Bible chrétienne Evang. - § 30. Jésus à Nazareth: Jn 2,12; Mt 13,53-58 = [§ 139>139].[§ 144>144]; Mc 6,1-6 = [§ 144>144]; Lc 4,16-30

§ 30. Jésus à Nazareth: Jn 2,12; Mt 13,53-58 = [§ 139>139].[§ 144>144]; Mc 6,1-6 = [§ 144>144]; Lc 4,16-30


Mt 13,53-58= § 139 .144
Mc 6,1-6 = § 144
Jn 2,12 Mt 13,53-58 Mc 6,1-6 Lc 4,16-30)

Jn 2,12 — Capharnaum se trouve aussi indiqué en Mt 4,12-13 (§ 28 ), comme point de départ de la prédication du Christ. Saint-Jean précise que Jésus est encore “ avec sa mère et ses < frères > * ”; mais il ne parle que de “ quelques jours ”. Marie ne sera plus nommée parmi les “ quelques femmes ” qui l'accompagnèrent par la suite (§ 124 ) — Lc 8,1-3. Mais elle sera au Calvaire (§ 354 ).

Lc 4,16 — Il vint à Nazareth: Ce passage à Nazareth — “ où il avait été élevé ”, rappel discret de Lc 2,39-40 Lc 2,51-52 — se trouvait aussi mentionné par Mt 4,13, et sous la même forme inusitée (araméenne) de < Nazara >. Par contre, la rupture qui résultera de sa prédication dans la Synagogue est située par Mt et Mc plus tard (§ 144 ) ; et certains détails du récit de Luc lui-même le confirmeront: cf. Lc 4,23-27 *.

Pourquoi donc Luc détache-t-il ainsi l'épisode, en tête? Évidemment parce qu'il y voit le moyen de présenter plus concrètement le programme du Christ, dont Mt 4,17 et Mc 1,15 nous présentaient le canevas (§ 28 *). Ainsi, les Évangélistes n'inventent rien, mais se montrent libres vis-à-vis d'une chronologie dont l'exactitude matérielle n'est que le cadet de leurs soucis.

Sur ce paragraphe, cf. A. George: La prédication inaugurale... dans Bvc sept. 1964, p. 17-29. L'analyse de ce qu'il y a de propre à Mt et Mc se trouvera au § 144 *.

Selon sa coutume... le jour du sabbat à la synagogue *: Cette coutume, annoncée au verset précédent (§ 28 ) se vérifiera en Lc 4,33 Lc 4,44 Lc 6,6 Lc 13,10. De même les Apôtres “ prêcheront Jésus dans les synagogues, proclamant qu'il est le Fils de Dieu ” (Ac 9,20 Ac 13,5 Ac 13), où l'on retrouve un cérémonial parallèle: jour de sabbat / Paul entre / s'assied / puis, sur invitation, prêche. Cf. encore Ac 14,1 Ac 17,1 Ac 17,10 Ac 17,17 Ac 18,4 Ac 18,19 Ac 19,8). Le jour du sabbat, parce que c'est ce jour-là qu'on s'y réunissait pour méditer la Parole de Dieu. Et voici qu'en Jésus, c'est la Parole qui est là, en personne, incarnée...

Il se leva pour... : C'est Lui qui prend l'initiative. Déroulant le Livre, il trouva: donc il a choisi la prophétie.

// Is 61,1-4 Is 61,7 — La citation de Luc abrège, en même temps qu'elle rappelle d'autres prophéties convergentes : la vue retrouvée des aveugles est annoncée en Is 35,5 et surtout Is 42,7 Is 42,16-19, l'un de ces < Poèmes du Serviteur > dont nous avons déjà donné le 1° verset au § 24 , en // à Mt 3,17 ou à Lc 3,22. Les opprimés libérés se trouvent en Is 58,6 (en un tout autre contexte).

Dans son ensemble, Is 61,1-7 baigne dans une atmosphère de joie messianique. Luc en retient plutôt les articulations essentielles: 1) l'origine — 2) le but — 3) ceux à qui s'adresse cet Évangile:

1) L'Esprit du Seigneur est sur moi (Is 61,1) correspond en effet à “ Voici mon Serviteur... J'ai posé mon Esprit sur Lui ” (Is 42,1), comme le ministère du Christ suit l'investiture du baptême.

§ 30 // M'a oint = < Christ > — // M'a envoyé : < Envoyé > est un des noms dont Jésus se désigne, surtout en Saint-Jean. Toute son action rédemptrice est “ sous l'impulsion de l'Esprit ” (§ 27 ) — Lc 4,1 *) ; Il prêche et fait des miracles “ dans la Puissance de l'Esprit ” (§ 28 ) — Lc 4,14 *).

2) pour... les pauvres, les captifs, les aveugles, les opprimés : À la vocation de Lévi, Jésus ajoutera: les malades et les pécheurs (§ 42 ). Sur les < pauvres >, cf. § 50 *. Tout au long de l’A.T..., notamment par ses prophètes ou dans les psaumes, Dieu a proclamé son souci des pauvres: par exemple Ps 9,13 Ps 9,19 Ps 10,14 Ps 10,17 Ps 12,6 Ps 14,6 etc. et en particulier dans les grands psaumes messianiques: Ps 22,25-27 Ps 69,34 Ps 72,4 Ps 72,12-13. De même pour les captifs: Ps 68,7 Ps 68,19 Ps 69,34 Ps 85,2 Jr 30,3 Jr 31,23 Jr 32,44 Jr 33,7 Jr 33,11 etc.

3) aux captifs et aux opprimés, la liberté; aux aveugles la lumière, aux pauvres l'évangile: donc il ne s'agit pas tant de bienfaits matériels, même si des aveugles retrouveront la vue, que de l'accès à une vérité évangélique qui libère en illuminant. Et par conséquent aussi, Jésus ne vient pas tant pour ceux qui sont physiquement aveugles ou prisonniers, mais pour nous guérir tous de notre cécité et captivité spirituelles (Jn 10,40-41 et Jn 8,32), par cet Evangile, c'est-à-dire par cette annonce même de ce qu'il est, par lui-même, Annonce et Manifestation de l'Amour de Dieu pour nous (§ 78 ) — Jn 3,16 *). Dans la citation d'Is 61,1 par Luc, il y a en effet 1 fois < évangéliser > et 2 fois < proclamer le kérygme > (traduit ici par < annoncer >, pour la simplicité).

// Lv 25,10 Lv 25,55 — L'année de grâce du Seigneur, c'est tout ce qui précède. Devait l'annoncer le Jubilé de la Loi mosaïque, visant à la libération des terres et des hommes. L'Ancienne Alliance fut bien peu observée sur ce point. Le Christ vient l'accomplir, de façon transcendante, par sa Rédemption. Cf. D. Barsotti: Thrènes Esdras, Téqui 1980, p. 231-235.

Notons qu'Is 61,2 b rappelait que l'année de grâce deviendrait “jour de vengeance ” pour ceux qui n'y répondraient pas. Ambivalence annoncée dès la prophétie de Syméon (§ 11 ) — Lc 2,34-35. Mais dans cette annonce inaugurale, Luc ne retient que l'invitation à recevoir la grâce rédemptrice.

Lc 4,21 // Lc 13,32 Ps 95,8 He 3,13 — “ L’Aujourd'hui ” du Salut, est particulièrement souligné par Luc: à l'annonce de la naissance de Jésus (§ 10 ) — Lc 2,11, lors de ses miracles (Lc 5,26), à Zachée (Lc 19,5 Lc 19,9), au bon larron (Lc 23,43). Entre les préparations de l’A.T. et les temps de l'Église, à venir (Ac), l'Evangile est le temps du Christ, temps primordial du “ en ce temps-là ” *, éternellement actuel et actualisable, désormais.

s'accomplit cette Écriture: C'est le thème de l'accomplissement * des Écritures dans et par le Christ (cf. C.H. Dodd). Là-dessus se fonde leur interprétation par mise en // .

À la lumière d'Isaïe, Jésus ne se présente donc pas tant comme le < Messie > (pour ne pas prêter aux déviations temporelles), bien qu'il le soit, comme < Oint du Seigneur > : il s'annonce plutôt comme inspiré par l'Esprit, et à ce titre prophète, évangélisateur, libérateur, mais au titre de Serviteur des pauvres. En d'autres termes, cela rejoint le programme de la prédication évangélique selon Mt 4,17 ou Mc 1,15: Le Règne de Dieu est là: croyez à cet Évangile.

// Ps 45,3 — Les paroles de grâce (Ac 14,3 Ac 20,32) : < Grâce > doit être entendu surtout au sens fort du Don de Dieu qu'est la grâce du Jubilé, qu'il vient de proclamer; sans exclure cependant le sens imagé de l'apparence gracieuse des paroles et de Jésus lui-même, tel que le voient ses compatriotes (v. 20).

N'est-il pas le fils de Joseph, ne témoigne donc pas d'un doute, mais de leur émerveillement devant cet enfant du pays devenu prophète, “ plein de grâce et de vérité” (Jn 1,14 *).

Lc 4,23-27 — Ce que tu as fait à Capharnaum: Ces miracles ne viennent qu'après, en Lc 4,31-41 etc. Donc cette apostrophe du Christ s'explique en réalité parce qu'elle a été dite plus tard (comme l'indiquent Mt et Mc). Alors, les gens de Nazareth auront entendu parler de “ tous ces miracles qui se font par ses mains ” (Mc 6,2), et ils demandent qu'il en fasse au moins autant pour son village natal: c'est donc la même < tentation > que celle de Satan au désert: détournement de la Puissance divine, qui habite le Christ, à des prodiges gratuits, pour la gloriole du thaumaturge — et de ses compatriotes par ricochet — en même temps qu'< épreuve > pour savoir s'il possède vraiment, à sa discrétion, un tel pouvoir. Autrement dit: “ ils manquent de foi ” (Mc 6,6) et c'est la < cause > pour laquelle Jésus ne veut pas faire de miracles (Mt 13,58), comme plus tard devant Hérode (§ 146 ), ou pour répondre à la demande des Pharisiens (§ 120 ).

Lc 4,23 // Lc 5,31 Jr 8,21-22 — “ Médecin, guéris-toi toi-même ”: Comme proverbe, l'objection prend le ton goguenard et vulgaire de l'incrédulité. Mais Jésus voit plus loin: il y discerne une “parabole ”, où Il se reconnaît comme “ médecin ” (// Lc 5,31), qui se rend solidaire du Mal dont il veut nous guérir, non pas en magicien glorieux mais en portant lui-même notre croix et en s'y laissant clouer (// Jr 8,20-21).

Lc 4,24 — Prédiction désabusée, que rapportent non seulement Mt 13,57 et Mc 6,4 mais Jn 4,44. Cependant, les termes des 3 autres Évangiles sont un peu différents: en Luc, ce n'est pas seulement de n'avoir pas été “ honoré ” comme prophète que se plaint Jésus, mais de n'être pas “ agréé ”. Or, en grec, c'est le même mot que “ l'année de grâce ” que le Christ vient d'annoncer (Lc 4,19). En ne la recevant pas dans la foi, les gens de Nazareth perdent la grâce qui leur était offerte...

Mais la solennité de la formule d'introduction (“ Amen, je vous le dis ” — cf. § 53 *) contribue à faire penser que Jésus ne parle pas seulement du cas présent : “ Sa pensée oppose Israël aux Gentils plutôt que Nazareth à Capharnaüm. Elle dépasse même le temps de sa vie terrestre puisqu'elle envisage les miracles chez les Gentils (qui, de son vivant, restent exceptionnels : § 156 ) — Mt 15,24 *. Elle a ici une valeur prophétique et annonce le temps où la foi des Gentils succédera au refus d'Israël. Luc sait que la prophétie s'est réalisée, et il le montrera dans le livre des Actes (Ac 13,40-49 Ac 18,6 Ac 28,23-28) ”. A. George; art. cité, Bvc 1964, p. 24. Cette universalisation des perspectives explique le recours à des antécédents eux-mêmes beaucoup plus généraux :

Lc 4,25-27 // 1R 17,1-16 2R 5,1 2R 5,10-14 — Le style sémitique (“ les jours d'Elie ”), et la forme orale (rythmée, à répétition) de ces 3 versets, dans un passage qui, par ailleurs, est très lucanien (cf. Syn BJ n, p. 89-90) indiquent-ils que Luc reprendrait ici une tradition antérieure? (voir Introduction, § litteralité de la tradition orale).

Le rejet des prophètes par Israël sert souvent d'exemple au Christ, en particulier pour annoncer quel sera son propre sort (Lc 6,23 Lc 11,47-51 Lc 13,33-34). Ici, il s'agit plus précisément du transfert de la vocation et de la grâce d'Israël aux païens. Dans les miracles d'Elie et d'Elisée, l'Église reconnaîtra, en particulier dans sa liturgie, la préfiguration des miracles du Christ, eux-mêmes significatifs des sacrements de l'eucharistie et de la guérison du péché (Sur les miracles évangéliques, et leur rapport avec les sacrements, cf. § 32 -37 *).

Ainsi, d'après Saint-Luc, cette prédication inaugurale du Christ comporte bien les 3 points du < Kérygme > * tel que le résume Mc 1,15: Règne de Dieu accessible en Lui; mais à condition de se convertir et de croire à cet Évangile. Nazareth est donc l'image préalable du drame du refus d'Israël, qui aboutira à la Passion. Mais il guette encore chacun de nous, comme en avertissent les termes universels du Prologue de Saint Jean, Jn 1,11-13 *.

Naaman rappelle notamment que la conversion et la purification ne sont pas tant l'effet d'actions difficiles, accomplies comme à la force de notre poignet, que “ le don de Dieu ” (Jn 4,10 *) ; et ce que nous avons à faire a surtout pour valeur d'être signe de “ l'obéissance de la foi ” (Rm 1,5 Rm 16,26).

D'après 1R 18,1, la sécheresse dura tout au plus 3 ans. Pourquoi donc Luc ajoute-t-il: “ 3 ans et 6 mois ” (Lc 4,25), comme d'ailleurs le 5,17 (citant Élie en exemple de l'efficacité de la prière) ? Est-ce parce que “ 3 ans et demi ” est, selon Da 7,25 et Da 12,7, la durée symbolique qui nous sépare de la Fin des Temps — et durant laquelle la nourriture eucharistique, sans cesse renouvelable, doit nous sustenter comme la veuve de Sarepta (cf. note de Tob sur Lc 4,25)?

Lc 4,28-29 // Ac 7,57 — Une ressemblance de plus entre la Passion d'Etienne et celle du Christ. Hors la ville: comme il en ira au Golgotha. He 13,11-15 le soulignera (se trouve en // au § 352 ).

Lc 4,30 // Ps 141,8-10 — La finale du psaume fait sentir la suprême liberté dont jouit intérieurement le Christ, du fait qu'il n'a qu'une seule perspective: l'Heure et la Volonté du Père. C'est la libération que peut apporter, à nous aussi, l'espérance. Mais ce “ // Allait... ” sonne déjà comme une première mise en route vers Jérusalem et vers sa Passion, car c'est ce même verbe qui va scander la marche de Jésus vers son Destin, à partir de Lc 9,51 (Cf. § 183 ) — Lc 9,51 *; et Lc 13,22 Lc 17,11 Lc 19,28...

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§ 31. Vocation de Pierre et André, Jacques et Jean: Mt 4,18-22; Mc 1,16-20; Lc 5,1-3.10-11



(Mt 4,18-22 Mc 1,16-20 Lc 5,1-3 Lc 5,10-11)

La vocation, dans toute sa simplicité: Dieu est là — Il t'appelle — laisse tout ce que tu avais entre les mains — et suis le Maître (cf. Règle de saint Benoit: De l'obéissance, ch. 5, 7-9).

Mt 4,19; Mc 1,17) — Pêcheurs d'hommes: Cf. § 38 *.

// Gn 12,1 Rt 1,16, C'est la même vocation, aux origines de l'Ancienne Alliance ou de la lignée messianique de Jessé, et de l'Église: parallélisme entre A.T... et N.T.

// 1Co 1,28 1Co 1,29 — Toujours, le choix de Dieu est bien fait pour nous inviter à ne pas nous appuyer sur nos faibles possibilités, mais sur sa Puissance, qui se reflétera en nous si notre humilité est assez pure pour en être le miroir.

Rupert de Deutz  : Sur Mt m (PL 168, 1383-84) : — De même que le soleil, quand il paraît, ne voit pas seulement les miroirs mais forme en eux son image — et son image brille une seconde fois en eux — ainsi le vrai Soleil n' eut qu'à voir Pierre et André, Jacques et Jean, âmes pures n'ayant aucune part aux ténèbres, et sa lumière fut captée par eux ; l'image de la vraie Lumière se forma dans leur coeur par la foi.

Dans quelle situation les vit-il ou les trouva-t-il, ces hommes dont il pénétra la pureté de coeur et la foi transparente ? Il les trouva “ lançant leur filet dans la mer ”, ou raccommodant leurs filets, “ car ils étaient pêcheurs ”. Pourquoi donc Dieu a-t-il choisi des pauvres plutôt que des riches ? Disons plutôt : “ Ceux qu'il a élus avant la création du monde, qu'il a connus et vus d'avance conformes à l'image de son Fils ” (Rm 8,29), ceux qu'il se proposait d'appeler, de justifier et de glorifier, pourquoi a-t-il voulu qu'ils naissent pauvres en ce monde? Eh bien, pour leur instruction! Car la conscience d'être pauvre est une grande science et une grande valeur, pour que la créature sache et reconnaisse ce qui devant le Créateur est vraiment beau et juste, à savoir son ordre. Quel ordre? Celui auquel l'Apôtre s'efforce de nous initier quand il s'exclame : “ O profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont impénétrables, et ses voies imprévisibles ! Car qui donc a connu la pensée du Seigneur, ou fut son conseiller? Qui donc lui donna le premier, pour qu'il lui soit rendu ? De Lui, par Lui et en Lui sont toutes choses. Gloire à Lui dans les siècles des siècles, Amen! ” (Rm 11,33-36).

Tel est l'ordre légitime, l'ordre nécessaire : que la créature se soumette au Créateur, sachant et confessant que de Lui, par Lui et en Lui sont toutes choses, tout le bien que peut avoir l'homme bienheureux ou l'ange saint. Or, pour cette science et connaissance, rien ne vaut la fournaise de la pauvreté première, que l'on garde dans la mémoire. C'est de cette pauvreté que les fils d'Israël furent appelés ; c'est dans cette pauvreté que furent trouvés Pierre et les autres Apôtres, des hommes simples et sans lettres, et en outre sans argent. Plus ils devaient recevoir les dons de Dieu, plus il leur fallait avoir conscience de leur grande pauvreté, afin de porter ces dons avec une âme constante et inébranlable, parce que fondée sur l'esprit d'humilité. Car “ les gonds de la terre appartiennent au Seigneur ” (1S 2,8) ; et saint Jérôme dit qu'au lieu des < gonds >, l'hébreu porte ici “ les affligés de la terre ”. Et c'est sur eux que le Seigneur a posé le monde. Cette affliction, c'est l'humilité, qui les rend constants et forts pour porter le globe du monde. La solidité rend les objets matériels plus résistants aux chocs et heurts; la vertu d'humilité en fait autant pour les esprits: l'âme ne s'élève pas de ses dons spirituels quand elle a une conscience aiguë de sa pauvreté première ou de ses malheurs. Le globe terrestre que le Seigneur a posé sur les affligés de cette sorte, c'est son Église : il leur en a confié le gouvernement, quand il a dit à Simon Pierre : “ Et moi je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ” (Mt 16,18).

Grégoire le Grand; Hom 5 sur Mt (PL 76,1093): Vous avez entendu, mes frères, qu'au premier appel Pierre et André laissèrent leurs filets et suivirent le Rédempteur. Or ils ne lui avaient encore vu faire aucun miracle ; il ne leur avait rien dit de la récompense éternelle ; et cependant, sur un seul ordre du Seigneur ils oublièrent tout ce qu'ils paraissaient posséder. Et nous, combien avons-nous vu de miracles, combien avons-nous éprouvé de fléaux, que de menaces nous effraient! — et nous dédaignons de suivre Celui qui nous appelle.

... Mais peut-être l'un ou l'autre d'entre vous se dit-il en lui-même: “ Qu'ont-ils laissé, à la voix du Seigneur, ces deux pêcheurs qui n'avaient presque rien ? ” En cette affaire, frères bien-aimés, nous devons peser plutôt l'amour que l'argent. Il a beaucoup laissé, celui qui n'a rien gardé pour lui! Il a beaucoup laissé, celui qui a abandonné tout le peu qu'il avait! Quant à nous, non seulement nous gardons avec soin ce que nous possédons, mais nous poursuivons avec convoitise ce que nous n'avons pas. Pierre et André ont beaucoup laissé, quand ils ont abandonné, l'un et l'autre, jusqu'au désir d'avoir...

Pour les choses qui nous sont extérieures, le Seigneur se contente de peu. Il pèse le coeur, non l'argent. Il examine non pas combien on lui offre en sacrifice, mais de quel coeur on le fait. Si nous ne regardons que la valeur marchande, ces célestes spéculateurs ont acheté, pour une barque et des filets, une vie éternelle semblable à celle des anges. Il n'est pas question de fixer un prix — mais le Royaume de Dieu vaut tout ce que tuas... A Pierre et André, il a coûté une barque et des filets, à la veuve deux petites pièces, à tel autre un verre d'eau fraîche...

Allons, frères très chers ! Puisque nous célébrons la fête de saint André Apôtre, il nous faut imiter ce que nous honorons. La vraie fête est celle qui consiste dans un changement de l'âme ; elle prouve la sincérité de notre fête extérieure. Méprisons les choses de la terre, abandonnons ce qui passe, achetons de l'éternel. Si nous ne pouvons encore abandonner ce qui nous appartient, du moins ne convoitons pas les biens des autres! Si notre âme n'est pas encore embrasée du feu de l'amour, que du moins le frein de la crainte la retienne dans son ambition : elle fera des progrès, et deviendra forte. Pour aujourd'hui, elle se retient seulement de désirer le bien d'autrui, mais un jour elle méprisera même ce qui est à elle, par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui avec le Père et l'Esprit Saint, vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.

Mt 4,22; Mc 1,20 // Dt 10,9 — Déjà, dans l'Ancienne Alliance, les lévites n'eurent pas de territoire spécial (Jos 21), pour mieux témoigner que “ leur héritage ” était Dieu même — et dans leur ferveur, ils s'en réjouissaient (Ps 16,5-11 Ps 84,2-5). À plus forte raison, dans la Nouvelle Alliance, les Apôtres et leurs successeurs abandonnent-ils les ambitions terrestres pour l'héritage divin que leur assure le Nouveau < Testament >.

Irénée; Adv. Hoer. IV,5,4 (SC 100, p. 434): C'est à juste titre aussi que les Apôtres, descendance d'Abraham, laissèrent leur barque et leur père et suivirent le Verbe. Nous-mêmes enfin, ayant la même foi qu'Abraham, nous prenons notre croix comme Isaac prit le bois, et nous suivons le Verbe.

En Abraham, l'homme [des temps à venir] avait été pré-éduqué et accoutumé à suivre le Verbe de Dieu ; car Abraham suivit, selon sa foi, le commandement du Verbe de Dieu, cédant, d'un coeur prompt, son fils unique et bien-aimé comme un sacrifice à Dieu, afin qu'il plût à Dieu de livrer lui aussi son Fils Unique, le Bien-aimé, en sacrifice pour notre rédemption.

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§ 32-37. Prédication, guérisons, foules




Le cadre général de cette première période (§ 32 -165) est simple : La Parole du Christ s'accompagne de signes miraculeux qui la confirment (// Mc 16,20) et attirent les foules. À partir de Capharnaüm (§ 32 ), Jésus rayonne “ par toute la Galilée ” (§ 37 ) — soit “ dans la synagogue ”*, soit au bord du lac et dans les villes d'alentour, “ les jours de sabbat ”, ce qui explique le nombre relativement grand de miracles accomplis ce jour-là.

1) La Parole: À la différence des scribes, le Christ n'est pas seulement un commentateur des Écritures. Il est le Verbe, la Parole de Dieu à nous manifestée, qui fait donc autorité comme telle (Mc 1,22 Mc 1,27). C'est peut-être pourquoi Mc ne reprend pas dans le détail cet enseignement — que Mt et Lc nous ont heureusement conservé — mais y réfère plus globalement (Mc 6,2 Mc 11,18).

Ils étaient saisis d'admiration: Ce verbe “ connote l'impact du Salut de Dieu dans l'âme des hommes... Il a toujours un sens religieux ” (R. Laurentin: Jésus au Temple, p. 34). En 9,43, Luc précisera que cette admiration vient de ce que l'on découvre “ la grandeur de Dieu ” (§ 171 ).

Mais cette autorité ne s'attache pas moins aux guérisons (§ 33 ), car il s'agit de la Parole de Dieu, qui est par elle-même efficace: “ Il dit et ce fut ”...

// Si 10,1 Tt 2,15 Mc 16,20 Ac 4,24-30 — L'autorité du disciple prolongera celle du Maître, comme l'indique la finale de Mc 16,20. C'est là-dessus qu'elle doit se fonder, non sur un prestige trop bien < assis > (cf. § 287 *).

2) Les guérisons : Leur caractère miraculeux a suscité des réactions extrêmes. D'un côté, dans le premier enthousiasme de ses découvertes, la science du XIX° siècle crut devoir l'exclure. Ce n'était qu'un préjugé (de la philosophie rationaliste), donc anti-scientifique. En cette fin du XX°, les savants sont devenus plus circonspects, dans la mesure même où leurs découvertes ont fait expérimenter la complexité fuyante d'un réel dont on a même prouvé mathématiquement qu'elle excluait toute analyse rigoureusement exhaustive. Mais, de ses origines (au XIX°, et dans cette même ambiance rationaliste), l'exégèse a gardé une tendance réductrice, qu'a vulgarisée la tentative de R. Bultmann pour < démythologiser > (c'est-à-dire expliquer les récits miraculeux comme affabulation). Il est triste qu'on s'y soit rallié au moment où cette galère fait eau de toutes parts, du fait des progrès mêmes de la recherche exégétique, ces dernières années.

D. Barsotti ; La Parole et l'Esprit, p. 145 : Pour celui qui croit, l'exégèse de la Sainte Écriture ne doit pas ignorer la réalité du miracle, “ signe biblique ” qui se continue dans l'Église d'aujourd'hui...

Si l'on enlève à la Parole de l'Écriture Sainte sa dimension miraculeuse, qui est la dimension même de l'Histoire du Salut, l'Écriture reste un grand document religieux, mais peut difficilement apparaître comme Parole de Dieu. L'Écriture démontre qu'elle est Parole de Dieu, principalement en ceci qu'elle s'accomplit. J'ai toujours trouvé stupéfiants les efforts des exégètes pour réduire le miracle dans les textes inspirés, leurs efforts pour rendre le récit évangélique acceptable aux incrédules eux-mêmes. Peut-être une relative démythisation à laquelle obéit une certaine exégèse pourrait-elle être acceptable s'il était réellement impossible de sauver la véracité de l'un ou l'autre récit ; mais souvent on devine que la volonté démythisatrice correspond à une exigence qui n'est pas parfaitement objective, car elle part de présupposés faux.

On cherche à exclure, si possible, le miracle, non seulement de l'Ancien Testament, mais même du Nouveau — et l'on ne songe pas à se demander si vraiment Dieu n agit pas aujourd'hui comme il l'a fait dans les siècles passés... La meilleure preuve de la véracité de l'Évangile, son interprétation la plus authentique, c'est la vie des saints. Pourquoi ne lit-on plus les vies de saints ? Ce n'est pas seulement la piété des chrétiens qui en profiterait, mais aussi la science des doctes, si les doctes avaient un peu moins de suffisance et un peu plus d'humilité.

Par exemple : la multiplication des pains. Est-ce un acte d'intelligence de chercher une échappatoire pour éviter de reconnaître le miracle de Jésus, quand nous sommes obligés d'avouer que ce miracle s'est répété non pas une fois mais mille fois, et non seulement dans les siècles lointains mais dans la vie de la Vénérable Marie de l'Incarnation, de saint François Régis, du Curé d'Ars, de Don Bosco... ?

... Les hommes se comportent envers l'Eglise de la même manière que se comportaient les scribes et les Pharisiens envers Jésus.

Le Christ est avec nous, et sa présence reste toujours efficace. Aujourd'hui comme jadis, Dieu n'est pas un jongleur qui exhibe son savoir-faire pour être applaudi; il n'est pas un écolier qui passe un examen devant ses professeurs.

Qui sait le reconnaître? Aujourd'hui comme alors, Jésus, pour être reconnu, renvoie aux oeuvres qu'il accomplit: ses oeuvres lui rendent témoignage, aujourd'hui comme hier. Les humbles, les coeurs purs, le savent.

Mais la parole de Jésus se vérifie aujourd'hui encore : “ Je suis venu en ce monde pour qu'un jugement se fasse: que ceux qui ne voient pas, voient; et que ceux qui voient deviennent aveugles. ” Et des Pharisiens qui lui étaient hostiles et qui l'avaient entendu, lui demandèrent: “ Sommes-nous par hasard aveugles, nous aussi? ” Jésus répondit: “ Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché; mais au contraire vous dites: < Nous voyons clair! > À cause de cela, votre péché demeure ” (Jn 9,39-41).

Pour une critique historique honnête, critiquant ses propres présupposés méthodologiques et philosophiques, outre les règles générales indiquées par J. Guitton dans La critique de la critique, Oeuvres complètes il, p. 271-370, cf. R. Laurentin: Év. de l'Enfance, p. 452-458.

Mais, à l'autre opposé, ce n'est pas dire qu'il soit bon de céder sans contrôle à l'engouement — aussi vif aujourd'hui que de tous temps — pour les prodiges. D'abord, il est trop avéré qu'en ces domaines mystérieux, l'illusion et parfois la tromperie peuvent se glisser. Ensuite, il n'est pas sain de chercher une exaltation religieuse dans l'extra-ordinaire, alors que Dieu et l'union au Christ se trouvent dans toute la vie : on risque de substituer aux actes de la foi les rêves de la sentimentalité religieuse. C'est d'ailleurs ce qu'enseigne l'Évangile: à vue superficielle, il pourrait sembler une suite de récits merveilleux, où Jésus se joue des forces de la nature, des maladies, de la mort, du démon lui-même; mais en réalité, le Christ nous avertit de “prendre garde qu'on ne vous abuse” (Mc 13,5 Mc 13,22-23), et il se refuse à faire le magicien (Mc 8,11-12). S'il multiplie les miracles, dès Cana Saint-Jean nous avertit de les prendre comme “ signes ”* que le Règne de Dieu arrive, qui est une rédemption nous sauvant des maladies, de la mort et de l'emprise du Malin, suites du péché.

Mais c'est dire aussi que les miracles évangéliques se proposent expressément comme “ oeuvres de Dieu ”, actes de sa Puissance (Mc 5,30 Mc 6,14) et de sa bien-faisance, “ pour la Gloire de Dieu et le Salut du monde ” — et l'une par l'autre (cf. par exemple Jn 11,4). En accomplissant des miracles “ avec autorité ”, Jésus tout à la fois se manifeste lui-même comme Dieu et Fils de Dieu (Jn 5,21 Jn 14,10-11), et montre qu'avec Lui le Règne de Dieu est bien arrivé, en fonction de la foi avec laquelle on adhère ou non à cette révélation.

Or nous reconnaissons ici les 2 points du < Kérygme >* : le Règne de Dieu et la foi. Il y a donc une stricte correspondance entre l'enseignement du Christ et ses miracles : “ Ce sont deux moyens de révélation qui s'appuient l'un l'autre pour ainsi dire ; la parole rappelle que la valeur du miracle n'est pas dans sa forme, mais dans son contenu, et ce contenu, c'est l'annonce de la Rédemption. D'autre part, le miracle rappelle que cette parole de salut n'est pas une simple parole vide et vaine, mais une parole-énergie, une parole-acte, la parole de Celui pour lequel dire et faire sont un ” (P.H. Menoud: La signification du miracle... p. 185). Sur cette question, cf. aussi le cahier collectif d'“ Evangile ” sur Les miracles, à la réserve près de l'exemple malheureux donné à la page 31 où, dans “ une école catholique ”, à la réaction obvie de la petite Agnès (6 ans) que Jésus “ c'était Dieu aussi ”, le catéchète apprend à lui substituer cette conclusion débile: “ c'était un homme comme les autres avec plein, plein d'amour dans le coeur ” — ce qui est pervertir la foi en sensiblerie. Même s'il est vrai, et admirable, que certains miracles, comme celui de la multiplication des pains, ou de Naïm, ont été provoqués par la compassion du Christ...

Etant < signes > et < oeuvres de Dieu >, les miracles sont aussi très proches des sacrements, eux-mêmes signes, efficaces parce que le Christ en fait son oeuvre : “ C'est Lui qui baptise ” (Jn 1,33), qui remet au ciel ce que son prêtre, sur la terre, absout (§ 179 ), etc. Et pour être invisibles parce que spirituels, les effets des sacrements n'en sont pas moins < miraculeux >. Toutefois “ miracles et sacrements ne se confondent pas... Les miracles sont signes avant-coureurs de la venue du Règne de Dieu. Ils annoncent une Rédemption qui, dans son accomplissement intégral, est eschatologique. C'est pourquoi des miracles se produisent pendant toute la durée de l'histoire du Salut (A.T. : Exode, Prophètes — N.T.: Ac2,43; 4,30; 5,12; 6,8; 8,6-7.13; 14,3; 15,12; 1Co 12,9-10 2Co 12,12 Ga 3,5 He 2,4 — et jusqu'à nos jours, à Lourdes et ailleurs)

... Par contre les sacrements sont pour les croyants du temps de l'Église les signes par lesquels le Christ manifeste au milieu d'eux et en eux sa présence et sa puissance... Tous les fidèles ont à y participer, mais tous n'ont pas le pouvoir d'opérer des miracles ni d'en bénéficier. Autrement dit, les miracles sont des signes exceptionnels et facultatif s de la présence et de l'action de l'Esprit dans l'Eglise, tandis que les sacrements sont les signes normatifs et obligatoires du christianisme... Leur présence simultanée dans l'Église illustre de façon visible ce fait fondamental de la théologie chrétienne : le Salut se réalise en deux étapes ; il est à la fois historique et eschatologique. Les sacrements sont possibles parce que l'acte historique qui fonde le Salut a été accompli. Ils attestent que les fidèles “ ont la rédemption, la rémission des péchés ”, comme dit saint Paul (Col 1,14) ou qu'ils ont “ dès maintenant la vie éternelle ”, comme dit saint Jean (5,24), bref, que le Seigneur est déjà venu et qu'il demeure avec les siens pour les faire vivre de sa vie dans son Église. Les miracles annoncent l'accomplissement eschatologique, “ la rédemption de notre corps ”, comme dit saint Paul (Rm 8,23), “ la résurrection au dernier jour ”, comme dit saint Jean (6,40), bref l'arrivée encore attendue du royaume dans la puissance et dans la gloire (P.H. Menoud: Miracle et Sacrement, p. 139-154).

3) Les foules: Leur mention revient fréquemment tout au long du ministère de Jésus (voir les textes regroupés au § 37 ) — mais aussi, par exemple dans Mt5,l; 7,28; 8,1.18; 9,8.23.25.33.36 etc.; 14,5.13.14.15.19.22.23 etc.). “ Tout le monde le cherche ” (§ 36 ) — Mc 1,37), si bien que Jésus est littéralement assailli, n'a plus le temps de manger (Mc 3,20), et doit monter dans une barque pour mettre un minimum de distance avec son auditoire (§ 38 ) — Lc 5,3). Mais cette assiduité n'est pas désintéressée : elle est en quête de guérisons que Jésus, au début, multiplie (§ 35 ). Il sait pourtant qu'il ne peut se fier à cet enthousiasme collectif (§ 77 ) — Jn 2,23-25*) : beaucoup “ le lâcheront ” quand il voudra les faire passer du miracle de la multiplication des pains au sacrement de l'Eucharistie (§ 163 -164), et ce sont les mêmes foules des Rameaux qui crieront “ à mort! ” le Vendredi suivant. C'est que “ bien qu'il eût fait tant de signes devant eux, ils ne croyaient pas en Lui ” (Jn 12,37 — ce qui s'appelle croire.

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Bible chrétienne Evang. - § 30. Jésus à Nazareth: Jn 2,12; Mt 13,53-58 = [§ 139>139].[§ 144>144]; Mc 6,1-6 = [§ 144>144]; Lc 4,16-30