Bible chrétienne Evang. - § 294. «L’abomination de la désolation» : Mt 24,15-22; Mc 13,14-20; Lc 21,20-24

§ 294. «L’abomination de la désolation» : Mt 24,15-22; Mc 13,14-20; Lc 21,20-24


(Mt 24,15-22 Mc 13,14-20 Lc 21,20-24)

— Après la mise en garde contre les faux signes qui pourraient faire illusion § 292 -93), voici, positivement, le signe demandé au § 291 , comme le précise la relation entre Mt 24,14-15a : « Alors viendra la fin : quand donc vous verrez < l'abomination de la désolation > (// Dn et M).

Cette expression est reprise, par Matthieu et Marc, de la célèbre prophétie de sur « les 70 Semaines ». Nous préférons donner en // les trois autres passages de l’A.T. où cette même expression se trouve reprise et en partie expliquée. Il s'agit de « l'érection de la statue de Zeus Olympien par Antiochus Épiphane dans le Temple de Jérusalem, en 168-7 av. J.C. (// 1M 1,54 et 2M 6,1-4), avec cessation du culte de l'Alliance — « le sacrifice perpétuel » (// Da 11,31 et Da 9,27) — durant un temps déterminé (// Da 12,11 et Da 9,27). L'abomination est le terme spécifique pour condamner les idoles, ainsi que la profanation et l'apostasie qu'elles entraînent (// Da 11,31-32): cf. Jr 13,27 Ex 5,9. La désolation : au sens premier de ce mot, « rendre vide en ravageant » (TLF) ; « voulez-vous sans pitié désoler cette terre » (Racine). Suivant l'étymologie du mot grec : action de rendre désert (Jr 4,7 Jr 7,34 Jr 22,5). Cette désolation est donc celle que provoque < l'abomination >, faisant déserter le Temple par Yahvé (Ez 10,18-22 et Ez 11,22-23 Ez 12,20), comme le constate 1M 2,12 1M 4,38. Sur tout ceci, cf. B. Rigaux, dans « Biblica » 1959, p. 675-683.

En quel sens Matthieu et Marc se réfèrent-ils à la célèbre prophétie ? — Qu'il s'agisse en premier lieu de la ruine du Temple, nous en avons trois indices convergents : 1) La prophétie de Daniel visant une profanation antécédente, si Matthieu et Marc la citent, ce doit être pour un nouveau malheur du même genre. 2) Matthieu et Marc ajoutent aussitôt que cela touche les habitants de Judée, donc c'est à propos d'un événement localisé. 3) Luc, évitant une expression trop judaïque pour être comprise de ses lecteurs, de culture grecque, la traduit en clair par : « le siège de Jérusalem ». Et pour que nul ne s'y trompe, il garde le mot de « désolation », comme effet de < l'abomination > que représente la ruine de la Ville Sainte par Titus, en 70. Cela correspond d'ailleurs à ce qu'annonçaient les pleurs du Christ sur Jérusalem § 274Lc 19,41-44). Mais ce n'est pas moins explicite ici (Lc 21,24). Or Luc était mieux en mesure que nous de comprendre ce qu'avaient voulu dire Marc et Matthieu.

Toutefois, il n'est pas exclu que la prochaine ruine du Temple vaille elle-même comme symbole des < abominations > qui entacheront l'ère chrétienne, et notamment l'Antichrist, « exigeant un culte et allant jusqu'à s'asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, proclamant qu'il est Dieu » (2Th 2,4 Ap 13). Le fait surprenant que Marc réfère à cette < abomination > (au neutre, en grec) par un pronom au masculin, laisserait supposer qu'il prend l'expression en un sens personnalisé, désignant ainsi l'Antichrist. Donc, derrière le premier plan de la ruine du Temple, se profilent plus largement les événements « apocalyptiques ». C'est peut-être pourquoi Matthieu et Marc nous invitent à prendre ce signe pour nous-mêmes : toi qui lis, comprends !...

Mt 24,16-20 Mc 13,14-18 Lc 21,21-23a — Conduite à tenir dès que l'on verra le signe : fuir. Marc, suivi par Matthieu, insiste sur la promptitude; Luc, sur l'éloignement nécessaire. Comme Lot : // Gn 19,17-26 Gn 19,

fuir dans les montagnes: comme Lot encore. Mais le symbole est naturel, puisque d'une part, les pays montagneux ont de tout temps été le refuge devant l'occupation d'un pays, et que d'autre part, leur élévation même porte à y trouver Dieu « d'où viendra mon secours » (Ps 121,1-2 cf. // Ps 11).

// Jr 25,13 Dt 32,35 Ps 94,1-4 — Luc abrège sur les circonstances aggravantes, mais pour dire plus expressément que le malheur de Jérusalem est une « vengeance » de la « colère » de Dieu — donc au sens divin où le mal provoque un Père qui nous aime à se dresser contre le péché qui nous sépare de Lui, et à s'en venger en nous en rachetant et sauvant : cf. // Ps 94,17-20, la < colère > et la < vengeance >, cf. § 20Mt 3,7* ; § 59 — // Si 12,6* ; et BC I*, p. 338).

pour que s'accomplisse* tout ce qui est écrit: Référence explicite aux nombreuses prophéties sur la destruction de Jérusalem, dont nos // donnent un échantillon.

Mt 24,21-22 Mc 13,19-20 Lc 21,22-24 — Après la recommandation (verbes à l'impératif), l'explication, comme précédemment (Mc 13,5-7 et Mc 13,8, ou Lc 21,8-9a et 9b) : car... Une détresse : Mt et Mc reprennent à , le mot de < tribulation >, à forte connotation eschatologique (cf. pc III, p. 52, 54, 56). Luc y susbstitue le mot < Anankè >, évoquant la nécessité pressante, donc la « détresse » où l'on est jeté, mais aussi le < destin > qui, pour les grecs, était fatalité, mais en langage évangélique, relève du < Il faut >* du dessein de Salut de Dieu qui embrasse l'histoire entière du monde.

une détresse telle qu'il n'y en a pas eu depuis... (// Dt 12,1 et Jl 2,2) : Emphase et généralisation caractéristiques du genre littéraire apocalyptique (cf. RB 1948, p. 497-498). Marc renforce encore . Là aussi, Luc préfère traduire concrètement (Lc 21,24). En soi, le massacre des habitants de Jérusalem et la dispersion des Juifs ne seraient malheureusement pas une calamité unique, entre tant de génocides, que ce soit dans l'Antiquité ou de nos jours. Ce qu'il y a d'unique, c'est que ce malheur soit ici imputé à « la colère »* de Dieu, pour rentrer dans son Dessein de Salut (v. 22b).

jusqu'à ce que soient révolus les temps des nations : À s'en tenir au seul début de ce même v. Lc 21,24, on pourrait comprendre qu'il s'agit seulement du temps limité où Jérusalem serait foulée aux pieds, comme au temps des Maccabées ou de l'Exil à Babylone (// 1M 3,51 Ps 79,1-3), comme dans les // Da 12,11 et Ap 11,2, où ce temps est symboliquement comptabilisé. Mais étant donné l'ampleur eschatologique des perspectives, il convient plutôt d'entendre ces « temps des nations » comme de ceux où Dieu patientera pour laisser à « la totalité des païens » la possibilité de se greffer au vieux tronc d'Abraham, jusqu'à ce que les Juifs eux-mêmes se réconcilient à leur tour, réalisant ainsi la fin (= le but) du dessein de Salut universel, comme saint Paul l'explicite en Rm 9-11. Le fait que Luc emploie ici le mot < Kairos >*, et au pluriel — donc : « des temps favorables » — appuie en ce sens. Saint Paul encore dégage en clair la leçon, qui vaut pour tous, juifs ou païens : « Considère donc la bonté et la sévérité de Dieu, et demeure en cette bonté, autrement tu seras retranché toi aussi » (Rm 11,22 — cf. v. 25-29, en // au § 45 .

Mt 24,22 Mc 13,20 — Nulle chair*. « Thème apocalyptique juif (Livre d'Hénoch) : la détresse finale sera abrégée soit pour que les élus puissent être atteints par la mission (cf. v. 14), soit pour qu'ils échappent à la destruction totale; autre interprétation, plus probable: à cause des élus, l'humanité entière sera épargnée... » (Note TOB), comme Sodome aurait pu l'être s'il s'y était trouvé seulement 10 justes... 'A cause des élus qu'il a élus (Mc) : la redondance met en valeur ce que le mot d'élus, à lui seul, impliquait déjà : au pire des catastrophes, l'amour dont Dieu nous aime nous sauvera (cf. le chant triomphal de Rm 8,28-39). A. Feuillet souligne que par là, Jésus reprend à son compte une révélation fondamentale dans la théologie prophétique : le Dieu de l'Alliance préservera « un Reste » à Israël, Peuple premièrement élu. Cf. déjà la conclusion de la parabole des ouvriers de la onzième heure § 252 — Mt 20,16 et § 282 — Mt 22,14*). Et aussi, bien entendu, Rm 9,27-29 et 11,1-7 (RB 1948, p. 498-500).

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§ 295-296. L’entre-deux: Mt 24,23-25 et 26-28; Mc 13,21-23 (Lc 17,23-24 Lc 17,37b)


(Mt 24,23-28 Mc 13,21-23 Lc 17,23-24 Lc 17,37b)

— Dans ces « temps des nations », de durée indéterminée, qui vont de la destruction du Temple § 294 à la Parousie proprement dite § 297 , le danger reste le même que durant « le commencement des douleurs » § 292 *) : la séduction des faux-Christs, et des faux-prophètes. Mt le répète même par deux fois, d'abord sous la forme retenue par Mc 13,21-23, ensuite comme Le en son premier paragraphe sur « les jours du Fils de l'homme » (17,23-24). De l'une à l'autre, il n'y a qu'une précision supplémentaire, « ici et là » devenant une manifestation du Christ « dans le désert » ou « dans le cellier » c'est-à-dire : intérieurement ou secrètement, comme le suggère la réponse du Christ qui introduit précisément le discours précité, en Lc 17,20-21 : « Le Règne de Dieu n'arrive pas de telle manière... que l'on puisse dire : < Il est ici > ou < Il est là >. Il est au-dedans de vous » § 242 *). On voit par le // Dt 13,2-5 que la séduction des faux-prophètes est déjà prévue par Moïse. Exemplaire, la réaction énergique de saint Paul, au début de Ga 1,6-12 !

Pourtant, ici, comme il s'agit de signes précédant la manifestation glorieuse et définitive du Règne de Dieu, l'insistance porte sur la visibilité : « Ouvrez les yeux... Comme l'éclair... Alors apparaîtra... Ils verront... » Vision qui ne survient cependant expressément, notons-le, qu'au § 297 *.

Je vous ai tout dit d’avance : Comme en Jn 13,19; 14,29; 15,15 et 16,4. Mieux que Joseph (// Gn 41,25-28) ou Daniel (2,28-30, en // au § 292 , le Christ sait où Il va, pour que soit « parfait » (ou accomplI*) le Dessein d'amour du Père sur le monde § 24 — Mt 3,17b*).

(Lc 17,25-36): Entre l'image de l'éclair (v. 24) et des aigles (v. 37), Luc avait inséré l'annonce de la Passion du Christ par suite du rejet de « cette génération* (v. 25), puis l'exemple des contemporains de Noé ou de Lot (v. 26-30), que Mt reporte au § 302 *, enfin la promptitude nécessaire le moment venu (y. 31-36), avec les images qui sont celles de Mt et Mc au § 294 . En somme, les Evangiles distribuent différemment les Paroles du Christ, mais ce sont bien les mêmes, qu'ils s'efforcent de retransmettre (< Concordantia discordantium >*). Toutefois, les contextes différents colorent autrement les mêmes Paroles ainsi authentifiées. Les conseils de fuite immédiate, qui convenaient plus concrètement au temps du siège de Jérusalem § 294 *), s'appliquent d'après Luc au « En ce jour-là... où le Fils de l'homme se révélera » (v. 31 et 30). Nouveau signe qu'entre l'approche de la destruction du Temple et celle de la Fin du monde il y a rapport d'un événement exemplaire (comme aussi le Déluge ou la Fin de Sodome) à ce qu'il annonce.

Mt 24,27; (Lc 17,24) // Ps 19,6-7 Ha 3,3-4 — Pour clore l'Entre-Deux, une double image marquant le caractère transcendant et irrésistible de l'intervention divine pour mettre Fin aux « temps des nations » :

Comme l'éclair : cette première image répond à ce qui précède (« car... ») ; donc elle souligne d'abord l'aspect éclatant du « Jour » (Lc) de « l'Avènement » du Christ, nommé ici de son titre eschatologique de < Fils de l'homme >*:

Jérôme: Sur Mt IV, 24 (PL 26, 179): Le second Avènement du Seigneur se manifestera non pas dans l'humilité comme le premier, mais dans la Gloire. Il serait donc fou de chercher dans une cachette Celui qui est la lumière du monde entier.

Chrysostome: 2° Hom. « De cruce et latrone » (Vives 4, p. 37): Le premier avènement du Christ fut caché : il venait en effet chercher ce qui était perdu. Mais au second avènement, il n'en ira pas ainsi : « Comme l'éclair part de l'Orient et apparaît jusqu'à l'Occident, tel sera l'avènement du Fils de l'homme ». Soudain, à tous, il apparaîtra. Point ne sera besoin que personne interroge : quand un éclair se produit, nous n'avons pas besoin de demander s'il y a eu un éclair. Ainsi, au second avènement, nul n'aura besoin de demander si le Christ est venu.

Mais il y a aussi et surtout dans l'éclair un phénomène < céleste >, symbolique de l'intervention divine (Zeus, Dieu de la foudre), instantanée (< en un éclair >) et foudroyante. C'est donc dire ici que toute résistance de ce qui s'oppose (par le Mal) au triomphe du Règne de Dieu et de son Christ, sera < foudroyée >. C'est dire encore que, si l'image de l'éclair n'entraîne pas nécessairement celle des aigles (comme en Lc 17, où elles sont séparées par 11 versets), elles s'enchaînent pourtant fort bien, l'éclair cadavérisant « le corps », sur lequel vont converger les aigles.

Mt 24,28 Lc 17,37b // Gn 15,11-18 Ap 19,17-18 — Les images guerrières du combat eschatologique (Ez 38-39 Ap 19-20) n'ont que trop déchaîné les représentations sanguinaires du Jugement dernier comme d'un carnage monstrueux. Au surplus, caricaturées, elles sont devenues grand-guignolesques, et tellement usées que l'on n'ose plus guère en parler. Cependant, le // de Gn 15,11-17 nous en avertit déjà : en ces images, ce qui se trouve révélé n'est rien moins que le Mystère de l'Avènement du Règne de Dieu par le sacrifice du Christ (cf. BC I*, p. 97-98). Prolongé dans le sacrifice eucharistique du « Corps » du Christ, il rassemble les croyants, les communie, les porte et les surélève, tels des aigles (Dt 32,10-11, en // au § 222 , les invitant à se donner eux-mêmes en aliment, dans une < communion > mutuelle... C'est ce que suggère déjà saint Jérôme, et que D. Barsotti développe :

Jérôme: Sur Mt IV, 24 (PL 26, 179): Nous sommes instruits du mystère du Christ par un exemple naturel : on dit que les aigles et les vautours sentent les cadavres, même d'au-delà des mers, et se rassemblent sur cette proie. Si donc des oiseaux sans raison sentent par leur sens naturel où gît un cadavre qui est peu de chose et dont ils sont séparés par de si grands espaces et par les flots de la mer, combien plus, nous et toute la multitude des croyants, nous nous empresserons vers Celui dont l'éclair sort de l'Orient et paraît jusqu'à l’Occident ! Mais sous le nom de « corps » — « ptôma » qui est exactement le cadavre — nous pouvons aussi entendre la Passion du Christ à laquelle nous sommes appelés... afin que par elle nous puissions parvenir jusqu'au Verbe de Dieu...

D. Barsotti: L'Apocalypse, p. 285-286: [Commentaire du // Ap 19,17),On annonce la condamnation du monde, qui est en même temps la participation à la Passion du Christ. Les oiseaux, les aigles, doivent descendre sur le sacrifice immolé... Qu'est-ce que ce banquet sacrificiel ? Si la fin du monde est une extension de la Passion jusqu'aux dimensions de l'univers, la fin est aussi le sacrifice suprême et total de la création, une ablation qui comporte après elle une consommation, qui est la gloire et qui est la communion, car le sacrifice commence et s'achève dans la communion.

Comme le dit Origène, ce n'est pas seulement le corps et le sang de Jésus qui sont nourriture et breuvage, pain et vin, pour l'homme : nous-mêmes (et c'est notre raison de vivre), nous devons être nourriture et breuvage pour tous. Nous ne pouvons être dans le Christ qu'en vivant son sacrifice. Mais en participant à cette Passion, en vivant ce sacrifice, nous préparons dans notre corps et dans notre âme une nourriture et un breuvage pour tous les oiseaux du ciel, pour toute la création de Dieu. Nous devons être, nous autres, l'aliment de la création. La communion au sacrifice s'identifie à une communion universelle. À travers nous et à travers le Christ, c'est un unique amour qui vit : l'amour de Dieu, qui est nourriture et breuvage pour tous.

« Venez, rassemblez-vous pour le grand banquet de Dieu ». Le banquet sacrificiel, dans les évangiles synoptiques, est le symbole de la vie éternelle. La vie éternelle sera cette universelle communion d'amour, la vie d'un amour où chacun de nous, totalement, se donne et reçoit les autres. À cette impénétrabilité des esprits qui est propre à i économie présente succédera la pleine compénétration qui fera vivre chacun pleinement dans l'autre ; et unique sera la vie de tous.

C'est ce banquet qui succède à l'immolation. La véritable fin, c'est la manducation du sacrifice, et c'est la vie. Tu vis aujourd'hui dans ton sacrifice : tu dois vivre occis et égorgé, sur la place du monde, et ta chair sera dévorée par tous les oiseaux. Et c'est la vie éternelle, et c'est la communion d'amour.

« Pour manger les chairs des rois, les chairs des gouverneurs, les chairs des puissants, les chairs des chevaux et des cavaliers, les chairs de tous, libres et esclaves, petits et grands ». Chaque commensal est lui-même nourriture et breuvage.

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§ 297. « Le fils de l'homme venant sur les nuées » : Mt 24,29-31 ; Mc 13,24-27 ; Lc 21,25-28 // Is 13,10 Is 34,4)


(Mt 24,29-31 Mc 13,24-27 Lc 21,25-28) // Is 13,10 Is 34,4)

— Au paragraphe précédent, l'image de l'éclair et des aigles était donnée pour détourner de suivre quelque « faux-Christ », et non pas comme la suite pour ainsi dire chronologique des événements. Ce calendrier des signes est repris maintenant : « Après la tribulation* de ces jours » — qui peuvent donner des siècles, « mille ans étant aux yeux de Dieu comme le jour d'hier qui passe... » (Ps 90,4, cité par 2P 3,8, pour introduire 2P 3,11-13 qu'on trouvera un peu plus loin en //) — aussitôt, précise Mt, viendront les bouleversements cosmiques prévus par toute la tradition apocalyptique, d'Isaïe à Saint-Pierre (voir les //), en de puissantes images littéraires, qu'il ne faut certes pas prendre pour une description scientifique de la Fin du monde. Les Évangiles sont d'ailleurs d'une belle sobriété, se bornant à l'enténèbrement et l'ébranlement des astres : « Dans les apocalypses juives et chrétiennes, remarque Lars Hartman (Ass. S. II, n° 64, p. 50), le commencement des temps correspond à la Fin. Nous sommes donc ramenés par ce passage aux ténèbres et au chaos qui régnaient avant la création (Gn 1,2 cf. la dé-création du Déluge, BC I*, p. 77), chaos qui précédera cette fois la nouvelle création ». Mais, dans son apparente simplicité, le discours prend pourtant l'ampleur et la solennité qui conviennent à son sommet. Par exemple, en Saint-Marc, « par l'emploi régulier d'expressions doubles : < en ces jours-là, après cette tribulation... et alors, et alors... le soleil — la lune... les étoiles hors du ciel — les puissances dans les cieux > ; avec assonance en grec des verbes < obscurci — ébranlées > (J. Dupont, p. 27-28).

Lc ajoute mention de la mer, et surtout de la terreur que causeront aux nations (qui ont eu « leur temps » depuis la chute de Jérusalem, Lc 21,24*), « les signes donnés du ciel » : suivant le plan concentrique de Luc § 292 in fine), nous sommes revenus au 2° cercle, amorcé dès le v. 11.

Ces images traduisent la foi qui est celle de toute la Bible, depuis les premiers chapitres de la Genèse. Comme Dieu est Lumière, Il est Roc, inébranlable. Tout change et tout passe, mais « Toi, toujours le même, Tu es » (Ps 102,27-28). Sur Lui repose la relative stabilité du ciel ou l'évolution de la terre ; même les eaux primordiales et les tempêtes de la mer, Dieu les maîtrise (Gn 1,9 Ps 93,3-4 cf. § 24Mt 3,17* — inauguration des temps messianiques). « L'agitation des peuples, Il les apaise » (Ps 65,8), du moins pour autant que la prétention des hommes à se passer de Lui, et leur imprévoyance, ne les mènent pas à la catastrophe. Alors même, l'annonce n'est pas < la fin de tout > : ce qui nous est « promis », ce sont « les cieux nouveaux et la terre nouvelle » où Dieu, par son Christ, régnera totalement et définitivement (// 2P 3,12-13).

Mt 24,30 Mc 13,26 Lc 21,27 // Ex 19,9-10 Ex 19,20 Ps 18,10 Da 7,13-14 Et alors... et alors. Ainsi redoublé, signifie plutôt < en même temps > que < à la suite >, si bien que l'on peut tenir l'obscurcissement des astres annoncé aux versets précédents comme le simple contrecoup de l'invasion de Lumière divine, « telle que les astres les plus brillants s'effaceront » (Chrysostome, Loc. cit.).

Nous en arrivons en effet à la Parousie proprement dite : manifestation glorieuse du Christ, et rassemblement des élus (verset suivant). Toutefois, Mt la fait encore précéder d'un « signe du Fils de l'homme », et de la réaction des « tribus de la terre ». Quel est donc ce signe ?

On peut le comprendre de deux façons, moins opposées qu'il ne paraît d'abord. 1°) Le plus communément, la tradition ancienne l'a interprété comme le signe de la croix : « Ce signe de la croix sera dans le ciel, quand le Seigneur viendra pour le Jugement » (Répons de la fête du 14 septembre). Mais 2°), on fait remarquer à présent que « le signe du Fils de l'homme » peut équivaloir à : « le signe que sera le Fils de l'homme » — tout comme « le signe de Jonas » = « le signe qu'est Jonas » § 120Mt 12,38-42). Donc le signe s'identifierait avec la manifestation glorieuse elle-même du Fils de l'homme. Cela expliquerait pourquoi Mc et Lc ne font pas mention de ce signe ; mais par contre, suivant cette seconde hypothèse, pourquoi Mt parle-t-il d'un signe, dès lors qu'il se confondrait avec la Parousie elle-même ?

« Le signe, objecte Pierre le Vénérable, ne s'identifie pas avec la réalité qu'il signifie. Autre est le signe, autre ce dont il est le signe. Le signe du Fils de l'homme ne peut donc être la substance même du Fils de l'homme. Alors ? Réfléchissez, cherchez, faites votre enquête. Quel signe aura donc assez de prix, assez de gloire, assez de splendeur pour être choisi comme étendard dans le ciel, à ce moment où le Fils de l'homme lui-même descendra du ciel en puissance et majesté ? ...Le vrai signe du Fils de l'homme, je vais vous le montrer : c'est ce qui, par excellence, proclame qu'il est fils d'homme. Mais qu'est-ce donc qui le proclame fils d'homme, mieux que la mort — cette mort à laquelle nul fils d'homme n’échappe ? Or cette mort, le Christ a voulu la souffrir sur la croix : c'est là que je voulais en venir. En mourant, tout Fils de Dieu qu'il est, il nous a donné par la croix le signe qu'il est cependant fils d'homme. Puisqu'elle le signale comme vrai fils d'homme, la croix est vraiment le signe du Fils de l'homme... La croix étincellera dans le ciel pour apprendre aux terriens qu'ils ne peuvent monter au ciel, sinon par elle » (L'esprit de Cluny, p. 83-84) — Extrait de « Bibliotheca Cluniacensis », p. 1170-71)

C'est mettre en relief la valeur positive, bénéfique, en même temps qu'émouvante du signe de cette croix, même glorifiée. Et à l'appui de cette interprétation, Pierre le Vénérable cite encore l'oracle où Isaïe annonce que « le Seigneur dressera un étendard (= le signe de la croix glorieuse) vers les nations », et qu'il « rassemblera les exilés d'Israël ». Les 4 termes soulignés, qui se retrouvent dans le discours évangélique, témoignent de la pertinence de ce rapprochement. Seulement, au v. 10 Isaïe prédisait que ce serait « la racine de Jessé [qui] serait érigée comme l'étendard des peuples » (Is 11,10-12 se trouve en // au § 125 : et cela convient mieux encore à la seconde hypothèse. A. Feuillet établit ainsi comment cette dernière cadre avec la perspective qui est à la fois celle de l'Évangile et celle des prophètes (dans RB 1949, p. 351-356) :

Les pharisiens ayant demandé « un signe venant du ciel », Jésus a répliqué : « Il n'en sera pas donné d'autre à < cette génération >* (cf. § 299 *) que le signe de Jonas » § 160Mt 16,1-4; cf. 12,38-42*), c'est-à-dire le Christ ressuscité, signe probant. Mais comment cela se fera-t-il ? — On peut le déduire de l'affirmation parallèle de Mt 26,64 où Jésus, annonçant comme ici : « vous verrez le Fils de l'homme... et venant sur les nuées du ciel », précise qu'il apparaîtra « siégeant à la Droite de la Puissance » = dans sa Gloire Pascale de la Résurrection et de l'Ascension « à la droite du Père ». Le vrai signe du Fils de l'homme serait donc bien la manifestation de sa Gloire.

Or Jésus fait cette déclaration à Caïphe en réponse à l'accusation de s'être fait fort de « rebâtir le Temple en trois jours », comme Il avait effectivement prophétisé qu'il le ferait « du Temple de son corps, en signe de son autorité » § 77 — Jn 2,18-22*). Dès lors, les correspondances deviennent évidentes : à ses disciples demandant les signes préludant à la ruine du Temple de Jérusalem § 291 *),

Jésus a répondu au § 294 *. Mais comme si souvent, Il dépasse la question, assez matérielle, pour ouvrir une perspective supérieure, < sur-naturelle > : « Jésus ressuscité et glorieux, c'est là comme la contrepartie de la ruine du Temple : il semblerait y avoir anéantissement du plan divin ; en réalité, il y a progrès » (p. 353) ; à ce temple de pierre, le Christ va substituer le Nouveau Temple de son corps, sacrifié et glorifié, non seulement lors de sa manifestation glorieuse à la Fin des temps, mais devenu signe (si l'on osait, on dirait: corps-sacrement) de sa présence en tous lieux et en tout temps. Être en effet « à la droite du Père », c'est être avec le Père et comme Lui omniprésent, non seulement par sa divinité, mais jusque dans l'humanité de son corps — comme le réalisera en particulier la Présence réelle eucharistique. Plus généralement, c'est bien la promesse qu',11 fera à son Église, juste avant de remonter à son Père, au dernier verset de l'Évangile selon Saint-Matthieu § 370 , ouvrant ainsi une perspective qui va jusqu'à la Parousie. La preuve c'est que, par cette glorification-là, encore secrète, < mystique >, mais qui n'en commence pas moins dès la Croix nous dit Saint-Jean, Il va pouvoir « attirer à Lui tous les hommes » § 309 — Jn 12,28* et 32*). Et par là nous rejoignons plus intérieurement la première hypothèse, faisant de la croix elle-même le signe qui révèle à tous le Fils de l'homme, et nous tourne vers Lui. C'est d'ailleurs ce que confirme la suite de ce verset :

et toutes les tribus de la terre se lamenteront: // Ap 1,7 Za 12,12-14 — Comme l'Apocalypse, Saint-Matthieu reprend ici la prophétie de Zacharie, en l'universalisant puisque « les familles d'Israël » deviennent « toutes les tribus de la terre ». Mais l'esprit en reste le même, que le prophète avait nommé en son v. 10 « un esprit de grâce et de supplication », c'est-à-dire que cette « lamentation des tribus » est manifestation extérieure d'un « mouvement de pénitence et de conversion », qui est exactement ce que demandait le < Kérygme >*, l'essentiel de la prédication du Christ § 28 — Mt 4,17*): « Faites pénitence* car le Règne de Dieu est proche » (comparer avec § 298 — Lc 21,31*). Le // avec le « signe de Jonas » prend toute sa force: comme Jonas, sorti du « grand poisson », amène par sa prédication les Ninivites à la conversion qui les sauve, ainsi Jésus entraînera dans son mystère pascal et son Royaume tous ceux qui recevront cette grâce. Ce qui est annoncé ici, c'est rien de moins que la victoire de l'Évangile...

Chrysostome: Suite de la 2° homélie « De cruce et latrone » (Vives IV, 37) : De même que le Seigneur a dit à Thomas : Mets ici ton doigt, Il offrira alors ses plaies et sa croix pour montrer qu'il est bien Celui qu'ils ont crucifié. Voilà un signe salutaire, grand, éclatant, de la bienveillance divine.

On le voit, aux terreurs de la Fin du monde, les chrétiens opposent leur espérance (Lc 21,28*): pour eux, la Parousie est le Retour triomphal de Celui qui est l'Envoyé du Père, non pour condamner le monde mais pour le sauver!

et ils verront: Après les signes, on en vient enfin à la vision béatifique, comme nous passerons de l'image transitoire de ce monde à la Réalité divine, et du temps à l'Éternité...

le Fils de l'homme venant sur les nuées: // — Le Christ s'était déjà appliqué cette prophétie au § 168Mc 8,38. Surtout, Il n'hésitera pas à le faire encore solennellement, devant le Sanhédrin, sachant qu'il donnait ainsi à Caïphe le motif que celui-ci cherchait pour Le condamner, tant il était tenu pour blasphématoire de s'attribuer un titre aussi divin § 342Mc 14,62*). Et pourtant, si Daniel visait bien le Règne éternel de Dieu, c'était précisément que « l'Ancien des jours » le donnerait à ce « Fils d'homme » — qui l'avait bien mérité, puisque c'est par le sacrifice de la croix qu'il avait fondé le Règne de Dieu. Les nuées : ne sont bien entendu pas seulement des nuages porteurs (comme dans l'imagerie du // Ps 18,10), mais l'épaisseur de « la Nuée obscure » où se révèle quelque chose de la Gloire, de la Puissance, et de l'Omniprésence aimante de Dieu aux hommes § 169Mt 17,5-6).

L'application à Jésus de ce qui, dans l'eschatologie vétéro-testamentaire, était attribué à Yahvé « ne veut pas dire que Dieu n'est plus présent dans le tableau de la Fin, mais plutôt que l'avènement du Christ signifie l'intervention même de Dieu au Jour de Yahvé. C'est le royaume de Dieu qui apparaît, la puissance de Dieu qui se manifeste, le salut de Dieu qui se réalise par le Fils de l'homme: Deum verum de Deo vero » (L. Hartman, loc. cit. p. 50-51).

Mt 24,31 Mc 13,27 Lc 21,28 — // Enverra ses anges* : < Il > c'est le < Fils de l'homme >, dans une fonction divine comme le soulignera He 1,5-14 He 1,

au son de la grande trompe : // Is 27,13 Ex 19,11 Ex 19,13 Jos 6,20 1Th 4,16-17 1Th 5,23 1Co 15,52-53 1Co 15,22-23 2P 3,11-13) : Cette image de la trompe, les grands romantiques en ont tiré un parti impressionnant, dans leur orchestration de la strophe « Tuba, mirum spargens sonum » du Dies irae. Le son de trompe rappelle pourtant d'abord le Sinaï (// Ex 19), donc la Première Alliance de Dieu en faveur des hommes, ou son intervention, à Jéricho (// Jos 6). Or c'est ce qu'il y a de plus remarquable en tout ce discours : le terrible Jugement dernier n'y apparaît tout au plus qu'indirectement: « A notre avis, c'est pour respecter la tendance et le but du discours eschatologique que Marc ne parle ici ni de V écrasement du mal ni du jugement du monde, bien que les passages vétérotestamentaires utilisés dans les v. 24-25 pour décrire la scène de la Parousie traitent tous du jugement divin. Le ton d'exhortation et de consolation qui caractérise cet enseignement fait aussi apparaître le rassemblement* des élus comme le but même de la Parousie » (l. hartman, loc. cit. p. 51).

Les // Néotestamentaires (1Th, 1Co, 2P ou 1Jn), eux aussi, exhortent à la confiance, dans une attente qu'il faut même préserver de l'impatience.

L'ampleur cosmique, universelle, < catholique >, de ce Salut est marquée par une double image, empruntée comme par hasard à l’A.T. (dont on ne reconnaît pas assez l'universalisme prophétique) : ce < rassemblement > viendra « des quatre vents » (Za 2,10, avec ouverture universaliste au v. 15), et atteindra soit « d'une extrémité du ciel à l'autre » (Mt — Ps 19,6-7, en // au § 296 , soit « de l'extrémité de la terre jusqu'à l'extrémité du ciel » (Me — // Dt 30,4 Ps 103,11-12). Et comme le § 294 sur la ruine de Jérusalem s'achevait sur la promesse consolante d'une abréviation des < douleurs >, « à cause des élus que Dieu a élus », de même la Parousie se parfait sur l'immense ré-union des élus (J. Dupont, p. 28). Il ne sera mention du Jugement dernier, avec risque de damnation, que dans les conclusions pratiques prolongeant ce discours eschatologique, et sous forme parabolique, donc d'images (cf. § 304 -307*; cf. § 136 — Mt 13,41*).

Lc 21,28 va dans le même sens réconfortant, par des images plus individuelles. Quand tout cela commencera d'arriver : Le parallélisme avec la formule du v. 31 montre bien que ce v. 28 lui-même fait transition avec le § 298 . Redressez-vous et levez la tête : À l'inverse de Caïn, allant « tête baissée » vers le premier meurtre (Gn 4,6-7 cf. BC I*, p. 70). J. Dupont relève le double contraste: d'une part entre « l'angoisse des nations... et des hommes séchant de frayeur, dans l'attente » des ravages provoqués par les bouleversements cosmiques sur « la terre habitée » (v. 25-26), et l'attente confiante des croyants — comme il arriva au temps des Plaies d'Egypte (voir BC I / ly ; BC I*, p. 217-219) - et d'autre part entre le « tenez bon » durant les épreuves (Lc 21,19*), où « l'attitude est celle d'un homme qui s'arc-boute, qui rentre la tête entre ses épaules », et le « relevez la tête » de l'espérance, les deux allant d'ailleurs fort bien de pair (p. 132-133). Sur le symbolisme du < courbé — redressé >, cf. § 217 — Lc 13,11-12*.


votre délivrance : C'est le mot de la < Rédemption >, plus caractéristique du vocabulaire de saint Paul, mais que nous avons déjà rencontré aux § 11 — Lc 2,38* ; cf. Lc 1,68; 24,21 ; et § 255 — Mt 20,28*). Approche: Voir à Lc 21,31*.

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Bible chrétienne Evang. - § 294. «L’abomination de la désolation» : Mt 24,15-22; Mc 13,14-20; Lc 21,20-24