Bible chrétienne Evang. - § 306. Parabole des talents: Mt 25,14-30; (Lc 19,12-27)

§ 306. Parabole des talents: Mt 25,14-30; (Lc 19,12-27)


(Mt 25,14-30 Lc 19,12-27)

— Liée, en grec, à la conclusion de la précédente parabole (v. 13) par un « car », celle-ci est donc donnée en nouvel exemple de la vigilance nécessaire.

// Pr 31,10-31 — En prélude, ce portrait de la femme forte (de « la force de l'Esprit» — Mt 25,1 Grégoire de Nysse, 2° §) : elle aussi, comme les Hébreux de l'Exode et les vierges sages, elle a « les reins ceints et la lampe qui ne s'éteint pas... car elle se lève quand il fait encore nuit ». Mais son éloge insiste plus encore sur ses travaux, comme va le faire la parabole des talents : De même que les vierges sages étaient l'image autant des hommes que des femmes, en attente de l'Époux divin, de même tous ont à être serviteurs et servantes du Christ. Voir également, au § 270 , les // Regroupés sur le thème : « de la servitude d'Egypte au service de Dieu » (qui est celui de l’Exode : BC I*, p. 212).

Lc a placé la parabole des mines juste avant les Rameaux, et les variantes qui lui sont propres montrent que < le sens > (= la direction et le but) est quelque peu différent : à l'enthousiasme de la foule et de ses disciples à la perspective d'inaugurer le Règne de Dieu par l'entrée solennelle à Jérusalem, Jésus répond par cette parabole. Sur tout ceci, l'étude d'I. de la Potterie (dans Mél. J. Dupont, p. 613-641, avec bibliographie) nous apporte confirmation in extremis de nos propres conclusions :

1. Cette parabole se trouve encadrée par les v. 11 et 28 § 270 et 273), qui font inclusion : « Il approchait de Jérusalem... Cela dit, Il allait en avant, montant à Jérusalem » : donc la perspective première est bien les Rameaux.

2. Ce verset 11 ne signifie pas que les Apôtres supposaient faussement la Seconde Venue du Christ imminente (comme l'a présupposé l'eschatologisme à présent mis en pièces) : là où l'on interprétait « ils se figuraient (Tob) ou « ils s'imaginaient (Osty, BJ) que le Règne de Dieu allait se manifester sur-le-champ », il faut rétablir comme nous l'avons fait : « ils pensaient que... », sans intention péjorative. Et « manifester » n'est pas ici le mot propre à l'< Epiphanie > de la Parousie, mais tout simplement ce qui « apparaît ou se manifeste au cours et à la faveur d'un déplacement ». C'est-à-dire qu'il s'agit de cette « manifestation » que va provoquer l'arrivée de Jésus, venant de Jéricho (Lc 19,1-10) et débouchant par Bethphagé au sommet du mont des Oliviers, « en vue de Jérusalem » (v. 11 et 28). Autrement dit, cette manifestation est la < procession des Rameaux > où le Christ sera proclamé comme le Roi § 273 — Lc 19,38*). « Le Règne » immédiat de Dieu, c'est celui dont Jésus lui-même révélait expressément la venue présente, en sa Personne § 117 — Lc 11,20; ou § 242 — Lc 17,21).

Donc, matériellement, les Apôtres ne se trompent pas sur cette imminence-là (de la « manifestation » des Rameaux). Toutefois, Jésus veut prendre du champ par rapport à l'événement historique, invitant à y voir la matérialisation (= le signe visible) du Mystère dont les Rameaux sont en effet le symbole, mais rien que le symbole : l'intronisation non plus seulement terrestre et toute temporaire du Christ à Jérusalem, mais celle de son Ascension, qui Le fera « monter » jusqu'au trône de son Règne éternel, à la droite du Père (Ps 110). C'est la sur-naturalisation des perspectives à laquelle nous invite constamment l'Évangile.

V. 12-13) — Cet homme de haute naissance qui va recevoir la royauté, c'est évidemment le Christ, par le < départ > de sa mort et de son Ascension.

pendant que je viens: traduction littérale, d'après J. Dupont, plutôt que le « jusqu'à ce que je revienne » qui gauchit l'expression grecque en un sens plus eschatologique : « Le verbe au présent décrit une durée : les serviteurs sont invités à faire des affaires avec leurs mines, pendant toute la période où leur maître est en train de venir. Il est probable que « pendant que je viens » est l'annonce (dans cette parabole) de ce que les disciples diront au v. 38 : « Bienheureux celui qui vient, lui, le Roi ». La perspective n'est pas eschatologique, mais ecclésiale: à partir de son intronisation céleste (préfigurée à Jérusalem), le Christ-Seigneur « vient » (continuellement) comme roi auprès des siens. C'est en ce sens aussi qu'il faut comprendre le verbe « revenir » aux v. 12.15 ».

à dix de ses serviteurs, il confia dix mines: la mine équivaut à 1/60° de talent (donc beaucoup moins que dans Mt), ou à 100 drachmes = 100 deniers = cent journées de travail (cf. § 54 * in fine). C'est donc relativement peu, soit pour souligner une fois de plus qu'à son départ, le Royaume est tout petit comme le grain de sénevé, soit pour accentuer la disproportion entre la tâche initiale : faire valoir uniformément une seule mine, et la récompense dans le Royaume: gouvernement de villes.

Au v. 14 // Gn 37,6-8 — Ses concitoyens le haïssaient : comme les frères de Joseph, figure du Christ (BC I*, p. 162 ss). « Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous » : C'est ce que crieront les Juifs, compatriotes de Jésus, devant Pilate, le gouverneur romain : « Nous n'avons pas de roi, en dehors de César ».

Enfin, aux v. 24-26, la punition du mauvais serviteur est un transfert de son capital au serviteur fidèle ; tout de même que la parabole des vignerons homicides, qui suit les Rameaux, précisera qu'il y aura transfert de la vigne à d'autres c'est-à-dire des Juifs aux païens § 281 * ; cf. § 84 *). Le v. 27 élargit la sentence du mauvais serviteur à tous « les ennemis du Christ », annonçant par là les malheurs à venir pour les Juifs.

La parabole des mines a donc, en Luc, valeur prophétique sur les destinées réciproques d'Israël et des nations. « Mais dans l'attente de son retour, les siens doivent accomplir leur tâche. Et le passage analogue d'Ac 1,6-11 suggère que Luc pense ici aux ministères de la mission apostolique » (A. George: Sur Luc, p. 274-275). En Mt, la parabole des talents prend un sens beaucoup plus général :

Mt 25,14-15 // 1Co 15,10 — Ici, dès le départ, les talents sont distribués inégalement, comme les dons de la grâce de Dieu § 252 — Mt 20,12*) :

Hilaire: Sur Mt, ch. 27,6 (PL 9,1061): Chacun reçoit, suivant la mesure de sa foi, un ou plusieurs talents, c'est-à-dire qu'il reçoit d'un prédicateur l'annonce de l'Évangile: c'est cela, le bien incorruptible, c'est cela le patrimoine du Christ, préparé pour les héritiers de /' éternité.

Mais en Mt, non moins qu'en Lc où c'est dit plus expressément (v. 13), talents ou mines sont donnés pour un faire-valoir :

Grégoire de Nysse: De instituto christiano (jaeger, 44): Le Seigneur l'a dit à propos de la mine : la grâce de l'Esprit Saint est donnée à chacun en vue de son labeur, c'est-à-dire pour le progrès et la croissance de celui qui la reçoit. Car il est nécessaire que l'âme régénérée soit nourrie par la puissance de Dieu jusqu'à la mesure de l'âge de la connaissance dans l'Esprit; elle est donc irriguée généreusement par la sève de la vertu et les enrichissements de la grâce. Tout vient du don et de la grâce de Dieu, y compris cet à-valoir (// 1Co 15,10).

Mt rend compte immédiatement de la conduite des 3 serviteurs (v. 16-18). Luc est littérairement plus habile en ne la dévoilant que dans le Jugement. Mais de toute façon il est visible que, tout le reste étant une introduction aussi rapide que possible, l'intérêt porte sur ce Jugement, et en particulier sur celui du mauvais serviteur, où les considérants prennent plus d'ampleur comme pour un point d'orgue en finale de la parabole (7 versets contre 2 à chacun des bons serviteurs - Sur cette structure, cf. J. Dupont, dans Ass. S. n, n° 64, p. 19-20).

Mt 25,20-21 et 22-23; (Lc 19,16-17 et 18-19) // Ps 18,25-26 — Bon et fidèle serviteur : < fidèle > comme au § 304 — Mt 24,25*. Fidèle en une petite chose, je te donnerai pouvoir sur de grandes choses : C'est la même correspondance qu'au § 304 *, entre l'< intendance > confiée sur la terre et reconduite au ciel (A. Feuillet, rb 1950, p. 80-83).

entre dans la joie de ton maître: hugues de saint-victor: Miscellanea, VI (PL 177,808) : // Y a trois sortes de joie : la joie du monde, ta propre joie, et la joie de ton Seigneur. La première vient de l'opulence terrestre ; la seconde, d'une bonne conscience ; la troisième se réalise dans l'expérience de l'éternité. Ne sors donc pas, pour aller vers la joie du siècle ; ne reste pas confiné dans ta joie ; mais entre dans la joie de ton Seigneur.

Car la première joie est extérieure, la seconde est au milieu, en toi-même ; mais la troisième est encore beaucoup plus intérieure. Pour la première on sort; à la deuxième, on commence à revenir; à la troisième, on tient le but.

En recherchant la première, l'homme sortit, quand il tomba du Paradis ; avec la seconde, il commence à revenir, en se réconciliant avec Dieu ; mais à la troisième il tiendra le but, quand voyant Dieu tel qu'il est, il jouira de Lui pour l'éternité. La première joie est pauvre et chétive, la seconde est le centuple, et la troisième est la vie éternelle. « Celui qui renonce à tout ce qu'il possède, recevra le centuple et possédera la vie éternelle. »

Mt 25,24-27; (Lc 19,20-23) // Sg 12,17 Jb 15,5-6 — Ce serviteur n'a pas été seulement paresseux, en laissant dormir, inutilisé, ce qui lui avait été confié : en plus, il est « mauvais », par son insolence à s'instituer le juge de son maître, l'accusant d'être injuste. Ce n'est pas nouveau : déjà les ouvriers de la première heure en avaient jugé de même vis-à-vis de ceux de la onzième § 252 — Mt 20,11-16*), ou le fils aîné vis-à-vis du prodigue. J. Dupont en conclut que ce qui se trouve ici visé serait premièrement la mentalité pharisienne qu'une fois observée la Loi, ric-rac, on pouvait se tenir pour quitte envers le Seigneur, alors que nous sommes devant notre Créateur comme des serviteurs qui avons à faire ce qu'il nous demande (Ass. S. n° 64, p. 20-23). C'est vrai; mais plus généralement encore, césaire d'arles s'en prenait à ceux qui — aujourd'hui encore — croient se justifier en disant : « Je n'ai rien fait de mal » (15° des Sermons au peuple, SC 175, p. 444-446) : Celui qui pense qu'il suffit de n'avoir pas fait le mal, même si l'on n'a pas fait de bien, je voudrais qu'il me dise s'il accepterait que son serviteur agisse avec lui comme lui-même agit avec son Seigneur. Souhaite-t-il, par hasard, que son serviteur ne fasse ni bien ni mal ? Tous, nous voulons que nos serviteurs non seulement s'abstiennent de nous désobéir mais accomplissent en outre les oeuvres que nous leur commandons. Sans doute, un serviteur qui te vole tes bêtes est gravement coupable, mais celui qui s'occupe d'elles avec négligence n'est pas non plus exempt de faute. Donc, il n'est pas juste que nous fassions à notre Seigneur ce que nous n'accepterions pas de notre serviteur. D'autant plus que, nos serviteurs, nous ne les avons pas créés, nous ne les nourrissons pas de notre substance : c'est notre Dieu, qui a créé et qui nourrit nos serviteurs et nous-mêmes. Et pourtant, ces serviteurs que nous n'avons pas créés, nous voulons qu'ils nous servent avec zèle.

On dit souvent : « Ah, si au jour de ma mort je pouvais être trouvé tel que je suis sorti du sacrement de baptême ! » C'est une bonne chose, oui, qu'un homme, au jour du Jugement soit trouvé purifié de tous maux; mais c'est un mal grave, s'il n'a pas progressé dans les bonnes actions... Celui qui a eu une longue vie, et le temps de faire le bien, il ne suffit pas qu'il se soit abstenu de mal faire, s'il s'est également abstenu de bien faire.

Dites donc : si un homme a planté une vigne, voudrait-il, au bout de dix ans, la retrouver telle qu'il l'a plantée ?... S'il lui naît un fils, aimerait-il, après cinq ans, le voir toujours dans cet état de nouveau-né ? Puisqu' il ne plaît à personne de voir sa vigne, son olivier, son fils, ne faire aucun progrès, nous devrions nous désoler en constatant que depuis notre baptême nous n'avons fait aucun progrès. Pensons que notre Dieu, lui aussi, désire et attend de nous que son peuple chrétien produise des fruits.

Mt 25,30 ; (Lc 19,27 — Ce serviteur qui ne sert de rien : À la différence du v. 26, le serviteur est traité en ce v. 30 non plus de « mauvais », mais d'« inutile ». C'est le même mot qu'en Lc 17,10 § 240 *), mais en un sens complémentaire plutôt qu'identique. Alors, dans l'expression « serviteur inutile », le contexte mettait l'accent sur l'adjectif, et lui donnait plutôt le sens de « serviteur à qui l'on ne doit rien ». La leçon était d'ordre théologique et général : la créature n'ajoute rien au Créateur. Vérité universelle qui vaut tout autant des élus ; et cette inutilité-là ne saurait être reprochée à quiconque : elle est dans la nature des choses.

Mais ici, l'accusation vise particulièrement le réprouvé, parce qu'il n'a pas rempli le service que son maître pouvait en attendre (Mt 25,24). La contradiction entre « serviteur » et « qui ne sert pas » fait éclater son indignité. L'insistance est donc cette fois sur « serviteur » ; et même si Dieu pourrait aisément se passer de nous (« inutiles »), du moment qu'il nous a fait l'honneur de nous associer au service que Lui-même est venu rendre aux hommes en la Personne du Verbe incarné, nous devons prendre à coeur de répondre à cette vocation... Jetez-le dans les ténèbres extérieures : s'oppose à la fois aux lumières de la salle des noces de la parabole précédente, et à l'entrée des bons serviteurs dans la joie de leur Seigneur : « L'un est mis dedans, l'autre dehors : l'un dans la joie et dans la lumière, l'autre dans le désespoir et dans les ténèbres... Pleurs et grincements de dents : Profonde tristesse dans l'un, et rage dans l'autre. Il est en fureur contre lui-même, parce qu'il n'a à imputer qu'à lui-même le malheur dont il est accablé » (bossuet : Méditations, 88° jour). — Sur ces images d'enfer, cf. § 136 — Mt 13,41-43*.

« Il fallait donner cet unique talent aux banquiers, c'est-à-dire communiquer à tout le genre humain l'usage du talent confié » (Hilaire: Pl 9, 1063).

// Ps 143,2 et 51,5-6; 2Co 6,1-2 — C'est la conclusion pratique de cette parabole : être si possible des serviteurs qui portent du fruit. Mais si nous avons des motifs de craindre qu'ils soient maigres, racheter notre misère par un recours à la miséricorde; puis, sans plus attendre, profiter du « temps favorable » qui nous est laissé comme possibilité toujours ouverte de conversion.

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§ 307. Le jugement dernier : Mt 25,31-46


(Mt 25,31-46)

— Tout montre que l'on arrive au sommet de cette révélation sur l'à-venir : l'universalisme de la scène (v. 32), sa conclusion définitive (v. 46), l'équilibre souverain du Jugement et sa justification irrécusable, la vive lumière jetée sur le < Mystère >, qui n'apparaît pas encore mais se réalise dès à présent du fait de l'Incarnation rédemptrice (v. 40).

Mt 25,31-33 // Dt 33,2 Za 14,5 Ps 7,7-8 Ps 50,1-6 Ap 20,11-12 — Le parallèle avec les apocalypses de l’A.T. (ou du N.T.), et plus encore avec les descriptions des apocryphes tels que Hénoch 62-63; IV° Esdras 7,33-38; Baruch 83,1-2, met en valeur la grandeur de l'Évangile qui est dans son extrême sobriété et simplicité, encore accrue par le contraste entre la Gloire céleste et l'humilité des actes de miséricorde grâce auxquels on peut y accéder. Des images < apocalyptiques >, d'ordinaire si flamboyantes, ne reste que grandeur et noblesse.

Quand : Articulation du discours eschatologique (Mt 24,15 Mt 24,32-33), encore soulignée ici par la particule < dé >. Il s'agit non plus seulement, comme dans les paraboles précédentes, du jugement particulier qu'opèrent la mort et la parution devant Dieu, mais de la Parousie proprement dite. Et le Christ en vient donc enfin à la seconde partie de la question initiale, concernant « son avènement et la fin du monde » (Mt 24,3). Encore ne dit-il plus rien des cataclysmes, pour concentrer notre attention sur < l'au-delà >.

le Fils de l'homme* viendra dans sa gloire* et tous les anges avec Lui (// Dt 33,2; Za 14,5), alors il prendra place sur son trône de gloire (// Ps 7,8) : « Cette description reporte sur le personnage du Fils de l'homme trois attributs qui, dans la tradition biblique et juive, qualifient la venue eschatologique de Dieu lui-même » (J. Dupont : 3 Apocalypses, p. 90). « C'est l'affirmation la plus forte de la divinité de Jésus, au sens strict » (A. Feuillet: rb 1950, p. 181). « Assis sur son trône de gloire », est l'accomplissement de la prophétie du Ps 110,1-2 (que nous réservons en // à l'affirmation encore plus solennelle du Christ devant le Sanhédrin : cf. § 342 — Mt 26,64; et § 376 — Mt 28,19).

Toutes les nations : pas seulement au sens des nations païennes, car les Juifs auront à répondre, et plus durement encore, en ce Jugement : cf. Mt 10,15; 11,20-24; 12,41-42. Il y a d'ailleurs parallélisme entre cette scène et Mt 24,30-31, où se trouvait déjà la venue du Fils de l'homme, et le rassemblement de toutes les tribus de la terre, par les anges. L'Éternel Dessein de Salut s'accomplit ici (justification de cette interprétation universaliste dans J. Dupont, p. 86-92).

Il séparera: Telle est l'oeuvre divine, dans la Création comme dans la sanctification, qui est consécration et pour autant mise à part: cf. BC I*, p. 380 < Séparation >. Dieu purifie et justifie en tirant le Bien de la confusion où il était avec le Mal. Mais jusqu'à la Fin des temps, la patience de Dieu* laisse tout mêlé : c'est le sens exprès de la parabole de l'Ivraie § 132 et 136*).

comme le berger sépare les brebis d'avec les boucs : // Ez 34,17-22) — De tout ce paragraphe, c'est la seule image < parabolique >. Le // D'Ézéchiel, dont elle s'inspire, témoigne de l'Esprit dans lequel va être rendu le Jugement du Christ comme du Bon Pasteur qu'il est § 263 — Jn 10) : non pas tant d'accusation que de défenseur de ses brebis, dont Il va se faire l'avocat (v. 35-36*).

les boucs: pourrait aussi se traduire « les chevreaux », comme en Ex 12,5 ou Lc 15,29. Mais dans le contexte présent, il faut n'avoir aucun sens symbolique pour faire des chèvres — un si noble animal — une image des réprouvés ! Si « boucs », par contre, est malséant, il convient d'autant mieux...

Droite, gauche : Autre symbolisme naturel, d'où viennent le sens valorisant ou péjoratif de < droit >, < droiture > et de < gauche >, < gauchir > (cf. Vtb < Droite > ; v. poucel : Plaidoyer pour le corps, Ed. Pion 1937, p. 49-66 ; M. Jousse : L'anthropologie du geste, ch. 2 : Le bilatéralisme, p. 204-324).

Mt 25,34-46) — Parallélisme antithétique conforme aux lois des < récitatifs > propres au style oral. Comparer les v. 34 et 41 ; 35-36 et 42-43 ; 37-39 et 44 ; 40 et 45 ; 46 a et 46 b.

Mt 25, 34 et 41) — Alors le roi : cf. v. 40. « Alors », c'est-à-dire une fois installé sur le trône de gloire (v. 31*). Le roi : Ce titre qu'il avait refusé sur la terre, pour éviter les illusions d'un messianisme temporel, le Christ le revendique en son Règne éternel § 347 — Jn 18,33-38). Comme l'Église primitive préférait donner à Jésus les titres de < Christ >* ou de < Kurios > (Seigneur*), les exégètes reconnaissent en cette appellation de < roi > une parole qui viendrait plus sûrement du Christ même (cf. Théo preiss: Le mystère du Fils de l'homme, « Dieu vivant », 8° cahier, p. 22).

Venez... Allez (v. 41) : « Venez à moi, où est tout le bien. Allez loin de moi, où est tout le mal ». Comme précédemment : « Entre dans la joie de ton maître... Jetez ce mauvais serviteur dans les ténèbres extérieures » (Mt 25,23-30). « Venez : parole d'amour et d'union : parole de l'Époux : « Venez, mon épouse, ma bien-aimée » (Ct 4) ...Sous une autre figure, c'est < le royaume qui vous a été préparé > : c'est un trône, pour signifier la magnificence de la gloire ; c'est la couche nuptiale, pour signifier l'abondance de la joie, et l'accomplissement du mystère de l'amour divin, en faisant avec Dieu un même esprit. À ce < venez > de l'Époux céleste, l'épouse de son côté doit dire un autre < venez > : « Venez mon bien-aimé » (Ct 7,12). C'est ce qu'il faut dire en foi, en espérance, en amour, dans l'esprit et avec les sentiments d'une épouse ardente et fidèle : « Et l'esprit et l'épouse disent : Venez... » ...« Venez, Seigneur Jésus » (Ap 22,16 Ap 22,20): c'est par où finit l'Écriture. C'est le dernier avertissement qu'elle nous donne, comme celui qu'elle veut laisser le plus vivement empreint dans nos coeurs » (bossuet: Méditations, 93°, 90° et 96°jour).

les bénis de mon Père : signifie moins : « vous qui avez été bénis » que « bénis qui appartenez au Père ». Bien que christocentrique, la perspective et le Royaume reviennent au Père, dès l'origine comme en définitive (A. Feuillet, p. 186).

Recevez votre héritage : L'héritage, c'est le Fils § 281 — Mt 21,38*), dont nous sommes par grâce co-héritiers (Rm 8,17). C'est la Béatitude et la Bénédiction promises aux doux § 50 — Mt 5,4 // Ps 37,11 Ps 37,22 Ps 37,29 cf. aussi § 205 - Lc 12,14*).

le Royaume préparé depuis la création du monde : Car ce qui est premier dans l'ordre de l'intention, c'est le but, en fonction duquel sont choisis les moyens appropriés. Ainsi, le Dessein divin qui s'accomplit dans le Christ à la Fin des temps était-il projeté par Dieu « dès avant la création du monde » (Ep 1,3 ss). Royaume préparé pour vous : et ceci coupe court à toutes les imaginations d'un Dieu tyrannique. S'il veut être notre Roi, c'est que notre bonheur même est qu'il règne — non seulement pour satisfaire le voeu de notre amour envers Lui, mais parce que son Règne sera la Béatification de tous. Comme le disait plus haut Bossuet, l'image du Royaume ajoute seulement magnificence et gloire à l'intimité heureuse qu'annonçait l'image complémentaire des Noces éternelles. Car là où règne le Christ, ses élus régneront avec Lui; même son trône, Il le partage avec ses Apôtres § 251 *).

Mt 25,35-36 // Ps 41,1 Is 58,6-9 He 13,3 — Ce sont les six « Oeuvres de miséricorde » retenues par le N.T.et la tradition chrétienne. Les // Montrent que l’A.T. les prescrivait déjà, en y ajoutant l'aide aux veuves et aux orphelins (Dt 24,19-21 Tb 1,8 2M 8,28 2M 8,30 Si 4,10 Jc 1,27) et l'ensevelissement des morts (Tb 1,18 — à la suite des v. 16-17 où Tobit est loué de « faire souvent l'aumône, donner son pain aux affamés et des habits à ceux qui étaient nus » — Cf. aussi 1S31,11-13;1R 13,29-31 ; cf. Ac 8,2). Ce sont les besoins humains les plus criants : manger et boire (Mt 10,42, le verre d'eau; Lc 3,11 Lc 14,12-14 Ac 6,1-3); avoir un logement (Rm 12,13 He 13,2 1P 4,9) et des vêtements (Lc 3,11 Ac 9,39 Je Ac 2,15-16), être secouru dans la maladie (// He 13,3 ; Lc 10,34-35 Je Lc 5,14). L'aumône* est une réponse globale à ces besoins divers, aussi a-t-elle été particulièrement recommandée de tous temps. Il faut seulement veiller à ce qu'elle reste aussi personnelle (faite avec coeur) et personnalisée que possible. (Sur les développements de ces « Oeuvres de miséricorde » qui sont l'honneur du christianisme (et plus généralement de l'humanité), article et Bibliographie d'i. noye dans DS 10,1328-1349).

Mais le plus important est ici la révélation indiquée dans le rapport : « Je (= moi, le Christ) étais dans le besoin, et vous... » Le // Ps 41,1 pressentait déjà « le mystère du pauvre », c'est-à-dire le mystère dont le pauvre est le sacrement, le signe porteur sensible et demandant réponse — comme le révélera expressément le v. 40*.

Mt 25,37-39) — La surprise des élus montre bien qu'au moment où ils ont « fait la charité », ils ne savaient pas. Encore qu'on doive se garder de confondre tout secours humanitaire avec des actes de charité proprement dite (cf. P. marcel: Frères et soeurs dans le Christ », « Rev. Réformée » 1965/1, p. 15-16), cet Évangile permet d'espérer la Béatitude éternelle pour tant d'hommes et de femmes qui auront soulagé les malheureux sans y reconnaître le Christ.

Il n'est pas moins notable que, là où des actions d'éclat comme de « prophétiser, chasser les démons, faire des miracles » n'empêcheront pas la condamnation § 74 *), les plus simples oeuvres de miséricorde se verront aussi magnifiquement reconnues et honorées par Jésus !

Mt 25,40 // Pr 19,17 — Amen je vous le dis : Pour ce sommet de la révélation, le Christ nous donne solennellement sa Parole d'honneur. Toutes les fois que : Qu'on en soit conscient ou non, le rapport joue donc entre l'un de ces petits et moi, le Christ. L'explication, Il la donne aussitôt : c'est qu'il les tient pour ses frères. Il ne s'agit pas seulement de la « fiction juridique » du droit rabbinique, pour qui « l'envoyé est comme celui qui l'envoie ». Certaines sentences évangéliques pourraient être entendues en ce sens : cf. Jn 13,20. Et même « le verre d'eau fraîche » prenait valeur pour le salut du fait qu'il était donné « à l'un de ces petits à titre de disciple... en mon Nom, parce que vous êtes au Christ » § 104 - Mt 10,42* et Mc 9,41). Mais en réalité, de Jésus à ces petits il y a bien davantage qu'une simple représentativité d'un ambassadeur qui ne serait que < lieutenant > du Christ : il y a la plus forte des solidarités, celle de la fraternité. Mieux encore que les liens du sang, ce qui solidarise le Christ avec tout homme, c'est fondamentalement le Mystère même de l'Incarnation. N'ayant pas les limites inhérentes à la personne humaine, Jésus peut prendre en charge la condition humaine, non pas bornée à son individualité mais extensible à chacun de nous. Sa Personne divine peut en effet embrasser la totalité de notre nature humaine à tous, comme elle embrasse la totalité de la nature divine commune au Père, à l'Esprit et à Lui-même. C'est le fondement réel grâce auquel devient possible que nous soyons effectivement membres du Corps qui est le Christ. E. Mersch n'a pas tort de penser qu'ici l'Évangile révèle ce même mystère, sous l'image complémentaire de la fraternité. Et si l'union du membre au corps montre mieux l'intégration,la solidarité entre frères (comme entre l'Époux et son épouse) évoque mieux « quelque chose de plus sensible et de plus tendre », par la liberté et la cordialité des rapports (cf. § 165 — Mt l6,18* bossuet).

Par là même tombe l'objection courante : « le pauvre attend d'être aimé pour lui-même, plutôt que < pour l'amour du Christ > » — Mais bien sûr ! et totalement. Ce pauvre est précisément aimé lui-même par le Christ. À ses yeux, à son coeur ce « plus petit » a du prix; il a du poids; il est quelqu'un d'unique (Is 43,1-4, en // au § 152 in fine). C'est avec les mêmes yeux, le même coeur que le disciple fidèle aimera ce pauvre, entre tous, avec son visage, ses qualités (et ses défauts, dont il souffre), comme unique, comme l'unique. Non seulement ce pauvre garde tout son prix et son poids, mais se découvre en lui un tel « mystère », une telle présence, une si intérieure union (de « frère » et de « membre ») au Christ que, sans confusion aucune de lui au Christ, il n'en est pas moins sur-valorisé. Comme partout ailleurs, le don de Dieu sur-naturalise la nature des rapports entre les hommes, sans les dénaturer, par le renforcement de nos liens mutuels. En chaque homme, il y a plus que le pauvre homme : il y a cette identification sur-naturelle avec le Christ. Quand Saul s'attaque aux premiers chrétiens, il s'entend reprocher : « Je suis Jésus que tu persécutes » (Ac 9,5) ; plus généralement, si Martin partage son manteau avec le pauvre, c'est Jésus qui lui en apparaît couvert. Par conséquent, entre tous les hommes, s'établit ce lien immédiat : le Christ. Aimer l'homme profond, c'est identiquement aimer le Christ, comme le développe Jean Paul II dans son encyclique « Redemptor hominis ».

Les solidarités s'ajoutent. Avec tout malheureux devrait jouer d'abord la simple communauté humaine : « il est ta propre chair » (// Is 58,7). La loi mosaïque prescrit en effet « d'aimer ton prochain comme toi-même », et en particulier l'étranger (Lv 19,18 Lv 19,34). Mais Jésus révèle des liens plus profonds encore. Ce qui se dévoile donc, c'est ce que chacun de nous a de plus intime, à la source même d'où jaillit son être : le Christ identifiant fraternellement son sort avec le nôtre nous sauve de l'avortement du péché, du malheur et de la mort ; Il nous restitue « à l'image de Dieu », « miséricodieux comme notre Père est miséricodieux » § 59 — Lc 6,36), car c'est le Père qui donne aux passereaux même la nourriture, aux lys des champs leur vêtement (Mt 6,26-29), qui prend souci de Joseph et Daniel en prison, des morts qu'il recueille, de la veuve et des orphelins (Dt 10,18 Ps 10,14 Ps 68,6 Ps 146,9 Si 35,14 Os 14,4). Et par conséquent, redevenus fils de ce Père des miséricordes, nous sommes réintégrés dans l'unité de l'Esprit qui anime tout le Royaume de la communion des saints en un même < Corps > ; et nous recevons capacité (sur-naturelle) d'aimer les autres non seulement « comme toi-même », mais « comme je vous ai aimés » § 329 -Jn 15,12).


Par là, c'est le Dessein éternel de l'Amour de Dieu qui s’accomplit : le Dieu-Amour se donne à être vécu par nous en aimant l'autre comme (= de ce même amour dont) Jésus l'aime, et qu'il nous communique (= l'Esprit-Saint). Ainsi portés, nous apprenons à aimer l'autre mieux encore qu'en frère humain : en frère du Christ et fils de l'Unique Père du ciel, dans l'Unique Esprit de famille divine. La charité est divine de part en part. C'est cet Amour divin qui passe en nous, par nous, jusqu'à révéler dans l'autre — et parfois à l'autre — sa part, la plus cachée, d'Aimé de Dieu —

Il est vrai que c'est le monde renversé puisqu'ainsi, en ses membres, le Christ a voulu nous donner la joie de soulager à la fois ces pauvres et Lui en eux, partageant ainsi avec nous sa joie de donner, plus grande encore que celle de recevoir (Ac 20,35) :

Homélie syriaque anonyme du VI° siècle, sur la pécheresse de Lc 7,36-50, n° 41-43 (trad. de F. Graffin, dans «L'Orient Syrien° 1962, p. 219-222): Invite donc les indigents chez toi et crois que, en eux, Jésus s'assiéra à ta table... : en eux Il a mangé alors qu'il n'a pas faim ; par eux Il a bu alors qu'il n'a pas soif; en eux Il est vêtu alors qu'il n'est pas nu. Quand tu combles les besoins des pauvres, c'est Lui, qui, sur Lui-même, porte le poids de leurs besoins... Quoi donc ? Lui, Il a supporté ta faim ; et toi tu ne lui donnes pas Son pain ? Il a supporté ta soif, et toi, tu ne lui donnes pas Sa boisson ? Il s'est montré en personne devant toi, mais en cachant Sa gloire, et tu ne l'as pas couvert de Son manteau. Il a porté ce qui est à toi par grâce ; et toi, en justice, tu ne Lui donnerais pas ce qui est à Lui. Car la faim, la soif et la nudité sont de toi ; donner à manger, à boire et vêtir est de lui. // A apporté, Il t'a donné de ce qui est À lui pour que tu en deviennes le donateur. Et il a enlevé de toi les besoins, pour en être, Lui, le bénéficiaire...

Cela, dès aujourd'hui. Car tel est bien le sens de cet Évangile : non de spéculation mais d'une révélation qui demande à notre foi de s'engager dans les actes de la charité. « La sobriété de cette évocation du Jugement dernier nous prouverait déjà que ce ne fut pas pour donner des révélations du genre apocalyptique. Bien au contraire (comme en tout ce discours eschatologique), Jésus détourne énergiquement l'attention de ses auditeurs de toute spéculation, de toute rêverie quant à l'avenir et les ramène inexorablement au présent... Comme dans la plupart de ses paraboles, Jésus revient inexorablement à ce thème central : c'est l'instant présent, dans sa banalité apparente, qui est décisif. Cet instant revêt une gravité infinie non seulement parce que le temps est court et que la parousie est proche, mais parce qu’il est chargé du poids infini de la présence mystérieuse, dans l'homme qui est devant l'homme, du Fils de l'homme et de Dieu lui-même » (Théo preiss, art. cit. p. 34-35).

Que d'oeuvres chrétiennes sont nées de cet Évangile ! « Comme je considérais en moi-même que ce serait le sommet de la perfection de visiter chaque jour le Christ en ses membres, et de les soigner dans leur misère avec douceur et humilité, j'ai décidé de transformer ma maison en un hôpital, où le Christ soit louablement honoré en ses membres », écrit un simple bourgeois de Dortmund en 1369, dans la charte de fondation d'un « Hôtel-Dieu » — ce vieux nom qui est lui-même acte de foi ! (cité par Théo preiss, )

Mt 25,41-45 // Ps 50,8-16 Jb 22,6-11 — Exacte antithèse des v. 34-40. Il faut donc les prendre au même sens, non pas tant d'une prédiction du futur que d'un avertissement présent à entrer dès maintenant dans le Royaume de l'entraide et de l'amour. L'autre côté deviendrait désert...

Augustin : Sermon 18 « de Scripturis », ch. 4 (PL 38, 129-131): Tout le mal que font les méchants est enregistré — et ils ne le savent pas. Le Jour où « Dieu ne se taira pas » (Ps 50,3)... Il se tournera vers les mauvais : « J'avais,

leur dira-t-il, placé sur terre mes petits pauvres, pour vous. Moi, leur chef, je trônais dans le ciel à la droite de mon Père — mais sur la terre, mes membres avaient faim. Si vous aviez donné à mes membres, ce que vous auriez donné serait parvenu jusqu'à la tête. Quand f ai placé pour vous mes petits pauvres sur la terre, je les ai institués vos commissionnaires pour porter vos bonnes oeuvres dans mon trésor : vous n'avez rien déposé dans leurs mains, c'est pourquoi vous ne possédez rien auprès de moi. »

Mt 25,46 // Da 12,2 — On le constate une dernière fois : les images terrifiantes des tympans ou des tableaux du Jugement dernier viennent surtout des apocalypses de l’A.T. ou des apocryphes. L'Evangile au contraire inverse l'ordre entre élus et damnés, pour terminer sur la vision exaltante des « justes accédant à la vie éternelle (avec redoublement soulignant l'importance de cet adjectif) : « Un royaume préparé de Dieu... Enfants de dilection et d'élection éternelle, vous avez assez souffert, assez attendu : Venez maintenant le posséder. On ne possède que ce qu'on a pour l'éternité ; le reste échappe et se perd » (bossuet: Méditations, 93° jour).

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Bible chrétienne Evang. - § 306. Parabole des talents: Mt 25,14-30; (Lc 19,12-27)