Bible chrétienne Evang. - § 166. Première annonce de la passion: Mt 16,21; Mc 8,31-32a; Lc 9,22

§ 166. Première annonce de la passion: Mt 16,21; Mc 8,31-32a; Lc 9,22


(Mt 16,21 Mc 8,31-32 Lc 9,22)

— À la différence de Mc et Lc, où cette parole du Christ est rapportée comme un simple < ajout > (Lc) à ce qui précède, Mt marque solennellement que nous passons au second versant du ministère de Jésus. Le premier, de révélation, culminait à la confession de Pierre, à Césarée. Mais le reflux général est déjà commencé (§ 164 *) ; aussi le second versant, de sacrifice, va mener à la Passion et à la Résurrection — à quoi le Christ entreprend de préparer ses disciples :

— Dès lors: formule plus solennelle que le simple « alors », qui est habituel en pareil cas. « Dès lors » ne se retrouve qu'en Mt 4,17 = au début du 1° versant.

— Jésus-Christ: du titre que vient de lui reconnaître officiellement Pierre, au y. 16. La conjugaison du nom de Jésus et de son titre de Messie est rare dans les Évangiles: seulement Mt 1,1.18; Mc 1,1; Jn 1,17; 17,3.

— commença (Mt et Mc) : C'est bien le commencement, conscient, délibéré, de « l'obéissance du Fils jusqu'à la mort et la mort de la Croix ». Le confirme:

— Il fallait: pour que, malgré le premier refus des hommes, le Dessein paternel divin puisse être « par-fait » (§ 24 ) — Mt 3,17 b*. Sur le « Il faut » de la Passion, cf. § 18 ) — Lc 2,48-49*, et § 78 ) — Jn 3,14*).

// Gn 40,12-22 Jon 1,12 Jon 1,14 Ps 89,39-49 — Triple préfiguration du mystère pascal, témoignant que, depuis toujours, le Père a « imaginé » de sauver les pécheurs par le sacrifice de son Élu (BC I*, j>. 165 ss — Sur Jonas, voir le commentaire superbe de D. Barsotti: Jonas, Éd. Téqui 1974, p. 43-50). Le Ps 89 chante David, mais qui n'y reconnaîtrait surtout « le Fils de David » ? De même aussi, le sacrifice d'Isaac est « une parabole de l'amour de Dieu pour le monde » (BC I*, p. 115 ss).

qu'il aille à Jérusalem : parce que son sacrifice « ne pouvait se faire » que là (§ 221 ) — Lc 13,33 ; cf. § 169 ) — Lc 9,31*). Son procès (devant « anciens, princes des prêtres et scribes » = le Sanhédrin*), sa mort et sa résurrection: à s'en tenir au texte même de l'Évangile, c'est clair: par trois fois (ici, puis aux § 172 et § 253 ), Jésus annonce expressément qu'Il sait.



§ 167. Pensée de Dieu, pensées des hommes: Mt 16,22-23; Mc 8,32 b-33



(Mt 16,22-23 Mc 8,32-33)

— La réaction de Pierre paraît incohérente à de savants exégètes: et comment peut-il, sitôt après avoir été proclamé « Bienheureux », être traité de « Satan »? Sur cette soi-disant incompatibilité, on a échafaudé toutes sortes de remaniements de l'Évangile. Comme si l'esprit de l'homme n'était pas limité, progressif! Comme si la révélation d'un aspect du mystère dévoilait tous les autres, qui ne peuvent être perçus que par de nouvelles révélations — comme le sont ces § 166 à 168 ! Comme si la foi de Pierre dans le < Messie > de Dieu, le Fils du Dieu vivant, et son amour même pour Jésus ne devaient pas au contraire humainement le révolter contre cette prédiction des humiliations et de la mort de son « Seigneur » !

// 1M 2,20 2M 6,30 2M 7,1-40 Ac 21,12 — Dès l'Ancienne Alliance, les fidèles n'ont pas hésité à repousser tout compromis proposé par des « tentateurs », même mus par la pitié.

Mt 16,23 ; Mc 8,33) — Passe à ma suite : Deux sens possibles : « Arrière ! » (= le « Vade rétro » de la Vg, à Mc 8,33) ; ou bien : « Passe derrière moi » (= le « Vade post me » de la Vg, à Mt 16,23 — mais en grec, Mc et Mt sont identiques). Invitation à suivre le Christ, comme un disciple*, dans cette Voie (= § 168 ).

Loin de moi, ou: À Dieu ne plaise: Profitant de ce que l'exclamation, en grec, signifie au sens premier: « Propitiation », Origène commente (PG 13,1032):

Pierre estime que la Passion est indigne du Christ, « le Fils du Dieu Vivant », et que cela va même contre la dignité du Père. Car la gloire du Christ venait de lui être révélée, mais sa Passion ne lui avait pas été manifestée divinement. C'est pourquoi, oubliant pour ainsi dire la majesté du Christ, oubliant aussi que le Fils du Dieu Vivant ne peut rien dire ni faire de répréhensible, il se met à le gourmander, et lui dit, comme si notre Seigneur avait besoin de propitiation : « Propitiation pour toi, Seigneur! » En effet, il ne savait pas encore que « Dieu l'a fait propitiation par la foi en son sang » (Rm 3,25). Jésus va répondre à la fois à son bon mouvement et à son erreur. Il lui dit donc : « Passe derrière moi », ce qui veut dire « Suis-moi » ; mais il ajoute : « Satan », ce qui veut dire « adversaire »... . Comparons cette réponse : « Va, suis-moi, Satan » à celle que le Seigneur fit au diable en Mt 4,9-10 : « Va, Satan » — mais non pas : Suis-moi. Il est clair que suivre le Christ est un bien ; et lui-même a dit : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d'hommes ».


On demande pourquoi le Christ dit à Pierre : « Tu m'es un scandale »*, car le scandale ne peut atteindre le Sauveur, ni même un homme qui aurait atteint la charité parfaite. Mais Jésus pense à ceux de ses disciples qui seraient peu avancés dans les choses de Dieu, et il fait sien leur scandale, à la manière dont Paul a dit : « Qui est scandalisé sans que je brûle ? » Le Christ a plus de titres encore à dire : « Qui est scandalisé sans que je le sois ? », de même qu'il a dit: « J'avais faim, et vous ne m'avez pas donné à manger ».

Hilaire: Sur Mt 16 (PL 9,1010-1011): Alors que c'est un don de Dieu, de reconnaître dans l'Esprit que le Christ est Dieu, c'est au contraire l'oeuvre du diable que de ne pas reconnaître le Christ dans l'homme... Après l'annonce de la Passion, le diable, qui s'était éloigné pour un temps, reçoit licence [de tenter]. Puisqu'il semble impossible aux Apôtres que ce Christ, en qui Dieu est présent, soit capable de souffrir, le diable saisit cette occasion de faire chavirer la foi de l'homme: il insinue à Pierre un mot d'exécration, qui est comme une malédiction contre ce qu'on exècre. Mais le Seigneur sait que Pierre est poussé par le diable. Il lui dit: « Passe à ma suite », ce qui est une invitation à le suivre dans la Passion, à imiter son exemple. Et à l'adresse du véritable inspirateur de la pensée mauvaise, il ajoute : « Satan, tu m'es un scandale. » Car il ne convient pas de penser que l'appellation de < Satan > et l'accusation de scandale concernent Pierre, après un si grand éloge de son bonheur et de sa puissance. Parce que tout manque de foi est l'oeuvre du diable, le Seigneur, offensé par la réponse de Pierre, a maudit, en l'humiliant par son nom de < Satan >, l'auteur de ce manque de foi.

Augustin: Sur le Ps 34 (PL 36,328) : Parce que le Seigneur parlait de sa Passion future, Pierre voulut barrer le chemin du Seigneur : il voulut lui donner un conseil, comme pour le sauver — un malade, conseillant son médecin ! Et que dit-il au Seigneur? « Loin de toi, Seigneur. Cela ne sera pas! » Il voulait marcher devant, et que le Seigneur suive. Mais que dit le Seigneur ? — « Passe derrière moi, adversaire! » En marchant devant, tu m'es un adversaire ; en me suivant, tu seras un disciple.

Pierre Chrysologue: Sermon 27, sur le scandale (PL 52,276): «Non! Pas cela pour toi! », dit Pierre au Seigneur (Mt 16,23). Pierre s'efforce d'évacuer le triomphe de la Croix, dont son Maître venait de parler. Touché par le venin du serpent, ce soldat refuse à son roi la victoire, avant que ce serviteur ne renie son Maître.

C'est pourquoi le Seigneur dit à son serviteur: « Passe derrière moi! » — puis, il renvoie le scandale à son auteur : « Satan, tu m'es un scandale! » Et vraiment, Pierre passa derrière le Seigneur, puisqu'il monta sur la Croix pour le suivre au ciel.

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§ 168. Le renoncement, et sa récompense: Mt 16,24-28; Mc 8,34 à 9,1 ; Lc 9,23-27


(Mt 16,24-28 Mc 8,34-9,1 Lc 9,23-27)

— Si le Christ s'associe l'Église (§ 165 ), c'est < à la vie à la mort > : son mystère pascal (§ 166 ) doit être non seulement admis (§ 167 ) mais partagé par ceux qui veulent être de ses disciples: souffrances (Mt 16,24 et //), mort (v. 25-26) et glorification (v. 27).

C'est donc là une condition nécessaire, fondamentale. Aussi, d'une part, Mc et Lc précisent que Jésus y « appelle la foule », et s'adresse donc « à tous ». Et d'autre part, l'Évangile y revient encore à plusieurs reprises: § 103 ) — Mt 10,38-39*, § 227 et § 243 ) — Lc 14,27 et 17,33; § 309 ) — Jn 12,25-26. Saint Paul, qui a si bien vécu cet Évangile (// Ga), témoigne que dès les premiers temps, bien des chrétiens ont été tentés de méconnaître ou de minimiser la Croix (// Ph); il les en blâme « avec larmes », comme le Christ a tancé saint Pierre (§ 167 ).

// Lm 3,27-28 — La croix est nécessité, de par le Dessein de Dieu et de son Christ, de « racheter le monde par sa sainte Croix », suivant l'invocation traditionnelle. C'est le « il faut » du § 166 ; il « s'impose » à qui prend « le joug bienfaisant du Maître doux et humble de coeur » (§ 111 *).

Mt 16,24; 8,34; Lc 9,23 // Ga 2,20 Ga 2,19 Ga 6,14 Ph 3,17-21 — Venez à ma suite... vienne avec moi: Les deux verbes du < disciple > (§ 25 ) — Jn 1,37*).

prenne sa croix: mot caractéristique de l'assimilation du chrétien au Christ: Il a si bien porté sur la Croix toutes nos souffrances (Is 53), qu'il a faim, soif, est nu ou captif avec les malheureux (§ 307 ) — Mt 25,35-40), si bien que ce qu'ils ont à supporter prend valeur rédemptrice de « croix ». Ce qui exige, pour être vrai, que le disciple « se renie lui-même » (ce que développent les v. suivants):

Mt 16,25; Mc 8,35; Lc 9,24) — Voir au § 103 le commentaire du // Mt 10,38, notamment pour la traduction: « sauver (ou perdre) son âme ». Et il n'est pas plus facile de « mourir » à soi-même que de passer par la mort physique : « Le sens est : On ne confesse pas Dieu dans les délices et la sécurité : celui qui croit en moi doit répandre son sang » (Jérôme : Ep 121 à Algasia -Pl 22,1013).

à cause de moi: Comme à la 8° Béatitude (§ 50 ) — Mt 5,11). Signifie non seulement: « pour moi », mais « à cause de son union avec moi », comme le comprend Jérôme (Ep ) aussi bien qu'Origène (Sur Mt xn — PG 13,1040) : Je vis, mais ce n'est plus moi: voilà les paroles d'un homme qui s'est renié lui-même, qui a perdu sa propre vie et accueilli en lui le Christ pour que le Christ vive en lui: vive en lui comme Justice et comme Sagesse, et comme Sanctification, et comme notre Paix, et comme la Puissance de Dieu opérant toutes choses en lui... Et si le Fils de Dieu est mort crucifié, tous ceux qui mourront au péché doivent mourir par ce même mode: par la Croix. C'est pourquoi ils diront encore: « Je suis cloué à la Croix avec le Christ » (Ga 2,19).

Hilaire : Sur Mt 16 (PL 9,1011-1012) : // Nous exhorte à être semblables à lui : car Lui qui était, par nature, en forme de Dieu, il s'est fait humble et obéissant jusqu'à la mort, et il a reçu la gloire et la puissance mêmes de Dieu (= // Ph 2,10-11). Aussi devons-nous prendre notre croix et Le suivre: l'accompagner sinon de fait, au moins de volonté dans sa Passion.

Mt 16,26 ; Mc 8,36-37 ; Lc 9,25 // Ps 49,8-10 — S'il s'agissait seulement de la vie physique, cette sentence ne serait que < vérité de La Palice >. Mais l'Évangile parle ici de la vie éternelle de l'âme — non au sens platonicien (dualisme âme / corps), mais au sens biblique, où la < sur-vie > exige d'être < rachetée >.

C'est bien parce que l'homme à lui seul n'aurait pu y parvenir (// Ps 49) que le Christ lui-même s'est constitué notre rançon (§ 255 ) — Mt 20,28* — Sur la nécessité de garder ces deux mots : < Âme > et < Rédemption ou rançon > dans le vocabulaire chrétien — et ici en particulier — cf. C.J. Nesmy, dans « Foi et Langage », avril 1977, p. 161-169). Encore faut-il que nous-même nous unissions à son sacrifice, pour bénéficier de ses fruits (= verset suivant) :

Mc 8,38; Lc 9,26/7 2Tm 2,11-13) — Logique de l'association < à la mort à la gloire >. Qui aura rougi: C'est l'alternative devant laquelle nous met saint Paul (dans le // Ph 3,20): ou galvauder notre gloire* dans les jouissances de la terre et par conséquent renier la Croix du Christ, ou nous glorifier en elle et tenir le monde pour désormais « crucifié » (ce qui ne veut pas dire : le mépriser, mais tout au contraire: l'aimer assez pour le racheter).

cette génération adultère et perverse (Mc): Cf. Dt 32,5. Sur le sens de « cette génération », cf. § 108 ) — Mt 11,16* et § 299 ) — Mt 24,34*.

quand Il viendra dans la gloire de son Père avec les anges: C'est ainsi que Mt 25,31 nous fait « voir » le Jugement dernier, dont il s'agit bien ici:

Mt 16,27 // Ph 2,10-11 Si 33,19 Si 33,22-23 Pr 24,12 Ps 62,12-13 Ps 73,23-24

— Le thème de la rétribution court non seulement tout au long de l’A.T. mais dans toutes les religions. Ce qu'il y a de propre ici (et dans les // Ps 73 et Sg 5), c'est la solidarité du Christ et de ses disciples, dans sa Gloire d'où Il reviendra « nous prendre » (§ 325 ) — Jn 14,3) — si toutefois nous nous sommes laissés « conduire dans le Dessein » (Ps 73) du « Il faut » de la participation à la Croix rédemptrice.

Mt 16,28; Mc 9,1 ; Lc 9,27) — L'introduction de ce verset — « Et Il leur dit » (Mc): « Amen, je vous le dis » (Mt-Lc) montre qu'il s'agit d'une parole séparée du Christ, volontairement accolée ici. Et cela nous aide à comprendre en quoi elle diffère, mais complète ce paragraphe.

Le Fils de l'homme venant dans sa royauté : Nous adoptons la traduction justifiée par J. carmignac (Le mirage... p. 30-31). Mais on peut aussi traduire: « venant avec son Royaume » (Jouôn — Tob: « venir comme roi »). Quoi qu'il en soit, il s'agit donc d'une < venue > du Christ. Laquelle? —La tradition ancienne y a lu l'annonce de la Transfiguration : « parmi ceux qui sont ici » désigne Pierre, Jacques et Jean, qui « verront » en effet le Christ en Gloire peu de jours après. En ce sens également X. Léon-Dufour: Et. d'Év., p. 90-91. Mais une échéance si proche explique mal les termes de cette prédiction :

— ne goûteront pas la mort: Expression trop particulière pour ne pas être voulue et signifier seulement: ne seront pas morts. e. trocmé, qui donne une bonne bibliographie sur l'éventail des réponses, relève à juste titre dans ce « goûteront » « la nuance d'expérience intime, de contact personnel pleinement ressenti », et le rapproche des versets précédents où « renoncer à soi-même » et « perdre sa vie » était présenté comme une nécessité indispensable. Au lieu d'être une < prédiction >, Mc 9,1 devrait s'entendre comme une < réprimande > adressée à ceux qui ne veulent pas se risquer à « goûter cette mort » (passer par cette mortification) avant le triomphe assuré. Ce serait donc dans la ligne du « Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu »? (St. EV 2, 1964, p. 259-265). Mais cette fois encore, la tournure de la phrase, introduite par un « Amen, je vous le dis », semble annoncer plutôt une déclaration prophétique, et ne visant que quelques-uns — « Il y en a qui... » — Moins encore s'expliquerait-on, dans l'hypothèse d'une réprimande:

— le Règne de Dieu venant avec Puissance (Mc) : En Rm 1,4, c'est la Résurrection qui « établit Jésus Fils de Dieu avec puissance, selon l'Esprit de sainteté ». Mais plus généralement, « avec puissance » désigne « l'action divine toute puissante qui se déploie dans la diffusion de l'Évangile » (Rm 1,16 Rm 15,19 1Co 4,20 2Co 6,7 1Th 1,5). En ce dernier sens, plus large, c'est bien en effet dès la première génération judéo-chrétienne que l'on « a vu » le Règne de Dieu gagner comme une traînée de poudre non seulement les Juifs mais les païens. N'est-ce pas dans ce même sens que Luc lui-même comprend cette Parole du Christ sur sa manifestation glorieuse, quand il remplace « avant d'avoir vu le Fils de l'homme venant... » (Mt) par un simple: « avant d'avoir vu le Règne de Dieu » ?

Comme dans le Discours eschatologique (Mt 24-25), les 2 versets de Mc 8,38 et 9,1 (et // En Mt-Lc) rapprochent la double modalité du Règne de Dieu: définitif lors du Jugement mais, dès à présent, proche au point de pouvoir devenir immédiat, intérieurement, pour qui l'accueille (§ 242 ) — Lc 17,21). Et celle-ci prépare celle-là: « l'une est en effet le prélude obligé de l'autre ; c'est en entrant dans le Royaume terrestre du Fils qu'on va au Royaume céleste du Père ; mieux encore : dans la venue de Jésus « avec son Règne » se trouvent virtuellement inclus tous les développements ultérieurs, y compris le « dernier avènement du Sauveur ». Tant il est vrai que « Jésus est comme l'incarnation vivante du Règne » (A. Feuillet: Le triomphe... dans NRT 1949, p. 707-715).

Grégoire de Nysse : De Instituto Christiano (Jaeger VIII,l, p. 64):


... ainsi, connaissant clairement le labeur du voyage et le terme de la course, tous répudieront la présomption et la gloriole qu inspirent les succès remportés. Pour la vie éternelle, ils renonceront à leur âme, comme dit l'Écriture, et regarderont vers une seule richesse: celle que Dieu propose à ceux qui l'aiment comme le prix remporté par leur amour du Christ — car il y appelle tous ceux qui s'offrent avec empressement pour soutenir la lutte, tous ceux à qui la croix du Christ suffit comme viatique dans le voyage de cette vie. C'est avec joie et bonne espérance qu'ils doivent, portant leur croix, suivre le Dieu Sauveur. (Puis Grégoire de Nysse continue en citant Hébreux 12,1-2, que nous donnons en // — Tr. fr": Le But Divin, Éd. Téqui 1986, p. 36-37).

p. 424

§ 169. La transfiguration : Mt 17,1-9; Mc 9,2-10; Lc 9,28-36


(Mt 17,1-9 Mc 9,2-10 Lc 9,28-36)

« Devant des témoins choisis, le Seigneur dévoile sa gloire... Ce qu'il entendait faire par cette transfiguration, c'était bannir du coeur des disciples le scandale de la Croix, et que l'humiliation de sa Passion volontaire ne troublât pas leur foi, puisqu'il leur révélait d'abord l'éminence de sa dignité cachée.

Mais en même temps, et par une égale providence, Il fondait la foi de la Sainte Église, pour que le Corps total du Christ sache de quelle heureuse transformation il serait gratifié, et que les membres se promettent d'avoir part à l'honneur qui resplendissait dans le Chef » Léon le Grand : S. 51: SC 74,17).


C'est pourquoi aussi l'évangile de la Transfiguration est proclamé au 2° Dimanche de Carême, afin d'encourager les chrétiens à prendre leur croix pour suivre le Christ dans sa marche vers Pâques.

Mt 17,1 ; Mc 9,2; Lc 9,28 // Ex 24,15-16 — Après 6 jours: Précision rare, peut-être pour un premier rapprochement avec Moïse (// Ex 24). Haute montagne: Comme le Sinaï; mais plus particulièrement, sans doute, l'inverse de celle où le Christ a refusé de recevoir de Satan le règne terrestre universel (Mt 4,8), et l'analogue de celle où Il a convoqué ses Apôtres, après la Résurrection, pour leur transmettre quelque chose de son Pouvoir, reçu de Dieu (Mt 28,16-20). Rejoint le symbole universel de la montagne comme proximité avec Dieu.

Pierre, Jacques et Jean, eux seuls (Mc), à part (Mt-Mc) : Comme déjà pour la résurrection de la fille de Jaïre (§ 143 ) ; comme à Gethsémani.

pour prier: À son habitude, Luc souligne que les grands événements de la vie publique du Christ naissent de sa prière : formation du collège des Apôtres (§ 39 ) — Lc 5,12), et surtout, premièrement, lors de son Baptême (§ 24 ) — Lc 3,21*), dont la Transfiguration est la confirmation parallèle.

Mt 17,2 Mc 9,3 Lc 9,29 — Il fut transfiguré: < Passivum divinum > (§ 50 ) — Mt 5,3b*) renvoyant à Dieu, auteur de cette < méta-morphose > = transformation éclatante d'un corps demeurant le même substantiellement. Jésus reste dans son humanité; seulement, il laisse pour un instant l'éclat de sa divinité imprégner ce corps, qui en devient rayonnant. De par son incarnation en effet, cette < Gloire > divine aurait dû être l'état normal du Christ. Qu'il ne l'ait laissé apparaître que cette seule fois, et même pas devant tous les Apôtres, montre à quel point Il tient à nous laisser le bénéfice de croire sans avoir vu (Sur la < Gloire > divine, et son occultation en Jésus, cf. § 10 ) — a*). Même après la Résurrection, Il ne se présentera qu'avec une Gloire comme tamisée (§ 361 *). Mais ce que présage surtout la Transfiguration, c'est notre état glorieux au ciel, où l'éclat de l'âme comblée de Dieu rendra nos corps ressuscites eux-mêmes < glorieux >, exempts des pesanteurs terrestres et participants de la Gloire de Dieu : Rm 5,2 Rm 8,18 Rm 8,21 1Co 2,7 1Co 15,43 2Co 4,17 (et // 2Co 3,18); Ph 3,21 (en // à § 168 ); Col 3,4 1Th 2,12 2Th 2,14: c'est « le » Mystère même qui est au centre de l'Évangile de saint Paul: « le Christ en vous, espérance de la Gloire! » (Col 1,27).

// Da 10,5-12 Da 12,5 Jdt 10,7-8 Ex 34,29-30 2Co 3,7-10 2Co 3,18 — Le parallèle de Dn 10 et 12 joue sur toute la ligne. On retrouve ici et là: lumière, visage, éclatant (Lc), resplendissant (Mc), voix, entendre, crainte, face contre terre, toucher, relever, cesser de craindre; et les deux autres personnages s'entretenant avec la première apparition. De même, le // avec Moïse et le Sinaï est un des axes de tout ce récit de transfiguration, où confluent donc la Révélation de la Loi et des Prophéties ou des Apocalypses (cf. m. sabbe: dans La venue du Messie, p. 65-100). Transformation qui nous est promise à nous-même, à force de nous exposer à la contemplation du Seigneur (// 2Co 3,18).

son visage brillait comme le soleil (Mt) // Ps 19,6-7 Ps 84,12 — Ce que la parabole disait des « justes dans le Royaume de leur Père » (§ 136 ) — Mt 13,43*). Noter l'image de la tente, dans le Ps 19,6 Mt 17,4*.

ses vêtements devinrent blancs comme la lumière : « Era de luz », disait Lucie de l'apparition angélique de 1916 (C.J. Nesmy: La vérité de Fatima, Éd. S.O.S. 1986, p. 61). Ici, bien mieux encore, c'est la Lumière intérieure, divine, qui rend jusqu'aux vêtements éclatants (Lc)... D'un blanc resplendissant, tels que nul foulon... (Mc) // Ml 3,2 — Comme les vêtements des anges de la Résurrection (§ 359 ), et comme le vainqueur de l'Apocalypse (3,5). Sur le symbolisme du vêtement, cf. § 43 ) — Mc 2,21-22*. Nous-mêmes serons « blanchis » de nos péchés (Is 1,18 Ps 51,9); et il faut que soient «blanchis dans le sang de l'Agneau » (Ap 7,14) nos vêtements, sans lesquels on ne peut être du festin des Noces éternelles (§ 282 ) — Mt 22,11-12).

Mt 17,3 Mc 9,4 Lc 9,30-31 — D'après Luc, plus explicite : « deux hommes » apparaissent, eux aussi « en gloire » (cf. // Da 12,5). Les trois Apôtres y reconnaissent Moïse et Elle, généralement tenus pour représenter « la Loi et les Prophètes». Ou encore: Moïse comme préfigure du Christ-Prophète (voir à Mt 17,5b*), Élie comme le Précurseur (§ 170 *, et X. Léon-Dufour: Et. d'Éy., p. 100 et 93). C'est peut-être pour quoi, en Mc, Elie est mis en tête, contrairement à l'ordre normal (comme en Mt-Lc). Malachie 3,22-23 (en // au § 170 ) référait à ces deux grandes figures, qui toutes deux semblaient avoir été préservées de « goûter la mort » (Moïse, suivant la tradition apocryphe de « l'Assomption de Moïse », à partir de l'ignorance de son tombeau en Dt 34,6 Élie en 2R 2,11-12). Ils sont probablement aussi les deux mystérieux < témoins > d'Ap 11 ; d'où Hilaire (Sur Mt J7) — PL 9, 1014) : « Le Christ apparaît entre la Loi et les Prophètes Moïse et Élie parce qu'ils sont les témoins avec lesquels Il jugera Israël; et aussi pour enseigner qu'il a décidé d'accorder aux corps humains la gloire de la résurrection, puisque Moïse est là, visible.

pierre de blois imagine même de préciser : « Moïse est apparu comme le type de la miséricorde et Elie comme celui de la justice et de la sévérité » (Sermon 66, < De la Transfiguration >, Pl 202,846) — cité dans le dossier établi par Dom P. miquel, dans « Quest. Lit. et Par. » 1961, p. 194-223). Pour R.Guardini, suivant sa thèse générale (§ 164 ) — Jn 6, 60-66*), en Moïse et en Élie, le Christ est entouré des préfigurations de lui-même, dans sa tâche de « porter jusqu'au bout le fardeau du Peuple » murmurateur: « N'est-ce pas comme si on apportait le fardeau d'un endurcissement millénaire, pour le placer sur les épaules du Seigneur Jésus » (Le Seigneur 1P 275-278).

En tous cas, avec Moïse et Elie, c'est l'A.T. saluant son propre accomplissement dans le Christ — et plus précisément dans son Mystère pascal, puisque c'est de cela qu'ils parlent entre eux (Mt-Mc-Lc): « Que peut-il y avoir de mieux établi que ce fait [de la mort et la glorification du Christ et, avec Lui, de son Corps mystique tout entier), proclamé par les voix concordantes de l'Ancien Testament et du Nouveau? Les textes antiques concourent avec l'enseignement de l'Évangile ; et ce que les signes antiques avaient promis sous le voile du mystère, la splendeur de la gloire présente le montre à découvert » (Léon le Grand: même Sermon, 51) — Pl 54, 311 ; SC 74, p. 18).

Ils parlaient de son Exode (Lc) : « Toute l'histoire du Salut est pour ainsi dire l'histoire d'un Exode. Elle commence avec Abraham par l'invitation à « sortir », et cela reste continuellement son mouvement propre, qui atteint à sa véritable profondeur dans la Pâque de Jésus-Christ: dans « l'agapè eis télos », dans l'amour radical qui va jusqu'à l'Exode total hors de soi-même, à la sortie de soi pour aller aux autres jusqu'au don radical de la mort (Jn 13,1)... Et cela montre bien comment la théologie de la Résurrection... en vient à être, au sens tout à fait littéral du terme, une théologie de l'existence: de < l'ex-sistere >, de cet exode de l'homme hors de soi par lequel seul il peut se trouver lui-même... » (J. Ratzinger : Les principes... p. 210-211).

Le Verbe de Dieu lui-même est entré sur cette < Voie > (< Odos >) par son incarnation, que saint Paul appelle un < eis-odos > (Ac 13,24). Il < doit > accomplir son « Exode », sa sortie jusqu'à la vraie Terre Promise du ciel, en passant par la mort — la mer Rouge de son sang — la Résurrection et l'Ascension, comme Il le déclarait à Marie et à Joseph quand Il avait seulement douze ans (§ 18 ) — Lc 2,49*), comme Il le redira encore à ses Apôtres après la Cène (§ 332 -333) — Jn 16,16-28). Donc c'est bien non seulement de sa mort, mais de sa glorification (= du Mystère pascal tout entier) que Jésus se soucie, jusqu'en ce sommet de Gloire. C'est dans ce but exprès qu'il va se mettre en route, dès le § 183 *. C'est ce que souligne l'Évangile de Luc : tandis que Mt-Mc ouvrent plutôt une perspective eschatologique, il semble bien en effet que le 3° Évangéliste ait voulu nous faire contempler dans la Gloire de la Transfiguration, avant tout celle de la Résurrection et de l'Ascension, Moïse et Elle se retrouvant au sépulcre vide dans les « deux hommes aux vêtements éblouissants » (§ 359 - Lc 24,4*). — Cf. A. Feuillet: Les perspectives propres à chaque Évangéliste... dans « Biblica » 1961, p. 281-301; et A. George: Sur Luc, p. 218-219).

qu'il devait accomplir à Jérusalem: Cf. § 221 ) — Lc 13,33*.

Lc 9,32) — Réveillés : Comme, au v. 37, Luc précise que Jésus redescend « le lendemain », il semble que la Transfiguration ait eu lieu de nuit. Pendant que Jésus priait, les trois Apôtres dorment — de même qu'à Gethsémani ; et au moins en ce dernier cas, l'Évangile souligne ce sommeil pour marquer la solitude de Jésus, même parmi les siens (Cf. § 337 *).

Mais, outre que l'on pourrait aussi traduire : « demeurant éveillés » (Osty), si Le écrit immédiatement auparavant: « ils étaient accablés de sommeil », cela tend à faire penser que Pierre, Jacques et Jean étaient oppressés par la perception obscure, et de ce fait, angoissante, de l'imminence d'un Mystère sacré, comme Adam avant la créationn d'Eve, ou Abraham au moment du sacrifice de l'Alliance (Gn 2,21 et 15,12) — BC I*, p. 50 et 98). A fortiori ici et durant l'Agonie.

Mt 17,4; Mc 9,5-6a; Lc 9,33 // Ps 17,15 Is 4,5 Os 12,10-11 Ps 15,1 — Il nous est bon (litt. « beau ») d'être ici : associant ce bonheur des trois Apôtres à la « terreur » dont il est question dans les versets suivants, on y voit généralement un exemple de « crainte fascinante », réaction ambivalente de l'homme devant le Sacré (r. otto ; ch. 4 et 7). Mais précisément : les 3 Évangélistes indiquent seulement la < terreur > comme en un second temps, et pour une raison plus particulière, au moins en Mt et Lc (voir Mt 17,5-6*). L'impression première dont Pierre témoigne par ce cri du coeur, est de se sentir arrivé (valeur locale prononcée de l'« ici ») à la vision béatifique (valeur contemplative du « il est beau ») qui est le ciel même (§ 334 ) — Jn 17,3*), comblé (// Ps 17,15), parvenu au Grand Repos de l'éternité (§ 111 ) — Mt 11,29-30*). C'est le Bonheur messianique, dont Nathanaël « sous le figuier » était une autre image (§ 25 ) — Jn 1,48*).

dresser trois tentes: Même si la thèse d'H. Riesenfeld sur Jésus transfiguré reste historiquement hypothétique, elle aide beaucoup à comprendre le sens profond — et pas du tout ridicule — de la proposition de Pierre. Les tentes sont en effet symbole majeur de la condition d'« étranger et de voyageur » qui est celle de tout homme, et au suprême degré du Peuple de Dieu en < Exode > (BC I*, p. 89, 140-41, 206; et supra, i. Ratzinger). Même une fois passés les 40 ans de pérégrination dans le Désert, la < fête des tentes > devait chaque année le rappeler à Israël (Lv 23,33-36), et le relancer dans sa vocation eschatologique (cf. H. Riesenfeld, ch. 2-3) — c'est-à-dire vers un < Au-Delà > non pas tant futur (< après > la fin des siècles) que < sur-naturel > (déjà présent, puisque éternel).

Aussi, la véritable Tente, c'est Yahvé qui en protège son Peuple (// Is 4,5 — où l'on retrouve les images de « la montagne », comme aussi au // Ps 15,1, ainsi que de « la nuée »). Celui en qui doit se monter cette Tente, dans l'expectative des Juifs, était le Messie lui-même (Riesenfeld, ch. 4-5); et c'est bien ainsi qu'apparaît le Christ, Verbe « qui a planté sa tente chez nous », Sagesse éternelle du Père qui l'a envoyé « dresser sa tente et s'installer en Israël » (Jn 1,14 et //). La fête des tentes ravivait cette espérance de < la tente de la Rencontre > (BC I*, p. 256 ss). Et voilà que, « sur la montagne » elle se révélait à Pierre ! En ce sens « les phénomènes de la Transfiguration signifieraient que les espoirs eschatologiques et messianiques rattachés à la fête juive des tabernacles sont en train de se réaliser en Jésus » (riesenfeld, p. 277). Mais, s'il en est ainsi, pourquoi « Pierre ne savait ce qu'il disait » (Mt-Lc) ?

C'est fondamentalement parce que cette « tente », figure de l'Au-Delà où l'homme est appelé, est donc demeure donnée par Dieu à l'homme et non l'inverse. L'erreur est la même que celle de David proposant, de son propre chef, de bâtir à Dieu son Temple (2S 7) : « Je bâtirai mon Église » a dit Jésus (§ 165 *). Les Pères imaginent qu'il aurait pu répondre à Pierre : « Refuses-tu d'être appelé le fondement de l'Église, si tu veux déjà dresser les tentes?.. Ce n'est pas de tentes mais de l'Eglise universelle que le Seigneur t'a établi le constructeur » (cité Dom P. miquel, p. 203-204).

Léon le Grand: Sermon 51 (PL 54,311): Soulevé par cette révélation des mystères, l'Apôtre Pierre est comme ravi hors de lui, emporté vers le désir des choses éternelles. Plein de la joie de toute cette vision, il souhaite habiter avec Jésus, là même où il se réjouit d'avoir vu sa gloire... À cette suggestion, le Seigneur ne répondit pas. Ce silence donnait à entendre que le désir de Pierre n'était pas répréhensible, mais n'entrait pas dans le plan voulu par Dieu. Car le monde ne devait être sauvé que par la mort du Christ; et l'exemple du Seigneur serait un appel pour la foi des croyants : sans jamais douter des promesses de joie éternelle, nous comprendrions que dans les épreuves de cette vie nous devons demander l'endurance, avant la gloire. Car la félicité du Royaume ne peut précéder le temps de la Passion.

Au « il nous est bon d'être ici » répond le : « il vous est bon que Je m'en aille... pour préparer votre demeure propre dans la maison de mon Père » (§ 331 et § 325 ) — Jn 16,7* et 14,2-3*). Sur l'éternité comme demeure « sous la tente », cf. Ap 7,15 (citant le // Is 4,5 Is 12,12 Is 13,6 Is 15,5 Is 21,3).

Mt 17,5-6; Mc 9,6b-7; Lc 9,34-35 // Ex 19,1 Ex 20,20-21 Ex 40,34 1R 8,10-12 2M 2,8 — Ils étaient saisis d'un sentiment de terreur : S'inspirant sans doute plus directement des souvenirs de Pierre, Mc met la crainte sacrée qui s'est emparée des trois témoins en relation avec la vision elle-même du Christ en Gloire. D'après Luc, ce serait d'« entrer dans la Nuée » qui leur aurait fait peur; et Mt la reporte encore plus tard, à l'audition de « la Voix » (v. 6). Mais c'est que tout cela manifeste la même Réalité redoutable :

La Nuée : Celle de l'Exode, ou du Temple de Salomon (// Ex et 1R) — cf. BC I*, p. 228-229, 248, 252 (Grégoire de Nysse), 256. Signe de la < Shékinah > ou Présence de Dieu (BC I*, p. 225, et surtout p. 254-55, où le Père Bouyer relève la conjugaison de la permanence et de la mobilité-liberté de cette Présence de Dieu). Nuée à la fois « lumineuse » (Mt) et ténébreuse (// Ex 20,21 et 1R 8,12 Ps 18,12 et Ps 104,2), comme toute connaissance de Dieu sur cette terre, comme l'est Jésus-Christ lui-même (cf. Pascal). D'après le // 2M 2,8, ce symbole de la Nuée devait réapparaître aux temps messianiques. La tradition juive l'associait d'ailleurs à celui des < tentes > : « Tous les citoyens d'Israël habiteront dans des huttes afin que vos descendants sachent que [moi, le Seigneur,] j'ai fait habiter les enfants d'Israël dans les nuées glorieuses de ma Shékinah sous l'image des huttes, au moment de leur sortie de la terre d'Egypte » (Targum < Neofiti >, cité R. le déaut, dans RSR 1964, p. 90). La tradition chrétienne verra dans cette Nuée la manifestation plus personnelle de l'Esprit Saint, apparu dans la théophanie parallèle du Baptême sous forme de Colombe, et à la Pentecôte sous forme de Flammes de feu (cf. P. miquel, art. cit. p. 206-208).

De la Nuée, une Voix // Ps 99,6-7 — Le « Père invisible », de par l'éclat même de sa Gloire, se manifeste par une < Voix >, comme en Ex 19,19 (BC I*, p. 248-49) : nouveau // avec le Sinaï. Cette Voix, c'est pour confirmer que son Verbe, c'est Jésus même « Écoutez-le ».

Celui-ci est mon Fils, le Bien-Aimé: en lui mon Amour est parfait // 1S 42,1 -Même déclaration qu'au Baptême (§ 24 ) — Mt 3,17*), avec lequel cette théophanie a tant de rapports. Conformément à son propos général de mettre la Transfiguration en perspective du Mystère pascal, Luc ajoute : mon Élu, ce qui renforce l'identification avec le Serviteur du // Is 42, annoncé surtout comme Serviteur souffrant (Is 53). Car c'est bien par sa Passion que sera « par-fait » l'éternel Dessein d'Amour de Dieu de nous racheter, sauver, glorifier.

Écoutez-le // Dt 18,15.18-19; 2P 1,16-19 — Cette recommandation n'avait pas à être donnée lors du Baptême, où la théophanie était pour Jésus (Mt-Mc-Lc), ou Jean-Baptiste (Jn 1,32-34). Ici au contraire, la Voix du Père s'adresse, par-delà Pierre, Jacques et Jean, à tous ses disciples, présents et à venir.

Au titre fondamental de < Fils de Dieu > (reconnu par Pierre au § 165 ) et du < Serviteur > (annoncé au § 166 ), s'ajoute donc celui du < Pro-phète > messianique, promis par Moïse. C'est Pierre lui-même qui appliquera Dt 18 à Jésus dès le second sermon après la Pentecôte (Ac 3,22-23), avec la même conclusion : le Père ayant < confirmé > le Christ comme son propre Fils, Serviteur et Verbe, c'est une même chose à d’écouter et de « croire celui qui m'a envoyé » (§ 149 ) — Jn 5,24 = // Dt 18,19).

La Transfiguration est donc un des pôles de notre foi. Quand Pierre, prévoyant son prochain départ (2P1,15 = sa mort comme < Exode >), veut garantir la solidité de son enseignement (= de l'Evangile), c'est à la Transfiguration qu'il se réfère parce que, mieux encore que dans les apparitions de Pâques et à l'Ascension, la Gloire divine de Jésus (v. 16) et l'attestation du Père (v. 17) s'y sont manifestées : la foi de l'Église peut donc se fonder sur « la pierre » du témoignage de l'Apôtre qui a « vu de ses yeux vu » (v. 16) et « entendu de ses oreilles » (v. 18) — cf. § 369 ) — Jn 20,30-31, et 1Jn 1, 1). Il est notable qu'aussitôt Pierre y joint — comme inséparable — « la parole prophétique », c'est-à-dire le témoignage convergent de l'A.T. conduisant obscurément au Christ et à l'illumination intérieure du coeur croyant (v. 19) — et // 2Co 3,18). À condition toutefois que l'Écriture soit comprise « suivant l'Esprit qui l'a inspirée », et qui assiste l'Église pour que celle-ci l'interprète en ce sens (v. 20-21, non reproduits ici) ; encore faut-il surtout que cet « écouter » aille jusqu'à la mise en pratique, comme le recommandait la finale du Sermon sur la montagne (§ 75 -Mt 7,24727*): alors seulement notre foi sera solide comme le Roc où elle s'appuie, l'Église de Pierre, interprète autorisée du Christ, « Pierre angulaire », lui-même Verbe mandaté par son Père, le Roc absolu.

Mt 17,6-7 // Lc 21,26Origène : Sur Mt xn (PG 13, 1084) : Ils ne supportèrent pas la gloire et la force de cette vision. Ils se rappelaient l’oracle : « L'homme ne peut voir ma Face et vivre » (Ex 33,20), et ils furent prosternés par la puissante main de Dieu.

Jésus, s’approchant : C'est tout Jésus, Verbe dans la Gloire de Dieu, s'anéantissant pour devenir l'un de nous par l'Incarnation...

toucha... relevez-vous, ne craignez pas: Comme dans le // Da 10,10-12 Da 10, // Lc 21,26-28 annonce qu'il en ira de même à la Parousie définitive. Dieu nous a créés pour être non pas ses esclaves, tremblants à ses pieds, mais des fils, pour le face-à-face qui est celui du Fils (Jn 1,1b et // 2Co 3,18) — Rappelons-nous les fières paroles de Péguy sur « les soumissions d'esclaves » qui jamais ne vaudront « un beau regard d'homme libre », (Poésie, Pléiade, p. 713-737).

Mt 17,8 ; Mc 9,8 ; Lc 9,36a — D'après Mc, explicité par Lc, il y a un rapport immédiat entre la révélation de la Voix et le fait que Pierre, Jacques et Jean ne trouvent que « Jésus seul ». Moïse et Élie s'étaient en effet « éloignés de Lui » dès avant l'intervention de Pierre (Lc 9,33). Maintenant que les prophéties sont en voie d'accomplissement, en Jésus, elles s'effacent — ou plutôt, nous pouvons désormais ne lire l'Ancien Testament comme le Nouveau qu'à la lumière du Christ, et nous laisser guider par Lui, Parole vivante de Dieu (// 2P 1,19):

Origène : Sur Mt XII (PG 13,1084) : « Moïse (la Loi) et Elle (les prophètes) étaient devenus une seule et même chose avec Jésus, c'est-à-dire l'Évangile.... Sur Lv, hom. 6,2 (gcs 6,361): Tu veux voir que Moïse est toujours avec Jésus, que la Loi est toujours avec l'Évangile? L'Évangile va te renseigner : Quand Jésus fut transfiguré en gloire, Moïse et Elle apparurent avec lui, en gloire eux aussi. Sache donc que la Loi, les Prophètes et l'Évangile se rencontrent toujours pour demeurer dans l'unique Gloire. Et si Pierre veut leur faire trois tentes, il se fait dire qu'il n'y entend rien. Car la Loi, les Prophètes et l'Evangile n'habitent pas trois tentes mais une seule, qui est l'Église de Dieu.

Jésus lui-même, seul : Mt ajoute ce «lui-même» pour signifier que «Jésus suffit » (Lagrange). « S'ils voient Jésus seul, et non plus transfiguré, c'est que la pérégrination continue, illuminée désormais par ce brusque éclair sur le monde céleste. Les disciples qui montent avec le Maître vers Jérusalem préfigurent l'Église en marche vers le ciel; quand l'Église se retourne vers cette glorieuse montagne, comme jadis Israël vers le Sinaï qui dominait sa marche dans le désert, elle sait que déjà elle émerge au-dessus de la terre. Elle lit sur la face illuminée de son Seigneur le sens de l'histoire qu'elle vit, de la croix qu'elle porte et qui l'achemine vers la gloire du Fils de Dieu, en union avec Jésus transfiguré » (X. Léon-Dufour: Et. d'Év., p. 113).

Origène :Sur Mt XII (PG 13,1068-1069) : Si tu veux voir Jésus transfiguré, comme ceux qui montèrent avec lui sur une montagne élevée, regarde donc Jésus dans les Évangiles, simplement connu et saisi < selon la chair > (pour ainsi dire), par ceux qui ne gravissent pas la haute montagne de la sagesse avec des discours ou des oeuvres sublimes, et cependant ne le connaissent plus < selon la chair > mais théologiquement, annoncé et affirmé par tous les évangiles, et vu < dans la forme de Dieu > à travers la connaissance de ces mêmes évangiles : devant eux, Jésus se transfigure.

Sur les rapports de Jn 12,23-36 avec la Transfiguration, cf. § 309 *.


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Bible chrétienne Evang. - § 166. Première annonce de la passion: Mt 16,21; Mc 8,31-32a; Lc 9,22