Bible chrétienne Evang. - § 298. Parabole du figuier : Mt 24,32-33; Mc 13,28-29; Lc 21,29-31

§ 298. Parabole du figuier : Mt 24,32-33; Mc 13,28-29; Lc 21,29-31


(Mt 24,32-33 Mc 13,28-29 Lc 21,29-31)

Après le sommet du § 297 , nous en arrivons à la < péroraison >, « partie essentielle du discours, parce que c'est elle qui donne la dernière impulsion aux esprits et qui décide de la volonté des auditeurs » (Littré).

La structure en est bien définie : Résumé de ce qui précède § 298 et conclusion pratique § 300 -307), l'un et l'autre sous forme de paraboles*. Au centre § 299 , une triple affirmation, donnant enfin réponse mitigée à la première des deux questions initiales : « Quand cela arrivera-t-il ? » § 291 *).

Mt 24,32 Mc 13,28 Lc 21,29-30 — En Marc et Matthieu, image sentie, et même avec une pointe d'émotion, de quelqu'un qui s'y connaît puisqu'il choisit le figuier, dont l'éveil tardif se fait à proximité (« déjà ») de l'été. En ajoutant au contraire « et tous les arbres », Luc montre qu'il n'a pas compris la pertinence de l'exemple du figuier, comme tel. Mais à tout le moins, l'été ne peut être le symbole d'un Jugement vengeur (A. Feuillet, RB 1949, p. 82-83). Par conséquent, dans la ligne qui est décidément celle de tout ce discours < eschatologique >, cette première conclusion vise à susciter non la terreur, mais tout au contraire l'espérance des fidèles, même au milieu des castastrophes historiques ou cosmiques : elles sont le signe de l'approche de l'été du Règne messianique (Lc 21,31). N'est-ce pas ce dernier, au surplus, qu'évoque plus généralement l'image du figuier, avec le souvenir de la Première Alliance ? § 25Jn 1,48 // Ct 2,13). C'est d'ailleurs un trait général des Evangiles qu'ils recourent à toutes sortes de paraboles tirées de la nature pour nous inviter à discerner les signes que « le Règne de Dieu est proche » — ce qui est, on se le rappelle, l'annonce essentielle de la prédication du Christ et des Apôtres — même s'il n'a encore d'apparences que modestes (cf. J. Dupont, p. 36-37, citant les § 213 et 131, 133, 134; cf. son étude plus poussée, dans RB 1968, p. 526-548).

proche: est donc un des mots caractéristiques de la « Bonne Nouvelle ». Mais le discours eschatologique précise à quelles conditions : C'est à partir du moment où l'on a su discerner les signes, soit de « la désolation » de Jérusalem que laisse présager son siège par les légions romaines (Lc 21,20), soit de la Parousie (Lc 21,28 et Lc 21,31) ; par contre il faut se garder de croire aux faux oracles de ceux qui se prétendraient « prophètes » (Lc 21,8).

Mt 24,33 Mc 13,28 Lc 21,31 — Pour que l'application soit encore plus claire, Luc remplace l'imprécision du « sachez que c'est proche » (Mt-Mc), en nommant le < ce >, qui est « le Règne de Dieu ». Au surplus, le parallélisme entre les v. Lc 21,28 et Lc 21,31 de Luc montre que c'est notre « délivrance » par la Rédemption du Christ, qui va permettre enfin « le Règne de Dieu ». Mais par conséquent aussi, dans la mesure même où le Christ nous a déjà rachetés par son Sacrifice, la « délivrance » et l'instauration du Règne de Dieu ne doivent pas seulement nous apparaître comme réservées à la Fin des temps : ils sont « tout proches » de quiconque accepte d'y croire (Rm 10,8-13), que ce soit dans la vie du Christ - puisque nous sommes à la veille de la Cène et de la Passion — ou dans nos vies dès que nous les ouvrons au Christ (cf. la 1° assertion du § 299 *).

C'est proche, aux portes (Mt-Mc) : Aux portes de la ville, où le Christ est proche d'entrer en Roi vainqueur (Ps 24), pour que Dieu y règne, suivant la promesse des < psaumes du Règne > (Ps 93 Ps 96 à Ps 101). Nouvelle image, admirable, d'un Au-Delà dont nous séparent seulement les portes derrière lesquelles nous nous tenons enfermés, comme les Apôtres au soir de Pâques où le Christ vint frapper, pour souper avec qui lui ouvrira § 365Jn 20,19 et Ap 3,20.

Plus directement encore que Luc, Marc et Matthieu réfèrent le « c'est proche » non seulement au Règne de Dieu, mais au Seigneur lui-même — que ce Retour soit celui de la Parousie proprement dite (ce v. Mc 13,29 référant au v. Mc 13,26, avec la correspondance : « Ils verront... vous verrez »), ou bien l'une de ces innombrables « Venues » du Christ et de son Règne en nos coeurs de croyants § 101 - Mt 10,23*). En tous cas, on voit ici que le Roi, son Règne et son Royaume s'identifient à Jésus-Christ, si bien qu'en des termes différents, Mt-Mc et Lc disent en réalité le même et unique Mystère que, sous d'autres formes, chanteront également Saint Jean et saint Paul.

p. 597

§ 299. « Mes paroles ne passeront pas » : Mt 24,34-36; Mc 13,30-32; Lc 21,32-33


(Mt 24,34-36 Mc 13,30-32 Lc 21,32-33)

— C'est la conclusion solennelle du discours proprement dit, en 3 phrases qui ne paraissent s'opposer que dans la mesure où elles reprennent en clair ce qui a fait la tension jusqu'ici implicite du discours eschatologique, à partir de la question elle-même. Celle-ci, on se le rappelle, était deux fois dédoublée. D’abord : Quand, et à quels signes ? En outre : les signes de la ruine du Temple et (ou) de ton Avènement et de la Fin du monde § 291 *).

À la première question : « quand », le Christ n'avait encore rien répondu, et Il va maintenant lui opposer une fin de non-recevoir (Mt 24,36 Mc 13,32). Sur les signes au contraire, d'événements soit historiques comme la prise de Jérusalem en 70, soit eschatologiques, tout le discours a porté, insistant sur leur successive proximité. C'est là-dessus encore que portent les deux premiers versets :

Mt 24,34-35 Mc 13,30-31 Lc 21,32-33 // Mc 1,15 Mt 5,18 2P 3,10 Ap 6,14 Ap 21,1 — Amen, je vous le dis... mes paroles ne passeront pas : Ainsi encadrée, la déclaration centrale ne saurait être plus formelle et intangible. Au Sermon sur la Montagne, Jésus avait assuré que la Loi de l'Alliance (mosaïque, renouvelée par Lui) durerait au moins autant que « le ciel et la terre » (// Mt 5,18 voir au § 53 *), donc jusqu'à la Fin du monde. Mieux encore ici : l'opposition entre « le ciel et la terre passeront » et « la Parole qui ne passe pas » est en effet celle que tout l’A.T. établit entre le transitoire de cette création temporelle et l'éternité de Dieu : cf. Is 40,8 Is 51,6 Is 54,10 Jr 33,25-26. Par conséquent ces deux premiers versets reviennent à réclamer pour ce qu'il vient de dire, l'autorité absolue de la Parole de Dieu. Les Paroles du Verbe éternel dépassent le temps et valent pour l'éternité...

Cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive : On discute à l'infini sur les deux sujets de la phrase. Cette génération* peut en effet être comprise soit en un sens (moderne) strictement temporel, soit avec sa signification originelle (comme le font les Pères), moins de durée que de similitude — « génération dépravée et perverse, peuple insensé, sans sagesse » (Dt 32,5-6), opposée à la « génération des justes et des coeurs droits » (Ps 112,2 — cf. F. Prat, dans Rech. SR 1927, p. 321-324). En quel sens convient-il de l'entendre ici ? C'est le contexte qui l'indique.

Or « que tout cela n'arrive » fait évidemment écho non seulement à la question initiale : « dis-nous quand cela arrivera » § 291 *), mais aussi au § 294 : « Priez pour que cela n'arrive pas... » Comme, dans les deux cas, il s'agissait de la ruine du Temple, on est tout à fait en droit de penser qu'à la conclusion aussi, et que par conséquent, même prise au sens le plus temporellement restreint, « cette génération » contemporaine du Christ serait encore là en 70.

Toutefois, plus largement examiné, le contexte invite à comprendre cette phrase en un sens moins strictement temporel. D'abord, il serait curieux que, juste avant de refuser d'envisager précisément le « quand cela arrivera », le Christ précise avec cette solennité un terme si particulier et daté (les commentateurs ne se font pas faute de souligner la contradiction). Ensuite, il est bien difficile que, dans l'esprit d'un auditeur, le « tout cela » n'évoque ce qui vient d'être dit, englobant à la fois ruine du Temple et bouleversements cosmiques, sinon même la Parousie proprement dite. Plus généralement, ce n'est pas la première fois que le Christ parle de son Retour comme assez proche pour que le voient au moins certains des contemporains : § 100Mt 10,23*, et § 168Mt 16,28*. Nous avions conclu alors que toute « venue du Fils de l'homme » n'était pas nécessairement reculée à la Fin des temps, même quand il s'agissait « du Règne de Dieu venant avec puissance » (comme ici, au § 297Mt 24,30). Ce pouvait être tout aussi bien l'ère nouvelle inaugurée avec la Résurrection et l'Ascension, que la Parousie eschatologique.

Or que dit précisément notre phrase ? L'essentiel en est dans le jeu entre les deux verbes : « passer — arriver ». « Arriver », qui est ce que nous demandons du Règne : « qu'il arrive ! » — avec la proximité que ce verbe laisse présager, à la différence de la traduction officielle, affaiblie : « que ton Règne vienne » § 62 - Mt 6,10*); mais aussi avec la permanence du < fait > : < c'est arrivé >, par opposition à tout le reste, qui passe. Et pour mieux le marquer encore, ce verbe < passer > est répété 3 fois en 2 versets. Si le Christ donne à cette phrase une telle solennité, c'est qu'elle résume son Évangile : Le Règne s'approche, il arrive, il est à votre portée, il est là (en moi) pour toujours. C'est le premier des deux thèmes de ce discours : celui de la proximité, sur lequel nous reviendrons en finale de ce paragraphe. Mais voici, en contrepoint, le second thème :

Mt 24,36 Mc 13,32 (et absent de Luc) : Quant à ce jour et cette heure, nul ne sait : De soi, « la conjonction des termes < jour > et < heure > montre que l'accent est mis sur le caractère précis des indications chronologiques » (A. Feuillet, RB 1949, p. 87). C'est dans le même sens que va revenir comme un avertissement réitéré le rappel de cette ignorance du « moment favorable » (< Kaïros >*, en Mc 13,33), du « jour » (Mt 24,42), de « l'heure » (Mt 24,44), et encore « du jour et de l'heure » (Mt 24,50 Mt 25,13). Toutefois, il est bien possible que « ce jour » ait en outre le sens transcendant d'une intervention divine, messianique ou eschatologique, dont se charge, dans les écrits des prophètes, l'expression < Ce Jour-là> : voir Am 8,3 Am 8,9 Am 8,13 Am 9,11 Mi 4,6 Mi 5,9 Mi 7,11 So 1,9-10 (avec, aux v. So 1,14-16, la célèbre strophe sur le Jour de Yahvé, < Dies irae >) ; So 3,11 So 3,16, etc... C'est d'autant plus probable qu'au verset suivant, Mt enchaîne expressément avec la Parousie de Fin du monde que préfigure le Déluge § 302 .

nul ne sait, ni les anges, ni le Fils, mais le Père seul: Il n'est pas sûr qu'en Matthieu « ni le Fils » (qui manque en certains mss.) ne soit pas une addition, s'alignant sur Marc. Mais en tous cas, Matthieu renforce la même assertion en précisant : seul sait le Père. On a énormément discuté sur cette < ignorance > du Fils, comme si elle risquait d'être, de la part du Christ, aveu d'infériorité ou de limites à son omniscience. Les Ariens en tirèrent argument pour nier qu'il fût Dieu, égal à son Père. Mais l'on n'eut pas de peine à répliquer :

Disons rapidement que Jésus, c'est-à-dire le Verbe de Dieu, a fait tous les temps — « sans lui, rien ne vint à l'existence » (Jn 1,3). Or, dans « tous les temps » est compris le Jour du Jugement. Comment donc le Christ pourrait-il ignorer une partie de ce dont il connaît le tout ? Et encore : Qu'est-ce qui est le plus grand : connaître le Père, ou connaître le Jugement ? Comment pourrait-il connaître le « plus » et ne pas connaître le « moins » ? Nous lisons dans l'Écriture : « Tout ce qui est au Père est à moi ». Si tout ce qui est au Père est au Fils, comment le Père se réserverait-il la connaissance d'un certain Jour, et ne voudrait-il pas la communiquer au Fils ?

... Interrogé par les Apôtres après la Résurrection, le Christ leur répond : « Il ne vous appartient pas de savoir les temps et les moments que le Père a posés dans sa puissance » (Ac 7,7). En disant « Il ne vous appartient pas », il montre que Lui, sait; mais qu'il ne convient pas que les Apôtres sachent : toujours incertains de la venue du Juge, ils doivent vivre chaque jour comme si le Jugement était pour demain (JÉRÔME : Sur Mt IV — PL 26, 181).

En réalité, ce qui est impressionnant, c'est tout au contraire la gradation : au-dessus des hommes, au-dessus même « des anges dans le ciel », il y a le fils. C'est même le seul endroit de l'Évangile où Jésus se donne un tel titre, à l'absolu et pour ainsi dire sur le même plan que le Père — comme, il est vrai, son attitude filiale envers « Abba Pater » en témoigne constamment. Et son refus de répondre à la question « du jour et de l'heure » doit relever du même souci qui, ailleurs, le portait à s'en remettre à la décision du Père, pour le choix de la place éternelle destinée à Jacques et à Jean § 254Mt 20,23* ; cf. Lc 12,32 Jn 6,44.

Ce n'est pas que le Père ne confie pas tout au Fils § 110Mt 11,27*). Mais d'abord, nous devons éviter d'imaginer faussement que Dieu a tout déterminé d'avance. Car si la science divine est infaillible et totale, c'est que pour elle, rien n'est au futur, mais que tout est au présent éternel. C'est aussi pourquoi ce savoir peut englober même nos actes vraiment libres et qui, par conséquent, restent aléatoires jusqu'à ce que notre liberté ait tranché dans un sens ou dans l'autre. Dieu ne pourrait donc les < prévoir >. Par contre, comme c'est Lui qui nous donnera ce Pouvoir de liberté (le moment venu), mais que son éternité le rend contemporain de tous les instants de sa création — futurs aussi bien que présents ou passés — l'issue de chacun de nos actes comme la Fin du monde entier Lui sont connus, par Présence éternelle et non par prévision.

D'autre part, dans le gouvernement providentiel de l'histoire du monde, c'est Dieu qui, dans sa Sagesse suprême et son Amour bienveillant, détermine < le temps favorable > (< Kaïros >*) à ses interventions, que ce soit l'Incarnation, l'instauration du Royaume ou la Parousie. Même si le Fils est nécessairement au courant, puisqu'il est < l'Envoyé >, l'initiative n'est pas moins réservée au Père (seul), qui envoie (Jn 3,16-17 ou Ga 4,4). De sorte qu'au terme de son étude sur « Le Logion de l'ignorance », J. Winandy paraphrase ainsi l'audacieux raccourci des Evangiles : « Au sujet de ce jour ou de cette heure, personne n'est informé. Ils n'ont aucun lien discernable avec le cours de l'histoire. Les anges eux-mêmes, le Fils lui-même, ne sauraient les prévoir. Tout ce qu'on peut dire à leur sujet, c'est qu'ils surviendront quand le Père le jugera bon » (RB 1968, p. 63-79).

Au surplus, si l'on suit le mouvement du texte, il est clair que la phrase ne porte pas tant sur l'exclusion du Fils, mais plutôt sur le fait que cela « regarde exclusivement le Père ». C'est ce que dira plus clairement Luc : ayant à son habitude supprimé de son Évangile ce verset ambigu, il en redonnera la teneur au début des Actes, en faisant mieux apparaître que c'était une discrète fin de non-recevoir à l'indiscrète question du « quand donc ? » : « Laissons au Père son secret ». Dans le passage précité, Jérôme faisait déjà état de ce verset.

C'est aussi le seul sens convenable pour garder cohérence et convergence aux trois versets de ce paragraphe. Alors qu'il vient d'égaler sa Parole à celle de Dieu, comment le Christ infirmerait-il son dire dès le verset suivant, par une ignorance qui rendrait bien suspecte l'absolue certitude et permanence de sa réponse ? Mais à l'inverse, s'il insiste finalement sur l'inopportunité de connaître « le jour et l'heure », cela confirme que mieux vaut donc ne pas prendre non plus en un sens trop uniquement temporel et compté « cette génération qui ne passera pas avant que le Règne arrive ». Comme si souvent, dans l'Évangile, l'apparente difficulté de concilier question et réponse est en réalité une invitation à surmonter la perspective naturelle, temporelle, limitée, humaine, pour entrer dans la perspective divine, éternelle, totale qui est celle du dessein de Salut.

Et ce que le Christ veut en définitive nous inculquer, ce sur quoi vont revenir tous les développements qui vont suivre ces 3 versets capitaux, ce n'est pas de savoir à l'avance les déroulements de l'histoire, de la ruine du Temple à la Fin du monde, ni de guetter sans cesse les signes des événements, proches ou eschatologiques. Ce que l'Évangile nous révèle est bien davantage que simplement < historique > : c'est la réalité théologique — ou si l'on préfère, mystique et sacramentelle. La proximité, non pas tant de la Parousie que du Règne de Dieu, par le Christ, donc de l'ère messianique, ne se chiffre pas en jours, mois, années ou siècles : c'est une Présence, encore cachée pour une part, mais déjà en partie manifestée. C'est le < déjà-là >* en même temps que le < pas encore >. Ce Règne est donc plus proche encore qu’imminent : il est de l'autre côté du voile, où la foi nous invite à pénétrer, dès maintenant et pour toujours.

C'est cela qui importe, et non le calendrier de la Fin du monde, que nous n'avons pas besoin de savoir puisqu'« à chaque jour suffit sa peine » et que nous devons vivre dans la confiance en la Providence de notre Père des cieux § 67Mt 6,25-34) et dans l'attente vigilante. C'est même pour mieux nous y inciter que, comme le dira Mc 13,33, en nous donnant la certitude de la proximité, le Christ préfère nous tenir dans l'incertitude sur le moment où Il vient.

Veillez ! Telle est bien la leçon pratique tirée du discours eschatologique, tant par Marc ou Luc § 300 -301) et Matthieu § 302 -307) que par la Tradition chrétienne :

Les // 2P 3,10 Ap 6,14 Ap 21,1) rappellent que là même où ils parlent de la précarité du monde, les Apôtres ne versent pas dans le catastrophisme, car ils « attendent le ciel nouveau et la terre nouvelle » du Royaume. Aussi prêchent-ils pour apaiser (// Ph 4,5-7), non moins que pour nous réveiller de notre fausse sécurité (// 1Th 5,1-3), à partir des mêmes considérants que l’Évangile : « Le Seigneur est proche... », mais on ne sait ni « les temps et les moments » où surviendront «les douleurs de l'enfantement» (à rapprocher de § 292Mt 24,8*).

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§ 300. Fin du discours de saint marc: Mc 13,33-37; Mt 25,14-15; 25,13 Lc 19,12-13; 12,36-38; 12,41 //Jos 1,7-8; Sg 6,12.15 Pr 4,23 16,17 Si 32,23


(Mc 13,33-37 Mt 25,14-15 Mt 25,13 Lc 19,12-13 Lc 12,36-38 Lc 12,41) // Jos 1,7-8 Sg 6,12 Sg 6,15 Pr 4,23 Sg 16,17 Si 32,23)

-Ce choix de parallèles témoigne que le thème de la vigilance est constant, dès l’A.T., et que loin d'avoir pour terme seulement l'attente eschatologique, c'est une attitude fondamentale de la spiritualité: cf. § 208 -211* pour le commentaire général des paragraphes que, de son côté, Saint-Luc donne sur ces mêmes conseils (Lc 12,35-48 — Cf. J. Dupont, dans Mél. Rigaux, p. 89-116).

a remis le gouvernement à ses serviteurs: C'est l'< Exousia > (cf. § 40 — Mc 2,8-12*). La parabole vise donc en premier lieu les Apôtres, à qui le Christ a transmis son < Pouvoir > sur son Église. Et « le portier », spécialement désigné, évoque tout naturellement saint Pierre. Qu'il n'aille pourtant pas en tirer vanité, car l'Évangéliste ajoute: « à minuit, au chant du coq », annonciateur du reniement (// Mc 14,71-72). Mais plus encore s'impose le rapprochement entre la présente recommandation et Gethsémani, où « le Maître » devait « trouver endormis » Pierre, Jacques et Jean, et leur dire alors : « Veillez et priez afin de ne pas entrer en tentation... » § 337 — Mc 14,37-38*). Toutefois, comme l'ajoute ici Mc (v. 37) : cet ordre de veiller, le Christ le donne à tous...

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§ 301. Fin du discours de saint Luc : Lc 21,34-36


(Lc 21,34-36)

— Même conclusion que Mc, mais sans parabole (déjà donnée par Lc aux § 208 -210*).

Soyez sur vos gardes : Reprend les mises en garde du discours proprement dit, notamment § 292 — Lc 21,8*). Mais cette fois, l'avertissement est purement moral, le « piège » venant de nous-même, sans qu'il y ait besoin de « faux-prophètes » pour nous « séduire ». Aussi Le emploie-t-il un autre verbe, signifiant : « Faites attention à vous-mêmes ». La crapule : simple transposition française du mot grec pour désigner « la grossière débauche, surtout dans le boire » (littré). Mais « les soucis de la vie » peuvent suffire à ce que « vos coeurs s'appesantissent ». Ce verbe est proche de l'un de ceux qui, dans la Septante, caractérisent < l'endurcissement du coeur > de Pharaon (Ex 8,28 Ex 9,7 Ex 9,34 - bc I*, p. 213-215). Et Samuel fait déjà le rapprochement (1S 6,6). L'image est claire d'un appesantissement qui maintient le coeur captif « des choses de la terre », voire « du ventre », au lieu d'attendre du Sauveur délivrance et résurrection qui nous ouvrent la Cité des cieux (= Ph 3,17-21, en // au § 168 . L'image du piège ou du filet (Lc 21,35 // Qo 9,12 Is 24,17-18) est donc tout à fait cohérente. Ce qui frappe, c'est la généralité de l’image : le filet s'abattra sur tous les vivants de toute la terre...

Lc 21,36 // 2M 15,13-14 Ep 6,18 — Veillez donc et priez : comme à Gethsémani (voir § 300 *). Lc premier discours de Lc sur « les jours du Fils de l'homme » (17,22-37) se concluait de même sur l'injonction de « toujours prier sans se lasser », même si Dieu tarde à faire justice aux élus parce qu'il veut laisser aux autres le temps de revenir à Lui § 244 — Lc 18,1 et 7*). « Cette attente chrétienne comme une attitude active de prière caractérisait déjà la religion du judaïsme » ajoute J. Dupont (Les 3 apocalypses..., p. 140-142). À preuve Anne (Lc 2,37-38) ou « les douze tribus d'Israël » au témoignage de Paul dans Ac 26,6-7. Les deux // 2M 15,13-14 ou Ep 6,18 le disent aussi. Tous ces textes insistent sur la constance de cette prière : « en tout temps (Lc 21,36), constamment, dans une continuelle assiduité (// 2M et Ep), jour et nuit (Lc 18,7 Lc 2,37), avec persévérance, sans relâche (Ac 26,7) et sans jamais se lasser » (Lc 18,1).

afin d'avoir la force: vertu nécessaire, trop rarement rappelée, notamment pour « l'endurance » § 293 — Lc 21,19*). Et afin de vous tenir debout : cf. v. 28 : « Redressez-vous et levez vos têtes » § 297 *). En présence du Fils de l'homme : comme toutes les nations seront « devant Lui » au Jugement dernier (Mt 25,32). En grec, ici et là, c'est le même mot. Mais alors qu'en Mt, il y a de quoi trembler, Lc accentue — ici comme durant tout le discours eschatologique — la note d'espérance < réconfortante > (au sens où la force à demander dans la prière, c'est l'espérance qui la donne — Ph 4,13).



§302. «Comme aux jours du déluge... » : Mt 24,37-41; Lc 17,26-27.34-35 // Gn 6,5 à 7,23 ; Is 24,18-20


Mt 24,37-41 Lc 17,26-27 Lc 17,34-35 // Gn 6,5-7,23 Is 24,18-20

— Lc 17,28-30 rappelait en outre Lot en Sodome : ce sont les deux exemples classiques du Jugement dernier (// Is 24), chaque fois imprévu par les contemporains, parce qu'ils « n'y comprennent rien » (Mt 24,39 Ps 92,7). Que la Parousie survienne à l'improviste (pour les insensés qui n'en discernent pas les signes) reste donc l'essentiel de ces § 302 -303.

Jérôme: Sur Mt IV (PL 26,182): Comment accorder ce qui est écrit plus haut: « Les nations se lèveront contre les nations », avec l'image de paix [qu'évoquent les jours précédant le déluge] ? Nous devons penser avec l'Apôtre qu'après les guerres, les épidémies, les famines, et autres fléaux dévastant le genre humain, une courte trêve viendra, prometteuse de paix, afin que la foi des croyants soit éprouvée: espèrent-ils toujours qu'après ces maux le Juge viendra ? C'est ce que nous lisons chez Paul : Quand ils diront : « Paix et Sécurité ! », alors soudain le coup de la mort viendra sur eux, comme la douleur d'une femme en travail, et ils n’échapperont pas (1Th 5,3).

Mt 24,40-41) — L'un sera pris et l'autre laissé: Comme le remarque A. Feuillet, ce tri montre que, même si la Parousie est deux fois nommée, il ne s'agit pas uniquement de la Fin du monde où, par définition, tout le monde sera pris.

Ce qui est laissé, par delà le cataclysme (comme après Déluge ou destruction de Sodome), c'est < le Reste > promis par Yahvé aux prophètes (cf. déjà au § 294 — Mt 24,22*; ou plus généralement : Vtb < Reste >).

p. 602

§ 303. Parabole du maître de maison vigilant : Mt 24,42-44; (Lc 12,39-40) — voir au [§ 209>209]*) // Nb 4,16 1S 26,9-16 Pr 27,18)


Mt 24,42-44 Lc 12,39-40 // Nb 4,16 1S 26,9-16 Pr 27,18

— Les versets 42 et 44 se répètent, pour mieux insister sur le thème amorcé au § 299 : « Le Christ montre clairement pourquoi Il a dit plus haut : < Ce jour, nul ne le sait > : il ne convient pas que les Apôtres le sachent. Toujours incertains dans cette attente, ils doivent croire toujours qu'il est sur le point de venir » (Jérôme; ); et « veiller », que ce soit « sur la Demeure », le Temple de l'Esprit que nous avons tous à être (// Nb 4,16), ou sur le Maître lui-même, confié à notre garde (// 1S 26 et Pr 27,18).

Mt 24,43) — À travers cette parabole en un seul verset, se dessine le sort contrasté des Juifs incrédules et des disciples du Christ, vigilants (A. Feuillet, dans RB 1949, p. 359-360). Le voleur : // Ap 3,3; cf. § 209 — Lc 17,39-40*.



§ 304. Le serviteur fidèle et sage: Mt 24,45-51 ; — (Lc 12,42-46) — voir au [§ 210>210]*) // Qo 5,7)


(Mt 24,45-51 Lc 12,42-46) // Qo 5,7)

— Jusqu'ici, le discours annonçait des catastrophes collectives, provenant des fautes collectives, indépendamment de la culpabilité propre aux victimes elles-mêmes. Car cette culpabilité est toujours personnelle, puisqu'elle est strictement mesurée par le degré de conscience et de liberté avec lequel chacun a pu participer au < péché du monde > § 24 — Jn 1,29*). Lc 13,1-5 nous avait prévenus que le malheur pouvait donc atteindre, collectivement, même des innocents § 215 *). Mais, dans les § 304 à 306, comme dans Ez 18, il est précisé que la rétribution finale sera d'abord personnelle. C'est ce que la Tradition chrétienne appelle : < Jugement particulier >, pour le distinguer du Jugement dernier, universel même s'il reste lui aussi, personnel (cf. § 307 *). Les 3 paraboles maintenant regroupées par Mt vont traiter méthodiquement de ce Jugement particulier, personnel :

Mt 24,45; (Lc 12,42) // Qo 5,7 — Quel est le serviteur (Lc : l'intendant) fidèle et sage : Nous avions déjà rencontré un couple de qualités analogue pour conclure le discours sur la Mission proprement dit : « prudents comme des serpents et simples comme des colombes ». C'est en effet le même mot < phronimos >, qui signifie : prudent, sensé § 75 — Mt 7,24), avisé, sage § 99 — Mt 10,16*) ; et d'autre part, il y a beaucoup d'affinité entre la fidélité et la simplicité tout comme, à l'inverse, avoir < le coeur double > interdit de s'engager à fond comme l'exige la foi en Christ.

que le maître a établi sur sa maison : C'est dire que cette parabole vise directement ceux qui sont préposés au service de l'Église. Le principe hiérarchique énoncé par le // Qo 5,7 est donc bien en vigueur ici : les Apôtres ou leurs successeurs sont délégués par le Christ, lui-même envoyé par le Père, avec cette garantie que pour autant, ni le Fils ni son Père ne cessent de veiller sur eux, et à travers eux sur l'Église. Tout < chef > doit s'en faire le serviteur, comme le Christ lui-même, le tout premier § 255 — Mt 20,25-28*). Dans le reste du N.T.« apôtres et évêques sont présentés avec insistance comme des intendants, des serviteurs de Dieu et du Christ » (voir liste de références donnée par A. Feuillet, dont nous suivons l’interprétation : RB 1950, p. 66-71). Leur tâche, c'est de donner en son temps la mesure de blé (Lc). Bien que la parabole n'y fasse pas expressément allusion, nous ne pouvons oublier que « la nourriture » annoncée par Jésus en Saint-Jean, ch. 6, est « sa chair, pour la vie du monde », et qu'il va effectivement, au cours de la Cène désormais toute proche, charger ses Apôtres de la transmettre.

bossuet: Méditations, 87° jour, p. 296-97 : Il faut donc être fidèle, et se donner tout entier au peuple de Dieu. Mais outre la fidélité, il faut la prudence, pour donner dans le temps, pour donner avec mesure... Deux choses à régler, le fond et la manière. Le fond : il faut donner, soyez fidèle. La manière : il faut donner à propos, et avec les proportions, les convenances requises... »

// Ps 127,1 Pr 8,34 Pr 2,6 Pr 2,8 Pr 2,10-11 Pr 4,6 — Dans le prolongement du // Qo 5,7 nous regroupons quelques autres textes sapientiaux, nous assurant que si le Christ nous requiert de veiller, premièrement et bien plus fidèlement c'est Lui, Seigneur fidèle et Sagesse infaillible, qui veille sur nous !...

Mt 24,46 ; (Lc 12,43) // Pr 8,34 Ap 16,15 Ps 130,6 — Il faut entendre ici « Bienheureux » au sens fort où la Béatitude fait « entrer dans la joie du Maître » § 306 — Mt 25,21*) — donc l'accès du Bonheur céleste, divin, éternel. L'écart infini entre les services rendus et la récompense suffirait à rappeler que cette parabole est une simple image, où l'anecdote terrestre demande à être transposée dans la Réalité mystique, qui va être précisée au v. 47.

Le maître, en arrivant : Une telle simplicité évoque davantage la rencontre personnelle entre le Christ et l'âme du serviteur fidèle s'éveillant à l'Au-Delà, que le branle-bas universel de la Fin du monde.

Mt 24,47; (Lc 12,44 — Amen, je vous le dis : annonce que nous en arrivons au plus important de la révélation. Il l'établira sur tous ses biens : « Pesez ces mots: Il leur donnera tout ce qu'Il possède : c'est un Dieu qui parle: que ne possède-t-il pas ? Mais tout est à nous, dès que nous usons bien de ce qu'il nous donne » (bossuet, Ibld., p. 297-98). « Ici le Christ présente le ciel comme une intendance supérieure confiée aux Apôtres... : ayant bien rempli leur tâche ici-bas, ils seront plus que jamais là-haut à son service... pour le gouvernement de l'Église » (A. Feuillet, rb 1950, p. 68). C'est ce qu'annonçait aussi Mt 19,28* § 251 , et que la parabole des talents applique à tous les fidèles § 306 *) : « Dans les deux cas la doctrine de l'au-delà est exactement la même : Jésus ne nous fait entrer dans la béatitude céleste (avant la Parousie suprême) que pour nous faire participer plus efficacement à ce qui constitue l'essence même de l’Évangile : l'expansion du Règne de Dieu » (Ibid. p. 69).

Mt 24,48-51 ; (Lc 12,45-46) // Ez 12,22-23 — Sort inverse pour le mauvais serviteur. La conjoncture est celle du § 299 : l'incertitude sur « le jour et l'heure » (Mt 24,36*) n'empêche pas la certitude que « le maître viendra ».

Il le retranchera: ...sera parmi les hypocrites: Voir au § 210 — Lc 12,46*.

Et sa part : Au sens où le Prodigue avait « voulu prendre sa part », là où le Père lui offrait la communion totale § 232 — Lc 15,13*, garrigues). À l'opposé, pour le fidèle : « Le Seigneur est ma part d'héritage et ma coupe » (Ps 16,5).

des pleurs et des grincements de dents : Propre à Mt. C'est une des images classiques de l’Enfer : cf. § 136 — Mt 13,41-43*.

p. 603

§ 305. Les vierges sages et les vierges folles : Mt 25,1-13 ; (Lc 13,25)


(Mt 25,1-13 Lc 13,25)

— Au paragraphe précédent, le bon serviteur devait être fidèle et sage. Les deux paraboles suivantes reprennent — et cette fois pour tous les chrétiens — cette double exigence : de sagesse avec les vierges sages, et de fidélité avec les serviteurs fidèles aux intérêts du maître § 306 *). Les Evangiles sont parfaitement construits ; et ils ne sont pas moins équilibrés s'il est vrai que les vierges sont une image de la vie contemplative, et les serviteurs, de la vie active § 306 *).

Pour la première de ces paraboles, nous pouvons nous appuyer sur les commentaires patristiques — spécialement nombreux comme chaque fois que l'Évangile est plus important — mais également sur la double étude qu'A. Feuillet a publiée, montrant les oeillères que ses a priori imposent à l'exégèse précédente (dans RB 1950, p. 71-79 et R. Th. 1984, p. 399-424) — Bibliographie à la fin du ch. 6 de J. Lambrecht, p. 211-212). Non seulement l'explication à partir des coutumes matrimoniales palestiniennes se heurte à plusieurs invraisemblances, mais il est anachronique de supposer aux Évangélistes la conception que les écrivains « réalistes » de la fin du XIX° pouvaient se faire de la littérature... Ici comme ailleurs et plus qu'ailleurs on ne peut exclure de la parabole un sens allégorique (ou plutôt : symbolique) sans la réduire à des banalités morales sur la nécessité d'être prêt. Dès le premier verset, nous sommes avertis de sa portée < mystique > :

Mt 25,1) — L'anecdote terrestre se présente comme une image de la Réalité sur-naturelle du « Royaume des cieux ». L'enjeu en est « la rencontre de l'Époux ». Quel ? sinon le Christ, au dire de Jean-Baptiste et de Jésus lui-même § 43 — Mc 2,19-20*; § 79 — Jn 3,29-30*; § 282 — Mt 22,2*).

Par contre, l'Épouse n'est nommée que dans quelques versions, dont la Vulgate, sans doute par une addition du bon sens, puisqu'à des noces on attend aussi une Épouse. Mais l'omission originelle dans l'Évangile s'explique par des motifs bien plus significatifs: soit que, suivant les Pères, ces noces doivent être entendues comme celles, tout intérieures à Jésus, en qui notre nature humaine se marie à la nature divine, pour être non plus seulement en « une seule chair », mais en la seule Personne, divine, du Verbe incarné (voir plus loin saint Hilaire, et § 29 — Jn 2,8-9*) ; soit parce que les dix vierges représentent toute l'humanité, sage ou folle, invitée à s'unir à Dieu (A. Feuillet). Les deux interprétations sont complémentaires : car c'est par suite de son Incarnation* et du mystère de l'unicité de ses deux natures sous la seule personne divine que le Christ peut nous agréger tous à Lui. Ainsi, dans ce mystère d'épousailles (tant de l'Incarnation que de l'Église) s'accomplit le mystère nuptial d'unité entre les hommes et Dieu même, que les prophètes avaient annoncé de Yahvé (cf. bérulle).

elles sortirent à la rencontre // Gn 24,64-65) — Sur l'image que la rencontre de Rébecca et d'Isaac nous donne des noces du Christ et de l'Église, cf. les textes des Pères dans BC I*, p. 125-127. Chacune de nos âmes est ainsi en attente de l'Époux, « toute son existence est résumée par ces mots : elle est sortie (comme Abraham en Gn 12,1*) à Sa rencontre » (RB 1950, p. 73).

« Cependant ce ne doit pas être un hasard si l'exigence la plus fondamentale de la vie chrétienne: celle de la réceptivité (antérieure même à l'exigence des bonnes oeuvres exprimée par la parabole subséquente des talents : l'homme en effet, ne peut donner quelque chose à Dieu que s'il a d'abord reçu de lui) se trouve incarnée par le monde féminin, auquel est assignée de façon spéciale la noble vocation d'épouse du Christ, assurément plus glorieuse que celle de serviteur mise en relief dans les deux autres paraboles, où le mot serviteur se trouve répété jusqu à dix fois... C'est que le statut du monde féminin, tel que le Créateur l'a voulu, et plus spécialement la condition de la femme épouse, traduisent à merveille cet état d'humble et totale réceptivité et celui de réciprocité aimante dans le don de soi qui doivent être V attitude fondamentale de l'humanité entière en réponse aux avances de Dieu qui veut l'associer à sa vie et à sa félicité» (R. Th. 1984, p. 407; cf. BC I*, p. 49-50: yves fauquet, < Voici >).

elles prirent des lampes: « Ces lampes minuscules sont, plutôt que des flambeaux, des < veilleuses >, en symbole de la vigilance (d. buzy: Paraboles, p. 479).

Mt 25,2-4) — Les Pères se sont plu à chercher une signification à chaque détail de la parabole, dans un esprit proprement < allégorique >. À condition de ne pas raidir le sens, comme si cette interprétation devait être tenue pour rigoureuse et exclusive de toute autre, cela répond au but de cette histoire exemplaire. Pour garder à ces explications leur souplesse, citons deux commentaires dont les différences n'ont guère d'importance, au regard de leur similitude, en profondeur :

Hilaire : Sur Mt, ch. 27 (PL 14, 1059-1060) : L'Époux et l'Épouse, c'est notre Seigneur, Dieu incarné... Par le service de cette vie, nous nous préparons à aller au-devant de la résurrection des morts. Les lampes sont la lumière des âmes, qui resplendissent du sacrement de baptême. L'huile est le fruit de l'oeuvre bonne. Les vases sont les corps humains. En eux est caché le trésor de la conscience droite. Les marchands sont ceux qui ont besoin de la miséricorde des fidèles : leur commerce consiste à ce que leur indigence soit comblée par notre oeuvre bonne... Les noces sont l'entrée dans l'immortalité... Le retard de l'Époux est le temps de la pénitence ; le sommeil de ceux qui attendent est le repos des croyants et la mort temporaire. La clameur au milieu de la nuit est la trompette qui précède l'avènement du Seigneur et réveille tous les hommes. La lampe à la main est le retour de l'âme dans le corps.

Grégoire de Nysse : De instituto christiano (jaeger, p. 82-83) : Le fruit de la prière... C'est la simplicité, la charité, l'esprit d'humilité, la patience, l'innocence et le reste... Avec de tels fruits, la prière devient belle — mais s'ils manquent, elle perd sa peine. Et ce qui est vrai de la prière l'est de toute la voie philosophique [= le monachisme]. Si elle a cette fécondité, elle est vraiment la voie de la justice, et elle conduit vers sa fin authentique ; mais si elle en reste privée, son nom se vide de toute signification, et elle ressemble aux vierges folles, à qui l'huile manque pour les noces quand le moment est venu.

Elles n'avaient pas dans leur âme la lumière qui est le fruit de la vertu, ni dans leur pensée la lampe de l'Esprit. C'est pourquoi l'Écriture les appelle «folles », et avec raison, car leur vertu s'est éteinte avant l'arrivée de l'Epoux; aussi les a-t-il exclues de la récompense, c'est-à-dire des noces d'en haut. Parce qu’elles n’avaient pas la force de l'Esprit, il ne leur a pas compté le zèle de leur virginité ; et il a eu entièrement raison. Car à quoi bon travailler une vigne, si elle ne porte pas de fruits ? C'est pour les fruits, que le vigneron assume son labeur.

Et à quoi bon le jeûne, la prière et les veilles, s'il n'y a ni paix, ni joie, ni chanté, ni les autres fruits de la grâce de l'Esprit ? Pour eux, le frère épris de la joie d'en haut n'épargne pas sa peine. Ils attirent l'Esprit; le frère reçoit la grâce; dans son humilité et son courage au travail, la grâce de l'Esprit fait pousser la récolte — et il en jouit avec bonheur.

[Précédemment (p. 50), Grégoire de Nysse expliquait comment ces lampes allumées symbolisent la préparation spirituelle à la venue du Christ, « éblouissant de sainteté ».] Celui qui désire s'unir à quelqu'un doit évidemment adopter sa manière d'être, en l'imitant. C'est donc une nécessité pour l'âme qui désire devenir l'épouse du Christ, de se rendre conforme à la beauté du Christ par la puissance [de l'Esprit]. Car il n'est pas possible que soit jamais uni à la Lumière celui qui ne brille pas du reflet de cette lumière. Et j'ai appris de l'Apôtre Jean : « Quiconque a cette espérance se sanctifie, comme le Christ lui-même est saint » (1Jn 3,3). — Trad. fr» : Le But divin, Téqui, p. 55-57 et 24.

Certes ! dans la vie spirituelle, la lampe ne va pas sans huile. Mais comme vient de le rappeler admirablement Grégoire de Nysse, cette lumière est d'abord intérieure. La prière doit porter fruits, mais, suivant déjà Ga 5,23, ce sont en premier lieu les fruits intimes de l'Esprit, produits par « la force de l'Esprit » : simplicité, charité, humilité, patience, innocence... paix, joie, et encore, surtout, la charité. Les oeuvres extérieures viendront aussi en compte, dans la parabole des talents puis au Jugement dernier § 306 -307*). Mais il faut être sensible à la tonalité propre de cette parabole des dix vierges, qui est amoureuse...

Car c'est ce à quoi nous sommes appelés, premièrement et définitivement. Dès la mention de l'Époux, nous sommes avertis que l'aventure dont il s'agit est la même que celle du Ps 45, ou du Cantique des Cantiques, comme le montre A. Feuillet (R. Th. 1984, p. 411-417). D'où nos // — celui de Ct 2,8-14 donnant justement le ton.

Mt 25,5) — Comme l'Époux tardait : Ce n'est pas tant que la Fin du monde ne vienne pas. Mais dans la vie spirituelle aussi, le Christ se fait attendre, même quand son ami Lazare est à la mort ! § 266 — Jn 11,5-6*).

elles somnolèrent toutes: Le sommeil physique n'empêche donc pas la vigilance nécessaire, qui est spirituelle: « Je dors, et mon coeur veille » (// Ct 5,2a). S'endormir durant l'oraison comme il arriva, confesse-t-elle, à Thérèse de Lisieux, ne sera pas reproché, pourvu qu'il y ait provision d'huile. Peut-être même y a-t-il ici une allusion à la « torpeur » sur-naturelle où l'approche du divin plonge Abraham (Gn 15,12 — BC I*, p. 98) ainsi que les Apôtres, à la Transfiguration comme à Gethsémani § 169 — Lc 9,32*; § 337 — Lc 22,45*). « Veiller, dit A. Feuillet, c'est penser à Jésus, ressentir son absence comme un vide immense... Il pourra y avoir des heures de lassitude... Même alors il ne faudra pas cesser d'attendre ».

Mt25,6 // Ex 12,23 Ex 12,29 ;Is 26,8-9) — Au milieu de la nuit : Le ton vengeur de l'Exode est si différent de celui de la parabole (et plus encore celui du // Sg 18,13-16, en // à BC I // Jh), qu'on refuse parfois ce parallèle. Et pourtant, ici et là, c'est fondamentalement le même mystère de la Pâque, du passage de Dieu, pour le salut des vierges sages comme du Peuple élu marqué du sang de l'Agneau, ou bien pour la perte des vierges folles et des Égyptiens:

Jérôme : Sur Mt IV (PL 26,184-85) : Suivant la tradition des Juifs, le Christ viendra au milieu de la nuit, comme au temps de l'Egypte quand la Pâque fut célébrée, que l'Exterminateur vint, que le Seigneur passa sur les tentes. Et les linteaux de nos fronts sont consacrés par le sang de l'Agneau. C'est de là, je pense, que vient la tradition apostolique de ne pas renvoyer le peuple avant minuit, dans la Vigile Pascale, parce qu'on attend la venue du Christ.

Cette vive attente se continue dans les « vigiles » nocturnes de l'Office monastique. Il culmine dans la proclamation finale de l'Évangile, qui éclate comme une sorte de < Parousie >, de Retour du Christ en la célébration de sa Parole :

T. herwegen : Sinn und Geist der Benedictinerregel, p. 162-163 : Combien était fort, jadis, le sentiment de la présence du Christ à la lecture de l'Evangile, ou même dès qu'apparaissait le Livre des Évangiles, toute l'antiquité chrétienne en témoigne jusqu'au Haut Moyen Age... Amalaire de Metz décrit ainsi le chant de l'Évangile : « Le prêtre, et le peuple tout entier, se tournent vers l'Orient, jusqu'à ce que le diacre commence à < faire parler le Seigneur > »... Ici est évoquée une pensée qui, longtemps, resta très vivante dans le coeur des fidèles : celle de la Parousie. L'Évangile posé sur le trône signifie ce que l'on a appelé la < préparation du trône >, pour le Jugement dernier. À cette pensée de la Parousie est liée très étroitement la tenue des moines ou des fidèles, debout tous ensemble, attitude des serviteurs qui attendent, et aussi la < crainte >* avec laquelle il faut écouter l'Évangile. On peut également rappeler ici que presque tous les communs des saints contiennent un évangile de la Parousie. Comme la Parousie était attendue dans la nuit, et surtout la nuit de Pâques, la lecture de l'Évangile aux Vigiles des dimanches porte particulièrement le caractère d'un symbole du retour du Christ pour le Jugement. Et c'est encore dans ce sens que l'Amen, qui ailleurs n'a pas coutume de suivre l'Évangile, a ici une importance et une signification particulières.

C'est la nuit, tant que ne survient pas le Christ — Lumière du monde, et de chacun de nos coeurs. De cette attente nocturne, de cette recherche qui, apparemment, tarde à trouver, Joseph et Marie en quête de Jésus resté au Temple, témoignent non moins que la pécheresse de Lc 7,36-50 § 18 — Lc 2,45-46* et 123*). Vierges sages ou folles l'ont aussi au coeur. C'est le couple < chercher-trouver >* dont nous avons vu l'importance dans la vie spirituelle. Voir Ct 3,1-3, en // à ces mêmes § 18 et § 123 . Ici, nous préférons Is 21,11-12 et surtout 26,8-9 également indiqué par A. Feuillet, qui a en outre l'avantage de mettre l'attente et la recherche spirituelle < de nuit > en rapport avec le Jugement, comme dans notre parabole. Toutefois celle-ci évoque, davantage que la recherche active dont parlent Ct 3 et Is 26, la pure attente du coeur aimant, comme au // Ct 5,2 Ct 5,

un cri retentit: Pour nous réveiller (Is 51,17 Is 52,1) et pour annoncer, surtout: « Voici votre Dieu ! Il règne... » (Is 40,6-9 Is 52,7 Jr 31,6). Mais c'est Elisabeth elle-même qui pousse un cri quand Jésus vient à elle et à Jean-Baptiste, porté en Marie § 5 — Lc 1,41-42*). De toutes façons, note A. Feuillet, il y a toujours surprise, parce que c'est toujours une visite de la grâce.

« Sortez... » : Comme Abraham en Gn 12,1 (voir Mt 25,1 «elles sortirent... »).

Mt 25,7-10 — Le « chacun pour soi » des vierges sages serait bien égoïste s'il ne s'agissait du Jugement où chacun est jugé à titre personnel — même si, heureusement ! notre pauvreté et nos péchés seront rachetés par le Christ, dans la Communion des saints.

celles qui étaient prêtes entrèrent: Au § 208 , sur le même thème de la vigilance, Lc 12,35 a une parabole assez parallèle, où il montre les serviteurs en tenue d'Exode, « reins ceints et lampes allumées ». Suivant les cas, c'est le Christ qui frappe, à qui doit aussitôt être ouverte notre porte (Lc 12,36 et // Ct 5,6 cf. Âp Ct 3,20) ; ou bien c'est à l'inverse nous-mêmes qui frappons à la porte de la salle des noces (Mt 25,10-11). En réalité, c'est < moi en eux > aussi bien qu'eux en moi.

Mt 25,11-12; (Lc 13,25) // Sg 5,3-13 — Cette réponse terrible se trouve déjà au § 74Mt 7,23 : Même d'avoir prophétisé, chassé les démons, accompli des miracles, qui plus est « en son Nom », ne suffirait pas pour qu'il nous reconnaisse des siens. Tant est vrai qu'en définitive, « nous ne serons jugés que sur l'amour », et d'abord l'amour du Christ, attendu, désiré, espéré comme l'Époux. L'irréparable ne provient évidemment pas de la seule étourderie d'avoir oublié l'huile, mais de « l'état d'impréparation à la réception de l'Époux, causée par un manque d'amour, en un contexte où l'amour est tout, et où son absence prend une allure de folie » (R. Th. 1984, p. 407). De même, la porte refermée est une image, pour nous avertir quand il en est encore temps que le ciel étant le monde saint et parfait de Dieu, pour en être, il faut être passé par la Porte étroite, qui est le Christ § 72 et 263) — Jn 10,9*). C'est de Lui que nous recevons l'Esprit capable d'infuser dans nos coeurs cet amour et cette attente (= cette espérance) par quoi nous sommes peu à peu sanctifiés et par-faits. Pour éviter les regrets de ces folles ou du // Sg 5,3-13, il faut se dépêcher de répondre à l'exhortation du Veilleur : « Convertissez-vous ».

Mt 25,13 — Conclusion sur le motif de 24,42 et 32. « Ces paroles montrent bien que tout ce que le Christ a dit sur les deux hommes qui sont dans le champ, sur les deux femmes qui tournent la meule, sur le père de famille qui confie ses biens à son serviteur, et sur les dix vierges, Il l'a dit pour que nous-mêmes, ignorant le jour du Jugement, nous préparions avec soin la lumière de nos bonnes oeuvres » (Jérôme: Sur Mt IV — Pl 26,186).

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Bible chrétienne Evang. - § 298. Parabole du figuier : Mt 24,32-33; Mc 13,28-29; Lc 21,29-31