par contraste, nous sentons combien ce discours et le dialogue courtois qui s'ensuit avec les plus hautes autorités civiles du pays débordait ce cadre.

Il est vrai que la scène pourrait rentrer dans l'imitation de la Passion du Christ, la souveraine «assurance*» de l'Apôtre correspondant à la majesté divine de Jésus devant Pilate. Mais par leur ampleur même, la scène et les dires de saint Paul débordent le seul procès, prenant pour ainsi dire valeur pour eux-mêmes, et donnant à cet homme sa pleine stature d'« Apôtre», pour relayer le saint Pierre des douze premiers chapitres dans l'établissement de l'Eglise du Christ.



Bible chrétienne Actes 21