Bible chrétienne Evang. - § 27. Les tentations du désert: Mt4,l-ll; Mc 1,12-13; Lc 4,1-13


II. LES PREMIERS TEMPS - PARAGRAPHES 28 À 145






1. PREMIERS MIRACLES, PREMIÈRES CONTROVERSES (§ 28-49)


§ 28. Jésus revient en Galilée : Mt 4,12-17; Mc 1,14-15; Lc 4,14-15

(Mt 4,12-17 Mc 1,14-15 Lc 4,14-15)

Programme et teneur de la prédication du Christ.

Mt 4,12 Mc 1,14 // Mt 17,22 — Après que Jean eut été livré: Mt et Mc enjambent donc les premiers chapitres de Saint Jean (Cana, Nicodème, le dernier témoignage de Jean-Baptiste). Celui-ci est livré comme le sera Jésus (// Mt 17,22): un passif qui laisse dans l'ombre Hérode ou le Sanhédrin, pour suggérer que dans la Passion du Baptiste comme du Christ s'opère un mystère, où le véritable auteur de l'iniquité est < le péché du monde > (“ Pilate livra Jésus à leur — à notre — volonté ”, Lc 23,25), mais que le sacrifice volontaire de la victime (“ Il m'a aimé et s'est livré pour moi ”, Ga 2,20 Jn 10,17-18) transforme en action de Salut, réalisant ainsi la Volonté de l'Amour éternel de Dieu (“ Le Fils de l'homme doit être livré ”, Mt 17,22, “ pour accomplir tout ce que dans Ta puissance et Ta sagesse, Tu as déterminé par avance ”, Ac 4,28).

Rupert de Deutz ; Sur Mt III (PL 168, 1380): Aussi longtemps que Jean prêcha, Jésus n'assuma pas l'office de la prédication publique. Mais quand fut close la bouche de la Loi et des prophètes — car tous les prophètes et la Loi aboutissent à Jean — alors vint ce qui avait été prophétisé, et l'Évangile du Christ resplendit.

Lc 4,14 — Dans la puissance de l'Esprit: Donc “ sous l'impulsion divine qui conduit le Christ ” (§ 27 ) — Lc 4,1 *), et avec cette < Dynamis > divine qui se manifestera dans sa prédication non moins que dans ses miracles (§ 4 - Lc 1,35 a *).

Il vint habiter à Capharnaùm: Son port d'attache (Mc 1,21 Mc 2,1 Mc 9,33 etc. ).

Dans les régions de Zabulon et de Nephtali: la citation donne le sens et l'envergure du ministère galiléen : oeuvre de Lumière et de Paix, caractéristiques de l'ère messianique, dans un cadre non pas seulement de la judaïté, mais ouvert aux nations à qui, en définitive, s'adresse l'Evangile (Mt 28,19). Car s'il convient que Jésus meure à Jérusalem (Lc 13,33), d'où vient le Salut (Jn 4,22), c'est de la Galilée que le Christ ressuscité enverra ses Apôtres au monde entier (Mt 28,16), non moins que de Jérusalem (Lc 24,47).

Mc 1,14 c — Annonçant: Comme Jean-Baptiste (§ 19 ) — Mt 3,1 b *), c'est la proclamation du Kérygme (< Kérussôn >), donc de l'essentiel de la prédication du Christ.

Annonçant l'Évangile de Dieu: < de Dieu > parce que c'est Lui qui envoie la Bonne Nouvelle, dont le Christ, < Envoyé > du Père, se fait le héraut (sens impliqué dans < Kérussôn >). En ce sens, cf. Rm 1,1 Rm 15,16 2Co 11,7 2Th 2,2 2Th 2,8-9. En même temps, Jésus est cette Bonne Nouvelle, en son Être même où se ré-unit l'homme avec Dieu, si bien que Dieu est aussi l'objet de cette Bonne Nouvelle (double sens du génitif, comme sujet ou comme objet) : c'est ce qu'explicite la Vulgate: “ Praedicans Evangelium Regni Dei”; c'est ce que précise en tous cas le v. 15 de Mc.

Mt 4,17 Mc 1,15 — Tel est donc le Kérygme, le centre rayonnant de d'Évangile >. Il s'articule en 2 ou 3 points:

1) Le Règne de Dieu est proche : Toute la suite de l'Évangile, notamment de Mt (ch.5-7.13.18) expliquera ce que le Christ vient instaurer sous ce nom de “ Règne ou Royaume de Dieu ou des cieux ” (sur ces questions de vocabulaire, cf. § 19 ) — Mt 3,2 *). Mais la Bonne Nouvelle ici est précisément qu'il soit proche. Ce qui signifie :

— < Il s'approche >, il vient au-devant de vous. C'est Dieu qui vous l'envoie, en la personne de Jésus lui-même. C'est “ le Don de Dieu ” (Jn 4,10) : “ Dieu nous a aimés le Premier ”, 1Jn 4,10. En ce sens, cf. Is 51,5.

— Il est donc déjà-là, devant vous, proche à le toucher: “ Il est arrivé parmi vous ” (§ 117 ) — Mt 12,28). Plus encore : “ Il est au-dedans de vous ” (§ 242 ) — Lc 17,21). C'est ce que souligne dans Mc 1,15 l'introduction solennelle: “ Le temps est accompli. Tout nous est donné en Jésus-Christ (Sur cette imminence, cf. J. Schlosser: le Règne de Dieu..., p. 106-109).

// 1R 8,23-27 — Salomon était seulement un premier accomplissement de la Promesse faite à David que son Royaume serait gardé à sa Descendance (2S 7,12-14). Mais pour que ce soit le Royaume de Dieu, il faudrait que “ Dieu vienne habiter sur la terre ” (v.27). Ce qui était à peine imaginable, voilà ! c'est fait.

— Et pourtant, le Règne de Dieu est encore à-venir. Il reste à faire pour que ce Règne arrive (§ 62 ) — Mt 6,10 *) effectivement. Sur les rapports entre le < déjà-là > et < l'à-venir > du Règne de Dieu, cf. J. Carmignac: Le mirage de l'eschatologie (dont c'est le propos général); et § 36 , Lc 4,43 (A. George).

// Is 56,1-2 — Le Règne de Dieu est un autre nom de l'Alliance, qui est l'Amour de Dieu offert, mais à notre liberté (BC I *, p. 80, 246 ss.). Donc il y a pour nous une contrepartie, un engagement à prendre et à respecter. Salomon en faisait mention // 1R 8,25) g-i, comme Is 56: C'est cette Justice qui, tout en étant donnée par Dieu (1 d) doit être pratiquée par nous (1 b — cf. § 24 - Mt 3,15 // Mt 5,20 *): et pour autant, le Règne de Dieu dépend de nous. Les deux autres points du Kérygme indiquent justement la condition pour que nous entrions dans ce Royaume (§ 306 ) — Mt 25,21.23), ou qu'il entre au-dedans de nous.

2) Convertissez-vous, ou: Faites pénitence: C'est la même condition, traduite différemment pour exprimer tout ce qu’il y a dans le verbe < Metanoeite >. Avec, sous-entendu, le réconfort que c'est pour un “ Retour à Dieu ” (§ 19 ) — Mt 3,2 *). Condition c'est vrai; mais assurée de succès puisque l'effet est déjà là:

“ Convertissez-vous car (parce que, puisque, assurés que) le Règne est à votre portée (Mt 4,17). Et tout aussi clairement, Mc 1,15 : Le Temps est accompli, le Règne est là: entrez-y par votre conversion.

3) Mc 1,15 ajoute cependant: et croyez à l'Évangile. “ L'Évangile ”, c'est précisément ce kérygme en deux points qui précède. “ Croire ” n'est donc pas un 3° point, indépendant des deux autres, mais bien plutôt leur accomplissement. La conversion demandée n'est pas d'abord morale, mais de croire, c'est-à-dire de s'engager à la suite du Christ, dans une vie < théologale > — dirigée vers Dieu par cette foi espérante et aimante — et par suite seulement, < morale >, mais aussi, par conséquent, au suprême degré. Et tout cela qu'est-ce, sinon la réalisation même du Règne et du Royaume de Dieu, comme le dira le Sermon sur la Montagne? La foi s'affirme dans les actes — ce qui n'est pas à dire que les actes puissent remplacer la foi dont ils doivent être plutôt l'expression ou le réveil.

On aura déjà remarqué l'identité de ce kérygme avec celui de Jean-Baptiste, du moins dans la formulation de Mt (comparer 4,17 et 3,2), actualisant lui-même l'essentiel du message des prophètes: Dieu vous appelle — revenez à Lui (Jr 26,1-13). Or, si l'on reprend, dans les Actes des Apôtres, la prédication de saint Pierre et de saint Paul, on retrouve le même kérygme en 2 ou 3 points, simplement actualisé :

// Ac 3,18 Ac 13,38 (= Paul) — L'approche du Règne de Dieu peut désormais être reconnue dans la Mort et la Résurrection du Christ, qui nous en ouvrent l'accès. L'appel à la conversion n'en est que plus insistant, Celle-ci consiste en l'engagement de la foi, qui se marque par les sacrements de la foi (signes de foi et donneurs de foi — toujours le double sens subjectif et objectif du génitif), à commencer par le baptême qui est cet engagement même. Nous avons choisi les // Sous leur forme la plus brève ; mais ce même kérygme est formulé sous sa forme plus développée, avec mention du baptême, dès le premier sermon de saint Pierre, au matin de la Pentecôte (Ac 2,36-40; cf. encore 5,31-32 et 10,39-43, première annonce aux païens; pour Paul, cf. Ac 17,30-31 Ac 26,17-20). Les Apôtres avaient d'ailleurs été formés à ce kérygme par Jésus lui-même (cf. Mc 6,12 et Lc 24,46-48). Nous sommes donc bien dans le grand axe de la Révélation de l'Ancien et du Nouveau Testament.

Lc 4,14-15 — Choisissant une autre expression du kérygme de l'Évangile (§ 30 *), Luc s'en tient ici aux généralités sur la renommée qui entoure le Christ dès le principe de sa prédication (et que Mt ou Mc, ou Lc lui-même noteront un peu plus tard, comme il est logique: Mt 4,24 Mt 9,26 Mc 1,28 Lc 4,37 — 33.37 et 94). C'est donc une sorte de refrain, ou de rumeur de foule, qui accompagne ce premier temps de l'Évangile, jusqu'au désistement de Jn 6,66 (§ 164 ).

// 1R 18,7 1R 18,12 — Mû par l'Esprit dont nul “ ne sait d'où il vient et où il va ” (Jn 3,8), le comportement d'Élie est imprévisible. Ainsi de Jésus, marchant et agissant “ dans la puissance de l'Esprit ” (Lc 4,14): on va le constater dès les Noces de Cana.

Lc 4,15 — // Enseignait dans leurs synagogues : Originairement, la Synagogue est la communauté d'Israël (Ex 16,1 et encore Ac 13,43) et même celle des premiers chrétiens (Je 2,2). Mais par la suite, ce mot désigna aussi la maison où l'on se rassemblait pour un culte désormais centré sur l'étude de la Loi. Comme < Église > —> églises.

glorifié par tous: La Gloire est rayonnement du divin (§ 10 ) — Lc 2,9-10) — H. Schlier). Le Christ la manifeste d'ordinaire indirectement, par l'autorité et la transcendance de son enseignement comme par ses miracles (§ 29 ) — Jn 2,11); et une fois seulement de façon directe, par sa transfiguration (§ 169 ) : “ Et nous avons vu sa Gloire de Fils Unique, né du Père... ” (Jn 1,14 *).


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§ 28 bis. Récapitulation de la première semaine: Jn 1,19 – Jn 2,2

()

Comme nous l'avions fait en BC I / N, nous détachons ici la chronologie, pour une fois serrée, du premier chapitre de Saint-Jean, entre Prologue et Cana. Tout se répartit donc en 6 Jours: ce qui évoque d'autant plus la création (// Gn 1,3-31) qu'au départ Jean témoigne de la transcendance du Christ-Verbe de Dieu comme Lumière du Monde (// Jn 1,4 et Gn 1,3-5), et qu'au Sixième Jour, où Dieu crée pour les unir, l'Homme et la Femme, correspondent les Noces de Cana.

Mais en outre, il y a une série de correspondances entre la Première Semaine du Christ (Jn 1,28-51), et la Semaine de la Passion (Jn 12,1-32):



Jn 1,28-51

28 Cela se passait à Béthanie au-delà

du Jourdain

29 Le lendemain:... “ Voici

L'Agneau de Dieu qui enlève ”...

35 Le lendemain : Jean se tenait là.

37 Deux de ses disciples suivirent

Jésus.

Il leur dit: “ Venez et voyez ”...

45 Philippe rencontre Nathanaël... et

lui dit: “ Viens et vois. ”

51 “ Vous verrez le ciel ouvert, et les

anges de Dieu montant... ”

(Échelle de Jacob)



Jn 12,1-32

six jours avant la Pâques, Jesus vint a bethanie

Le lendemain… » Beni soit celui qui vient au nom du seigneur ».

Les pharisiens se disaient :



On a peine à supposer que toutes ces rencontres, relevées par D. Debuisson, soient fortuites. Et elles nous laissent penser que, durant la Passion proprement dite, va s'accomplir aussi ce que présageaient les deux événements principaux de la Première Semaine: Vocation de Simon Pierre, et Noces de Cana. De fait, D. Debuisson (cité BC I *, p. 53-54) a également établi qu'il y avait là un second ternaire, commençant par le nom de < Pierre > donné à Simon pour l'établir fondement de l'Église, se poursuivant par la vocation de Philippe aussitôt < apôtre > auprès de Nathanaël, et se terminant en apothéose au banquet nuptial de Cana: bref, l'Église Romaine, Apostolique et Eucharistique! Or, durant sa Passion, le Christ prie pour que Pierre, revenu de son reniement, devienne le soutien de la foi de ses frères (§ 323 ) — Lc 22,32 *); le Vendredi-Saint, Il fera naître l'Église de son côté — comme Eve d'Adam — avec l'eau et le sang figurant les sacrements du baptême et de l'eucharistie, elle-même instituée la veille, à la Cène (§ 356 *). Ainsi, de toutes façons, Première et Dernière Semaine du Christ se rejoignent comme accomplissant les 6 Jours de la Genèse. De la sorte, l'Oeuvre du Verbe Incarné “ Principe ” de la création (Gn 1,1) apparaît ; comme “ Principe ” déjà Nouvelle Création (Jn 1,1 *), le Christ comme le Nouvel Adam, et l'Église-Épousée comme la Nouvelle Eve. Avant même d'aborder au ch.2 les Noces de Cana, nous sommes avertis par la composition elle-même du IV° Évangile (et par conséquent, comme du point de convergence visé par Saint-Jean), de reconnaître dans le miracle non une transmutation qui relèverait plutôt de la magie, mais — comme il le dira expressément en 2,11 * — le signe révélateur du Mystère fondamental...

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§ 29. Les noces de Cana : Jn 2,1 -11



(Jn 2,1-11)

“ Le texte est l'un des plus difficiles du Quatrième Évangile ” (F.M. j Braun), et par conséquent des plus indéfiniment repris et commentés. Nous nous en tiendrons ici à F.M. Braun: La mère des fidèles, p. 49-74 et 88-94; I M.E. Boismard: Du Baptême à Cana, p. 133-165 et Syn b.J. ni; A. Feuillet (qui donne la bibliographie) : Et. Jo., p. 11-33, complété par: Signification fondamentale... (R. Th. 1965, p. 517-535); J.P. Charlier: Le signe de Cana; D. Mollat (Vie Chr. oct. 1964, p. 9-15).

Jn 2,1 // Ex 19,1-20 Lc 2,46 Lc 24,21 — Le troisième jour : La division des 6 Jours en 2 ternaires (§ 2828 bis *) permet à Saint-Jean d'ajouter au // avec la Genèse et la Semaine de la Passion, l'annonce de l'accomplissement de cette Création et Nouvelle Création par la Résurrection, qu'évoqué la mention du “Troisième Jour” (// Lc 24,21 — Sur le symbolisme de cette expression, cf. § 359 ) — Mt 28,1 *).

Jn 2,1-2) — Le cadre, historique. Il faut y insister d'autant plus que les prolongements symboliques sont plus évidents et importants : comme pour tout symbole en effet, leur force vient de la réalité qui les suggère, et c'est ce qu'elle a de plus concret qui est lui-même significatif.

Ici, Cana, la vie d'une bourgade entre tant d'autres ; des noces, comme tant d'autres. Marie est là, tout naturellement (comme parente?), tandis que Jésus et ses disciples (dont Nathanaël, originaire de Cana, mais nous ne l'apprendrons qu'au dernier chapitre de Saint-Jean, 21,2) semblent plutôt survenir (v.2). Dûment invités, pourtant. C'est un événement, mais ordinaire. Les noces duraient en principe 7 jours (cf. Samson, Jg 14,12, ou Tobie 11,21): le temps de boire toutes les réserves...

Jn 2,3 // Si 31,27 — Le vin venant à manquer (Var. retenue par BJ : “ Il n'y avait plus de vin car le vin des noces était épuisé ” — simple redondance ou avertissement que le vin miraculeux sera d'un autre ordre? La réponse sera suggérée au v.6 *). Il s'attache au vin, de par ses effets euphorisants, tout un symbolisme d'amitié (Si 9,10), d'amour (Ct 1,4 Ct 4,10) et de joie (Ps 104,15-cf. Vtb), si naturel qu'on le retrouve ailleurs, où il se charge tout aussi naturellement d'un sens religieux, par exemple dans le soufisme.

La Mère de Jésus, comme aux v. 1 et 5 : C'est son titre d'honneur; mais il tend aussi à ramener l'attention vers le héros principal de la scène, le Christ — et sa mère par rapport à Lui. Il ne faudra pas que les difficultés du v.4 nous fassent perdre de vue cette perspective générale, christologique, comme A. Feuillet y insiste à juste titre.

Ils n'ont plus de vin : À cette époque, de par leur service, les femmes étaient plus au courant de ces secrets domestiques. Est-ce à dire qu'à l'information ne se mêle pas un appel, discret et d'autant plus touchant, mais par conséquent aussi non précisé ? Nous en avons un autre exemple, lorsque Marthe et Marie mandent à Jésus, au sujet de leur frère Lazare: “ Celui que tu aimes est malade ” (Jn 11,3). Le recours est à Jésus lui-même, sans aller plus loin. Acte de confiance, qui s'en remet à Lui. À Lui, à son coeur de trouver la solution. N'oublions pas qu'en trente ans, Jésus n'a encore fait aucun miracle (Jn 2,11): “ Il paraît improbable qu'elle demande un Miracle ” (Mollat, p. 13).

Marie est ici dans l'attitude que nous avons admirée en Joseph comme étant celle du < Juste >: éveillée aux besoins des hommes, et toute disponible, mais n'empiétant pas sur ce qui est du ressort de Dieu (cf. § 13 ) — Mt 1,19 *).

Jn 2,4) — Qu'est-ce pour toi et pour moi ? : Litt. “ Quoi à toi et à moi ? ” Formule extrêmement souple, dont le sens est des plus variables, suivant les interlocuteurs et la circonstance présente, allant de: “ Qu'y a-t-il qui nous associe, qui nous soit commun ” à “ Qu'y a-t-il qui nous sépare ”? (A. Feuillet R. Th. p. 526). M.E. Boismard (Dw baptême... p. 144-149), qui donne l'analyse la plus claire des autres emplois de cette formule dans la Bible, lui trouve deux sens généraux: 1) “ Que t'ai-je fait? Qu'y a-t-il entre toi et moi que tu me veuilles ce mal ” — (Jg 11,12 2Ch 35,21 2S 16,10 et 2S 19,22-23 1R 17,18 — et 2) “ Qu'y a-t-il de commun entre nous! ” (Os 14,9 2R3,13; Jos 22,24).

Mais justement, la formule est trop souple pour être catégorique, ni réduite à des catégories. Elle dépend trop de la situation concrète pour que les cas antécédents, qui sont autres, puissent en rendre raison. Tous les exégètes en sont d'accord; celui qui en tient le mieux compte est H. van den Bussche, montrant que loin de signifier une rupture, la question peut être une façon de renouer (Jean, p. 142-145). Ce serait pourtant probablement excessif de l'adoucir jusqu'à en faire une ouverture purement positive : “ Que veux-tu par là ? Désires-tu quelque chose de moi? ” (Ibid. — autres exemples du même genre dans Braun, p. 51), ou encore: “ Laisse-moi faire ” (Weber). Osty, BJ et Tob ont opté pour un “ Que me veux-tu ”, qui a l'avantage d'être, suivant les cas, fin de non-recevoir ou offre de service. Mais il semble bien que, si divers qu'en soient les sens, le propre de cette formule est d'indiquer une certaine distanciation, soit entre les interlocuteurs, soit vis-à-vis de l'objet du débat: “ Elle formule une prise de position différente ” (Bussche), “ une divergence de points de vue ” (D. Mollat).

Saint Augustin explique cette < distance > de façon subtile mais profonde, qui vaut surtout par la relation établie entre Cana et le Calvaire, que renforcera toute la suite du récit: Au moment de faire cette oeuvre toute divine, c'est comme si Jésus disait à sa mère : le pouvoir défaire ce miracle, je ne le tiens pas de toi, qui n'as pas engendré ma divinité (tu ne peux y être associée); mais quand la faiblesse de ma nature humaine, que tu m'as donnée, sera clouée à la Croix, alors je te reconnaîtrai et t'associerai à mon sacrifice (Sur Jn 8,9Pl 35,1455 ; Vives 9,327-328. Braun, qui cite ce passage, réfère aussi au commentaire de Thomas d'Aquin, qui va dans le même sens — Mère des fidèles, p. 53et57. De même Isaac de l'Etoile :Sermo 10) — Pl 194,1724;sc 130,228).

Quoi qu'il en soit, cette < distance > marquée entre Jésus et sa parenté, nous l'avions déjà remarquée lorsqu'à douze ans il fut retrouvé au Temple (§ 18 -Lc 2,49 *). Et il en avait alors donné la raison : la priorité due à la volonté de son Père, sans préjudice par ailleurs de sa soumission quotidienne à Marie et à Joseph (Lc 2,51). Cette même < distance >, le Christ la maintiendra durant son ministère (§ 140 *).

Femme : S'expliquerait mal par la seule discrétion qui recommande, par exemple aux Arabes, de ne pas faire montre des liens de parenté en public. Car il s'agit précisément ici d'une conversation en a parte, entre Marie et son Fils. Par contre, ce titre — qui est celui dont le Christ usera encore dans l'épisode correspondant de ses aDieux sur la Croix (§ 354 *) — évoque à la fois la Femme, la Nouvelle Eve (Gn 2), la Femme du ch. 12 de l'Apocalypse, et “ l'Heure de la Femme ” de Jn 16,21 *. La perspective s'élargit donc, embrassant toute l'Histoire du Salut. Saint-Jean nous a préparés à le comprendre ainsi en situant Cana au Sixième Jour. Et D. Debuisson n'a sans doute pas tort d'estimer que le Christ propose à Marie d'approfondir la relation de mère à enfant en l'union spirituelle, mystique, dont les Noces sont l'image dans l'Ancienne comme dans la Nouvelle Alliance. Ce que confirmera la suite.

Mon Heure: A. Feuillet: Et. Jo. p. 13-14: “ Dans le IV° Évangile, l'heure de quelqu'un est le temps où il accomplit l'oeuvre à laquelle il est particulièrement destiné. L'heure de la femme qui va être mère est celle de son enfantement (16,21). L'heure des Juifs incrédules est le temps où Dieu leur laisse le loisir de perpétrer leur crime (16,3-4). L'heure de Jésus est le moment où se réalise définitivement l'oeuvre pour laquelle il a été envoyé en ce monde par le Père, à savoir la victoire sur Satan, sur le péché et sur la mort (cf. surWum 12,23-24.27.31-32) — Comparer avec Lc 22,53 ou Mt 8,29) ”.

Parler de < L'Heure > souligne que ce Mystère, accomplissement de l'Histoire du Salut, se situe dans le temps, comme le < Kaïros > (moment opportun, temps favorable) par excellence (cf. A. Feuillet, R. Th. 518-520, s'inspirant de O. Cullmann: Christ et le temps).

Dieu le Père, maître de l'Histoire, fixe < Kaïros > et < Heure > “ de sa seule autorité ” (Ac 1,7 Rm 5,6). Précipiter les choses, comme voudront le faire les “ parents ” de Jésus (§ 256 ) — Jn 7,3-10 *) serait folle prétention de substituer nos vues trop humaines à l'éternelle Sagesse de la Providence (Is 55,8). C'était déjà la seconde tentation du Démon (§ 27 ) — Mt 4,5-7 *).

À l'inverse, la réponse du Christ nous apprend à “ entrer dans la mesure et le temps de Dieu ” (Dostoïevski: Karamazov, p. 347). Mais par le fait même de cet acte de confiance, le Règne de Dieu se trouve rétabli en nous ; et donc, pour autant, l'Heure est arrivée jusqu'à nous. Il ne faudrait pas, en effet, prendre cette Heure au sens trop ponctuel du Vendredi Saint: “Aujourd'hui même...”! (§ 353 ) — Lc 23,43 *). C'est plutôt “ l'une fois pour toutes ” (He 10,10) délai Rédemption, à laquelle tous les temps et chacune de nos heures ont à se relier. On a vu qu'elle était sacramentellement inaugurée dès le baptême du Christ (§ 24 *), si bien qu'aussitôt, le Christ se met à prêcher: “ Le temps (< Kaïros>) est accompli (§ 28 *). Et “ ceux qui attendent le Jour de Dieu dans la prière et une sainte conduite hâtent son avènement ”, son Règne (2P 3,12). À Cana, Marie est la vivante démonstration que la foi avance l'Heure du Salut.

Jn 2,5) — “ Quoi qu'il vous dise, faites-le ” : C'est textuellement sa propre réponse à l’Annonciation : “Qu'il me soit fait comme tu l'as dit ” (§ 4 -Lc 1,38 *). À cette différence près que, dans son humilité, Marie se mettait au passif — ce qu'en mystique on appelle précisément < l'état passif >, tout de disponibilité attentive — alors qu'à ces serviteurs (comme elle-même s'est dite “ la servante ”), elle recommande d'agir suivant les directives du Maître (cf. plus bas: et ils les remplirent *). Sans préjuger de la solution, miraculeuse ou non, l'attitude reste celle du v. 3 *.

// Gn 41,55 — Le parallélisme entre Marie et le patriarche Joseph nous prépare non seulement au miracle, mais à y discerner l'accomplissement messianique de ce que préfigurait déjà l'histoire merveilleuse de Joseph.

Jn 2,6-10) — Toutes les précisions qu'apporte Saint-Jean visent en effet à souligner cette portée messianique du miracle — qui par conséquent, loin de rivaliser avec l'Heure désignée par le Père, nous réfère à elle.

Six urnes de pierre : rappel de cette < Pierre > d'où Yahvé fit jaillir l'eau salvatrice, elle-même annonciatrice du Christ qui nous abreuverait de l'eau et du sang de son côté (Jn 19,34 *; 1Co 10,4).

pour les purifications : Bien que créateur, le Verbe, incarné, a choisi de se situer dans l'Histoire du Salut, pour l'accomplir en se substituant, Lui le véritable Agneau, le vrai Pain et l'Eau vive, aux rites symboliques de l'Ancienne Alliance. Il part donc ici non de rien, mais de l'eau des ablutions : “ Les six jarres de pierre apparaissent comme un symbole du judaïsme, que Jésus s'apprête à recréer en lui infusant un Esprit nouveau et une vie nouvelle. Il ne semble pas douteux que saint Jean ait discerné dans le miracle de Cana le signe de l'alliance nouvelle, dont la gloire illumine et transfigure ces humbles noces de village ” (D. Mollat: “ Vie chrétienne ”, p. 13).

contenant chacune deux ou trois mesures : 600 à 700 litres. Or, sur la recommandation expresse du Christ, ces urnes sont “ remplies... jusqu'en haut ”. Surabondance qui est bien dans la manière et largesse du Créateur — mille glands pour un chêne — mais plus encore pour signifier le don de la grâce ou de l'Esprit Saint, en plénitude, au-delà de toute mesure, de la Nouvelle Alliance:

// Am 9,13-14 Jl 2,24 Jl 4,18 Is 25,6 — Trois exemples de l'abondance du vin comme caractéristique des temps messianiques.

Et ils les remplirent: “ C'est un des traits propres de l'évangile de saint Jean que le plus souvent le < signe > prend un point d'appui dans la réalité humaine. Pour nourrir toute une foule, Jésus utilisera les provisions d'un enfant, ses cinq pains et ses deux poissons ; pour guérir /' aveugle-né, il fera de la boue et exigera que l'infirme aille se laver avec l'eau de la fontaine de Siloé (etc.). Le miracle intervient toujours chez saint Jean à la limite de l'effort et des ressources humaines, qu'il assume en les transfigurant... ” (D. Mollat-. Ibid. p. 12).

Jn 2,8-9) — Portez au maître du festin: Comme Jésus enverra les lépreux guéris se montrer aux prêtres (§ 39 ), comme l'aveugle-né sera examiné par les autorités (Jn 9), comme on envoie maintenant les miraculés de Lourdes au Bureau médical: pour que, dûment constaté, le miracle soit officialisé et certifié. Ici, les servants surtout peuvent assurer du miracle : “ eux savaient... ” La foi s'appuie sur une connaissance directe, solide, des faits. Et ce sont les faits eux-mêmes qui obligent à passer du témoignage des sens — la couleur et surtout ici, la saveur du vin — à l'Intelligence * de la foi.

Ils ne savaient d'où venait ce vin: “ La question se retrouve sous des formes diverses tout au long de l'évangile : à propos de l'Esprit, dont on ne sait “ ni d'où il vient, ni où il va! ” — à propos de l'eau vive : “ D'où la tires-tu donc, l'eau vive ? ” — à propos du pain céleste ; à propos de Jésus lui-même : “ Nous ne savons pas d'où il est ” (9,29). Le signe pointe vers le mystère de Jésus ”

(D. MOLLAT; Ibid. p. 11).

Il appelle l'époux: première apparition, remarquablement tardive, du héros des noces: encore est-elle muette. C'est que, sur ce point encore, il nous faut comprendre que le Mystère de Cana va plus loin que son pittoresque. Comme le vin puisé dans les vieilles urnes emplies d'eau nous annonce la substitution messianique de la Nouvelle Alliance à l'Ancienne, de même ces mariés de Cana laissent présager symboliquement — donc avec tout le réalisme de leur situation de pauvres gens dont la boisson et la joie seraient bientôt taries — un plus haut, riche et durable mariage. Le Christ-Epoux est déjà là, en chair et en os. Il invite sa Mère - premier fruit préalablement gagné de son sacrifice encore à venir pourtant (“ mon Heure n'est pas encore venue ”) — aux épousailles de la foi, prémices de celles qu'il propose à tous ses disciples.

Il y a donc bien noces, en quatre sens complémentaires: 1) les mariés de Cana — 2) le Christ-Époux et sa Mère — 3) le Christ et l'Église — 4) fondement des trois précédentes, l'union de l'humanité à la divinité dans l'Être même du Christ, de par son Incarnation rédemptrice. Car les noces humaines elles-mêmes, sont, depuis Adam et Eve, à l'image et en recherche de cette unité qui a sa vraie source en Dieu, dans l'amour trinitaire du Père et du Fils.

// Ct 1,2 Ct 1,4 Ct 5,1 — Au début de l'Évangile, Cana est l'appel nuptial dont le Cantique s'était fait l'expression privilégiée, dès l'Ancienne Alliance.

Jn 2,10 // Dt 11,13-14 — Tu as gardé le bon vin jusqu' à présent : Si l'abondance du vin est signe de l'arrivée des temps messianiques, comment ne serait-il pas de grand cru, et survenant à la fin, “ à présent ” à la suite des longs siècles d'attente de l'Ancienne Alliance, aux vins moins généreux (// Dt 11 — Cf. Ex 24,11; 29,40 etc.).

Jn2,11) — Ce commencement, ou “Principe”: Comme à la création (Gn 1,1), comme à l'origine de l'Histoire du Salut (Jn 1,1), un mouvement est lancé, dont l'articulation est indiquée par la suite des 3 propositions de ce verset: Jésus fait des signes et (de ce fait), manifeste sa Gloire et (de ce fait encore), croient en Lui au moins ses disciples.

des signes: Un des mots de Saint-Jean. Cf. J.P. Charlier: La notion de < Sèméion > dans le IV° Évangile (rspt 1959, p. 434-448) et D. Mollat: Et. Jo. p. 91-101. “ Les signes constituent l'ossature et peut-être le noyau primitif ” du IV° Évangile. Ils jalonnent si bien les 12 premiers chapitres que C.H. Dodd les intitule: “ Le Livre des Signes ” (Jn 2,11 Jn 2,23 Jn 3,2 Jn 4,48 Jn 4,53-54 Jn 6,2 Jn 6,14 Jn 6,30 I Jn 7,31 Jn 9,16 Jn 10,41-42 Jn 11,47-48 Jn 12,37 — et 20,30-31 qui concernent les signes de ces 12 premiers chapitres). 3 verbes, qui reviennent constamment, indiquent l'origine et le but de ces signes: Ils sont faits (14 fois) — et ce sont donc des actions, généralement miraculeuses — pour qu'on les voie (6 fois) et que l'on croie (10 fois) : c'est précisément ce qui est dit dans les trois propositions de ce verset 2,11, sur le 1° des signes.

J.P. Charlier en donne donc cette première définition : < Le Sèméion > est un geste posé (fait) par le Christ, et dont la vue conduit à la. foi ”. C'est dire que le signe va plus loin que le miracle. De celui-ci, effet d'une < Puissance > * sur-humaine, on pouvait conclure seulement que le thaumaturge avait ainsi prouvé qu'il était accrédité par Dieu et agissant en jonction avec Lui (Jn 3,2 Jn 9,33). Mais la foi, c'est de croire dans le Christ, c'est-à-dire de le reconnaître lui-même comme Dieu, auquel on se fie — identification qui est un saut bien au-delà de ce que la seule raison aurait conclu du seul miracle. Dans le fait extraordinaire dépassant l'ordre naturel, il faut avoir discerné cette Gloire qui est propre à Dieu, manifestant que le Christ est Dieu. C'est cela, prendre le miracle lui-même comme un signe, révélateur de la divinité du Christ. Faute de quoi, tous les miracles du monde n'amèneront jamais à la foi. C'est clair lorsque après le miracle de la multiplication des pains, ceux qu'il a rassasiés ont le front de demander à Jésus : “ Quel signe fais-tu pour que nous le voyions et te croyions (Jn 6,30 — ici : encore, la succession des 3 verbes est bien indiquée). D'où la conclusion désabusée du “ Livre des Signes ” (12,37): “ Alors qu'il avait fait tant de miracles devant eux, ils ne croyaient pas en Lui ”.

Il manifesta sa Gloire: Pourquoi donc n'est-elle reconnue que de ses disciples ? — Parce que la glorification dont parle Saint-Jean n'est pas la Transfiguration mais La Croix, comme Jésus le déclare solennellement au début et à la fin de son Discours d'ADieu (Jn 13,31-32 Jn 17,1-5). C'est pourquoi aussi, Il l'annonce comme une “ élévation ”, qui en fera un étendard (Jn 3,14 // Is 11,12) qui attirera tout à Lui (12,32), en faisant “ connaître qui je suis ” (8,28).

Ce < Je suis > nous renvoie au Nom de Dieu révélé à Moïse lors de sa vocation (Ex 3,14 *); et J.P. Charlier (p. 436,438,445) comme D. Mollat | (p. 97-100) soulignent ce //, puisque Moïse lui aussi fera des signes, les Dix Plaies d'Egypte, mais qui se heurteront à “ l'endurcissement du coeur ” de Pharaon, puis d'Israël lui-même (// Nb 14,21-24). À Cana, il y a plus grand que I Moïse: il y a < Je suis > en personne. À sa mort, sur la Croix, sa Gloire divine éclatera si bien que le centurion de garde, un païen, reconnaîtra lui-même: “ Vraiment cet homme était Fils de Dieu ” (Mc 15,39). Et tous les signes que Jésus pose dès le commencement de son ministère le sont en référence au Signe total où se manifeste “ l'Amour accompli du Père ” (§ 24 ) — Mt 3,17 * et I Jn 13,1 ; 15,13). C'est dans la mesure même de cette référence que ces signes deviennent “ symboles révélateurs de la mission dont Jésus est chargé ” : vin de la Nouvelle Alliance, purification du Temple (Jn 2,18-22), puissance de la Parole (4,53-54) — miracle du centurion, à Cana encore), pain de vie, illumination (de l'aveugle-né), résurrection (de Lazare) — cf. D. Mollat. p. 94 ss.

Dans ces conditions, il n'est pas excessif de voir dans le changement de l'eau en vin, le symbole du vin eucharistique, qui devient sang du Christ, parle sacrement (A. Feuillet: Et. Jo. p. 29). C'est le même rebondissement d'un symbole à l'autre que des mariés de Cana au Christ-Époux et à sa Mère, figure elle-même de l'Église, épouse du Christ.

// Jn 11,40 — La résurrection de Lazare est l'ultime grand signe que fait le Christ pour annoncer la Gloire que manifestera son mystère pascal (ch. 12,23-36). Or la foi n'est pas nommée comme l'effet résultant de la manifestation de la Gloire de Dieu, mais comme sa condition: “ Si tu crois ”. De même, à Cana, la condition pour que le Christ laisse voir par le mystère de l'eau changée en vin de noces, quelque chose du mystère pascal et eucharistique, c'était la foi imperturbable et préalable de Marie. Car les disciples crurent à la suite du miracle, mais Marie, avant! “ Quoi qu'il vous dise, faites-le ”.

La Tradition commente ce Mystère sous ses trois aspects connexes :

- 1) littéral et historique : la présence du Christ à ces noces ordinaires confirme que le mariage accomplit le Dessein de Dieu sur sa création (Gn 1,28 et 2,24). La virginité religieuse elle-même ne doit pas en être exclue (Cyrille d’Alexandrie et Augustin).

— 2) anthropologique et mystique: Le mystère d'unité des noces (Gn 2,24) demande à s'accomplir non seulement entre l'homme et la femme, mais à l'intérieur de l'être humain lui-même, entre corps et âme ; et plus radicalement encore, entre l'homme et Dieu (Isaac de l’Etoile).

— 3) scripturaire enfin: L'enrichissement de l'eau en vin symbolise l'accomplissement du sens de l'Ancienne Alliance dans celle qu'instauré Jésus-Christ en son Sang (Augustin). Que le vin de Cana puisse être ainsi le signe du Mystère de l'Écriture non moins que de l'Eucharistie n'est pas si gratuit qu'il pourrait paraître : la preuve en est que dans son Discours sur le Pain de Vie, le Christ lui-même passera comme insensiblement de la Parole de Dieu au sacrement de son Corps, l'une et l'autre ayant valeur de nourriture, l'une et l'autre étant Lui-même, Jésus, Parole de Dieu puisqu'il est le Verbe, ayant pris corps pour devenir notre Pain :

Cyrille d’Alexandrie: Sur Jn 2,1-4 (PG 73,225): Il convenait que Celui qui venait rénover la nature même de l'homme, et l'appeler tout entier à un état meilleur, non seulement apportât sa bénédiction à ceux qui étaient déjà en ce monde mais instituât une grâce pour ceux-là aussi qui viendraient plus tard, et rendît sainte leur naissance. Et j'ai encore une troisième raison [= corriger la malédiction de la Genèse “ Tu enfanteras dans la douleur ” (Gn 3,16)].

Par sa présence, il honore les noces, lui qui est la joie de tout ce qui existe. Car “ si quelqu'un est dans le Christ, il est nouvelle créature ”, dit saint Paul... les choses anciennes sont passées, et le renouveau est là (2Co 5,17).

Augustin : Tr. 9,2 (PL 35, 1459): La virginité Consacrée à Dieu n'est pas frustrée des noces: elle est < épouse > avec toute l'Église, dans ces noces où le Christ est l'Époux. Le Seigneur invité aux noces de Cana s'y rendit donc, à la fois pour se manifester comme le garant de la chasteté conjugale, et pour mettre sur la voie du mystère nuptial. Car l'époux des noces de Cana était une figure du Seigneur. Le maître du festin lui dit en effet: “ Tu as gardé jusqu'à présent le bon vin. ” Or c'est le Christ qui avait jusqu'alors le bon vin, à savoir son Évangile.

Cyrille d’Alexandrie : Sur Jn 2,5-6 (PG 73,225) : [le Seigneur acquiesce au désir de sa mère] C'est une magnifique démonstration de l'honneur dû aux parents [Tes père et mère honoreras...], que le Christ se soit décidé à faire, par égard pour sa mère, ce qu'il ne voulait pas faire. Cette “Femme”, ayant grande autorité auprès du Seigneur son Fils, le persuade de faire le miracle. Elle commence d'y mettre la main quand elle ordonne aux servants de faire ce que le Seigneur va dans un instant leur commander.


Isaac de l’Etoile: Sermon (PL 194,1719-1721 ; SC 130 p. 204ss): Quand je pense à ces noces, le mystère caché m'intéresse plus encore que le miracle visible. Le miracle donne à la foi un appui; le mystère la fait monter plus haut. le miracle est un signe pour les infidèles, le mystère un sacrement pour les fidèles. L'un et l'autre sont utiles, sont grands, sont divins.

Le livre de la Sagesse divine [le Verbe] est écrit au-dedans et au-dehors, pour que ceux qui entrent et qui sortent y trouvent leur pâture (Jn 10,9). Au-dehors l'histoire, au-dedans le type. Le premier de ces deux livres est tout entier écrit à l'intérieur: en lui peuvent lire les bienheureux à qui est donné de voir et de lire, là où le Père a écrit toutes choses, en une seule fois et tout à la fois, de toute éternité ; c'est de là que sont transcrites toutes les choses qui se peuvent lire dans le second livre, c'est-à-dire dans l'esprit raisonnable.

Le premier livre, c'est le Verbe de Dieu en personne, la Sagesse en personne; le second, c'est l'esprit créé, qui est, lui aussi, écrit tout entier à l'intérieur. Dans le Verbe, toutes choses — dans l'esprit créé, la ressemblance de toutes choses: l'esprit créé est l'image de la Sagesse incréée.

Dans le livre extérieur des miracles, voyons ce que nous a dit extérieurement le Verbe de Dieu: car l'oeuvre même du Verbe est un verbe. Voyons-le dans son oeuvre comme dans son corps: son oeuvre, en effet, est un voile, elle aussi.

Il y a, me semble-t-il, trois noces différentes : la première est extérieure; la seconde, intérieure ; la troisième, supérieure... La première est entre les hommes, la seconde chez les hommes, la troisième au-dessus des hommes. La première est entre la chair et la chair; la seconde, entre la chair et l'esprit; la troisième, entre l'esprit et Dieu. La première rend un deux êtres différents qui m sont plus deux, dit l'Écriture, mais une seule chair (Mt 19,6); la seconde rend encore plus un deux êtres contraires : l'âme raisonnable, et le corps qui s'oppose à elle, ne font plus qu'une personne; la troisième rend un éminemment deux êtres qui n'ont aucune parité, puisque celui qui adhère à Dieu est un seul esprit avec lui (1Co 6,17).

Dans les premières noces, la chair adhère à la chair et cela fait une seule chair; dans les secondes, la chair adhère à l'esprit et l'esprit à la chair, et cela ne fait ni Une chair ni Un esprit, mais un homme ; dans les troisièmes, l'esprit adhérant à Dieu devient un avec lui, devient ce qu'il est Lui-même. C'est pourquoi le Fils dit au Père en faveur de ses frères : “ Je veux, Père, que comme Moi et Toi nous sommes un, ceux-ci soient un avec nous, eux aussi. ” (Jn 17,21).

O l'un avant toutes choses, /'un au-dessus de toutes choses, /'un après) toutes choses, /'un d'où viennent toutes choses, /'un pour qui existent toutes] choses! Unité vraie, là où deux ne sont plus qu'une seule chair ; unité plus vraie 1 encore, là où esprit et chair sont un seul homme ; unité la plus vraie, quand l'es-1 prit adhérant à Dieu n'est plus qu'UN avec Lui... Par les premières noces, l'homme commence d'exister ; dans les secondes, il est formé ; dans la troisième, il est consommé.

C'est pour la troisième qu'il existe et subsiste : par des hommes, un homme vient à l'existence, pour Dieu.

Mais pour qu'il puisse un jour parvenir par grâce à cette fin vers laquelle il tend par nature, des noces mystérieuses ont eu lieu, entre les secondes et les troisièmes : ces noces mystérieuses sont celles du Verbe et de la chair, du Christ et I de l'Église. Dieu était très loin de l'âme ; mais sans Dieu, l'âme ne pouvait être heureuse, ni être fécondée légitimement. “Nos péchés, dit l’Écriture, ont mis lai division entre nous et le Bien — c'est-à-dire Dieu — comme entre un homme et une femme ” (Jr 3,20). Alors s'est introduit par fraude l'adultère [le Démon]... Dieu a supprimé le mur du péché derrière lequel s'était glissé l'adultère: il a réconcilié en lui-même la femme à l'homme (Jr 31,22), l'homme à Dieu. Les vieilles inimitiés, il les a clouées à la Croix.

Tel est le mystère du Médiateur, qui pour intercéder valablement subsiste en deux natures : il a apporté tout ce qui est de Dieu, il a assumé tout ce qui est de l'homme, et n'a pas admis le troisième, l'intrus : car le Christ n'est que Dieu et homme, mais il l'est totalement. Par lui seul, l'épouse infidèle et répudiée est de nouveau admise. Plus haute et plus forte que la Loi, la grâce lui donne de revenir à son Époux. Le prophète l'avait jadis annoncé: “ Tu t'es prostituée à tous tes amants, et cependant reviens à moi, dit le Seigneur ” (Jr 3,1).

Telles sont les noces mystérieuses, célébrées après les secondes et les troisièmes, mais qui ont leur place logique entre les deuxièmes et les troisièmes, en ce sens qu'il y a d'abord les noces entre chair et chair, puis les noces entre esprit et chair, puis les noces entre le Verbe et l'homme, enfin les noces entre Dieu en l'esprit.

Jésus n'est pas passé par les premières noces : ni engendré par elles, ni engendrant par elles. Mais, invité, il y est venu pour les consacrer par sa présence, et afin de signifier mystiquement qu'il faisait partie, lui aussi, des noces, qu'il est même venu pour des noces...

Augustin: Tr 9,3 (PL 35,1459): Le mystère commence à se dévoiler. Les temps antiques avaient eu la prophétie — et jamais la prophétie n'avait manqué. Mais la prophétie, quand on n'y lisait pas le Christ, n'était que de l'eau. L'Apôtre nous suggère ce qu'il faut en penser : “ Jusqu'aujourd'hui, dit-il, chaque fois qu'on lit Moïse, un voile est posé sur leur coeur ” (2Co 3,14-16), et n'en est pas enlevé — car c'est dans le Christ qu' il passe. Et quand tu seras passé au Seigneur, ajoute-t-il, alors le voile sera enlevé (2Co 3,14-16 dans le texte biblique dont usait saint Augustin). Saint Paul appelle < voile > ce quelque chose d'obscur qui recouvre les prophéties et les rend difficiles à comprendre. Le voile est enlevé quand tu passes au Seigneur : alors, l'eau pour toi, est changée en vin. Parcours tous les livres des prophètes : si tu ne lis pas le Christ entre les lignes, quoi de plus insipide et de plus vain ? Mais, dans leurs discours, entrevois le Christ : alors, non seulement tu savoures ta lecture, mais elle t'enivre: ton esprit dépasse la lettre, tu oublies ce qui était en arrière, et tu es tendu vers ce qui t'appelle en avant (Ph 3,13). Sur ce thème, cf. Fauste de Riez : Homélie pour l'Epiphanie, dans “ Livre des Jours ”, p. 167-168.

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Bible chrétienne Evang. - § 27. Les tentations du désert: Mt4,l-ll; Mc 1,12-13; Lc 4,1-13