Bible chrétienne Evang. - § 164. Conclusion du discours: Jn 6,60-71

§ 164. Conclusion du discours: Jn 6,60-71


(Jn 6,60-71)

— L'alternative: ou bien la < fin de non-recevoir > de l'incrédulité (v. 60-66), ou la confiance illimitée parce que motivée et fondée (v. 68-69). D'un côté, non plus « la foule » (v. 22-25) mais « beaucoup de ses disciples » eux-mêmes (v. 66); de l'autre les Apôtres, dont Simon Pierre se fait le porte-parole. Ici et là, le spectre de l'esprit de trahison (v. 64 et 70-71). Quand il y a < schisme >, il ne faut pas prendre peur de ce que la plupart lâchent, encore moins céder soi-même à la contagion ; pas même en être scandalisé*. Jésus a indiqué d'où viennent ces pannes ou ces reculs devant l'acte de foi, aux v. 43-45* et va le répéter au v. 65 : c'est le contrecoup inévitable de toute proposition que Dieu soumet à la liberté de l'homme; car le coeur humain, s'il ne s'appuie pas sur le don et la volonté de croire, se ferme — tant il est vrai qu'« il n'y a pas de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre » = v. 60, mais déjà le § 127 *.

Jn 6,60-66 // Ps 81,14 Ps 81,17 — C'est le grand tournant, que les Synoptiques situent vers le même temps (voir Introduction aux § 146 ss). R. Guardini reconnaît qu'il l'a raidi et schématisé ; mais la gravité du refus est en effet < considérable >: Tout, dit-il, n'était pas joué d'avance. Jésus s'est adressé d'abord au Peuple élu. Tout comme la décision d'Adam a retenti sur le destin de toute l'humanité, tout comme en sens inverse la foi d'Abraham a engendré l'Israël de Dieu, « c'est ainsi que la réponse à l'appel du Messie était entre les mains de quelques-uns (les chefs et les meneurs de « cette génération »*): l'histoire consiste précisément en ce que l'action individuelle accomplie à telle heure, détermine pour tout l'avenir l'existence de la collectivité... L'infidélité du peuple à son Seigneur venu pour le sauver a été le second péché originel, dont la portée ne peut être mesurée que par rapport au premier... Le oui aurait rétracté le péché d'Adam; le non l'a scellé de nouveau... La Rédemption devra prendre une autre allure... Le salut viendra maintenant par le sacrifice. Le Royaume de Dieu change aussi de caractère. Au lieu de venir ouvertement et tout de suite dans sa plénitude, il reste en quelque manière suspendu en l'air. Il continuera à venir jusqu'à la fin du monde. Il dépend à présent de chaque individu, de chaque communauté et de chaque époque, qu'il puisse s'établir et dans telle ou telle mesure » (Le Seigneur I p 235-24. cf. p. 107, 110-111, 115,154).

Jn 6,61-62 — Murmuraient: v. 41-43*. Le bien et la vérité peuvent eux-mêmes faire scandale (§ 55 ) — Mt 5,29-30* et § 106 ) — Mt 11,6*): l'exemple du Christ nous engage à ne pas les renier, quoi qu'il en coûte...

Et si vous voyez... : Sous-entendu : « Que diriez-vous si... » Annonce donc un a fortiori. Le Fils de l'homme: Jésus s'est nommé ainsi aux v. 27, 53, et à présent: « Cet appel à la notion du Fils de l'homme aux stades les plus difficiles de l'enseignement eucharistique répond à un mouvement analogue dans le dialogue avec Nathanaël, dans l'entretien avec Nicodème, dans les discussions avec les Juifs de Jérusalem. Qu'il s'agisse de sa science surnaturelle, de la régénération baptismale, du pouvoir de donner la vie aux hommes et de les juger, Jésus en appelle toujours à la manifestation du Fils de l'homme élevé, glorifié, retournant à son lieu d'origine. Cette ascension glorieuse révélera, avec l'être surnaturel de Jésus, tout le sens du mystère chrétien » (D. Mollat: Et. Jo., p. 120).

remontant là où Il était d'abord: Dans son Discours, le Christ s'était référé à son Incarnation, puis à son sacrifice rédempteur. Celui-ci ne va pas sans sa glorification (§ 309 ) — Jn 12,23-34*). Toute eucharistie chrétienne « fait mémoire de la Passion bienheureuse de Jésus-Christ notre Seigneur, de sa Résurrection du séjour des morts et de sa glorieuse Ascension dans le ciel... dans l'attente de son Dernier Avènement ». Pain vivant, « descendu du ciel », Il y « remontera », avec nous : « Il s'est humilié, dit en substance saint Augustin, pour que je sois relevé, avec Lui (Sur Jn, tr. 26,19). C'est la même percée au-delà du mur (et du murmure) de l'incrédulité qu'avec Nathanaël (Jn 1,51*).

où Il était d'abord: implique la pré-existence éternelle, divine, du Christ, Verbe incarné. D'où les capitales d'ÉTAIT, comme en Jn 1,1*.

Jn 6,63 // 2Co 3,6 Ga 5,25 Ga 6,7-8 1Co 11,28-29 — C'est l'Esprit: l'Esprit Saint comme en Jn 3,6 ou Jn 15,26 et comme dans les // . En opposition avec « la chair », au sens biblique général où ce mot désigne l'homme, corps et âme, en ce qu'il a de périssable, éphémère et volant bas. Donc < chair / esprit > ne s'opposent pas comme < matériel / spirituel > mais plutôt comme les apparences extérieures et l'< Alèthinon > (du v. 32*), la Vérité de l'ordre céleste (éternel).

Les paroles que je vous ai dites: C'est bien une clef pour l'interprétation, mais de tout l'ensemble du Discours eucharistique. On l'a en effet souvent pris à contresens: pour nier la portée évidemment réaliste (< sacramentelle >, au sens catholique de ce mot) de sa 2° partie, et en la réduisant par conséquent au sens < spirituel > de sa première partie. L'Évangile nous avertit ici au contraire que les 2 parties se tiennent, comme foi et sacrement: celui-ci demandant à être reçu « en esprit et en vérité » (§ 81 ) — Jn 4,23-24*), c'est-à-dire dans la foi que l'hostie consacrée est bien « le pain descendu du ciel » = la chair du Verbe incarné, sacrifiée pour le Salut du monde, et ressuscitée, éternisée, distribuable à toutes les générations de toute la terre. C'est un critère pour la pratique de l'eucharistie comme sacrement-de-la-foi, qui rejoint l'avertissement de saint Paul (// 1Co 11,28-29). Cf. X. Léon-Dufour, dans RSR 1958, p. 520.

Jn 6,64-66 — Si croire c'est « venir à moi » (v. 35*.65), pour « me suivre » et « être avec moi » (§ 25 ) — Jn 1,37*), cesser de croire c'est « revenir en arrière* et ne plus aller avec Lui». Même image au v. 68: «À qui irions-nous... ? »

Jn 6,67-69 // Lc 22,28 Ac 7,38 — Le v. 66 parlait seulement de la défection de « beaucoup d'entre les disciples ». Au v. 67, il semblerait que restent seulement les Douze. Le « vous aussi » est terriblement douloureux, comme le sera la plainte de Jésus après son Agonie (§ 337 ) — Mt 26,40). Mais pour les Apôtres également, le choc avait de quoi ébranler, si leur fidélité n'avait pas été fondée sur le Roc du don de Dieu qu'est la foi (§ 165 *, et ici déjà).

Tu as les paroles de la vie éternelle'. Révélatrices de Dieu, mais aussi donnant cette vie éternelle à qui les reçoit, les garde et les met en pratique — notamment ces Paroles sur le Pain qui donne cette vie éternelle.

Nous croyons et nous savons que tu es le Saint de Dieu : < Saint >, nom divin, est aussi nom du Christ (§ 4 ) — Lc 1,35* ; § 11 ) — Lc 2,21* ; § 33 ) — Mc 1,24*), parce qu'il est « Dieu, né de Dieu ». Et c'est cet être divin de Verbe de Dieu qui donne à toute parole de Lui, gardée dans les Évangiles, vérité éternelle et valeur vivifiante pour l'éternité.

Jn 6,70-71 // Pr 8,17 Sg 7,10-11 (cf. 8,2, en // au § 160 ) — Moi qui vous ai choisis: Annonce Sg 15,16, Feuillet a montré (Et. Jo., p. 99-117) comment, par-delà « l'enseignement » des rabbins, « Jésus entend renouer avec la grande Tradition de l’A.T., où c'est Dieu lui-même qui enseigne... pleinement conscient (comme l'était le Christ) d'être lui-même la Sagesse divine venue sur la terre... » Aussi, non seulement Il s'offre à être mangé comme la Sagesse personnifiée (// Pr 9,1-6 Si 24,19 Ct 5,1), mais comme la Sagesse encore (// Pr 8,17 Sg 8,2 Sg 7,10-11) Il établit de ses disciples à lui et entre eux des rapports d'intense amitié (Jn 15,12-17 Jn 14,22-23 Jn 13,34-35).

Si l'Église naît du mystère de Pâques et de Pentecôte (sacramentalisé dans l'Eucharistie), depuis le § 146 nous assistons à sa « conception », et les § 164 -165 en sont le premier tressaillement, le premier acte de la foi qui ne l'a plus quittée depuis. Avec, déjà, Pierre, et Judas — « choisi » lui aussi, ce qui est un bien grand mystère...

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§ 165-168. L’église et la croix : Mt 16,13-28; Mc 8,27 à 9,1 ; Lc 9,18-27


(Mt 16,13-28 Mc 8,27-9,1; Lc 9,18-27)

Suivant les Synoptiques, l'événement central dans la gestation de l'Église — // aux § 163 -164 pour Saint-Jean — est « La confession de Césarée ».

Jésus a jusqu'ici constamment évité ou refusé le titre de < Messie > (§ 35 ) — Mc 1,34* ; § 151 ) — Jn 6,14-15*), dans la mesure où l'on risquait d'en attendre un messianisme temporel: c'est le < secret messianique >*, réitéré ici, en finale du § 165 . Mais en même temps, Jésus ne refuse pas le titre, ayant conscience d'être lui-même ce Messie (§ 81 ) — Jn 4,25). Or cette fois, c'est Lui qui va provoquer cette < confession de foi > (§ 165 ), mais pour en préciser aussitôt le sens (§ 166 ) et apprendre aux Apôtres à entrer dans cette Révélation et cette Voie (§ 167 -168). Les 4 § sont donc intimement liés. Ils éclairent le sens que le « Christ » donnait à sa propre mission et par suite à celle de l'< Ekklésia > de Pierre et de ses disciples — même si la question a été longtemps embrouillée par les controverses entre < protestants > et catholiques. Voir dans O. Cullmann: Saint Pierre... p. 143-166, le résumé des principales interprétations. Critique des limites d'O. Cullmann: cf. Rec. Cerfaux n, p. 239-251; et surtout F.M. Braun dans R. Th. 1953, p. 389-403. Sur les commentaires patristiques, cf. H. Clavier, dans « Studia Patristica » i (1957), p. 253-261.


§ 165. La confession de pierre: Mt 16,13-20; Mc 8,27-30; Lc 9,18-21


(Mt 16,13-20 Mc 8,27-30 Lc 9,18-21)

— Les 3 Synoptiques situent au même moment et dans le même lieu, ce même événement:

Mt 16,13 Mc 8,27 Lc 9,18 // Ez 2,3-7Aux environs de Césarée de Philippe: Suite des déplacements incessants de Jésus depuis la 1° multiplication des pains (Mc 6,45 Mc 6,53-56 Mc 7,24 Mc 7,31 Mc 8,10 Mc 8,13 Mc 8,22). Ville construite par Philippe, un des fils d'Hérode le Grand (§ 19 ) — Lc 3,1-2*), au Nord de la Galilée (dont il était tétrarque). Actuellement Banyas, au pied du mont Hermon. Une barrière rocheuse, avec grottes et sources s'y trouvait, vénérée depuis le temps des Cananéens jusqu'aux Romains. Dans un tel site, le nom donné à Simon de < Pierre > sur laquelle se bâtit l'Église est encore plus « parlant ». Dom S.L. Jaki (Sur ce Roc, Ed. Téqui, 1983, p. 68-69) relève l'art avec lequel les Paroles du Christ sont situées par les Évangiles dans un cadre où elles prennent toute leur force poétique: le Mont des Béatitudes et bientôt celui de la Transfiguration, l'eau vive au Puits de Jacob, etc. Les pèlerins de Terre Sainte y sont à bon droit sensibles...

Luc ajoute que Jésus était en prière, comme lors de son intronisation messianique au baptême (Lc 3,21) ; comme Il a prié avant d'appeler les Douze à être ses Apôtres (Lc 6,12-15). C'est une façon — différente mais convergente avec celle de Matthieu — de souligner l'importance messianique et ecclésiale de ce § 165 .

Jésus interrogea: L'initiative est bien de Lui. Qui les hommes disent-ils qu'est < le Fils de l'homme > ? — Ainsi posée (en Mt) la question part du point de vue humain: de l'esprit « des hommes » (= < la chair >, en Mt 16,17 comme en Jn 6,63*, au § 164 ) jugeant sur l'aspect humain du Christ. L'expression < Fils de l'homme > elle-même joue précisément sur l'ambiguïté entre l'origine humaine de Jésus, « Fils de David, fils d'Abraham » (Mt 1,1) et le mystère divin, apocalyptique auquel réfère ce titre en (§ 25Jn 1,51*), ou prophétique comme dans le // Ez 2,3-7, Mc et Lc (et en Mt au v. Mt 16,15), il y a simplement: « qui je suis » — qui peut se lire aussi: qui JE SUIS, nom divin (BC I*, p. 211). De toutes façons, se trouve donc suggérée la dualité des natures en Jésus:

Hilaire: Sur Matthieu 16 (PL 9,1008-1009) : Le Fils est Dieu, né de Dieu, éternellement... Il a pris un corps, il s'est fait homme ; et de même que l'Éternité a assumé le corps de notre nature, nous devons savoir que la nature de notre corps peut recevoir [dans le Christ) la puissance de l'Éternité. Donc, parce qu'il est essentiel à la foi de reconnaître la double nature du Christ, le Seigneur demande à ses disciples : « Qui les hommes disent-ils qu'est le Fils de l'homme ? » Il précise: < le Fils de l'homme > parce qu'il faut tenir et confesser que le Christ est Fils de Dieu et Fils de l'homme. Confesser l'un sans l'autre, ne nous donnerait aucune espérance de salut... Et certes, puisqu'on voyait son corps, on pensait d'abord au Fils de l'homme ; mais en précisant : « Qui disent-ils... ? » le Christ laissait pressentir qu'au-delà de ce qu'on voyait en lui, il y avait autre chose à comprendre...

Mt 16,14 Mc 8,28 Lc 9,19Jean-Baptiste: comme Hérode (§ 146 - Mt 14,2). Elie ou l'un des prophètes: C'est la même liste que celle de la délégation officielle à Jean-Baptiste (§ 19 ) — Jn 1,19-21). Élie = le précurseur annoncé par Ml 3,23. Un des prophètes, ou plutôt « le » prophète annoncé par Moïse en Dt 18,15 (en // à Jn 1,21, au § 19 *). Jérémie (propre à Mt) : sans doute parce que sa vie préfigurait celle du Christ, Messie Serviteur souffrant.

Mt 16,15 Mc 8,29 a; Lc 9,20 a // Rm 10,9-10 — Et vous... : Par contraste avec « les hommes ». Qui dites-vous: C'est bien la confession « des lèvres » du // Rm 10. QUI JE SUIS.

Léon le Grand: 4° Sermon pour la fête de Saint Pierre (PL 54,150; SC 200, p. 60) : Le Seigneur demande aux Apôtres ce que les hommes pensent de lui. Leur réponse est commune, aussi longtemps qu'ils expriment l'incertitude de l'intelligence humaine. Mais quand il demande le sentiment des disciples, le premier à reconnaître le Seigneur est le premier en dignité parmi les Apôtres.

Mt 16,16 Mc 8,29 b; Lc 9,20 b // Ps 45,8 et Ps 45,4-5 Ps 18,50 1S 2,10 1S 16,5-13 Dt 5,26-27 — C'est aux Douze que s'adressait la question. C'est Simon Pierre qui y répond. Promptitude d'un coeur chaleureux, mais aussi du Don de Dieu (Mt 16,17) : la nature et la grâce. Tu es le Christ = l'Oint : cf. § 19 ) — Mc 1,1*. Cette onction a été manifestée dès le Baptême du Christ (§ 24 - Mt 3,17*). Mais si elle est bien le < sacrement > de la consécration d'un homme à Dieu, en Jésus elle est constitutive de son Incarnation même, puisque celle-ci est la prise en charge directe de son humanité par la Personne du Verbe divin. Il est donc bien le Christ, par excellence. Si l'onction royale conférait, même à Saül déchu, un caractère sacré, intouchable (comme le sens religieux de David le perçoit si vivement lorsqu'il pourrait porter la main contre son persécuteur, en 1S 24,4-7, en // au § 143 ), combien plus à Jésus !

Ce sont les prophètes, les prêtres et les rois qui reçoivent l'onction, pour une mission de « Vérité, de Sacrifice et de Salut » (// Ps 45 et Ps 18 ; 1S 2 cf. § 25Jn 1,40-42*). « Jésus est le Roi. Son royaume s'étend sur les coeurs soumis à Dieu, sur le monde transformé par cette sainte soumission... Il est le Prêtre, il élève vers le Père les coeurs humains dans lesquels il suscite l'amour, la pureté, la sainteté. Il leur apporte la grâce divine qui fera de leur vie entière un mystère d'union... Tout cela, il le fait sans violence par la force prophétique de l'amour et de la vérité, qui sont < esprit de vie > (Jn 6,63)... » (R. Guardini : Le Seigneur I p 246-47).

Le // 1S 16,5-13 oppose en David la frêle apparence et le grand coeur, qui est ce que regarde Yahvé — tout comme dans son < Christ >, son Père apprécie plutôt que de triomphales cavalcades, l'humble sacrifice de soi en qui « son Amour se parfait » (§ 24 ) — Mt 3,17 b*, et § 166 ).

Le Fils du Dieu vivant (Mt) : Cf. § 4 ) — Lc 1,35* ; § 19 ) — Mc 1,1* ; § 24 ) — Mt 3,17* ; § 25 ) — Jn 1,49* ; § 26 *. Les Apôtres ont déjà adoré Jésus sous ce titre, après sa marche sur les eaux (§ 152 ) — Mt 14,33). Les 4 Évangiles insistent donc sur ce titre primordial. Matthieu ajoute ici : du Dieu vivant : cf. § 163 ) — Jn 6,57; titre réclamé par Yahvé en Nb 14,21, et devenu distinctif du vrai Dieu de l'Alliance, par opposition aux idoles inanimées: // Dt 5,26 Rt 3,13 1S 14,45 1S 17,26 etc. Jésus est bien le Fils (l'Unique) et la voix (le Verbe) du Dieu vivant:

Origène : Sur Mt XII (PG 13,995) : Il est très beau que Pierre ait dit au Sauveur: « Tu es le Christ » ; mieux encore qu'il ait reconnu « Fils du Dieu Vivant » Celui-là même qui avait dit par les prophètes ; « Je suis Vivant! » et qui dit dans l'Évangile : « Je suis la Vie »... Si nous aussi nous disons comme Pierre, parce que la lumière du Père nous l'aura révélé, nous serons nous aussi proclamés < Bienheureux > !

Mt 16,17 // Ga 1,15-16 Si 14,18 — C'est bien « en réponse » : « Tu es le Christ... » — « Tu es Pierre... » Bienheureux... ni la chair ni le sang... : C'est la béatitude même dont Jésus rendait grâce en Mt 11,25-27* (§ 110 ; cf. aussi § 128 ) — Mt 13,16-17). Le parallélisme avec Ga 1,15-16 souligne combien est fondamentale pour la vocation chrétienne la distinction — qui peut aller jusqu'à l'opposition — entre les deux ordres: « la chair et le sang » et « la grâce » ou le « Père des cieux » = ce que les théologiens ont appelé « la nature et le surnaturel » (Cf. H. de Lubac : Petite catéchèse sur nature et grâce, Fayard 1980).

la chair et le sang: Expression biblique (Si 14,18 1Co 15,50 Ep 6,12 He 2,14) et rabbinique courante. Elle aurait son origine « dans la tendance sémitique à exprimer des phénomènes complexes au moyen de deux termes complémentaires » (R. Meyer, dans TWNT, art. « Fleisch und Leib in Talmud und Midrach », p. 114-118).

mon Père qui est dans les cieux : comme au < Pater > ; mais cette fois, il y a l'aveu de l'intimité du « Fils du Dieu vivant » avec « mon Père » (comme en Mt 11,25-27).

Mt 16,18Je te dis: Répond au « que dites-vous... ? » (Mt 16,15).

que tu es Pierre: nomination pas nouvelle (§ 25 ) — Jn 1,41*); ici expliquée.

et sur cette pierre: Joue mieux en araméen qu'en grec ou en français: « Tu es < Kêpha > et sur ce < Kêpha >... < Tu es Roc et sur ce Roc >... » Ces 3 versets, propres à Mt, sont tissés d'aramaïsmes. Aussi leur authenticité n'a pu être niée que sur des a priori tendant à exclure la primauté de Pierre. Mais l'exégèse la plus rigoureuse ne peut rejeter ces paroles, que tout porterait plutôt à mettre dans la bouche même du Christ (comme le reconnaît O. Cullmann : Saint Pierre... p. 143-191).

Il est vrai que ce nom est proprement exorbitant, puisque < le Rocher d'Israël > est Dieu même, si bien que c'était déjà une audace, justifiée en Lui seul, de se proclamer « la Pierre angulaire », comme l'a fait le Christ (références au § 25 ) — Jn 1,41*). Mais la suite confirme aussitôt que c'est bien en ce sens qu'il institue Simon bar Yona — fait de chair et de sang, mais porté au-delà de ses limites humaines par le Don de Dieu — comme « lieutenant », au sens à la fois local et théologique de ce mot : fondement qui demeure après que Lui-même sera « remonté » (§ 164 *), à sa place et tenant sa place; à la fois < assise > première et inébranlable sur laquelle toute l'Église < repose > (§ 323 Lc 22,31-32) et < vicaire > du Christ. « Autrement dit: Je suis, moi, la Pierre inviolable, la pierre angulaire qui réunit les deux murs ; je suis le fondement, et nul ne peut en poser un autre. Mais toi aussi tu es Pierre, parce que tu es affermi par ma force ; et la puissance qui m'appartient en propre nous est commune parce que je t’en fais part. Sur cette puissance, dit-il, je bâtirai mon temple éternel; et mon Église qui doit monter jusqu'au ciel s'élèvera sur ce solide fondement de ta foi » (Léon le Grand: Même Sermon, Ibid. PL 54,150; SC 200, p. 60).

mon Eglise : La notion d'< Ekklésia > — en hébreu < Qahal > — au sens d'assemblée, communauté, peuple élu, va de pair avec celle d'Alliance, puisque celle-ci implique un partenaire pour ratifier la proposition de Yahvé. Cette Ekklésia s'est donc constituée durant l'Exode (BC I*, p. 311-312; cf. L. Bouyer: La vie de la liturgie, Cerf 1956, ch. 3; « Du Qahal juif à l'Ecclesia chrétienne »). Si les Evangiles n'usent que 2 fois de ce terme (ici et en Mt 18,17, dans un sens très parallèle), c'est qu'ils lui préfèrent l'expression du « Royaume de Dieu » (ou < des cieux >*). Mais précisément, il est clair qu'ici, « à travers deux images différentes (bâtir l'Église sur Pierre, ou lui confier les clefs du Royaume), c'est la même réalité que Jésus désigne par son < Église > et par < le Royaume des cieux >. Il y a identification (J. Carmignac: Le mirage... p. 48-49, citant P. Gaechter; cf. Ibid. tout le ch. 13, p. 95-119).

Ceci infirme radicalement le laborieux échafaudage de < l'eschatologisme > qui a faussé l'exégèse, depuis un siècle et plus: le Christ aurait cru la Fin du monde toute proche (c'est-à-dire qu'il se serait trompé !), et par conséquent Il ne pouvait pas même imaginer une Eglise pour lui succéder. Tout ce qui, dans les Évangiles, le Lui attribue, ne peut être qu'invention (des Apôtres).

Comme si Jacques, Jean et les autres, qui se disputent la préséance (§ 174 et § 254 ) auraient admis sans mot dire la primauté de Pierre si elle ne venait du Maître! Pour qu'ils s'y soient ralliés, comme on le voit dès le premier jour après l'Ascension (Ac 1,13 Ac 1,15), il fallait qu'elle eût été rendue sacrée par la volonté expresse du Christ, que nous rapportent, différemment mais de façon convergente, aussi bien Lc 22,31-32 que Jn 21,15-23.

Plus généralement, à en croire les seuls témoins restants que sont les 4 Évangiles, Jésus savait, depuis le début (F. Dreyfus: Jésus savait-il...). C'est en toute conscience que, dès le premier appel, Il a choisi les Douze, première hiérarchie (§ 49 *), en leur confiant sa propre mission messianique de prédication (§ 38 ) — Lc 5,9-10 et § 98 ss*), et successivement les sacrements du baptême (sinon au § 79 ) — Jn 3,22-24*, à coup sûr en Mt 28,19), de la rémission des péchés (§ 179 *) et de l'eucharistie. D'emblée aussi, Il a discerné en Simon, < Pierre > (§ 25 ) — Jn 1,42*); et, maintenant, Il confirme cette primauté. Ainsi le Royaume sera-t-il à la fois constitué et institué par le Christ dès avant sa mort, pour maintenir sa Présence, entre son Ascensionnel sa Parousie. C'est du fait de cette Présence (notamment eucharistique) que l'Église est dès à présent le Royaume, même si son accomplissement définitif ne pourra survenir qu'à la Fin des temps. On peut heureusement considérer ce point comme acquis, non seulement par l'étude de J. carmignac, d'une objectivité impitoyable (Le mirage...), mais par un Oscar cullmann (Saint-Pierre...), répondant victorieusement aux attaques de R. bultmann.

Je bâtirai mon Église // \§ 62,4-5) — L'Église est de Dieu et à Dieu: < Qahal Yahvé >. Dire: « mon Église» est parler en Dieu. Mais en outre, quand Il annonce: « Je bâtirai mon Église », le Christ affirme qu'il entend bien demeurer « l'architecte de son Épouse » (// Is 62). Si nous citons ici le stique 5 b non pas suivant le sens le plus probable (BC I / Dx) mais suivant la version conjecturale adoptée par BJ, c'est parce que sa comparaison du Dieu créateur — Is 54,5: « ton Créateur est ton Epoux » — avec un architecte, s'harmonise plus complètement avec le: « Je bâtirai » de l'Évangile. Ainsi se trouvent réunis les 2 types d'images sous lesquelles l'Écriture Sainte révèle la Réalité mystique de l'Église: d'une part comme une < église >, édifice, corps ou vigne, une et bien intégrée; d'autre part < madame ou mère Église >, personnalisée comme Épouse ou Peuple de l'Alliance:

« L'Église est épouse, l'Église est le corps [ou l'édifice] : tout cela dit quelque chose de particulier, et néanmoins ne dit au fond que la même chose. C'est l'unité de l'Église avec Jésus-Christ, proposée par une manière et dans des vues différentes... L'homme se choisit son épouse ; mais il est formé avec ses membres : Jésus, Homme particulier, a choisi l'Église ; Jésus-Christ, Homme parfait, a été formé et achève de se former tous les jours en l'Église et avec l'Église. L'Église comme épouse est à Jésus-Christ par son choix; l'Église comme corps est à Jésus-Christ par une opération très intime du Saint-Esprit de Dieu... Le nom de corps nous fait voir combien l'Église est à Jésus-Christ; le titre d'épouse nous fait voir qu'elle lui a été étrangère, et que c'est volontairement qu'il l'a recherchée. Ainsi le nom d'épouse nous fait voir unité par amour et par volonté; et le nom de corps nous porte à entendre unité comme naturelle : de sorte que dans l'unité du corps il paraît quelque chose de plus intime, et dans l'unité de l'Épouse quelque chose de plus sensible et de plus tendre. Au fond ce n'est que la même chose : Jésus-Christ a aimé, l'Eglise et il l'a faite son épouse ; Jésus-Christ a accompli son mariage avec l'Église, et il l'a faite son corps. Voilà la vérité: deux dans une chair, os de mes os et chair de ma chair: c'est ce qui a été dit d'Adam et d'Eve (Gn 2,23) ; et c'est, dit l'Apôtre, un grand sacrement en Jésus-Christ et son Église (Ep 5,32). Ainsi, l'unité du corps est le dernier sceau qui confirme le titre d'épouse... Le nom d'épouse distingue pour réunir ; le nom de corps unit sans confondre, et découvre au contraire, la diversité des ministères : unité dans la pluralité, image de la Trinité, c'est l'Église » (bossuet : Lettre IV, Éd. Lâchât, t. 27, p. 310 ss).

Ainsi, le // d'Is 62,4-5 nous aide à mieux < entendre > le ton, l'accent, la dilection que l'Époux divin met à prononcer le petit adjectif de « mon Église ». TLF. « Dilection: Amour tendre, spirituel, que l'on porte à un être que l'on a choisi ou que l'on préfère ». — Amour nuptial du Christ pour « mon Église », que par conséquent Il ne donne pas à Pierre : c'est bien plutôt Pierre qui est donné à la Bien-Aimée comme appui: « serviteur des serviteurs de Dieu »...

Bâtir: l'image est la même que celle de la prophétie de Jn 2,19: « Détruisez ce Temple et en 3 jours je le relèverai » (o. cullmann : Saint Pierre... p. 179). La force de résurrection qui fera revivre « le Temple de son corps » (Jn 2,21) est la même qui agit sur son < Corps >, qui est l'Église (Ph 3,10-21). Cf. la suite:

et les portes de l'Hadès ne prévaudront pas contre elle: // Sg 16,13 ; Ap 1,17-18 — « Hadès », Dieu du Royaume des morts, et par extension ce Royaume lui-même. En recourant, pour une fois, à la mythologie grecque — sans doute à la suite du // Sg 16,13, Livre très influencé par l'hellénisme — il est possible que Mt vise moins « le règne du péché et de la damnation » que l'Empire de la Mort, avec laquelle l'Hadès semble avoir partie liée dans le // Ap 1,18 Ap 1, portes de dans ce cas, le Pouvoir universel de la mort, et sa force de rétention, puisque nul ne revient d'au-delà de ces portes (Jb 38,17). Mais on ne saurait exclure non plus que, personnifiées, ces Portes « évoquent les puissances du Mal qui, après avoir entraîné les hommes dans la mort du péché, les enchaînent définitivement dans la mort éternelle. À la suite de son Maître, mort, « descendu aux Enfers » (1P 3,19), et ressuscité, l'Église aura pour mission d'arracher les élus à l'empire de la mort, temporelle et surtout éternelle, pour les faire entrer dans le Royaume des cieux (Col 1,13) » — Note de la BJ.

Quoi qu'il en soit, ce n'est pas directement sur la résurrection des morts que porte la promesse de Mt 16,18 b, mais sur l'édification de l'Église elle-même: c'est « contre elle » que ne prévaudra pas l'universelle emprise de la mort, qui fait que même les sociétés et les civilisations sont mortelles. Ce que promet donc ici le Christ, c'est que l'Église « ne mourra pas », comme le confirmera, sous forme positive cette fois, l'ultime verset de ce même Évangile: « Je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles » (Mt 28,20). Quoi qu'en disent les exégètes protestants, on ne peut donc lire ce verset que dans une perspective de « longue durée », pour l'Église bâtie sur Pierre...

Mt 16,19 // Is 22,20-23 — Je te donnerai, au futur, pour l'après résurrection: cf. § 367 ) — Jn 20,23* et § 372 ) — Jn 21,15-17*.

les clefs du Royaume : En parallèle avec « les portes de l'Hadès », elles évoquent naturellement les clefs qui ouvrent (ou ferment) les portes du ciel (ce que confirme le v. 19b). L'imagination populaire est dans la droite ligne de l'Évangile en munissant saint Pierre des clefs — nécessairement de taille — qui donnent accès au Paradis. Là encore, bien entendu, c'est au Christ qu'appartient « la clef de la maison de David » (Ap 3,8, citant le // Is 22), comme d'ailleurs celle de la Mortel de l'Hadès (// Ap 1,18). Mais précisément, à Pierre sont confiées, comme à Élyaqim, les seules clefs de la maison du Fils de David = l'Église = le Royaume des cieux en construction; et non pas la clef du mystérieux « Abîme », qu'ouvré et ferme l'Ange de l'Apocalypse (9,1 ; 20,1) : le pouvoir de Pierre et des Apôtres (§ 179 ) — Mt 18,18*) n'est que sur le ciel, pour le ciel.


Lier et délier // 1Co 5,4 2Co 2,6-8 — L'expression signifiait dans les milieux rabbiniques: déclarer quelque chose permis ou défendu, et plus précisément: ex-communier ou lever l'excommunication (cf. strack-billerbeck 1P 738-747). Mais h. vorgrimmler (Mél. de Lubac 1P 51-61) a montré que, le péché entraînant une appartenance aux forces du Mal, le Pouvoir de < lier et délier > inclut et manifeste « la Puissance* avec laquelle le Règne de Dieu prend possession du < monde > dominé par le Malin ». Bien plus largement attestée dans les écrits des Pères de l'Église (de même que dans l'Apocalyptique juive et le rabbinisme), cette signification moins uniquement juridique et plus combative, correspond davantage à ces versets (opposition entre les portes de l'Hadès et le Royaume), et plus généralement aux perspectives de l'Evangile, où le Christ, pour imposer son Règne au Prince de ce monde, doit être « le plus fort » (cf. § 27 ) — Mt 4,3* ; et § 117 ) — Mt 12,24*). Elle explique l'autorité avec laquelle saint Paul « lie » l'incestueux de Corinthe, pour qu'ensuite la charité puisse l'emporter (// 1 et 2Co). Elle s'est traduite dans la discipline antique de la pénitence, excluant pour un temps — le carême par exemple — les pécheurs avoués, de l'assemblée eucharistique, afin de les préparer à leur réconciliation, à l'orée de la célébration Pascale.

Car les deux termes de l'expression ne sont pas parallèles, mais s'enchaînent: < lier pour délier >. À l'inverse des Pharisiens, qui « ferment devant les hommes le Royaume des cieux » (§ 288 ) — Mt 23,13), le prêtre n'est jamais là pour « refuser l'absolution », et encore moins pour < con-damner >. S'il doit — exceptionnellement — s'abstenir d'absoudre, c'est dans la patience de Dieu ou de son Christ, qui ne condamnent pas (§ 259 ) — Jn 8,11), mais attendent que le pécheur revienne de son égarement. Merveilleux tribunal, qui n'est fait que pour le pardon...

sur la terre... dans les cieux: « La parole du Seigneur nous dit que la rémission des péchés arrive là-haut du fait que l'Église délie le pécheur < sur la terre > » (k. rahner: Écrits théologiques n, p. 187). Pouvoir véritablement divin, que le Christ s'est justifié d'exercer par le miracle du paralytique (§ 40 *), et qu'il confie maintenant à Pierre (o. cullmann: Saint Pierre... p. 183-184), puis à son Église (Mt 18,18). Avec cette différence toutefois, de Mt 16,19 à 18,18, qu'à Pierre seul Jésus annonce le don des clefs, en plus du pouvçir de < lier et délier > dont pourront être chargés les prêtres, représentants de l'Église (Mt 18,18* — cf. la formule de l'absolution sacramentelle). Ce que confirmera, après la Résurrection, l'institution séparée du sacrement (Jn 20,23) et de la charge pastorale de Pierre sur toute l'Eglise (Jn 21,15-17*).

Léon le Grand: 4° Sermon pour la fête de saint Pierre (PL 54,151 ; SC 200, p. 62) : Ce pouvoir a passé même aux autres Apôtres, et l'institution en est devenue commune à tous les chefs de l'Eglise. Mais ce n'est pas pour rien que le Seigneur remet à un seul ce qui sera la charge de tous. Il confie cette charge spécialement à Pierre, parce que Pierre est comme la forme de tous les princes de l'Église.

Mt 16,20Hilaire : Sur Mt 16 (PL 9,1010) : Le Seigneur ordonne à ses disciples de ne dire à personne qu'il est le Christ: d'autres témoins, à savoir la Loi et les prophètes, devaient rendre témoignage à son Esprit. Le propre des Apôtres serait de témoigner de sa Résurrection.

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Bible chrétienne Evang. - § 164. Conclusion du discours: Jn 6,60-71