Bible chrétienne Evang. - § 282. Les invités au festin, la robe nuptiale : Mt 22,1-14; (Lc 14,15-24)

§ 282. Les invités au festin, la robe nuptiale : Mt 22,1-14; (Lc 14,15-24)


(Mt 22,1-14 Lc 14,15-24)

— Que ce soit après le départ de la délégation du Sanhédrin ou avant (voir fin du § 281 *), l'introduction de Mt (v. 1) semble bien lier cette parabole à la précédente. Entre les deux, le parallélisme est d'ailleurs frappant : mêmes envois successifs de serviteurs (Mt 22,3-4 Mt 21,34-36), mêmes mauvais traitements allant jusqu'au meurtre (Mt 22,6 Mt 21,35-36 — alors qu'à propos d'une simple invitation, cela devient tout à fait excessif — même peine capitale pour les meurtriers (22,7; 21,40-41), même remplacement par d'autres (22,8-10; 21,41b-43). Sur ce point, cf. R. Swaeles : L'orientation ecclésiastique de la parabole du festin nuptial, dans etl 1960, p. 655-684, et Ass.S. I, n° 55 et 74, p. 32-50 et 33-49.

Lc donne de l'invitation une autre version, plus simple, moins dramatique, et dans un contexte plus général du bon usage évangélique des repas (Introd. aux § 223 -226). Les différences avec Mt sont telles que l'on discute encore s'il s'agit de deux versions d'une même parabole originelle, ou si même chacun des Évangélistes ne relaterait pas une parabole autonome, inventée ici et là par Jésus, mais coïncidant pourtant sur un certain nombre de points comme sur le sens général. Ils sont en effet nombreux et frappants (voir R. Swaeles, p. 663-664); et quoi qu'il en soit, cette double imprécision sur le cadre et les auditeurs d'une part, de l'autre sur les sources de Mt et de Lc, nous porte à entendre cette double parabole non seulement dans un sens circonstanciel, relatif à la crise déjà ouverte entre le Christ et le Sanhédrin, mais général, profond, universel, valant pour chacun de nous.

Mt 22,2 ; (Lc 14,15 — Ici et là, il s'agit du Royaume ou du Règne de Dieu § 19 — Mt 3,2*). Mais en Lc, le sens est d'emblée eschatologique (futur). En Mt, le festin est royal et nuptial, double thème hautement messianique. Le Roi est classiquement figure de Dieu dans les paraboles (cf. § 182 — Mt 18,23*), et de ce fait, la perspective eschatologique n'est pas absente non plus, au moins à l’arrière-plan (deviendra dominante aux v. 11-14*). Mais « le fils du Roi» comme le fils du propriétaire de la vigne en Mt 21,37-39*, est figure évidente du Christ; ses noces, Jean-Baptiste les avait reconnues et saluées comme celles de l'Époux par excellence (voir au § 29Jn 2,8-9* ; § 43Mc 2,19* ; § 79Jn 3,29-30*). Le festin des noces est donc bien imminent.

// Gn 24,2-4 Os 1,2 Os 2,4-10 — Sur le symbolisme du mariage d'Isaac avec Rébecca, et notamment de la mission d'Eliezer, cf. BC I*, p. 122-125. Le thème nuptial a été surtout repris par les Prophètes et les Sapientiaux (Vtb < Époux > ; cf. surtout Is 54,1-10 Is 61,10 Is 62,4-5 Jr 2,1-32 Ez 16 Ps 45 et par dessus tout, Le Cantique). Entre tous ces textes, nous choisissons la parabole en action d’Osée : en insistant sur l'indignité de la femme qu'il épouse, il révèle la grandeur de l'amour de Dieu, qui nous choisit, si misérables puissions-nous être (comme le seront les derniers invités de la parabole). Os 2,10 : traduction Dhorme, qui renvoie à Os 8,4.

Le festin : Va de pair avec les fêtes nuptiales, mais aussi avec les conclusions d'Alliances (le mariage étant une sorte d'alliance): cf. Gn 24,54; 26,30; 29,22; 31,54; Ex 24,11) — BC I*, p. 253-54). Il est une des images les plus fréquentes des temps messianiques et eschatologiques : A. Feuillet a montré (dans R. Th. 1984, p. 197-211) les rapports entre cette parabole et le thème vétérotestamen-taire du festin messianique : Is 25,6 (en // au § 29 ; Pr 9,1-5 (en // au § 226 , donc de Lc 14,16-17); Si 24,19-21 et Ct 5,1 (en // au § 163 — Sur le Pain de Vie).

Mt 22,3-4; (Lc 14,17 — Appeler, convier, inviter, les invités : revient aux v. 3.4.8.9.14, indiquant bien que c'est le thème fondamental. Avec une insistance qui se fait pressante : J'ai tout préparé... tout est prêt (v. 4) ... La fête est prête (v. 8), Venez ! Luc ajoute que c'est l'heure du festin, et ceci (comme en Mt le thème des noces du fils du Roi) est sans doute une allusion au fait que, si l'invitation a été lancée dès l’A.T., avec le Christ l'Heure est venue, et qu'il est temps de se décider pour venir à LuI*. (« Venir » est aussi un mot important : Mt 22,3-4 ou à l'inverse, « s'en aller », au v. Mt 5 puis « entrer », en Lc 14,21 Lc 14,23).

Mt 22,5 ; (Lc 14,18-20 — Ici Luc reprend l'avantage, à la fois par la vivacité du discours direct, et la meilleure répartition des excuses : travail et amour humain. Motifs admis pour dispenser d'aller à la guerre (// Dt 20,5-9). Mais pour le Royaume de Dieu, il n'est plus temps de « mettre la main à la charrue », ni de « prendre congé de ceux de sa maison » § 184Lc 9,61-62*). Ce qui montre bien que ces « invitations » sont en réalité des < vocations > : un appel à de nouvelles relations, à une intimité bien personnelle avec « Celui qui t'appelle par ton nom : tu es à moi... tu as du prix à mes yeux, et moi, ton Dieu, je t'aime... » (Is 43,1-4, en // au § 152 in fine).

On ne fait pas attendre l'amour et, s'il en est besoin, on lui sacrifie tout — sinon ce n'est plus l'amour... Un simple retard et a fortiori un refus peuvent lui porter un coup mortel (dont le meurtre des messagers fait symbole). Le // Est 1,5-19 Est 2,2-4 est un autre exemple de refus à l'invitation de venir au banquet du Roi. Mais le motif en est différent, et bien pire que le simple accaparement par des occupations trop terrestres.

Mt 22,6-7 // Rm 11,1-15 — Il est vrai que, dans une histoire « réaliste », cet intermède nécessairement long, entre noces déjà prêtes (v. 4) et leur célébration (v. 11), serait invraisemblable. Mais, comme les 2 envois successifs des v. 3-4, il est évident que le récit fait < parabole >, avec valeur allégorisante : car mauvais traitements, meurtres et châtiment sont un écho de la parabole des Vignerons homicides. Incendia la ville est une allusion probable à la ruine de Jérusalem en 70, que le Christ annoncera en tous cas plus nettement dans le Discours eschatologique § 294 *). Ce châtiment collectif témoignerait, d'après Swaeles du « glissement » qui, comme dans la parabole précédente, « s'opère dans la pensée de Mt, de ces responsables individuels à l'ensemble du peuple qui se laisse entraîner dans la défection de ces chefs » (p. 677). D'où « l'orientation ecclésiastique de la parabole », qui se prolongera dans l'identification de l'Église chrétienne dans les nouveaux invités venant de partout (Mt 22,9-10, mais mieux encore Lc 14,21-23). Mais ce sens < historique > ne doit pas servir d'alibi, et dispenser d'appliquer à soi-même et à sa conduite, la parabole. Quant à Israël, saint Paul laisse entendre que même son « erreur » — à notre profit — loin d'être définitive, laisse espérer une prodigieuse résurgence (// Rm 11,1-15).

Mt 22,8-10;(Lc 14,21-23) // Os 2,1 2Co 11,2 (et Col 3,11, en // au § 226 — Les invités n'en étaient pas dignes : comme au § 103Mt 10,37*.

Il semble que l'on ne doive pas trop chercher de sens précis aux détails divers de cette quête des remplaçants. De toute façon, les expressions suggèrent d'abord qu'ils proviennent de tous les points de l'horizon (comme au Ps 106,2-3 en // au § 220 ; et elles montrent surtout que le but de l'expédition est bien déterminé : remplir la salle de nouveaux convives, que ce soit en une (Mt) ou 2 fois (Lc). Pour mieux le marquer, en Mt sont admis « bons et mauvais ». Cela pourrait signifier que la parabole ne vise pas le Règne eschatologique, mais l'Entre-Deux ou l'Ivraie reste encore mêlée au bon blé, et les mauvaises prises du coup de filet avec les bons poissons § 136 et 138*). Mais plus probablement, si bons et mauvais sont ainsi conviés à entrer, c'est la confirmation que, comme le disaient déjà les Béatitudes, l'invitation n'est pas réservée à ceux qui l'auraient < méritée > ou qui en auraient au moins les dispositions requises : elle est un pur Don de Dieu, provenant de son amour, totalement gratuit et universel. C'est l'une des plus fermes conclusions de Dom J. Dupont, dans son grand ouvrage sur Les Béatitudes (cf. § 50 — Mt 3-5*), et notamment à propos de la présente parabole (II, p. 275-76). Une telle assurance, fondement de notre espérance, nous prépare à entendre les terribles versets 11-14 : nul n'est exclu a priori, puisque nul n'est mauvais de nature : « Tout ce que Dieu a fait est très bon (Gn 1,10 et 31) — BC I*, p. 36-43). Toute mauvaiseté vient du péché de l'homme, à commencer par la faute d'Adam. Et même alors, il reste invité, aimé de Dieu.

Lc, lui, caractérise les nouveaux invités à un point de vue moins moral (« bons ou mauvais ») et plus évangélique : ce sont « les pauvres, estropiés, aveugles et boiteux » = ceux-là même que le Christ conseille d'inviter de préférence § 225Lc 14,13). Mais on voit ici qu'agir de la sorte, c'est faire comme Dieu, qui a « envoyé » non seulement ses serviteurs, prophètes ou apôtres, mais bien son propre Fils, précisément pour appeler pauvres, aveugles et boiteux, comme l'avait annoncé Isaïe (Is 61,1 Is 35,5-6, etc. — Cf. § 30 et § 106Lc 4,16* et Mt 11,5).

Force-les à entrer : Manière de rappeler combien est pressante l'invitation, au sens où elle se fait chaleureuse et même, au besoin, véhémente, pour l'emporter sur nos hésitations ou tergiversations, avant qu'il ne soit trop tard — car c'est le temps, aussi, qui presse de nous décider. Quant à la manière dont Dieu nous attire, en veillant à « ne porter aucune atteinte à notre liberté », cf. Augustin § 163Jn 6,41-43), et § 174Mc 9,35*; § 249Mt 19,20-21*. Encore moins l'homme pourrait-il prétexter de quelque motif que ce soit pour enfreindre la liberté de conscience. Mais la parabole montre à tout le moins que toute insistance n'est pas pour autant exclue. Voir l'exposé sur la manière d'agir du Christ et des Apôtres dans la Déclaration de Vatican II sur la liberté religieuse, § 10 -11, p. 682-685).


Surtout, dans cette expression, le souci de la nécessaire liberté ne doit pas polariser tellement l'attention que passe inaperçue la force du verbe principal : presse-les d'entrer — au sens, décisif et < captivant >, de la libre et totale remise de soi-même, où l'on dit : « entrer en religion » :

n. cabasilas : La vie en Jésus-Christ' (PG 150, 500-501 ; tr.fr. p. 24-25) : En tout ce dont les saints ont besoin, rien qui ne soit pas le Christ : il les engendre, les fait grandir, les nourrit, il est leur lumière et leur respiration, il forme leur regard, l'illumine, et enfin s'offre lui-même à leur vision. A la fois il nourrit, et il est lui-même la nourriture ; c'est lui qui donne le pain de la vie, et ce qu'il donne est lui-même. Il est la vie des vivants, le parfum qu'ils respirent, le vêtement, pour qui veut le revêtir. C'est lui qui nous donne de pouvoir cheminer. Et il est la voie, et le lieu de repos, et le terme. Nous sommes les membres, et lui la tête. Devient-il nécessaire de combattre ? Il combat avec nous... et si nous remportons la victoire, il est lui, la couronne. C'est ainsi que de toutes parts il ramène à lui notre esprit, et ne lui permet pas de dévier vers rien d'autre ni de donner son amour à rien d'autre. Si notre désir prend une autre direction, il l'arrête : « Si je monte au ciel, Tu es là ; je descends aux enfers, Te voici. Si je prends les ailes de l'aurore pour habiter au plus loin des mers, là encore ta main me conduit et ta droite me tient » (Ps 139,8-10). Avec une violence merveilleuse, Il nous attire à lui seul, nous unit à lui seul. C'est là, je crois, la violence avec laquelle Il force les invités à venir dans sa maison et à son festin, en disant à son serviteur : « Force-les à entrer, jusqu'à ce que ma maison soit pleine. »

Mt 22,11-13 // Ex 4,24-26 Ga 3,27 Col 3,11-12 — On fait souvent remarquer l'hétérogénéité de cette nouvelle petite parabole. Même les serviteurs jusqu'ici appelés < douloï >, deviennent des < diakonoï >, des diacres (qui, de fait, sont spécialement affectés au service de la table : Ac 6,2-6).

La scène a changé en effet, et maintenant c'est bien le Jugement dernier (v. 13*). Mais les deux paraboles ne s'enchaînent pas moins, et fort bien. Reprocher comme une incohérence que soit à présent exigée la robe nuptiale des pauvres gens qui ne prévoyaient pas un tel honneur, c'est une fois de plus tomber dans l'anachronisme de juger les paraboles comme si elles étaient des récits < réalistes >. Si la parabole est une des formes du < Mâshâl >* § 247 - Mt 19,12; et BC I*, p. 331), même là où elle se présente comme une histoire, c'est sur un type foncièrement symbolique. Et ici plus que jamais, puisque c'est une image de l'entrée en éternité — donc se situant fort bien dans le prolongement de la 1° parabole, où l'on nous pressait de nous décider à entrer avant qu'il ne soit trop tard. (Sur la complémentarité des 2 images de l'entrée et de la robe nuptiale, voir plus loin le commentaire des // Ga 3,27 et Col 3,12).

Si en effet tout le monde est appelé sans condition préalable et donc sans discrimination, par l'effet de l'amour de Dieu, une fois entré dans la salle il en va autrement : « L'invitation de Dieu est gratuite, mais elle est aussi exigeante» (note de la Tob).

La robe nuptiale : On penserait au baptême, accomplissement de la circoncision donnée comme signe d'Alliance (Gn 17,11), et condition pour rejoindre le Peuple élu, participer à l'Exode et à l'Entrée en Terre Promise (// Ex 4,24-26 bc I*, p. 213). Mais d'après les textes de l’A.T. et du judaïsme, ce serait plutôt le « manteau de justice », non pas tellement peut-être au sens de « l'accomplissement des commandements ou des bonnes oeuvres, et l'étude de la Loi» (r. swaeles: art. cité, p. 667-68), qu'au sens d'Is 61,10 (en // au § 93 où ce « vêtement de salut » est aussi donné par Yahvé à celle qu'il épouse. Car si « bons ou mauvais » ont été appelés, « ceux que Dieu appelle, Il les justifie, pour leur donner la Gloire » (Rm 8,29, en // au § 40 . Au ciel, bien entendu, il ne peut y avoir que les saints, entièrement bonifiés. C'est dans cette perspective qu'il faut lire ces versets 11 à 14, et notamment les v. 13-14*.

Les // Ga 3,27 et Col 3,12 expliquent mieux encore la réalité mystique (sacramentelle) signifiée par la robe nuptiale. On les traduit en effet d'ordinaire : « Oui, vous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ » ; et : «Revêtez-vous des sentiments de compassion... » Mais si l'on regarde le < sens > de ces phrases, on voit qu'il est d'intériorisation, que ce soit du baptême comme d'une « plongée », ou du vêtement qui n'est pas un manteau tout extérieur qu'on endosserait, mais notre union, intégration, assimilation < in Christo Jesu > (d'où notre traduction). C'est ce que la dévotion au Coeur de Jésus avait traduit par toutes sortes d'images, dont la principale était l'introduction ou < la demeure >* dans l'intimité du coeur à coeur avec Jésus (C.J. Nesmy: L'Amour du Christ, II° et III° Parties). Ainsi, entrer dans la salle des Noces messianiques, ou revêtir la robe nuptiale, sont 2 images complémentaires du même Mystère de notre assimilation au Christ.

Mt 22,13 — Après tant d'invitations, voici l'avertissement ultime, pour qui aurait résisté opiniâtrement à toutes les prévenances de Dieu jusqu'au-delà du temps de sa vie : il ne reste plus que les images désolantes de l’Enfer : pieds et mains liés (à l'inverse de Lazare, que l'on délie une fois ressuscité, Jn 11,44), les ténèbres extérieures, pleurs et grincements de dents § 136Mt 13,41-43*).

Mt 22,14; (Lc 14,24 — Beaucoup sont appelés mais peu sont élus : Cette conclusion joint le thème principal de l'appel (propre à la 1° parabole, des v. 2-10) à celui de l'élection définitive (qui ressort plutôt de la 2° parabole: Cf R. swaeles: art. cité, p. 662). Ce qui confirme leur complémentarité.

Luc parle bien d'une exclusion totale des premiers invités : « aucun des hommes... », mais c'est que chez lui, la parabole, ni en elle-même ni par son contexte, ne prenait valeur allégorisante, visant la défection d'Israël. Par contre, Mt qui porterait à donner ce sens < historique > à la parabole des Invités, évite de viser Israël dans sa conclusion, qui n'est ni éliminatrice ni exclusivement dirigée contre le peuple premièrement élu :

Beaucoup, en effet, c'est < Polloï > = innombrables, sans limitation. Peu, c'est « le petit Reste » des Prophètes : Ce « peu » de Juifs à répondre aux invitations réitérées des Prophètes, de Jésus lui-même puis des Apôtres, se trouve ré-uni grâce à « la Pierre Angulaire », à l'immense foule des païens appelés par contrecoup, et comme en dernière heure (v. 9-10 ; Col 3,11). Sur ce rapprochement entre « peu d'élus » et « petit Reste », cf. A. Feuillet, dans Rech. sr 1947, p. 322-26). Cependant, chez Luc aussi, l'exclusion de « beaucoup », et l'accès universel au Royaume de Dieu se trouvent prédits sous l'image de la Porte étroite (Lc 13,22-30).

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§ 283. L’impôt dû à césar : Mt 22,15-22; Mc 12,13-17; Lc 20,20-26


(Mt 22,15-22 Mc 12,13-17 Lc 20,20-26)

-Suite des « pièges » (voir Introd. aux § 279 -311). Sur les Hérodiens : § 45 in fine. Luc précise la tactique : se fournir d'une accusation politique pour obtenir de Pilate la condamnation de Jésus. C'est en effet ce qu'ils devront prétexter lors du procès § 349Jn 19,12. Rien n'y manque, pas même l'obséquiosité du compliment initial, qui n'en est pas moins exact : vérité de sa vie comme de son enseignement, indépendance vis-à-vis des personnes et des apparences... La question porte directement sur le tribut à l'occupant romain, que refusaient de payer les Zélotes (parti nationaliste qui entraînera Israël dans la révolte en 67 et, par voie de conséquence, la ruine de Jérusalem par Titus en 70) ; cf. P. Bonnard : p. 321.

Mt 22,18-21 Mc 12,15-17 Lc 20,23-25 — Après avoir montré qu'il a percé leur mauvaise foi, Jésus donne à ses adversaires une « leçon de chose », d'autant plus irrécusable qu'elle s'appuie sur la réalité d'une situation dont témoignait la monnaie elle-même. On dit bien que le propre de la justice est d'avoir son < fundamentum in re >. La justice est réaliste...

Mais à son ordinaire, le Christ élargit le débat, et doublement. D'abord, sa sentence est « un principe général, valable comme tel dans le domaine politico-religieux » (F.M. Stratmann : J.C. et l'État, p. 156). Il vaut même en tous rapports du temporel et du spirituel. Mais du même coup, le Christ s'élève au-dessus du politique, et rappelle les droits de Dieu. Aussi a-t-on vu en sa réponse une façon d'éviter de s'impliquer lui-même dans les options politiques, comme il avait refusé d'entrer dans les questions d'héritage § 205 - Lc 12,13-21*). Or il y a bien davantage :

Rendez à César : Contre les prétentions de toute hiérocratie, c'est affirmer la réalité — on dirait aujourd'hui : la consistance — du domaine politique, et l'autorité de l'État dans son ordre fût-il < César >.

et à Dieu ce qui est à Dieu : Contre tout césarisme, c'est réclamer « que les droits supérieurs de Dieu soient respectés (Vatican II: Sur la liberté religieuse, DH 11 — avec citation de Mt 22,21 à l'appui). Pour mesurer l'audace du propos, il faut avoir à l'esprit l'emprise extrême, quasi totalitaire, que le droit antique reconnaissait à l'Etat, y compris en matière de religion. Qu'on se rappelle la rigueur de Créon, et l'initiative inouïe d'Antigone, osant braver les lois pour suivre sa conscience. Même Socrate s'était incliné devant une condamnation injuste. Fustel de Coulanges : « Dans les vieux âges, la religion et l'État ne faisaient qu'un... Au lieu de cela, Jésus-Christ sépare la religion du gouvernement... [Puis, après citation de Mt 22,21] : C'est la première fois que l'on distinguait si nettement Dieu de l'Etat. Car César, à cette époque... tenait encore dans ses mains le culte et le dogme. Sa personne même était sacrée et divine... Mais voici que Jésus-Christ brise cette alliance que le paganisme et l'empire voulaient renouer; Il proclame que la religion n'est plus l'Etat, et qu'obéir à César n'est plus la même chose qu'obéir à Dieu » (La Cité antique, Hachette 1916, p. 461).

« Les droits de l'homme » sont si bien revendiqués par les incroyants les tout premiers, qu'on en arrive à oublier qu'ils ont leur origine dans cette Parole du Christ, libératrice comme toutes les autres. Pire même : on oppose ces droits à ceux de Dieu !... Mais il est non moins vrai que la sentence du Christ ne saurait être prétexte au laïcisme, quand bien même celui-ci se bornerait à une pure séparation pacifique entre l'Eglise et l’Etat :

// Sg 6,7 Ps 47,8 Pr 8,15-16 Sg 6,1-3 Ps 2,10-12 Rm 13,1-7 — Ces quelques parallèles suffisent à montrer en effet que tout laïcisme, fût-il de juxtaposition bienveillante, est hors de la perspective de tout l’A.T...

C'est Dieu le Roi, de droit, comme Créateur. Qu'on se rappelle ses avertissements lors de l'institution de la royauté en Israël (1S 8). Mais Dieu n'est pas jaloux de son autorité, qu'il délègue volontiers, à condition que, tel Salomon, le chef civil reconnaisse les droits de Dieu et soit le premier à « chercher d'abord et confirmer le Règne de Dieu » § 67Mt 6,33*, avec en // 1R 3,5-6 1R 3,10-13). Cette < sub-ordination > des chrétiens au pouvoir civil, mais de celui-ci à Dieu, affirmée par saint Paul (// Rm 13,1-7), les grands évêques ont su l'affirmer, même face au pouvoir autocratique byzantin : « Le précepte de donner à César ce qui est à César, dit par exemple Jean Chrysostome, s'entend de ce qui ne s'oppose pas au service de Dieu. Sinon, ce ne serait plus un tribut payé à César, mais à Satan ! » (Sur Mt, hom. 70, 2) — Vives 12, p. 678). La théorie < des deux glaives > (de la papauté et de l'Empire) en était une application. À condition bien entendu que la < sub-ordination > résulte de la transcendance du Royaume « qui n'est pas de ce monde » § 356Jn 19,36, et que par là s'opère un redressement, une ré-ordination du politique (ou plus généralement de tout le temporel) au but non seulement spirituel du bien des personnes humaines, mais éternel de l'accomplissement du dessein divin de Salut :

« C'était le geste rédempteur du Christ dans le domaine politique. Le Seigneur a supprimé la domination exclusive de l'État sur l'individu; il a séparé l'homme du citoyen; il a placé l'homme au-dessus du citoyen, le « prochain » au-dessus du compatriote. Il a enseigné la supériorité infinie du Royaume de Dieu sur n'importe quel royaume de la terre ; il a donné à l'homme le droit et le devoir d'obéir à Dieu plus qu'à César... » (F.M. Stratmann : J.C. et l'État, p. 161),

L'Évangile de Thomas, n° 104, citant la même Parole du Christ, y ajoute : «... et ce qui est à moi, donnez-le-moi » (Év. Apocryphes, p. 181). Mais le Christ n'a pas à s'ajouter au Règne de Dieu, car Lui-même se rapporte tout entier à son Père — ni non plus à s'ajouter aux autorités politiques en étant < Christ-Roi > (cf. l'Encyclique de Pie XI, 12 décembre 1925) — au § 356 *).

Mt 22,22 Mc 12,17 Lc 20,26 — Le Christ n'a pas seulement réduit ses adversaires au silence : Il les plonge dans l'admiration. Et cela confirme que — contrairement à certaines interprétations — sa réponse n'était pas seulement habile, mais « véridique », et d'un enseignement si neuf, si transcendant, qu'il demande à être « médité dans son coeur », comme faisait la Vierge Marie (Lc 2,51).

p. 571

§ 284. La résurrection des morts : Mt 22,23-33; Mc 12,18-27; Lc 20,27-38


(Mt 22,23-33 Mc 12,18-27 Lc 20,27-38)

— « La question essentielle posée à la vie humaine, c'est la mort; si l'on n'y répond pas, on n'a, en définitive, rien répondu du tout » (J. Ratzinger: Les principes..., p. 39-40). On peut, avec P. Chaunu, répartir « les systèmes de la mort » entre les deux extrêmes de « la mort-chute dans le néant », ou bien au contraire de sa négation comme d'une apparence illusoire (la < Maya > de l'hindouisme) dans le cycle des renaissances, dont il faut s'évader par la gnose, l'accomplissement des devoirs religieux et moraux, ou la piété (< Bhakti >). Toutefois, la plupart ont, jusqu'à ces derniers temps, pressenti une survie, soit par la croyance au < Double > (comme le < Ka >, le < Baï >, le < Akh > et l'ombre des Égyptiens), soit par la croyance en l'immortalité de l'âme.

La Révélation biblique accepte la réalité de la mort, mais en précisant qu'elle vient du péché de l'homme, et premièrement du Diable (Gn 2,16-17 Gn 3,19 avec ses // Sg 1,12-15 Sg 2,23-24 — BC I*, p. 47 et 59-60). Cette mort creuse une telle séparation d'avec la vie terrestre, que tout essai de reprendre contact avec les morts est interdit (Cf. Saül et la sorcière d'En-Dor: 1S 28). Mais, « si la mort est bien la mort, la vie est la vie. Et la vie est pour Dieu. Alors quand le but est atteint, quand l'amour de Dieu envahit les instants de cette vie, il n'est plus possible que l'amour de Dieu, qui est « au commencement »*, en dehors du temps qu'il a créé, tienne encore dans ce temps... Cette histoire d'amour (entre Dieu et son peuple) conduit au-delà de la mort et du temps... L'Amour de Dieu transforme l'instant de la mort, l'ultime instant qui récapitule la totalité du temps vécu, à travers une mutation qui est dite Résurrection, en Éternité participée.

[Citant la vision d'Ézéchiel 37, sur la résurrection des ossements desséchés, et la promesse au Bon Larron de Lc 23,43, P. Chaunu conclut] : La mort est vraie, mais l'Amour de Dieu est vrai, plus vrai encore. Et l'amour de Dieu ne peut se satisfaire en dehors de l'Éternité. Éternité d'acceptation ou de refus... » (Histoire et décadence, Ed. Perrin 1981, p. 40-45 ; cf. du même P. Chaunu : La mort à Paris, Fayard 1978, toute la 1° Partie, surtout le ch. 2 p 60-82, « La Parole des origines » ; cf. aussi Ph. Ariès : L'homme devant la mort, Seuil 1977).

Déjà les psaumes pressentaient cet Amour qui ne saurait mourir, mais s'épanouira en « plénitude de joie dans le face-à-face/extase en ta droite pour l'éternité» (Ps 16,11 cf. Ps 17,15 Ps 21,2-7 Ps 22,30 Ps 23,6 etc.)

Mt 22,23 Mc 12,18 Lc 20,27 // Ac 23,6-8 — Les Sadducéens (voir au § 20 — Mt 3,7*). Comme ils s'en tenaient surtout au Pentateuque, il leur était facile de prétexter qu'ils n'y trouvaient pas expressément révélation de la Résurrection. C'est aussi pour quoi Jésus, plutôt que de citer des textes plus clairs mais plus récents § 266 — Jn 11,20-27* et les // Da 12,1-2 2M 12,43-44 Jb 19,25-27), va se référer à « Moïse » (Mc 12,26-27*, et // Ex 3,15). Saint Paul jouera de cette divergence entre Sadducéens et Pharisiens, pour rompre la conjuration de ses accusateurs, en les retournant ainsi les uns contre les autres (// Ac 23).

Mt 22,24-28 Mc 12,19-23 Lc 20,28-35 // Dt 25,5-6 Gn 38,6-9 — Sur cette loi du lévirat, cf. BC I*, p. 169-170. Elle était un moyen supplémentaire d'assurer la perpétuation du Nom et de l'héritage (cf. plus loin, Mc 12, 26-27, Ratzinger). Dans la généalogie du Christ, cette loi a joué, malgré la mauvaise volonté d'Onan (// Gn 38,8-9), au moins pour Ruth et Booz, d'où sortit Jessé puis David : toute la Loi était pour le Messie, en qui elle trouverait son accomplissement. Il n'y avait donc lieu de tourner en ridicule ni cette loi, ni encore moins la vie de ressuscité... Car c'est le ton qui est ici le plus déplaisant : supérieur, narquois et même, sans avoir l'air d'y toucher, égrillard.

Mt 22,29-30 Mc 12,24-25 Lc 20,34-36 // Ph 3,20-21 1Co 15,16-19 1Co 15,43-44 — Vous êtes dans l’erreur : Mc y revient pour finir : dans une grande erreur. C'est le même mot que pour la brebis égarée § 178Mt 18,12-13*), et que pour les imposteurs qui en égarent beaucoup § 292 -295 - Mt 24,4-5 Mt 24,11 Mt 24,24; cf. 27,63-64) : victimes de l'erreur, et qui la répandent...

parce que vous ne connaissez pas les Écritures, ni [par conséquent (< Mè dé >)] la puissance de Dieu: Les deux méconnaissances vont de pair. Car l'Ancien comme le Nouveau Testament révèle « dès le commencement » la puissance < dynamique > de Vie qui est en Dieu, Créateur et Père — et qu'il a confiée au < Fils de l'homme >,* Jésus § 149Jn 5,28-29; voir à la fin de ce paragraphe : Athanase). Mais aussi, à l’inverse :

On ne veut point entendre que Dieu puisse faire des choses au-dessus du sens et du raisonnement humain, ni autre chose que ce qu'on voit. C'est pourquoi on n'entend pas les Écritures : parce que pour ne vouloir pas étendre ses vues sur l'immensité de la puissance de Dieu, on abaisse les Écritures à des sens proportionnés à notre faiblesse. On ne veut croire ni incarnation, ni eucharistie, ni résurrection, ni rien de ce que Dieu peut, et de ce qu'il veut bien faire pour l'amour de ses serviteurs... (Bossuet : Méditations, 40° jour; I, 183).

À la résurrection ils ne prennent : Au présent (éternel), donc sans désigner précisément le Jugement dernier, encore à venir, mais plutôt comme la vie de l'au-delà, « dans ce ciel », opposée à la vie terrestre. Luc le marque plus évidemment par la suite : « ce siècle/l'autre siècle et la résurrection ».

ceux qui auront été jugés dignes d'avoir part à la résurrection (Lc): Comme souvent, la résurrection désigne le sort des élus, but positif du dessein divin. Si tout le monde n'y aboutit pas, cela ne peut venir que de notre faute § 225 — (Lc 14,14*). Ne prennent ni femme ni mari car ils ne peuvent plus mourir (Lc): La multiplication des vivants était au programme de leur création même (Gn 1,20 Gn 1,22 Gn 1,28). Mais le péché, la condition mortelle, et l'abréviation de la vie qui s'ensuivent (Gn 3,19 Gn 6,3) ont donné à la génération humaine une urgence impérative : que l'on pense, pour autrefois, à la nécessité de parer à l'énorme mortalité infantile ; et pour aujourd'hui, au péril mortel que la dénatalité fait courir à l'Europe. Dieu a même fait de la génération le principe du Salut, en laissant dès Gn 3,15 entrevoir que celui-ci viendrait par le mystère de la Femme et de sa Descendance, Marie et Jésus (BC I*, p. 61-62). Et Adam y encourage Eve, dès Gn 3,20 et Gn 4,1. Par contre, au ciel, plus besoin :

Grégoire de Nysse : De Anima, Sermo I (Éd. Morel n, p. 103) : « Dieu s'est reposé de toutes les oeuvres qu'il avait faites » (Gn 2,2). Mais maintenant encore, il crée lui-même les âmes (comme l'enseigne la foi catholique : cf. < Humani Generis >1950; D.u. n° 3027). Quant aux corps, qui se forment les uns après les autres par la procréation du couple, ils sont mortels ; et c’est pour la conservation de l'espèce qu'ils engendrent et sont engendrés. [C'est pourquoi il n'y aura plus de générations quand le nombre des élus sera complet].

Comme les anges... fils ressuscités — fils de Dieu (Lc): La Puissance de Dieu ne se bornera pas à une prolongation de la vie, comme pour Ézéchias (Is 38), ni au simple retour à cette vie terrestre, comme pour Lazare § 266 , mais elle éclatera en notre « transfiguration », dont celle du Christ peut nous donner une image: comparer // Ph 3,20-21 et 1Co 15,43-44 à Mt 17,2 Mt 17, cette vie de ressuscité est si divine que les images et les mots — par hypothèse, terrestres - n'en peuvent donner qu'une idée imparfaite jusqu'à en être faussée. À ce < mystère >, on peut seulement croire, c'est-à-dire faire confiance qu'il dépasse tous nos désirs. Nous n'en savons que ce que l'Écriture en a révélé, tel que la Tradition l'a défini : « J'attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir» (Credo de Nicée-Constantinople). Ou encore, sous forme plus développée,

« L'exemple de notre chef nous fait confesser qu'il y a une véritable résurrection de la chair pour tous les morts. Nous ne croyons pas que nous ressusciterons dans un corps aérien ou dans quelque autre espèce de corps, mais dans ce corps avec lequel nous vivons, nous existons, et nous nous mouvons » (XI° concile de Tolède, 675; La foi catholique n° 27; D.u. n° 287).

Mt 22,31-32 Mc 12,26-27 Lc 20,37-38 // Ex 3,15 He 11,13 He 11,16 — En quoi le titre de Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob a-t-il un rapport avec la résurrection des morts ? — La plupart des exégètes n'y voient qu'un procédé rabbinique sans valeur probante. Lagrange (citant Loisy) suppose que l'argument s'appuyait sur la foi du judaïsme que Dieu n'abandonnait pas à la mort ceux qui, ayant vécu pour Lui, sont devenus les siens. Mais F. Dreyfus a montré que l'expression, tant dans la Bible que dans le judaïsme contemporain de Jésus, signifie plus précisément que Dieu s'est engagé à être Sauveur (ou < bouclier >) des patriarches, et que si la mort était pour eux définitive, Il ne tiendrait pas sa promesse: « Non pas tant le Dieu que les Patriarches ont adoré, que le Dieu qui les a protégés, sauvés » (L'argument scripturaire de Jésus en faveur de la résurrection des morts ; dans RB 1959, p. 213-224). Cela va aussi dans le sens de toute la révélation biblique, suivant laquelle tout dépend beaucoup moins de nos mérites que du Don initial de Dieu. Et Il nous donne sa Vie parce qu'il est Amour. C'est le fondement de notre espérance, qui peut ainsi ne s'appuyer que sur ce que Dieu est Dieu, et par conséquent, être aussi solide que Lui.

// He 11,13 He 11,16 — Le P. Spicq a montré que « les deux raisonnements de Mc 12,26-27 et d'He 11,13-16 sont très voisins » (L. Dreyfus, p. 219, référant à C. Spicq: L'Épître aux Hébreux, Gabalda 1953, u, p. 352). Devenu par l'Alliance « leur Dieu » (= le Dieu d'Abraham, Isaac et Jacob), Dieu se doit de tenir des promesses qui dépassaient le temps de leur vie terrestre (v. 13), en leur assurant une cité = une demeure = la Vie, éternelle.

Plus précisément (et suivant Lagrange non moins que Dreyfus, p. 224), cette espérance, notamment en la résurrection, se fonde donc en l'Alliance, conclue premièrement avec Abraham, Isaac et Jacob, désormais définitivement renouvelée en Jésus-Christ. Elle va jusqu'à la communication des noms, Dieu s'appelant désormais « Dieu d'Abraham » ou « Dieu de nos pères », et de nous autres étant entrés dans la famille, < christianisés >, « fils de Dieu » (Lc 20,36). Puisque < le nom c'est l'être > (BC I*, p. 50, 210, 250), c'est dire aussi que l'Alliance nous a fait part de la Vie de Dieu, qui est éternelle :

J. Ratzinger : Les principes... p. 31 : Le mariage établit entre deux personnes une communauté de nom ; celle-ci à son tour exprime le fait que désormais ces personnes forment une unité nouvelle, si bien que, quittant le lieu où elles vivaient jusqu'alors, elles habitent désormais non plus chacune de son côté mais ensemble. Le baptême réalise chez l'homme une communauté de nom avec le Père, le Fils et l'Esprit [« Je te baptise au nom de... Mt 28,19]. La situation du baptisé est ici, sous un certain aspect, comparable à celle d'une épouse dans une société patriarcale : il a reçu un nom nouveau, et appartient désormais au milieu d'existence délimité par ce nouveau nom.

La signification de ce fait apparaît, semble-t-il, de façon particulièrement marquante dans la controverse de Jésus avec les Sadducéens au sujet de la résurrection (Mc 12,18-27), Les Sadducéens ne reconnaissent pas les écrits tardifs du Canon, et Jésus se trouve dans la nécessité d'argumenter à partir de la Torah. Il le fait en soulignant que Dieu se présente à Moïse comme le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Dieu s'est à ce point lié à l'homme que c'est par référence à tel homme qu'on peut dire qui il est et le distinguer des autres Dieux. Il se nomme à travers des hommes ; et ces hommes sont devenus pour ainsi dire son nom propre. Abraham, Isaac et Jacob sont ainsi comme des attributs de Dieu. Et c'est là-dessus que s'appuie l'argumentation de Jésus : ces hommes permettent de nommer Dieu, ils appartiennent au concept de Dieu, ils sont le nom de Dieu. Mais Dieu est le Vivant, et celui qui est en rapport avec lui au point de faire connaître son identité au monde, celui-là participe lui-même de Dieu ; or celui-ci est le Dieu des vivants, non le Dieu des morts.

Pas le Dieu des morts, mais des vivants: Si l'on ne se préoccupe plus de Dieu que vis-à-vis de la mort et du Jugement, l'image que l'on se fait de notre Père des cieux risque en effet de se dévaloriser en un « Dieu des morts ». Mais c'est là dé-christianisation, régression à une religion naturelle, païenne (qui est pourtant mieux que le néant a-thée). Pour la foi chrétienne, le « Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ » est le créateur, le rédempteur et le régénérateur de la Vie. Il n'est que Vie, et vivifiant (Lc 20,38b) :

Athanase : De l'Incarnation du Verbe, I, 6-10 (PG 25, 105-113) : La mort sévissait de toutes ses forces contre les hommes... mais par la nature humaine qu'assumait le Verbe de Dieu, la mort fut vaincue et la résurrection de vie fut assurée... Désormais, ce n'est pas comme des condamnés que nous mourons, mais comme des gens qui se réveilleront ; et nous attendons la résurrection que Dieu manifestera en son temps, lui qui l'a décrétée et qui l'a donnée.

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Bible chrétienne Evang. - § 282. Les invités au festin, la robe nuptiale : Mt 22,1-14; (Lc 14,15-24)