Bible chrétienne Evang. - § 182. Parabole du débiteur impitoyable: Mt 18,23-35


2. LA MONTÉE À JÉRUSALEM (§ 183-245).


Une fois l'Église conçue et constituée (§ 146 -182*), Jésus peut aller à son sacrifice, annoncé immédiatement après la Confession de Césarée (§ 165 -166*) et de nouveau après la Transfiguration (§ 172 ). En Saint-Matthieu, sitôt après le Discours communautaire (ch. 18), Jésus gagne la Judée (Mt 19,1) et les Rameaux surviennent dès le ch. 21. Pareillement, Saint-Marc ne consacre pratiquement à cette période que le ch. 10. Car la dernière section de sa seconde grande partie (cf. § 115 * et Introd. aux § 146 -182) est à cheval sur la fin du ministère en Galilée (Mc 9,30-50) et l'arrivée en Judée (10,1-45), le tout encadré par 2 miracles (§ 171 et § 268 ), et scandé par le rappel de la Passion-Résurrection, annoncée dès 8,31, réitérée en 9,3\; 10,32-34; 10,45. Sur la composition de cette section, cf. b. standaert: L'Év. selon Mc, p. 317-324.

Pour Mt comme pour Mc, l'inclusion entre les § 174 et § 254 -255 (disputes de préséance des Apôtres) souligne à quel point ceux-ci ont encore à apprendre l'esprit de service, dont la Passion va être l'exemple suprême.

C'est justement durant cette période, entre Galilée et Judée, entre la Transfiguration et les Rameaux, que Saint-Luc insère une des 4 parties qui forme le centre de son Évangile. On l'appelle aussi « la grande incise », car Lc 9,50 est un décalque de Mc 9,40 (§ 175 ); Lc 18,15 reprend Mc 10,13) — à la suite de quoi, la correspondance entre les 3 Synoptiques est rétablie (§ 248 et suiv.). Luc a donc placé près de 9 grands chapitres, sur 24, à cet endroit; alors qu'entre Mc 9,40 et 10,13, il y a tout au plus 4 versets communs à Le. Dans son étude sur L'Évangile des voyages de Jésus, Lc 9,51 à 18,14, L. girard a compté qu'avec 350 versets, cette partie est la plus longue: I. Enfance, ch. 1-2 = 132 versets; il. Galilée, 3,1 à 9,50 = 326 versets ; iv. Passion, 18,15 à 24,53 = 341 versets.

Toutefois cette disparité entre Mt-Mc et Lc, est plus apparente que réelle. Car elle tient d'abord à ce que Le rapporte à cette période bien des paroles que Mt avait regroupées autrement, et notamment dans ses 5 < discours >. La Synopse permet de le constater aisément : sur 62 paragraphes, il n'y en a que 22 qui soient propres à Le — ce qui est considérable, mais cependant limité.

Surtout, si la matière est distendue, le < tempo > en est resserré par le leitmotiv de la montée à Jérusalem, qui relance le mouvement et donne à tous ces chapitres leur tonalité d'urgence dramatique : dès le verset initial : 9,51* ; puis en 9,53.57; 10,1.38; 13,22.33; 17,11; 18,31.35; 19,1.28. Durant tous ces chapitres, Lc veut nous faire voir Jésus, qui marche en avant des autres (19,28), comme pressé par un grand désir (12,49-50; 22,15), qui doit s'accomplir de la Cène au Calvaire (cf. Introd. au § 192 ).

Or ce mouvement n'est pas absent des autres Évangiles. Mt l'a indiqué sobrement (19,1) et le réitère en 20,17.29.34. Me y revient plus encore : 9,30.33-34; 10,1.17.32.33.46.52; 11,1. Quanta Jean, dont le plan est très différent puisqu'il y a plusieurs montées à Jérusalem, reste que, à partir du ch. 7, tout se passe à Jérusalem (ou à proximité, par crainte d'une arrestation prématurée: 11,54). Il y a donc bien concordance des Évangiles sur la tension croissante de l'événement décisif, vers lequel Jésus se dirige, sciemment et volontairement : triple annonce de sa Passion-Résurrection, dans les Synoptiques; notion de < son Heure > comme de celle où, librement, Il donnera sa vie, en Saint-Jean (7,6-8; 10,17-18; 12,23-28).

Composition : Nul à ce jour n'a réussi à trouver un ordre qui s'impose, dans ces chapitres foisonnants : ni géographique, ni thématique (voir B. Rigaux : Témoignage Lc, p. 198-205). Tout au plus peut-on observer que les faits y sont rares, et peu décisifs : § 183 ) — Une bourgade samaritaine refuse de le recevoir; § 192 ) — Marthe et Marie; § 217 , § 223 et § 241 ) — guérisons de la femme courbée, de F hydropique, et des dix lépreux (voir l'Introd. à ce § 241 ).



§ 183. La mise en route : Lc 9,51-56


(Lc 9,51-56)

— Les jours où Il devait être enlevé : Comme le terme d'Exode, lors de la Transfiguration (§ 169 ) — Lc 9,31*), il semble que l'expression évite de trancher entre la double signification qu'elle peut prendre : soit de la mort, soit de l'Ascension (// avec Hénok ou Élie), de façon à ne pas séparer les deux versants du même et unique mystère pascal.

Lui-même affermit sa face : Cette formule, trop extra-ordinaire pour ne pas être voulue, signifie sans doute plus que la simple fermeté de cette décision. En cherchant l'origine, J. starcky conclut : « L'hébreu distingue une formule avec préposition marquant l'hostilité, d'une autre formule suivie d'un infinitif et marquant l'intention; cette seconde tournure, dans les Septante, n'est jamais rendue par le verbe < Stèridzein > (qui se trouve justement ici)... Luc a-t-il consciemment mêlé les deux formules pour souligner la volonté du Christ de se rendre à Jérusalem, malgré l'hostilité des Juifs et la mort qui l'y attendaient ? A. Plummer réfère à Is 50,7 (en //)... (et) il reste possible que Luc ait fait une allusion discrète à ce passage messianique d'Isaïe, d'autant que les poèmes du Serviteur avaient déjà pris toute leur signification pour les premières générations chrétiennes... » (dans « Rech. sr » 1951-52, p. 197-202).

Le // avec Is 50,7 Is 50,9 ou avec Ez 3,9 (et encore 6,2; 13,17; 21,26 etc...) donne donc à la décision du Christ toute sa portée : celle d'un engagement définitif dans sa vocation d'Isaac sacrifié (// Gn 22,3.8) ou du Serviteur souffrant pour la Rédemption du monde (Is 53, en // au § 349 ).

Lc 9,52 // Ml 3,1 — // Envoya des messagers devant sa face : en grec: < Angelous >, des Anges. Même si le but n'était que pratique, pour préparer les Samaritains à recevoir le Christ, le mot lui-même évoque < l'Ange > qui doit préparer la voie au Seigneur, dans le // Ml 3,1 — et d'autant plus que l'on trouve aussi dans la célèbre prophétie l'expression : « devant ma Face ». Si l'on se rappelle que la suite de ce même verset (1 c-e) s'est d'abord accomplie lors de la Présentation de Jésus au Temple (§ 11 *), et que la finale de Ml 3,23 était l'annonce de la prédication de Jean-Baptiste, nouvel Élie (dont le § 170 nous assure qu'il était présent à l'esprit des Apôtres), l'erreur de Jacques et de Jean prend tout son sens : à la lumière de Ml 3, ils s'imaginent que l'on est au départ d'une chevauchée triomphale, qui consacrera le Règne messianique — dont ils espèrent bien être les bénéficiaires (§ 254 *).

Lc 9,53-54) — Au début de son ministère, quand tout paraissait sourire au Christ, les Samaritains avaient au contraire reconnu en Jésus « le Sauveur du monde » (§ 81 ) — Jn 4,42). Désormais, le temps est au non-recevoir. Mais n'empêche que, contrairement à l'usage des Juifs, Jésus n'hésite pas à leur demander l'hospitalité. Surtout, les Samaritains seront à l'honneur dans la parabole (§ 191 *) et par la reconnaissance du 10° des lépreux miraculés (§ 241 ): le messianisme demeure bien universaliste, catholique; et la mission auprès des Samaritains sera reprise dès après le martyre de saint Etienne (Ac 8,5-25).

parce que sa face était d'un pèlerin de Jérusalem (ou : était dirigée vers Jérusalem) : C'est la 3° fois que revient, en ces 3 versets, ce mot lourd de sens puisque c'est lui qui désigne « la Face de Dieu ». Et voilà vers quoi, annoncée par ses Apôtres (v. 52), elle se tourne : Jérusalem, lieu où il lui convient d'offrir son sacrifice (§ 221 *).

Lc 9,54 // 2R 1,9-10 — Que le feu descende du ciel : Certains mss. ajoutent : « comme Élie l'avait fait », tant le rapprochement est évident, expliquant l'erreur de Jacques et Jean — surnommés « fils du tonnerre » (§ 49 ) — Mc 3,17), à la suite de cet incident? En tous cas, c'est une < concordantia discordantium >* de plus entre Mc et Lc.

Lc 9,55) — // Se retourna : Même verbe que contre Pierre le dissuadant d'aller à la mort (§ 167 ). Et il menaça* : Même verbe que contre le démon (§ 171 ) — Lc 9,42 etc...). C'est donc un nouveau // avec le § 167 : « Vade rétro Satana »... : Quiconque essaie de détourner le Christ (ou ses disciples, ou l'Église) de la Voie rédemptrice de douceur et d'humilité (§ 111 ) — Mt 11,29) du Serviteur de Yahvé, fait le jeu de Satan...

Vous ne savez pas de quel esprit... : Version plus explicite, non retenue par Nestlé (d'où la parenthèse), mais conservée par la Vulgate. L'équivalent s'en retrouve en Lc 19,10 et même Lc 15,6.9.32. C'est la Révélation de l'Évangile même (cf. § 78 ) — Jn 3,16-17*).

Lc 9,56 // Mb 20,21) — Comme l'Israël de Dieu durant le premier Exode, Jésus et l'Église des disciples vont bien vers un < Exode > final et triomphal (§ 169 *), mais par les détours que leur imposent les refus des hommes.

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§ 184. Suivre le christ, sans condition : Lc 9,57-62; (Mt 8,19-22)


(Lc 9,57-62 Mt 8,19-22)

-En Mt comme en Lc, ces vocations se présentent au moment d'un départ, et cela accentue la note d'insécurité et d'urgence qui les caractérise, soulignant la leçon de détachement qui doit en être tirée. En ces 3 cas, les variations ne touchent qu'aux modalités, l'essentiel est toujours de « suivre* le Maître », sans condition de lieu (Lc 9,57) ou de délai (Lc 9,59 et Lc 9,61). En Mt, il y a équilibre entre les 3 « s'en aller » (Mt 8,18 Mt 8,19 Mt 8,21) et les 3 « suivre » (Mt 8,19 Mt 8,22 Mt 8,23), qui valent non seulement pour ces nouvelles vocations mais pour les disciples antécédents (Mt 8,18 et Mt 8,23). Dans la 1° et 3° de ces vocations, l'initiative est au disciple; dans la seconde, d'après Lc, elle vient de Jésus lui-même (Lc 9,59).

Lc 9,58 ; (Mt 8,20) // 2Co 8,9 (et Ps 84,3-4 Lc 2,49) — en // au § 87 ) -... les oiseaux du ciel : Jésus les citait en exemple (§ 67 ) — Mt 6,26). Mais ce n'est pas dire que l'homme ait à se passer de logement ! Comme, sur terre, la maison de Pierre devint pour le Christ « sa » maison (§ 40 ) — Mc 2,1*), il faudrait qu'au moins nos < maisons paroissiales > s'ouvrent le plus possible aux sans-logis, et à tous les malheureux dont Il se tient pour solidaire (§ 307 - Mt 25,35-36). Mais surtout, comme Il savait lui-même que sa vraie Demeure, c'était « chez son Père » (Lc 2,49* — en // au § 87 ), il faudrait répandre aussi largement que possible cette espérance que le Christ nous y prépare notre place, pour notre vie et notre joie éternelles (§ 325 ) — Jn 14,2-3).

Le Fils de l'homme* (titre relevant à la fois sa noblesse et sa fragilité) n'a pas où reposer sa tête : « Quand il a laissé reposer sa tête, ce fut pour jamais, et Il rendit l'esprit » (Jn 19,30), écrit Claire d'Assise à Agnès de Prague (1° lettre). Ainsi, la pauvreté franciscaine, qui est une des réponses à cet Évangile, voit en ce dénuement l'annonce de cet amour qui doit aller jusqu'au bout, et n'avoir de repos qu'une fois donnée sa vie pour nous racheter. Si Jésus se montre ici exigeant pour les disciples, c'est au modèle de sa propre exigence sur Lui-même.

Lc 9,59-62; (Mt 8,21-22) // 1R 19,19-21 — Le parallélisme est souligné par l'image de « mettre la main à la charrue », comme Elisée. Mais l'Évangile est encore plus pressant, immédiat. Elie jeta sur Elisée son manteau: la belle image de la communauté qui naît de l'appel, entre Jésus et nous ! Correspond au : « avec moi », du Christ (Lc 9,59).

ensevelir les morts: Oeuvre pie, d'Abraham (Gn 23 Gn 25,7-10) à Joseph (Gn 50,4-6, en // au § 87 ), et de Tobie à Antigone; encore honorée dans nos villages, même par ceux qui, autrement, ne vont plus à l'église. A fortiori quand il s'agit, comme ici, de « mon père » ! La 3° vocation, elle aussi, met en cause les liens familiaux, comme les § 212 et § 227 (commentaire au § 103 *).

Ce n'est pas que l'Évangile dénie aux réalités naturelles, familiales, une profonde valeur. Mais il s'agit précisément d'un appel à une réalité tout autre (comme Dieu est le tout autre, en même temps que le plus intimement mien) : « Ce qui provoque la lutte, ce n'est pas un précepte, mais l'apparition d'une réalité supérieure au monde, d'un plus grand prix que tout ce qu'on connaissait jusque-là. Supériorité, non seulement de degré, mais d'espèce, mais absolue. Cette réalité n'est pas simplement plus que le monde, elle est d'un autre ordre, elle est autre chose... » (R. Guardini : Le Seigneur I p 208-211).

Cette perle précieuse à quoi tout le reste mérite d'être sacrifié (§ 137 *), est ici nommée : c'est le Royaume de Dieu (Lc 9,60 Lc 9,62) ; et se trouve aussi précisé à qui s'adresse une vocation si exclusive: à ceux qui vont avoir à annoncer ce Royaume, donc aux Apôtres, et plus précisément à ces 72 disciples qui vont être envoyés en mission, sitôt « après cela » (§ 185 *): « Te contenteras-tu d'avoir comme foyer la volonté de Dieu ? Et le travail de Dieu comme unique lieu de repos ? » (R. Guardini, Ibid. p. 206).

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§ 185. Mission des soixante-douze : Lc 10,1-12; (Mt 10,1 Mt 10,16 Mt 10,9-15 Mt 9,37-38 Mc 6,7-11)


(Lc 10,1-12 Mt 10,1 Mt 10,16 Mt 10,9-15 Mt 9,37-38 Mc 6,7-11)

— Voir aux § 97 -99* le commentaire sur ce qui se trouvait déjà dans le « Discours de Mission » de Mt 10. Luc y ajoute notamment :

Lc 10,1 — Après cela, le Seigneur... les envoya devant sa face... où Il devait aller : La phrase est typiquement parallèle à 9,52. On peut supposer d'ailleurs que « cela » réfère, par-delà l'intermède des 3 vocations du § 184 , au refus de la bourgade samaritaine (§ 183 ). Par conséquent, loin de se tenir pour vaincu par cet échec particulier, c'est alors que le Christ envoie ses disciples en mission, plus largement encore qu'il ne l'avait fait au ch. 9,1-10 (§ 145 ), où seuls y avaient été appelés les Douze.

Témoigne également en faveur de l'autorité suprême avec laquelle Jésus avance dans sa Voie (messianisme pur de toute ambition temporelle), le titre de « Seigneur » que Saint-Luc va répéter durant cette période (cf. I. de la Potterie, dans Mél. Rigaux, p. 117-146; et A. George : Sur Luc, p. 237-255. Pour l'Enfance, voir Lc 1,43*; 2,11*; pour le Christ ressuscité : 24,3*.34; dans sa Passion : 22,33*.61). Ici, le titre prend une couleur « royale » de par la quadruple mention du « Royaume ou Règne de Dieu », propre à Luc en cet endroit : 9,60.62; 10,9.11. Dès maintenant commence la chevauchée messianique qui aboutira aux Rameaux, où se retrouveront les titres de « Seigneur » (19,31.34) et de « Roi » (ajouté par Lc 19,38§ 273 ).

Il en désigna 72 autres : « autres » réfère sans doute non pas tant aux Douze, premièrement envoyés en mission (9,1), qu'aux « messagers » envoyés de la même manière « devant sa face » à la bourgade récalcitrante (9,52*).

// Ex 24,1 Ex 24,9-11 Nb 11,16-17 Nb 11,25 — Il y avait donc 70 Anciens d'Israël (+ Moïse et Aaron) pour ratifier l'Alliance du Sinaï, comme encore 70 associés à l'Esprit de Moïse (Nb 11 — et là aussi, v. 26-29, en // au § 175 , il s'en trouve deux en surnombre, Eldad et Médad). Mais ce nombre de 70 correspondait surtout à celui des nations issues de Noé après le Déluge (Gn 10 — BC I*, p. 83). Chose curieuse, avec le même flottement entre 70 /dans le texte hébreu) et 72 (dans la Septante), que reproduisent les mss. de cet Évangile (cf. B.C. Metzger: Seventy or Seventy-Two Disciples, dans nts 1959, p. 299-306).

Par conséquent, le choix de 72 ou 70 disciples indique la portée universelle que « le Seigneur » donne à cet envoi en mission. Placé de la sorte, au départ de la montée à Jérusalem, cet envoi ajoute à cette grande section de Saint-Luc (9,51) — 18,14) où la formation des disciples a tant d'importance, une perspective missionnaire, qui n'est pas le moindre des points sur lesquels Jésus veut précisément former ses continuateurs et fonder son Eglise, dans son intention, « catholique » (voir A. George, dans BETL 25, p. 111-112). Ce n'est que pour l'après-Pentecôte ; mais, comme le Christ fit faire à la Cène l'apprentissage de la messe, cette double mission lancée de son vivant est, pour les disciples, une répétition de leur apostolat ultérieur.

Lc 10,6) — S'il y a un enfant de paix : Pour Mt aussi, le missionnaire du Christ apporte « sa » Paix. Ce que Le semble suggérer en outre, c'est la connaturalité préalable de certains avec la paix. Car « enfants de paix » = « Fils de... » = soit l'appartenance à la troupe des bienheureux artisans de paix (§ 50 -Mt 5,9*), soit le droit à la possession de la paix.

Lc 9,9.11) — « Il est proche le Règne de Dieu » : 1° point du < Kérygme >* (§ 28 ) — Mc 1,14-15).



§ 186. Malheur à toi Chorazeïn : Lc 10,13-16; (Mt 11,21-23 et 10,40)


(Lc 10,13-16 Mt 11,21-23 Mt 10,40)

- Voir au § 109 *, où l'apostrophe était plus en situation, au coeur du ministère en Galilée, puisqu'il s'agit de villes situées au Nord du Lac, loin de la Samarie où Jésus est censé descendre vers le Sud, depuis Lc 9,51. Plutôt qu'une malédiction, Tob voit en ces versets « une plainte et un dernier appel » (note j, sur Lc 10,13). Le // Is 14,12-19 est en réalité un oracle contre le roi d'une autre cité maudite, Babylone. Mais le v. 15 de Lc s'inspire des v. 14-15 d’Isaïe : et ceci nous est un exemple de la liberté avec laquelle le N.T.se réfère à l’A.T...

Lc 10,16 // Ga 4,14 — Remontée de la même chaîne apostolique lancée en Lc 9,51 et 10,1-12 : Jésus — » messagers (« Angelous ») — »• en qui c'est Lui qu'on reçoit. Inversement, sous le masque de « chair » et d'humilité de la prédication de Paul, c'est un « Ange », et donc à travers celui-ci, le Christ Jésus lui-même que les Galates ont reçu. Le // 1S 8,1 1S 8,5 1S 8,7 un autre exemple, en négatif cette fois, de la solidarité liant le représentant à celui qui l'a délégué.

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§ 187. Le retour des soixante-douze disciples: Lc 10,17-20 // Ap 12,9-12; Ps 91,13-16; Ap 3,5; 20,12


(Lc 10,17-20 // Ap 12,9-12 Ps 91,13-16 Ap 3,5 Ap 20,12)

— Les // Soulignent la signification eschatologique, dernière, que la mission apostolique porte déjà au moins en germe. Ce qui est en jeu, c'est de faire brèche à l'empire tyrannique du « Prince de ce monde », en rétablissant « le Règne de Dieu » (Lc 10,9 Lc 10,11).

Même les démons soumis en ton nom : Comme déjà en 9,49. On en a d'autres exemples dans Ac 16,19 et 19,13-17. Mais ce dernier cas invite justement à ne se mêler de combattre le démon par des exorcismes qu'à la condition d'être soi-même paré contre tout choc en retour. D'autant que — comme on le voit dans l'occultisme et la magie mais aussi dans l'ambition totalitaire — la conquête de pouvoirs (authentiques ou illusoires) tend à devenir — la volonté de puissance aidant — fin en soi, au lieu de n'être que moyen d'un Retour à Dieu. C'est contre cette déviation que le Christ met ici en garde, rétablissant la juste perspective au v. 20. C'est aussi, bien entendu, celle de l'Apocalypse chrétienne (// Ap 3,5 Ap 20,12).



§ 188. L'évangile révélé aux simples, le père et le fils: Lc 10,21-22; (Mt 11,25-27)


(Lc 10,21-22 Mt 11,25-27)


— Voir au § 110 *. Dès l’A.T., les vocations de David ou Jérémie sont deux exemples, entre bien d'autres, de cette prédilection de Dieu pour les petits, ou les cadets normalement exclus de l'héritage (// 2S 7,8 et Jr 1,6-10). Mieux encore dans le N.T.(// 1Co 1,26-29), car même d'humbles chrétiens sont plus favorisés que rois ou prophètes eux-mêmes (§ 189 ).


Lc 10,22 ; (Mt 11,27 — « La formule propre à Le : < connaître qui est... > marque à la manière grecque l'objet de la connaissance; la formule de Mt est plus sémitique » (Note de TOB). « Connaître » doit donc s'entendre au sens fort, qui est de communion d'être autant que de penser ou de vouloir, comme par exemple entre deux époux : « Pour un sémite en effet, connaître déborde le savoir abstrait et exprime une relation existentielle... Connaître quelqu'un, c'est entrer en relations personnelles avec lui... » (Vtb < Connaître >).

A. george : Sur Luc, p. 233 et 236 : Les paroles de Jésus sur son Père complètent l'enseignement de Luc sur le Fils. Leur originalité est frappante (textes propres à Lc 2,49 Lc 22,29 Lc 23,34 Lc 23,46 Lc 24,49). Leur situation au début et à la fin de l'évangile fait ressortir leur importance. Il est clair que Luc y porte un intérêt particulier et qu'il y entend la filiation de Jésus comme une relation unique avec son Père, surtout dans sa prière (10,21 ; 23,34.46)... Car cette filiation n'est pas un titre solennel, ni un privilège, mais une dépendance, une intimité, une communion totale : être le Fils, pour Jésus, n'est rien d'autre que vivre par son Père et pour lui, accomplir son dessein et assurer sa gloire.



§ 189. « Bienheureux les yeux... »: Lc 10,23-24; (Mt 13,16-17)


(Lc 10,23-24 Mt 13,16-17)

- Voir le commentaire au § 128 *.



§ 190. Le grand commandement: Lc 10,25-28; (Mt 22,34-40); Mc 12,28-31

Lc 10,25-28 Mt 22,34-40 Mc 12,28-31

— Le contexte des 3 Synoptiques est différent. En Matthieu, on se trouve après les Rameaux. Pharisiens et Sadducéens « en groupe » se relaient pour « mettre à l'épreuve » le rabbi galiléen, par des questions-pièges sur l'impôt dû à César, la résurrection des morts et enfin ce plus grand commandement (§ 283 -285). Après en avoir triomphé, Jésus réduit ses adversaires au silence (§ 286 ), puis se lance dans sa longue diatribe contre les scribes et les Pharisiens (§ 287 -289) — Mt 23), assortie du < Discours eschatologique > (§ 291 -307) — Mt 24-25).

Bien que Marc situe l'épisode au même moment, le ton change : c'est la démarche individuelle d'un scribe, à demi conquis déjà (Mc 12,28) ; et le dialogue se conclut par une approbation expresse de cet homme de bonne volonté, que le Christ encourage à faire le pas, pour entrer dans le Royaume de Dieu (Mc 12,32-34, au § 285 ). Par contre, en Saint-Luc, bien qu'il s'agisse encore d'une « épreuve » comme en Mt, le climat est tout autre : on est seulement < en route > vers Jérusalem. Question sous une forme moins < juive > (« le plus grand commandement ») et plus générale (« la vie éternelle ») ; réponse non du Christ mais de l'interrogeant lui-même interrogé (v. 26), qui mérite comme en Mc l'approbation (« tu as bien répondu ») et l'encouragement (« fais cela... »).

En tous cas, se manifeste la référence et l'accord de l'Évangile à la Loi de Moïse (§ 53 *) — mais davantage à la source qu'est le double commandement, que dans les modalités qui en découlent. Les // Tirés du Dt ou du Lv (ici et en // au § 285 ) en témoignent, tout comme Rm 13,9-10, conclusion d'une Épître où saint Paul avait pourtant fait le départ entre Nouvelle et Ancienne Alliance. Quant au // Os 6,6, le scribe le cite en partie (§ 285 ) — Mc 13,35); mais Jésus lui-même y avait renvoyé les Pharisiens, en Mt 9,13 et Mt 12,7 (§ 42 * in fine, et § 44 ).

Lc 10,27-28 Mt 22,37-40 Mc 12,29-31 — Le rapport entre amour de Dieu et du prochain est aussi indiqué différemment, bien que de façon convergente. En Mt, les 2 commandements sont séparés (v. 38-39a), mais le 2° est semblable au 1°; et conjointement, ils sont au départ de tout le reste (v. 40). En Marc, il y a bien un 2° commandement (Mc 12,31a); mais il ne fait qu'un (au singulier) avec le 1°. En Luc, il n'y a plus qu'un verbe : « tu aimeras », avec son double objet : Dieu et le prochain. L'Évangile c'est donc le double commandement, comme inséparable.

Au temps du Christ, c'est d'équiparer le 2° au 1° qui pouvait paraître « nouveau » (§ 320 ) — Jn 13,34*). Jean insistera sur le « mensonge » qu'il y aurait à prétendre aimer Dieu, invisible et partant peu gênant, sans aimer le frère dans le besoin (1Jn 4,20-21 et Jn 3,17-18). Mais il serait tout aussi illusoire d'aimer les hommes, si ce n'était avec l'amour de Dieu passant à travers nous. C'est le piège tendu au Christ, suspect de trop mettre en avant l'amour même des pécheurs. La référence au 1° commandement le désamorce. Tous les commentateurs insistent sur cette réciprocité : par exemple P. Ternant, dans Ass. S. n, 15° D. ord., p. 67-69. Mais surtout, que ce ne soit pas seulement une belle déclaration : bien plutôt, il faut que ce soit une voie où l'on s'engage. C'est la conclusion de Luc : « Fais cela et tu vivras » (v. 28, en relation avec la question initiale : « posséder la vie éternelle »). Elle rejoint celle du // Lv 18,5, qui revient aussi en leitmotiv dans le Deutéronome (Dt 6,3, en // au § 285 ; Dt 5,1 Dt 5,31-33 Dt 6,1-2, etc.).

F.J. LEËNHARDT : Mél. Goguel, p. 136 : Aimer son prochain comme soi-même, c'est l'aimer non seulement comme soi-même en quantité, c'est-à-dire autant que soi-même, avec autant d'intensité ; c'est l'aimer aussi comme soi-même EN qualité, c'est-à-dire en tant que soi-même, en tant qu'il est moi-même ; et il est moi parce que je suis lui, parce que je me suis transporté en lui et ce n'est plus moi qui pense et agis, mais il me dicte ce que je dois penser et faire.

Mais plus encore que de la quantité ou qualité humaine de l'amour du prochain, l'Évangile est révélation de ses profondeurs < mystiques > : en tout homme, découvrir un membre solidaire du Christ, lui-même solidaire de son Père — ou bien, en sens inverse : en Dieu aimer un Père solidaire de tout homme au point de mettre son Fils et nous-mêmes au service de son salut — voilà l'unité d'une charité vraiment < chrétienne >. Il y a équation : prochain = Christ = Père. Pas d'amour du prochain sans amour du Christ et de son Père. Pas d'amour du Père sans amour de son Fils, donc de ses membres :

HILAIRE : Sur Mt 22,38-39 (PL 9, 1047) : Le second commandement est semblable au premier, dans son exercice et dans sa récompense. Car l'amour de Dieu sans le Christ, ou du Christ sans Dieu, ne sert de rien pour notre salut... Or nous avons dit souvent que dans le prochain nous devons voir le Christ : puisque en effet il nous est interdit de faire passer notre père ou notre mère, ou nos fils, avant l'amour de Dieu, comment le commandement de l'amour du prochain serait-il semblable au premier, si ce n'est parce qu'il commande d'aimer le Fils comme le Père ?

p. 450

§ 191. Le bon samaritain: Lc 10,29-37

Lc 10,29-37

— Dans le prolongement du § 190 , cette parabole peut fort bien être lue d'abord comme un récit exemplaire :

« Fais cela et tu vivras » (Lc 10,28) ; et plus précisément comme une réponse à la question du v. 29, pour définir « qui est mon prochain ». Déjà, en cette première lecture, l'élargissement des perspectives est double :

1) « Pour un Juif d'alors, le prochain était tout membre de son peuple, à l'exclusion de l'étranger » (Note de Tob, citant Lv 19,11 Lv 19,15 Lv 19, où le prochain est le « compatriote »; idem en Mt 5,43*). De fait, le bel exemple donné par Israël, libérant les prisonniers faits sur le royaume de Juda, joue sur le motif que, malgré le schisme, ce sont des « frères » (// 2Ch 28,11 2Ch 28,15). En faisant secourir le malheureux par un Samaritain, Jésus montre que la charité ignore les cloisonnements de race, de religion et de nationalité : elle doit être « catholique ». On en a eu bien des exemples durant la guerre de 1940...

2) Mais surtout, il y a un retournement, caractéristique de l'Évangile. L'image naturelle sur laquelle repose le mot lui-même de « prochain » est celle d'une plus ou moins grande proximité objective. L'homme soucieux d'aider son < prochain > serait au centre de cercles de plus en plus larges : famille, compagnons de travail, concitoyens, compatriotes, étrangers, ennemis, suivant un ordre où l'urgence de la charité irait en décroissant. Et en effet, reste légitime et recommandé de donner au besoin priorité aux membres de sa famille, de sa cité ou de son pays. Les // Tirés des Livres de la Sagesse recommandent bien que cette pitié envers le prochain soit effective, sans retard (Pr 3,27-28), spécialement envers les humbles (Pr 14,21); mais en prenant garde à ne pas trop s'engager (Si 29,20). Par contre, dans l'exemple donné par l'Évangile, à cette proximité objective vient s'ajouter une approche subjective, à la fois physique (prêtre et lévite « se détournent et passent », tandis que le Samaritain « vient auprès » de l'homme blessé), cordiale (v. 33b) et active (v. 34).

Ainsi, en définitive, tout dépend de nous. Il n'y a plus de limites, de classements, d'étiquettes mises sur les autres, de droit qui nous permette de compartimenter un secteur < prochain >, au-delà duquel nous ne serions plus tenus. De quiconque, nous sommes invités à nous faire prochain, disponible, secourable. Sur ce point, cf. F.J. Leenhardt, dans Mél. Goguel, p. 132-138.

— Mais cela dépasse les forces d'un homme ? — Certes ! Il y faudrait un coeur aussi large que celui de Dieu (// Si 18,12-13).

C'est la solution vers laquelle oriente l'autre façon de lire cette parabole, qui reconnaît en cet homme descendant de Jérusalem, cité sainte, à Jéricho, ville mondaine, et que les brigands dépouillent et laissent demi-mort, la figure d'Adam, sorti du paradis, qui reste blessé de son péché, privé de la grâce, et sans forces pour reprendre sa route.

Prêtre et lévite se détournent de lui, comme la Loi et les Prophètes, incapables de secourir l'homme dans sa condition actuelle (Rm 3,20 Rm 7,7-13 Ga 3,19-24). Mais survient le Christ, qui est le véritable Samaritain. Il nous mène à l'hôtellerie, qui est son Église, en payant le prix, et en promettant son retour.

Une telle interprétation se recommande d'abord par quelques termes caractéristiques, qui sont comme des clefs tendues à qui sait les remarquer :

Lc 10,33) — En voyant l'homme blessé, le Samaritain fut ému de compassion : C'est le verbe des « entrailles » ou de la < miséri-corde >, que ce soit de Dieu ou de son Christ : cf. § 39 ) — Mc 1,41-42*.


Lc 10,37) — Pourquoi le Samaritain part-il, mais en prenant soin d'annoncer qu'il reviendra Une telle précision ne vient certainement pas par hasard. Elle nous renvoie à bien d'autres endroits des Évangiles et notamment d'autres paraboles où il est question, sans conteste, de la Parousie ou Retour du Christ à la fin des temps: paraboles des Mines et des Vignerons homicides (§ 270 et § 281 ).

Or un autre parallélisme, encore plus appuyé, a été remarqué entre le bon Samaritain et le bon Pasteur : « Ceux qui sont venus avant » le Christ (Jn 10,8 — comme le prêtre et le lévite, représentants de l’A.T...), sont des brigands, qui dépouillent, frappent et mettent à mort (même si les verbes ne sont pas les mêmes en Lc 10,30 et Jn 10,10, les 2 triades se rejoignent par le sens). Ici comme là, « l'amour de Dieu pour l'homme, victime des brigands, est manifesté non par les leaders du judaïsme (le prêtre et le lévite, qui s'éloignent comme le mercenaire s'enfuit), mais par la venue du bon Samaritain ou du bon Pasteur » (e. HOSKYNS : Thefourth Gospel, p. 377. Dans le même sens, b. GERHARDSSON : The Good Samaritan — The Good Shepherd, Lund 1958). Et il ne conviendrait pas moins de comparer au bon Samaritain Mt 18,12-14, parabole de l'approche du Royaume en la personne du Pasteur en quête de la 100° brebis (§ 178 *). S'il semble indigne du Christ d'être < Samaritain >, Origène répond que, traité par ses adversaires de « Samaritain, possédé du démon » (§ 261 ) — Jn 8,46), Jésus a récusé la seconde accusation, non la première. Car < Samaritain > signifierait éty-mologiquement : « gardien » — ce en quoi Il se reconnaissait volontiers.

Car c'est toute la Tradition chrétienne jusqu'au Moyen Âge, qui interprète en ce sens la parabole. Il semble même que cette façon de la lire remonterait à l'Église judéo-chrétienne, au témoignage d'IRÉNÉE (Adv. Hoer. III, 17,3 -SC 211, p. 336), ou d'Origène (Hom. 34 Sur Luc — PG 13, 1886-1887). On la retrouve de Clément d'Alexandrie à Grégoire de Nysse, et parmi les Pères latins, chez Ambroise et Augustin tout particulièrement (AMBROISE: Sur Luc vu, 71-84 - SC 52, p. 33-36. Pour Augustin, cf. d. sanchis, dans « Rech. sr » 1961, p. 406-425). La démonstration du bien-fondé de cette tradition par J. Daniélou reste convaincante, à quelques détails près (dans Mél. A. Robert, p. 457-465). Elle permet au surplus de faire le départ entre le symbolisme simple de l'Évangile, et les proliférations allégorisantes, cherchant à trouver une signification transcendante aux moindres détails, qui ont par la suite déconsidéré cette interprétation.

Mais si l'on s'en tient à l'essentiel, cette lecture < mystique > ou < sacramentelle > de la parabole correspond au sens indiqué dans l'Introduction aux § 125 -139, p. 354 : une révélation du Royaume proposé de par la venue du Christ, ici en bon Samaritain, avec indication des dispositions pour l'accueillir, et donnant à l'histoire valeur morale, exemplaire — comme l'indique expressément la finale : « Va, et toi aussi, fais de même » :

f.J. Leenhardt, dans Mél. Goguel, p. 137-138 : Ces mots correspondent exactement à ceux que Jésus prononça dans d'autres circonstances, par exemple : « Je te le dis, prends ton grabat et marche », parole qui, à son tour, équivaut à celle-ci : « Va, tes péchés sont pardonnes » (Mc 2,5). Jésus donne un ordre, et il donne ce qu'il ordonne...

Devant cette parole, le Pharisien peut hausser les épaules, ou, comme le jeune homme riche, s'en aller tout triste. Mais il y a une autre possibilité : obéir, prendre Jésus au mot, croire à cet ordre, c'est-à-dire croire qu'il contient bien la grâce qu'il annonce... Jésus a pris en charge celui qui l'interrogeait, il a vraiment tout fait pour lui, comme avait fait le Samaritain. Jésus a été le Samaritain de ce Pharisien, il a été le prochain de cet homme.

Et c'est ainsi qu'il a fait de lui un prochain.


Les deux types de lecture ne s'excluent donc pas. On peut même supposer si l'on veut que Jésus part d'un < fait divers >, tant le cadre du récit est précis, et cette route « descendant » de façon si impressionnante de Jérusalem à Jéricho, en plein désert, propice aux guets-apens. On a même inventé, pour l'édification des pèlerins, l'auberge du bon Samaritain ! Il ne manque même pas à l'histoire sa pointe anticléricale contre « le prêtre et le religieux » (lévite), qui se détournent soit par désintérêt, soit par fausse piété, pour ne pas se souiller au contact d'un homme si mal en point qu'on pouvait le craindre mort (sur ce point, voir la grave discussion de J. JEREMIAS : Paraboles, p. 194). Les < réalistes > ne renchérissent pas moins que les < allégorisants >, sans aucune crainte, semble-t-il, de ridicule. En tous cas, il est vrai que la leçon humanitaire s'impose. Et que de pauvres laissés-pour-compte, nous avons ainsi à croiser, dans nos villes inhumaines !

Mais quand le Verbe de Dieu s'est incarné, était-ce donc seulement pour nous donner cet enseignement élémentaire évident ? N'avait-il pas quelque chose à nous révéler, de Dieu et de lui-même ? C'est de cette révélation que la Tradition nous invite à nous émerveiller. On mesurera les limites de l'exégèse officielle jusqu'à ces toutes dernières années au fait que non seulement elle s'en est tenue à peu près unanimement à la lecture moralisante, mais que, dans sa bibliographie remise à jour dans l'édition française de 1980, J. Lambrecht, dans les 2 pages de références aux commentaires du Bon Samaritain, ne cite ni J. Daniélou, ni aucun des Pères : telle est l'objectivité d'une exégèse qui se veut pourtant < scientifique >.

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Bible chrétienne Evang. - § 182. Parabole du débiteur impitoyable: Mt 18,23-35