Bible chrétienne Evang. - § 14. L’adoration des mages: Mt 2,1-12

§ 14. L’adoration des mages: Mt 2,1-12


(Mt 2,1-12)

Bergers et mages sont les premiers à reconnaître le Christ. Ainsi se rejoignent les simples et les sages, les pauvres et les riches avec leur générosité, le petit peuple d'Israël et les premiers des païens, dans une perspective < catholique >: C'est l'Epiphanie. (Sur l'accès des païens à la foi et au Christ, Mt 8,10 Mt 12,18 Mt 15,21-28 Mt 24,14 Mt 28,19).

Fulgence : Sermon sur l'Epiphanie... (PL 65, 733) : La tradition des Pères nous dit que le Fils Unique de Dieu, quand il naquit selon la chair, dans le temps, se manifesta en ce jour aux Mages venus l'adorer. Puisqu'il est lui-même le Dieu qui, dans l'Ancien Testament, a ordonné qu'on lui offre les prémices (Ex 25,2), ce même Dieu fait homme a dirigé vers son culte les prémices des gentils...

Nous avons là ces deux murailles, venant de directions différentes, et qui trouvent leur unité — l'unité de la foi — dans la pierre qui est devenue la tête de l'angle... L'un des murs aboutit à la pierre quand l'ange annonce aux pasteurs juifs la naissance du Christ. Le second mur fait sa jonction quand un astre nouveau apparaît aux gentils.

Les uns viennent de près, et les autres de loin : ils étaient proches, les Juifs qui adoraient Dieu; ils étaient loin, les gentils qui suivaient les idoles. Mais les Mages qui viennent de loin déclarent qu'ils cherchent < le roi des Juifs >... et quel roi? Le royaume de cet enfant n'est pas de ce monde, mais c'est par lui qu'on règne en ce monde : car il est la Sagesse même de Dieu, qui a dit dans les Proverbes : «C'est par moi que régnent les rois » (Pr 8,15). Les Mages l'appellent < le roi des Juifs >, mais il est Créateur et Seigneur des anges.

Ephrem : Hymne 4 de la Nativité (Lamy II, p. 482):

Les peuples qui étaient loin
virent l'étoile décrite dans le Livre
et firent honte au peuple proche.

Mais en passant par Jérusalem les Mages, sans penser à mal, suscitent la jalousie d'Hérode, qui n'y était que trop porté. Si bien que la seconde partie du chapitre s'enchaînant avec la première (tout comme au chapitre précédent), annoncera le rejet et la persécution du Messie, où finalement se rejoindront < Jérusalem et Rome > (cf. v. 3 *).

Mt 2,1 — Bethléem... dans les jours du roi Hérode : Le lieu et le temps — l'histoire. Rupert (Pl 168,1335) remarque non sans pertinence que cette mention d'un roi non juif — Hérode l'Iduméen — rappelle qu'il était temps pour Dieu d'accomplir la prophétie de Jacob: « Le sceptre ne s'éloignera pas de Juda... jusqu'à ce que vienne Celui auquel il appartient, et que les peuples lui obéissent » (Gn 49,10 — en // au § 12 ).

Voici * que des Mages : Titre à la fois doctoral et religieux : leur requête en témoigne (v. 2 *). Mais < Mage > est proche de < Magie > et de < Magicien > (Cf. Simon-le-mage, Ac 8,9-10). D'où la méfiance des Pères (Justin, Origène, Jérôme, Augustin), mais le triomphe aussi qu'ils viennent rendre hommage au Christ.

La légende en a fait des rois ; mais comme si souvent, elle illustre seulement par une image plus matérialisée — les couronnes ! — ce qu'annonçaient les prophéties d'Is 60 et du Ps 72 (en // au v. 11). Et l'on reconnaîtra qu'en tous cas, leurs cadeaux sont royaux ! Quant à leurs noms de Melchior, Balthasar et Gaspar, ils se trouvent pour la 1° fois dans < Le Livre arménien de l'Enfance >, au vi° siècle. Auparavant, leur nombre était variable. S'il s'est fixé à 3, c'est dans la logique des 3 présents dont parle l'Évangile (v. 11 *).

venus d'Orient: le plus souvent, on les dit Perses, les mages étant, d'après Hérodote et dans le grec classique, les membres d'une tribu mède voués au sacerdoce dans la religion iranienne, férue d'astronomie et d'astrologie. Justin et Tertullien les disent originaires d'Arabie, d'autres de Chaldée. < Le Livre arménien de l'Enfance > fait mieux les choses: « Les rois des Mages étaient 3 frères: Melchior régnait sur les Perses, Balthasar sur les Indes, Gaspar sur les Arabes (cité dans ch. Perrot: Récits de l'Enfance, p. 30). On aurait tort de se moquer: l'image d'Épinal souligne tout juste l'essentiel: Dieu est venu pour tout le monde !

Mt 2,2 — Où est le roi des Juifs : D'emblée, voilà le titre qui soulèvera contre le Christ la jalousie des rois de la terre, d'Hérode à César, et sera donc le motif qui, en dernier ressort, causera sa mort (Jn 19,12-15 Jn 19,19-22). Sur la royauté de Jésus dans Saint-Luc, cf. A. George: Sur Luc, p. 257-282.

qui vient de naître: Ephrem: Hymne 4 de la Nativité (Lamy II, 478):

Les prophètes annoncèrent sa naissance
mais ne purent en préciser l'époque.
Il envoya des Mages :
leur arrivée marqua l'événement.

Les Mages indiquèrent le temps,
sans savoir qui était cet enfant;
mais par sa course l'étoile brillante
manifesta qu'il était roi.
Béni soit Celui que désigne toute créature.

nous avons vu son étoile : Quand on sait l'importance donnée à l'horoscope, chez les Perses mais aussi chez les Juifs, au 1° siècle comme chez nous au xx° siècle d'ailleurs! on s'étonne que les savants aient pris prétexte de cette référence astrale pour mettre en doute l'historicité de la scène. Aujourd'hui on y verrait presque un signe en faveur de son authenticité, tant cela s'accorde avec, par exemple, la découverte qu'à Qumrân le Messie attendu avait son horoscope.

à son lever (ou: « à l'Orient »): On préfère traduire ainsi, plutôt que: « nous avons vu son étoile en Orient », en supposant que l'Orient désigne ici non la patrie d'où viennent les Mages (déjà dit au v. 1 *), mais le côté où s'est levée l'étoile, réalisant la conjoncture astrale qui a mis en route ces astrologues.

Notons pourtant que les Mages cheminent à l'inverse: ils ne tirent pas un horoscope à partir des circonstances de temps et de lieu où est né cet Enfant qu'ils ne connaissent pas encore. Tout au contraire, c'est l'astre nouveau qui les amène au Messie. Le Christ ne dépend pas de l'étoile. Il est bien plutôt le Créateur du ciel et de la terre, et Il sait se servir de toute la marche des événements sur la terre comme au ciel, pour se révéler à nous. La constatation peut nous paraître à présent banale. Elle entérine cependant une révolution plus que copernicienne dans les façons de voir de l'humanité : « Un astre brilla dans le ciel plus que tous les autres, dit saint Ignace d’Antioche en un texte dont J. Daniélou a montré l'importance... Alors était détruite toute magie, et tout lien de malice aboli, l'ignorance était dissipée, et l'ancien royaume ruiné, quand Dieu apparut en forme d'homme, pour une nouveauté de vie éternelle : ce qui avait été décidé par Dieu commençait à se réaliser » (Lettre aux Éph. xix; SC 10, p. 89) — Cf. J. Daniélou: Théologie Judéo-chrétienne, Desclée 1958, p. 239).

// Nb 24,17 Ap 22,16 — Bien que Mt ne cite pas la prophétie de Balaam, l'étoile ne pouvait manquer de la rappeler. À l'extrême fin de la Révélation, comme pour conclure les Saintes Écritures (Ap 22,16), lors de son Retour définitif Jésus se proclame « de la race de David » en même temps qu'« étoile brillante du matin » — Homme qui est Dieu, l'essentiel de ce qu'annonce Mt 1-2.

venus nous prosterner : En hommage au « roi des Juifs », sans doute; mais plus généralement c'est le geste de l'adoration (cf. S. Grùn, dans BC I *, p. 106). Et c'est en ce sens que la Vulgate traduit légitimement : « et venimus adorare eum ». C'est tout à fait dans la perspective des Évangiles de l'Enfance, qui multiplient les reconnaissances de la divinité du Christ. Va dans le même sens la répétition de ce verbe < se prosterner > aux v. 8 et 11.

Mt 2,3 — Hérode, et toute la ville de Jérusalem avec lul'. Autrement dit, les Juifs sont du même bord que le tyran ! Et l'Évangile ne permet guère de supposer qu'ils aient suivi les Mages à Bethléem, pourtant si proche, laissant à ces païens l'honneur de trouver ce Christ que pourtant le peuple élu attendait depuis Abraham, Isaac et Jacob.

Mt 2,4 — Les princes des prêtres et les scribes : Ceux-là qui, trente ans plus tard, se dresseront contre le Christ et décideront sa mort (Mt 16,21 Mt 20,18 Mt 21,15). Nous le savons, et par conséquent leur mention ici même par Mt accentue encore l'impression d'opposition — comme en prélude au drame que l'Évangile va nous conter.

Mt 2,5 — Ces doctes savent donc. Mais ils ne bougeront pas...

Mt 2,6 // Mi 5,1-4 1Ch 11,1 — Il semble que Mt conjugue ici la prophétie de Michée avec l'acclamation elle-même prophétique des tribus d'Israël acceptant David pour roi. Au surplus et de toute façon, Bethléem évoque David et ses ancêtres, depuis Ruth et Booz. Il est vrai que le thème du roi pasteur se trouve aussi en Mi 5,3, non moins que l'origine éternelle, divine, du Fils de David (toujours la conjonction de l'Homme à Dieu). Même la conception virginale se trouve sous-entendue dans l'expression de « celle qui doit enfanter », dans la mesure où l'on peut supposer que Michée se réfère à Is 7,14.

Bethléem de Judée, ou terre de Juda : pour la distinguer de la Bethléem du Nord, en terre de Zabulon (Jos 19,15). Elle est appelée par Michée Bethléem Éphrata du nom de la femme de Caleb qui s'y établit, tandis que Bethléem était le nom d'un autre de ses descendants (1Ch 2,19 1Ch 2,50-51), si bien qu'au Livre de Rt 4,11, les deux noms s'équivalent pour désigner la ville d'où sortira David, puis l'ultime Fils de David.

// Jn 7,41 — La prophétie de Michée sur la naissance du Messie à Bethléem deviendra une objection contre < Jésus de Nazareth >, à quoi répond précisément ce ch. 2 de Saint-Matthieu, depuis l'attestation quasi officielle et vérifiée par les Mages que Jésus est bien né à Bethléem (v. 1-12), jusqu'à l'explication de son implantation à Nazareth (2,22-23 *).

Mt 2,7-8 // Ps 55,21-23 — L'hypocrisie d'Hérode: s'il est criminel, c'est avec préméditation. Secrètement: l'hypocrisie agit par en-dessous, c'est écrit dans son nom ; mais le sens premier du mot désigne le jeu de l'acteur. L'horreur c'est que, jouant ainsi la comédie, Hérode prépare ses « glaives nus ».

En même temps, < secrètement > s'oppose au projet de Joseph de garder le secret sur le mystère de Marie (Mt 1,19 *), comme la dissimulation à la décision loyale, la manipulation au respect de la vocation inconnue de la Vierge et de l'Enfant ; et plus profondément, l'impiété du Tartufe à la dévotion vraie du Juste.

s'enquit du temps exact... renseignez-vous avec soin: C'est par deux fois le même mot caractérisant le souci de précision, qu'emploie aussi Luc pour assurer le soin avec lequel il tire de ses sources l'information qu'il nous transmet (§ 2 ) — Lc 1,3 *). Le renseignement cherché par Hérode est double en effet : d'une part la date de l'apparition de l'étoile, donc de la naissance (v. 7) ; d'autre part le moyen d'identifier Jésus entre tous (v. 8). Si l'avertissement aux Mages prive Hérode de cette précision nécessaire (v. 12), qu'à cela ne tienne, il a tiré de ses informateurs la base du calcul suivant lequel sera déterminé l'ordre de massacre (v. 16-18).

me prosterner moi aussi: (v. 2 *). S'il s'agit du geste d'hommage au « roi des Juifs » le propos est sarcastique ; si c'est en adoration, Hérode y est appelé non moins que les Mages, comme Pilate le sera, par Jésus, à témoigner de la vérité (Jn 18,37-38 *).

Mt 2,9-10 // Ex 13,21 Sg 18,3 — Et voici : Ce qui précède était tristement humain. Nous revenons à l'intervention de Dieu dans notre histoire... Car si jusqu'ici la quête des Mages pouvait s'expliquer par leur astrologie, cette fois on ne peut éviter le merveilleux, qui fascine les enfants à qui est promis le Royaume, mais heurte les préjugés de ceux qui < croient > exclusivement à leur science (Mt 11,25). Pour nous, admirons plutôt que soit donné à ces païens, nos précurseurs, le privilège accordé premièrement au Peuple élu sous la forme de la Colonne de Nuée qui les guidait dans le désert.

Mais pourquoi donc avaient-ils besoin de cette conduite céleste ? Jérusalem n'est séparée de Bethléem que par quelques kilomètres, et d'une route trop connue pour que les Mages risquent de s'y perdre. Ce n'est pas nécessité physique, mais indication spirituelle: « Sans Moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5). Tout itinéraire spirituel est une < marche à l'étoile >, non pas tant au sens d'un idéal toujours inaccessible qu'à celui d'une conduite providentielle, non seulement vers le Christ, mais à sa Lumière et portés par sa Joie. L'étoile indique la route vers le Christ, mais le Christ s'est fait lui-même notre Voie comme notre étoile, remarque saint Ambroise (Sur Luc n, 45) — SC 45, p. 93). « Par le mystère du Verbe incarné, n'est-ce pas une Lumière céleste qui a brillé à nos yeux » (Préface de Noël)? Mais cette illumination est contagieuse. Les Mages eux-mêmes ne deviennent-ils pas eux-mêmes une étoile annonciatrice de la naissance du Messie, pour Hérode, la ville de Jérusalem et jusqu'à nous ? Ce devrait être le fait de tous les membres du Christ :

Léon le Grand: 3° et 5° Sermons pour l'Epiphanie (SC 22 bis, p. 236 et 264). Quiconque, dans l'Église, vit pieux et chaste, goûte les choses d'en haut et non celles de la terre, est comme un astre du ciel. En préservant le saint éclat de sa propre vie, il montre à beaucoup d'autres la voie vers le Seigneur, comme fit l'étoile. En ce concours, mes bien-aimés, vous devez tous vous être utiles les uns aux autres, afin de resplendir comme des fils de lumière dans le Royaume de Dieu, où l'on parvient par une foi droite et des oeuvres bonnes...

Comme le dit l'Apôtre, « vous étiez jadis ténèbres, mais maintenant lumière dans le Seigneur: marchez comme des fils de lumière » ; et que s'accomplisse en vous tout ce qui a précédé en figure dans les trois mages ; et qu'ainsi « votre lumière brille devant les hommes, afin qu'en voyant vos oeuvres bonnes ils glorifient votre Père qui est aux deux ».

Ephrem: 1° Hymne sur l'Epiphanie (Lamy 1P 10-11):

L'étoile brillante frappa de son éclat
ceux qui étaient assis dans les ténèbres
comme des aveugles, elle les guida
à la rencontre de la Lumière.

Ils offrirent leurs dons, reçurent la vie,
adorèrent, et s'en retournèrent.

Toute créature, d'un seul coeur acclame :
les Mages acclament avec leurs présents,
les mères stériles avec leurs enfants;
l'étoile brillante acclame dans le ciel:
« Voici le Fils du Roi! »

Mt 2,11 — Dieu n'est plus l'inaccessible, mais incarné en « cet enfant avec sa mère, dans [chacune de nos] maisons » : on peut l'y voir.

Tombant à genoux, ils se prosternèrent: C'est comme le film de cet agenouillement allant jusqu'à la complète prostration. Elle signifie l'adoration, donc la reconnaissance de la transcendance divine rayonnante et cachée en cet Enfant. Les sculpteurs romans avaient compris le mouvement spirituel qu'ils avaient à représenter ; et c'est dans l'esprit même de l'Évangile qu'ils alignent en de belles cavalcades les < Rois Mages >, à Brinay et à Vicq, ou inventant à plaisir toutes sortes d'attitudes charmantes, comme le salut de la couronne à Autun, l'extase de Moissac, et la précipitation qui jette en avant le Mage de Neuilly-en-Donjon pour baiser les mains de l'Enfant Jésus (Berry roman, p. 247 et Jours de la Nativité, pi. 25, 36, 33 et 34).

// Is 49,23 Is 60,2-6 Ps 72,10 — Tout y est, même les chameaux ! Mais le sens de cette imagerie, c'est comme au jour même de Noël, la Lumière dans nos ténèbres, l'Epiphanie de la Gloire céleste, qui se < lève >.

L'or, l'encens et la myrrhe: L'or et l'encens étaient mentionnés dans les prophéties d'Is 60,6 et du Ps 72,15. La tradition chrétienne tant d'Orient que d'Occident a voulu en préciser le symbolisme: « De l'or comme à un roi très puissant; de l'encens comme au Grand Prêtre éternel ; de la myrrhe pour sa sépulture ». Ce n'est point là vaine allégorie, mais invitation à nous adressée:

Léon le Grand : 6° Sermon pour l'Epiphanie (SC 22 bis, p. 268) : Mais si, d'un esprit attentif, nous voulons scruter comment ces trois genres de dons sont offerts par tous ceux qui, du pas assuré de la foi, viennent au Christ, ne pensez-vous pas que cette offrande est célébrée dans les coeurs de ceux qui croient d'une âme droite ? Car du trésor de son esprit, il tire l'or, celui qui reconnaît le Christ comme roi de toute créature ; et il offre la myrrhe, celui qui croit que le Fils Unique de Dieu s'est uni une vraie nature d'homme ; et il exprime sa révérence en offrant l'encens, celui qui le confesse égal au Père, en tout, absolument.

Mt 2,12 // 1R 13,7-9 — Le parallèle suggère que si les Mages ont à revenir « dans leurs pays », mais « par un autre chemin », ce n'est pas seulement pour éviter de renseigner Hérode, mais au sens spirituel où Jésus demandera que ses disciples restent dans le monde mais comme n'en étant plus (Jn 17,11 Jn 17,16 1Co 7,29-31). La rencontre avec Jésus ne va pas sans une conversion, qui est pour tout disciple de suivre le Christ sans regarder en arrière (§ 184 - Lc 9,57-62). Ainsi, « Dieu a-t-il si bien disposé la naissance de l'Évangile que Jésus nouvellement né soit manifesté aux croyants, mais occulté à ses persécuteurs » (Léon le Grand : 2° Sermon pour l'Epiphanie) : ou Ephrem (Lamy n, 476):

L'étoile, en se cachant, déroute les meurtriers; en se montrant, elle convoque les adorateurs.

p. 109

§ 15-17. De Bethléem à Nazareth: Mt 2,13-23


(Mt 2,13-23)

Ces trois brefs paragraphes font un ensemble, où éclate l'opposition entre Hérode et Jésus, amorcée dans la première partie du chapitre. Vanité des efforts de l'homme quand ils vont à rencontre du dessein de Dieu : le tyran voulait faire périr son présumé rival, et c'est lui qui meurt (v; 20 *) ! Cependant, l'exil amène surtout le thème, bien plus fondamental, de l'Egypte, qui annonce en Jésus le Nouveau Moïse et en Hérode l'éternel < Pharaon > (Mt 2,15 *), tout cela expliquant que le Messie de Bethléem devienne « Jésus le Nazaréen » (v. 23 *).

Chacun des trois épisodes est composé de la même façon : un ordre et son exécution, suivis d'une citation de l’A.T. indiquant le sens de l'événement dans l'éternel Dessein de Salut.

Mt 2,13-15 et // — Le thème de l'Egypte: il est ambivalent. D'une part, c'est la traditionnelle terre d'abondance et de refuge en cas de famine ou de crise politique, d'Abraham ou Jacob (Gn 12,10 Gn 42,1-3) à Jéroboam, futur leader du schisme d'Israël (1R 11,40), et Uriyyahu (Jr 26,21). Mais l'Egypte est surtout devenue le symbole de l'esclavage et du génocide dont Yahvé a délivré son Peuple. Dans ces conditions, le fait que Jésus soit amené à descendre en Egypte et à en repartir est une des correspondances fondamentales entre l'Ancien et le Nouveau Testaments. C'est bien la même Histoire de Salut qui se renouvelle, mais à un degré supérieur, car Jésus sera tout à la fois : le bienfaiteur de l'Egypte comme Joseph, son bénéficiaire (de par l'asile reçu), l'Agneau pascal et le Moïse — c'est-à-dire la victime et le grand prêtre — de la définitive Alliance, enfin l'Israël nouveau, l'Église qui, en Lui, affronte le désert et ses tentations, pour gagner la Terre Promise.

Mt 2,13-14 — Comparer avec Mt 1,20-24: même moyen du songe pour connaître ce qui est à faire; même concordance parfaite entre l'ordre et son exécution: « se lever — prendre l'Enfant et sa mère — fuir en Egypte » (v. 14 // à v. 13). S'y ajoute seulement « de nuit », indiquant une obéissance immédiate (cf. 1,24-25 *).

// Gn 46,2-4 — Jacob a dû passer par deux exils : le premier pour fuir la haine d'Esau ; le second pour rejoindre son bien-aimé Joseph, retrouvé et comme ressuscité. Or ici comme là, sur la route de l'exil Dieu lui est apparu en songe, pour lui donner à chaque fois la garantie: « Je serai avec toi, je te garderai, et je te ramènerai » (Gn 28,15 et Gn 46,2-4).

Mais plus encore, du séjour d'Israël en Egypte — 430 ans, ce n'est pas rien ! — il est bien spécifié qu'il faisait partie du Plan divin (Gn 45,5-8 et ses //, dans BC I / Gn et I *, p. 184-186), donnant à l'exil de Jésus en Egypte son vrai sens providentiel, comme l'expliquera le v. 15 *.

// Is 19,1 — Et tout d'abord, avant même d'accomplir ce que signifiaient l'entrée et la sortie de l'Egypte pour le Peuple élu, la venue du Christ réalise la prophétie d'Isaïe en faveur de l'Egypte elle-même:

Denys d'Alexandrie: Contre Paul de Samosate (Pitra, 4, p. 418): Prenant dans ses bras l'Enfant Jésus, Sainte Marie gagna l'Egypte. Elle portait Celui qui tient en ses mains tout l'univers. Cela aussi fut prophétisé, car Isaïe avait dit: « Voici: le Seigneur, porté sur une nuée légère, entre en Egypte » (Is 19,1). Par la nuée, le prophète désigne la Vierge sainte... Elle porta et enfanta la rosée du ciel, comblant de joie le monde entier qui se mourait de soif.

Comme la Cananéenne obtient pour ainsi dire avant l'heure la grâce demandée (Mt 15,22-28), avant même que Jésus sauve sur la Croix le monde entier l'Egypte est favorisée de sa < visite > *, et le reçoit (par opposition avec Jn 1,9-11 ou Lc 2,7 *). C'est bien dans la suite de l'Évangile des Mages: Jésus est venu pour tout le monde.

Tremblent les Dieux de l'Egypte : D'où la légende des idoles qui s'écroulent sur le passage de la sainte Famille (Jours de la Nativité, p. 198-199 et pi. 69-70). Plus positivement :

Léon le Grand: 3° Sermon pour l'Epiphanie (SC 22 bis, p. 233) : Allant en Egypte, le Christ retournait à l'antique berceau du peuple hébreu. Joseph véritable, il y exerçait un pouvoir dont la providence dépassait encore celle du premier Joseph. Pain de vie descendu du ciel, et nourriture spirituelle, il portait remède à la faim, plus grave que toute disette, dont souffraient les Égyptiens frustrés de la Vérité. De plus, il ne fallait pas que fût étranger à la préparation de l'Unique Victime ce pays où l'immolation de l'Agneau avait d'abord préfiguré la Pâque du Seigneur et le signe du Salut par la croix (Ex 12,6-7).

Mt 2,15 // Os 11,1 — En concluant sur cette citation, de préférence aux // précédents, Mt montre que le sens principal de l'exil du Christ, au début de sa vie, c'est de l'amener à la base de départ du Salut qu'il nous apporte, et qui doit être la sortie d'Egypte, par une Pâque renouvelant celle du 1° Exode. Aussi, plus encore qu'aux précédents de Jacob et de Joseph, sommes-nous reportés à Moïse.

Le // avec Moïse s'impose d'autant plus que les traditions juives sur son enfance ressemblent étrangement à ce que nous disent les deux premiers chapitres de Mt: les chefs des Mages, Jannès et Jambrès annoncent qu'un fils d'Israël détruira de sa main tout le pays d'Egypte, ce qui aurait provoqué l'appréhension de Pharaon et l'ordre de jeter au Fleuve tout enfant mâle. D'autres épisodes parlent des soldats égyptiens à la recherche des enfants que leurs mères essaient en vain de soustraire au massacre (l'essentiel de ces textes est cité dans Ch. Perrot : Les récits de l'Enfance, p. 13-15). On conçoit que les chrétiens, qui connaissaient ces traditions — 2Tm 3,8 cite Jannès et Jambrès — aient reconnu dans Hérode la personnalisation temporaire du < Pharaon éternel >, figure de la tyrannie ou même du Diable (Cf. BC I *, p. 203-204; 215 ss.).

// Ex 2,11-15 — Les vocations de Moïse et de Jésus se recoupent sur bien des points : Moïse « sort vers ses frères » et prend leur défense tout comme le Christ « sort du Père » et vient nous sauver. Mais ces frères ne veulent pas le reconnaître, tout comme son Peuple rejettera Jésus, devant Pilate. Moïse doit fuir Pharaon, comme Jésus Hérode. Sa mission s'inaugure donc par une retraite dans le désert, comme le ministère du Christ (§ 27 ) — Mt 4,1-11). C'est alors que Dieu, du buisson ardent le « mandate comme chef et comme rédempteur » (Ac 7,35). Il essaie d'esquiver cette mission redoutable en suppliant: « Envoie celui que tu dois envoyer » (Vg « Mitte quem missurus est » — Ex 4,13), en quoi Rupert reconnaît une inconsciente prophétie de Celui qui se proclamera < L'Envoyé > (PL 168,1318). Nous retrouverons la suite du // en Mt 2,20 *.

Mais la citation d'Os 11,1 par Mt est non moins faite pour nous montrer en Jésus le Nouvel Israël. La prophétie fait justement le joint entre l'enfance historique d'Israël et celle du Christ qui l'accomplira * avec une plénitude incomparable: d'abord parce qu'il est, de par son Incarnation, « appelé mon Fils » par Dieu à un titre unique (Mt 3,17 Mt 4,3 Mt 4,6 Mt 8,29 Mt 16,16 Mt 17,5), qui devient nôtre seulement de par notre communion avec Lui (Jn 20,17); mais plus précisément, ici, parce que le véritable < Exode >, la victoire sur les tentations du désert et l'entrée dans la vraie Terre du ciel, c'est Lui qui les mènera à bonne fin, en notre nom et à notre profit, par sa Passion et sa Résurrection. L'exil en Egypte, et le baptême suivi des 40 jours dans le désert, en sont comme le prélude :

Rupert de Deutz : Sur Mt 2,15 citant Os 11 (PL 168,1375): L'enfant Israël, le Fils de Dieu, le Seigneur Jésus, fut appelé d'Egypte, il habita Nazareth, traversa les eaux du baptême, fut conduit par l'Esprit dans le désert; et après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il fut tenté lui aussi, et trouvé fidèle dans les trois tentations, pour effacer et annuler les tentations de ses pères, les fils d'Israël qui, tirés du pays d'Egypte, passèrent les eaux de la Mer Rouge, furent conduits dans le désert pendant quarante années, furent tentés, et trouvés infidèles.

Sur le chapiteau de la Fuite en Egypte de Saint-Benoît-sur-Loire, le sculpteur a juxtaposé le rappel d'Ap 12,1-8, avec le Dragon aux aguets pour dévorer l'Enfant, mais vaincu par Michaël. Nous avions déjà vu comment ce // éclairait le sens de la prophétie de Syméon (§ 11 ) — Lc 2,35 a *). Mais dans la Femme qui, pour dérober son Enfant au Dragon, « s'enfuit au désert où Dieu lui a ménagé un refuge pour qu'elle y soit nourrie 1260 jours » (Ap 12,6), on reconnaît en effet une autre image de ce que signifie la Fuite en Egypte: l'accomplissement de la première de toutes les prophéties (Gn 3,15): « Je mettrai des inimitiés entre toi et la femme, entre ton lignage et son lignage. Lui, il t'écrasera la tête, et toi, tu lui mordras le talon » (Cf. Dom Jean, dans « Renaissance de Fleury », oct. 1961, p. 2-13).

Mt 2,16-18 — Le massacre des Saints Innocents : Dès sa naissance, l'Évangile nous avertit que le Christ ne supprime pas la souffrance. Au contraire, sa venue occasionne d'abord un redoublement du malheur, comme après la première intervention de Moïse auprès de Pharaon (Ex 5,1-14 — Cf BC I *, p. 213-215). À ce titre, même si ce nouvel épisode s'insère entre départ et retour d'exil, reliés par l'agrafe de « la mort d'Hérode » (v. 15 et 19), il < compose > fort bien avec le sens général de cette fin du ch. 2, annonçant le drame de la Rédemption.

Mt 2,16 — La colère d'Hérode et son ordre de massacre correspondent à ce que l'histoire nous dit par ailleurs de celui qui, par jalousie ou crainte de tout rival éventuel, fit tuer Aristobule, sa propre femme et ses deux enfants (en 7 avant J.C.), et encore un autre de ses fils Antipater, etc... Mais tout en stigmatisant l'horreur du crime, la Tradition chrétienne s'est plutôt préoccupée de répondre au scandale de la mort des innocents à la place du Christ, qui s'en tire apparemment indemne :

Ephrem: Hymne 4 de la Nativité (Lamy n, 471 et 481) :

Pour ta Nativité, qui à tous donne vie,
des enfants goûtèrent la mort.

Parce que le roi devait être immolé,
le tyran lui donna des otages
qui portaient dans leur immolation
le symbole de son immolation.

Ces otages trônent dans les deux ;
béni soit le roi qui les exalte.'...

Des tueurs, en Bethléem, moissonnèrent les tendres fleurs
pour faucher avec eux le grain nouveau
où se cachait le pain de vie.

Mais l'épi avait fui,
pour devenir gerbe au temps de la moisson.

La grappe qui avait fui
se donna sous le pressoir
pour que son vin donne vie à nos âmes.

Fulgence: Sermon sur les Saints Innocents (PL 65,735): Ô Hérode, ce même Seigneur tout-puissant qui a daigné fuir ta cruauté, tu ne pourras fuir sa Majesté. Il fuit, non par crainte humaine mais par dispensation divine. Par la même puissance, l'enfant se cache en Egypte et le jeune homme sera suspendu au bois. Et par sa propre puissance il meurt, par sa propre puissance il ressuscite.

Il n'est pas au nombre des enfants massacrés, parce qu'il est l'attente des nations. Le sang de cet enfant n'est pas répandu avec celui des autres, parce qu'il sera répandu seul, en rémission des péchés ; et les autres enfants mourraient en vain, s'ils n'étaient sauvés par son sang à lui... Il mourra pour faire régner avec lui ses fidèles dans le ciel, il mourra pour accomplir en tous les hommes ce qui est sa volonté à Lui.

// Ex 1,22 — Même sans tenir compte de la tradition juive sur un massacre à l'épée des enfants d'Israël par Pharaon, ce que dit la Bible de la naissance de Moïse complète le parallèle avec Jésus (v. 15 *).

Mt 2,16-17 // Jr 31,16-22 — Dodd a bien montré que « l'unité scripturaire à laquelle renvoie un auteur du N.T. est assez souvent plus étendue que la citation elle-même, généralement assez brève » (Conformément aux Écritures, p. 61). Ici, le v. 15 de Jérémie doit être remis dans son contexte, qui est celui des chapitres annonçant le Retour de l'Exil et la restauration d'Israël. Notamment, au ch. 31,11, c'est comme déjà fait: « Yahvé a racheté Jacob, Il l'a délivré de la main d'un plus fort », et Il l'a introduit dans l'abondance et la joie messianiques: c'est bien ce qu'accomplira le Christ (§ 117 ) — Mt 12,28-29. Vient alors le v. 15, rappel de la désolation (passée) lors du départ pour l'exil : Rama est le lieu du rassemblement, dont le nom seul est sinistre comme put l'être Drancy pendant la guerre de 1940. Entre tant de mères inconsolables de voir leurs enfants déportés, < disparus >, comme morts, Rachel fait symbole doublement, et par ses pleurs sur Benjamin, et du fait qu'elle le perd « sur le chemin de Bethléem » (Gn 35,16-20). C'est donc elle encore qui pleure en ces mères des innocentes victimes d'Hérode, « à Bethléem et dans tout son territoire ».

Mais dans l'Évangile comme par la voix de Jérémie, n'oublions pas l'exhortation de Dieu à « l'espérance contre toute espérance » (Rm 4,18 — à propos d'Abraham ayant à sacrifier Isaac, autre annonce du sacrifice du Christ). Car la suite de Jr 31 nous révèle non seulement que les déportés reviendront (v. 16-17), mais que l'histoire de l'Exil à Babylone est significative de la conversion, du < Retour > auquel sont appelés tous les pécheurs (v. 19.21-22). Encore plus touchant, le v. 20 nous assure que le massacre de tous les innocents atteint Dieu au coeur, ou plus exactement en ses « entrailles de miséricorde » ; car Il est plus < mère > que Rachel même (Is 49,15). Non! Dieu n'est pas monstrueusement indifférent aux monstrueux crimes des hommes.

Et voilà le mystérieux remède qu'il nous donne (v. 22) : « L'épouse recherche l'Époux » — le salut est dans les noces des hommes avec Jésus, dont se réjouira Jean-Baptiste (§ 79 ) — Jn 3,29 *). « Époux de sang », comme le reprochera Çippora à Moïse (Ex 4,26) : assurément, et de son propre sang, versé sur la Croix, mais sans exclure non plus le sang de ses < enfants > les martyrs, dont les Innocents furent les premiers. « Incapables de parler, c'est par leur mort qu'ils ont < confessé > le Christ » (Oraison de la fête) :

Péguy : Le Mystère des Saints Innocents (« Pléiade », p. 814 ss.) : ... Par une sorte d'équivalence, ces innocents ont payé pour mon fils... Ils furent pris pour lui. Ils furent massacrés pour lui. En son lieu. A sa place.
Non seulement à cause de lui, mais pour lui, comptant pour lui.
Le représentant pour ainsi dire. Étant substitués à lui. Étant comme lui. Presque étant (d'autres) luis.
En représentation, en substitution, en remplacement de lui. Or tout cela est grave, dit Dieu, tout cela compte. Ils furent semblables à mon fils et le remplacèrent.
Exactement quand il ne s'agissait pas moins
Quand il n'y allait pas de moins que de le massacrer...
Parce qu'ils se sont trouvés naître là, parce qu'ils étaient, parce qu'ils se sont trouvés être
Du même âge que mon fils, nés du même temps, de la même race.
A la même date
Enfin parce qu'ils faisaient ensemble une promotion...
La promotion de Jésus-Christ.

Et les soldats en ce crime ? Qui ne les aurait en horreur ? Mais la charité est sans limites:

Hilaire ; Sur Mt (PL 9,923): L'Église ne se lamente pas sur les Innocents de Bethléem, mais sur ceux qui les ont tués, et qu'elle aurait voulu garder parmi ses fils. Elle ne veut pas être consolée, car ils sont perdus. On ne peut dire, en effet, que les Innocents, qui ont paru mourir, « ne sont plus » : ils ont été emportés dans l'éternité, avec la gloire du martyre.

Mt 2,19-21 // Ex 4,19-20 — Le Retour. Le parallélisme avec Moïse est souligné par l'analogie des situations, du mouvement et des mots eux-mêmes. On y trouve jusqu'à l'âne que Mt n'a pas songé à mentionner, mais que la piété chrétienne s'est plu à imaginer, pour le soulagement de « la mère et l'Enfant ». Mais la foi s'y exprime aussi, en faisant de l'humble monture un trône — avec même un piédestal entre les jambes de l'âne, conformément au Ps 110, sur le chapiteau de Saint-Benoît-sur-Loire déjà cité — et de la Vierge Marie, celle qui, sur les chemins du temps, porte au monde l'Enfant éternel et souverain (chapiteau d'Autun). Et puis, le rapprochement est encore de Péguy:

Trente ans plus tôt monté sur un âne avec sa mère mon fils
Refaisait le voyage de l'antique Jacob (cf. // Gn 46,2).
Comme trente ans plus tard monté sur l'ânon d'une ânesse
Il devait entrer à Jérusalem.

Mt 2,22 — Archélaus: De Malthaké (une de ses nombreuses épouses), Hérode eut 2 fils : cet Archélaus qui régnera en Judée jusqu'à ce que ses massacres le fassent déposer par les Romains, en l'an 6 de notre ère, et Hérode Antipas que nous retrouverons à l'origine du martyre de Jean-Baptiste (Mt 14) et dans le Procès de Jésus (Lc 23,6-12). Sur la généalogie hérodienne, cf. Lc 3,1 *. Mais on comprend que, suivant le proverbe: « Tel père, tel fils », Joseph et Marie se soient méfiés d'Archélaus.

Averti en songe: d'un bout à l'autre, Joseph suit les indications de Dieu, si surprenantes soient-elles — comme ici, visant le Messie que l'on savait devoir sortir de Bethléem (Mt 2,5-6), et régner glorieusement sur Jérusalem.

Galilée, Nazareth: apparaissent ici pour la première fois dans l'Evangile selon Saint-Matthieu. Mais c'est rejoindre ce que nous apprenait Luc des toutes premières origines, lors de l'Annonciation « dans une ville de Galilée appelée Nazareth » (Lc 1,26 *), où Marie et Joseph reviennent tout naturellement après la Présentation (Lc 2,39 et 51 *) : concordance probante entre des sources par ailleurs si indépendantes l'une de l'autre (Cf. § 12 , Introduction).

La région de la Galilée: Cette « Galilée des Nations » sur laquelle prophétisait qu'une grande Lumière resplendirait — comme il arriverait quand le Christ commencerait sa prédication de l'Évangile (§ 28 ).

Mt 2,23 — Sur ce verset difficile et controversé, cf. le Tableau récapitulatif de R. Laurentin dans Év. de l'Enfance, p. 331-332.

ce qui avait été dit par les prophètes: On n'a pas retrouvé ce texte dans tout l’A.T. Est-ce que le pluriel indéterminé n'indiquerait pas une citation globale des prophéties messianiques, convergeant sur ce mot à facettes: < Nazôraios >.

Appelé Nazaréen : Ce sera en effet le titre attaché au Christ et à ses disciples, sous la forme soit de < Nazôraios > (Mt 26,71 Lc 18,37 Jn 18,5 Jn 18,7 Jn 19,19 Ac 2,22 Ac 3,6 Ac 4,10 etc. ), soit de < Nazarênos > (Mc 1,24 Mc 10,47 Mc 14,67 Mc 16,6 Lc 4,34 Lc 24,19). Or on peut jouer sur les différents sens que prend la racine en hébreu.

1) Jésus est nazaréen parce qu'il a été 30 ans un habitant du village, aussi humble que méprisé, de Nazareth. L'appeler de ce nom sera pour ses adversaires un déni implicite qu'il puisse être le Messie (annoncé comme originaire de Bethléem) ; mais pour ceux qui l'implorent ou le suivent, donc pour nous, et d'abord sans doute pour Jésus lui-même, c'est un rappel émouvant de ses origines, de son enfance, de son humanité, de son humilité (§ 18 ) — Lc 2,51 *).

2) Nazaréen est également proche de <Nazir>. En araméen, Natsaraïa donne le même nombre que Nazir en hébreu biblique. Or c'est le nom de ceux qui font le voeu de < naziréat > ; et celui-ci, « mettant à part pour Yahvé », est par le fait même une consécration (Nb 6,1-5), parfois dès avant la naissance comme Samson parce qu'il doit « commencer à sauver Israël » (Jg 13,5), ou comme Jean-Baptiste (§ 3 ) — Lc 1,15 *). Consacré, cet enfant ou cet homme devient « nazir ou saint de Dieu » (Jg 13,7 Jg 16,17), et c'est pourquoi il doit se garder d'aliments impurs ou de boissons fermentées. Mais de par son Incarnation, Jésus est par excellence « appelé saint » (§ 4 ) — Lc 1,35 a *), et reconnu « le Saint de Dieu » (Lc 4,34 Jn 6,69).

En outre, suivant l'équivalence: « Sancti, electi, dilecti » (Col 3,12), < Nazir > prend les sens connexes de : élu, couronné.

3) Nazaréen rappelle aussi < Netzer >, d'où le sens étymologique donné par Jérôme à Nazareth : « Le lieu où la terre a germé le Sauveur, où a levé le Germe juste, la fleur de la tige de Jessé, s'appelle Nazareth qui veut dire: Sainteté, Germe, Fleur, Rameau » (De nominibus hebraïcis; Pl 23,842). Par là Nazaréen peut renvoyer aussi à la prophétie d'Isaïe 11,1 sur le rameau issu de la tige de Jessé, comme à Zacharie 6,12 sur le Messie « Germe ».

// Dt 33,13 Dt 33, 16;Ex 29,6;Ps 132,17-18) — Avec la bénédiction prophétique de Moïse sur Joseph — reprise de celle de Jacob, en Gn 49,22.26) — nous retrouvons le parallèle entre le patriarche et Jésus (Mt 2,13-14 * — St Léon).

Ex 29,6 et Ps 132,18 jouent d'un autre sens possible de < nazer > : diadème, couronne, mais en lien avons-nous dit avec nazir, consacré, saint. Ainsi la tiare d'Aaron est la sainteté qui doit couronner comme d'un diadème le Grand Prêtre.

La conclusion du psaume (messianique) 132,18 peut donc se traduire soit: « Sur Lui fleurira son diadème » (BJ — TOB), soit : « Sur Lui fleurira ma consécration » (LXX, Vg et Syr). Pour ne perdre ni le sens (de consécration) ni Y image (du diadème), il convient d'associer les deux mots, comme nous l'avons proposé dans le psautier chrétien (m, p. 419). Le « sur Lui », évoquant la grâce qui < survient >, se retrouve dans l'image du diadème dont Dieu couronne son Élu (Ps 5,13 Ps 21,4).

La Tradition joue admirablement de l'extrême richesse de sens et de l'abondance des rapprochements qu'offre ce nom de « Nazaréen » :

Rupert de Deutz : Sur Mt II (PL 168, 1345-1346) : Il vint habiter dans la ville appelée Nazareth > ; et VÉvangéliste ajoute le pourquoi : < pour que fût accompli ce qui a été dit par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen >...

Quoi donc ? Si le Christ n'avait pas grandi dans la ville qui s'appelle Nazareth, n'aurait-il pas été < nazaréen >, c'est-à-dire consacré à Dieu? Certes! Nazaréen, pleinement nazaréen, c'est-à-dire consacré à Dieu, c'est-à-dire saint; mais on ne l'aurait pas appelé ainsi. Or, il fallait qu'il fût appelé ainsi, parce que c'est ainsi que l'Esprit Saint, par les prophètes, avait annoncé qu'il serait saint, qu'il serait le Saint des saints. Par exemple : « Malheur, dit Isaïe, à la nation pécheresse, au peuple plein d'iniquité, à l'engeance mauvaise, aux fils criminels! Ils ont abandonné le Seigneur, ils ont blasphémé le Saint d'Israël, ils sont retournés en arrière » (Is 1,4). Et encore : « Mais eux, ils ont irrité et affligé son Esprit Saint » (Is 63,10). Et l'ange dit à Daniel: «... pour que soit consommée la prévarication et que le péché prenne fin, que l'iniquité soit effacée, que vienne la justice éternelle, que s'accomplisse la vision et la prophétie, et que le Saint des saints reçoive l'onction » (Da 9,24). Ce mot hébraïque lui-même, « nazaréen », ce sont les prophètes et les prophéties qui nous l'ont gardé. Jacob, patriarche et prophète, a dit: « Les bénédictions de ton père sont confirmées par les bénédictions de ses pères, jusqu'à ce que vienne le Désir des collines éternelles » (Gn 49,26). Ce Désir, sans nul doute c'est le Christ, « Désir des anges » (1P 1,12) et de tous les saints, Lui que les anges désirent contempler, et de qui le Joseph antique portait le type, parce qu'il fut vendu comme esclave (Ps 105), et après les angoisses de la prison devint seigneur et prince de la terre d'Egypte. Aussitôt après, Jacob ajoute : « Que ces bénédictions descendent sur la tête de Joseph, sur le front du Nazaréen parmi ses frères » (Gn 49,26). Nous pouvons ajouter qu'il est écrit en Isaïe, selon la vérité hébraïque : « Un rameau sortira de la racine de Jessé, et un nazaréen montera de sa racine » (Is 11,1). Et quand Moïse écrit la loi du nazaréen, disant entre autres choses : « Alors, le nazaréen rasera devant la porte du tabernacle la chevelure de sa consécration » (Nb 6,18), puis : « Après cela, le nazaréen peut boire du vin », à quoi tend tout cela, sinon au Christ ? Quelle serait l'utilité de ces paroles, si elles ne se rapportaient aux sacrements spirituels de ce vrai « consacré », de ce vrai « saint » ?

Il fallait, disions-nous, que le Christ fût appelé ainsi, parce que c'est ainsi que l'Esprit Saint l'avait annoncé par les prophètes. Et pourquoi l'avoir annoncé sous ce nom? Parce qu'il est nécessaire au salut éternel, que tout croyant sache et confesse que seul est Saint Celui qui n'a pas fait de péché (Is 53,9); et qu'il est saint et sans péché au point d'enlever même le péché du monde. Donc, pour donner matière à un si grand nom, et pour que le Christ fût appelé ce qu'il était, à savoir Nazaréen ou Nazarénien, c'est-à-dire consacré et saint, il convenait parfaitement qu'« averti en songe, Joseph se retirât dans la région de la Galilée, et habitât dans la ville qui s'appelle Nazareth ». Ce fut l'occasion pour Pilate — ou plutôt, l'Esprit de Dieu qui sait user même des mauvais pour réaliser un bien, fut à l'oeuvre dans cet acte — d'écrire au-dessus de la Croix du Christ, en hébreu, en grec et en latin, ce titre admirable et célébré : « Jésus le Nazaréen, Roi des Juifs » (Jn 19). Et c’est encore par l'opération et la providence de l'Esprit Saint que ce titre ne fut pas falsifié par les pontifes juifs, quand ils dirent à Pilate : « N'écris pas < Roi des Juifs >, mais que lui-même a dit: < Je suis le Roi des Juifs > ». Car qui donc, sinon l'Esprit de Dieu, lui fit répondre avec décision : « Ce qui est écrit est écrit »?...

Les autres Évangélistes ont passé sous silence le mot de < Nazaréen > dans ce titre; mais Jean, de son oeil d'aigle, vit qu'il était essentiel à l'identité du Crucifié non seulement d'être Sauveur (Jésus) et d'être Roi — titre qui lui était reproché comme un crime — mais d'être vraiment le Saint, ce que veut dire < nazarenus > ; et il nous transcrivit le titre entier: «Jésus Nazarenus, Rex Judoeorum >.

... Toute langue l'appelle donc Nazaréen : celles des hommes et des anges, des bons et des impies. Et les premiers à l'appeler ainsi [dans l'Évangile] sont les mauvais anges ou malins esprits, torturés par sa présence : « Qu'y a-t-il entre nous et toi, Jésus le Nazaréen ? Es-tu venu avant le temps pour nous perdre ? » (Mc 1,24). Quant aux bons anges, n'ont-ils pas déclaré solennellement, dans la joie de la Résurrection : « Ne craignez pas ! Vous cherchez Jésus le Nazaréen, le Crucifié? Il est ressuscité, il n'est pas ici » (Mc 16,6). Et les impies, non seulement Pilate mais ceux même qui se saisirent de Jésus, confessèrent son nom, et en ressentirent aussitôt la puissance ; car interrogés par lui : « Qui cherchez-vous ? », ils lui répondirent par deux fois : « Jésus le Nazarénien ». Et quand il dit: « C'est moi », ils reculèrent, et tombèrent à terre.

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Bible chrétienne Evang. - § 14. L’adoration des mages: Mt 2,1-12