Bible chrétienne Evang. - § 63. Le jeûne :

§ 63. Le jeûne :





Nous retrouvons le récitatif des § 60 -61.

(Mt 6,16 — Le jeûne a valeur d'expiation et de purification (Lv 16,29 Lv 23,27), pour signifier le deuil (1S 31,13 2S 3,35), appuyer la prière (Da 9,3) et surtout s'en remettre à Dieu (cf. Vtb).

// 2S 12,16-19 Ba 1,2 Ba 1,5 Jdt 8,4-6 Jdt 10,1-3 — 3 exemples où l'extériorisation de la pénitence est bonne parce que significative de l'attitude spirituelle. La multiplication même des jeûnes peut être louable, comme dans le cas de Judith. Jésus a jeûné (§ 27 *), et il l'a prévu pour ses disciples après son Ascension (§ 43 *), comme on les voit le faire dès les Actes des Apôtres (13,2-3; 14,23; 27,9). Le jeûne n'a rien perdu de son actualité: cf. Redécouverte du jeûne, par P.r. régamey, J.M. Abd-el-jalil, etc. Cerf 1959.

// Za 7,5 — C'est la question essentielle, la même que dans cet Évangile.

Mt 6,17-18Rupert de Deutz  : Sur Mt VI (PL 168,1437-1438): “ Quand tu jeûnes, lave ton visage et parfume ta tête ”. Ce sont les coutumes de Palestine : on y parfume sa tête les jours de fête. Mais nous, qui n'avons pas l'usage de parfumer notre tête les jours de fête, que ferons-nous ? Prenons ici le sens anagogique ; que notre coeur déborde de joie, et ce sera vraiment parfumer notre tête, car “ Dieu aime celui qui donne joyeusement ” (2Co 9,7).... Et cette joie, c'est notre espérance déposée dans le ciel.



§ 64-67. Que rien ne détourne de viser Dieu : Mt 6,19-34; (Lc 12,33-34 Lc 11,34-36 Lc 16,13 Lc 12,22-31)



(Mt 6,19-34 Lc 12,33-34 Lc 11,34-36 Lc 16,13 Lc 12,22-31)



§ 64. Le trésor dans le ciel: Mt 6,19-20; (Lc 12,33)



(Mt 6,19-20 Lc 12,33)

— Opposition entre la terre et le ciel comme entre le temporel et l'éternel, l'évanescent et l'inviolable. Ce même ciel est déjà mentionné en Mt 5,45 et 6,9. Quelle que soit I l'actuelle méfiance pour cette visée du ciel — sous prétexte qu'elle risquerait de détourner des tâches de la terre, comme si elle ne les encourageait pas au contraire puisque c'est par là que l'on “ gagne son paradis ” — comment nier que ce soit la perspective constante de l'Évangile ? La visée du Christ, c'est le retour au Père : à douze ans, il l'affirme (§ 18 ) — Lc 2,49*) ; en mourant et en remontant au ciel, il nous y invite (Jn 14,3). Donc, au lieu d'amasser (Mt), mieux vaut vendre et distribuer l'argent aux pauvres (§ 207 *) : c'est ce que Jésus répondra au jeune homme riche en quête de vie éternelle (§ 249 ) : “ Si tu veux être parfait... ” (= Mt 5,48), vis pauvre et charitable (Mt 5,3 et 6,3).

Mt 6,21 Lc 12,34 — Le coeur, l'amour, se portent vers l'aimé, si bien que c'est en lui plus encore qu'en nous-mêmes que nous demeurons (Jn 15,4). Mais c'est plus qu'un lieu où l'on habiterait, inchangé. L'amour est union, fusion, identification: “ Je vis, ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi ” (Ga 2,20). Par contre, si “ mon trésor ” est terrestre, je suis moi-même mondanisé, profané (Ps 49,21 — le // Ps 39 le disait également):

jean de la croix: La Montée du Mont Carmel, I, 4 (p. 67) : L'affection et l'attachement à la créature égale l'âme avec la créature, et tant plus grande est l'affection, tant plus elle la rend égale et la fait semblable, car l'amour fait une ressemblance entre l'amant et la chose aimée.

Le trésor: Le même dont la parabole dira qu'il est caché dans un champ et que, pour l'acquérir, on vend tout le reste (§ 137 ) — Mt 13,44).

// Si 29,11 Si 31,8 — Annonce déjà le § 66 , par l'opposition entre les “ deux maîtres ” entre lesquels ont à se décider les disciples : “ les commandements du Très-Haut ” ou “ l'Or ”. L'expression “ marcher à la suite de l'or ” est au surplus la même que celle qui, dans les Évangiles, caractérise les disciples comme “ marchant à la suite ” du Christ.

// Col 3,1 — Cf. dans Ph 3 l'opposition, actuelle comme jamais, entre l'attitude des “ parfaits ” tout tendus vers le but qui est “ là-haut ” et ceux qui “ n'attachent de prix qu'aux choses de la terre ”. — Où est ton trésor? Au ciel ou sur la terre? (Voir au § 207 , les // Jb 22,23-26 et 1Ch 29,16 1Ch 29,18.

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§ 65. La lampe du corps:



C'est une parabole, avec passage du physique au spirituel. Le la joint d'ailleurs à celle du § 52 *, sur la lampe qui doit éclairer toute la maison.

Mt 6,22 Lc 11,34) // Qo 2,14 Pr 4,25 Qo 16,30 Si 31,12-13 — Savoir regarder franchement, sans duplicité ni avidité (Mt 5,28-29).

est pur... est mauvais: BJ, Tob, Osty traduisent: “ si ton oeil est sain... ou malade ”. C'est donner à ces adjectifs un sens par trop matériel, peu propre à faire image d'un mal moral. Il est vrai que < oeil pur > n'apparaît qu'ici dans tout le N.T.Mais dans l’A.T. comme dans le judaïsme, la double expression est classique, et tout à fait claire. Ainsi, Pr 22,9: “ Qui a l'oeil bon sera béni / pour avoir donné de son pain au pauvre ”; ou le Pr 28,22: “ L'homme qui a l'oeil mauvais, se hâte vers la fortune ”. S'appuyant sur une dizaine de citations du même genre, J. DuPlacy en tire la définition suivante (un peu trop adaptée à Mt20, 15, où se retrouve cet “oeil mauvais”): “L'oeil bon dit évidemment une attitude foncière d'amour des autres qui inspire une générosité de fait à leur égard. L'oeil mauvais par contre, c'est une attitude foncière d'égoïsme qui voudrait tout accaparer, ne rien donner aux autres et peut donc engendrer facilement l'envie, la jalousie et même la haine (dans bvc 44, 1962, p. 21-22). < Mauvais >, est d'ailleurs le même mot que dans la dernière demande du Pater (§ 62 -Mt 6,13 b*). Quant à < pur >, le sens premier en est bien gardé par la Vulgate: “ simplex ”. Quelle simplicité1) — Celle de la droiture: regarder droit; ne pas < loucher >, ne pas viser deux directions à la fois. Ce qui fait symbole: pas de conduite < louche >, pas de < coeur double > (voir § 50 ) — Mt 5,8*), mais une intention < droite > et simple parce que simplifiée, unifiée, polarisée sur “ le trésor ” véritable (Mt 6,21*).

Mt 6,23 ; (Lc 11,35-36 — Comme bien souvent dans les paraboles, quand on passe du physique au spirituel il se produit un retournement ; car c'est plutôt, à l'intérieur, le spirituel qui est la réalité, dont l'extérieur, le physique, n'est que l'image et le signe : “ Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l'homme impur, mais ce qui sort de la bouche ” (§ 155 ) — Mt 15,11).

Lumière-Ténèbres: Sous-jacent, il y a toujours le conflit primordial entre l'Être j et le néant, le Verbe-Lumière et son refus: cf. Jn 1,5* et 3,19-21*. Et comme tout vient de Dieu-Lumière, le démon lui-même est créé par Dieu comme un “ Lucifer ”; s'il s'enténèbre c'est en se détournant de la Lumière qu'il avait à refléter. De même pour l'homme qui, perdant la droiture de son intention, ternit l'image rayonnante de Dieu qu'il était.

La lampe: Celle que nous avons à être, non pas seulement pour les autres (§ 52 I — Mt 5,15), mais pour nous-mêmes. La phrase de Luc (v. 36) insiste jusqu'à la tautologie sur la totalité: “ tout entier... aucune part... totalement ”. Pas de coin d'ombre, où l'on pourrait subrepticement tricher avec la simplicité de l'intention et du coeur.

Nous sommes donc arrivés au principe fondamental sur lequel se fondent les recommandations antécédentes sur l'aumône, la prière et le jeûne : ce qui est : déterminant, c'est la pureté d'intention :

Rupert de Deutz  : Sur Mt VI (PL 168,1440): “ La lampe de ton corps, c'est ton oeil... ” Le sens est celui-ci: Je ne dis pas au pluriel et de manière universelle : Faites l'aumône dans le secret... Priez dans le secret... Mais je dis: “ Quand tu fais l'aumône ”, toi ou tout autre dont l'oeil est peut-être malade, dont l'intention n'est pas encore assez ferme. Tu dois lire entre les lignes : la lampe de ton corps, c'est ton oeil, et la lampe de ton oeuvre c'est ton intention : si ton intention est exempte d'hypocrisie, sans aucune fumée de misérable vanité, alors, ton oeuvre sera tout entière lumineuse ; mais si ton intention est entachée d'hypocrisie, ton oeuvre sera tout entière ténébreuse, qu'il s'agisse du jeûne, de la prière ou de l'aumône.... Donc, veille à avoir dans le coeur une intention bonne, et fais ce que tu veux : couvre ta tête de cendre ou de parfum, Dieu l'aura pour agréable.

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§ 66. Dieu ou l'argent: Mt 6,24; (Lc 16,13)



(Mt 6,24 Lc 16,13)

— Se rattache au “ trésor” du v. 21. Mais en même temps, renforce les v. 22-23, comme une preuve par l'absurde : la pureté d'intention est nécessaire, car on ne peut courir deux lièvres à la fois. L'Evangile de Thomas (Apocryphe du n° siècle) paraphrase: “Jésus dit: Il n'est pas possible qu'un homme monte deux chevaux, ni qu'il tende deux arcs. Et il n'est pas possible qu'un domestique serve deux maîtres ” (n° 52).

Servir: “ Quand il s'agit de Dieu, le mot < servir > prend une force toute particulière: le < service > qu'on lui doit engage l'homme jusqu'au plus profond de sa personne, et il ne saurait être rendu à d'autres sans qu'il y ait blasphème contre Dieu et aliénation de l'homme lui-même. On se rend compte en même temps de la résonance presque sacrilège d'une alternative qui oppose service de Dieu et service de... ce Mammon, Argent déifié, dont les adorateurs idolâtres font un concurrent du vrai Dieu ” (J. Dupont: Ass.S. n, n° 56, p. 76).

Haïr — aimer, ou: s'attacher — mépriser: Les deux couples de verbes ne se recouvrent pas entièrement. Celui qui demande à être aimé, c'est Dieu. Totalement et uniquement (1° Commandement), sinon cela reviendrait à le mépriser, car Dieu c'est Tout; on ne peut aller à Lui à moitié: c'est à prendre ou à laisser. L'Argent, par contre, ne mérite pas d'être aimé; mais il est bien difficile de ne pas s'y attacher (// Si 31,8) — au § 64 ). Pour éviter le piège (d'“ entrer dans la tentation ”, Mt 6,13a*), il faut le haïr.

On pourrait évidemment prendre ce verbe au sens atténué de “ ne pas aimer ”, comme au § 59 (Mt 5,43*) ; et de fait, il serait excessif de “ haïr ” l'argent au point, par exemple, de l'exclure. Mais il paraît plutôt que l'Évangile aille ici dans le sens d'un “ choix radical ”, qui impose de “ trancher ” comme en Mt 5, 29-30 (t. matura: Le radicalisme, p. 88).

Mammon: Ce nom, traduit de l'araméen, vient probablement d'une racine désignant “ ce qui est fidèle, sûr ou mis en sécurité ”, d'où “ trésor confié, dépôt ”; d'où, plus généralement, les possessions. Mt 6,19-20 vient de dénoncer l'illusion de la sécurité; et au § suivant, il va y opposer l'attitude évangélique de confiance en Dieu, notre Père. Le plus remarquable ici est la personnalisation: l'Argent, avec majuscule; un Maître, et qui asservit.

// Qo5,9; 7,12; Pr 3,13-14 Sg7,9; Si 51,25 — À en croire le Larousse des proverbes (p. 40-41), la sagesse des nations n'aurait qu'éloges pour l'argent, y compris dans la Bible. Mais c'est que Larousse résume et tronque Qo 7,12. En réalité, les Livres Sapientiaux s'en servent plutôt comme d'un terme de comparaison, toujours suffisamment prisé, pour affirmer que doivent pourtant lui être préférées la Sagesse, ou l'amitié — comme en témoignent ces quelques // .

Mais ce que dit l'Évangile est plus dur: il faut choisir:

D. Bonhoeffer: Le prix de la grâce, p. 127: Ou bien tu aimes Dieu, ou bien tu aimes les biens de ce monde. Si tu aimes le monde, tu hais Dieu ; si tu aimes Dieu, tu hais le monde. Que tu le veuilles, que tu le fasses consciemment ou non, peu importe. Très certainement, tu ne le voudras pas... bien au contraire, c’est précisément ce que tu ne veux pas, car tu veux justement servir deux maîtres... Mais c'est précisément l'illusion que dénonce l'Évangile !

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§ 67. L’abandon à la providence: Mt 6,25-34; (Lc 12,22-31= § 206)


(Mt 6,25-34 Lc 12,22-31) = § 206 )

- Les paragraphes précédents exigeaient la pureté d'intention dans l'ordre de l'avoir, et mettaient, donc en garde contre l'attrait des “ trésors ” (§ 64 ) ou de “ l'argent ” (§ 66 ). À présent, il s'agit des biens de première nécessité: se nourrir, se vêtir; mais la ligne spirituelle reste la même: non pas l'exclusion, mais la libération qu'apportent la foi et l'espérance.

Le verbe en effet qui va revenir jusqu'à 6 fois en ces 10 versets, signifie: se faire du souci, s'inquiéter, se préoccuper (v. 25, 27, 28, 31, et 34 par deux fois). D'emblée, il est donc tout à fait clair que le Christ ne dit pas : “ Ne vous occupez pas de la nourriture ou du vêtement ”; mais bien: “ ne vous préoccupez pas ”. Ce n'est pas le travail, ni la prudence, qui se trouvent condamnés: le dommage serait dans l'inquiétude ou, à l'opposé, dans les projets sur l'à-venir comme s'il nous appartenait. C'est ce qu'a précisé la parabole du riche et de ses plans déjoués par la mort, qui précède immédiatement la présente péricope dans Saint-Luc (12,16-21), en correspondance avec le verset final de Saint-Matthieu (v. 34*).

Saint Paul est dans la note exacte quand il “ invite à travailler dans le calme, et à manger le pain que l'on a gagné soi-même ” (2Th 3,12). Le tort de Marthe n'a pas été de faire la cuisine, mais de s'en faire trop de soucis (Lc 10,41 — même verbe grec qu'ici).

Comme toujours, le Christ nous invite surtout à regarder plus haut: Nous ne sommes pas tout, seuls. Il y a un père, qui sait nos besoins actuels (v. 33). On sent, à travers cet Évangile, l'émotion pleine de gratitude qui saisit le Christ en évoquant ainsi la sollicitude paternelle de son Père pour toutes ses créatures, fussent-elles les plus faibles (les petits oiseaux) ou les plus humbles (les lis ou même “ l'herbe des champs ”). C'est le même ton que Mt 11,25* (§ 110 ) : le ton filial, le ton de Jésus.


On est à l'opposé du fatalisme, de l'homme en proie à l'impersonnalité aveugle du Destin. Tout est régi au contraire par une Providence personnalisée, qui est celle de “ votre Père du ciel ” — celui-là même à qui le Notre Père nous apprenait à demander le pain quotidien (Mt 6,9-13).

Mt 6,25 ; (Lc 12,22-23 — Simple énoncé de la règle de conduite évangélique. Dans cette perspective, le v. 25 b (ou v. 23 de Lc) signifie: une vie tout absorbée dans le souci de nourriture ou de vêtement la mettrait pratiquement au service de ces besoins matériels, alors que ce sont eux qui doivent servir notre vie physique. Sursum Corda ! Gardez à la vie son vrai sens. Manger est une de ses conditions, si primordiale soit-elle, mais non pas son but.

En même temps, cette phrase, de type proverbial, est construite sur le “ plus ” : “ La vie est plus que... Le corps plus que... ” Par le fait même, elle annonce le raisonnement a fortiori : Si votre Père du ciel nourrit les oiseaux et revêt de splendeur les lis des champs, à plus forte raison veillera-t-il non seulement à votre nourriture mais à votre vie tout entière, y compris spirituelle. Car si les deux Évangiles emploient le terme grec de < psyché > qui, en relation avec “ manger ” (v. 25), signifie premièrement ici “ votre vie ”, ce mot n'en connote pas moins l'âme — et celle-ci trouve sa nourriture et son réconfort dans sa foi en “ notre Père du ciel ”.

// Ps 55,23 1P 5,7 (Voir Ps 37,4-5; 104,14-18.27-28; et encore Ps 37,23-24.34.39, en // au § 206 ) — La Vêtus Latina traduit, de façon plus vive: “ Jacta cogitatum tuum in Domino... Jette ton souci dans le Seigneur”. Occupe-toi de Lui, car Il s'occupe de toi. Les psaumes allèguent aussi l'exemple des “ lionceaux ” et autres animaux que Dieu nourrit (Ps 104,14.27-28, en // au I § 206 ; 145,15-16; 147,9); a fortiori, “ à qui le craint, Il donne nourriture” I (Ps 111,5).

(Lc 12,24 — Regardez les corbeaux: Cela rappelle le Ps 147,9: “ Dieu nourrit les petits des corbeaux qui appellent ”. A fortiori nourrira-t-il son serviteur Élie, en déléguant significativement pour ce faire, les corbeaux (le // 1R 17,5-6 se trouve au § 206 , en face de Lc 12,24).

Mt 6,28 // Is 61,10-11 — Encore mieux que la nature, le Royaume de la grâce est don. Mais non pas seulement extérieur, comme risquerait de le faire penser l'image du < vêtement >: Le Royaume est germe, semence, qui, d'elle-même, de l'intérieur, tend à pousser et à se développer. C'est ce qu'expliqueront les Paraboles du Royaume (§ 125 et suiv.).

Mt 6,30; (Lc 12,28 — Hommes de peu de foi: Reproche fréquent du I Christ (Mt 8,26 Mt 14,31 Mt 16,8 Mt 17,20*), soulignant que croire est l'exigence première pour être de ses disciples.

Mt 6,31-32 ; (Lc 12,29-30 — Reprend la règle de conduite initiale (v. 25), en l'assortissant du rappel de la différence chrétienne (du < Royaume >) avec les nations profanes (v. 33*; cf. § 59 ) — Mt 5,46-47*).

votre Père sait: rappel, plus clair et plus décisif, de ce qu'indiquaient les paraboles des oiseaux ou des lis des champs de façon plus imagée. C'est la base de notre confiance, le tremplin pour nous lancer vers la conclusion du v. 33.

Mt 6,33 ; (Lc 12,31 — Cherchez d'abord (Mt) ou plutôt (Lc) : S'oppose à: “ N'ayez pas de souci ” (v. Mt 6,25 et Mt 6,31 a) en même temps qu'à: “ ce que recherchent les païens ”. Il ne s'agit pas d'encourager à la passivité, mais à vouloir plus et mieux encore. Nourriture et vêtement sont nécessaires, mais secondaires A subordonnés. L'intention première et directrice, qui doit polariser tout le reste, c'est “ le Royaume et la Justice ”. Donc toujours affaire de simplicité, de pureté d'intention et de coeur.

Le Royaume: Matthieu ajoute, litt. “ et la Justice de celui-ci ”. Il ne parle pourtant pas de < la justice du Royaume >, comme pourrait le faire entendre la traduction habituelle : le Royaume et sa Justice. Car, en grec, < Basiléia > est du féminin: l'antécédent de “ celui-ci ” (au masculin) ne peut donc être < Royaume), I mais < Père > (Mt 6,32). Tob traduit: “ Cherchez le Royaume et la justice de Dieu ”; BJ: “ son Royaume et sa Justice ”, que nous adoptons. Comment n'iraient pas de pair, en effet, le Royaume — qui est dans le Règne de Dieu — et la < Justice > qui est, pour l'homme, d'être < juste > comme Il veut, pour notre Bien et le Bien du monde ?

// 1R 10,4-9 1R 3,5-13 (et 1R 10,23-25 1R 11,4 1R 11,11 Gn 3,7, en // au § 206 ) — La splendeur de Salomon lui a été donnée parce que, au lieu de prétendre l'acquérir par lui-même ou de la demander à Dieu, il a “ cherché premièrement à être Roi selon le coeur de Dieu, et pour exercer sa Justice ” (1R 3,9) — ce qui était, par avance, pratiquer Mt 6,33, Salomon est aussi l'exemple terrible que même le plus sage n'est pas à l'abri de la plus folle infidélité, à l'image d'Adam et Eve, il est vrai. Même après leur chute, pourtant, Dieu a souci de les vêtir (// Gn 3,71 au § 206 ). Et le Royaume reste promis à tout “ le peuple des saints ” (Da 7,18 Da 7,27, également au § 206 ).

// Si 27,8 Pr 21,21 Sg 7,11-12 — Justice (toujours au sens d'être < ajusté > au dessein de Dieu sur nous et sur le monde, donc à la nature suivant laquelle Il nous a créés) et Sagesse ou encore Crainte de Dieu nous branchent sur Lui. Aussi les Livres Sapientiaux les tiennent pour vertus fondamentales, sources et mères de tout le reste : nourriture savoureuse (Sapientia, Sapere signifient : goûter) et substantielle, puisque faisant accéder à la vie de l'esprit (Pr 9,1-6); vêtement de gloire (// Si 27), comme pour le jeune Salomon ; richesses plus estimables, durables, inépuisables que celles de Mammon (Mt 6,24); et “ tous les biens ”, non pas additionnés les uns aux autres, en une quête qui serait sans fin, mais donnés tous à la fois, dans le bien et le bonheur, qui est Dieu même, et dont nous jouissons par conséquent à la mesure de notre union à Lui.

Ce verset Mt 6,33 est donc un sommet, vers lequel convergent les différents paragraphes de ce ch. 6, sur la Pureté d'intention, tout comme le ch. 5 culminait à son v. Mt 5,48: “ Soyez parfaits comme votre Père... ”

En fonction du // Sg 7,11, qu'il cite d'ailleurs, pour conclure, Rupert de Deutz  applique ce v. Mt 6,33 à l'étude des Écritures, qui est bien fondamentale en effet pour qui cherche le Royaume (Sur Matthieu VI — Pl 168,1447-1448): “ Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît ”. Qu'est-ce que le Royaume de Dieu, sinon le Verbe de Dieu ? Car Celui qui gouverne tout, c'est le Verbe, par qui toutes choses ont été créées... Donc, chaque fois que nous venons entendre ou étudier le Verbe de Dieu, chaque fois que nous lisons ou écoutons avec joie l'Écriture Sainte, c'est le Royaume de Dieu et sa justice que nous cherchons. Ici-bas, tant que nous vivons, nous le cherchons, et nous pouvons le chercher ; mais le trouver pleinement, nous n'y réussirons pas, si ce n'est après cette vie. Ce Royaume de Dieu, c'est le trésor caché dans un champ (Mt 13,44), le trésor soigneusement enfermé et scellé sous la lettre de la Loi et des prophètes : cette lettre qui en partie est énigme et parabole. Trouver le trésor, c'est creuser les Écritures, et, dans la joie de la trouvaille, vendre tout, et acheter le champ... C'est rejeter tout souci, en obéissant à ce conseil évangélique, et embrasser l'étude des Écritures de manière que l'homme soit toujours libre pour étudier ou écouter le Verbe de Dieu. Faites cela, dit-il, et tout le reste vous sera donné par surcroît!

Que d'hommes, à qui cette étude a non seulement procuré le nécessaire — c'est-à-dire la nourriture et le vêtement — mais même les plus grands honneurs ! “ J'ai aimé la Sagesse, dit encore l'Écriture, plus que santé et beauté. Je me suis proposé de l'avoir pour lumière, et tous les biens me sont venus avec elle ” (Sg 7,10-11).

Mt 6,34 — Cet ultime verset revient sur l'une des principales sources de notre inquiétude: l'avenir. C'est tellement commun que l'Évangile semblerait se référer ici à la sagesse populaire. Mais il n'en faut pas moins lire ces proverbes à la lumière de ce qui précède, c'est-à-dire avec confiance en la Providence. Car ce futur ne nous appartient pas, comme le montre la parabole correspondante dans Saint-Luc (Lc 12,16-21) — cf. Introduction à ce paragraphe); il est dans les mains du Dieu éternel qui, de ce fait, embrasse tout à la fois la longue suite des siècles, comme nous pouvons, d'un sommet, voir d'un coup d'oeil un vaste paysage. Plutôt que sur nos suppositions, aléatoires, et nos craintes de malheurs, qui viennent si souvent du côté où nous ne l'avions pas prévu, mieux vaudrait donc nous confier à Dieu pour l'à-venir, et disposer de tout notre esprit et notre activité pour le présent qui, seul, est dans nos mains. C'est d'ailleurs aussi la vraie manière de préparer le lendemain, dans la mesure où il découle de ce présent.

À chaque jour suffit sa peine (// Ex 16,19) : autrement dit, n'accumulez pas plus les soucis que l'argent. À imaginer ce que vous aurez à porter demain en plus de ce que vous avez à supporter aujourd'hui, le poids excéderait vos forces et votre grâce d'aujourd'hui. Car Dieu est le réel, donc pas dans le futur, encore imaginaire, mais uniquement Présent à mesure que le temps se déroule. Vous ne trouverez ni Dieu ni sa grâce à l'avance ; mais “ en cette heure-là ” où nous en aurons besoin, elle nous sera donnée (§ 100 ) — Mt 10,19). Et il faut Lui faire quotidiennement cette confiance qu'il nous donnera, jour après jour, la mesure de manne dont nous avons besoin pour ce jour-là (// Ex 16 — cf. § 62 ) — Mt 6,11*), sans anticiper. C'est une des formes de “ la pauvreté qu'il faut garder dans l'esprit ” ; mais parce qu'elle est acte de foi et d'espérance dans “ le Père qui sait ”, cette pauvreté est Béatitude (Mt 5,3).

Plus littéralement, l'Evangile dit: “ À chaque jour suffit son mal, ou sa méchanceté ”. Cela pourrait désigner seulement les difficultés de la vie que nous avons à supporter jour après jour, d'où la traduction: “ sa peine ”. Mais plus fondamentalement, cela peut viser la dureté de la vie qui provient du Mal, introduit par le Péché Originel, et généralisé en “ Péché du monde ” (§ 24 ) — Jn 1,29*). Dans le même sens, saint Paul: “ les jours sont mauvais ” (Ep 5,16). D'où l’interprétation supérieure de Rupert, où l'aujourd'hui devient tout le temps présent, et demain son au-delà éternel. A qui trouverait cette interprétation artificielle, s'oppose cette vérification que la signification de l’Evangile selon Saint-Matthieu concorde ainsi encore plus complètement avec l'Evangile selon Saint-Luc, dont la parabole déjà plusieurs fois mentionnée (que Rupert cite également) a bien un sens “ anagogique ” ou eschatologique (BC I*, p. 20), puisqu'elle fait intervenir mort et jugement :

Rupert de Deutz  : Sur Matthieu VI (PL 168,1448-49) : “ N'ayez pas souci du lendemain ”. Il avait déjà dit deux fois : Ne vous inquiétez pas. Pourquoi le répéta une troisième fois, sinon parce qu'il est difficile, très laborieux, d’arracher du fond de notre coeur cette racine d'amertume, cette racine de cupidité? Et notons que la troisième fois, il ajoute, pour ainsi dire, une menace : “ N'ayez pas souci du lendemain, car demain aura ses soucis à lui ”. Qu'il écoute, cet homme riche, ou n’importe lequel de ses pareils, qui calculait en lui-même : “ Je vais détruire mes greniers, pour en faire de plus grands ” (Lc 12,18)! Quel souçi du lendemain, chez cet homme qui prenait plaisir à étendre son souci sur plusieurs années! Mais Dieu lui dit: “ Insensé! Cette nuit même, on te redemandera ton âme. ”

Demain aura ses soucis à lui. Ce qui veut dire, me semble-t-il : demain sera plein de soucis, mais pas pour toi! Ni calcul, ni savoir-faire, ni prudence, aux enfers vers lesquels tu te hâtes (Qo 9,10)...

Ces explications, ou d'autres semblables, on les a données avant nous. Mais le sens anagogique est celui qui me plaît davantage et qui sera le plus utile. Suivant ce sens, le < jour mauvais > et maudit s'oppose au < jour présent >, que le Seigneur a béni et dont l'Esprit Saint dit par la bouche de David: “ Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'allez pas endurcir vos coeurs ” (Ps 95,7-8). L'Apôtre ajoute : “ Prenez garde, frères, qu'il n'y ait en l'un de vous un coeur mauvais et incrédule, qui s'éloigne du Dieu Vivant. Exhortez-vous chaque jour, pendant qu'on annonce cet < Aujourd'hui > ” (He 3,12-13).

L'homme naît dans le péché, vit dans le péché, et meurt dans le péché, s'il n'est pas visité par cet < Aujourd'hui > saint et béni. Visité, ou illuminé par a jour, qu'il change donc son origine et sa naissance: né en Adam, qu'il renaisse dans le Christ! Qu'il meure au péché, et qu'il vive à Dieu!

La généralité de cette conclusion convient à un paragraphe qui définit l'attitude fondamentale du chrétien, en cette spiritualité où se conjuguent : confiance en Dieu, esprit d'enfance — ou des < pauvres de Yahvé > — intensité du moment présent, durant lequel notre temps fugace est tangent à l'éternité de Dieu et peut y gagner valeur elle aussi permanente, éternelle:

L. Bouyer : Cosmos, p. 151-152: La paternité divine appelle, d'une part, un total détachement à l'égard de tout ce qui n'est pas Dieu et son amour, mais aussi, de l'autre, la reconnaissance exultante de cet amour comme donnant le sens dernier de toutes choses. D'où la béatitude paradoxale des pauvres, pour qui tout ce qui est redevient comme transparent à la présence divine.

Cette piété juive qui voyait en toutes choses, en tout ce qui nous arrive, un signe de la bonté de Dieu, devient la piété filiale qui reconnaît en tout cela Dieu nous parlant, comme le Père à ses enfants...

Les paraboles, dans leur diversité, en sont le fruit; elles demandent que l'on considère tout, en ce monde, selon le biais où il représente la libéralité, la largesse inépuisable de son auteur, et qu'on entre ainsi dans un rapport personnel avec celui-ci que peut seule suggérer l'idée d'une paternité portée jusqu'à un maximum de communication, de communion. C'est pourquoi les paraboles du Royaume, qui l’identifient au règne de cet amour paternel, ont comme leur écho dans le Sommaire de la Loi, qui nous appelle à répondre à Dieu nous aimant d'un amour de pur don, par un amour tout abandonné, mais qui aussi nous invite à aimer tout ce qu'il aime comme lui-même l'aime...


Un tel renouveau de notre vision, exigeant celui de notre être tout entier, a comme corollaire le détachement des pauvres, qui savent qu'ils ne peuvent acquérir ce que saint Paul appelle la liberté des enfants de Dieu qu'en se libérant eux-mêmes de tout attachement égoïste et orgueilleux. D'où les quatre béatitudes de Luc, aussi bien que les huit de Matthieu, supposant que la pauvreté s'étende à tout ce qui n'est pas Dieu lui-même, et qu'elle soit d'autant plus “ en vérité ” qu'elle doit être “ en Esprit ”. Elle a sa contrepartie, comme le cistercien Isaac de l’Etoile l'a si bien exprimé, dans une possession rénovée de l'univers entier. Comme le dit saint Paul encore : “ Tout est à vous qui êtes au Christ, comme le Christ est à Dieu. ”

C'est en cela que dès à présent, pour la foi néo-testamentaire, le monde est susceptible de redevenir déjà pour nous le Royaume de Dieu : dans la mesure où sa nature profonde se révèle à nouveau à ceux qui y sont restitués, par la pauvreté volontaire, à l'esprit d'enfance, que seul le Fils pouvait nous apporter.

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§ 68-76. Conclusion du sermon sur la montagne : Mt 7,1-28; Lc 6,37-49


(Mt 7,1-28 Lc 6,37-49)

La conclusion s'amorce véritablement à partir de Mt 7,12. Les trois premiers paragraphes, de Mt 7,1 à 11, sont plus difficiles à situer. En un sens, Mt7,l-5 reprend et généralise 6,14-15, tandis que Mt 7,7-11 se rattache aux enseignements sur la prière de Mt 6,5-13) — comme le montre Saint-Luc où ce paragraphe suit immédiatement le Pater et la parabole sur la persévérance, ce qui est bien plus normal (cf. § 193 -194-195). Mais en même temps, ces trois paragraphes orientent effectivement vers la conclusion, en mettant les disciples en garde contre certaines déviations possibles: juger de haut les autres, divulguer indiscrètement ce qui ne peut être que < Révélation >, se décourager. Donc ces 3 § font transition entre le ch. 6 et la véritable conclusion.



§ 68. La paille et la poutre: Mt 7,1-5; Lc 6,37-42; (Mc 4,24)


(Mt 7,1-5 Lc 6,37-42 Mc 4,24)

— Ne jugez pas: ce n'est pas tant le jugement de valeur — “ c'est bien ” ou “ c'est mal ” — qui est interdit, mais le jugement de condamnation, comme le dit expressément Lc. Vous ne serez pas jugés : C'est un < passivum divinum >*, dont le sujet, par conséquent, est Dieu. La perspective est eschatologique.

// Ex 2,13 2M 12,6 Ps 109,16 — La dure contestation du droit de Moïse à juger n'est pas dénuée de fondement, tant qu'il n'a pas reçu de Dieu mandat d'être son porte-parole (Ex 4,12) et de guider Israël hors d'Egypte. Alors, il pourra être juge (Ex 18,13). De même, Judas Maccabée en réfère à Dieu “ le juste juge ”, pour oser agir comme son justicier. Quant au Ps 109, il prédit le même retournement de la dureté du juge contre lui-même que dans l'Évangile.

(Mc 4,24 — Dans un tout autre contexte (cf. § 130 ), Mc précise le paradoxe : la conduite de Dieu à votre égard sera “ suivant la mesure dont vous aurez mesuré ” les autres, mais en même temps “ la débordera ” (Lc 6,38c). La justice de Dieu va bien au-delà de notre étroite justice...

(Lc 6,39-40 — 2 sentences qui se trouvent bien mieux à leur place en Mt 15,14 et 10,24-25 qu'ici (cf. § 155 et § 100 *).

(Mt 7,3-5 Lc 6,41-42 — “ Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous ” (“ La besace ” — La Fontaine : Fables I, 7).

Hypocrite: Cf. Introduction aux § 60 -63*. Alors tu verras à enlever... : c'est-à-dire, “ il sera temps, alors d'étudier la question ”. Semble rendre plus exactement l'intention du texte que : “ alors tu verras clair pour ôter... ”, qui a l'avantage de faire image, conformément à la parabole.

// 2S 12,1-9 — Qu'un homme aussi religieux que David n'ait pris conscience de son double crime qu'une fois projeté en l'histoire parabolique d'un autre que lui, témoigne que l'on est d'autant plus aveugle sur soi-même que la poutre est de taille. Mais la conduite de Natân n'est pas moins exemplaire:

Rupert de Deutz  : Sur Mt VI (Pl 168,1451): Peut-être ce que tu vois, ou crois voir, dans l'oeil de ton frère, n'est-il pas même une paille, mais l'ombre d'une paille ; et toi, tu vois mal et tu discernes mal, parce que tu ne vois pas la poutre de ton oeil.

Cependant, mettons qu'il y ait vraiment une paille dans l'oeil d'un frère: la paille d'une colère soudaine, ou d'une convoitise qui le saisit tout à coup — comme David, qui eut une paille dans l'oeil quand il voulut se venger lui-même de Nabal, ou quand, de sa terrasse, il vit la femme d'Urie. Et toi, tu es comme Sémeï(2S 16,5-6), qui maudit et jette des pierres... tandis que la sage Abigaïl n'avait certes pas une poutre dans l'oeil, quand elle sut si bien enlever la paille de l'oeil de David en lui disant: “ Quand le Seigneur t'aura fait tout le bien* qu'il veut te faire, il ne faut pas que tu aies ce regret d'avoir répandu le sang innocent ” (1S 25,30-31)... De même le prophète Natân : pour enlever la paille de l'oeil de David, il commença par lui parler d'un crime qui semblait celui d'un autre, et l'amena doucement à dire, de lui-même: “ J'ai péché contre le Seigneur! ” (2S 12,1-13).

Mt 7,1-5 n'exclut donc pas la correction fraternelle, conseillée en Mt 18,15” (§ 179 *), mais nous avertit de sa condition primordiale: aimer celui qu'on doit! reprendre, comme fait Dieu avec nous-même:

Augustin : S. Domini in Monte, II, 19 (PL 34,1298; Vivès 9,118): Par exemple : quelqu'un a péché par colère, et toi tu le reprends haineusement. Il y a autant de différence entre la colère et la haine qu'entre la paille et la poutre. Car la haine, c'est de la colère invétérée : avec le temps, elle a pris tant de force qu'on peut l'appeler une poutre. Si tu t'irrites seulement, tu peux avoir bonne volonté de corriger le coupable ; mais si tu le hais, tu ne peux pas vouloir son amendement. Jette loin de toi ta haine : et alors, cet homme que désormais tu aimes, tu pourras le corriger.

// Jn 8,7 ; Rm 2,1-3 — Ne pas juger est donc non seulement affaire de prudence, pour ne pas être condamné soi-même, mais question de vérité:


Dostoïevski : Les Frères Karamazov, VI, 3 (Pléiade, p. 345-47): Avant tout, rappelle-toi que tu ne peux être le juge de personne, car il n'est pas possible d'être à la fois juge et criminel; et le juge doit savoir avant tout qu'il est lui même criminel, exactement comme celui qui se tient devant lui; et qu'il est peut-être coupable plus que tous du crime de celui qui se tient devant lui. Quand il aura compris cela, alors il pourra tenir le rôle de juge. Non-sens, dira-t-on! Non, c'est la vérité. Car si j'étais moi-même un juste, peut-être n'y aurait-il pas de criminel à se tenir devant moi. Et si tu peux prendre à ton compte le crime à celui qui se tient devant toi, prends-le aussitôt, et souffre toi-même à sa place, et laisse-le aller sans lui faire de reproches. Et même si la loi t'a établi son juge, • autant qu’il te sera possible agis dans cet esprit ; car il s'en ira et se condamnera lui-même, plus sévèrement que ton tribunal. S'il s'endurcit et se moque de toi, n'en sois pas ébranlé : c'est donc que son heure n'est pas encore venue, mais elle viendra. Si elle ne vient pas, c'est égal; à sa place, un autre comprendra, souffrira, s'accusera et se condamnera lui-même, et la vérité sera accomplit Crois-le fermement : telle est l'espérance et la foi des saints.

... Si la scélératesse des gens t'inspire de la peine et de l'indignation, “et que tu te sentes sur la défensive et désires même leur rendre mal pour mal, crains ce sentiment plus que tout : aussitôt inflige-toi la même peine que si tu étais toi-même coupable de leur forfait. Accueille cette peine et endure-la; et ton coeur s'apaisera. Tu comprendras que toi aussi tu es coupable, car tu aurais pu luire, éclairant les coupables, même si tu avais été le seul juste — et tu n'as pas lui. Si tu avais lui, ta lumière leur aurait montré une autre route ; et le crime qu'ils ont accompli, ils ne l'auraient peut-être pas accompli, à cause de ta lumière. Et même si tu as lui, mais t'aperçois que tu ne sauves personne, et que les gens s'endurcissent à cause de ta lumière : ne doute pas de la puissance de la lumière céleste. Crois bien ceci: même s'ils n'ont pas été sauvés pour cette fois, ils seront sauvés plus tard. Et même si eux ne sont pas sauvés plus tard, leurs fils seront sauvés ; car ta lumière ne meurt pas, bien que toi-même tu meures.

Le juste s'en va, mais sa lumière demeure. Les hommes sont sauvés, toujours, après la mort de celui qui les a sauvés. La race des hommes ne reçoit pas ses prophètes, elle les fait disparaître ; mais les hommes aiment leurs martyrs, et révèrent ceux qu'ils ont torturés. Toi, donc, tu travailles pour tout le grand univers de Dieu, tu agis pour ce qui viendra après toi. Ne cherche jamais de récompense.

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Bible chrétienne Evang. - § 63. Le jeûne :